4
DECEMBRE 2011 « Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. » Francis BLANCHE La Conduite du Changement est un incontournable du management actuel. Qu’on le veuille ou non, aujourd’hui, tout change : les entreprises fusionnent, se globalisent; l’Etat lui-même se modernise à marche rapide; les univers associatif, médical et médico-social se professionnalisent à leur tour; la technologie offre chaque année des possibilités nouvelles. Enfin, en 2012 la crise économique et environnementale en Occident annonce des changements à venir, aussi majeurs qu’imprévisibles. Mais pour les organisations de toutes tailles, « changer » est difficile : nombre de projets de changement s’enlisent, passent en force, ou se heurtent à des « résistances au changement » qui peuvent tourner en vrais risques psychosociaux. Dans un sondage réalisé en 2010 1 , l’Ifop reporte que 35% des salariés estiment que le dernier changement qu’ils ont vécu « s’est globalement mal passé » ; et pour 50 % d’entre eux, « le dernier changement a été une erreur et n'a pas produit d'effets positifs ». Suivant les auteurs, un tiers à une moitié des projets de changement dans les organisations n’atteignent pas les résultats escomptés – et cette proportion semble stable, malgré une profusion de littérature, de méthodes, d’outils de conduite du changement. LES APPROCHES « TOP-DOWN » TROUVENT LEURS LIMITES Jusqu’aux années 80, la conduite du changement, cela consistait essentiellement à… changer opérationnellement, par des directives, des étapes techniques, en bref par une approche simple de «contrôle- commande». Les grands cabinets de conseil en stratégie ont les premiers perçu les limites de ces approches : sur le terrain, les choses s’avéraient en effet beaucoup plus complexes que prévu. Les universitaires anglo-saxons – ils sont massivement mieux équipés que les autres pour produire et diffuser des idées sur le management – ont ensuite mis en avant la dimension managériale du changement : au-delà des plannings et des étapes techniques, il s’agit de réaliser que les organisations ne sont pas (que) des mécaniques, mais aussi des communautés humaines. R.M. Kanter a ouvert la voie de cette attention à la dimension humaine en 1986 avec « Change Masters » 2 , qui s’intéressait particulièrement au développement des compétences. C’est aussi l’époque des « théories Y » du management, des cercles de qualité, et autres théories de la motivation au travail inspirées par la psychologie humaniste. Mais c’est sans doute John P. Kotter 1 Les salariés et le changement : conduite, adhésion, résistances - sondage réalisé pour BcomBest par l’Ifop 2 Change Masters, Rosabeth Moss Kanter, Free Press, March 15, 1985 Du nouveau dans la conduite du changement : l’ Exploration Appréciative (Appreciative Inquiry)

Conduite du changement : les bases

  • Upload
    pponty

  • View
    778

  • Download
    3

Embed Size (px)

DESCRIPTION

les concepts de base pour la conduite du changement, et l'évolution vers des approches plus modernes et participatives, l'Exploration Appréciative

Citation preview

Page 1: Conduite du changement : les bases

DECEMBRE 2011

« Face au monde qui change,

il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. »

Francis BLANCHE

La Conduite du Changement est un incontournable du management

actuel. Qu’on le veuille ou non, aujourd’hui, tout change : les entreprises

fusionnent, se globalisent; l’Etat lui-même se modernise à marche rapide;

les univers associatif, médical et médico-social se professionnalisent à

leur tour; la technologie offre chaque année des possibilités nouvelles.

Enfin, en 2012 la crise économique et environnementale en Occident

annonce des changements à venir, aussi majeurs qu’imprévisibles.

Mais pour les organisations de toutes tailles, « changer » est difficile :

nombre de projets de changement s’enlisent, passent en force, ou se

heurtent à des « résistances au changement » qui peuvent tourner en

vrais risques psychosociaux. Dans un sondage réalisé en 20101, l’Ifop

reporte que 35% des salariés estiment que le dernier changement qu’ils ont vécu « s’est globalement mal

passé » ; et pour 50 % d’entre eux, « le dernier changement a été une erreur et n'a pas produit d'effets

positifs ». Suivant les auteurs, un tiers à une moitié des projets de changement dans les organisations

n’atteignent pas les résultats escomptés – et cette proportion semble stable, malgré une profusion de

littérature, de méthodes, d’outils de conduite du changement.

LES APPROCHES « TOP-DOWN » TROUVENT LEURS LIMITES

Jusqu’aux années 80, la conduite du changement, cela consistait essentiellement à… changer

opérationnellement, par des directives, des étapes techniques, en bref par une approche simple de «contrôle-

commande». Les grands cabinets de conseil en stratégie ont les premiers perçu les limites de ces approches :

sur le terrain, les choses s’avéraient en effet beaucoup plus complexes que prévu.

Les universitaires anglo-saxons – ils sont massivement mieux équipés que les autres pour produire et diffuser

des idées sur le management – ont ensuite mis en avant la dimension managériale du changement : au-delà

des plannings et des étapes techniques, il s’agit de réaliser que les organisations ne sont pas (que) des

mécaniques, mais aussi des communautés humaines. R.M. Kanter a ouvert la voie de cette attention à la

dimension humaine en 1986 avec « Change Masters »2, qui s’intéressait particulièrement au développement

des compétences. C’est aussi l’époque des « théories Y » du management, des cercles de qualité, et autres

théories de la motivation au travail inspirées par la psychologie humaniste. Mais c’est sans doute John P. Kotter

1 Les salariés et le changement : conduite, adhésion, résistances - sondage réalisé pour BcomBest par l’Ifop

2 Change Masters, Rosabeth Moss Kanter, Free Press, March 15, 1985

Du nouveau dans la conduite du changement :

l’ Exploration Appréciative (Appreciative Inquiry)

Page 2: Conduite du changement : les bases

2 Conduite du Changement : L’Exploration Appréciative

avec son article « Leading Change »3 qui a le premier proposé une approche

pragmatique à l’usage des directions d’organisations, une approche en huit

phases qui fait encore référence aujourd’hui.

L’ approche de Kotter, ou celle des nombreux auteurs ultérieurs qui peu ou prou

peuvent en être rapprochés4, restent parfaitement valides. Manager mieux et

plus humainement est partout utile.

Cependant, ces approches managériales elles-mêmes trouvent leurs limites. Dans

certaines entreprises où le changement est devenu la norme, les dynamiques

s’usent : à chaque changement une nouvelle organisation, de nouveaux noms

ronflants, une nouvelle couche de chefs et de priorités… tout cela s’accumule sur

des opérationnels de terrain surchargés. Les gens et les systèmes finissent par

apprendre à faire le dos rond, à « filtrer ». C’est d’ailleurs une réaction saine

lorsque le changement est mal conçu, ce qui n’est pas si rare…

Dans d’autres organisations, le changement est vécu comme une confrontation : le leadership nous veut du

mal, et tout ce qui vient de lui est mauvais. S’opposer a priori, ou à tout le moins attendre et voir…

Ces difficultés n’ont rien d’anecdotique. Les risques psychosociaux sont une réalité, pour les gens et pour les

entreprises. La distance entre les « changeurs » d’une part, le leadership porteur des projets, et les « changés »

d’autre part, peut très mal finir si elle n’est pas abordée – France-Telecom est une situation connue de ce point

de vue, mais il y en a bien d’autres. L’être humain ne supporte pas le manque de sens perçu, et il est grand

temps d’inventer des approches nouvelles. Peut-être faut-il oser questionner le changement lui-même : le

paradigme jusqu’ici, c’est de concevoir un changement, puis de convaincre les gens de le réaliser. Mais

pourquoi les gens devraient-ils nous suivre, changer comme nous le souhaitons Et puisque les choses

traîneront en longueur si les gens n’ont pas envie de changer, comment fait-on pour « donner envie « ?

CHANGER LE CHANGEMENT ?

L’Appreciative Inquiry, ou Exploration Appréciative, est née à la fin des années 80 de l’expérience de David

Cooperrider, professeur en sciences de gestion, à l’occasion d’un chantier de changement dans une clinique à

Cleveland. Elle a été pratiquée dans des contextes très divers : entreprises, secteur public, armée, secteur

social et associatif, « communautés » aux USA, dialogue interculturel... mais encore assez peu en France. Elle

aborde les situations de changement avec un œil neuf. Voici quelques-uns de ses principes :

La co-construction : les solutions co-construites par les gens eux-mêmes et avec leur management,

auront plus d’impact. Elles seront mieux adaptées au terrain, mieux acceptées, plus efficaces. Il ne

s’agit pas de consultation, d’échanges : il s’agit bel et bien de laisser aux changés le leadership des

modalités du changement. Plus profondément encore, les processus eux-mêmes d’échanges, de

3 Leading change, John P. Kotter, Harvard Business School Press, 1996 (ouvrage non traduit);

Alerte sur la banquise ! : Réussir le changement dans n'importe quelles conditions, J.P. Kotter et H. Rathgeber,

Village Mondial, 2008

4 En français, par exemple :

Une innovation en conduite du changement : Le projet Litchi à EDF, Robert Leloup, Sandrine

Marty, David Autissier , Editions d’Organisation, 2008

Méthode de conduite du changement : Diagnostic, accompagnement, pilotage, Jean-Michel

Moutot, David Autissier, Robert Leloup (Préface), Dunod; 2e édition, 2010

Conduire le changement : Transformer les organisations sans bouleverser les hommes,

Christophe Faurie, L' HARMATTAN, 2010

Phases de la conduite du changement (J.P. Kotter, 1996)

1. Sentiment d'urgence 2. Coalition puissante 3. Développer une vision 4. Communiquer la vision 5. Déployer les ressources 6. Victoires à court terme 7. Renforcement 8. Ancrage

Page 3: Conduite du changement : les bases

3 Conduite du Changement : L’Exploration Appréciative

verbalisation créent de nouvelles représentations et de nouvelles

réalités sociales – l’ approche est constructiviste, elle produit en elle-

même une dynamique d’évolution.

L’orientation positive : on focalise souvent les changements sur la

réduction des dysfonctionnements. C’est un point de vue épuisant,

dévalorisant. On génère beaucoup d’énergie en s’appuyant au

contraire sur ce qui est déjà là et qui fonctionne, sur les réussites, sur

l’envie des gens de les étendre.

Le principe poétique : Kotter aujourd’hui, insiste sur le « parler au

cœur », nécessaire dans la communication du changement. Il s’agit de

transmettre l’envie, de générer un véritable désir de contribuer à la

page de l’histoire de l’organisation qui est en train de s’écrire. Et le

désir, ce n’est pas que des primes : c’est aussi et surtout la fierté, le défi, les valeurs, l’esthétique, le

sens, et plus encore…

L’anticipation : l’analyse du passé est utile, mais l’imagination et la construction du futur génèrent

plus d’énergie, de créativité, de mobilisation.

La simultanéité : c’est au moment même où l’on conçoit le changement, au moment où on l’explore

suivant la méthode appréciative, qu’il a lieu en réalité – c’est-à-dire, que les vrais déclics du succès se

produisent pour les gens.

Comme l’approche managériale du changement avait émergé en parallèle avec la psychologie humaniste,

l’Exploration Appréciative émerge à l’époque de la Psychologie Positive, fondée par Martin Seligman5.

Cooperrider ne s’y référait pas , mais les deux courants sont maintenant en forte synergie. La Psychologie

Positive s’intéresse elle aussi aux forces, aux modes de réussite des personnes plutôt qu’à leurs maladies.

Ces principes représentent une vraie innovation de point de vue par rapport aux pratiques courantes. Ils

peuvent paraitre « naïfs ». Mais il ne s’agit pas ici d’optimisme béat : les problèmes, les souffrances, le Mal lui-

même sans doute, sont bien là et il ne s’agit pas de les nier – ils reviendraient d’ailleurs en force par la fenêtre.

Il s’agit d’un choix volontaire consistant à explorer ce qui marche, et d’en dégager une énergie et des idées qui

vont servir à résoudre plus efficacement le problème de départ.

CINQ ETAPES BIEN RODEES

En pratique, Cooperrider a décrit une méthode d’intervention6 en

cinq étapes qui s’avère s’avère assez facile à mettre en œuvre, avec

un accompagnement léger. Les étapes sont décrites ici de manière

très résumée.

La première étape (Définition) à poser une orientation

positive. C’est la base de l’engagement de tous. Elle reste le

privilège du leadership, des commanditaires de l’opération,

secondés par un groupe de pilotage. Elle formule l’ambition

pour l’organisation sur le domaine concerné, et peut se

décliner en 3 à 5 sujets à explorer.

L’orientation générale et les sujets sont formulés en termes

positifs, attractifs, stimulants, tournés vers l’avenir et vers les autres, et bien spécifiques à

l’organisation.

Les étapes suivantes (deux à quatre) se déroulent typiquement en séminaire – séminaire de direction

5 Lire par exemple : Introduction à la psychologie positive, Jacques Lecomte, Dunod 2009

6 Le coaching par l’Appreciative Inquiry, Jean Pagès, Editions d’organisation 2007

Page 4: Conduite du changement : les bases

4 Conduite du Changement : L’Exploration Appréciative

par exemple lorsque l’équipe concernée est le Comité de Direction lui-même, séminaires d’équipes,

ou même « sommet Appreciative Inquiry » (il s’en est fait à 6 000 participants !)

La deuxième phase (Découverte) consiste à explorer ce qui donne vie à l’organisation en s’appuyant

sur ses réussites, ses temps forts, ses fiertés, ses meilleures expériences dans l’orientation fixée en

phase 1. C’est le moment-clé où les sujets sont traités de manière humaine. Elle se déroule d’abord en

entretiens deux à deux, s’appuyant sur un questionnaire spécifique élaboré

pour chaque sujet en suivant une trame universelle. Une synthèse de cette

exploration est ensuite partagée en petits groupes.

« Ecouter les autres, c’est encore la meilleure façon

d’entendre ce qu’ils disent. »

Pierre DAC

A la troisième étape (Devenir), on construit un « rêve », une image de

l’organisation basée sur l’extrapolation des expériences positives évoquées à

la phase précédente. Cette construction se fait en groupes de travail, elle peut prendre des formes

créatives, évocatrices (histoire du futur, dessin, mise en scène..).

La quatrième étape (Décision ou Design) consiste passer du rêve souhaité au rêve possible. Elle se

construit sur une évaluation des priorités dans les éléments de la vision, en fonction du faisable et des

contributions à l’orientation de départ.

Enfin la cinquième étape (Déploiement) est la plus classique. Il y faudra bien sûr, comme pour toutes

les démarches de changement, de l’énergie et de la ténacité ; celles-ci seront d’autant plus

abondantes que l’expérience vécue aux premières phases, aura donné leur juste place aux personnes.

L’expérience montre qu’une fois le virus de l’exploration appréciative installé, il se propage !

En pratique, une grande variété de formules sont possibles pour chaque étape, suivant la taille du groupe, la

nature des questions, les objectifs recherchés.

Cette démarche s’applique à de nombreuses situations, mais bien entendu pas à toutes. Il y a sans doute par

exemple des cas de graves dysfonctionnements, qu’il faut d’abord régler avant de passer à une phase de

construction appréciative. Et puis, elle se fonde sur un véritable choix de mode de leadership : après le mode

directif classique, puis le mode participatif des approches managériales, il s’agit ici de s’engager vers un mode

constructiviste qui donne une place résolument nouvelle aux personnes.

LEADERSHIP HUMANISTE

L’exploration appréciative demande, et en même temps développe un nouveau leadership : serein, solide sur la

légitimité des orientations qu’il propose, capable de déléguer le détail à ses équipes, prêt à ne pas avoir avoir

réponse à tout, engagé dans la volonté de mener les changements à bien en s’appuyant sur les personnes.

La force principale de l’Exploration Appréciative, c’est son ancrage dans des dynamiques et des motivations

humaines profondes : le désir de réussir, de collaborer, de partager, d’être pris en compte. En cela c’est une

véritable approche de leadership humaniste, au moderne du mot : le leadership, c’est pour nous la capacité à

entraîner les autres volontairement dans une direction positive pour la collectivité.

Lançons-nous !

Pascal Ponty – [email protected] – 06 70 90 07 81

www.nextmove.fr (site) www.leadership-humaniste.fr (blog)

Conseil, Accompagnement-coaching, Formation

Professionnels, Cadres, Dirigeants, Equipes