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1 UNIVERSITE de PARIS IV – SORBONNE CELSA Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information et de la Communication Master Professionnel 2 ème année Option : Management et communications interculturelles « En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t- elle les stratégies CRM des marques ? » Le cas du community management ciblant les femmes Préparé sous la direction de Mme le Professeur Véronique RICHARD Aurore HONDARRAGUE Promotion : 2008/2009 Soutenu le : 2 décembre 2009 Note du TER : 16/20

[Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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Ce travail d’étude et de recherche montre en quoi l’émergence des médiassociaux a bouleversé les stratégies relationnelles des marques. Les possibilités decommunication offertes aux marques sur les médias sociaux ont fait naître unnouveau champ du marketing, le Community Management Marketing (CMM), quiconsiste à influencer les comportements et les attitudes des consommateurs ens’appuyant sur des logiques communautaires et en utilisant les médias sociauxcomme supports de communication.Le premier changement concerne les consommateurs. Les médias sociauxont modifié leur relation aux marques. Ils sont devenus plus critiques, se sontorganisés en communautés de marques et sont entrés en concurrence avec lesdiscours des marques.Les médias sociaux ont également bouleversé le paysage médiatique. Leurmontée en puissance coïncide avec les difficultés que rencontrent les autres médias.La modification des attentes relationnelles de consommateurs remet en cause lesmodèles traditionnels de communication. De nouvelles pratiques, qui utilisent lesmédias sociaux comme outils dans la relation aux consommateurs, ont commencé àapparaître.La formalisation de ces pratiques a donné naissance à un nouveau domainede la communication, le Community Management Marketing. Le CMM reste uneexpertise en cours de création, qui pose de nombreuses questions auxprofessionnels de la communication quant à son rôle et à l’ampleur des changementsqu’elle implique pour les organisations et les théories de l’information et de lacommunication.

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UNIVERSITE de PARIS IV – SORBONNE

CELSA Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information

et de la Communication

Master Professionnel 2ème année Option : Management et communications interculturelles

« En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ? »

Le cas du community management ciblant les femmes

Préparé sous la direction de Mme le Professeur Véronique RICHARD

Aurore HONDARRAGUE

Promotion : 2008/2009

Soutenu le : 2 décembre 2009

Note du TER : 16/20

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REMERCIEMENTS

Je souhaiterais remercier Aziz Haddad de m’avoir suivie, conseillée et

encouragée tout au long de ce travail de recherche. Un grand merci à Cédric

Deniaud, qui a accepté de venir assister à ma soutenance.

Je remercie également Francis Yaiche pour m’avoir aidée dans ma réflexion

sur ce sujet et Monique Beuvin pour sa patience, sa gentillesse et son soutien.

Enfin, merci à tous ceux avec qui j’ai pu échanger sur ce sujet, collègues,

blogueurs, amis. Les discussions que j’ai pu avoir, les articles que j’ai pu lire depuis

mai 2008 ou mes débuts de community manager, m’ont tous aidé à comprendre les

médias sociaux et m’ont inspirée tant humainement que professionnellement. Je

remercie particulièrement Delphine Desneiges et Elodie Jacquemond pour m’avoir

consacré du temps et m’avoir éclairée sur le monde des blogs mode et Olivier

Beaurain et Guillaume Liziard avec qui j’ai travaillé sur des sujets passionnants.

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................ 2 INTRODUCTION................................................................................................................................................. 4 I. LES MEDIAS SOCIAUX MODIFIENT LE RAPPORT DES CONSOMMATRICES A LA MARQUE ............................................................................................................................................................ 10

A. ELLES CRITIQUENT LES MARQUES............................................................................................................ 11 1. La critique par la comparaison.......................................................................................................... 13 2. La critique par l’expression............................................................................................................... 15 3. La critique par la discussion.............................................................................................................. 18

B. ELLES S’ORGANISENT EN COMMUNAUTES DE MARQUES .......................................................................... 21 1. La construction de communautés de marques ................................................................................... 21 2. Les communautés d’achat.................................................................................................................. 24 3. Elles se mobilisent.............................................................................................................................. 25

C. ELLES CONCURRENCENT LES MARQUES................................................................................................... 27 1. L’émergence de nouveaux référents................................................................................................... 28 2. Le détournement du discours de la marque ....................................................................................... 29 3. Les nouvelles marques issues des médias sociaux ............................................................................. 31

II. LES MEDIAS SOCIAUX FONT EVOLUER LE DISCOURS DE MARQUE ................................... 33 A. IL DEVIENT DE PLUS EN PLUS DIFFICILE DE CAPTER L’ATTENTION DE SA CIBLE ....................................... 34

1. Une consommation médiatique individualisée................................................................................... 34 2. La moindre efficacité des anciens modèles publicitaires ................................................................... 35 3. Internet, un support clé pour la décision d’achat .............................................................................. 37

B. LA NOTION DE FILTRES SOCIAUX ............................................................................................................. 39 1. Définition ........................................................................................................................................... 39 2. La valorisation du temps réel............................................................................................................. 42 3. Le Web de flux.................................................................................................................................... 43

C. L’UGC, OPPORTUNITE OU MENACE POUR LES MARQUES ? ...................................................................... 45 1. La question de l’e-réputation............................................................................................................. 45 2. La menace : gestion de crise sur les médias sociaux ......................................................................... 46 3. L’opportunité : le pouvoir de conviction des fans.............................................................................. 48

III. LA NAISSANCE D’UNE NOUVELLE EXPERTISE : LE CMM .................................................. 53 A. UN NOUVEAU DOMAINE DE LA COMMUNICATION .................................................................................... 53

1. Une nouvelle cible : la communauté .................................................................................................. 54 2. Une nouvelle posture de communication : la conversation ............................................................... 57 3. Un nouveau rapport au temps : le temps relationnel......................................................................... 60

B. LES ENJEUX PROFESSIONNELS DU CMM.................................................................................................. 61 1. La valorisation de l’expertise CMM .................................................................................................. 62 2. Le facteur humain .............................................................................................................................. 63 3. Concurrence et CMM......................................................................................................................... 66

C. LES METIERS DU CMM............................................................................................................................ 67 1. Trois domaines d’expertise ................................................................................................................ 68 2. Des experts autodidactes ................................................................................................................... 70 3. La place des experts dans l’entreprise............................................................................................... 73

CONCLUSION.................................................................................................................................................... 77 BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................................. 84 WEBOGRAPHIE................................................................................................................................................ 85 ANNEXES ........................................................................................................................................................... 89 RESUME DU TER.............................................................................................................................................. 90 SUMMARY ......................................................................................................................................................... 91 MOTS-CLES....................................................................................................................................................... 92

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INTRODUCTION

En 1997, Philippe Breton analysait l’utopie de la communication1 et prévoyait

une montée de l’individualisme liée à la toute puissance des médias : « aujourd’hui

les médias prétendent au monopole de la circulation de l’information entre les

hommes. Plus aucun émetteur ne doit avoir de média qui lui soit propre. » Il cite

Nicholas Negroponte, auteur de L’Homme Numérique2, qui imagine un « agent

d’interface », outil qui connaît tous nos goûts, nos besoins et nos humeurs et qui

permet de créer un journal individualisé.

Bien sûr, c’était avant l’arrivée de Google en 1998 et celle du Web 2.0 en

2004. Il est intéressant de voir que l’évolution des technologies et des pratiques sur

Internet est allée dans une toute autre direction. Au lieu d’isoler les individus avec

des médias personnels et uniques, le Web les a rapproché et a permis de multiplier

les occasions d’échanges interpersonnels et d’auto-publication grâce aux réseaux

sociaux comme Facebook ou aux blogs.

Ces nouveaux médias ou médias sociaux sont des médias partagés, sur

lesquels tout internaute peut créer du contenu, à la différence des médias

« propriétaires », qui ont un nombre limité de contributeurs. Sur les blogs, les

lecteurs peuvent poster des commentaires. Sur les réseaux sociaux chacun peut

publier des contenus sur son profil et celui des ses amis. Sur les forums, les

membres créent et participent à des discussions. Sur les sites d’avis de

consommateurs, les internautes postent des avis sur les produits qu’ils ont testés.

Je prendrai le parti de parler de médias sociaux plutôt que de Web 2.0, qui

définit davantage les innovations technologiques qui ont permis l’émergence des

médias sociaux. Les outils du Web 2.0 évoluent très vite, mais les changements

qu’ils impliquent modifient de façon durable les comportements des consommateurs,

notamment vis-à-vis des marques. En étudiant le phénomène du point de vue

relationnel, nous pourrons en dégager les principaux enseignements pour la

communication des marques et des consommateurs.

1 Ph. Breton, L’utopie de la communication, Le mythe du « village planétaire », La Découverte, Paris, 1997 2 N. Negroponte, L’homme numérique, R. Laffont, Paris, 1995

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Ce sujet est particulièrement d’actualité car si l’expression « Web 2.0 » est

née en 2004, inventée par Dale Dougherty, le sujet des médias sociaux est

véritablement devenu un enjeu pour les marques depuis l’explosion de Facebook en

2008 en France. C’est l’époque à laquelle le réseau social est devenu l’un des sites

majeurs en termes d’audience, comme le montre l’évolution des recherches du mot-

clé « facebook » sur Google :

Source : Google Insight for Search

Le thème des médias sociaux est vaste et peut concerner de nombreux

départements de l’entreprise, du marketing aux ressources humaines en passant par

le secteur recherche et développement. Pour ce travail de recherche, j’ai choisi de

m’intéresser aux médias sociaux du point de vue de la relation client ou CRM

(Consumer Relationship Management). En effet, ceci intéresse particulièrement les

professionnels du CRM, en charge de mettre en place une politique relationnelle

durable avec les clients de l’entreprise. Dans la mesure où les consommateurs ont

été les premiers à interagir sur les médias sociaux, l’arrivée des marques étant plus

tardive, l’analyse de la relation consommateurs – marques me semblait

particulièrement intéressante. C’est la première fois que les consommateurs

imposent un modèle de communication aux marques, ou du moins participent à

l’élaboration des règles de communication entre eux et les marques.

L’utilisation des médias sociaux par les marques étant récente, il est difficile

d’étudier la stratégie d’une seule marque. J’ai donc choisi de concentrer mes

recherches sur une cible plutôt que sur une marque. Pour étudier ce sujet, nous nous

intéresserons aux femmes, qui représentent une cible mature car elles ont davantage

tendance à s’organiser en communautés sur Internet et utilisent énormément les

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médias sociaux. En outre, historiquement ce sont les premières impliquées dans les

stratégies communautaires des marques, avec par exemple les fameuses « réunions

Tupperware ». En France, 53% des membres sur Facebook sont des femmes3 alors

qu’elles représentent 52% de la population française4 et 48% des internautes5. La

différence est plus flagrante quand on s’intéresse à la génération des 18 – 24 ans ;

pour les générations antérieures, les hommes sont surreprésentés parmi les

utilisateurs d’Internet, car ils correspondent au profil du technophile, plus masculin.

Mais la génération des 18 – 24 ans est à la fois celle qui a connu l’émergence des

médias sociaux et qui représente un fort potentiel commercial pour de nombreuses

marques (augmentation des revenus et moins de dépenses liées aux enfants). Pour

ce profil, on constate une nette domination des femmes dans l’utilisation des médias

sociaux. Selon le profil social technographique de l’institut de recherche Forrester,

basé les différents profils d’utilisateurs selon leur utilisation des technologies sociales

(Annexe 1), les femmes de 18 à 24 ans en France sont plus impliqués dans les

activités sociales sur Internet. Voici ci-dessous une comparaison des femmes et

hommes de cette génération :

Ces chiffres sont basés sur un indice 100 représentant le profil de la

population globale française. Aussi, les femmes ont davantage tendance à créer des

contenus que les hommes (275 contre 217) ; 61% d’entre elles utilisent leur(s)

profil(s) sur les réseaux sociaux au moins un fois par mois, contre 46% des hommes.

3 Données Facebook Ad Manager au 14 novembre 2009 4 Données Insee, Pyramide des âges au 1er janvier 2009 5 Données Médiamétrie, Dix ans après, le web triomphe !, 27 mai 2009

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Après avoir limité le sujet au CRM et à la cible des femmes, il convient de

s’interroger sur leurs relations avec les médias sociaux.

En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies

CRM ? Quelles sont les conséquences des médias sociaux sur la relation que les

consommatrices entretiennent avec les marques ? Quelle influence les contributions

d’internautes ont-elles sur la perception des marques par les consommatrices ? Quel

est le rôle des réseaux ou communautés on line dans la communication à propos des

marques ? En quoi les médias sociaux ont-ils des conséquences sur les modèles de

communication des entreprises ? Comment intègrent-elles les médias sociaux à

leurs stratégies de communication ? Quelles sont les compétences nécessaires pour

prendre en compte les médias sociaux dans les politiques CRM ? Quels sont les

impacts de ces nouveaux médias sur les organisations et les professionnels de la

communication ?

L’hypothèse de départ de ce mémoire est que nous assistons, grâce aux

changements provoqués par les médias sociaux, à la naissance d’une nouvelle

expertise : le Community Management Marketing (CMM). Ce nouveau champ

d’action de la communication consiste à influencer les comportements et les attitudes

des consommateurs en s’appuyant sur des logiques communautaires et en utilisant

les médias sociaux comme supports de communication.

Les médias sociaux remettent en cause la communication telle qu’on la

connaissait, passant d’une logique de diffusion à une logique d’influence. Les

modèles théoriques connus s’en voient enrichis et modifiés. Pour les professionnels,

les médias sociaux représentent une nouvelle opportunité de prise de parole et

requièrent de nouvelles compétences.

Pour la récolte de données utiles à ce travail de recherche, j’ai procédé à une

analyse critique d’ouvrages généralistes et spécialisés. Ces deux types de

références permettent de comprendre les modèles de communication propres au

CMM et de les mettre en perspective par la comparaison des ces modèles avec ceux

qui ont été étudiés dans les théories de l’information et de la communication. De

cette façon, il est possible de voir ce que le CMM apporte à la pensée de la

communication.

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La littérature dans le domaine étudié étant limitée, dû à l’émergence très

récente des médias sociaux et des métiers du CMM, je me suis également beaucoup

appuyée sur des billets postés sur des blogs référents. De nombreuses références

sont en langue anglaise, car la pensée CMM est la plus développée aux Etats-Unis,

où les médias sociaux sont devenus un phénomène de société plus tôt qu’en

Europe. Ces ressources traitent de deux sujets distincts : la réflexion sur l’émergence

de la nouvelle expertise CMM et les cas d’entreprises. La réflexion sur le CMM nous

apporte la vision des professionnels sur le sujet et des éléments sur les arguments

utilisés par ces nouveaux experts pour justifier, légitimer et vendre leurs

compétences. L’analyse des cas d’entreprises nous permet de comprendre par

déduction les choix stratégiques opérés par les annonceurs engagés sur les médias

sociaux.

Pour comprendre les effets de médias sociaux sur les consommatrices, j’ai

mené une analyse des contenus et des discours sur les forums, les réseaux sociaux,

les blogs et les sites d’avis de consommateurs. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive

des médias sociaux. Dans ce travail je m’intéresse plus aux mécanismes

interpersonnels qu’aux outils eux-mêmes ; le choix des sites analysés est fondé sur

l’hypothèse que les comportements des internautes sont déterminés par le cadre

relationnel spécifique aux médias sociaux et non au média lui-même.

Les études statistiques m’ont apporté des données permettant de replacer les

informations collectées dans un cadre plus large et représentatif. Je me suis appuyée

sur différentes publications de cabinets d’étude, sur les outils disponibles sur

Internet, notamment Google Insight for Search, et sur mon analyse statistique des

données fournies par Google pour certains mots-clés.

Enfin, j’ai mis à profit mon expérience en tant que community manager depuis

mai 2008 pour recueillir des informations grâce à la technique de l’observation

participante. Cela m’a permis d’étudier les réflexions des annonceurs grâce aux

échanges que j’ai eus avec les clients de mon agence. J’ai pu également rencontrer

une vingtaine de blogueuses qui m’ont aidée à comprendre le fonctionnement propre

à la blogosphère et leur vision des médias sociaux, des communautés en ligne et

des stratégies de marques associées. J’ai moi-même intégré une communauté sur

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Internet, celle des experts CMM, grâce à l’utilisation d’un compte Twitter6 sur lequel

j’ai pu interagir avec d’autres professionnels de ce secteur et à la création d’un blog7.

Dans notre démonstration, nous suivrons le même chemin d’influence que les

médias sociaux, qui ont d’abord conquis les consommatrices, puis ont démontré

leurs effets sur la communication des marques et enfin ont fait émerger de nouvelles

compétences et de nouveaux métiers du CRM.

Nous chercherons à démontrer dans une première partie comment le succès

des médias sociaux change le rapport des consommatrices à la marque, par un

cadre favorable à la critique, l’émergence des communautés de marques et l’arrivée

de nouveaux concurrents.

Dans un second temps, nous verrons comment ces changements de

comportements des consommatrices et l’évolution du paysage médiatique poussent

les entreprises à adopter ces nouvelles stratégies et à revoir leurs modèles de

communication. Nous constaterons qu’il devient de plus en plus difficile de capter

l’attention de sa cible pour une marque, puis nous étudierons le concept de filtres

sociaux, qui transforme les internautes en médias, pour enfin s’interroger sur l’UGC

(User Generated Content) en ce qu’il représente une opportunité ou une menace

pour les marques.

Après avoir analysé les conséquences de l’émergence des médias sociaux

sur les consommatrices et sur la communication des marques, nous verrons en quoi

ils ouvrent la voie à une nouvelle expertise : le CMM. Afin de mieux cerner le

périmètre de cette expertise, nous analyserons les raisons pour lesquelles le CMM

représente un nouveau domaine de la communication, puis nous mettrons en lumière

les enjeux professionnels associés à la naissance de cette expertise. Enfin nous

nous intéresserons aux métiers du CMM et à leur place dans les organisations.

6 http://twitter.com/AuroreH 7 http://marquesetfilles.com/

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I. Les médias sociaux modifient le rapport des consommatrices à la marque

Avec l’émergence des médias sociaux, les consommatrices disposent de

nouveaux outils d’expression et d’information, qui rendent visibles leurs expériences

des marques. Ces ressources sont désormais accessibles et démultipliées : tous les

contenus mentionnant les marques sont référencés dans les moteurs de recherche

et apparaissent dans les premiers résultats pour une requête sur un nom de marque

ou de produit. Les sources d’informations sont démultipliées, les internautes ont

accès aux avis d’autres internautes et non plus seulement à ceux de leur entourage

proche. Ces avis leur apparaissent comme légitimes et donc bénéficient d’un fort

pouvoir de confiance. Ces nouveaux contenus ont un impact sur le comportement

d’achat des consommatrices, en jouant un rôle de réassurance. Les marques ne sont

plus uniquement des objets de consommation mais deviennent des sujets de

discussion et de débat. Les prescripteurs sont nombreux et anonymes, là où avant ils

étaient peu et facilement identifiables (journalistes, experts).

Les médias sociaux n’influent pas uniquement sur les motivations à l’achat, ils

modifient également les attentes des consommatrices en ce qui concerne les modes

de communication entre elles et les marques. En effet, avant l’apparition des médias

sociaux, nous étions dans un modèle de communication à sens unique : les marques

communiquaient auprès de leurs cibles, qui réagissaient par un acte de

consommation : « j’achète, je n’achète pas ». Aujourd’hui les consommatrices

prennent part à la communication des marques, elles ne se limitent plus à la réaction

d’achat et entrent dans un processus d’interaction avec les marques. Avec l’arrivée

des médias sociaux, les consommateurs deviennent militants, promoteurs,

créateurs8. Nous verrons dans cette première partie trois types d’interaction qui,

grâce aux médias sociaux, amènent les consommatrices à participer au discours des

marques et modifient leur rapport aux marques. Elles sont de plus en plus critiques

vis-à-vis des marques, s’organisent en communautés de consommatrices dans

lesquelles les marques jouent un rôle et font concurrence à ces marques.

8 Slideshare, Les Nouveaux Comportements, septembre 2009, http://www.slideshare.net/YeastyMobs/les-nouveaux-comportements

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Ces changements de comportements modifient profondément les stratégies

des marques, qui doivent s’adapter à cette situation nouvelle et prendre en compte

ces nouveaux communicants dans leur discours.

a. Elles critiquent les marques

Avec les médias sociaux, les femmes sont de plus en plus critique vis-à-vis

des marques. Le mot « critique » vient du grec krinein, qui signifie juger, trancher, distinguer9 C’est une attitude rationnelle, qui correspond de plus en plus aux

comportements des consommatrices aujourd’hui.

En effet, aujourd’hui jouer sur l’émotion des consommatrices avec des

campagne de publicité ne suffit plus à générer des ventes. Au mieux elle auront une

intention d’achat, qui sera dans presque tous les cas confirmée ou infirmée par une

recherche sur Internet. Selon une étude d’eMarketer, Moms Online : More Influential

than Ever10 (Annexe 2), alors que la télévision arrive en tête des sources

d’information par lesquelles les mamans entendent parler d’un produit pour la

première (pour 31% d’entre elles), elle n’arrive qu’en cinquième position pour les

sources d’information utilisées dans la décision d’achat avec 11% des réponses,

derrière les sites Internet généraux (24%), les amis ou la famille (21%), les

moteurs de recherche (19%) et les navigateurs sur téléphone mobile (12%).

9 N. Baraquin, A. Baudart, J. Dugué, J. Laffitte, F. Ribes, J. Wilfert, Dictionnaire de philosophie, 3e édition, Armand Colin, Paris, 2005, p. 81 10 eMarketer, Moms Online: More Influential than Ever, juin 2009, http://www.emarketer.com/Reports/All/Emarketer_2000579.aspx, voir Annexe 2

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Si l’on prend l’exemple de Blédina, en faisant une recherche pour « blédine »

sur Google, on consate que parmi les 10 premiers résultats on trouve 5 sites

appartenant aux médias sociaux dont 3 forums, wikipedia et un site d’avis de

consommateurs.

Nous verrons en quoi les médias sociaux jouent un rôle dans le

développement de cette attitude critique en favorisant trois comportements : la

comparaison, l’expression et la discussion.

Site de marque

Médias sociaux

Sites tiers

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1. La critique par la comparaison Critiquer signifie distinguer selon l’origine grecque du terme. La critique

implique la comparaison. La comparaison permet aux consommatrices de choisir une

marque ou un produit plutôt qu’un autre sur des critères objectifs ou subjectifs. Avec

l’émergence des sites scpécialisés dans la comparaison des produits, les

comparateurs, et d’autres qui recensent les avis des consommatrices, les femmes

disposent de ressources qui font office d’aide à l’achat. C’est ce qu’on appelle le

social shopping.

Les comparateurs permettent aux consommatrices de choisir un produit en

fonction de critères objectifs que sont le prix et les caractéristiques du produit

recherché. Aujourd’hui une maman qui veut acheter un poussette et fait la recherche

sur Internet se retrouve sur le comparateur leguide.com, premier résultat Google

pour une recherche sur ce mot-clé. Les comparateurs permettent aux internautes de

faire une discrimination par prix, la marque n’étant que secondaire. Sur leguide.com,

la liste des résultats peut également être triée par promotions, occasions ou port

gratuit. On peut se dire que le choix des produits en fonction du prix n’est pas

nouveau ; en effet, les consommatrices peuvent déjà utiliser ce critère dans les

linéaires des grandes surfaces. Cependant les marques influencent les

consommatrices en détournant leur attention du critère prix grâce aux techniques de

trade marketing. Or sur les comparateurs, la visibilité des produits ne dépend pas

d’un accord entre le distributeur et la marque mais des critères de choix déterminés

par l’internaute. Ces outils augmentent la part de rationalité de l’acte d’achat. En

outre, ces sites présentent dans le même espace les produits neufs vendus par les

marques et les produits d’occasion proposés par les internautes. L’univers

concurrentiel est donc élargi, le critère prix étant à l’avantage des internautes.

Si les comparateurs permettent une comparaison sur des critères objectifs, ils

intègrent souvent également les avis consommateurs ; d’autres sites se spécialisent

dans ce domaine, comme ciao.fr. Ce site compte plus de 8 000 avis pour la catégorie

« jouets ». L’internaute peut classer les résultats par popularité, les produits étant

évalués de deux façons : une note sous forme d’étoiles, et un avis, soit un texte

rédigé par une consommatrice. Ces avis influencent particulièrement les mamans

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lorsque le prix n’est pas un critère déterminant pour l’achat. Prenons l’exemple des

poupées : voici un avis sur « Smoby Baby Walker Mini Kiss » publié sur ciao.fr11 :

« Je vais continuer dans ma lancée des jouets de Noël, pour vous présenter

les jouets de ma fille, qui pourrait vous donner une idée, pour les cadeaux de vos

princesses.

Aujourd'hui, je vais vous parlez de la poussette Minikiss. […] Votre petite fille à

plus de 12 mois, et va bientôt commencer à marcher, ce jouet est pour elle.

Ma fille […] marchait à quatres pattes, puis elle a reçu ce jouet pour Noël, elle

était très contente, son visage le montrait !!!

Nous lui avons déballé, et elle a réussi à se mettre debout, grâce aux roues et

à la barre de la poussette !

Je trouve, que c'est un produit très bien, car ma fille a réussi a marcher à ses

13 mois, il lui a fallut un mois, pour marcher grâce à son nouveau jouet.

Contrairement à d'autres pousseurs qui proposent des activités sur leur

façade, celui-ci permet vraiment à l'enfant de promener une poussette […] en toute

sécurité car réellement, il est bien étudié pour ne pas se renverser.

Donc, si vous n'aviez toujours pas d'idée pour vos achats de noël et bien voici

un jouet qui fera des heureuses !!! »

Les avis publiés ont un fort pouvoir prescripteur car ils favorisent

l’identification : les personnes qui donnent leur avis ressemblent à celles qui les

lisent, puisqu’elles s’intéressent aux mêmes produits, créant ainsi une relation de

confiance. Comme le décrit Sarah, interrogée par Isabelle Juppé, « Ce qu’il y a de

bien avec les forums, […] c’est que l’on peut vivre la même chose au même moment.

Par exemple, quand on est enceinte de trois mois et demi et que l’on veut partager

son expérience… Et bien dans la vie réelle, on parle avec ses copines, celles qui ont

été enceintes, ou celles qui le sont aussi, mais pas forcément au même stade que

vous. Avec les forums, on peut se retrouver avec 200 femmes qui en sont

exactement au même point. »12 Cette confiance est liée au fait que les internautes

qui prennent la parole sur ces sites sont dans une démarche bénévole. Ils n’ont pas

de motivations commerciales, contrairement aux vendeurs ou (pire !) aux marques.

La logique de prescription va encore plus loin car les membres de ces sites notent

11 http://www.ciao.fr/Smoby_Poupees_Baby_Walker_Mini_Kiss__Avis_1060287 12 I. Juppé, La femme digitale, JC Lattès, Paris, 2008, p. 126

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non seulement les produits, mais aussi les autres membres. Pour chaque avis posté,

le lecteur peut préciser si l’avis lui a été utile :

Il s’établit ainsi une hiérarchie dans la communauté des membres, les plus

influents étant ceux dont les avis ont été évalués comme les plus utiles pour l’achat.

Ce système permet une autorégulation de la critique, basée sur une logique de

démocratique. Ce fonctionnement est fondé sur la croyance dans la « sagesse

populaire » (Wisdom of the Crowds). Il favorise également l’émulation : les membres

sont incités à donner le meilleur avis possible (ce qui est en faveur de la qualité des

contenus du site). Ils sont également encouragés à poster davantage d’avis pour

entrer dans la communauté des « membres stars », rémunérés pour leurs avis.

Les médias sociaux favorisent la critique par la comparaison, mais ils incitent

également les internautes à publier leurs avis, encourageant ainsi la critique par

l’expression d’une opinion.

2. La critique par l’expression L’expression d’une opinion sur Internet correspond à la critique dans le sens

d’un jugement. Nous venons de voir une forme de critique avec les avis sur les

comparateurs et les sites d’avis de consommateurs. Avec les outils mis à disposition

des internautes sur les médias sociaux, il est extêmement facile et rapide de diffuser

une opinion sur un site de large audience. Quoi de plus simple en effet que de poster

une vidéo sur YouTube ou de lancer une discussion sur un forum ? Sans les médias

sociaux, la diffusion des avis des consommatrices se limitait à leur entourage, alors

qu’avec Internet ces mêmes avis peuvent être partagés avec un nombre beaucoup

plus large de lecteur, avec parfois une influence d’autant plus forte qu’ils sont

recherchés : par exemple une maman qui lit un commentaire sur un forum à propos

des différents types de biberons sera beaucoup plus attentive qu’une amie, qui se

sent plus concernée par l’écoute qu’elle accorde à son amie que par le produit lui-

même. De plus, on retrouve sur Internet des avis qui n’auraient sans doute pas été

Page 16: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

16

exprimés en dehors des médias sociaux. Ceux-ci bénéfcient non seulement de la

facilité de publication, mais également de la qualification de l’audience. En effet, une

maman qui trouve que la lotion qu’elle vient d’acheter à son bébé est

particulièrement efficace a très peu de chance de prendre son téléphone et d’appeler

toutes ses amies (ni même de leur envoyer un email) pour leur annoncer la grande

nouvelle. Elle en parlera peut-être plus tard, si le sujet vient dans la conversation. Par

contre, elle peut facilement commenter ou créer une discussion sur un forum ou

devenir fan de la marque sur Facebook. Sur le forum le message ne sera lu que par

les personnes intéressées, c’est-à-dire celles qui se sont volontairement rendues sur

la rubrique associée à ce thème ; sur Facebook, ne réagiront que ceux qui ont jugé

l’information (l’activité) digne d’intérêt. A la différence des moyens de communication

traditionnels utilisés pour entrer en contact avec son réseau (téléphone, email,

courrier), la publication sur les médias sociaux s’adresse à une audience

indéterminée et volontaire, ce qui laisse plus de liberté aux internautes pour exprimer

leurs opinions sans risquer de déranger leurs interlocuteurs. Le présupposé de ces

publications est que l’action se trouve autant du côté de l’émetteur (celui qui publie

l’avis) que du récepteur (celui qui le lit, voire y réagit). Le nombre potentiel de

personnes qui auront connaissance de cette critique est largement supérieur sur

Internet que off line, la probabilité que l’information en intéressent quelques uns est

donc beaucoup plus forte.

Les femmes sont de grandes utilisatrices des moyens de publication on line.

Selon une étude de Forrester13, 27% des mamans américaines sont des

« créatrices », c’est-à-dire qu’elles correspondent au profil du creator défini par

Forrester comme « un internaute qui publie sur un blog ou rédige un article on line,

anime une page Web ou télécharge des vidéos ou des documents audio sur des

sites de type YouTube au moins une fois par mois ». La création de contenus peut

prendre des formes diverses : blog, forum, plateforme vidéo, posts sur les réseaux

sociaux type Facebook. Tous ces outils sont autant de médias à disposition des

consommatrices, qui leur permettent de s’exprimer, notamment sur ce qu’elles

pensent des marques. Certaines femmes se spécialisent dans la publication d’avis

sur les marques, comme Stéphanie du blog Profession : Consommatrice14.

13 Forrester Research, Reaching Moms Through Social Media, mai 2009, http://www.forrester.com/Research/Document/Excerpt/0,7211,53648,00.html 14 http://www.professionconsommatrice.com

Page 17: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

17

Pour illustrer la puissance de ces moyens d’expression et l’impact que les

discours de consommatrices peuvent avoir sur les marques, il est intéressant

d’analyser le cas Motrin et en quoi les prises de parole des mamans sur Internet ont

eu des conséquences sur l’image de cette marque. Motrin est devenu un cas d’école

pour les professionnels des médias sociaux. Cette marque de médicaments

antidouleur a mis en ligne une vidéo15 à destination des mères de famille pour

promouvoir ses produits dans le traitement des douleurs liées au port du bébé en

écharpe. En deux jours, cette vidéo a été tellement critiquée par les mères de famille

américaines que la marque s’est vue obligée de stopper sa campagne. La vidéo est

d’abord critiquée par Jessica Gottlieb, blogueuse connue qui écrit sur sa vie de mère.

Jessica partage l’information avec ses lecteurs et son réseau sur Twitter (1 200

followers). Le lendemain, Katja Presnal (plus de 4 200 followers), blogueuse New

Yorkaise, recense les tweets (messages publiés sur Twitter) publiés à propos de

cette publicité et en fait une vidéo intitulée Motrin Ad Makes Moms Mad16 (près de

100 000 vues aujourd’hui). Ce phénomène est repéré par les blogueurs marketing,

dont le très connu auteur de Permission Marketing Seth Godin, qui lui donnent

encore plus de visibilité. Alors que Motrin pensait jouer sur la complicité avec les

mamans en leur faisant comprendre que la marque comprenait leur douleur, les

mères ont vu cette publicité comme une critique de la façon dont elle s’occupait de

leurs enfants ; les mamans ne voulaient pas se plaindre du fait de porter leur bébé,

elles ont au contraire commencé à publier des commentaires et des vidéos qui

montraient qu’elles étaient heureuses de le faire. Dans ce cas, les médias sociaux

ont permis une diffusion rapide au niveau national, voir international, grâce à leurs

outils de viralisation. Ce cas a été analysé par de nombreux spécialistes des médias

sociaux, dont le blog Read Write Web17 pour justifier l’importance de prendre en

compte ces contenus au vu de l’impact qu’ils peuvent avoir sur une marque. C’est

d’autant plus un cas d’école que la marque a bien réagit selon ces mêmes experts,

en retirant la campagne et en s’excusant auprès des blogueuses qui se sont senties

agressées par la campagne. On a donc assisté à un vrai dialogue, public, entre la

marque et les consommatrices.

15 http://www.youtube.com/watch?v=BmykFKjNpdY 16 http://www.youtube.com/watch?v=LhR-y1N6R8Q 17 ReadWriteWeb, Media sociaux et marques : retour d’expérience sur le cas Motrin, décembre 2008, http://fr.readwriteweb.com/2008/12/04/analyse/media-sociaux-et-marques-retour-dexperience-sur-le-cas-motrin/

Page 18: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

18

3. La critique par la discussion Nous venons de le voir, les consommatrices comparent, s’expriment, mais elle

échangent également, entre elles et avec les marques. La discussion est le troisième

élément qui favorise l’attitude critique des femmes envers les marques. On assiste

souvent à des débats passionnés entre les défenseurs et les détracteurs d’une

marque ou d’un produit. Je parle ici de critique car les arguments utilisés par les

internautes lors de ces discussions font émerger un univers de référence des

consommatrices, basé ce qu’une marque ou un produit « doit » ou « ne doit pas »

être, ainsi que sur l’appréciation de cette marque ou de ce produit selon des critères

acceptés par tous (la qualité, la sécurité, l’esthétique, le prix…).

Aussi les marques deviennent-elles un sujet de discussion propre. Citons ici

une discussion du forum magicmaman.com : « qui connaît la crême "révolutionnaire"

de chez sephora ?18 ». Cette discussion a été vue plus de 2 000 fois, ce qui la place

parmi les sujets les plus populaires de la rubrique beauté du forum. Dans ce sujet,

les participantes échangent leurs expériences du produit (tu la connais ? t'en penses

quoi ?), le comparent à d’autres (sambina as tu essaye pour le visage:huile de figue

de barbarie de marisa berenson? produit anti rides extra et un peu moins

cher:environ 65 euros) et le critiquent (g h t la creme strivectin le gran flacon ce que

je savais pa a ce momen la c ke les vergétures de couleur blanche ne parté pa alor

je lai mi pendan pré de 5 semaine 3 foi par jour c t soulan! mtnan ke je sé kel partirn

pa g aréter mé je sui asser dégouter parcke g mi pré de 150 euro a la poubelle!! elle

se son un peu éfacé c vré mé el son pa parti! c normale. je pense ke c un bon produi

mé a utilisé kan les vergéture son encor couleur lila). Ces commentaires sont

intéressants de plusieurs façons. Tout d’abord ils soulignent le langage très

spécifique des forums, difficilement compréhensible pour une personne extérieure.

Ces femmes ont développé un discours qui leur est propre, un mode de

communication spécifique qui révèlent l’existence d’une communauté avec des

codes précis (l’écriture façon « sms », les smileys, la reprise d’un message dans sa

réponse…). Deuxièmement, ces discussions ne se limitent pas à la fonction de

réassurance. En effet, si celle qui a créé la discussion trouvera certes des réponses

à sa question, elle découvrira aussi d’autres marques. Alors qu’elle cherchait une

information sur un produit spécifique, elle (ou les lectrices de la discussion) finira 18 http://forum.magicmaman.com/femme/beaute-maquillage-piercing-mode/connait-revolutionnaire-sephora-sujet-252-1.htm

Page 19: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

19

peut-être par acheter un produit concurrent, ce qui montre le pouvoir d’influence de

l’expérience utilisateur face au discours de marque. Ceci est dû au fait que les

moyens de communication traditionnels des marques n’ont un impact que sur la

première partie du marketing funnel ou processus d’achat, comme analysé par

Forrester19.

Alors que la publicité traditionnelle se concentre sur la première étape du

tunnel, l’attention, les autres étapes sont fortement influencées par les

compotements des consommatrices sur les médias sociaux.

Les discussions sur les sites sociaux ne se font pas uniquement à propos des

marques, elles se font aussi avec les marques. Prenons ici l’exemple d’un

commentaire d’une internaute sur la page Facebook d’Yves Rocher20 : « Bonjour,

juste une petite question…pourquoi avoir retiré la gamme Hamamélis bébé…?? Déjà

qu'il n'y à plus Babinours……Merci. ». Cette intervention montre que les

consommatrices veulent entamer un dialogue avec les marques. Alors qu’avant la

seule sanction qu’elles pouvaient donner aux marques était l’achat ou le non achat et

que le service client était majoritairement dédié à la gestion des litiges plus qu’à la

proposition d’idées, les médias sociaux impliquent une communication à double sens

avec les marques. Ce comportement est lié à une croyance associée aux médias

sociaux, celle de l’échange. En effet ces supports se différencient particulièrement

des médias traditionnels par leur contrat de communication implicite. Alors que les

moyens de communication traditionnels cherchent l’attention, les médias sociaux

impliquent un dialogue, une interaction. C’est pourquoi on peut considérer la

technique du seeding marketing, soit publier des contenus de la marque sur les sites

19 Ch. Li, J. Bernoff, groundswell, winning in a world transformed by social technologies, Harvard Business Press, Boston, 2008, p. 101 20 http://www.facebook.com/YvesRocherBeauty

Page 20: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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sociaux afin de bénéficier du leur référencement pour augmenter la visibilité de la

marque, comme le degré zéro du community management, ou marketing adapté aux

logiques communautaires. En effet, cette technique utilise les médias sociaux en tant

que support de diffusion et non comme des lieux d’interaction. Or si ces

consommatrices posent des questions par exemple sur la page Facebook d’une

marque, elles s’attendent à ce que la marque leur réponde, car celle-ci, en ouvrant

cet espace, a implicitement accepté ce contrat de communication. Comme le font

remarquer les auteurs du Mercator, le simili-interactif est une fausse bonne idée : « la

tentation est forte pour les entreprises d’embrasser les nouveaux modes de

communication du Web sans remettre en cause ses méthodes de communication

traditionnelle. L’entreprise fait alors de la communication entièrement contrôlée et

unidirectionnelle en utilisant des supports interactifs et communautaires. »21

Nous venons de voir que les médias sociaux favorisent l’attitude critique des

consommatrices vis-à-vis des marques. Ces nouveaux comportements ont de fortes

implications pour les équipes marketing des entreprises. En effet, les entreprises ne

contrôlent plus entièrement le discours de leurs marques. Cette communication vient

autant, voire plus, des consommatrices que des marques elles-mêmes. Et ces

contenus jouent un rôle déterminant dans le processus d’achat. Les études

marketing s’intéressent traditionnellement aux comportements d’achat, aux parts de

marché et à la concurrence mais jusqu’à présent elles n’avaient qu’un accès très

limité aux opinions des consommatrices. Aujourd’hui les avis de consommateurs se

multiplient sur Internet et fournissent aux marques de nouvelles informations pour

comprendre leurs clients, en temps réel (alors que les insights consommateurs

étaient habituellement obtenus via des focus groupes, des sondages, de

l’observation). Les équipes marketing n’ont pas appris à traiter ces données,

extrêmement nombreuses. Cette opportunité a fait naître de nouveaux acteurs du

champ marketing spécialisés dans l’analyse de ces données ; ils proposent des

prestations de veille et d’études consommateurs basées sur les opinions publiées sur

Internet. Ces prestataires se différencient des cabinets d’études classiques car en

plus de revendiquer la connaissance analytique, ils se positionnent sur le savoir-faire

technologique, pour aider leurs clients à recenser, trier et hiérarchiser les données

21 J. Lendrevie, J. Levy, D. Lindon, Mercator, 8e édition, Dunod, Paris, 2006

Page 21: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

21

récoltées sur Internet. Ce nouveaux acteurs se situent donc entre le champ du

marketing et celui des nouvelles technologies.

Mais analyser les publications et comportements individuels ne suffit pas pour

comprendre l’ampleur des changements qui se sont effectués dans les

comportements des consommatrices avec l’émergence des médias sociaux. Les

internautes ont développé un esprit critique et des logiques communautaires se sont

mises en place, à tel point que les marques ne peuvent plus s’adresser uniquement

à des consommatrices mais elles doivent comprendre et cibler des communautés de

consommatrices.

b. Elles s’organisent en communautés de marques

Les consommatrices, grâce aux médias sociaux, construisent des

communautés dans lesquelles les marques jouent un rôle très important. Les

marques sont en effet souvent un critère d’identification pour les membres de cette

communauté et un critère de segmentation des communautés (la communauté

Louboutin n’est pas la communauté Comptoir des Cotonniers). Nous nous

appuierons dans cette partie sur l’exemple des femmes passionnées de mode,

également appelées fashionistas. Nous analyserons premièrement la construction

des communautés de marques en tant que communautés d’intérêt, puis nous nous

pencherons sur le phénomène des communautés d’achat et enfin nous analyserons

les leviers communautaires à l’œuvre dans les mobilisations des consommatrices.

1. La construction de communautés de marques Commençons par définir le terme de communauté de marque. Selon Frank

Rebillard22, la « primauté de l’horizonalité des échanges sur la verticalité des

hiérarchies […] est bien souvent synthétisée dans la notion de communauté. […] La

communauté constituerait cette entité fondée sur une interaction permanente entre

individus partageant à la fois des biens et des centres d’intérêts communs. » Nous

partirons donc du principe qu’une communauté existe par les interactions que ses

membres entretiennent les uns avec les autres, selon un principe horizontal et non

hiérarchique. Ces interactions concernent un centre d’intérêt commun, soit la marque

pour ce que nous qualifierons de communauté de marque. On parle bien ici des

communautés de consommatrices ; nous nous pencherons plus tard sur les

22F. Rebillard, Le web 2.0 en perspective, Une analyse socio-économique de l’Internet, L’Harmattan, Paris, 2007

Page 22: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

22

stratégies adoptées par les marques pour agir au sein de ces communautés. On

parle également de tribu, qui « désigne des individus vivant des expériences

communes ou qui partagent la même passion. »23 Il s’agit de « communautés non

exclusives (on peut appartenir à plusieurs tribus) et volontaires (pas d’appartenance

assignée), plus ou moins informelles et aux pratiques plus ou moins ritualisées ».

Nous parlerons de communautés pour les marques, sachant que certains des

membres y appartiennent « par défaut », comme les employés de l’entreprise

concernée. Mais la communication se concentre effectivement sur la tribu se fédère

autour de la marque ou de son secteur. Une communauté se caractérise par quatre

éléments : des interactions soutenues, la reconnaissance d’une identité collective et

d’un code culturel commun, l’existence d’un espace communautaire défini et connu

par les membres, la définition d’une règle d’appartenance au collectif.24

Comme tout groupe social, les communautés se construisent à partir de

règles qui définissent notamment la place des marques dans les interactions entre

les membres de la communauté. Cette règle fait ressortir l’existence de plusieurs

types de communautés de marques dans l’univers féminin. En effet sur Internet on

peut identifier différentes communautés, comme la communauté construite autour du

centre d’intérêt « cuisine », qui n’obéit pas aux mêmes règles que la communautés

des fashionistas, dont le centre d’intérêt est la mode, ou que la communauté des

mamans. Ces différences sont admises et reconnues par les femmes, comme le

montre le classement des blogs par la version on line du magazine Elle ; ce

classement définit plusieurs catégories : mode, beauté, cuisine, créations,

dessinatrices, mamans, chroniqueuses et love & sexe. La communauté des

fashionistas présente un intérêt particulier pour analyser les rapports entre ses

membres et les marques. C’est la communauté dans laquelle les marques sont les

plus mentionnées, discutées, analysées. Si l’on choisit par exemple les trois premiers

blogs du classement elle.fr de juin 2009 (fashion gazette, Camille d’Essayage et

punky b’s fashion diary), sur tous ces sites on trouve une marque mentionnée dans

le dernier ou l’avant-dernier billet publié25 : Bourjois pour fashion gazette26, H&M

23 J. Lendrevie, J. Levy, D. Lindon, Mercator, 8e édition, Dunod, Paris, 2006, p. 171 24 e-conomy, Communautés virtuelles, novembre 2006, http://aziz.typepad.com/economy_blogbuster/2006/11/communauts_virt.html 25 date de la recherche : 26 octobre 2009 26 http://www.fashion-gazette.fr/2009/10/25/recit-vacancier-dautomne-6/

Page 23: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

23

pour Camille d’Essayage27 et Topshop pour punky b’s fashion diary28. En revanche

pour les communautés cuisine ou mamans, les marques sont quasi absentes.

La segmentation ne se fait pas uniquement par centre d’intérêt, en

l’occurrence la mode. On observe des sous-segmentations pour lesquelles la marque

devient le critère principal. C’est le cas des pages fans de Facebook. Ces pages sont

l’équivalent pour les marques des profils utilisateurs. Les marques ont un rôle

identitaire fort, elles sont un outil de représentation sociale pour les consommatrices.

Il n’est donc pas étonnant de les retrouver sur les réseaux sociaux. Le fait de devenir

fan d’une marque sur Facebook symbolise l’appartenance à un groupe, l’affirmation

de son identité auprès de son réseau d’amis et l’expression d’une opinion sur la

marque. La page Comptoir des Cotonniers compte plus de 37 000 fans. Les

membres de la communauté recrutent volontairement (en proposant à leurs amis de

devenir fans) ou par effet de mimétisme (une personne décide de devenir fan après

avoir vu qu’une amie l’avait fait) de nouveaux membres, ce qui représente autant

d’économies pour les marques en recrutement. En effet, combien de marques

peuvent se vanter d’avoir une base de données de plus de 37 000 personnes

qualifiées ? Pour reprendre l’exemple de Comptoir des Cotonniers, cette page est

passée de 11 000 fans en mai 2008 à plus de 37 000 en 17 mois. Les pages

Facebook représentent un intérêt particulier pour les marques car les fans sont une

audience captive : les informations publiées par la page arrivent automatiquement

sur la page d’accueil des fans, parmi d’autres actualités concernant leurs amis,

bénéficiant ainsi d’un fort niveau d’attention (comparé aux campagnes de publicité

traditionnelles). Autre fait marquant : les fans n’attendent pas les marques pour créer

une page Facebook. Pour Comptoir des Cotonniers, la page avait été créée par une

internaute et comptait déjà plus de 10 000 fans au moment où la marque a pris en

charge l’animation de cet espace. Cette création spontanée de communautés de

marques par les internautes pose d’ailleurs un problème aux marques, celui du

cybersquatting. Le cybersquatting est une usurpation d’identité : un internaute prend

la parole au nom d’une autre personne ou d’une marque. Il devient alors difficile pour

une marque de diffuser un message « officiel », alors que les consommaturs ne

feront pas forcément la différence entre un espace officiel et un espace non officiel.

C’est une problématique nouvelle des marques, qui étaient les seules à prendre la

27 http://www.camilledessayage.com/blog/2009/10/26/je-suis-pourrie-gatee/ 28 http://www.punky-b.com/archive/2009/10/26/un-petit-look-et-puis-s-en-va.html#more

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24

parole en leur nom, avant les médias sociaux. Si l’on prend l’exemple de Zara, il

existe pas moins de 260 pages Facebook comprenant le terme « zara ».

2. Les communautés d’achat Les communautés ne se construisent pas uniquement par centre d’intérêt,

elles se créent également dans l’objectif de faire baisser les coûts à l’achat. L’objectif

est d’obtenir une baisse des prix par le recrutement de nouvelles acheteuses. Les

internautes s’organisent comme une centrale d’achat en jouant sur le volume pour

diminuer les coûts. Ce comportement est qualifié de MeCommerce. Tout comme le

social shopping, le MeCommerce est un des nombreux termes inventés récemment

pour traduire une réalité de consommation, définissant dans le même temps de

nouveaux domaines d’expertise nés du marketing des médias sociaux ou websocial

marketing. Le MeCommerce consiste à rémunérer le consommateur pour son rôle de

recommandation sur les ventes en ligne (e-commerce).

Les consommatrices utilisent depuis longtemps les forums pour profiter de

leur réseau afin d’obtenir des réductions. Sur le forum d’aufeminin.com, une rubrique

y est même consacrée29 et compte déjà plus de 25 000 messages. L’objectif de cette

rubrique est d’utiliser les leviers communautaires pour gagner de l’argent, en utilisant

notamment les techniques de parrainage mises en place par les marques : la

discussion « Inscription a vente privee : [email protected] » a généré par

exemple 240 réponses. Couplées au e-commerce, ces communautés d’achat

peuvent prendre des formes très évoluées : les sites e-commerce communautaires.

Zlio.fr illustre bien ce concept. Le principe du site est de proposer à ses membres de

créer gratuitement leur propre boutique (l’équivalent d’un profil mais orienté

commerce). Ils choisissent ensuite des produits à mettre en avant et sont rémunérés

sur les ventes effectuées à partir de leur boutique. C’est une technique intéressante

qui mêle la recommandation des utilisateurs avec le principe de rémunération de

l’affiliation. Pour les annonceurs ce système est extrêmement intéressant, puisque

l’internaute est en charge de la publicité de sa boutique et qu’ils ne paient qu’à

l’achat et non à la diffusion.

Ces communautés d’achat ont de fortes implications commerciales pour les

entreprises. En plus du pouvoir d’influence sur les attitudes des consommateurs vis-

àvis des marques, ces communautés illustrent la pertinence des logiques

29 Forum Marques, bons plans, codes réduc, échantillons …

Page 25: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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communautaires dans une stratégie de développement des ventes, de fidélisation et

d’acquisition de nouveaux clients. Elles représentent un nouveau modèle

économique de diffusion et de vente : les annonceurs n’achètent plus une audience

ou un nombre de contacts mais bien un réseau. Ces communautés nous montrent

également le potentiel des communautés pour faire pression sur les marques afin de

faire baisser les prix. Aujourd’hui ces communautés sont encore peu démocratisées,

mais il est facile d’imaginer le pouvoir qu’elles pourraient avoir si elles se

développaient et utilisaient les mêmes techniques de négociation que les centrales

d’achat tant critiquées pour avoir affaibli les petits commerçants.

3. Elles se mobilisent Ces communautés peuvent avoir une puissance extrêmement forte sur les

marques, ce qui les fédère réside dans la mobilisation pour faire pression sur les

marques ou les défendre. Ces communautés se créent parfois dans un objectif de

revendication et d’influence. Nous avons pu le constater avec les succès de la

campagne d’Obama, les médias sociaux sont de forts leviers de mobilisation. Ils

permettent à n’importe quel internaute de recruter des partisans grâce au levier viral

et à la puissance des réseaux. Les consommatrices ne manquent pas de l’utiliser

lorsqu’elles veulent se faire entendre des marques. Cette mobilisation reprend la

logique de la pétition, à la différence qu’on ne récolte pas des signatures mais des

membres, qui par l’action de rejoindre cette communauté de mobilisation lui

donneront de la visibilité auprès de leur réseau, et dont les publications sont

publiques et accessible à tous. Nous avons vu avec le cas Motrin l’impact que ce

genre de revendication collective pouvait avoir sur les marques. Dans ce cas, ce sont

des publications individuelles, et surtout leur nombre, qui a éveillé l’attention des

internautes et de la marque. Mais ces revendications peuvent également se

matérialiser sous forme de communautés. C’est le cas par exemple du groupe

Facebook « Stop the Great HSBC Graduate Rip-Off!!!30 ». Ce groupe a été créé par

le syndicat étudiant NUS (National Union os Students) après que la banque HSBC

Londres a décidé en 2007 d’imposer des pénalités aux étudiants à découvert, à

hauteur de 9,9% d’intérêt. Le groupe a rassemblé plus de 4 500 membres, des

dizaines d’autres groupes se sont créés, appelant au boycott de la banque et des

articles très négatifs ont été publiés dans la presse nationale (The Guardian, BBC

30 http://www.facebook.com/group.php?sid=1fe00d991334d7986df293c95d3c7e57&gid=2371122959

Page 26: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

26

News). Au final HSBC est revenue sur sa décision et a remboursé les étudiants

pénalisés.

La tentation est forte pour les marques confrontées à ce genre de mauvaise

publicité de supprimer « simplement » les contenus négatifs. Seulement elles se

heurtent à plusieurs obstacles : premièrement il n’y a pas d’organisme, équivalent au

CSA, qui pourrait imposer son autorité sur les internautes en les obligeant à

supprimer leurs contributions ou qui aurait le pouvoir de les supprimer lui-même.

Deuxièmement, même si elles essayaient ce serait peine perdue car la suppression

d’une publication peut provoquer la création de dizaines d’autres ; la censure que les

marques voudrait pratiquer serait beaucoup plus lente que la création de contenus à

l’encontre de ces marques. Les analystes de Forrester ont analysé ce phénomène,

qualifié de Streisand effect31. Ils utilisent ce terme pour les situations dans lesquels

les tentatives de supprimer des contenus sur Internet entraînent une intensification

de la diffusion de ces contenus. Cette expression a été inventée par Mike Masnick,

blogueur pour Techdirt, suite à la mésaventure de la chanteuse Barbra Streisand. Un

photographe et un pilote avaient décidé de photographier les côtes californiennes. La

chanteuse a insisté pour qu’ils retirent la photos de sa maison de leur site Internet, ce

qui a eu pour effet la diffusion de ces mêmes photos par d’autres internautes, qui les

avaient copiées et les ont postées sur le Web. Ces photos sont très facilement

accessibles à partir de la recherche « Barbra Streisand house » sur le moteur de

recherche image de Google. Ce comportement des internautes souligne une

croyance forte qui définit le Web comme un lieu dépourvu de censure. En effet, on ne

peut pas dire que la publication de ces photos représente une revendication

particulière. Ce qui a mobilisé les internautes, c’est le refus de la censure et du

contrôle d’une personne ou d’une organisation sur leur liberté d’expression. Internet

est perçu comme un espace dépourvu de hiérarchie, ce qui favorise la création des

communautés basée sur des relations horizontales. Internet reprend en quelques

sortes le mythe communiste du pouvoir au peuple, ici aux internautes, qui peuvent

par leur nombre imposer une décision collective. Il est intéressant de rapprocher ce

mythe de l’Internet comme un lieu dépourvu de censure de la théorie de la

cybernétique de Norbert Wiener32. Selon l’auteur, fortement marqué par la

31 Ch. Li, J. Bernoff, groundswell, winning in a world transformed by social technologies, Harvard Business Press, Boston, 2008, p. 7 32 N. Wiener, Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine, Hermann, Paris, 1948

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propagande lors de la seconde guerre mondiale, l’information doit pouvoir circuler

librement. Il fait l’éloge de la société de l’information, qui ne peut exister que si les

échanges sont libres et sans entraves. Et il condamne les resserrements du contrôle

des moyens de communication. Internet semble être porteur de cette idéologie de

libre circulation de l’information et de libre expression. Les exemples sont nombreux,

qui présentent le Web comme l’espace qui contourne et rend vaine toute censure. Le

dernier en date est celui de la révolution iranienne, diffusée auprès de la

communauté internationale grâce à Twitter, alors que le gouvernement avait le

contrôle des autres médias.

Si les marques ont de plus en plus peur du bad buzz (bouche-à-oreille

négatif), les ONG et associations utilisent de plus en plus les leviers communautaires

de mobilisation. En effet un des freins à l’engagement de leur cible était qu’il

s’agissait principalement d’un engagement financier. Or avec les médias sociaux, les

organisations à but non lucratif ne demandent plus uniquement un soutien financier,

elles encouragent les internautes à diffuser un message de sensibilisation. Ces

organisations, qui ont un budget souvent restreint, économisent ainsi des frais de

publicité et les internautes diffusent volontiers l’information, ce qui les valorise et ne

leur coûte qu’un minimum de temps. Certaines marques utilisent aussi la mobilisation

sur Internet pour faire parler d’elle. C’est le cas de Sarenza, vendeur des chaussures

sur Internet, qui organise pour la deuxième fois cette année le Championnat National

de Course en Escarpins. Le principe de cette opération est d’organiser une course

en escarpins par équipe, avec pour les gagnantes 3 000 € de chaussures offerts, de

quoi faire rêver plus d’une fashionista ! En proposant un jeu en équipe et non

individuel, Sarenza encourage les participantes à activer leur réseau et à mobiliser

leurs amies.

c. Elles concurrencent les marques

Nous avons vu que le rapport des consommatrices face aux marques évolue

car elles deviennent plus critiques et s’organisent en communautés qui prennent parti

pour ou contre les marques. Un troisième changement est à noter : les femmes ne se

positionnent plus uniquement comme des consommatrices, mais elles font parfois

concurrence aux marques. Ces marques ne sont donc plus uniquement dans un

rapport de séduction avec les internautes, elles peuvent entrer en compétition avec

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28

elles. Pour illustrer ce phénomène nous nous appuierons sur l’exemple de la

communauté cuisine. Nous verrons en quoi les médias sociaux favorisent

l’émergence de nouveaux référents, facilitent le détournement des marques et

permettent la naissance de nouvelles marques.

1. L’émergence de nouveaux référents Les outils du Web 2.0 présents sur les médias sociaux permettent à tout

internaute suffisamment renseigné de se faire connaître. Les coûts sont réduits, de

nombreux outils de publication comme les plateformes de blogs sont entièrement

gratuits, les profils sur les réseaux sociaux professionnels permettent de contacter

des clients ou partenaires potentiels. La communication est simplifiée : nul besoin de

faire appel à un prestataire ou d’avoir des compétences informatiques avancées pour

créer son blog. Il est en outre très facile de cibler une audience ; les blogs par

exemple pratiquent l’échange de liens avec des blogs du même type, les blogueurs

commentent sur ces autres blogs pour gagner en visibilité auprès de leurs lecteurs.

Nous avons vu l’émergence de personnalités référentes, dont les sites touchent une

audience très large.

Dans le domaine de la cuisine, les blogs ou sites communautaires sont les

plus consultés. Marmiton.org est le premier site en termes d’audience, avec 2,6

millions de visiteurs uniques par mois. A titre de comparaison, soulignons que elle.fr

compte 1 million de visiteurs uniques mensuels et tf1.fr 4,7 millions. Ce site

communautaire est donc parmi les principaux médias on line. Ces sites référents

réduisent d’autant la part de voix des marques. Pour gagner en part de voix

traditionnellement, les marques augmentaient leur budget publicitaire car elles

savaient que leur audience était captive sur un nombre limité de médias. Mais avec

Internet, les médias se multiplient, l’audience se morcelle et les supports eux-mêmes

font concurrence aux marques, en proposant des services aux consommatrices. Le

levier budgétaire ne suffit plus à s’assurer une audience.

Au-delà des supports, ces nouveaux référents ne sont pas uniquement des

supports mais aussi des personnes : les médias sociaux ont révélé des

personnalités. En cuisine, certaines blogueuses commencent à faire de l’ombre aux

chefs. Le blog numéro un du classement wikio (un annuaire de blogs) dans la

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29

catégorie gastronomie, Eryn et sa folle cuisine33, compte 20 000 visiteurs uniques

par mois selon Google Ad Planner alors que le site de Cyril Lignac, le chef star de la

chaîne M6, en a 14 000. Ces nouveaux référents ont un parcours complètement

différent des chefs « classiques », ils ont fait leurs preuves sur Internet et sont

reconnus par les internautes, alors que les chefs traditionnels ont d’abord été

reconnus par des experts avant de l’être par le grand public. Le rapport de pouvoir

experts / consommateurs se modifie : les experts peuvent de moins en moins

s’imposer comme prescripteurs car les internautes choisissent eux-mêmes leurs

référents et les élèvent au statut d’expert. La compréhension de ceci est capitale

pour les marques, notamment dans des stratégies de communication qui impliquent

un ambassadeur connu et reconnu du grand public. Fait-il s’appuyer sur la notoriété

de Jean-Pierre Coffe comme le fait Leader Price ou envisager de mettre en avant

ces nouveaux référents du web dans la communication de marque, comme Orange

l’a fait récemment pour sa campagne visant à promouvoir sa clé 3G+, en faisant

appel notamment à Anne, la blogueuse de Papilles et Pupilles34 ?

2. Le détournement du discours de la marque Certaines créations non officielles viennent troubler le discours des marques

et induisent les consommateurs en erreur, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Nous verrons ici la concurrence faite aux marques et à leurs agences de publicité via

la création de vidéos, parodie ou fausse pub, ainsi que l’utilisation des noms de

marques par les spammeurs.

Avec les médias sociaux et les outils de création gratuits, il devient très facile

aux créatifs de proposer leurs réalisation directement aux internautes. Ils créent leur

book on line en utilisant le nom des marques. Seulement les parodies des publicités,

par exemple, sont visibles par tous et deviennent parfois aussi voire plus populaires

que la publicité d’origine. Un des cas d’école pour ce genre de phénomène est la

publicité Dove Evolution, dont la vidéo originale35 a été vue plus de 9 millions de fois

sur YouTube et sa parodie36 plus de 2 millions. Dans ce cas, la parodie a été plutôt

bénéfique à la diffusion de la campagne car le clip original est très apprécié du grand

public. Mais quand une parodie nuit à l’image d’une marque, les entreprises se

33 http://erynfollecuisine.canalblog.com/ 34 Roycod, Orange envoie cinq blogueurs dans toute la France, mai 2009, http://www.roycod.com/index.php/2009/05/12/905-orange-envoie-cinq-blogueurs-dans-toute-la-france 35 http://www.youtube.com/watch?v=iYhCn0jf46U 36 http://www.youtube.com/watch?v=7-kSZsvBY-A

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30

retrouvent face à un problème de taille. Si elles réagissent comme elles l’ont toujours

fait, à savoir faire appel à leur département juridique afin d’attaquer le créateur pour

utilisation abusive du nom de marque, elles courent le risque du Streisand effect que

nous avons mentionné plus haut. Si elles ne font rien, ce bad buzz continuera à se

propager. Les réactions les plus efficaces ont été complètement nouvelles pour les

marques : entamer une discussion avec les créateurs. Là aussi, cela demande une

compétence et une vision de la marque différente de celles auxquelles les marques

ont eu recours jusqu’à présent.

En termes de créations, en plus des parodies on retrouve sur Internet de

fausses publicités, qui peuvent induire le consommateur en erreur. Récemment la

marque Sprite s’est trouvée confrontée à cette situation. Plusieurs vidéos virales,

censées émaner de Sprite, ont circulé sur le Web. Ces vidéos étaient très osées et

ont tout de suite créé un buzz (« Sprite fait dans la pub porno !37 », « Video Sextape

interdite en allemagne pour Sprite38 », etc). Au final, on s’est rendu compte que ces

vidéos n’étaient pas officielles39. Dans ce cas on voit comment une fausse publicité

peut facilement être considérée comme une vidéo officielle, et l’intérêt pour les

marques de faire une veille sur ce qui se dit d’elles sur la Toile. Là où cela devient

vraiment dangereux pour les marques, c’est quand des vidéos non officielles mais

néanmoins vraies viennent nuire à leur image. Par exemple cette vidéo40 filmée dans

les cuisines de Domino’s pizza, par des serveurs loin d’être zélés. Sur cette vidéo, on

peut voir comment ces employés s’amusent avec les pizzas, en ne respectant pas, et

volontairement, ni les conditions d’hygiène ni les clients. La question des prises de

parole de leurs employés sur Internet fait débat dans les entreprises. A Londres,

certains employeurs font signer une charte au moment de l’embauche de leurs

salariés, stipulant qu’ils ne sont pas autorisés à mentionner leur entreprise sur

Internet. Seulement tout le monde peut créer un faux profil…

Un troisième détournement de marque consiste à se servir d’un nom de

marque pour tromper les internautes. C’est une technique très fréquemment utilisée

par les spammeurs, qui envoient des emails non voulus ou font circuler des chaînes 37 Paperblog, Sprite fait dans la pub porno !, juillet 2009, http://www.paperblog.fr/2167033/sprite-fait-dans-la-pub-porno/ 38 Le Post, Video Sextape interdite en allemagne pour Sprite, juillet 2009, http://www.lepost.fr/article/2009/07/27/1635953_video-sextape-interdite-en-allemagne-pour-sprite.html 39 Marketing insolite, Interview du Directeur Marketing Coca-Cola France à propos du fake Sprite, août 2009, http://marketing-insolite.blogspot.com/2009/08/interview-du-directeur-marketing-coca.html 40 Buzman TV, Comment se faire virer de Domino’s Pizza en 24h ?, avril 2009, http://www.buzzman-tv.com/good-film/comment-se-faire-virer-de-dominos-pizza-en-24h/

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31

d’emails. Nous avons tous reçu une bonne douzaine de fois cette chaîne qui nous

assure de nous envoyer une pleine caisse de Veuve Clicquot si nous transférons ce

mail à vingt contacts. Cette technique s’appuie sur la naïveté des internautes, même

s’ils le sont de moins en moins, car éduqués au Web de plus en plus tôt. Seulement

ces actions peuvent poser de nombreux problèmes aux marques, notamment dans la

gestion des réclamations d’internautes qui y ont cru. C’est à tel point que la Veuve

Clicquot a fait une annonce officielle sur son site Internet :

3. Les nouvelles marques issues des médias sociaux Le e-commerce ou vente en ligne facilite l’entrée de nouveaux acteurs sur le

marché. De nombreux blogueurs reconnus ont donc commencé à vivre de leur blog

en offrant des prestations payantes. Il est assez simple de s’appuyer sur des

plateformes existantes comme l’App Store pour générer un chiffre d’affaires. En

outre, les blogueurs sont de plus en plus convoités par les marques et leurs vendent

aujourd’hui des services. Les médias sociaux et les outis du Web 2.0 font donc

tomber les barrières à l’entrée sur un marché, ouvrant la voie à de nouveaux acteurs.

On peut citer Hervé de Hervé cuisine41, qui a pour projet de se rémunérer

grâce à son application Iphone, ou Pascale de C’est moi qui l’ai fait42, qui vend ses

41 http://www.hervecuisine.com/ 42 http://scally.typepad.com/

Page 32: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

32

recettes de cuisine à d’autres sites pour 50 euros l’unité. Ces blogueurs cherchent un

modèle économique pour vivre de leur blog, et si pour l’instant en matière de cuisine

ils ne sont pas aussi développés que d’autres (par exemple les mamans blogueuses

qui vendent des vêtements pour enfants), à partir du moment où ils vont chercher à

vendre leurs prestations à d’autres marques ou aux consommatrices, ils vont entrer

en concurrence avec les marques installées.

Ces nouveaux concurrents peuvent représenter une menace pour les

marques, dans le sens où la multiplication des acteurs risque de faire baisser leur

part de marché. Ensuite il s’agit d’intervenants familiarisés avec les médias sociaux,

qui ont déjà mis en place des stratégies communautaires et qui paraissent donc plus

avancés dans ce nouveau champ d’application du marketing. Enfin, ils bénéficient

d’une forte légitimité auprès de leur réseau (lectrices, autres blogueurs), au moment

même où selon les dernières études, la confiance dans le discours des marques tend

à diminuer.

Nous venons de voir dans cette première partie en quoi les médias sociaux

ont modifié le rapport des consommatrices aux marques. Nous avons constaté trois

changements majeurs : les consommatrices sont de plus en plus critiques vis-à-vis

des marques, elles s’organisent en communautés et sortent de leur rôle de

consommatrices pour devenir des concurrentes.

Nous analyserons dans un second temps comment les marques réagissent

face à ces changements et les bouleversements que cela implique dans la réflexion

marketing CRM de celles-ci. Nous constaterons pour finir que ces changements sont

tellement importants qu’ils ont donné naissance à une nouvelle expertise du

marketing : le Community Management Marketing, que nous étudierons dans la

troisième partie de ce travail de recherche.

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33

II. Les médias sociaux font évoluer le discours de marque

Les contenus générés par les utilisateurs (UGC) sont nombreux, très bien

référencés sur les moteurs de recherche et appréciés des internautes, si bien que les

marques ne contrôlent plus leur discours. Pour citer Chris Anderson, rédacteur en

chef de Wired, « Votre marque n’est pas ce que vous en dites mais ce que Google

en dit »43, autrement dit ce que les internautes publient principalement. Chris

Anderson est l’inventeur du concept de la Longue traîne ; ce concept remet en cause

la loi de Pareto qui dit que 80% du chiffre d’affaires est généré par 20% des clients.

Selon Anderson, les 80% restant (clients pour les ventes, blogs pour la

communication) représentent un marché aussi voire plus important que les best

sellers. Cette longue traîne est rendue accessible grâce à Internet, qui permet de

proposer beaucoup plus de choix et multiplie les canaux de distribution. Il illustre sa

théorie avec l’exemple d’Amazon : la demande totale pour les articles peu demandés

dépasse la demande totale des articles très demandés. Ceci et les différents

constats que nous avons vus dans la première partie montrent à quel point Internet

bouleverse les stratégies marketing des marques en touchant tous les éléments du

mix : les prix ne sont pas unifiés (il suffit d’aller sur Ebay pour s’en rendre compte),

les canaux de distribution se multiplient, les consommateurs critiquent et créent les

nouveaux produits, le packaging intègre le web en redirigeant les consommateurs

vers le site de marque et la communication évolue. Nous nous intéresserons dans ce

travail à ce dernier point, pour comprendre comment les marques ont adapté leurs

stratégies de communication au nouvel environnement des médias sociaux.

Nous verrons premièrement que les marques ont de plus en plus de mal à

capter l’attention de leur cible par les techniques de communication traditionnelles,

nous analyserons ensuite la notion de filtres sociaux et ses conséquences sur les

stratégies CRM des marques, puis nous nous interrogerons sur les opportunités et

les dangers qui se présentent aux marques avec l’apparition des médias sociaux.

43 Mediapost, Just An Online Minute... The Tyranny Of The Customer?, septembre 2006, http://www.mediapost.com/publications/?fa=Articles.showArticle&art_aid=48900

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34

a. Il devient de plus en plus difficile de capter l’attention de sa cible

Avec Internet et les dernières technologies, la hiérarchie des médias a été

bouleversée. La consommation médiatique s’éloigne de la consommation de masse,

les anciens modèles publicitaires perdent de leur efficacité et Internet représente un

élément clé dans la décision d’achat.

1. Une consommation médiatique individualisée Il y a peu de temps, le nombre de médias était limité et en investissant sur le

prime time de TF1 les annonceurs avaient une audience garantie, représentant la

grande majorité de la population française. Seulement avec les nouvelles

technologies, on a vu ce nombre de médias se multiplier, que ce soit les chaînes du

câble, les webradios ou les sites internet d’actualités. Les marques commencent à

remettre en question les investissements publicitaires, à tel point que TF1, dans ses

conditions générales de ventes 2010, s’engage sur un retour sur investissement pour

prouver l’efficacité de ses écrans en « peak-time »44. Ces nouveaux acteurs des

médias obligent les annonceurs à revoir leur plan média et leur offre l’opportunité

d’un ciblage plus précis : les femmes avec Téva par exemple.

Un deuxième élément montre l’individualisation de la consommation

médiatique : l’audience est de moins en mois captive. Avec certaines technologies,

les téléspectateurs peuvent choisir de regarder leur programme en différé et ont la

possibilité de supprimer les publicités. Les chaînes de télévision ont d’ailleurs elles-

mêmes développé ce genre de technologies, avec M6 Replay par exemple. Mais

elles ne sont pas seules à diffuser les programmes. Le téléchargement joue

également un rôle dans la moindre exposition aux messages publicitaires. Aussi, les

consommateurs ne sont plus obligés de regarder les publicités pour pouvoir voir leur

programme favori. Ces comportements font baisser la part de voix des marques. Le

contexte de consommation médiatique change, l’exposition aux publicités est plus

choisie que subie : on peut choisir de ne pas les regarder, comme on peut les

rechercher sur Internet.

A cela s’ajoute la montée du « multitâche », soit le fait de consommer

plusieurs médias ou activités numériques en même temps. Selon un étude

44 Newsletter Stratégies du 20 octobre 2009

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35

Médiamétrie45, la moitié des internautes (47,1%) utilisent plusieurs médias en même

temps.

Il est donc de plus en plus difficile pour une marque de capter l’attention de sa

cible, une audience morcelée, mois exposée et moins attentive.

Ce changement du paysage médiatique pousse les marques à communiquer

sur des supports en adéquation avec le style de vie de leur cible plus qu’à choisir des

médias à forte audience, passant ainsi du quantitatif au qualitatif.

2. La moindre efficacité des anciens modèles publicitaires Comme nous avons pu le voir en première partie, la publicité, si elle est

toujours efficace pour provoquer l’intention d’achat, ne suffit plus à concrétiser la

vente. Les consommateurs attendent plus d’interaction avec les marques, ce qui ne

correspond plus aux modèles traditionnels de diffusion de messages à sens unique.

Les publicités ne sont plus les seuls discours sur la marque, ils sont même

minoritaires comparés aux nombreuses interventions d’internautes à propos d’une

marque. Dans un contexte où la publicité est devenue un bruit de fond, les

annonceurs doivent employer de nouvelles techniques pour capter l’attention d’une

audience ; et ses techniques font évoluer les modèles de communication.

A cela s’ajoute une crise des médias sans précédent. Les nouveaux modes de

consommation des médias font baisser leur diffusion et par conséquent leurs

recettes publicitaires.

45 Le Figaro, Les médias s'émancipent de leurs supports classiques, mars 2009, http://www.lefigaro.fr/medias/2009/03/04/04002-20090304ARTFIG00051-les-medias-s-emancipent-de-leurs-supports-classiques-.php

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36

La presse est particulièrement touchée par cette crise.

Les supports qui représentaient la majorité des investissements des

annonceurs sont de moins en moins efficaces et les marques doivent trouver de

nouveaux moyens de communication pour toucher leur cible.

La crise des médias est parallèle à leur multiplication, même si ces nouveaux

supports peinent à trouver leur modèle économique. Nous sommes exposés à de

plus en plus de messages publicitaires et nous y faisons de moins en moins

attention. La publicité perd en crédibilité : 76% des consommateurs pensent que les

marques ne disent pas la vérité dans leurs publicités46. C’est donc bien la publicité

qui est en crise de légitimité, peu importe le support.

46 Yankelovich Marketing Resistance Survey, 2006

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37

Sur Internet aussi, les publicités sont de moins en moins attractives comme le

montre l’évolution du taux de clics : à l’heure où nous fêtons les 15 ans de l’e-pub,

nous sommes loin des 10% à 40% de taux de clic des premières campagnes.

3. Internet, un support clé pour la décision d’achat Une récente étude de l’Ifop en partenariat avec Nurun47 montre qu’Internet est

beaucoup plus efficace que les autres médias (télévision, presse, radio et affichage)

en termes d’influence sur la décision d’achat. Les résultats de cette étude nous

apprennent qu’Internet est le média le plus décisif dans le processus d’achat, y

compris pour les catégories de produits pour lesquelles il a une faible exposition en

comparaison des autres médias ; c’est également le média le plus générateur de

confiance et d’influence. On y apprend aussi que la force d’Internet réside dans la

complémentarité de ses supports. C’est justement cette dernière information qui

interpelle les marques, car les médias sociaux jouent une grande part dans ces

résultats.

Ce genre d’étude nous montre en quoi les modèles des annonceurs

aujourd’hui et leur répartition budgétaire ne correspondent plus à la réalité des

médias. Les budgets médias des équipes de communication ont la même structure

que cette étude : télévision, radio, presse, affichage et internet. Les études nous

montrent les limites d’une telle répartition, car Internet est beaucoup plus qu’un

média. Le terme même de médias sociaux suppose la pluralité des médias sur

Internet. Il serait plus facile de comparer on line et off line qu’Internet et la télévision

par exemple. Ce support n’est pas non plus qu’un média au sens de medium ou

moyen de communication ; en plus de permettre la communication, il crée les

occasions de communications, comme le montre la possibilité de commenter 47 Slideshare, Nurun - Ifop : Influence des médias sur les décisions d'achats, octobre 2009, http://www.slideshare.net/nuruncom/nurun-ifop-etude-influence-medias-decisions-achats-2009-2223084

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l’activité de ses amis sur Facebook. Par conséquent, Internet offre beaucoup plus de

possibilités que les autres supports mentionnés. De la publicité à la vente en passant

par le CRM, de nombreuses stratégies peuvent être mise en place sur ce support.

Ce qui fait la force d’Internet, c’est que ce n’est pas uniquement un support

publicitaire. Internet est un support de connexion entre les consommateurs avant

d’être un objet de consommation comme les médias précédemment cités. Parmi les

catégories définies par Nielsen pour son étude Global Online Consumer Survey48, six

d’entre elles concernent Internet, alors que l’on en compte trois pour la presse, une

pour la télévision et une pour la radio. Cette étude montre la richesse des médias

digitaux et leur pouvoir d’influence sur les consommateurs.

En ce qui concerne les femmes, une étude menée aux Etats-Unis49 montre la

corrélation entre la progression des médias sociaux et le baisse de fréquentation des

autres médias. Selon cette étude, 57% des femmes passent moins de temps à lire

48 Nielsen, PERSONAL RECOMMENDATIONS AND CONSUMER OPINIONS POSTED ONLINE ARE THE MOST TRUSTED FORMS OF ADVERTISING GLOBALLY, juillet 2009, http://blog.nielsen.com/nielsenwire/wp-content/uploads/2009/07/pr_global-study_07709.pdf 49 BlogHer, 2009 Women and Social Media Study, avril 2009, http://assets3.blogher.com/files/2009_Compass_BlogHer_Social_Media_Study_042709_FINAL.pdf

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les journaux (39% pour la population globale) et elles sont 53% à moins regarder la

télévision (30% pour la population américaine globale).

La puissance d’influence du Web réside justement dans le fait que ce qui

compte n’est pas où l’on parle mais qui parle à qui. Cela nous amène à la notion de

filtres sociaux, née des médias sociaux.

b. La notion de filtres sociaux

Dans une interview à Spiegel Online en juin dernier50 donnée par Chris

Anderson, rédacteur en chef de Wired, celui ici évoque les social filters ou filtres

sociaux. Cette notion est particulièrement pertinente dans l’analyse de la

communication des marques vers les consommateurs. Les médias sociaux sont

utilisés par les internautes pour obtenir des informations, via leur réseau. Comme le

souligne Chris Anderson, un changement important s’opère : les internautes vont de

moins en moins chercher l’information sur les médias (lemonde.fr, nytimes.com…),

celle-ci vient à eux par l’intermédiaire des médias sociaux. Alors que les annonceurs

réfléchissent encore en termes d’achat média, ceux-ci tendent à devenir secondaires

dans la diffusion de l’information.

1. Définition Les filtres sociaux peuvent être définis comme des outils de sélection et de

hiérarchisation de l’information qui s’appuient sur le réseau social du consommateur.

Le critère de sélection principal qui détermine l’accès à l’information dans ce cadre

est la personne qui diffuse l’information, et non plus le média ou support sur lequel

l’information est diffusée (comme le titre de presse par exemple). Les filtres sociaux

existaient bien sûr avant les médias sociaux : dans une conversation avec leurs

amis, leur famille ou leurs collègues, les consommateurs pouvaient entendre parler

d’une marque ou d’un produit. Mais ils se sont multipliés avec l’émergence de ces

médias. Les médias sociaux ont étendu le réseau des consommateurs. Sur

Facebook, un membre a en moyenne 130 amis51, donc 130 sources d’informations

potentielles, ce qui est largement supérieur à la moyenne du nombre de nos relations

« off line ». Aujourd’hui l’on compte plus de 7 millions de femmes sur ce réseau

50 Spiegel Online, 'Maybe Media Will Be a Hobby Rather than a Job’, juillet 2009, http://www.spiegel.de/international/zeitgeist/0,1518,638172,00.html 51 Source : Facebook, octobre 2009, http://www.insidefacebook.com/2009/10/27/liked-those-live-status-updates-heres-how-to-fix-the-new-facebook-design/

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40

social52. Les filtres sociaux permettent également de hiérarchiser cette information,

selon sa popularité auprès de notre réseau. Une information reprise par différents

membres de notre réseau attirera notre attention. En ce qui concerne les marques,

des réseaux sociaux comme Facebook s’appuient sur ce principe de popularité, par

exemple en mentionnant le nombre de nos amis fans d’une page. Comme le

souligne Francis Pisani, blogueur de Transnets, sur le Web « le contenu est dans la

relation »53. Face à la masse d’informations disponibles sur le Web, notre réseau

nous permet donc de qualifier les informations auxquelles nous sommes exposés. Le

concept des filtres sociaux se concrétise par exemple dans ce que l’on appelle la

« folksonomie ». Selon David Fayon54, la folksonomie est un « système de

classification collaborative du contenu reposant sur des mots-clés et effectué par les

utilisateurs d’une application ou d’un site. » Digg est un outil qui s’appuie sur ce

système : les utilisateurs peuvent associés des pages Web à des mots-clés (comme

s’ils les annotaient), ces mots-clés ou tags organisent les contenus du Web de sorte

à ce que chaque utilisateur ait accès à toutes les sources « taggées » pour un mot-

clé par la communauté des utilisateurs.

Ces filtres sociaux sont de plus en plus stratégiques pour les acteurs du Web.

Récemment, Google a lancé le Google Social Search, qui inclut dans les résultats,

classés dans la catégorie « social », les contenus publiés par les personnes de mon

réseau (mes contacts Gmail, les blogs dont je suis les flux sur l’agrégateur Google

Reader, etc). Un peu avant, Facebook avait amélioré son moteur de recherche

interne en incluant les statuts, notes, photos, vidéos et liens publiés sur Facebook

par les personnes de notre réseaux et tous les membres. Cet enjeu de la recherche

sociale, qui s’appuie sur les filtres sociaux, montre donc la montée en puissance de

cette utilisation du Web.

52 Source : Facebook Ad Manager, 31 octobre 2009 53 Transnets, Médias: deux révolutions, janvier 2009, http://pisani.blog.lemonde.fr/2009/01/14/medias-deux-revolutions/ 54 D. Fayon, Web 2.0 et au-delà : nouveaux internautes : du surfeur à l'acteur, Economica, Paris, 2008

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41

La confiance dans l’information sociale connaît une forte croissance, d’après

l’étude de Nielsen précédemment citée.

Tout ceci a des impacts sur les stratégies de communication des marques.

Ces filtres sociaux multiplient les intermédiaires entre la marque et les

consommateurs, alors que celles-ci essayaient justement de les réduire. Après la

communication de masse qui diffusait des messages par l’intermédiaire des médias,

une nouvelle stratégie marketing avait émergé : le direct marketing ou plus

globalement le CRM (Customer Relationship Marketing). Cette stratégie met la

marque en relation directe avec les consommateurs, de façon individualisée, en

supprimant les intermédiaires. L’un des objectifs est de contrôler le message, de

l’émetteur au récepteur. Mais avec les médias sociaux et le recours aux filtres

sociaux, ces modes de communication entrent en concurrence avec l’information

sociale. Entre un message de marque et un consommateur peuvent se trouver une

multitude d’acteurs, médias ou personnes, qui vont modifier, déformer et juger ce

message. Les marques se retrouvent donc confrontées à une perte de contrôle de

l’information délivrée. Il ne suffit plus d’avoir un bon message, il faut influencer les

bonnes personnes pour qu’elles le diffusent et influencent à leur tour leur réseau.

Page 42: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

42

Le journaliste Francis Pisani précédemment cité évoque la disparition de l’audience :

« sur le web, l’audience a disparu. L’ex-audience est remplacée par une multitude de

webacteurs directement connectés entre eux et de plus en plus participatifs. Les

individus isolés sont connectés par des réseaux sociaux et ils alimentent des flux qui

ne tarissent pas. De ce fait, le contenu produit par les journalistes compte moins que

les relations établies avec les webacteurs connectés en réseaux. S’ils l’ignorent, l’ex-

audience ira voir ailleurs55. » Alors que les annonceurs adoptaient jusque là des

stratégies de diffusion à une audience ou de conviction d’un consommateur, elles

doivent aujourd’hui compléter celle-ci par une stratégie d’influence. C’est ce que fait

par exemple Comptoir des Cotonniers. La marque envoie des informations

directement aux blogueuses mode, les invite aux défilés et les fait participer à la

rédaction de son blog ; le blog permet également aux consommatrices de commenter

les billets et la page Facebook regroupe les fans de la marque.

2. La valorisation du temps réel Les filtres sociaux sont associés à la notion de temps réel. Twitter envoie des

alertes chaque fois qu’un tweet est publié par une personne que je suis (dont je

reçois les flux d’information, par un système d’abonnement). L’événement LeWeb’09,

créé par Loïc Lemeur, aura lieu en décembre 2009 : cette année le thème de cet

événement est le Web en temps réel. Selon Loïc Lemeur, le Web en temps réel est

la troisième étape d’Internet, après le Web statique et le Web social. Le Web social

permet donc l’émergence de ce temps réel en nous apportant des filtres. Nous

n’aurions pas les capacités d’analyser tout ce qui est publié sur Internet en temps

réel, mais grâce aux filtres sociaux nous limitons les sources ce qui nous permet de

ne pas être submergés par l’information.

Le succès du temps réel est lié à la recherche de « scoop » qui s’est étendue

aux internautes, après avoir gagné les journalistes. Avec les moyens de publications

digitaux, de nouveaux acteurs de l’information ont émergé : les journalistes citoyens.

Ces personnes publient des informations qui sont reprises dans les médias, mais ne

sont pas elles-mêmes journalistes. Avec la méthode des filtres sociaux, ces

informations peuvent se diffuser très rapidement, devançant ainsi les journaux par

exemple, dont le processus de mise en ligne est beaucoup plus long. Ce fut le cas

pour l’avion qui a atterri d’urgence sur l’Hudson River aux Etats-Unis. Janis Krum, un 55 Transnets, Médias: deux révolutions, janvier 2009, http://pisani.blog.lemonde.fr/2009/01/14/medias-deux-revolutions/

Page 43: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

43

passager d’un ferry qui passait au moment de l’incident, a pris une photo et l’a

diffusée sur Twitter. Cette photo a très vite été diffusée, bien avant que les médias ne

diffusent l’information ; CNN a relayé l’information quatre heures après l’événement.

Le 7 octobre dernier, Louis Vuitton a tenté l’expérience du temps réel en

diffusant son défilé en direct sur Facebook. Les fans de la marque ont pu voir en

avant première le dernier défilé et voir sa rediffusion pendant une journée. Les fans

pouvaient également commenter le défilé en temps réel. C’est une des premières

marques à mettre en place une communication en temps réel ; c’est également la

première marque de luxe à avoir créé un compte Twitter. Grâce à l’opération de la

marque sur Facebook, la page fan a gagné plus de 67 000 fans en deux jours (les 6

et 7 octobre).

Source : PageData, Inside Facebook

Avec cette action, la marque s’adapte au Web en temps réel tout en

s’inscrivant dans une logique communautaire qui est celle des fans d’une marque,

sur un réseau social. De cette manière elle fidélise ses fans en leur offrant un

privilège et en recrute de nouveaux.

3. Le Web de flux Avec les nouveaux médias sociaux, les flux s’ajoutent aux contenus : les blogs

sont surtout destinés à créer du contenu (des billets), mais des sites comme Twitter

sont surtout des lieux d’échange de liens (de flux) vers des contenus publiés sur

d’autres sites. Dans un article intitulé « Twitter, le tout à l'ego »56, Titiou Lecoq parle

de « web de flux » en opposition au « web de fond », c’est-à-dire des contenus

publiés. Les médias sociaux évoluent pour devenir en plus d’espaces de publication 56 Slate, Twitter, le tout à l'ego, octobre 2009, http://www.slate.fr/story/11825/twitter-facebook-journalistes-ego

Page 44: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

44

des plateformes de diffusion et de relais. Ceci représente une opportunité pour

diffuser les messages des marques en profitant du bouche-à-oreille amplifié par

Internet.

Avec ce Web du flux, les canaux ne sont plus uniquement des supports de

contenus, ce sont des outils d’agrégation et de diffusion de flux. Netvibes, Twitter ou

encore Facebook sont utilisés pour consulter des contenus publiés sur d’autres

supports : les blogs pour Netvibes, les pages Web pour Twitter ou les activités des

profils amis pour Facebook. Ces échanges de flux permettent le partage

d’informations à l’intérieur d’un réseau choisi. Twitter est un parfait exemple de ce

phénomène : les gens que je suis (follow) sur Twitter font une sorte de pige pour moi

en diffusant les informations qui leur ont semblé intéressantes. En suivant des

personnes qui ont les mêmes centres d’intérêts que moi, j’ai accès à des

informations sur des supports (webjournal, blogs…) que je ne connaissais pas avant

de les découvrir grâce à mon réseau. La hiérarchie de l’information n’est pas

imposée par la « une » d’un journal mais par la popularité de cette information (le

nombre de fois où celle-ci est relayée par les gens que je suis) et la valeur que

j’accorde à la personne qui la diffuse.

Pour le lancement de sa ligne Lady Dior, Dior a créé en mai 2009 une

campagne qui s’appuie sur les médias sociaux. La marque a diffusé un film sur

Internet, en encourageant la diffusion sur les blogs grâce à une bannière spécifique

et des outils pour y intégrer la vidéo ; elle a également créé un compte sur Twitter

pour le teasing de la campagne, qui dévoilait de nouvelles informations sur la « Lady

Noire Affair » tout au long de la campagne. On obtient 462 000 résultats sur Google

pour « lady noire affair », majoritairement des blogs (luxe et mode). Pour cette

campagne, la marque a donc créé des outils spécifiquement dédiés aux médias

sociaux pour favoriser la diffusion. Cette stratégie utilise les filtres sociaux puisque

les consommatrices entrent en contact avec la campagne à travers leur réseau de

sources, que ce soit des blogs ou des profils Twitter.

Nous venons de voir que les modèles traditionnels de communication perdent

de leur efficacité, notamment parce que les consommatrices utilisent des filtres

sociaux pour obtenir des informations, au détriment des médias traditionnels.

Pourtant, les marques hésitent encore à lancer des campagnes de communication

sur les médias sociaux, principalement parce qu’elles se méfient des contenus

générés par les utilisateurs (UGC ou User Generated Content). Nous nous

Page 45: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

45

intéresserons donc à l’UGC pour savoir s’il représente une opportunité ou une

menace pour les marques.

c. L’UGC, opportunité ou menace pour les marques ?

Avec toutes les informations publiées et échangées sur Internet à propos des

marques, celles-ci s’interrogent sur l’exploitation possible des UGC et la façon de

réagir à ses contenus. Nous verrons qu’une nouvelle problématique est née de ce

phénomène : l’e-réputation ou réputation numérique, puis nous analyserons en quoi

ces contenus peuvent représenter une menace pour les marques et comment celles-

ci gèrent les crises sur Internet ; enfin nous étudierons en quoi le pouvoir de

conviction des fans d’une marque représente une opportunité de communication.

1. La question de l’e-réputation L’e-réputation ou réputation numérique est une question qui préoccupe de

nombreuses entreprises. Internet permet aux consommateurs de donner leur opinion

sur les marques. Mais à la différence des discours tenus off line, les opinions

publiées sur Internet restent accessibles même bien après avoir été mises en ligne.

En outre, les UGC et notamment les principaux sites comme YouTube ou les grands

forums sont très bien référencés sur les moteurs de recherche. Lorsque les

internautes font une recherche sur une marque, la grande majorité des résultats

provient des internautes eux-mêmes. Par exemple pour la requête « comptoir des

cotonniers », Google trouve 300 000 résultats ; or le site de marque ne compte que

651 pages référencées sur Internet. Cette visibilité de l’UGC pousse les marques à

s’interroger sur les effets de ces publications sur leur e-réputation et les actions

possibles pour influencer celle-ci.

Un des premiers enseignements des UGC est que tous les contenus n’ont pas

la même visibilité sur les moteurs de recherche, donc pas la même influence sur le

consommateur à la recherche d’information. Parmi les sites les mieux référencés se

trouvent les principales plateformes communautaires telles Wikipedia, YouTube,

Facebook ou les forums et les blogs. Si l’on reprend l’exemple de Comptoir des

Cotonniers, en première page des résultats après les sites de marques figurent les

blogs mode Caroline Daily, Tendances de Mode, Camille d’essayage et le site d’avis

de consommateurs Ciao. Il y a donc différents degrés d’influence sur Internet. L’une

Page 46: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

46

des étapes de la gestion de l’e-réputation réside dans l’identification des personnes

influentes sur Internet et notamment des blogueurs. Pour mettre en œuvre cette

stratégie d’influence digitale, des outils sont apparus sur Internet comme le

classement des blogs sur Wikio, un annuaire de blogs.

A partir de ces informations, les marques ont développé de nouvelles actions

appelées RP digitales. Celles-ci s’apparentent aux Relations Presse classiques mais

ciblent les influents sur Internet, blogueurs et rédacteurs de sites éditoriaux. Les

contenus produits de cette façon remonteront dans les moteurs de recherche et

agiront sur l’e-réputation des marques. Comptoir des Cotonniers communique auprès

des blogueuses mode au sujet des actualités de la marque. Ces actions permettent à

la marque d’être présente sur des blogs populaires et prescripteurs dans le domaine

de la mode. Les blogueuses publient des contenus sur la marque, ce qui augmente

le référencement du site de marques via les liens référents (les liens vers le site de

marque présents dans les billets postés). Ces billets positionnent également la

marque en tant qu’acteur de la mode sur Internet. Cependant ces blogueuses ne

sont pas des journalistes et les stratégies relationnelles diffèrent donc des relations

presse. Les blogs sont incarnés, ils sont intrinsèquement liés à la personnalité des

blogueuses contrairement aux journaux et magazines qui ont une identité propre. Il

s’établit donc un nouveau contrat relationnel basé sur davantage de proximité et qui

cherche à faire vivre aux blogueuses une expérience avec la marque plutôt qu’à leur

fournir des informations. Les blogs ne sont pas objectifs, ils reflètent les opinions des

blogueurs ; les marques doivent donc leur fournir des raisons de parler d’elles. Nous

étudierons les stratégies d’influence digitales plus en détail dans la troisième partie

de ce travail.

2. La menace : gestion de crise sur les médias sociaux L’UGC est parfois perçu comme une menace, car les marques ne contrôlent

pas ce que les internautes disent d’elles. Elles ne peuvent pas empêcher les

critiques et n’ont pas la possibilité de stopper leur diffusion. Comme nous l’avons vu

plus tôt, il est illusoire de vouloir supprimer les mauvaises critiques et même

dangereux, sous peine de déclencher une nouvelle vague de bad buzz. La gestion

de crise sur les médias sociaux préoccupe les marques car peu d’entre elles ont mis

en place une stratégie de défense spécifique. Par conséquent, il est extrêmement

fréquent que l’on n’observe aucune réaction de la part des marques, à moins que

Page 47: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

47

cette crise soit tellement forte qu’elle attire l’attention des médias traditionnels. Dans

ce cas les entreprises retrouvent leur gestion de crise habituelle. Cependant leur

réputation en restera atteinte, Internet conservera toutes les traces de la crise,

archivées dans les moteurs de recherche.

A l’été 2008, L’Oréal a dû faire face à un scandale quand les internautes ont

appris que la marque avait blanchi la peau de Beyoncé, une des égéries de la

marque, pour une campagnes de publicité57. La nouvelle est partie de journaux

américains et s’est très vite retrouvée sur Internet, levant une vague d’indignation.

Après un temps de silence, L’Oréal a démenti l’information avec un communiqué de

presse, qui a été beaucoup moins relayé58. Finalement en janvier 2009, lorsque la

marque a lancé une nouvelle campagne avec Beyoncé, tout le monde a pu

remarquer que la peau de la chanteuse était moins claire59. Le premier problème de

cette gestion de crise est que la réponse de la marque n’a pris en compte que les

médias traditionnels, sans pouvoir atteindre ceux qui avaient mentionné la nouvelle

sur Internet. Le deuxième problème est que la stratégie du démenti, si elle a pu faire

ses preuves auparavant, est beaucoup moins efficace sur Internet.

Ceci nous amène à un élément clé de l’e-réputation : l’exigence de

transparence sur Internet. Ce qu’on appelle familièrement la « langue de bois » est

devenu presque une tradition dans les médias traditionnels. Mais alors qu’avant

chacun pouvait commenter devant sa télévision ou son journal, le phénomène prend

une toute autre ampleur sur le Web. Tout comme la censure, ce type de discours est

vivement critiqué. Dans la gestion de crise face aux internautes, ceux-ci attendent

des marques de la transparence et une implication dans la conversation, plus qu’un

communiqué. Comme nous l’avons vu précédemment, le cas Motrin est devenu un

cas d’école notamment grâce à la gestion de crise de la marque. La responsable

marketing a montré aux internautes qu’elle les avait entendues, elle a répondu à

celles qui avaient critiqué la marque, s’est excusée et a retiré la campagne. Ce sont

toutes ces initiatives qui ont été appréciés des consommatrices. Plusieurs éléments

marquent une nouvelle gestion de la crise : le discours est incarné par un 57 Le Post, Beyonce photoshopée et "blanchie" sur une publicité L'Oréal ?, août 2008, http://www.lepost.fr/article/2008/08/09/1240998_beyonce-photoshopee-et-blanchie-sur-une-publicite-l-oreal.html 58 Staragora, Rebondissement dans l’affaire de la couleur de Beyonce : l’Oréal dément toute manipulation, août 2008, http://www.staragora.com/news/rebondissement-dans-l-affaire-de-la-couleur-de-beyonce-l-oreal-dement-toute-manipulation/122235 59 Just Delicious, Beyonce retrouve sa couleur pour la nouvelle pub de L'Oréal !, janvier 2009, http://blogs.elle.fr/justdelicious/2009/01/07/beyonce-retrouve-sa-couleur-pour-la-nouvelle-pub-de-loreal/

Page 48: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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représentant de l’entreprise identifiable et non un communiqué anonyme et

institutionnel ; le discours s’adresse à celles qui ont déclenché la crise et non à une

audience indéterminée ; la marque reconnaît ses torts et s’excuse, montrant ainsi

qu’elle se préoccupe de l’opinion des internautes. Cette personnalisation de la

communication correspond à la culture des médias sociaux, c’est pourquoi elle a été

bien accueillie sur Internet.

Les marques ne peuvent pas empêcher les critiques et doivent trouver un

moyen d’y répondre de la manière la plus pertinente. Cependant, les médias sociaux

et leur fort pouvoir d’influence représentent également une opportunité de

communication pour les marques qui les utilisent de façon proactive.

3. L’opportunité : le pouvoir de conviction des fans La règle qui veut qu’un consommateur mécontent parlera à beaucoup plus de

monde qu’un consommateur satisfait ne se vérifie pas sur Internet. En effet, en

observant les publications des internautes, on se rend compte qu’ils ont beaucoup

plus tendance à partager une bonne expérience qu’une mauvaise. Et les

consommateurs mécontents se verront proposés de meilleurs produits ou

déclencheront des réactions de ceux qui apprécient le produit qu’ils critiquent. Il

semble qu’il y ait une règle qui promeut les contenus positifs, peut-être en réaction

aux contenus produits par les médias traditionnels, souvent alarmistes ou négatifs.

Combien d’entre nous ont entendu des proches se plaindre du journal télévisé

n’annonçant que des catastrophes ? Combien ont voulu entendre des informations

plus positives ? Il s’avère qu’Internet est perçu comme un lieu de divertissement et

que les contenus les plus positifs sont souvent les plus appréciés. Internet est

également un lieu public, sur lequel chaque internaute est en représentation sociale.

Quand nous sommes en représentation, nous montrons une image positive de nous-

mêmes ; en d’autres termes, parler d’expériences positives sera plus valorisé qu’une

attitude trop critique et peu constructive. Les blogueuses m’ont souvent dit qu’elles

ne rédigeaient que très peu de billets négatifs ; quand une marque les contacte, en

général elles publient un billet si l’information les intéresse, sinon elles ne publient

rien. Ceci est vérifié par un test que j’ai fait sur le moteur de recherche Google.

Page 49: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

49

Voici les résultats pour les requêtes « j’adore cette marque », « j’aime cette

marque », « je n’aime pas cette marque » et « je déteste cette marque » :

41%

19%

38%

2%

j'adore cette marque

j'aime cette marque

je n'aime pas cettemarqueje déteste cette marque

Il y a donc 60% d’opinions positives à propos de marques sur Internet. On

peut également faire le test avec des expressions fréquentes sur les blogs : « coup

de cœur » et « coup de gueule ».

68%

32%

coup de cœurcoup de gueule

Là encore, le positif domine.

Ces sortes de « déclarations d’amour » aux marques ne sont pas rares. Avec

les médias sociaux, les marques découvrent leurs fans, ceux qui se passionnent

pour la marque et ses produits et qui en parlent ou l’affichent sur leur profil dans les

réseaux sociaux. Ces fans représentent une opportunité pour les marques car ils en

deviennent les ambassadeurs. Les témoignages de consommatrices sont souvent

utilisés dans les communications des marques, mais les témoignages des fans –

Page 50: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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ambassadeurs sont encore plus puissants car teintés d’authenticité et de

transparence. Les médias sociaux offrent la possibilité d’identifier ces fans et d’entrer

en contact avec eux. Mieux, ils permettent à ces fans de se retrouver ensemble pour

échanger sur leur passion. L’expérience utilisateur, quand elle est partagée, est un

puissant levier de conviction. Sachant cela les médias sociaux ont proposé des

espaces pour les marques, des pages fan Facebook aux chaînes YouTube. Sur ces

espaces les marques peuvent interagir directement avec leurs fans, recueillir des

informations sur la perception de leurs produits et donner la possibilité aux fans de

partager les informations fournies par la marque au sein de leur réseau de contacts.

Ces fans ont certainement une audience plus restreinte qu’un journaliste, mais ils

sont beaucoup plus nombreux. Au final cette communauté permet non seulement de

construire une relation durable avec les consommateurs en les fidélisant, mais aussi

d’en recruter de nouveaux grâce à l’influence de ces fans – ambassadeurs sur leur

réseau. L’animation d’une communauté et la fidélisation de ses membres nécessitent

un engagement de la marque : les membres attendent autre chose que de

l’information. Le fonctionnement même de la communauté veut que les membres

soient récompensés de leur participation, créant pour l’entreprise une « obligation »

de générosité60.

Ces passionnés deviennent des relais d’opinion auprès d’une communauté.

Cela représente une opportunité pour les marques d’intégrer le jeu des filtres

sociaux, en communiquant auprès des personnes qui diffuseront l’information. Cette

stratégie peut être extrêmement bénéfique pour la marque, tant en termes d’image

que de ventes. Les marques apprennent donc à communiquer sur les médias

sociaux dans l’objectif de créer un bouche-à-oreille positif. Ceci nécessite de modifier

la notion de cible de communication. Dans ce contexte, chaque internaute est à la

fois une cible et un relais ; les fans de la marque qui diffusent l’information se

transforment en médias. Ceci change fondamentalement le mode de communication

des marques ; les médias traditionnels sont des supports, sur lesquels on agit en

achetant de l’espace, mais ces nouveaux médias sont des personnes, avec qui il est

nécessaire de construire une relation. En cela la communication sur les médias

sociaux s’apparente aux relations presse ou aux relations publiques, à la différence

que les marques ne ciblent plus des représentants d’organisation (presse, Etat…)

60 e-conomy, Communauté virtuelle de marque : « obligation » de générosité ?, décembre 2006, http://aziz.typepad.com/economy_blogbuster/2006/12/communaut_virtu.html

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51

mais des membres de réseaux relationnels. L’une des critiques souvent avancées

contre la mise en place de ce type de stratégie s’appuie sur le fait qu’une telle

communication ne touche pas autant de personnes qu’une campagne sur les médias

de masse par exemple. Cette question du volume et de diffusion revient très souvent

à l’esprit des annonceurs. Une première réponse est d’interroger cette notion de

volume : est-il réellement profitable à la marque de toucher beaucoup de personnes,

dont peut-être 80% ne prêtent pas attention au message, ne sont pas concernées,

voire sont irritées par une publicité qu’elles considèrent comme intrusive ? Ou est-il

préférable de ne toucher que les personnes qui seront intéressées, en laissant aux

ambassadeurs – relais le choix des personnes à qui ils diffuseront l’information ? Une

deuxième réponse a été apportée par Kevin Kelly dans son billet intitulé « 1,000 True

Fans »61. Ce blogueur démontre comment un artiste peut, en créant une

communauté de 1 000 fans inconditionnels, vivre de sa musique. L’enseignement de

cette réflexion est que le volume de diffusion n’est pas toujours une garantie de

succès ; les marques doivent connaître le seuil de contacts à partir duquel elles sont

rentables ainsi que celui à partir duquel elles augmentent leurs ventes. Au nombre,

qui est habituellement la référence des professionnels du marketing, s’ajoute un

critère qualitatif : celui de l’intensité de l’attachement à la marque. Si l’on couple cette

réflexion au potentiel viral des médias sociaux, avec 1 000 fans inconditionnels, qui

posteront des informations sur une marque, et en partant de l’hypothèse qu’ils

touchent chacun 100 personnes, un message aura atteint 100 000 personnes. La

propagation virale fonctionne en cascade : sur ces 100 000 personnes, une certaine

proportion diffusera à son tour l’information, etc. Un message peut donc atteindre un

nombre très important de personnes, mais cela dépend de la qualité du message. Si

celui-ci est bien fait, il donnera envie aux internautes de le diffuser, apportant ainsi de

la visibilité à la marque.

Les médias sociaux font donc évoluer le discours des marques, qui

s’approprient de nouveaux espaces de communication centrés sur les relations

sociales : les communautés. Les diverses stratégies mises en place sont aujourd’hui

identifiées comme du Community Management Marketing. Cette nouvelle expertise

se présente comme un nouveau champ de la communication avec des règles qui lui

61 The Technium, 1,000 True Fans, mars 2008, http://www.kk.org/thetechnium/archives/2008/03/1000_true_fans.php

Page 52: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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sont propres. Elle est devenue un enjeu pour les professionnels du marketing, car

ces nouveaux experts doivent aujourd’hui se positionner par rapport aux autres

acteurs de la communication. Face aux craintes des marques, les experts de la

communication sur les médias sociaux défendent cette nouvelle stratégie auprès des

représentants des marques, vantant les bénéfices de ces actions en termes de ROI.

Ils participent également à la professionnalisation de cette expertise en définissant

des méthodes et des métiers spécifiques.

Page 53: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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III. La naissance d’une nouvelle expertise : le CMM

Les changements que nous avons pu observer changent complètement les

stratégies de communication des marques. Les médias sociaux ont modifié les

attentes et les comportements des consommatrices, pendant que les modèles

traditionnels de communication des marques perdent de leur efficacité. Les nouvelles

stratégies qui ont vu le jour avec les médias sociaux appartiennent à un nouveau

champ du marketing : le Community Management Marketing (CMM). Alors que cette

expertise se construit actuellement, le terme même de CMM n’est pas le seul qui la

définisse : certains parlent de Social Influence Marketing (SIM) ou de Websocial

Marketing, les appellations sont nombreuses. Je choisirai ici de parler de CMM, car

c’est selon moi le terme qui souligne le plus la dimension communautaire de cette

expertise, donc ce en quoi elle diffère des autres stratégies marketing le plus

fondamentalement.

Nous verrons dans cette dernière partie en quoi le CMM représente un

nouveau domaine de la communication, puis nous nous intéresserons aux enjeux de

ces nouvelles pratiques pour les professionnels ; enfin nous aborderons les

nouveaux métiers qui ont émergé avec le CMM et les questions que cela pose pour

les organisations.

a. Un nouveau domaine de la communication

Le CMM se présente comme un nouveau domaine de la communication car il

diffère des autres techniques utilisées jusqu’à présent. Dans la relation aux

consommateurs, il vient enrichir et renouveler le CRM (Customer Relationship

Management). Il convient tout d’abord de définir le CRM pour analyser ensuite les

effets du CMM dans ce champ de la communication. Le CRM ou politique

relationnelle est définie comme « une stratégie et un processus organisationnel qui

vise à accroître le chiffre d’affaires et la rentabilité de l’entreprise en développant une

relation durable et cohérente avec des clients identifiés par leur potentiel d’activité et

de rentabilité »62. Le CRM jusqu’à présent consistait en une relation individualisée

avec les clients : « le Customer relationship management ne consiste à rien d’autre

62 J. Lendrevie, J. Levy, D. Lindon, Mercator, 8e édition, Dunod, Paris, 2006, p. 880

Page 54: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

54

qu’à additionner marketing relationnel, one to one et désintermédiation. »63 Le

marketing relationnel est défini comme « une politique et un ensemble d’outils

destinés à établir des relations individualisées et interactives avec les clients, en vue

de créer et d’entretenir chez eux des attitudes positives et durables à l’égard de

l’entreprise ou de la marque »64. Les auteurs du Mercator reviennent sur l’évolution

du marketing selon différentes étapes : orientation production, marketing de masse,

marketing différencié et finalement marketing personnalisé et interactif. Le

Community Management Marketing fait franchir au marketing une nouvelle étape,

passant d’une relation personnalisé et individualisée à une approche

communautaire. En effet, il opère plusieurs changements concernant la cible de ses

actions, la posture de communication et le rapport au temps dans les relations qu’il

met en place avec les clients.

1. Une nouvelle cible : la communauté Le marketing direct établit une relation individualisée et désintermédiée avec

les consommateurs. Le CMM ne s’adresse pas à des individus mais à des

communautés. Il ne cherche pas forcément la désintermédiation car son but est de

favoriser le bouche-à-oreille en utilisant le potentiel viral d’Internet ; un de ces

objectifs est donc d’encourager les intermédiaires. Mais ces intermédiaires sont des

personnes et non des médias ; aussi, le CMM saisit l’opportunité des filtres sociaux

pour diffuser les messages de la marque en s’appuyant sur des logiques

communautaires. Or les marques n’ont pas (encore) de bases de données sur les

communautés. Cela implique donc de connaître les endroits où l’on parle de la

marque grâce à une analyse des échanges communautaires et de hiérarchiser ces

endroits pour cibler les communautés au plus fort potentiel de diffusion et pertinentes

pour la marque. C’est en cela que les travaux sur l’e-réputation apportent des

données extrêmement utiles aux entreprises. Dans l’évolution des techniques de

ciblage des consommateurs, après le one to mass et le one to one, nous arrivons

donc au one to few. J’ai choisi le terme de one to few en référence à Stendhal, qui

dédicaçait ses livres « to the happy few ». Il me semble que cette logique s’applique

au marketing communautaire, qui s’adresse à « l’heureuse élite », celle qui influence

63 S. BROWN, CRM Customer Relationship Management, Village Mondial, Paris, 2006 64 J. Lendrevie, J. Levy, D. Lindon, Mercator, 8e édition, Dunod, Paris, 2006, p. 847

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55

les opinions sur les marques via Internet, ainsi qu’aux « âmes sensibles », celles

sont en affinité avec la marque.

Or, dans cette stratégie relationnelle communautaire, la conversation existe

avant que les marques ne prennent la parole. Un des bouleversements majeurs lié

au Web social fait évoluer le marketing d’un discours sur les choses (produits,

marques) à un discours sur les gens et la façon dont ils entrent en interaction65. Alors

qu’en marketing direct la relation n’existe pas tant que la marque n’a pas pris contact

avec le consommateur, dans une stratégie CRM celle-ci doit s’adapter à une

communauté préexistante si elle veut que sa stratégie soit efficace. Pour ce faire, les

ressources dont elle a besoin sont particulières ; elle qui devait connaître le

consommateur (habitudes de consommation, goûts, attitudes, genre, âge…) doit

apprendre à apprivoiser une culture communautaire. Cette culture se fonde sur les

spécificités de cette communauté qui font que les membres se reconnaissent grâce à

certains codes. Ces codes peuvent être linguistiques (une écriture particulière, des

mots créés par la communauté), sémiotiques (par exemple l’utilisation des

émoticônes sur les forums destinés aux mamans), culturels (on observe souvent des

références typiques pour une communauté, comme Star Wars pour les fans

d’informatique). Pour comprendre ces logiques communautaires, les experts des

médias sociaux parlent de mèmes. Un même est « un élément culturel

reconnaissable (par exemple : un concept, une habitude, une information, un

phénomène, une attitude, etc.), répliqué et transmis par l'imitation du comportement

d'un individu par d'autres individus »66. Vulgarisé sur Internet, un mème correspond

souvent à une expression typique que l’on retrouve dans les échanges d’une

communauté sur Internet. Un exemple de mème très répandu sur la Toile est le

fameux « tu sors » ou sa variante « ok je sors » pour signifier en général qu’un des

intervenants de la conversation est « sorti » des règles de la discussion (mauvaise

blague, propos trop agressif, intervention hors sujet…). Cette notion de mimétisme

communautaire a même inspiré le nom d’un site : tweetmeme67, dont le but est de

recenser et de hiérarchiser les contenus publiés sur Twitter en fonction du nombre de

fois où ceux-ci ont été repris (ou retweetés).

65 Baekdal, How the Social Web Destroys Traditional Marketing, octobre 2009, http://www.baekdal.com/articles/management/traditional-marketing-social-web/ 66 http://fr.wikipedia.org/wiki/Mème 67 http://tweetmeme.com/

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56

Un des éléments fondamentaux des communautés est, comme nous l’avons

vu, ce principe horizontal et non hiérarchique qui régule les interactions entre les

membres de la communauté. Cependant en analysant le fonctionnement des

communautés, on se rend compte qu’elles sont toujours associées à une forme de

leadership. Pour comprendre « la dynamique des groupes », les auteurs du Mercator

citent les travaux de Kurt Lewin, qui a développé des recherches pour comprendre

les jeux d’influence à l’intérieur des groupes68. Il évoque notamment les leaders

d’opinion. Dans un groupe, le leader d’opinion a une position particulière qui rompt

avec l’horizontalité de la communauté : « le leadership est le pouvoir d’influence du

leader, c’est-à-dire sa capacité à faire reconnaître la prééminence de son opinion. Le

pouvoir du leader est fondé soit sur son aptitude à personnifier les valeurs qui

réunissent le groupe, soit sur son expertise, soit sur sa position particulière au sein

du groupe ». Dans son livre Tribes, Seth Godin s’intéresse également à cette notion

de leadership communautaire et à ses implications pour les marques. Il définit une

tribu comme « un groupe de personnes connectées entre elles, connectées à un

leader et connectées à une idée »69. Pour les blogs mode, c’est le rôle que jouent les

blogueuses pour la communauté des lectrices. Comme le souligne Delphine,

créatrice du blog Deedee70, à l’intérieur de la communauté « mode », il existe des

sous-communautés, « aussi nombreuses que les personnalités » (entretien en

annexe). Chaque blogueuse est de donc leader dans sa communauté. Isabelle

Juppé dans son livre La femme digitale écrit à propos de la relation d’une blogueuse

avec ses lectrices : « ses internautes, elle les materne comme une maman ou plutôt

comme un grande sœur qui veille à donner les bons conseils, les bons plans, qui suit

les conversations sur son blog, tout en les protégeant »71. Pour les marques, cette

notion de leadership enrichit la stratégie de ciblage communautaire. Elles s’adressent

en réalité à deux types de communautés : les communautés mono-marque et les

communautés multi-marques. Dans les communautés mono-marque, la marque joue

le rôle de leader ; le centre d’intérêt fédérateur de la communauté est la marque elle-

même, comme par exemple sur les pages fan de Facebook. La marque, dans ce

cadre, crée une relation directe avec les membres de la comunauté. Dans les

communautés multi-marques, le sujet fédérateur est plus large et concerne des 68 J. Lendrevie, J. Levy, D. Lindon, Mercator, 8e édition, Dunod, Paris, 2006, p. 159 69 S. GODIN, Tribes, we need you to lead us, PORTFOLIO, New York, 2008, p. 1 70 http://www.deedeeparis.com/blog/ 71 I. Juppé, La femme digitale, JC Lattès, Paris, 2008, p. 121

Page 57: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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thématiques comme la mode, la beauté ou la cuisine. Ces communautés sont déjà

organisées autour de leaders comme les blogueuses. Ici, la marque entre en contact

avec les leaders de communautés, qui font office d’intermédiaire entre la marque et

les membres de la communauté. Il existe donc deux modes de communication dans

le CMM : une communication bottom up et une communication top down. La

communication bottom up concerne les communautés mono-marque et consiste à

s’adresser à la communauté directement (bottom) et à recueillir et analyser ses

réactions (up) ; la diffusion est horizontale, les membres de la communauté relayant

le discours de marque au sein de leur réseau. La communication top down concerne

les communautés multi-marques et consiste à s’adresse aux leaders des

communautés (top) pour qu’ils diffusent l’information au sein de celles-ci (down) ; la

diffusion est pyramidale, les influents relayant l’information à l’ensemble des

membres de leur communauté.

2. Une nouvelle posture de communication : la conversation Ce changement de cible induit des évolutions dans les modes de

communication des marques vers les consommateurs. La communication de masse

s’apparente à un monologue : la marque parle à une audience qui n’a pas la

possibilité de lui répondre. Le marketing direct est un dialogue : la marque s’adresse

à un individu qui peut répondre, même si l’interactivité reste très limitée. Avec le

Community Management s’ouvre un « trialogue ». Le « trialogue » signifie que les

conversations se font de la marque à un membre de la communauté, d’un membre

de la communauté à la marque et entre membres de la communauté. Ce mode de

communication multiplie les opportunités de prise de parole pour les marques. Elles

ne sont plus les seules à créer des conversations et peuvent adopter une posture

tant proactive (par exemple en annonçant le lancement d’un nouveau produit) que

réactive ; elles peuvent apporter une réponse à une personne qui a posé une

question ou intervenir dans une conversation entre membres pour apporter des

informations supplémentaires. C’est ce dernier point, celui de la réactivité, qui est

nouveau dans la démarche des entreprises. Avec le CMM, on quitte la mécanique du

stimulus – réponse pour entrer dans une communication plus circulaire et faisant

intervenir de multiple acteurs, la conversation. Le modèle de diffusion de Shannon et

Weaver72 n’est plus d’actualité dans la sphère conversationnelle. La théorie de

72 W. Weaver, Théorie mathématique de la communication, Retz, Paris, 1975

Page 58: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

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Weaver fonctionne selon un schéma linéaire : la source (de l’information) produit un

message (la parole au téléphone), l’encoder, ou l’émetteur, transforme le message

en signaux afin de la rendre transmissible (le téléphone transforme la voix en

oscillations électriques), le canal, qui est le moyen utilisé pour transporter les

signaux, et la destination, qui est la personne ou la chose à laquelle le message est

transmis. Si cette théorie a été enrichie avec de nouveaux éléments, notamment le

feedback, qui montre que le récepteur n’est pas passif, le fait que le récepteur

participe à la diffusion de l’information et que le canal lie l’émetteur à une multiplicité

de récepteurs est nouveau dans la pensée de la communication. Nous passons

d’une logique de diffusion de l’information à celle d’une circulation et d’un partage de

l’information.

Les contacts personnalisés que les marques entretenaient avec les

consommateurs n’étaient pas réellement un dialogue. Au mieux on leur demandait

leur avis via un questionnaire, au pire ils recevaient juste un emailing ou un mailing à

leur nom, sans véritable possibilité de répondre. C’est d’ailleurs une des limites

identifiées du marketing relationnel : « la politique relationnelle est, de façon

paradoxale, souvent mise en place de façon unilatérale, comme un moyen

supplémentaire de contrôler ou d’influencer le client. Qu’en est-il alors de l’idée de

réciprocité mise en avant dans les discours sur le marketing relationnel ? Une

relation passe par un équilibre entre donner et obtenir alors que les programmes de

marketing relationnel sont souvent conçus comme une relation univoque de

l’entreprise au client. […] La plupart du temps l’implication du client reste relativement

faible. […] On ne peut pas pratiquer de marketing relationnel sans réciprocité : le

marketing relationnel est bien plus que l’application de certains outils, c’est une

certaine façon de penser la relation entre l’entreprise et les clients, d’adopter une

orientation vers les clients. »73 A ce niveau, on peut dire que le CMM remplit les

conditions d’une véritable politique relationnelle, car les membres de la communauté

ont et revendiquent même un droit de réponse. De plus cette réponse est publique,

visible par tous. Les marques doivent s’adapter à cette réciprocité ; l’influence ne

passe plus uniquement par la diffusion d’informations, elle est liée à la gestion de la

relation. Il s’agit d’une relation complexe, de groupe, dans laquelle la marque n’est

pas, au moment où elle prend la parole, la seule à chercher à contrôler ou influencer

73 J. Lendrevie, J. Levy, D. Lindon, Mercator, 8e édition, Dunod, Paris, 2006, p. 851

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les membres de la communauté. Si la marque ne respecte pas ce droit de réponse,

soit en supprimant les interventions des membres, soit en n’y réagissant pas, elle

rompt le contrat communautaire. Le CMM implique donc un échange, une réciprocité

dans laquelle la marque est très loin de contrôler les interactions. Il s’agit d’une

ouverture qui implique de nouvelles mesures de l’efficacité d’une telle stratégie.

Avant le critère principal était l’acte d’achat généré par la communication de marque.

Aujourd’hui s’ajoute le critère de l’interaction, soit la qualité de la réaction des

interlocuteurs dans la conversation.

Le « trialogue » et le droit de réponse des internautes engagent les marques

sur une voie nouvelle. Les stratégies de communication ont pendant longtemps eu

pour but de contrôler le discours à propos des marques. Aujourd’hui elles ne sont

plus les seules à s’exprimer publiquement, dans une communauté chaque

publication d’un membre touche le même nombre de personnes, si ce n’est plus en y

ajoutant son réseau personnel, que les publications officielles des marques. La

notion de contrôle fait place à celle d’influence. Le but du CMM n’est pas de ne pas

agir sur les conversations, au contraire. Le CMM vise à orienter celles-ci et à faire

participer les marques à des discussions qui jusque là avaient lieu sans elles. Elles

ne peuvent plus contrôler complètement leur réputation numérique, mais en étant

présente elles peuvent faire progresser la relation qu’elles entretiennent avec leurs

clients. Dans le cas d’une information fausse elles sont légitimes pour la démentir,

tout en respectant évidemment la règle de la transparence. Dans le cas de critiques,

positives ou négatives, sur la marque, elles peuvent adapter leur stratégie en

fonction de ces retours. Ce dernier point touche tous les éléments du mix. Une

marque peut par exemple décider de vendre ses produits en ligne après avoir

remarqué que plusieurs consommatrices se plaignent de ne pas trouver de magasins

distribuant ce produit à proximité de chez elles (c’était le cas de Comptoir des

Cotonniers avant l’ouverture de sa e-boutique l’année dernière). Les remarques des

consommateurs peuvent concerner le prix, le packaging plus ou moins pratique, la

qualité des produits, la distribution comme dans l’exemple ci-dessus et l’adhésion ou

non à une campagne de publicité, une signature… Le partage d’informations avec

les consommateurs intervient donc dans la stratégie des marques, au même titre que

les études de marché ou d’opinion, à la différence que ces données ont l’avantage

d’être mises à jour en temps réel.

Page 60: [Mémoire] En quoi l’émergence des médias sociaux bouleverse-t-elle les stratégies CRM des marques ?

60

3. Un nouveau rapport au temps : le temps relationnel Le temps des communications des marques était rythmé par un calendrier

précis et défini par les marques elles-mêmes : lancement de produits, campagnes de

publicité, résultats financiers… Les seuls « accrocs » étaient les communications de

crise, heureusement très peu fréquentes. Mais dans une stratégie CMM, les marques

entrent dans le temps relationnel, les interventions se font certes aux mêmes

moments forts de la marque, mais aussi régulièrement, quasi tous les jours, selon

l’activité des communautés et les sujets abordés. Cela demande une forte réactivité

des marques et une flexibilité d’organisation. Les marques doivent respecter les

règles de la conversation et être réactives à court terme. La gestion de la relation

communautaire n’est pas événementielle, elle demande un investissement quotidien.

Cette réactivité court terme se conjugue avec une démarche long terme de

construction d’une relation avec les consommateurs. L’objectif du CRM est, comme

nous l’avons vu, de développer une relation durable entre une marque et ses clients.

Le CMM, dans cette même logique, cherche à créer des liens avec des

communautés sur le long terme. Comme tout processus relationnel, cela prend un

certain temps. Le nombre de fans de marques sur les pages Facebook évolue

chaque jour ; tous les jours de nouveaux fans s’inscrivent, quelquefois certains se

retirent de la communauté (mais ils sont minoritaires). Les effets de la démarche

relationnelle de la marque ne se font pas sentir immédiatement, contrairement aux

opérations événementielles qui ont pour but de déclencher une réaction des

consommateurs rapidement : l’achat suite à une offre promotionnelle, la

mémorisation suite à un spot télévisé. Le CMM renforce les liens qui existent déjà

avec la marque et capitalise sur le passé relationnel entre une marque et ses clients.

Le CMM est enfin soumis à la temporalité propre à Internet, sur lequel

information récente et anciennes se mélangent. Sur les moteurs de recherche, les

résultats sont classés par pertinence, non par ordre chronologique. Le temps est

étendu, ce qui fait que les actions communautaires peuvent avoir des effets bien

après avoir été mises en place. Dans le cadre de mon travail de community

manager, j’ai par exemple mis en ligne la campagne de publicité « Blédilait » sur la

chaîne Dailymotion de Blédina74. La vidéo a été mise en ligne au moment où la

publicité était diffusée en télévision. Il est intéressant de noter que même après la fin

74 http://www.dailymotion.com/bledina

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61

de la campagne TV les internautes ont continué à visionner et à commenter la vidéo.

A la fin de la campagne, en mars, on comptabilisait 60 000 vues de la vidéo, en

novembre il y en a 140 000. C’est une illustration de la long tail, analysée

précédemment dans ce travail. Ceci a des répercussions en termes de mesure

d’efficacité des actions de communication. En effet, il est difficile voire impossible de

définir une date de fin aux actions de communication communautaires. L’évolution de

la relation dans le temps est donc le critère principal à prendre en compte, plus

qu’une photographie de la réaction des consommateurs à un instant T. La

perspective d’analyse des actions de communication s’en voit donc modifiée. Les

autres actions sont comparées entre elles, les bonnes performances sont identifiées

comme celles qui sont au-dessus de la moyenne. Avec le CMM, l’analyse s’inscrit

dans le temps relationnel, c’est l’évolution de l’attitude et des comportements des

consommateurs qui donnent une sorte de baromètre de la relation.

Le CMM se présente donc comme un nouveau modèle de communication

vers les consommateurs car il respecte des règles particulières. Il opère un

changement dans la cible de communication, s’adressant aux communautés plus

qu’aux individus, modifie le mode de communication en créant une conversation

avec les communautés et s’inscrit dans une temporalité propre. Le CMM implique

des changements des professionnels eux-mêmes dans leurs compétences et leurs

choix stratégiques, de même qu’il peut avoir des effets sur les organisations. Nous

analyserons dans ce deuxième point les enjeux du CMM pour les professionnels de

la communication.

b. Les enjeux professionnels du CMM

La naissance de cette expertise implique certains bouleversements pour les

professionnels du marketing et de la communication ; ceux-ci doivent arbitrer pour

mettre en place ou non de telles stratégies. Le CMM vient s’ajouter aux autres

stratégies utilisées par les marques, modifiant le budget dédié à la communication ;

le premier enjeu est donc celui de la valorisation de l’expertise CMM. En outre, le

CMM met en avant le facteur humain, là où les professionnels étaient plus habitués à

réfléchir en termes de chiffres et de volumes. Enfin, l’analyse de l’univers

concurrentiel des marques s’enrichit de nouvelles données à prendre en compte.

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1. La valorisation de l’expertise CMM Avec l’émergence du CMM, ces nouveaux experts cherchent à convaincre les

décideurs de mettre en place des actions communautaires ; l’un des arguments

majeurs s’appuie sur les profits que celles-ci peuvent générer. La valorisation du

CMM est un enjeu capital pour développer ces nouvelles stratégies de marque. Les

études qui prouvent les avantages financiers à mettre en place des stratégies CMM

se multiplient. Par exemple, l’une des conclusions du rapport Engagement db de

200975 souligne une corrélation entre l’engagement des marques dans les médias

sociaux et leurs résultats financiers. Selon cette étude, les entreprises les plus

performantes sont celles qui ont le mieux développé des stratégies CMM.

Cependant, cette étude comme beaucoup d’autres montre une corrélation et non un

lien direct de cause à effet entre le CMM et les résultats financiers. On pourrait

penser par exemple que les entreprises citées dans ce rapport (Starbucks, Dell…)

étaient déjà performantes financièrement avant d’engager des actions

communautaires.

Malgré de nombreuses publications sur Internet à propos du ROI (retour sur

investissement) des médias sociaux76, force est de constater que celui-ci est

difficilement mesurable. Pour le moment, la valorisation du CMM s’appuie surtout sur

des hypothèses et des cas d’opérations particulièrement réussies. Pourtant c’est un

sujet largement débattu et qui monte en puissance ces derniers temps, car il est l’un

des arguments majeurs des experts CMM ; une recherche Google pour « social

media roi »77 fait apparaître 570 000 résultats, dont 344 000 sur l’année passée et

153 000 sur le dernier mois.

75 Engagement db, The world’s most valuable brands. Who’s most engaged?, Juillet 2009, http://www.engagementdb.com/downloads/ENGAGEMENTdb_Report_2009.pdf 76 Mashable, HOW TO: Measure Social Media ROI, octobre 2009, http://mashable.com/2009/10/27/social-media-roi/ 77 Recherche effectuée le 7 novembre 2009

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63

C’est également un thème de plus en plus recherché sur Internet, comme

nous l’indique Google Insight for Search :

Les publications sur le ROI des actions sur les médias sociaux valorisent cette

expertise « en négatif ». Ces études ne montrent pas explicitement ce que les

marques gagnent à mettre en place des stratégies de CMM mais plutôt ce qu’elles

perdent à ne pas le faire. L’un des arguments avancés par ces nouveaux experts

s’appuie sur les cas entreprises. Comme dans l’étude précédemment citée,

l’hypothèse est que si les marques engagées dans le CMM continuent et

développent ces stratégies, c’est qu’elles y gagnent. Un deuxième argument pour

valoriser cette expertise est que les marques passent à côté d’une opportunité si

elles ne s’engagent pas sur les médias sociaux, car une autre marque risque de le

faire et de se positionner au niveau des communautés clés. Enfin une troisième

motivation pour les marques s’appuie sur les économies réalisées en mettant en

place des campagnes CMM par rapport à des campagnes traditionnelles.

La valorisation du CMM fait donc débat, surtout parce que les modèles de

mesure de l’efficacité des campagnes de communication ne s’appliquent pas

exactement aux actions communautaires. En effet, dans le CMM, en tant que

stratégie relationnelle, le facteur humain est primordial alors qu’il n’est que

secondaire dans les autres actions de communication mises en place par les

marques.

2. Le facteur humain Le CMM met le facteur humain au premier plan, ce qui a certaines

conséquences pour les professionnels de la communication. Ils doivent

premièrement adapter leurs critères d’évaluation des campagnes ; la majorité des

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actions de communication se mesurent en fonction des de leurs effets directs sur les

consommateurs en termes d’usages et attitude. Le CMM s’intéresse davantage aux

interactions (commentaires, débats, avis…) provoquées par les actions

communautaires. La mesure de l’efficacité se complexifie car elle intègre des critères

qualitatifs ; le CMM mesure non seulement le nombre de commentaires par exemple,

mais il les analyse aussi pour comprendre comment les communautés et les

consommateurs réagissent face à la marque. La sémiotique et la compréhension du

processus de transmission de l’information sont essentielles pour évaluer les actions

communautaires. Ceci implique une évolution des compétences professionnelles,

afin d’appréhender l’aspect relationnel et humain inhérent au CMM.

Cette importance du facteur humain apporte une nouvelle perspective aux

stratégies de fidélisation existantes. En dehors du CMM, celles-ci proposent

essentiellement des motivations financières (systèmes de points, d’ancienneté pour

obtenir des réductions) ou des services pour fidéliser les clients mais très peu de

marques utilisent le levier émotionnel et relationnel pour fidéliser leurs clients. Le

CMM joue sur la fierté d’appartenance à un groupe et la participation dans une

optique de fidélisation. Ben & Jerry’s France, sur son blog78 et sa page Facebook79,

propose à ses fans de participer au concours « Mettez-vous aux parfums »

(traduction française du concours international « Do the World a Flavor »). Pour ce

concours, les fans peuvent présenter leur candidature, voter pour le participant qui

représentera la France au concours et faire des pronostics pour deviner quelle sera

la glace gagnante. De cette manière, les fans sont impliqués dans l’innovation

produit et peuvent suivre les différentes étapes du concours, ce qui permet à Ben &

Jerry’s de fidéliser les membres de sa communauté.

Enfin le facteur humain concerne aussi bien la marque que la façon dont elle

s’adresse aux communautés. Le discours de la marque est incarné et la personne

qui représente celle-ci a un rôle particulièrement important. Pour les professionnels,

le choix du community manager et la relation qu’il crée avec la communauté est

stratégique.

78 http://www.benjerry.fr/blog/ 79 http://www.facebook.com/benjerryfr

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65

La personne qui animera la communauté a autant d’importance, voire plus,

que la stratégie qu’elle mettra en place, comme le montrent les tendances de

recherche sur Google, qui placent la recherche « community manager » avant celle

de « community management » :

Source : Google Insight for Search

Le facteur humain joue donc un rôle important dans le recrutement de

professionnels. Ces professionnels sont exposés sur Internet, ils sont identifiés, à la

différence de communication de marques anonymes, qui ne mettent pas en avant les

personnes qui travaillent sur ces communications. Sur le blog de Ben & Jerry’s

précédemment cité, Xuoan est clairement identifié comme le rédacteur du blog, sur

les billets et dans les commentaires. En tant que community manager moi-même, j’ai

pu constater que notre identité ne se limite pas à notre fonction, dans le sens où par

exemple certains blogueurs ont parlé de moi dans des billets qui avaient pourtant

pour sujet des communications de marque. On peut citer ici Violette de Sois belle et

parle : « Depuis, avec la dame de Comptoir des Cotonniers, on est nouvelles

meilleures amies. Et là, elle m’envoie un mail pour me dire ça va ? T’as pas trop

chaud ? Je réponds, non, non, tout va bien, j’ai la clim’. C’est te dire comme elle est

drôlement gentille avec moi, alors qu’on est pas nouvelles meilleures amies depuis

des années non plus. »80 Cette incarnation de la parole de la marque est liée aux

médias sociaux eux-mêmes et aux règles de communication qui s’y appliquent :

chaque intervention est associée à une personne par un nom ou un pseudo, que ce

soit la personne qui crée un contenu ou celle qui le commente.

80 http://soisbelleetparle.fr/deuxieme-demarque-comptoir-des-cotonniers-nouvelle-collection

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3. Concurrence et CMM Les nouveaux enjeux du CMM concernent la valorisation de cette expertise, la

prise en considération du facteur humain et l’univers concurrentiel des marques.

L’analyse de la concurrence utilise des critères comme la part de marché ou la part

de voix. Avant les médias sociaux, les marques ne s’intéressaient pas vraiment à la

part de voix des consommateurs et la popularité des marques auprès de certaines

communautés. Avec la mise en place de stratégies communautaires, la veille

concurrentielle s’enrichit de nouvelles données qui permettent d’analyser la place

des marques dans les communautés de consommateurs. En dehors des médias

sociaux, une marque récolte des informations sur les éléments produits par ses

concurrents (publicités, PLV, packaging…) et les canaux utilisés (choix du support,

investissement…). Les marques peuvent aussi mener des études auprès des

consommateurs, sous forme de questionnaires ou de focus groupes ; mais les

résultats de ces études sont limités, ils ne sont pas forcément représentatifs et les

réponses des consommateurs sont biaisées par le paradoxe de l’observateur. Selon

Labov, le fait même d’interroger une personne a une influence sur ses réponses. Les

médias sociaux fournissent des informations complémentaires, car les marques

peuvent observer en temps réel et sans l’effet du paradoxe de l’observateur les effets

des communications de marques sur les communautés cibles.

La popularité des marques par rapport à leurs concurrents devient un nouvel

enjeu stratégique. Le potentiel viral des communautés les assimile à des leaders

d’opinion, que les marques essaient de séduire. Il est intéressant de noter que la

taille des communautés ne reflète pas toujours la part de marché d’une marque. L’un

des exemples les plus flagrants est celui d’Apple, qui compte plus de 1,4 millions de

fans sur Facebook alors que Microsoft en a 250 000 ; pourtant Apple ne représente

que 5% des ordinateurs dans le monde81. La popularité d’Apple et notamment ses

campagnes de communication comparative ont eu des conséquences sur les

campagnes de Microsoft, comme le montre la dernière publicité pour Windows 7 et le

clin d’œil aux campagnes d’Apple avec la phrase « je suis PC ». Le fait est que le

succès populaire d’une marque peut en faire un concurrent de poids. La marque de

Smoothie Innocent s’est développée sans utiliser les moyens traditionnels de

81 http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/10/22/guerre-de-communication-entre-apple-et-microsoft-pour-le-lancement-de-windows-7_1257024_651865.html

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communication ; sa stratégie de communication s’est principalement appuyée sur

Internet, la première campagne Innocent en télévision ne datant que de cette année.

La plupart des médias sociaux abolissent les frontières notamment en termes

de communication de marque. Le fait que de nombreux internautes français aient vu

la campagne comparative d’Apple en est la preuve. Sur Facebook, la communauté

des fans d’une marque est internationale ; sur YouTube, tous les internautes ont

accès aux vidéos publiées partout dans le monde. Pour les marques, l’accès à ces

contenus permet d’élargir le champ de la veille concurrentielle. L’analyse de

campagnes ou de concurrents sur d’autres marchés, de même que leurs effets sur

les communautés d’internautes apportent un éclairage nouveau à la connaissance

d’un marché. Les marques qui adaptaient leurs campagnes aux marchés nationaux

doivent être beaucoup plus vigilantes car celles-ci sont vues au-delà de leur territoire.

Ce genre de segmentation des campagnes peuvent même provoquer des crises

pour les marques. Microsoft en a récemment fait l’expérience avec sa campagne

destinée aux professionnels82. Pour cette campagne aux Etats-Unis, le visuel utilisé

par Microsoft représentait trois personnes : deux hommes, un de type asiatique et un

de type africain, ainsi qu’une femme blanche. Pour cette même campagne en

Pologne, l’entreprise avait effacé l’homme noir pour le remplacer par un blanc. Avec

Internet, cette campagne a fait le tour du monde, au point que la firme a dû s’excuser

et a changé le visuel utilisé en Pologne. Ceci montre à quel point Internet influe sur

les stratégies des marques en décloisonnant les marchés et en les poussant à

adopter une position cohérente à l’international. L’univers concurrentiel est donc de

moins en moins défini par les frontières géographiques.

c. Les métiers du CMM

Après avoir montré en quoi le CMM représente un nouveau domaine de la

communication et analysé les enjeux de cette expertise pour les professionnels, il

convient d’étudier comment le CMM a fait émerger de nouveaux métiers de la

communication. Nous distinguerons premièrement trois domaines d’expertise. Puis

nous nous intéresserons à ces experts autodidactes. Enfin nous interrogerons sur la

place et le rôle de ces experts dans l’entreprise.

82 http://www.lepost.fr/article/2009/08/26/1670265_quand-microsoft-efface-un-npoir-de-ses-pub-pour-la-pologne.html

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1. Trois domaines d’expertise Le Community Management Marketing recouvre divers compétences que

nous pouvons catégoriser en trois domaines : la technologie, les études et la

stratégie. La technologie pour les experts en CMM concerne tous les métiers de

production de médias sociaux. Avec Internet, la compétence technique et la maîtrise

technologique deviennent indispensable pour mener une stratégie on line. Comme

nous avons pu le constater, ce sont les innovations technologiques, autrement dit le

Web 2.0, qui ont permis l’émergence des médias sociaux et du CMM. La complexité

des outils sociaux et leur évolution extrêmement rapide imposent une expertise

particulière. Ces experts sont généralement des ingénieurs, avec une formation dans

le secteur du Web. Ils produisent les supports pour les actions communautaires des

marques, que ce soit un blog, un forum ou un réseau social. Aussi lorsque Procter &

Gamble a voulu créer son propre réseau social beeinggirl.com, elle a dû faire appel à

une agence web. Le développement des stratégies CMM a même donnée naissance

à des agences spécialisées. L’agence KRDS83 se présente comme « une agence de

conseil et de réalisation spécialisée dans les médias sociaux » et est devenue en

France l’une des références pour la création d’applications Facebook. La marque

Samsung a fait appel à cette agence pour créer une application sur Facebook84 afin

de soutenir son opération « Ruban rose », qui a pour but de diffuser un message de

prévention autour du cancer du sein, en partenariat avec l’association « Le Cancer

du Sein, Parlons-en ».

Les études réalisées sur les médias sociaux représentent un deuxième

domaine du CMM. Elles viennent enrichir l’offre des cabinets d’études existants, qui

s’étaient déjà positionnés sur les usages et attitudes des consommateurs. Mais les

experts se différencient des analystes traditionnels car ces études requièrent des

compétences nouvelles et la mise en place d’une méthodologie. Aussi, Médiamétrie

par exemple a créé des offres spécialement pour Internet comme l’Observatoire des

Usages Internet ou les Comportements d’Achats des Internautes. En mars 2009

Médiamétrie a publié une étude sur « Les réseaux sociaux en France et dans le

83 http://www.krds.fr/ 84 http://www.facebook.com/apps/application.php?id=27939932818

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monde »85. Au-delà des acteurs traditionnels dans le domaine des études marketing,

l’enjeu de l’e-réputation des marques et la capacité de récolter des données en

temps réel a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs. Fondée en 2006, Radian686

a créé une plateforme qui permet aux entreprises d’avoir accès à ce qui se dit sur

leurs marques dans les médias sociaux en temps réel. Ces entreprises d’un genre

nouveau allient compétences technologiques et analyse des données, en proposant

à leurs clients un outil qui leur permet de surveiller leur réputation numérique,

notamment en classant les données récoltées pour en avoir une meilleure

compréhension ; le tableau de bord de l’e-réputation permet ainsi de trier les

résultats par type de source (blog, forum…) et par région géographique. Avec ces

outils, les marques peuvent mesurer leurs actions communautaires et se comparer à

leurs concurrents. Ce domaine du CMM, l’écoute des communautés, est la première

étape de toute stratégie communautaire.

Enfin le dernier domaine et le plus visible est celui de la stratégie CMM. Les

experts dans ce domaine se présentent comme des consultants et offrent aux

marques une prestation de conseil stratégique et d’animation communautaire. Ils

sont généralement appelés community managers, même s’il existe de nombreuses

autres appellations (contact manager, social persuasion marketing expert, animateur

de communauté, modérateur…). Ces consultants se spécialisent dans la partie

purement relationnelle du CMM ; ils animent et modèrent les profils de marques sur

les réseaux sociaux, contactent les influents sur Internet. Leurs recommandations

concernent les moyens de construire une relation avec les clients et s’appuient sur la

définition de cibles, de messages, de tons ou de dispositifs. Dans un contexte où les

marques n’ont pas encore complètement assimilé tous les changements provoqués

par les médias sociaux, à la fois sur les consommateurs et sur leur propre

communication, la demande de conseil est très forte. Sur un marché qui n’est pas

encore mature, aujourd’hui ces experts se trouvent majoritairement en agence. Des

agences ont été créées spécialement pour prendre en charge l’animation

communautaire, comme BuzzParadise87, qui propose aux marques de les mettre en

contact avec les blogueurs. Pour le lancement de la gamme Osmose de DIM,

BuzzParadise a offert des parures à 70 blogueuses. La particularité de ces RP 85 Médiamétrie, Les réseaux sociaux en France et dans le monde, mars 2009, http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/les-reseaux-sociaux-en-france-et-dans-le-monde.php?id=54 86 http://www.radian6.com 87 http://www.buzzparadise.com/

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alternatives par rapport aux relations presse classiques est que l’agence crée pour

chaque client ce qu’elle appelle un « buzzkit », afin de favoriser la diffusion de la

campagne dans la blogosphère.

2. Des experts autodidactes Le phénomène des médias sociaux étant récent, et la mise en place de

stratégies de marques encore plus, les experts du CMM sont des autodidactes. En

effet il n’existe quasiment pas de formations au CMM, surtout en Europe où cette

expertise est née plus tardivement par rapport aux Etats-Unis. Facebook a émergé

réellement en 2006 (2007 pour la France), Twitter est encore plus récent, et il faut

dire qu’avant les réseaux sociaux, malgré l’existence plus anciennes des forums et

des blogs, les marques ne s’y intéressaient que très peu. De plus, une des

caractéristiques des médias sociaux est leur évolution très rapide, qui s’illustre par la

multiplication des « bêta », terme utilisé par les sites en cours de développement et

qui sont en période de test avec les utilisateurs. Par exemple, Facebook fait

tellement de modifications que des blogs lui sont entièrement dédiés, comme Inside

Facebook88. Dans ce contexte de changement permanent, la veille personnelle des

experts devient leur principale source de formation et d’apprentissage. Sur Twitter,

les professionnels du CMM sont parmi les plus actifs : Le tag « socialmedia » est

d’ailleurs le troisième thème le plus populaire, après « celebrity » et « music »

(Source : wefollow89). Il est intéressant de noter également que les experts français

en CMM citent de nombreuses sources étrangères et notamment américaines, ce qui

montre que l’apprentissage se fait majoritairement via les publications

internationales.

88 http://www.insidefacebook.com/ 89 http://wefollow.com/top

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Selon Google, en France le mot-clé « social media » est plus recherché que

celui de « médias sociaux » :

Source : Google Insight for Search

La formation de ces nouveaux experts se fait principalement grâce aux

informations qu’ils peuvent trouver sur Internet et aux expériences qu’ils ont eues.

Ceci remet en question la logique de compétence et d’expertise, qui s’appuie

traditionnellement sur une formation institutionnelle (université, école…). Pour les

professionnels d’aujourd’hui l’enjeu est de taille car aucune des connaissances qu’ils

ont pu acquérir jusque là n’est suffisante pour être un expert en CMM. Cette auto-

formation est une conséquence de l’accessibilité aux informations sur Internet,

amplifiée par la possibilité d’auto-publication des médias sociaux. Comme le

soulignait Jacques Attali en 2000 déjà, « l’Internet représente une menace pour ceux

qui savent et qui décident parce qu’il donne accès au savoir autrement que par le

cursus hiérarchique. »90

Comme aucune formation ne certifie réellement la qualité d’expert des

professionnels du CMM, leur légitimation passe par leurs expériences personnelles

et professionnelles. Ces experts sont appelés les « Trust Agents » dans le dernier

ouvrage de Chris Brogan et Julien Smith91. Ils définissent ces « agents de

confiance » comme des professionnels du marketing qui ne sont pas guidés par les

ventes et qui utilisent Internet pour humaniser leur métier. Un des caractéristiques de

ces agents est qu’ils ont appris par l’expérience personnelle plus que professionnelle

90 Libération, Jacques Attali, consultant et essayiste: «La nouvelle économie est par nature anticapitaliste», mai 2000, http://www.liberation.fr/economie/0101333995-jacques-attali-consultant-et-essayiste-la-nouvelle-economie-est-par-nature-anticapitaliste 91 Ch. Brogan, J. Smith, Trust Agents, using the Web to build influence, improve reputation, and earn trust, Wiley, Hoboken, 2009

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et qu’ils connaissent parfaitement les technologies du Web car ils font partie des

utilisateurs les plus actifs. Jacques Froissant, qui anime le blog Altaïde, présente le

profil de ces nouveaux professionnels : « Majoritairement nous avons affaire à des

profils marketing passionnés de web qui ont plongé d’eux mêmes dans le 2.0. Ils ont

donc forgé leur expérience sur le tas de manière empirique, jusqu’à en tirer les

meilleurs pratiques. »92

La plupart des figures référentes du Community Management ont été des

blogueurs de la première heure, soit avant 2006 quand le phénomène a vraiment pris

de l’ampleur. Seth Godin93 a créé son blog en 2002, Mashable94 a été créé en 2005

et Jeremiah Owyang95 a publié son premier post en 2006. En France, Loïc Lemeur96

a organisé l’événement « Les Blogs » au Sénat à Paris en 2005. Ces pionniers du

blogging ont fait l’expérience du communautaire très tôt, c’est pourquoi ils sont

devenus naturellement les premiers experts du CMM et se sont intéressés aux

réseaux sociaux dès qu’ils sont nés. Ils participent également à de nombreuses

publications, sur Internet ou en librairie, qui formalisent le CMM en s’appuyant sur

des cas concrets et en définissant les règles de cette expertise. Enfin ils forment eux-

mêmes une communauté car ils sont à l’initiative d’événements comme LeWeb, créé

par Loic Lemeur. Ils sont les premiers à diffuser des informations aux autres experts

et à commenter celles qu’ils reçoivent de ceux-ci. Ceci montre qu’ils se sentent plus

appartenir à une communauté de métier qu’à une entreprise ou une agence et qu’ils

se donnent pour mission de convaincre les marques de l’intérêt des médias sociaux,

en unissant leurs voix.

On trouve également ces autodidactes chez l’annonceur. Ceux-ci ont pris

l’initiative personnelle de créer un blog ou un profil d’entreprise sur les réseaux

sociaux, souvent « pour tester ». Nous pouvons citer ici l’exemple de blogueurs

comme Michel-Edouard Leclerc et son blog De quoi je me M.EL.97, ou encore de

Frédéric Layani, directeur CRM international et Internet pour TAG Heuer, qui a créé

des profils de marque sur Facebook, YouTube, Dailymotion et LinkedIn. J’ai

rencontré Frédéric dans le cadre de mon travail chez Nurun et j’ai pu constater que 92 Altaïde, Community Manager, Media Social Manager,...les nouveaux métiers émergents générés par le web 2.0, octobre 2009, http://altaide.typepad.com/jacques_froissant_altade/2009/10/community-manager-media-social-managerles-nouveaux-métiers-émergents-générés-par-le-web-20.html 93 http://sethgodin.typepad.com 94 http://mashable.com 95 http://www.web-strategist.com/blog/ 96 http://www.loiclemeur.com/france/ 97 http://www.michel-edouard-leclerc.com/wordpress/

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cette présence communautaire relevait plus pour lui d’une expérimentation que d’une

véritable stratégie. Ces autodidactes sont dans une logique très individuelle

d’apprentissage par l’expérience. Ils mettent en place des actions isolées, qui la

plupart du temps ne sont pas connues des équipes marketing des entreprises. Cette

démarche « test and learn » est celle qui est proposée également par ceux qui

bloguent sur le CMM et par les experts en agence. Ceci est dû au fait que c’est la

démarche qu’ils ont eux-mêmes suivie pour acquérir leur expertise. Les stratégies

communautaires émergeant à peine comme expertise, la pensée du CMM n’est pas

encore mature.

3. La place des experts dans l’entreprise L’émergence de ces nouveaux métiers pose la question de leur place par

rapport à l’entreprise. Pour les experts spécialisés dans la technologie et les études,

il semble plus logique d’externaliser les prestations, comme les entreprises le font en

consultant des agences web ou des cabinets d’étude. Mais pour les consultants, la

question de l’internalisation ou de l’externalisation des compétences fait débat.

L’importance de la personnalité d’un community manager et la connaissance qu’il

doit avoir de la marque poussent les entreprises à recruter une personne en interne.

Mais de nombreuses entreprises font appel à des agences pour cette problématique.

Plusieurs arguments sont avancés en faveur de l’internalisation : l’expert en CMM

doit très bien connaître l’entreprise, ses produits et sa cible de communication et il a

besoin d’être en contact avec divers personnes de l’entreprise pour répondre aux

questions de la communauté, que ce soit à propos des produits, des circuits de

distribution, du recrutement… D’un autre côté, avec l’externalisation les entreprises

peuvent bénéficier de la connaissance et de l’expérience des agences dans

différents secteurs, de leur vision plus objective de l’entreprise et de ses clients et de

la complémentarité avec d’autres prestations comme un site Web ou une campagne

de publicité. Aujourd’hui, les entreprises font appel à ces deux types de

compétences. Cependant le recours à l’externalisation est beaucoup plus répandu

que le recrutement d’une personne chargée du CMM. Selon le rapport Online

Community and Social Media Compensation98, 19% des experts en communautés

en ligne travaillent pour une entreprise spécialisée dans les médias sociaux et

communautés en ligne, ce qui en fait le premier employeur pour les professionnels 98 FORUM ONE NETWORKS, Online Community and Social Media Compensation, novembre 2009, http://www.onlinecommunityreport.com/archives/565-Online-Community-Social-Media-Compensation.html

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du CMM. Le premier secteur qui intègre des experts en interne est celui du Software,

avec 16% des experts. La mise en place de stratégies communautaires est récente,

ce qui explique pourquoi les entreprises investissent peu en interne et préfèrent

tester avec une agence. Les marques les plus matures en ce qui concerne le CMM,

c’est-à-dire celles qui investissent le plus sur les médias sociaux, sont celles qui

internalisent les compétences. BlackBerry a créé son propre réseau social,

MyBlackBerry, anime un blog et est présent sur Facebook, Myspace… Pour animer

ces communautés, l’entreprise dispose d’une équipe en interne : rédacteurs,

community manager, techniciens. Lorsqu’il s’agit d’animer une communauté de

marque et que celle-ci est très active, il est préférable que l’expert CMM connaissent

parfaitement l’entreprise et la marque : ses produits, sa culture, son actualité. Dans

ce cas mieux vaut qu’il soit intégré à l’entreprise. Pour contacter d’autres

communautés, par exemple via les blogs, le community manager peut-être extérieur

à l’entreprise, car il aura une meilleure connaissance des univers d’influence, de leur

fonctionnement et de leur culture.

La deuxième question qui se pose concernant la place des experts du CMM

dans l’entreprise est celle de leur niveau hiérarchique. Selon l’importance donnée à

ce domaine, les community managers peuvent être des stagiaires comme des

directeurs. Ce sujet fait débat dans la communauté des experts. Là encore, le niveau

hiérarchique est très différent selon que l’expert travaille en entreprise ou en agence.

En entreprise, ce poste est occupé par des experts confirmés ou séniors alors qu’en

agence il s’agit majoritairement de stagiaires.

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Aux Etats-Unis, où la pratique du CMM est plus ancienne et mature, les

responsables ont majoritairement plus de cinq ans d’expérience, selon le rapport

précédemment cité.

Source : Online Community and Social Media Compensation

Les experts postent de nombreux billets à ce sujet sur leur blog, comme

Laurent François, blogueur sur CiTiZeN L. :

« J’ai eu une discussion fort enrichissante avec une jeune journaliste ce midi,

qui se demandait qui recruter comme community manager et surtout où l’insérer

dans son organisation (mag online). De façon assez étonnante, les entreprises

semblent (ou semblaient) donner ce genre de poste à des gens très jeunes (ce qui

n’empêche pas d’être bon ceci dit!) mais qui n’ont surtout pas le niveau de séniorité

pour pouvoir parler au nom de l’entreprise ou prendre une décision.

Une des voies afin d’optimiser le poste de community manager (ou plus

généralement la fonction-digitale-qui-porte-un-drôle-de-nom) ne doit pas être dans un

département isolé, mais bien transversal, avec une vraie capacité de décision. »99

Le community manager joue un rôle très important pour l’entreprise : il est la

voix, voire le visage de celle-ci pour la communauté et il doit être capable de prendre

certaines décisions rapidement. Au-delà du niveau hiérarchique de l’expert lui-même,

99 CiTiZeN L., Le community manager : un poste de décideur, mai 2009, http://citizenl.hors-sujet.com/?p=1292

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les décideurs de l’entreprise ont besoin de se former aux médias sociaux et aux

stratégies communautaires, dans le sens où ils devront arbitrer pour choisir les outils

les plus adaptés et être capables d’en mesurer les effets. Parmi les clients de mon

agence, j’ai pu remarquer qu’à l’arrivée de nouveaux directeurs marketing, les briefs

s’orientaient davantage vers les médias sociaux. Les compétences recherchées chez

les dirigeants incluent de plus en plus le levier CMM.

Le CMM ne concerne pas uniquement le département marketing des

organisations, il implique des bouleversement à de nombreux niveaux. Le service

client par exemple peut utiliser les médias sociaux pour interagir avec les

communauté de ses clients. Les forums permettent aux clients de s’entraider et de

répondre aux questions qu’ils se posent en économisant le temps passé avec les

conseillers. C’est ce que BlackBerry a mis en place sur sa communauté en ligne

MyBlackBerry. De nombreuses compagnies aériennes américaines comme JetBlue

utilisent également Twitter pour répondre aux questions de leurs clients. L’avantage

d’une réponse publique et accessible à tous permet de capitaliser sur les réponses

apportées par les entreprises et les consommateurs pour gagner du temps en évitant

de répondre à chaque demande individuellement. Le CMM a des conséquences sur

la production elle-même et l’innovation produit, grâce aux retours et aux besoins

qu’expriment les consommateurs. Comme le souligne Laurent François dans le billet

précédemment cité, « Un des remèdes est alors d’intégrer la fonction « médias

sociaux » dans les toutes premières phases de la chaine de valeur (quel bonheur si

on faisait un petit monitoring avant même le développement d’un nouveau produit). »

Le département des Ressources Humaines doit également prendre en compte les

bouleversements issus des médias sociaux, car les employés sont acteurs sur ces

médias et représentent parfois malgré eux l’entreprise sur Internet. De nouvelles

clauses voient le jour, qui incluent dans le contrat de travail des clauses à propos des

médias sociaux. Les médias sociaux représentent également une opportunité des

gestion des employés ; de nouvelles prestations comme les réseaux sociaux internes

ou les wikis apparaissent pour faciliter les communications internes et optimiser le

knowledge management.

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CONCLUSION

Après avoir étudié les médias sociaux et les bouleversements qu’ils entraînent

sur les modes de communication, il est intéressant de revenir aux propos de Philippe

Breton. Il dénonçait « l’utopie de la communication » comme l’illusion d’une société

de communication ouverte, mais qui en réalité était contrôlée par les médias. Il

s’interrogeait notamment sur la notion de transparence : « Mais qu’en est-il en fait de

cette fameuse ‘transparence sociale’ que les médias, porteurs privilégiés de la

nouvelle utopie, sont censés nous garantir ? […] Qui est véritablement cet homme

moderne, l’Homo communicans, qui cesse d’être « dirigé de l’intérieur » par ses

valeurs pour être other-oriented comme l’avait pressenti avec force le sociologue

américain David Riesman dès 1948 ? »100 Il semble que l’Internet et plus

particulièrement les médias sociaux, sont une réponse à cette question de

transparence et d’orientation vers les autres. L’idéologie dominante sur ces médias

vient donc en opposition aux limites perçues des médias traditionnels.

Les médias sociaux ont bouleversé les stratégies CRM des marques. Avec

eux, les consommatrices ont adopté de nouveaux comportements de consommation

et de nouvelles attitudes face aux marques. La publication de contenu est facilitée,

encouragée même ; les consommatrices s’expriment, critiquent et créent sur Internet.

Les médias sociaux apparaissent comme un espace de libre expression, où chacun

peut contribuer au débat, de façon ouverte ou anonyme. De nouvelles règles de

communication sont nées de ces espaces d’échange on line, parmi lesquelles le

refus de la censure, la valorisation d’un discours positif (même si les revendications

existent, elles sont minoritaires), le divertissement, la familiarité (le « tu » est

massivement utilisé, plutôt que le « vous »), etc. Ce sont autant de règles nouvelles,

créées par les sites sociaux et les internautes, que les marques doivent comprendre

et s’approprier pour s’engager dans une démarche CMM.

Les médias sociaux imposent également de nouvelles règles de conversation.

Nous ne sommes plus dans un modèle émetteur – récepteur, ni dans un modèle à

100 100 Ph. Breton, L’utopie de la communication, Le mythe du « village planétaire », La Découverte, Paris, 1997, pp 11 - 12

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deux locuteurs d’ailleurs. Les marques ont l’habitude de penser de cette façon : elles

diffusent une information à une audience, plus ou moins segmentée (cela peut aller

d’une communication de masse à un échange personnalisé). Mais avec la publicité

du discours sur les médias sociaux, les locuteurs sont multiples, potentiellement tous

les membres d’un espace social. Nous nous trouvons dans un « trialogue », où se

croisent les échanges marques – consommatrices et consommatrices –

consommatrices. Les entreprises ne contrôlent plus entièrement le discours de

marque, elles ont à le partager avec toutes celles qui ont quelque chose à dire sur la

marque, les produits, les publicités… Il y a donc deux changements majeurs dans la

communication entre les marques et les consommatrices : les consommatrices

peuvent participer à la conversation (elles ne répondent plus uniquement par un

comportement d’achat) et les conversations se créent entre les consommatrices

elles-mêmes, ce qui place la marque au deuxième plan.

En parallèle, les modèles de diffusion utilisés par les marques sont de moins

en moins efficaces. Les consommatrices sont moins sensibles aux messages

publicitaires, auxquels elles sont surexposées, l’audience des médias chute (comme

l’illustrent les difficultés de la presse), la communication en magasin perd de son

impact face aux acteurs de l’e-commerce… On assiste à un déplacement des

sources d’information, des supports médias aux personnes considérées comme plus

dignes de confiances. Ces filtres sociaux transforment les internautes en médias très

puissants. Les médias sociaux organisent ces filtres en fournissant les outils

d’agrégation des contenus produits par les membres de notre réseau (Twitter,

Facebook, Netvibes…). Les marques ne peuvent pas accéder à ces outils de

diffusion de la même façon qu’elles pouvaient acheter de l’espace sur les autres

supports. Pour y être présentes, elles doivent elles-mêmes participer aux

conversations. Or, ces conversations se créent entre des personnes. Les marques

doivent donc incarner leur communication à travers un porte-parole, le plus souvent

un animateur de communauté ou community manager.

La perte partielle de contrôle de la communication engage les marques à

passer d’une logique de diffusion à une logique d’influence. Ne pouvant garantir une

audience maximale avec une action de communication, elles mettent en place des

stratégies pour intégrer les communautés ou réseaux de communication ; l’objectif

est ici d’influencer les consommatrices à qui elles s’adressent en direct pour que ces

dernières diffusent l’information au sein de leur réseau. Le CMM capitalise sur les

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filtres sociaux, qui permettent une diffusion virale et plus qualitative, dans les sens où

les consommatrices font davantage confiance aux contenus publiés par une

personne de leur réseau qu’aux messages de marques.

La dimension sociale de ces nouveaux médias favorise la création de

communautés. Le réseau relationnel des consommatrices s’étend, les internautes

échangent avec des inconnus et conservent un lien avec des personnes qu’elles

auraient perdu de vue sans les réseaux sociaux par exemple. Les effets du bouche-

à-oreille sont donc démultipliés. Ces communautés sont animés par des leaders, qui

définissent les règles des échanges ; ce sont notamment les modérateurs des

forums, les blogueurs, les administrateurs des pages Facebook. Les marques ont

deux possibilités d’interagir avec les communautés. Elles peuvent les animer, quand

elles créent une page Facebook ou un blog de marque par exemple, ou elles

peuvent entretenir une relation de confiance avec les leaders, notamment en

communiquant avec les blogueurs.

Les médias sociaux permettent une diffusion très rapide et massive des

contenus : une publication touche en temps réel tous les contacts de l’émetteur, via

des flux (statuts sur Facebook, flux RSS des blogs, flux des commentaires sur les

forums). Ceci est à la fois une opportunité et une menace pour les marques. C’est

une opportunité car grâce au potentiel viral des communautés sur les médias

sociaux, un message apprécié des membres de la communauté peut toucher de

nombreuses personnes, pour un investissement plus faible qu’en télévision par

exemple, avec un effet plus puissant car ce message est cautionné par la

communauté. C’est pour cela qu’il est important que les marques favorisent cette

diffusion virale, notamment en intégrant une fonction de partage sur les réseaux

sociaux lors de ses prises de parole sur Internet. Mais d’un autre côté, un message

négatif se diffusera aussi voire plus vite : c’est le phénomène du bad buzz. Si les

marques redoutent ces situations de crise, force est de constater que leur seule

option est de répondre. Un silence ou un manque de transparence ne fera

qu’amplifier le « bruit négatif ». Sur Internet et avec les outils de diffusion actuels, il

est vain de tenter de supprimer l’information. Or, toutes les publications étant

indexées par les moteurs de recherche, celle-ci sera accessible même bien après la

crise. Les cas d’école de marques qui, confrontées à de telles crises, ont « bien »

réagi, montrent qu’elles ont répondu par les mêmes moyens que ceux qui les ont

attaquées, en répondant à leurs détracteurs (créant ainsi un dialogue, voire un

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trialogue quand cette réponse est publique) et en s’exprimant sur les médias sociaux

(par exemple via un blog).

Comme le soulignent les auteurs de groundswell101, la question n’est plus

aujourd’hui de savoir si les marques doivent ou non prendre en compte les médias

sociaux dans leurs stratégies, elles y sont présentes de toute façon, même malgré

elles. L’enjeu est de savoir comment intégrer les médias sociaux de la façon la plus

pertinente et la plus efficace possible. Toutes les marques ne sont pas égales dans

le domaine du communautaire. Les marques à fort rôle identitaire ou dimension

affective partent avec une longueur d’avance. En effet, au-delà des parts de marché,

les marques ont un potentiel communautaire quand elles ont une image liée à un

style de vie, un statut social ou tout autre attribut que les consommateurs mettent en

avant en société.

L’engagement des marques sur les médias sociaux et la mise en place de

stratégies communautaires requièrent de nouvelles compétences. Le CMM prend en

compte les technologies utilisées, les discours antérieurs à la prise de parole de la

marque (qui déterminent la stratégie adoptée) et la connaissance des communautés

ciblées. De ces nouveaux besoins sont nés différents métiers.

Si l’étude de l’impact des médias sociaux sur les consommateurs et les

marques nous a amené à conclure à l’émergence de cette nouvelle expertise, le

CMM, il est encore difficile de cerner précisément le périmètre de ce nouveau

domaine de communication en création et l’ampleur des changements qu’il implique

pour les organisations. Aujourd’hui nous sommes davantage dans une logique de

test et nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour comprendre toutes les

implications du CMM pour les professionnels de la communication. Très peu

d’annonceurs mettent en place de réelles stratégies, se limitant à quelques actions

isolées.

Une des difficultés que j’ai rencontrées pendant ce travail de recherche est la

masse d’informations à traiter : tous les jours de nouveaux billets sont publiés sur les

blogs à propos du CMM. Ces données ne sont pas toutes cohérentes, il n’existe pas

encore de définition précise du CMM par exemple. On parle parfois de Community

Management, parfois de Social Media Influence, de marketing viral, de Social

101 Ch. Li, J. Bernoff, groundswell, winning in a world transformed by social technologies, Harvard Business Press, 2008

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Relationship Management (SRM) ou encore de Websocial marketing. Les définitions

de « community manager » sont extrêmement nombreuses, comme celles de

« médias sociaux ». Il n’y a pas encore de définitions acceptées et reprises par tous

les experts de ce domaine. Pourtant chacun apporte sa vision, dans ce champ en

cours de création. C’est pourquoi dans la définition des termes j’ai souvent pris le

parti de proposer des définitions ou d’en choisir certaines qui me semblaient

pertinentes.

Les experts s’inspirent surtout de leurs expériences et des publications de

leurs pairs. La grande majorité des professionnels du CMM sont des autodidactes.

Quand ils ont commencé, il n’existait aucune formation. Ils sont venus à ce domaine

par une initiative souvent personnelle avant d’être professionnelle, comme par

exemple la création d’un blog. Par conséquent, leurs publications sont orientées ; ce

sont davantage des opinions que des théories de la communication. La logique de

démonstration utilisée sur la majorité des billets est inductive : les rédacteurs partent

d’un exemple concret pour en tirer des règles plus générales. Ces règles sont

fortement influencées par la culture américaine des « do and don’t », sans grande

argumentation. Les propos sont peu nuancés et tendent à être légitimés plus par la

popularité ou l’influence de celui qui tient le discours (qui est donc plus visible) que

par la qualité de l’argumentation (même si l’un n’empêche pas l’autre). Il y a un

manque de travaux universitaires sur ce sujet. C’est pourquoi j’ai tenté dans ce

travail de lier le CMM aux autres théories de la communication, afin de constater les

similitudes et les différences entre ces différentes logiques. L’un des objectifs de ce

mémoire a été de replacer cette pratique dans l’histoire des idées du marketing et de

la communication, pour pouvoir constater les points de rupture. Des concepts comme

le trialogue ou les filtres sociaux viennent enrichir la connaissance en information et

communication, car ils modifient les modèles connus de transmission de

l’information. Si ces pratiques ne sont pas nouvelles en communication (les

conversations à plusieurs et l’accès à l’information via une autre personne), elles

prennent une toute autre ampleur avec les médias sociaux. Elles deviennent

publiques, ouvertes à tous et notamment aux marques. Elles peuvent être

instrumentalisées.

Un autre enseignement de ce travail, en termes méthodologiques, est

l’importance de la technologie utilisée pour les médias sociaux. La rapidité de

création d’une communauté dépend du support de publication. Sur les sites

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organisés en réseaux interpersonnels, il est très facile et rapide d’ajouter des

contacts et de créer des échanges. J’ai pu le constater avec Twitter ; en très peu de

temps plus de 200 personnes ont suivi mes publications et j’ai pu échanger avec

d’autres membres de mon réseau. Par contre, j’ai eu peu de résultats avec mon blog,

car cela demande beaucoup plus de temps. Le blog ne met pas en contact avec

d’autres internautes, il permet juste une interaction avec les lecteurs ; il est

également beaucoup plus chronophage que les autres outils sociaux. De nombreux

blogueurs diffusent le contenu de leur blog sur Twitter (en s’appuyant sur l’échange

des flux). Pour apprécier complètement l’impact d’un blog, il s’agit donc d’un travail

plus lent, afin de créer sa propre communauté et d’intégrer une communauté de

blogueurs. L’hypothèse selon laquelle la technologie joue un rôle secondaire dans

les échanges communautaires s’en voit nuancée. Si les logiques communautaires

sont identiques sur tous les médias sociaux, la technologie à laquelle on choisit

d’avoir recours a son importance, dans les types de relation qu’on veut mettre en

place avec une communauté. Un blog est pertinent pour la publication de contenus,

alors que le micro-blogging (Twitter) est davantage utile pour la veille et le recueil

d’informations. Aussi, Twitter permet de faire circuler des informations, publiées sur

d’autres supports. Dans le cadre de ce mémoire, il était plus intéressant de se

concentrer sur un outil de veille. Cependant, un blog peut être un excellent moyen de

diffuser les résultats de ce travail.

De nombreuses questions restent ouvertes après ce travail, notamment sur

l’évolution des métiers du CMM et sur la place que cette expertise peut prendre dans

les organisations. L’ampleur du phénomène des médias sociaux n’influe pas

uniquement le marketing ou le CRM, d’autres départements de l’entreprise sont

concernés. C’est pourquoi les experts du CMM ont un rôle transverse, en contact

avec de nombreuses personnes : les membres de l’entreprise qui peuvent apporter

des réponses ou profiter des données recueillies sur les médias sociaux, les

membres de la communauté de marque, les membres de la communauté des

experts CMM. Pour prolonger la réflexion, il serait intéressant d’étudier ce

phénomène sous l’angle des Ressources Humaines par exemple. Les employés des

entreprises sont eux aussi acteurs sur les médias sociaux. Dans quelles mesures

représentent-ils leur entreprise sur leur profil privé ? Quelles utilisations les

entreprises peuvent-elles faire en interne des outils mis à disposition par les médias

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sociaux ? On peut par exemple noter l’initiative de Sephora, dont le service RH a

ouvert un blog102.

102 http://blogrh.sephora.fr/

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WEBOGRAPHIE

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web-20.html

Buzman TV Comment se faire virer de Domino’s Pizza en 24h ?, avril 2009,

http://www.buzzman-tv.com/good-film/comment-se-faire-virer-de-dominos-pizza-en-

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CiTiZeN L. Le community manager : un poste de décideur, mai 2009,

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http://aziz.typepad.com/economy_blogbuster/2006/11/communauts_virt.html

Communauté virtuelle de marque : « obligation » de générosité ?, décembre 2006,

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Just Delicious Beyonce retrouve sa couleur pour la nouvelle pub de L'Oréal !, janvier 2009,

http://blogs.elle.fr/justdelicious/2009/01/07/beyonce-retrouve-sa-couleur-pour-la-

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http://www.lefigaro.fr/medias/2009/03/04/04002-20090304ARTFIG00051-les-

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Le Post Video Sextape interdite en allemagne pour Sprite, juillet 2009,

http://www.lepost.fr/article/2009/07/27/1635953_video-sextape-interdite-en-

allemagne-pour-sprite.html

Beyonce photoshopée et "blanchie" sur une publicité L'Oréal ?, août 2008,

http://www.lepost.fr/article/2008/08/09/1240998_beyonce-photoshopee-et-blanchie-

sur-une-publicite-l-oreal.html

Marketing insolite Interview du Directeur Marketing Coca-Cola France à propos du fake Sprite, août

2009, http://marketing-insolite.blogspot.com/2009/08/interview-du-directeur-

marketing-coca.html

Médiamétrie Les réseaux sociaux en France et dans le monde, mars 2009,

http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/les-reseaux-sociaux-en-france-et-

dans-le-monde.php?id=54

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Roycod Orange envoie cinq blogueurs dans toute la France, mai 2009,

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dans-toute-la-france

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.

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ANNEXES

ANNEXE 1 : ECHELLE SOCIALE TECHNOGRAPHIQUE DE FORRESTER.......................................... I ANNEXE 2 : LES SOURCES D’INFORMATION ET DE DECISION D’ACHAT DES MAMANS.......... II ANNEXE 3 : ENTRETIEN AVEC LA BLOGUEUSE DE DEEDEE............................................................ IV

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Annexe 1 : Echelle sociale technographique de Forrester

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Annexe 2 : Les sources d’information et de décision d’achat des mamans

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Annexe 3 : Entretien avec la blogueuse de Deedee

Bonjour Delphine, quand as-tu créé ton blog deedeeparis.com ? Bonjour Aurore En mars 2005 Comment décrirais-tu ton blog en quelques mots ? Comme un melting pot parisien et féminin. Ton blog a-t-il des lectrices fidèles ? Et quelle est la proportion des lectrices fidèles par rapport aux nouvelles ? Si j’ai une idée globale des statistiques, je ne suis pas une femme de chiffres : je t’avoue que je ne consulte que rarement les stats.. ! Globalement, je sais qu’environ 5000 personnes viennent lire le blog tous les jours. J’imagine que dans le lot, une bonne partie est fidèle. Je le vois notamment via les commentaires. De là à te donner des infos plus précises.. ! Quels sont les types de commentaires les plus fréquents sur ton blog ? (questions, opinions, recommandations d’autres articles...) Opinions, plutôt. Questions, un peu moins. Quant aux recommandations d’autres articles, ce sont les plus rares. Quel sont tes relations avec les autres blogueuses mode ? La question est vaste ! Depuis 2005, j’ai rencontré beaucoup de blogueuses. Certaines sont devenues de véritables amies. Nous échangeons beaucoup : les bons plans, les infos, les astuces… Il y a une vraie communauté, de vrais échanges, contrairement à ce qu’on peut croire, parfois. Comment entres-tu en contact avec elles ? (email, commentaires, Facebook, événements...) Plutôt via commentaires ou via Facebook. Je me déplace de moins en moins aux événements,pas que je sois bégueule, mais plutôt parce que les marques font de plus en plus feu de tout bois et crée un événement le plus souvent pour ne rien dire. Et que j’ai passé l’âge d’écumer les soirées d’open bars en open bars ;) Dirais-tu que les blogueuses mode forment une communauté, un réseau de relation ? Complètement, oui. Penses-tu qu’il existe des sous-communautés chez les blogueuses mode ? si oui, à laquelle penses-tu appartenir ? Bien-sûr. Les sous-communautés sont aussi nombreuses que les personnalités. Je ne sais pas, pour autant, à laquelle j’appartiens.. Probablement une communauté liée à Paris. Sûrement

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v

une communauté liée aux amoureux des petits créateurs peu connus et qu’on a envie de « lancer », en quelque sorte. Je ne sais pas.. A quelle fréquence es-tu sollicitée par les marques ? (tous les jours, toutes les semaines...) Tous les deux jours, facilement. La plupart des propositions sont dantesques, d’ailleurs, et peu sont susceptibles de retenir notre attention ! Quels types d’actions les marques te proposent-elles ? Il y a les petites marques qui tentent de te faire verser une larmichette pour que tu parles d’eux parce que sinon, ils vont devoir mettre la clé sous la porte. Il y a les marques très connues qui proposent de t’offrir une pièce à 20 euros pour rédiger 50 billets (j’exagère à peine). Il y a les marques qui te propose un bon de réduction (10 euros, 10%) contre un billet. Il y a celles qui te proposent un shooting photos sans maquilleur, sans coiffeur parce qu’un blog, c’est spontané tu vois !, contre l’exploitation des photos prises dans toutes les boutiques des marques. Etc etc. Et parfois, tu peux avoir de vraies actions bien pensées et intéressantes pour toutes les parties, comme un créateur qui va te prêter une pièce de sa collection pour que tu fasses des photos à publier sur ton blog. Peux-tu me citer un ou plusieurs exemples d’opérations de marques avec les blogueuses qui t’ont particulièrement plu ? Un WE dans l’antre de Chanel organisée par BuzzParadise. Extraordinaire : 10 blogueurs européens, des coulisses de dingue, un WE magique. Ou bien encore un travail fait pour La Redoute, où l’on ma demandé de créer 2 silhouettes « tendances ». Quel impact un billet sur ton blog peut-il avoir sur tes lectrices en termes de recommandation ? As-tu un exemple d’un billet qui aurait eu des conséquences positives ou négatives pour une marque ? Là encore, je ne saurais quantifier quoi que ce soit. Je suis dans une démarche spontanée, pas une démarche commerciale. Mais je sais que globalement, quand je fais part d’un doute en concernant une marque, par exemple, les réactions sont nombreuses (cf. le billet sur The Kooples, ou bien celui sur Jerôme Dreyfuss). T’occupes-tu de ton blog à temps plein ou exerces-tu une autre activité ? et si oui laquelle ? Certainement pas ! J’y consacre environ 3h par jour, ce que je considère comme étant déjà bien trop. Je suis par ailleurs responsable éditoriale du site de Cosmopolitan. Comment te positionnes-tu en tant que blogueuse par rapport aux journalistes ? Ahah (cf. question ci-dessus). Pour moi, la question n’a pas lieu d’être. La finalité du travail des uns et des autres n’est pas la même/

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vi

Quelle vision as-tu des stratégies de communication des marques aujourd’hui, notamment leurs actions on line ? La question est bien trop vaste pour y répondre en quelques lignes ! En deux mots, je pense que certaines marques s’en sortent mieux que d’autres. Comptoir des Cotonniers par exemple, ou Etam. Globalement, ceux qui prennent les blogs pour ce qu’ils sont, à savoir un simple relais et non pas une manière de faire de la pub à peu de frais en les sur sollicitant y gagnent. Qu’évoque pour toi le terme de community management ? Le boulot ! Plus sérieusement, un community manager est une personne qui anime les communautés, que ce soit par le biais des forums, des commentaires ou des réseaux sociaux.

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RESUME DU TER

Ce travail d’étude et de recherche montre en quoi l’émergence des médias

sociaux a bouleversé les stratégies relationnelles des marques. Les possibilités de

communication offertes aux marques sur les médias sociaux ont fait naître un

nouveau champ du marketing, le Community Management Marketing (CMM), qui

consiste à influencer les comportements et les attitudes des consommateurs en

s’appuyant sur des logiques communautaires et en utilisant les médias sociaux

comme supports de communication.

Le premier changement concerne les consommateurs. Les médias sociaux

ont modifié leur relation aux marques. Ils sont devenus plus critiques, se sont

organisés en communautés de marques et sont entrés en concurrence avec les

discours des marques.

Les médias sociaux ont également bouleversé le paysage médiatique. Leur

montée en puissance coïncide avec les difficultés que rencontrent les autres médias.

La modification des attentes relationnelles de consommateurs remet en cause les

modèles traditionnels de communication. De nouvelles pratiques, qui utilisent les

médias sociaux comme outils dans la relation aux consommateurs, ont commencé à

apparaître.

La formalisation de ces pratiques a donné naissance à un nouveau domaine

de la communication, le Community Management Marketing. Le CMM reste une

expertise en cours de création, qui pose de nombreuses questions aux

professionnels de la communication quant à son rôle et à l’ampleur des changements

qu’elle implique pour les organisations et les théories de l’information et de la

communication.

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SUMMARY

This dissertation demonstrates how the emergence of social media altered

brands relational strategies. Social media communications possibilities gave birth to a

new marketing expertise, Community Management Marketing (CMM). CMM consists

in influencing consumers’ attitudes and behaviours, following community rules and

using social media as a tool to communicate.

The first change concerns consumers. Social media modified their relationship

with brands. They became more critical, gathered in brand communities and started

competing with brands talk.

Social media also changed media scene. The explosion of this type of media

coincide with the struggle other media are faced with. Consumers new relational

needs toward brands questions traditional communications schemes. New strategies,

using social media as a tool to relate with consumers, appeared on the Web.

Formalisation of these strategies gave birth to a new marketing area,

Community Management Marketing. CMM is still in “beta”, not being clearly defined

for it is too recent, but it arises questions about how important it is for marketing

experts and how big the changes it announces are for organisations and marketing

theories.

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MOTS-CLES

Le Community Management Marketing ou CMM consiste à influencer les

comportements et les attitudes des consommateurs en s’appuyant sur des

logiques communautaires et en utilisant les médias sociaux comme supports

de communication.

Les médias sociaux sont des médias partagés, sur lesquels tout internaute peut

créer du contenu, à la différence des médias « propriétaires », qui ont un

nombre limité de contributeurs.

Le Consumer Relationship Marketing ou CRM est une stratégie et un processus

organisationnel qui vise à accroître le chiffre d’affaires et la rentabilité de

l’entreprise en développant une relation durable et cohérente avec des clients

identifiés par leur potentiel d’activité et de rentabilité.