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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77, rue de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47 45 66 04 www.celsa.fr Ecole des mines d’Alès –Site de Nîmes, Parc scientifique Georges Besse – 30035 Nîmes cedex 1 Tél : +33 (0)4 66 38 70 52 – www.mines-ales.fr Master professionnel Mention : information et communication Spécialité : Médias et Communication Option : Communication et Technologie Numérique Crowdsourcing Le graphisme peut-il se faire uberiser ? Responsable de la mention information et communication Professeure Karine Berthelot-Guiet Tuteur universitaire : Françoise Armand Rapporteur professionnel : Antoine Ducrocq Président du Jury : Yves Jeanneret Nom, prénom : Henry Damien Promotion : 2014-2015 Soutenu le : 10 novembre 2015 Note du mémoire : 15/20 (mention Bien) Contact : [email protected] Linkedin : https://fr.linkedin.com/in/damienhenry Ce travail a reçu le prix du mémoire digital 2016 d’Arctus

Crowdsourcing : le graphisme peut-il se faire uberiser ?

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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77, rue de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47 45 66 04 www.celsa.fr

Ecole des mines d’Alès –Site de Nîmes, Parc scientifique Georges Besse – 30035 Nîmes cedex 1

Tél : +33 (0)4 66 38 70 52 – www.mines-ales.fr

Master professionnel Mention : information et communication Spécialité : Médias et Communication

Option : Communication et Technologie Numérique

Crowdsourcing Le graphisme peut-il se faire uberiser ?

Responsable de la mention information et communication Professeure Karine Berthelot-Guiet

Tuteur universitaire : Françoise Armand Rapporteur professionnel : Antoine Ducrocq Président du Jury : Yves Jeanneret Nom, prénom : Henry Damien Promotion : 2014-2015 Soutenu le : 10 novembre 2015 Note du mémoire : 15/20 (mention Bien) Contact : [email protected] Linkedin : https://fr.linkedin.com/in/damienhenry

Ce travail a reçu le prix du mémoire digital 2016 d’Arctus

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À  propos  de  l’auteur  de  ce  mémoire…  Extrait ajouté au texte initial faisant suite à l’interview réalisé par Yannig Roth en février 2016 : À 34 ans je viens de terminer une seconde fois mes études ! Designer en agence pendant 10 ans, je suis tout d’abord ce que l’on appelle : un créatif. Après des études de design à l’ésad d’Amiens, j’ai commencé par un projet de court-métrage d’animation (stop-motion et mapping vidéo) intitulé « Passe-Muraille ». Ce film est véritablement une carte de visite pour démarcher mes premiers clients en freelance ou effectuer des missions en agence. Après un bref passage par Marseille, je suis pendant 8 ans graphiste-couteau-suisse dans une petite agence de Cavaillon (avec de gros projets). J’accumule une expérience très large en touchant aussi bien au film d’entreprise, à l’identité, au web ou au motion-design (dominante sur ce poste). Je peux alors partir en tournage en Allemagne pour un fabriquant de sel de déneigement le lundi et boucler un stand de 100m2 pour un salon de l’habitat le vendredi… des missions très variées qui m’ont aussi permis de voir que l’on pouvait combiner le motion, l’impression 3D, l’identité et l’espace au sein d’un même projet.

Un parcours de designer est forcément lié aux évolutions technologiques, les métiers de la communication évoluent et il est parfois utile d’effectuer une mise à jour de ses compétences pour apporter toujours de l’innovation dans son travail. Les nouveaux usages numériques permettent aujourd’hui d’obtenir une approche de la communication avec beaucoup plus de connexions entre les supports. Lorsque l’on est graphiste en agence, on répond à des commandes. Mais je trouve parfois que ça ne va pas assez loin, que les concepts manquent un peu de fond ou d’astuce. Malgré un rendu très pro, il faut de l’intelligence en design. Je veux donc intervenir au niveau de la réflexion sur le projet : sur le fond et pas uniquement sur la couche esthétique. Avec cette remise en question sur ma pratique, je choisi en 2013 de reprendre des études en communication digitale. Une démarche qui demande du temps, car il faut accepter de quitter un poste

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confortable pour se lancer dans une aventure qui demande, beaucoup d’investissement et une nouvelle logistique familiale. J’intègre donc en septembre 2014 le master pro communication et technologie numérique du CELSA et des Mines D’Alès.

Je conseille cette expérience à tout le monde, on devrait pouvoir se former plusieurs fois dans une vie. Cela remet en perspective ce que l’on a appris et donne un regain de motivation pour un métier qui est au départ une passion.

Diplômé en Octobre, à la suite de ma soutenance. Je viens de boucler une mission de chargé de communication dans un centre de R&D de Saint-Gobain. Une expérience très enrichissante qui m’a permis de découvrir les rouages d’une (très) grosse organisation. J’envisage désormais de travailler au niveau d’une grande entreprise ou dans une agence spécialisée dans la transformation digitale : à partir du moment où la structure véhicule des valeurs humaines et n’a pas peur d’innover en tentant parfois des choses inédites ça me va. Avec le recul, on sait un peu plus ce que l’on attend d’un cadre de travail. Les valeurs véhiculées par l’entreprise sont aussi importantes que la mission. L’enseignement peut être complémentaire car c’est aussi une manière de se former en apportant à de futurs professionnels une part de son expertise.

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Remerciements  Un grand Merci à mes rapporteurs universitaires qui m’ont accompagné et soutenu lorsque la force n’était plus avec moi. Françoise Armand et Antoine Ducrocq qui ont réussi à lire (plusieurs fois) mes pavés de texte parfois truffés de fautes. Merci à l’équipe pédagogique du CTN, Annie Liothin, Pierre Jean et Isabelle Maurin en particulier. Merci également aux différents contacts qui m’ont permis d’avancer dans mes recherches : Éric Favreau et Yannig Roth (Eyeka), François Caspar (AFD), Baptiste Fluzin (Tank), Geoffrey Dorne (Design&human, graphism.fr), Sophie Renault (Université d’Orléans), Sébastien Drouin (Aether Concept), les 43 gagnants Creads qui ont bien voulu répondre (@Mistizouk et Fabienne Chabus notamment), Pierrick Vieux-Crumière (DRH Saint-Gobain CREE). Je tiens enfin à remercier particulièrement les personnes qui ont été présentes tout au long de ce cursus et qui m’ont permis de réaliser cette parenthèse professionnelle : Celles qui m’ont appuyé pour le CIF : Mes anciens employeurs Corinne et Éric Vidal (Kariba Productions), Anne Laure Stretti Bouscarle (initiative Cavare-Sorgue), Monsieur le Député-Maire de Cavaillon Jean-Claude Bouchet. Mes amis, Élodie Cavel pour son éclairage de free-lance, Augustin Derigny pour son hospitalité et Chantal Millet pour son aide logistique précieuse. Enfin, ma femme Adeline, mes deux filles Agathe et Louison qui ne m’auront pas beaucoup vu et qui auront su me soutenir dans cette étape importante.

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Table  des  matières  À propos de l’auteur de ce mémoire… .......................................................................................................... 2  Remerciements ............................................................................................................................................. 4  Table des matières ........................................................................................................................................ 5  

I.   Introduction  Générale  .................................................................................................  7  La genèse du mémoire .................................................................................................................................. 7  Connaissez-vous le design ? .......................................................................................................................... 7  Les pratiques amateur ................................................................................................................................. 10  Émergence de nouvelles pratiques .............................................................................................................. 11  Problématisation du sujet ............................................................................................................................ 15  Hypothèses ................................................................................................................................................. 16  Méthodologie et corpus .............................................................................................................................. 18  

II.   Les  Recettes  du  crowdsourcing  ..................................................................................  23  1)   Introduction  ....................................................................................................................................  23  2)   Des  positionnements  différents  .....................................................................................................  24  

Creads et la production ................................................................................................................................ 24  Eyeka et les grandes marques ...................................................................................................................... 26  

3)   Ce  que  veulent  les  marques  ...........................................................................................................  29  Diversité, innovation et coût ....................................................................................................................... 29  Le consommacteur ...................................................................................................................................... 31  

4)   Discours  ..........................................................................................................................................  33  Bienvenue chez nous, vous faites partie de l’agence .................................................................................... 33  Profil de performances ................................................................................................................................ 35  

5)   Les  mécanismes  du  concours  .........................................................................................................  38  Les phases des concours .............................................................................................................................. 38  Les règles et les différents types de concours .............................................................................................. 39  Démarche de création ................................................................................................................................. 42  La phase des délibérations .......................................................................................................................... 44  Les gains ..................................................................................................................................................... 46  Les droits d’auteurs ..................................................................................................................................... 52  

6)   De  nouvelles  façons  de  travailler  ....................................................................................................  56  Se libérer des contraintes de salarié en agence ............................................................................................ 56  Un moyen de débuter une activité ? ............................................................................................................ 58  

7)   La  montée  des  inquiétudes  (Conclusion)  ........................................................................................  60  

III.   Le  crowdsourcing  au  cœur  des  préoccupations  ..........................................................  63  1)   Introduction  ....................................................................................................................................  63  2)   L’outsourcing  pour  comprendre  les  dérives  possibles  ...................................................................  65  

Les forçats du cybermonde .......................................................................................................................... 65  Certains modèles bien moches .................................................................................................................... 66  

3)   Perverted-­‐crowdsourcing  ...............................................................................................................  68  Les craintes des professionnels face au perverted-crowdsourcing .................................................................. 68  Apparition du terme spec-work ................................................................................................................... 69  À quel moment cela devient du travail spéculatif ? ..................................................................................... 69  La Saga Creads ............................................................................................................................................ 70  

4)   Contexte  difficile  pour  les  professionnels  du  design  ......................................................................  72  Les Gratuistes et la méconnaissance du métier ........................................................................................... 72  Dévalorisation de l'image que l'on a du design et du designer .................................................................... 74  

5)   Les  appels  d’offres  et  leurs  dérives  ................................................................................................  75  Deux cadres d’appels d’offres ...................................................................................................................... 75  La charte de l’AFD ..................................................................................................................................... 75  L’ère du Pitch : le crowdsourcing CS, sans plate-forme. ............................................................................ 76  

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Du temps perdu pour tout le monde ........................................................................................................... 77  Un système qui devient la norme ................................................................................................................ 77  Dérives au niveau des écoles ....................................................................................................................... 78  

6)   Le  statut  complexe  du  designer  free-­‐lance  ....................................................................................  79  Essoufflement du système actuel ................................................................................................................ 79  Le CS par simplicité : Paypal et la vision court-terme ................................................................................ 80  Peut-on contrôler les gains ? ....................................................................................................................... 80  Volonté d’un statut pour tous ..................................................................................................................... 81  

7)   Une  prestation  incomplète  :  Impact  sur  la  qualité  des  productions  ..............................................  81  Le logo du neveu du patron ........................................................................................................................ 82  Le brief figé / autodiagnostic ...................................................................................................................... 82  Le manque de pratique discursive ............................................................................................................... 83  

8)   Uniformisation  du  paysage  graphique  ............................................................................................  83  Rentabilité et recyclage ............................................................................................................................... 84  Plagiat ......................................................................................................................................................... 84  

9)   Un  impact  à  échelle  variable  ..........................................................................................................  85  Pour les grandes marques ............................................................................................................................ 85  Pour les PME ............................................................................................................................................. 85  Le risque de grogne de la part de la communauté ....................................................................................... 86  Un impact en terme de réputation pour les marques .................................................................................. 86  

10)   Un  bon  exemple  d'identité  :  Charleroi  .....................................................................................  87  11)   Conclusion  seconde  partie  .......................................................................................................  89  

IV.   Les  pistes  d’ouverture  ................................................................................................  92  1)   Les  pistes  pour  le  design  .................................................................................................................  93  

Graphisme à deux vitesses ? ........................................................................................................................ 93  Refuser les idées gratuites : Élaborer une stratégie ...................................................................................... 94  Les clients à éduquer ................................................................................................................................... 95  Les initiatives politiques ............................................................................................................................. 96  Reconnaître la valeur du travail ................................................................................................................... 96  

2)   Vers  un  collaboratif  vertueux  .........................................................................................................  97  Quelques formes intéressantes .................................................................................................................... 97  Le Co working équitable ............................................................................................................................ 98  L’exception des concours à caractère humanitaire ...................................................................................... 98  Les concours aux enjeux sociétaux .............................................................................................................. 99  

3)   Vers  un  statut  qui  protège  les  créatifs  sur  les  plates-­‐formes  .......................................................  101  Donner un cadre légal à ces pratiques ....................................................................................................... 101  Travail ou pas ? ......................................................................................................................................... 102  Faut-il encadrer davantage le crowdsourcing ? .......................................................................................... 103  

4)   Conclusion  générale  .....................................................................................................................  105  

V.   Bibliographie  ...........................................................................................................  106  VI.   Annexes  ..................................................................................................................  113  1)   Entretiens  .....................................................................................................................................  113  

Yannig Roth (entretien N°1) .................................................................................................................... 113  Éric Favreau (entretien n°2) ...................................................................................................................... 123  Baptiste Fluzin (entretien n°3) .................................................................................................................. 130  François Caspar (entretien n°4) ................................................................................................................ 141  Geoffrey Dorne (entretien n°5) ................................................................................................................. 149  

2)   Sources  et  références  Creads  .......................................................................................................  160  3)   Sources  et  références  Eyeka  .........................................................................................................  182  4)   Références  citations  (hors  plates-­‐formes)  ....................................................................................  189  5)   La  zone  de  confort  et  la  prise  de  risque  ........................................................................................  192    RESUMÉ  .............................................................................................................................................  195  

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I. Introduction  Générale  La  genèse  du  mémoire  Professionnel de la création depuis 10 ans, je constate au quotidien qu’il faut souvent expliquer son travail et même défendre un savoir-faire face à certains clients, pour qui nous sommes de simples techniciens maîtrisant les outils de création : des infographistes. Partant de cette constatation, j’ai découvert récemment des plates-formes sur le web (Creads notamment) permettant aussi bien aux amateurs qu’aux professionnels de répondre à des briefs par l’intermédiaire d’un concours. Comme en agence, l’internaute répond à une commande de logo ou d’affiche destinés à la communication d’une marque ou d’une entreprise. Cette nouvelle pratique appelée crowdsourcing (CS) a d’abord éveillé ma curiosité. Je me suis ensuite demandé en quoi cela pouvait changer d’une véritable commande et si les professionnels devaient y voir une nouvelle forme de concurrence. Le sujet de mémoire est devenu évident. Je souhaite trouver des pistes qui permettraient de voir comment le CS peut s'intégrer à l'économie du design, sa place au niveau de la qualité et son positionnement vis à vis des professionnels. Je vais essayer de rester dans une démarche de recherche en me détachant de mon statut de graphiste, ce qui ne va pas être facile. Le principe est de faire un constat pour dire aux graphistes : « regarder où vous mettez les pieds » et aux marques « voilà ce que vous pouvez espérer de cette pratique ». À première vue, le CS présente de nombreux avantages pour tout le monde. Pourtant, les graphistes étant majoritairement contre cette nouvelle pratique il est indispensable de comprendre ce qui peut faire débat sans tomber dans une opposition catégorique afin de définir où se situent les « zones grises ». L’objectif est de dégager des pistes pour les professionnels du design permettant de trouver un terrain d’entente et des ouvertures sur ce que peut devenir la commande (graphique en particulier) dans un contexte où l’uberisation au cœur des débats est susceptible aussi toucher les designers graphiques. Afin de comprendre comment le CS vient s’inscrire comme acteur de la création de design, je suis convaincu qu’il est indispensable d’avoir une vue d’ensemble du phénomène. Quitte à parfois m’égarer un peu… Le point de vue des marques et des plates-formes, celui des participants et des professionnels du design mais aussi de la législation : à partir de ces observations très larges, il est possible de cerner à la fois les grandes tendances du CS créatif ainsi que les principaux points de tensions qui viennent alimenter les débats souvent passionnés et difficiles à nuancer. Dans cette introduction, nous allons présenter tout d’abord le métier de designer qui sera évoqué tout au long de ce mémoire. Puis nous donnerons une rapide définition de l’amateur en design afin de comprendre comment ces deux mondes cohabitent sur ces plates-formes. Nous définirons enfin les grandes formes de CS afin de cadrer notre étude et de définir une problématique.

Connaissez-­‐vous  le  design  ?  Lorsque l’on parle de design, on imagine toujours le concept car, voir le presse-citron de Philippe Starck (pour les connaisseurs). Pourtant le design, est bien plus vaste. Un designer aujourd’hui peut exercer des domaines très variés souvent transverses : design d’intérieur ou industriel (les plus connus),

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graphisme, typographie, webdesign, vidéo, culinaire, sonore… En général, un designer reste spécialisé et expert sur un périmètre : un motion-designer sera plus sensible au son et appréhende le graphisme de manière animée. Même les meilleurs, comme Mathias Persini (studio Mattrunks1) ne maîtriseront pas autant la typographie ou la signalétique comme le font Stefan Sagmeister2 ou Ruedi Baur (studio Intégral3). Un typographe, connait chaque subtilité des polices de caractère alors qu’un webdesigner va savoir adapter visuellement les besoins d’utilisateurs aux contraintes techniques du web.

« La forme, c'est le fond qui remonte à la surface. » (Victor Hugo) Bien plus qu’un simple adjectif désignant ce qui peut être beau, la notion de design est souvent mal interprétée pas le grand public. La surface sensible et émotionnelle d’un bon produit de design représente en fait une petite part du travail du designer. Le design est comparable à la géologie du globe : composé de strates représentant chaque étape de la démarche du designer. Le noyau, pourrait être la recherche de sens une notion mobile, invisible et inaccessible, c’est l’âme qui va faire vivre l’idée, une volonté d’imaginer de nouvelles façons de voir les choses, la quête de facilité et d’amélioration de l’usage (on parle désormais d’UX design) pourrait être le manteau inférieur, la partie structurelle et solide d’un projet, ce qui fait qu’un concept « tient la route ». Ensuite on trouve le manteau qui va représenter la partie technique d’un projet : toujours consistante et plus ou moins « épaisse », cette partie technique existera toujours. Enfin, la croûte qui contrairement au terme employé pour désigner un tableau banal et amateur, représente en géologie une très mince pellicule de terre, ce que les gens désignent comme « beau ».

La face cachée du travail de design (source aetherconcept.fr)

1 http://studio.mattrunks.com/ 2 http://www.sagmeisterwalsh.com/ 3 http://www.irb-paris.eu/ 4 Lupton E. D.I.Y.: Design It Yourself. 1 edition. New York : Princeton Architectural Press, 2006. 176 p.ISBN : 9781568985527. 5 « Celui qui réalise et celui qui apprécie » (P. Flichy, 2010) 6 Flichy P. Le Sacre de l’amateur (2010) - Patrice Flichy [En ligne]. 2010. 112 p. (Seuil-La République des idées).

2 http://www.sagmeisterwalsh.com/ 3 http://www.irb-paris.eu/

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Alors qu’un artiste choisi seul la direction de son travail, en fixant les frontières de son univers. Pour le designer, c’est le principe de commande et des contraintes qui domine. Celui-ci aura du mal à travailler sans un cadre défini par un brief. On peut considérer une problématique comme un boîte à chaussure, possédant un couvercle par lequel on ne peut rentrer. Un ingénieur, fonctionnera plutôt avec méthode, en trouvant même d’ingénieux systèmes pour ouvrir le couvercle, quelqu’un du marketing pourra par son analyse nous dire en combien de temps ouvrir le couvercle et si c’est rentable de le faire. Le designer aborde une problématique de manière différente à la jonction des trois univers. Il le fera en pensant out of the box (en dehors de la boîte), en regardant où se trouve la boîte. En voyant les choses de manière globale et intuitive, cela permet d’avoir un point de vue particulier sur le monde et les objets qui nous entourent. C’est pour cette raison qu’un designer doit travailler en étroite collaboration avec son client, afin de cerner parfaitement la demande. Un graphiste communique pour les autres, il sait interpréter une demande et la traduire visuellement, faire passer des émotions. Il fait jusqu’à cinq années d’études pour apprendre à répondre de manière pertinente à une commande en utilisant un savoir-faire technique basé sur des règles de mise en page et de typographie. Les graphistes sont des artistes qui répondent à des commandes. C’est d’ailleurs ce qui les distingue des plasticiens. Chaque graphiste a sa propre approche du métier, basée sur une expérience enrichie par une succession de projets. Vous ne trouverez pas deux professionnels qui ont la même réponse à une problématique client car chacun possède sa propre sensibilité et développe son propre cheminement dans le processus de création.

« Je mets surtout l’accent sur le fait que le design est une pratique vivante, non un débat théorique mais un travail concret dans un studio. J’insiste sur la valeur de communication au public du design plus que sur sa dimension d’expression personnelle. » (Ellen Lupton, 2006)4

Le typographe Ruedi Baur, fondateur du studio Intégral étudie avec attention un lieu et ses spécificités pour y associer la création d’une signalétique qui réponde aux particularités de l’espace. Ce travail, long et précis est l'excellence même de ce que l’on peut trouver dans une démarche de création graphique. Il exprime très bien ce propos qui peut donner une première approche du métier de designer (ici en signalétique) :

« La qualité, l’originalité, la non-reproductivité, la justesse par rapport au contexte pourront contribuer à transformer ces territoires en de véritables lieux, c’est à dire en espaces où l’on désire se rendre pour le fait même de sa qualité. » (Baur, 2005)

Les graphistes, depuis les affichistes du début XXe siècle jusqu’à Savignac ont souvent marqué de leur style l’univers visuel d’une époque. Aujourd’hui encore certains graphistes travaillent toujours à la main ou avec un style et une approche typographique de puriste. Étienne Robial (Canal+) porte en horreur les ordinateurs. Le graphisme minimaliste d’Apeloig semble avoir été simplement finalisé dans un format informatique. Pourtant les typographes n’ont pas disparu comme les peintres en lettres. Certains graphistes comme Serroussi ou Batory sont des orfèvres de Photoshop. John Maeda détourne

4 Lupton E. D.I.Y.: Design It Yourself. 1 edition. New York : Princeton Architectural Press, 2006. 176 p.ISBN : 9781568985527.

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l’outil informatique pour produire des visuels à la limite de la recherche scientifique. Les outils sont simplement plus accessibles, les talents s’adaptent.

Les  pratiques  amateur    La notion d'amateur existe depuis longtemps, et ne n'est pas uniquement liée à notre société contemporaine. L’accroissement du niveau moyen de l’instruction et les nouveaux outils offerts par Internet permettent de définir de nouvelles formes de pratiques. La figure de l'amateur prend différentes formes : celui qui réalise, l'artisan et celui qui apprécie5, le connaisseur. Ils ne prétendent pas rivaliser avec les experts mais développent une expertise ordinaire :

« Nous vivons une révolution silencieuse : la montée en puissance des amateurs, ces passionnés qui ne sont ni des novices, ni des professionnels, mais de brillants touche-à-tout6. » (P. Flichy, 2010).

Patrice Flichy, fait un constat sur les pratiques actuelles des amateurs. Au travers plusieurs exemples concrets, on découvre ces «amateurs » dans leurs différents domaines d’activité tels que la politique ou les sciences. Il existe différents types d’amateurs sur les plates-formes de Crowdsourcing, chacun ayant sa propre façon d’agir en fonction de ses objectifs. L'amateur s’impose comme la figure emblématique d’une nouvelle forme d’expertise basée sur l'expérience et le partage, il se situe dans un entre-deux facilité par un accès aux outils lui permettant de développer de nouvelles compétences qu’il peut ensuite mettre en pratique par le biais de concours de création, un mélange entre l’ignorant et le professionnel :

« L’amateur se tient à mi-chemin de l’homme ordinaire et du professionnel, entre le profane et le virtuose, l’ignorant et le savant, le citoyen et l’homme politique » (P. Flichy, 2010).

Cette zone grise jusqu’alors assez identifiable en graphisme est occupée par ce que Flichy désigne comme les Pro-Am (concept été proposé par Alvin Toffler en 1980)7 :

« Un nouveau règne s’annonce, qui brouille toutes les frontières : celui du pro-am (professionnel-amateur), citoyen-acteur, expert autodidacte, créateur à part entière. » (P. Flichy, 2010)

En design, il est souvent difficile de distinguer le pro de l’amateur... Il y a de très bons techniciens qui pratiquent l’infographie, qui font de belles choses de manière passionnée sans pour autant exercer l’activité de designer professionnel. À l’inverse, on trouve des free-lances qui devraient peut-être penser à une reconversion. Le web participatif, permet non seulement de rivaliser avec les experts, mais de se réapproprier tous les aspects de la culture contemporaine. Certains sont de brillants touches-à-tout ayant appris le métier de manière autodidacte avant de devenir professionnels.

« Le design est un art que les gens utilisent » (E. Lupton, 2006, à propos du DIY)

5 « Celui qui réalise et celui qui apprécie » (P. Flichy, 2010) 6 Flichy P. Le Sacre de l’amateur (2010) - Patrice Flichy [En ligne]. 2010. 112 p. (Seuil-La République des idées). Disponible sur : < http://Www.seuil.com/livre-9782021031447.htm > (consulté le 16 janvier 2015) 7 Toffler A. (1980), The third wave, New York, Bantam Books.:

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La notion du concepteur, ayant besoin d’une formation classique, est remplacée par celle du DIY (do it yourself), ce qui peut démocratiser un métier jusque là considéré comme nombriliste et même prétentieux. La communauté des designers-bricoleurs, est de plus en plus complexe et remet en question la pratique professionnelle, ses normes et usages. Les amateurs-graphistes ont toujours existé, et s’expriment sur des forums spécialisés ou à travers la communication associative. Il s'agit de la secrétaire de direction qui va occuper malgré elle un poste de "chargé de com" ou le président d'un club de voile qui va mettre en ligne son site web et les affiches annonçant la régate à venir… En 2009, Yoann Bertrandy, dans son mémoire de fin d’étude intitulé Tout le monde est graphiste, a interrogé ces amateurs-graphistes en partant du principe que les professionnels auront forcément un avis très tranché sur la question. Il voulait comprendre leur démarche et leur point de vue sur le graphisme en étudiant comment ces personnes abordent un sujet de communication. Une citation célèbre de Sabo Tercero précise bien cette pensée :

« We are all designers, the di fference is that only a few of us do it full-time. » Sabo Tercero8 Jusqu’à présent ces amateurs n’inquiétaient pas les professionnels, chacun travaillant dans son périmètre. On commence à voir apparaître depuis quelques années une forme de commande proche du bénévolat et l’on constate des dérives au niveau des appels d’offres où de véritables graphistes sont assez facilement mis en compétition par un simple pitch sans espoir d’être rémunéré pour le travail effectué. Le sujet concerne plutôt les indépendants débutants, qui doivent eux-mêmes trouver leur clientèle lorsqu’ils n’interviennent pas en agence, mais celles-ci sont également confrontées à des clients de plus en plus interventionnistes qui n’hésitent pas à brandir la menace de la concurrence pour faire baisser les prix. Le contexte est donc très compliqué car le métier est aussi mal identifié. Le paysage de la commande graphique se complexifie de plus en plus avec l’arrivée de nouveaux acteurs où se côtoient de véritables professionnels, venus chercher une forme d'épanouissement, et des amateurs. La démocratisation des outils et l’apparition de templates sur le web permettent aujourd’hui à n’importe qui de devenir graphiste, de concevoir un site web sans parti pris créatif ou de vendre sa création sur des plates-formes comme Fiverr qui proposent de faire des logos ou des chartes pour 5$ (prix unique). Les lignes entre amateurs et experts sont floues et sont en train de changer certains domaines jusque là réservés aux professionnels. Pour comprendre comment les amateurs ont progressivement été en position de concurrencer les professionnels, il est indispensable d’associer ce mouvement aux technologies numériques.

Émergence  de  nouvelles  pratiques  De nouveaux mastodontes du web aux capitalisations équivalentes au PIB de certains pays ont récemment bousculé les acteurs traditionnels de nombreux secteurs aux réglementations parfois lourdes ou désuètes. Ces NATU (Netflix, AirB&B, Tesla, Uber), sont les exemples les plus couramment utilisés pour désigner cette nouvelle économie « collaborative ». Il vous suffit aujourd’hui

8 « Nous sommes tous des créateurs, la différence est que seulement quelques-uns d'entre nous le font à temps plein. »

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de sortir votre Smartphone pour décrocher un rendez-vous avec un coiffeur à domicile (Popmyday)9, trouver un avocat, un notaire (Testamento)10, un moyen de financer votre projet (kisskissbankbank) 11, un agent immobilier, un transport de colis (Goshipster)12, un co-voiturage(Blablacar), une chambre chez l’habitant, un taxi conduit par un particulier, ou un graphiste amateur pour réaliser votre logo (Fiverr)13… Uber, la société lancée par Travis Kalanick a réussi en six mois à mettre à mal le secteur pourtant très protégé des taxis partout dans le monde. Maurice Lévy, patron de Publicis parle pour la première fois d’uberisation14pour désigner l’inquiétude grandissante des acteurs de la vieille économie, ces professions qui n’ont pas su se moderniser à temps :

« Tout le monde commence à craindre de se faire Uberiser. C'est l'idée qu'on se réveille soudainement en découvrant que son activité historique a disparu... Les clients n'ont jamais été aussi désorientés ou inquiets au sujet de leur marque et de leur modèle économique » (Maurice Levy, 2014)

Autrefois Napsterisées, Youtubisées puis enfin netflixisées, ce sont les industries culturelles qui ont d’abord vécues les premières vagues de ce tsunami numérique15(B. Teboul, 2015)16, cause des bouleversements pour tous les secteurs, à commencer par la publicité : Google ou Facebook ont largement changé la manière de consommer l’information. Il faut désormais compter sur des data-scientist17 des community manager pour communiquer…Des emplois très qualifiés. Uber devient un thème central de la campagne présidentielle américaine, car cette start-up représente une remise en cause des pratiques et usages. Désormais l’association d’un logiciel (la plateforme) et des données utilisateurs (big-data), permet de mettre en relation par le biais d’une application un client avec des collaborateurs de toute la planète en mesure de fournir un service dans les meilleurs délais et surtout au meilleur tarif. Les avantages sont évidents pour les consommateurs qui voient surtout une face sublimée par le marketing puissant du service. Mais ce phénomène ne fait que créer de la valeur et le revers de la médaille est qu’il y a plus de destruction que de création. Cette révolution silencieuse (P. Flichy, 2010) se développe avec l’apparition du web 2.0 dont nous allons à présent définir le terme.

Le web 2.0, naissance du crowdsourcing

La genèse du CS remonte à 2001, après l'explosion de la bulle Internet où de nombreuses start-up ont fermé leurs portes aussi rapidement qu’elles les avaient ouvertes. Cet événement a remis en question 9 https://www.popmyday.com/ permet de décrocher un rendez-vous avec un coiffeur à domicile 7 jours sur 7. 10 https://testamento.fr/fr/ permet en quelques clics de rédiger un testament juridiquement fiable pour quelques dizaines d’euros. https://captaincontrat.com/ commence quant à lui à inquiéter les avocats. 11 http://www.kisskissbankbank.com/ et sa filiale Lendopolis est une plate-forme de crowdfunding qui joue un rôle de mécène auprès des porteurs de projets, elle connait un succès grandissant auprès des PME qui ne trouvent plus le soutien financier des banques. 12 http://goshipster.com/ va devenir probablement un acteur majeur du transport de colis, au point d’inquiéter les géants du secteur. 13 Nous étudierons cette plate-forme par la suite en page 67 14 Thomson A. « Maurice Lévy tries to pick up Publicis after failed deal with Omnicom ». Financial Times [En ligne]. 14 décembre 2014. Disponible sur : < http://www.ft.com/intl/cms/s/0/377f7054-81ef-11e4-b9d0-00144feabdc0.html#axzz3M8s3UwVa > (consulté le 1 août 2015) 15 Teboul B. « L’ubérisation, ce tsunami qui va déchirer notre économie ». Capital.fr [En ligne]. Aout 2015. Disponible sur : < http://www.capital.fr/bourse/actualites/l-uberisation-ce-tsunami-qui-va-dechirer-notre-economie-1061678 > (consulté le 1 août 2015) 16 Teboul B., Picard T. « Uberisation - Économie déchirée ? » | Editions Kawa [En ligne]. , 2015. Disponible sur : < http://www.editions-kawa.com/home/113-uberisation-economie-dechiree-.html > (consulté le 1 août 2015) ISBN : 978-2-36778-050-4. 17 Associés à l’analyse des BIG DATA ou aux algorithmes

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de nombreux modèles économiques. Avec le recul, et l’explosion des utilisateurs à travers le monde on voit alors le web 2.0 comme une rupture avec l’ancien modèle. Tim O’reilly, considéré comme un des pionniers de l’open source, définit le web 2.0 avec l’apparition des interactions entre les utilisateurs du web. Cette évolution rendant la navigation plus fluide permet à l’internaute de passer de l’état de visiteur à celui d’acteur. Ce concept a permis, grâce aux techniques et aux connexions plus performantes, de développer de nouveaux services. L’open source est propre à l’informatique. Il se développe à partir des années 90 en permettant aux développeurs d’accéder à un code informatique ouvert pour se l’approprier ou l’améliorer de manière continue. Le parfait exemple est celui du système d’exploitation Linux. Le web permet une interaction perpétuelle entre les internautes qui collaborent autour de projets communs. L’open content est différent, il s’agit d’un contenu enrichi par les internautes. L’exemple couramment cité est celui de l’encyclopédie gratuite Wikipédia qui s’affine quotidiennement grâce aux contributions de milliers de bénévoles à travers le monde. On parle alors de CGU18 (Contenu Généré par les Utilisateurs). On voit alors apparaître de nouveaux mots pour illustrer ces concepts. Le mot crowdsourcing dont la traduction littéraire est approvisionnement par la foule, est alors mentionné pour la première fois en 2006 par Jeff Howe dans un article de la revue Wired intitulé The rise of crowdsourcing. L’auteur utilise l’exemple du site IstockPhoto, une place de marché (Renault, 2014) dont le but est de sourcer (terme utilisé par Creads) des photographes, sans distinction de savoir-faire, afin de revendre leurs clichés à moindre coût. Jeff Howe définit ce concept comme :

«The act of taking a job traditionally performed by a designated agent (usually an employee) and outsourcing it to an undefined, generally large group of people in the form of an open call » (J. Howe, 2006)19

Flichy définit lui-aussi le terme de CS comme une sous-traitance de tâches effectuées par les internautes. Il compare cette pratique à de la recherche « en plein air ». Cette « collecte d’informations réunies par de nombreuses personnes dispersées dans des espaces multiples où l’amateur trouve facilement sa place ». 20 Sophie Renault parle d'une logique d’open innovation : une création de valeur au-delà des frontières des organisations, où matière grise, créativité, argent et données personnelles sont autant de ressources et compétences détenues par la foule dont les organisations souhaitent s’emparer.21 Le CS se distingue donc de la plupart des principes de type Open source car il s’inscrit dans une logique entrepreunariale. Il permet aux entreprises d’accéder à une grande diversité de contenus provenant du monde entier et peut aussi raccourcir considérablement l’obtention d’un résultat pour une problématique donnée.

18 UGC en anglais : User Generated Content, à différencier des conditions générales d’utilisation des concours. 19 Traduction : Le fait de prendre un travail habituellement réalisé par un agent désigné (généralement un employé) et de l'externaliser à un groupe important de personnes sous la forme d'un appel ouvert à contribution. 20 Flichy P. Le Sacre de l’amateur (2010) - Patrice Flichy [En ligne]. , 2010. 112 p. (Seuil-La République des idées). Disponible sur : < http://www.seuil.com/livre-9782021031447.htm > (consulté le 16 janvier 2015) 21 Renault, Sophie. « Comment orchestrer la participation de la foule à une activité de crowdsourcing ? La taxonomie des 4 C ». Systèmes d’information & management 19, no 1 (16 juin 2014): 77‑105. doi:10.3917/sim.141.0077

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Ainsi, on voit se développer de nombreuses entreprises dont le fonctionnement est basé sur la production de contenu des utilisateurs. Facebook est certainement le plus représentatif, mais de nombreux services en ligne naissent également à cette époque. En remplissant un formulaire reCAPTCHA, par exemple, l'internaute, participe sans le savoir à une forme de CS qui lui est présenté comme une sécurité. Ce programme de reconnaissance de caractère sert à la numérisation des livres. Les exemples sont nombreux à commencer par la recherche Google… l'internaute n'a pas l'impression de travailler ni d'être rétribué pour ces micro-tâches. Pourtant, il aide les organisations dans leur fonctionnement en apportant de la valeur. Il s’agit d’une relation tripartite où La foule (ressource) n’entre pas en contact direct avec le client final (crowdsourcer) mais passe par un intermédiaire : la plate-forme.

« A l’initiative d’une organisation, le crowdsourcing constitue l’externalisation vers la foule d’activités réalisées classiquement en interne ou par un prestataire identi fié. » (S. Renault)

Un large éventail de modèles

Tout comme les définitions, il existe de nombreuses classifications et un large éventail de modèles de CS définies par la recherche. Lebraty et Lobre (2013) définissent 10 types de CS : Crowdjobbing (tâches routinières), Crowdwisdom (avis de la foule), Crowdfunding (financement par la foule), Forecasting (prévisions de la foule), Innovation (la foule répond à des problématiques R&D, techniques ou conceptuelles), Authenticity (lien de proximité entre la foule et le crowdsourcer), Crowddauting (permet de sélectionner du contenu), Crowdcontrol (la sécurité est assurée par la foule), Crowdcuration (la foule peut classer des données), Crowdcare (la foule participe à un programme de santé). Nous étudierons particulièrement les formes de CS où la foule effectue des tâches créatives (Pénin & al., 2013) également appelé : crowdsourcing d’activité créatives22 (CAI) ou Crowdcreation (Howe, 2008). Il s’agit aussi de CS d’Authencicity (Lebraty & Lobre, 2013) qui permet de créer un lien de proximité entre la foule et le crowdsourcer (la marque ou l’organisation). Les principales plates-formes étudiées organisent des concours de création. L’aspect sélectif ou compétitif (Guitare & Schenk, 2011, Renault, 2014) est souvent très présent, tout comme la notion de gains financiers. Sophie Renault (2014) propose un recoupement des différentes classifications en quatre grandes familles qu’elle nomme les 4C : Collaboratif, Coopétitif, Compétitif, Cumulatif. Son travail nous permet de positionner les plates-formes étudiées en fonction du niveau de coordination, de compétition, d’interaction et de proposition. Eyeka et Creads sont compétitifs : l’esprit de compétition est fort et le besoin de coordonner les participants entre eux est faible, ils fournissent moins de propositions et le niveau d’interaction avec la plate-forme est limité. Sur Fotolia nous serons dans un CS Cumulatif : il y a moins de compétition, mais le nombre de propositions est potentiellement plus élevé. Sur Fiverr, que nous évoquerons à plusieurs reprises, nous serons à mis chemin entre ces deux positionnements.

22 Sawhney et Prandelli, 2000 ; Sawhney et al. 2005 ; Nambisan et Sawhney, 2007 ; Ågerfalk et Fitzgerald, 2008 ; Pisano et Verganti, 2008; Trompette et al., 2008 ; Schenk et Guittard, 2011 ; Burger-Helmchen et Pénin, 2011

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Nous ferons également un parallèle avec l’outsourcing (crowdjobbing) qui est souvent associé à l’externalisation de micro-tâches pour nous concentrer sur l’étude des sites de CS liés à la création de contenu graphique ou d’idées.

Problématisation  du  sujet    Face à la montée en puissance du crowdsourcing créatif et un réel manque de reconnaissance du métier de designer, les professionnels de la création se sentent désarmés et associent parfois ce phénomène à la mort du métier. Le contexte économique est difficile, de nombreuses agences ferment23 et les free-lances peinent à être rémunérés correctement. Les clients de plus en plus interventionnistes, n’hésitent plus à mettre en concurrence plusieurs graphistes sans pour autant rémunérer tous les participants. Faut-il éduquer le client comme le propose certains collectifs ou la récente publication du centre national des arts plastiques24 destinée aux entreprises désireuses de faire appel à une agence ou un indépendant ? Cependant ces sites ne permettent-ils pas aux débutants de faire leurs armes sur des petits projets ? On sait qu’un étudiant sorti d’une école de design passe par une série de stages et un certain nombre de petits projets afin de constituer un book créatif lui permettant d’intégrer une agence et, avec de la chance de décrocher un CDI. Ces nouvelles formes d’appel d’offres proposées par les plates-formes ouvrent également de nombreuses perspectives aux marques désirant à la fois impliquer leurs consommateurs et obtenir un regard plus frais pour leur communication. Pour légitimer son statut de professionnel dans cette nouvelle économie 2.0 de la création, le designer doit trouver des pistes lui permettant de se démarquer des tarifs compétitifs pratiqués sur les plates-formes. Au-delà de l’aspect économique, la chaîne de création classique pourrait être transformée par ce nouvel acteur. Cette communauté de créateurs en compétition est constituée d’amateurs éclairés (pro-am), d’étudiants en graphisme et de professionnels. Mais qui sont vraiment les gagnants ? Un professionnel va-t-il modifier sa pratique en participant à ces concours ? Nous allons orienter cette recherche en tentant de comprendre ce que ces plates-formes modifient à la fois au niveau des pratiques professionnelles mais aussi ce qu’elles véhiculent au niveau du design. Ces plates-formes peuvent-elles évoluer vers des formes plus équitables pour tous ? Peut-on trouver des solutions durables afin que ces deux mondes cohabitent ? Pour le moment les différents articles liées au CS s’attachent surtout à donner un cadre juridique au travail en définissant les différentes formes d’implications de la foule par des classifications (Lebraty, Lobre, Renault, Roth, Favreau, Massanari, Burger-Helmchen). Nous utiliserons ces travaux pour comprendre pourquoi le CS est aussi considéré comme du perverted-crowdsourcing. Sophie Renault se demande à la fin de son article

23 à l’heure où je termine ce mémoire, je viens d’apprendre mon licenciement économique, l’agence dans laquelle je travaille depuis 8 ans doit fermer son service « infographie ». 24 Adebiaye F. Guide : « La commande de design graphique » [En ligne]. Centre national des arts plastiques, 2014. Disponible sur : < http://www.graphismeenfrance.fr/article/guide-commande-design-graphique > (consulté le 19 janvier 2015) ISBN : ISSN : 2267-3075.

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Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l’organisation et du travail25 si un terrain d’entente entre créatifs et CS peut être envisagé et s’il existe une manière de fidéliser la foule sur un modèle de plate-forme transparente et éthique. Adrienne Massanarri évoque les licences Creative Common26 (CC), qui permettent à l’auteur de conserver ses droits d’exploitation. II faudra probablement considérer le CS comme une facette à part entière du petit monde de la création visuelle. La Problématique suivante se pose : En quoi les plates-formes de crowdsourcing font-elles évoluer le paysage de la création graphique et définissent de nouvelles règles aux professionnels de la création ?

Hypothèses  En introduisant de manière détaillée notre sujet d’étude, nous avons évoqué des pistes possibles de recherche. Pour répondre à cette question, trois axes ont semblé pouvoir orienter la réflexion à mener. Nous formulerons deux hypothèses principales qui constitueront le corps de ce mémoire puis procéderons à une ouverture dans une dernière partie.

Hypothèse 1

Comme de nombreuses start-up, les plates-formes de CS créatif affichent une croissance à deux chiffres. Leur discours bien rodé attire aussi bien les marques (annonceurs) que les participants qui trouvent de nombreux avantages à travers ce modèle. Cette communication efficace basée sur la promesse d’une grande quantité de réponses ne garantit pas pour autant un résultat de qualité. S’il existe des points de ressemblance, le processus de création semble toutefois éloigné du travail habituel d’un free-lance ou d’une agence. Il s’agit d’une nouvelle approche de la communication pour les marques. Celles-ci voient au travers des plates-formes une façon d’interagir avec leurs consommateurs en les impliquant de manière ponctuelle. Cependant les résultats obtenus à la suite de concours répondent à des objectifs différents pour les organisations. Le CS propose une forme attractive d’organisation de la chaîne graphique pour les entreprises qui font appel à leurs communautés de créatifs. Il permet de définir rapidement une idée, comme une première réponse à un brief ensuite être revisitée par les agences pour produire un résultat plus abouti. Le signe n’est pas mis en circulation. Il s’agit juste d’un visuel. Il n’y plus d’argumentation de la part du créatif. Le Jugement du commanditaire est-il uniquement basé sur le j’aime-j’aime pas avec un professionnel qui ne peut expliquer son travail et argumenter se démarche de création ? En interprétant le travail graphique et se permettant d’y retoucher parfois avant de livrer le rendu au client, ces plates-formes semblent modifier la nature des échanges entre le créatif et le client. L’accompagnement et la relation client semblent secondaires au profit d’un résultat uniquement quantitatif. Cette dépossession du travail où les droits d’auteur (droits d’exploitation) sont entièrement cédés nous amènerons à nous demander quelle est la place du créatif sur ces communautés en concurrence.

25 Renault Sophie, « Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l’organisation et du travail », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, 1 mars 2014, vol. 11, no 2, p. 23‑40. 26 Les licences CC sont une solution alternative aux cessions de droits d’auteurs classiques et parfois trop restrictifs. Elles permettent d’utiliser la création de manière plus ou moins large et protègent toujours l’auteur de l’œuvre, à l’inverse d’une complète cession de droit.

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En jouant sur les codes professionnels des agences, les plates-formes de crowdsourcing attirent les créatifs cherchant à s'insérer professionnellement ou souhaitant débuter une activité. Les participants y voient une opportunité pour consolider leurs books de références avec des marques de renom. D’autres y trouvent une autonomie permettant de créer plus librement et d’avoir un rapport à la création plus personnel qu’en agence. Nous formulerons donc cette première hypothèse : Le crowdsourcing représente de nombreux avantages pour les marques. Il est en train de modifier la manière dont celles-ci envisagent la création graphique et propose également aux créatifs de nouvelles façon de travailler.

Hypothèse 2

L’accès aux outils permet à l’amateur de pratiquer une activité proche du professionnel dont les nuances sont parfois subtiles. Une limite parfois infime entre le professionnel et l’amateur éclairé, le “pro-am” (P. Flichy) permet à n’importe quel individu de pratiquer sur le web une activité jusque là réservée aux professionnels. Le CS créatif s’inscrit dans un contexte économique difficile pour les professionnels de la création. Leur métier manque de reconnaissance et leur expertise semble se fragiliser davantage avec l’apparition des plates-formes. Le paysage graphique tend vers une uniformisation au détriment de la réflexion et des échanges créatifs-client. La mise en concurrence semble devenir la norme de l’appel d’offre classique, devient le modèle sur le web. Le professionnel se retrouve directement en compétition avec les amateurs. Au delà de cet aspect concurrentiel, ces nouvelles pratiques soulèvent la question de la valeur de l’expertise du designer. L’uniformisation et l’appauvrissement du paysage visuel lié à la simplification du processus créatif semblent constituer l’inquiétude principale des professionnels du design. Pour les professionnels de la création : le CS est une menace et favorise un appauvrissement des contenus. Le CS s’inscrit-il dans cette mouvance de méconnaissance du métier ? Qui peut être mis à mal par ces pratiques : indépendants ? Agences ? Si ces plates-formes ont pu modifier la nature des échanges entre le créatif et le client, la pertinence des réponses semble amoindrie. L’Alliance Française des Designers (AFD) dénonce de manière virulente cette pratique et la petite communauté des designers sur le web cherche à s’organiser pour trouver à la fois une manière de valoriser leur métier et de se défendre face à ces plates-formes. À partir de ce constat, nous formulerons cette seconde hypothèse : Le crowdsourcing s’inscrit dans un contexte économique fragile de l’économie du design. Il brouille d’avantage les frontières entre les amateurs et les professionnels et ne fait qu’augmenter la méconnaissance de ce métier.

Des pistes d’ouverture

N’ayant pu vérifier l’hypothèse d’un modèle vertueux à part entière nous allons dans cette dernière partie étudier, en deux séquences, des pistes d’ouverture. Nous verrons tout d’abord qu’il est urgent de proposer un statut du créatif équilibré. Il existe également des nuances permettant d’affirmer que certaines formes de CS sont vertueuses et peuvent dans certains cas être en accord avec un processus de design de qualité. Peut-on trouver des points sur lesquels le CS, ce nouvel acteur de la place graphique pourrait être bien perçu ?

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Dans un second temps, nous évoquerons des pistes permettant aux professionnels de valoriser cette expertise et de se positionner dans une bulle d’excellence sélective à haute valeur ajoutée : un design à deux vitesses. On voit depuis une décennie (peut-être plus) apparaître un marché saturé de graphistes en tout genre. Avec des formations de graphiste-express, on devient en 5 mois un infographiste prêt à servir, capable d'utiliser des outils. Il est alors souvent difficile de déterminer qui est réellement professionnel et qui ne l'est pas. Nous l’avons évoqué en introduction et nous le verrons tout au long de ce mémoire : un graphiste possède bien plus qu’une expertise technique. Nous verrons qu’il existe plusieurs formes de réponses : un accompagnement pédagogique du client et une stratégie commerciale adaptée.

Méthodologie  et  corpus  Pour nos recherches, un corpus large a été utilisé. Les principales sources sont :

• Une étude de la littérature liée au sujet • Une veille active de l’actualité liée au CS et au concept d’uberisation. • Une étude approfondie des plates-formes (Creads, Eyeka et Fiverr) et des participants (analyse

quantitative et questionnaires ciblés) • Cinq entretiens semi-directifs réalisés auprès de professionnels du design ou de responsables de

plates-formes (Eyeka et Creads) • Des échanges par mail avec certains créatifs des plates-formes, des blogueurs ou des échanges

sur les réseaux sociaux au sujet du CS (Twitter et Linkedin) • Une participation à plusieurs concours en tant que créatif • Mon expérience de designer

Étude des articles de référence sur le crowdsourcing

Quelques auteurs reviennent régulièrement, certains seront cités pour leurs travaux autour du CS. Les travaux de Sophie Renault (2013, 2014) serviront à cerner les différentes catégories de CS et nous permettrons de définir les mécanismes des concours. Adrienne Massanari (2012) nous permet d’entrevoir les limites possibles du CS créatif, nous utiliserons sa méthode pour calculer les probabilités des concours. Des travaux généralistes sur les CS permettent également d’appuyer nos propos : Brabham et Daren (2013), Cédric Pelissier (2011), Burger-Helmchen (2011), Divard (2010, 2014) Les travaux d’Éric Favreau & Yannig Roth (2014) et de Charlotte Lucien (2012) nous orienterons sur les notions de droits d’auteurs et de travail liées au CS. La notion d’amateur traitée en introduction et évoquée à plusieurs reprises est fondée sur les écrits de Patrice Flichy (2008, 2010) et d’Andrew Keen (2008). Les écrits sur le graphisme permettent d’appréhender la notion de design. Le travail de Blair Enns (2014, traduit par François Capsar que nous avons également interrogé en entretien) ainsi que le guide de la commande graphique (2014) serviront à alimenter ce mémoire et à entrevoir des solutions durables pour les professionnels.

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Quelques vidéos

Les dérives possibles liées à l’outsourcing (externalisation) ou au travail gratuit sont traitées essentiellement à partir du documentaire de Vanina Kanban (2007) et la vidéo de Topic Simple27. D’autres vidéos documentaires servent aussi à recueillir des témoignages de marques ayant eu recours au CS.

Analyse des articles de blog, de Twitter et suivi de l'actualité

Loi Macron, l’affaire Creads, Uber, les polémiques autour des logos, concours ou affiches, des refontes de plates-formes… l’actualité pendant la période de recherche fut ponctuée de plusieurs événements en lien avec ce sujet vivant. Au-delà du CS, c'est l'économie numérique de façon plus large qui est en train de bouleverser nos façons de communiquer. Comprendre ce qui se passe pour certaines professions (pour les taxis ou les hôteliers par exemple) nous donne des pistes pour mieux comprendre les enjeux du CS créatif.

Du côté des professionnels du design

En étudiant l’actualité du graphisme et les différents débats animés par la communauté des graphistes professionnels, il est facile de prendre la mesure du phénomène, la moindre discussion autour du CS générant de nombreux commentaires. Voici les principaux sites ayant permis de recueillir des informations : Graphisteries (Ludivine Vinot, Julien Moya), le forum kob one, le groupe graphistes et créati fs sur Linkedin, Étapes graphiques (actualités du design), graphism.fr (le blog de Geoffrey Dorne), Manufacture créative Aether Concept (Sébastien Drouin) et les flux Twitter liés au CS. Nous avons étudié en particulier la démarche de création du studio Pam&Jenny qui a refait l’identité de la commune Belge de Charleroi28, différents travaux de designers viendront compléter cette notion de qualité de design.

Une analyse sémiologique des plates-formes

Un premier comparatif très général a servi à définir les 3 principales plates-formes servant à l’étude Creads, Eyeka et Fiverr. Nous étudierons la plate-forme Creads et Eyeka de manière plus poussée. La plate-forme Fiverr sera analysée par une étude issue de retour d’expériences existantes. Creads est spécialisée principalement en concours de design et de logo ou création de nom (naming) dont la particularité est de livrer rapidement une production au client. Eyeka propose à l’inverse des concours qui serviront ensuite aux marques à travailler sur de plus gros projets, il s’agit d’une forme de « brainstorming » à grande échelle : l’idéation. Nous ferons la distinction de ces concepts en première partie. Pour chaque site une même approche, en essayant de dégager par l’observation :

• Les résultats des concours, la moyenne des participants, les fourchettes de prix pour les lauréats, le type de concours, la communauté.

• Le discours et la promesse pour les marques ou les communautés créatives. • Le discours en rapport crowdsourcing / travail / la transparence du service.

27 Qu’est-ce que le travail spéculatif ? [En ligne], 2012. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=gemQQ0-RSyQ&feature=youtube_gdata_player > (consulté le 15 novembre 2014) 28 Etapes Graphiques. Charleroi : le logo aspire à la couronne [En ligne]. mars 2015. Disponible sur : < http://etapes.com/charleroi-le-logo-aspire-a-la-couronne > (consulté le 21 mars 2015)

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• Pratiques d’écritures, idéologies sous-jacentes d’un espace hypercollaboratif et démédiatisation sur ces plates-formes : raccourcissement de la chaîne.

• Le déroulement d’un concours.

Identification des créatifs sur les différentes plates-formes

Les chiffres qui entourent les participants sur les plates-formes sont assez flous. Il est possible d’obtenir de grandes tendances, mais ces données sont communiquées par les plates-formes à des fins de communications. Pour obtenir des statistiques intéressantes sur les profils des créatifs, nous avons choisi de cibler les gagnants, et se focaliser sur des créatifs mis en avant sur la plate-forme. Nous avons utilisé plusieurs sources :

• Les données fournies par le site, visibles • Les données fournies par le site suite à une analyse. • Les études chiffrées sur le sujet (S. Renault, Massanari) • Les blogs des plates-formes, les profils Linkedin des créatifs, leurs portfolios, les profils sur les

plates-formes Pour chaque profil, nous avons cherché à obtenir :

• Le statut (amateurs/pro/étudiants) • S'ils ont fait des études en lien avec la création • La nationalité des lauréats • Si cette activité est ponctuelle ou représente une réelle façon de travailler • S'ils cherchent un emploi • Les taux de réussite au concours (selon pertinence des informations) • Les gains moyens des lauréats

Sur Creads, nous avons tout d’abord recensé 24250 membres, uniquement français (les autres ne sont pas visibles). Sur les 50000 annoncés par le site, il y a donc des membres fantômes. Seuls 544 profils ont remporté au moins un des 1814 concours référencés. À partir de cette analyse nous avons pu obtenir un classement statistique des taux de réussite. Nous avons ensuite effectué un questionnaire à questions fermées pour obtenir plus de détails concernant le rendement de production, les objectifs des participants et les profils (amateurs, professionnels ou pro-am). Vous trouverez en annexe en page 177 l’ensemble des résultats pour les 43 créatifs interrogés (qui cumulent 16,8% des 1814 victoires possibles) Sur Eyeka, nous ne pouvions effectuer la même étude, car les profils sont affichés de manière aléatoire. Nous avons donc étudié les créatifs de manière plus ciblée en étudiant la façon dont ils se présentaient sur les plates-formes ou à travers les témoignages de blogs (Holly Mac Alister en particulier). Nous avons observé la manière dont ils se présentaient sur leur portfolio. Des statistiques affichées sur la plate-forme ont ensuite été confirmées par les responsables d’Eyeka.

Des entretiens semi-directifs

Un entretien d’embauche et cinq entretiens semi-directifs constituent la base principale de ce mémoire (disponibles en intégralité en annexe en page 113). Nous pouvons scinder en deux catégories ces échanges : les professionnels du design et les professionnels des plates-formes. Ces entretiens me permettent de comprendre la démarche créative, le rapport au client ou les attentes face à un brief : à

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chacun sa vision du marché de la création graphique. Tous ces entretiens sont complétés par des échanges mails. Un premier entretien, qui n’a pas été retranscrit est en fait une expérience vécue lors d’un entretien d’embauche au sein de Creads (pour un stage de responsable de projet). J’ai été reçu comme candidat par le responsable de la stratégie (Monsieur Minh Loïc Hoang-Xuan). De nombreuses informations ont permis de compléter l’étude du site, j’ai découvert « l’envers du décor » et quelques aspects de l’agence concernant l’externalisation du concept et l’organisation du travail. Cependant, mon attitude très dubitative lorsque j’ai découvert la manière de concevoir les mockups de site web (maquettes ergonomiques) et mon manque de conviction ont sans surprise débouché vers une fin de non-recevoir. Les deux entretiens dans les locaux d’Eyeka servent à approfondir les observations effectuées sur la plate-forme. Nous nous sommes rapprochés de Yannig Roth et Éric Favreau à la lecture de leurs travaux présentés aux journées MTO de l’école des Mines d’Ales en octobre 2014. Yannig Roth est responsable Marketing d’Eyeka, il intervient auprès des marques et connaît parfaitement les statistiques liées aux concours. Nous avons surtout abordé les mécanismes des concours, la question du perverted crowdsourcing et le concept d’idéation. Éric Favreau a donné un éclairage concernant l’implication du créatif sur la plate-forme, nous avons évoqué le statut du créatif, à mi-chemin entre le professionnel et l’amateur. Les deux participants ont insisté sur le fait que le CS d’idéation était complémentaire au travail effectué par les agences. Les entretiens avec les professionnels du design sont complémentaires, les points de vues sont plus ou moins engagés et tous ont été choisis pour leur notoriété et leur expérience reconnue par leurs pairs. Tous ont également été invités en Juillet 2014 au ministère de l’économie par Axelle Lemaire, Secrétaire d’État chargée du Numérique afin de rencontrer autour d’une table les responsables de Creads. Ils nous ont été conseillé par le graphiste et bloggeur Sébastien Drouin (par téléphone) qui a écrit plusieurs articles au sujet de ces rencontres. Nous avons tout d’abord rencontré Baptiste Fluzin, directeur de création de l’agence Spintank qui héberge également des créatifs sous la forme de co-working au sein du TANK. Nous avons évoqué le travail du designer et celui d’un créatif sur une plate-forme de CS. Puis nous nous sommes entretenus avec François Caspar (Skype), président de l’AFD (Alliance Française des designers), LE syndicat des designers. Également traducteur de l’ouvrage de Blair Enns (2014), Nous avons principalement évoqué les pistes permettant aux designers de « gagner sans idées gratuites ». L’entretien a abordé aussi des questions de droits d’auteurs, d’appels d’offres et d’expertise du design. Enfin, nous avons échangé avec Geoffrey Dorne (téléphone). Multicasquette, il est Fondateur de Design & Human, (une agence de design éthique, sociale et radicale), responsable pédagogique au sein de la Webschool Factory, dispense également des cours et des workshops dans plusieurs écoles en France (la Sorbonne, l’Ensci, les Gobelins, l’école des Arènes de Toulouse, la Webschool Factory...). Enfin Blogger sur graphism.fr, il est suivi par 19,5K followers sur Twitter (@GeoffreyDorne). Nous avons évoqué les process de création sur les plates-formes, et les pistes possibles pour valoriser l’expertise des créatifs et les clés de l’enseignement. Le concept du graphisme à deux vitesses et certaines dérives liées au CS.

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L’observation participante

Pour avoir accès à une information plus complète, il est indispensable de créer un compte utilisateur sur ces plates-formes. Participer à un concours permet également d’avoir accès à l’ensemble des éléments du brief. Ainsi il est possible de comprendre comment fonctionne une communauté créative et ce qu’est l’expérience d'un créatif sur une plate-forme. Il s’agit également, en tant que professionnel de la création de comprendre si en appliquant une démarche classique, il est possible de répondre dans les temps et avec sérieux à un brief sans tomber dans la facilité ou une réponse précise. En tant que graphiste, je me positionnerai comme créatif et non comme auteur lors de cette étape. Nous emploierons donc le « je » lorsqu’il s’agira d’une expérience personnelle et le nous en tant qu’auteur de ce mémoire. Deux concours ont donc été testés : Le premier sur Creads, pour une refonte de logo. Le client SEGASEL, est un garage de poids lourds souhaitant moderniser son identité. Ce concours s’est déroulé entre juillet et aout 2015. Ce concours répond à une demande de produit fini où la production est utilisée rapidement en l’état par le client. Le second concours sur Eyeka est plus proche de l’élaboration de concept (idéation). Il s’agit de mettre en place un concept. Nous avons demandé à une personne tierce de répondre afin d’avoir le point de vue d'un non-professionnel ayant cependant suivi des études de design. Cette personne pratique également le Do it yourself (DIY)29 au quotidien. Ces observations permettent surtout de compléter les témoignages des responsables Eyeka rencontrés en entretien.

29 Le DIY « fais-le toi-même » désigne une activité de création, artistique ou non, souvent liée aux travaux manuels (Scrapbooking, bricolage, couture, graphisme amateur, encadrement...)

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II. Les  Recettes  du  crowdsourcing  Hypothèse 01 : Le crowdsourcing représente de nombreux avantages pour les marques. Il est en train de modifier la manière dont celles-ci envisagent la création graphique et propose également de nouvelles façons de travailler aux créatifs.

1) Introduction  Comme nous venons de le voir, il existe de nombreux modèles de CS. Creads, Eyeka ou Fiverr n’ont pas du tout la même approche de la création et n’interviennent pas de la même manière dans le projet. Le crowdsourcing d’activités inventives (CAI) définies par Burger-Helmchen et Pénin30 (2011) consiste à « externaliser à une foule des activités de recherche, des tâches complexes ou créatives». Ce qui les différencie du crowdsourcing de micro tâches (S. Renault). En pratique, les frontières qui séparent les différentes catégories de CS sont difficiles à cerner (Burger-Helmchen et Pénin, 2011)31. Malgré des positionnements différents (qui évoluent) on retrouve de nombreuses recettes communes dans leur fonctionnement et leur discours : elles sont toutes des intermédiaires. D’un côté des commanditaires (qui peuvent être des marques ou des particuliers) émettent un appel à création32 sous la forme d’un concours. De l’autre, une foule de créatifs répond à cette commande. La notion d’intermédiaire se retrouve aussi en agence, lorsque celle-ci travaille avec un réseau de free-lances ou si celui-ci fait appel à un agent artistique (métier réglementé qui permet aux free-lances de trouver de nouveaux clients et qui aide le créatif dans ses démarches commerciales.). Ce que les plates-formes ne mettent pas en avant : c’est la marge allant parfois jusqu’à 50% sur l’ensemble d’une commande. Énorme pour un intermédiaire... En crowdsourcing, la principale différence avec les agences se retrouve au niveau des échanges limités entre les marques et les contributeurs (Notons que sur une place de marché comme Fiverr les échanges toutefois limités s’opèrent entre un client et un créatif.). Agissant comme un filtre par l’intermédiaire de son community manager, la plate-forme va répondre aux questions des créatifs en passant par un mur communautaire ouvert ou en les orientant individuellement afin qu’ils puissent soumettre une création qui respecte le brief créati f. En aucun cas, la plate-forme ne les conseillera sur l’idée. Cepdendant une arméee de community manager (12 chez Eyeka par exemple) viendra conseiller le créatif afin qu’il puisse présenter une idée qui respecte le brief (guidelines). Pour vérifier cette première hypothèse, nous concentrerons notre étude sur les plates-formes Creads et Eyeka en étudiant tout d’abord leur positionnement. Nous définirons ainsi la logique de contenu de celle d’idéation. Nous verrons ainsi en quoi cette valeur apportée par la foule pousse les marques à se tourner vers ces plates-formes alternatives au réseau classique des agences. Nous verrons ensuite

30 Burger-Helmchen T, Pénin J. « Crowdsourcing d’activités inventives et frontières des organisations », 2011. Disponible sur : < http://www.academia.edu/1905797/Crowdsourcing_d_activit%C3%A9s_inventives_et_fronti%C3%A8res_des_organisations > (consulté le 17 janvier 2015) 31 La frontière entre ces différentes catégories de crowdsourcing est souvent délicate à déterminer en pratique 32 Demander un Gig sur Fiverr

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comment le CS brouille les pistes en jouant avec les codes et les méthodes des agences de création par un discours rassurant pour les marques et attractif aussi bien les créatifs amateurs que professionnels. Nous analyserons ensuite par étapes le déroulement d’un concours. Dans cette section nous allons détailler ce qui caractérise les grandes lignes d’un projet de CS en nous appuyant sur un exemple concret de création de logo (SEGASEL sur Creads). Nous verrons alors en quoi le processus de création diffère d’un travail de design classique et où se situe le créatif au niveau des échanges. Enfin, au delà de l’aspect pécuniaire, nous verrons ce qui pousse ces clickworkers (S. Renault, 2014) à œuvrer sur ces plates-formes. Outre l’analyse poussée des deux plates-formes, ce travail de recherche sera alimenté par des entretiens semi-directifs réalisés dans le cadre de ce mémoire et différents échanges réalisés par mail ou sur les plates-formes. Cette première analyse sera complétée d’une étude approfondie des profils des créatifs sur les blogs et d’un questionnaire adressé aux gagnants (Creads en particulier).

2) Des  positionnements  différents  Depuis leur création, les plates-formes créatives ont subi de nombreuses mutations, procédé à la refonte de leur habillage ou leur approche ergonomique. Les modèles de CAI évoluent rapidement et s’adaptent au marché. Un concours de CS créatif peut se décliner de multiples façons : Vidéos, naming33, logo, idées, design, packaging, storytelling, applications mobiles, jingle publicitaire, slogans… Bien que Creads et Eyeka fonctionnent sur les mêmes principes de concours et sur des thématiques similaires, les objectifs recherchés par les marques qui font appel à ces deux plates-formes sont très différents. On peut distinguer deux axes permettant aux entreprises de choisir la manière dont elles vont ensuite utiliser le contenu produit par l’énorme communauté créative : un produit fini ou une idéation.

Creads  et  la  production  Creads se positionne clairement comme une agence de communication (participative). Ce qui fait également sa particularité. Sur Creads, on ne parle plus de « projets » mais de « concours ». Au départ « agence participative », ils sont aujourd’hui une « plate-forme de création participative ». Ils ne révèlent plus des « graphistes » mais de « jeunes artistes ». Cette translation de langage est intéressante car il ne s’agit plus de s’adresser uniquement à des professionnels mais à un ensemble bien plus vaste : « tout le monde devient alors créatif34 ». La plate-forme affiche fièrement 50000 Créatifs libres - les meilleurs du monde35- et propose de répondre à tous les besoins en communication. Elle réalise à bas prix essentiellement du naming, du « logo-design » et du « webdesign ». Ses cibles : les petites entreprises (PME-PMI) et les start-up. La raison principale est économique : pourquoi payer une deux ou trois propositions de logo 800€ alors que pour le même prix36 il est possible d’obtenir 45 propositions dans un laps de temps très court ?

33 Concours qui consiste à trouver nom de marque 34 Remarque confirmée par G. Dorne également en entretien. 35 « Creads réunit les meilleurs créatifs du monde pour répondre à tous les besoins en communication (nom de marque, logo, webdesign...) We are a design tribe ! » 36 Certainement un peu plus car il y a la commission de 50%

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« Wilogo37 est donc une place de marché qui met en relation des PME-PMI qui n’ont pas souvent les moyens d’investir dans une recherche traditionnelle de logo, avec une communauté de graphistes (professionnels, amateurs, débutants, étudiants, etc.). » (Pelissier, 2011)38

Bien sûr, l’agence indique aussi travailler avec de grandes marques, mais en étudiant de plus près ces concours on remarque qu’il s’agit de projets très secondaires. Une grande marque ne confiera pas la refonte de son identité à ces créatifs. Par contre de manière ponctuelle, elle va utiliser la plate-forme pour l’habillage d’un site événementiel ou d’un packaging. Creads est plus qu’une simple agence de CS : elle aide les marques à organiser leur propre concours, de manière autonome. Creads propose de vendre sa technologie en la dupliquant de manière ponctuelle pour des opérations marketing39 (Digiprize40 par exemple). Suite à la grogne des graphistes et aux demandes clients, Creads ajuste son modèle. Autre particularité de la plate-forme : Creads partners et ses projets élites ou solo. Ces concours représentent respectivement 17% et 9% des projets pour Creads41. Réservés à la crème de la crème de la communauté, chaque participant est rémunéré (notons que le site communique peu sur ce sujet). La plate-forme fait d’abord signer un ticket d'entrée pour avoir les X propositions, puis tente de pérenniser la relation client en proposant des déclinaisons. Ces déclinaisons sur divers supports, servent à faire vivre l’identité : c’est l’implémentation. Réalisées en interne ou avec des créatifs soigneusement sélectionnés sur la plate-forme. L’agence possède son propre studio graphique en interne qui intervient parfois pour améliorer le travail réalisé par la communauté, ce que confirme de façon discrète la communication de l’agence. Le site web est présenté à la manière d’une agence, on nous présente les chefs de projet, les graphistes ou responsables marketing ainsi qu’un « book » des meilleures réalisations. Sur ses réseaux sociaux (Facebook, Instagram et Pinterest), Creads joue énormément sur « la vie de l’agence » en présentant par des photos en immersion son côté fun et décontracté (anniversaires, babyfoot, cuisine). Ils organisent aussi des événements « in real li fe » avec des petits déjeuners et les Creads Awards. On ne sait plus vraiment si on se trouve dans une véritable agence ou une plate-forme. Cette ambiguïté peut conduire un jeune créatif à idéaliser la plate-forme en espérant un jour faire partie des murs. Tout comme le positionnement, le vocabulaire peut lui aussi évoluer. Chez Creads, on utilise celui d’un recruteur. Lors de l’inscription, le community manager Aurélien nous souhaite la bienvenue à grand renfort de points d’exclamations (Il sera d’ailleurs difficile à joindre). On serait presque étonné 37 Wilogo est un site de CS qui fonctionne sur le même principe que Fiverr (en page 67) 38 Pelissier C. « Les plates-formes web comme nouvel intermédiaire de marché : L’exemple du crowdsourcing, un dispositif de médiation entre communautés et marché. » In : Association Francophone Pour Le Savoir Q (ACFAS), ÉD. 79e congrès international ACFAS Université Bishop’s et Université de Sherbrooke [En ligne]. Sherbrooke, Canada : Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2011, 2011. p. 80. Disponible sur : < https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00652113 > (consulté le 17 janvier 2015) 39 Aspect découvert à la suite à d’un entretien, pour un stage de chef de projet, avec le responsable de la stratégie Creads. 40 « Digiprize 2ème édition » Le concours qui récompense les innovations digitales des jeunes entre 17 et 25 ans. Vous avez une idée ? Un concept ? Une start-up toute fraîche ? Disponible sur : < http://digiprize.essca.fr > (consulté le 20 août 2015) 41 Part des projets en 2014 : élites : 17%, solo : 9%, classic 74% (source Creads)

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de ne pas être tutoyé, comme en agence. Il faut se démarquer, « Challengez » sa créativité (!), se faire repérer par les chefs de projets afin de participer aux concours confidentiels, plus sélectifs proposés par la plate-forme : les projets « élites ». La promesse est de rentrer dans le cercle fermé de l’agence, c’est l’illusion de devenir « pro ». Comme s’il fallait passer par cette étape pour faire ses preuves. Comme une agence, Creads se positionne donc directement dans une logique de production de contenu, les logos produits lors des concours sont parfois retouchés mais finissent rapidement entre les mains du client. L’exemple de la refonte SEGASEL que nous verrons par la suite illustrant parfaitement ce type de concours.

Eyeka  et  les  grandes  marques  Eyeka vient d’effectuer sa 5eme refonte début juillet 2015. Depuis 2007, celle-ci a même considérablement changé de stratégie utilisateur. Au départ, la plate-forme ressemblerait à l’iStockphoto ou le Shutterstock que nous connaissons aujourd’hui. Sur ces deux plates-formes des photographes (sans distinction de niveau), déposent des clichés qui sont ensuite exposés par thèmes ou mots-clés et vendus à l’unité au titre d’une session de droit. Eyeka proposait ainsi de la vidéo et quelques concours sous forme non-brandé (qui n’est pas assimilé à une marque) sur un thème comme « la meilleure photo de Paris »... Les marques sont ensuite venues, ou ont été démarchées, pour proposer des concours par thématiques. La maturité est arrivée un peu plus tard sous sa forme actuelle en proposant des concours de manière régulière.

« Au passage, Eyeka a été créé en 2006 et a réellement vu le jour en 2007, en se positionnant un peu di fféremment. Le « pivot » a eu lieu vers 2008/2009 quand l’entreprise s’est centrée sur l’organisation de concours » 42(Y. Roth, 2015)

Cette plate-forme de concours se définissait elle-même comme une plate-forme de co-création il y a encore 2 ou 3 ans. Désormais, par souci d’objectivité et de transparence, elle parle de crowdsourcing :

« La co-création est une grande idée sur laquelle on ne peut pas mettre grand chose derrière… » (Y. Roth, 2015)

La première particularité de la plate-forme visible dès la méta-description du site43 est celle de fonctionner uniquement avec de grandes marques car elles représentent un intérêt stratégique :

« Non pas par snobisme ou par facilité - parce que ce n'est pas forcément plus simple - mais tout simplement parce que stratégiquement, c'est quelque chose de plus intéressant » (Y. Roth, 2015).

Plutôt que d’entrer dans une logique quantitative, Eyeka se concentre sur une trentaine de marques. La plate-forme choisit ainsi de prolonger l’accompagnement de ses clients qui ont un fort besoin de créativité pour leur marketing. Travailler avec cette plate-forme représente donc un certain coût. On remarque que certaines de ces entreprises font plusieurs concours par an (ex : Unilever, P&G). Le 42 Échange avec Yannig Roth obtenu par mail 43 « En tant que société innovante de crowdsourcing, nous permettons à notre communauté de créateurs de maîtriser leurs compétences, travailler aux côtés de grandes marques ou agences internationales, et être récompensés pour avoir créé des contenus et idées de grande qualité. » (Eyeka) > Meta version 2014

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contenu produit par les créatifs n’est donc pas directement utilisé par le client. Nous verrons qu’il s’agit là d’une approche marketing pour les marques qui voient plus la communauté comme des consommateurs que des créatifs possédant un savoir-faire. Ce qui différencie ensuite Eyeka des autres plates-formes, plus spécialisées (comme Creads), c’est tout d’abord le fait d’être la seule à couvrir l’ensemble du « continuum marketing » de l’idée au contenu : design, pack, graphisme, inspiration créative pour des études de marché ou production vidéo par étapes. Le chiffre d'affaire et les revenus d'Eyeka viennent presque exclusivement des concours de création ou plus marginalement de workshops. Des concours « d’innovation » articulés autour de « print44 », la vidéo et plus largement d’idéation, au service du marketing.

Une forme de collaboration pour les agences ?

Le principe d’Eyeka est de sourcer des idées puis les réintégrer au circuit classique de la commande. Les marques transmettent aux agences habituelles et à leurs designers le travail effectué en amont sur les plates-formes. La sélection45 est ensuite faite par des free-lances ou les DC46 de ces agences. Le crowdsourcing de contenu est une logique de production, à bas coût et souvent d’une qualité inférieure à ce que peuvent proposer les professionnels du secteur. Eyeka refuse de répondre à cette logique de production en concurrence directe avec les agences créatives. La plate-forme ne s’occupe pas d’implémenter ensuite le travail fourni comme peut le faire une agence. Laissant ainsi la marque travailler avec son partenaire habituel.

« Ce que l'on fait ici sur certains projets, ce n'est pas Publicis, Marcel ou Buzzman - on fait un métier di fférent […] Les agences conseils on a un autre boulot qu'eux, on ne va pas les concurrencer directement pour des raisons évidentes. » (Y. Roth, 2015)

Dans un documentaire de 200847, une question porte sur le fameux plombier polonais pour savoir si ce phénomène pouvait nuire aux agences. Gilles Babinet, le fondateur d’Eyeka, précise qu’il s'agit d'un véritable outil pour les agences et se positionne comme partenaire vis à vis de celles-ci :

« Les agences ne sont pas uniquement des lieux de création mais une capacité de ré-exprimer à travers un brief les attentes d'une marque. » (G Babinet, 2008)

Il arrive cependant, en certaines occasions, d’entrer en concurrence. Par exemple, en Asie, quand aucune agence n’est capable de fournir un contenu de qualité équivalente à ce que peut proposer la communauté.

44 Design, packaging, affiches 45 cf. phase du vote en page 44 46 Directeur de création : la personne en charge des choix artistiques dans une agence. Parfois assimilé au directeur artistique mais souvent avec un rôle plus important au niveau managérial. 47 Pouy Grégory et Babinet Gilles, 2008, BuzzCast FR#78 / Gilles Babinet / Eyeka, http://www.dailymotion.com/video/x6sjw2_buzzcast-fr-78-gilles-babinet-Eyeka_webcam, 12 septembre 2008, consulté le 17 février 2015

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« Depuis quelques temps on lance pas mal de concours avec (nom de marque)48 qui viennent de d'Asie. Une des raisons pour lesquelles on fait ces projets avec eux, c'est qu'ils n'ont pas d'agence de qualité ou bien meilleure que ce nous pourrions donner. » (Y. Roth)

L’idéation au service du marketing

L’idéation apporte à la marque quelque chose qui n’existait pas auparavant dans sa stratégie de communication. Si l’une d’elle souhaite lancer une nouvelle gamme de produit, elle obtient des idées créatives et fraîches du monde entier venant directement de consommateurs. À la différence des professionnels, qui peuvent avoir un regard particulier sur la façon de communiquer pour une marque49.

« Une bonne partie de la valeur d'Eyeka aujourd'hui pour les marques est donc d'ajouter un gros shot de créativité où avant ce n'était pas vraiment possible… où on avait un brainstorming50 ou un benchmark51. »

L’idéation permet aux marketers et aux agences d’être plus créatifs en amont des projets. Face au CS de contenus, l’idéation est en forte augmentation : avec uniquement 11% des campagnes de CS en 2013, il représente 27% en 2014. Selon Yannig Roth, responsable marketing d’Eyeka, c’est sous cette forme qu’est l’avenir du CS52. La plate-forme propose aux marques d’aller « puiser » dans un réservoir à idées auquel elles n’avaient pas accès auparavant. C’est là qu'aujourd'hui la plate-forme voit le plus de potentiel, et non dans la production ou le remplacement de ce que font très bien les professionnels du design. Les budgets dédiés à cette collecte sont nouveaux et complémentaires aux études de marché existantes, ce qui rend l’opération souvent plus chère pour la marque. On comprend alors pourquoi seules les grandes enseignes peuvent se permettre de travailler de cette manière.

« En terme d'étude de marché c'est comme avoir un méga-brainstorming créati f au début d'un processus exploratoire où les idées sont ensuite validées par di fférentes méthodologies existantes (Nielsen53). » (Y. Roth)

Il est intéressant de voir aujourd’hui que la plate-forme est devenue une hybridation entre l’agence et un cabinet d’audit. L’Idéation constitue une étape dans le Process créatif qui n’existait pas réellement. Les créatifs ont un rôle de consultants dont les travaux servent de recommandations aux marques pour

48 Ici une marque de cosmétique, dont nous ne divulguerons pas le nom. http://www.pg.com/en_US/brands/global_beauty/skii.shtml 49 « avec un petit c : un groupe de gens de manière générale, qui n'agit pas en tant que professionnel mais en tant que consommateur, c'est comme ça que je définirai ici ce terme de consommateur - d'avoir des idées de leur part de manière globale, très rapide et non-biaisée. » 50 Terme utilisé couramment pour désigner un processus collectif de recherche d’idée. 51 Le benchmark est un terme marketing pour désigner une démarche d’observation et d’analyse des performances atteintes et des pratiques utilisées par la concurrence ou par des secteurs d’activité pouvant avoir des modes de fonctionnement réutilisables par l’entreprise commanditaire du benchmark. “Une pêche aux bonnes idées” http://www.definitions-marketing.com/Definition-Benchmark 52 http://Eyeka.pr.co/99215-Eyeka-releases-the-state-of-crowdsourcing-in-2015-trend-report 53 http://www.nielsen.com/fr/fr/about-us.html est un important cabinet d’audit de consommateurs

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affiner leurs identité, pack ou vidéo. Ainsi, Holly McAllister, une créative star de la plate-forme, se présente comme “Consulting & free-lance visual artist designer” :

« Many clients pay for the top design results from such a contest and then use those ideas to jumpstart the rest of the creative process with their own advertising agency or in-house design department.» (Holly McAllister, 2015)

3) Ce  que  veulent  les  marques  

Diversité,  innovation  et  coût  La littérature distingue plusieurs raisons pour une organisation de recourir au CAI54. Pour Alec Ross, conseiller d'Hillary Clinton, « Parfois, la sagesse de la foule peut-être plus grande que celle d’un expert. ». Les internautes apportent une forme d’expertise aux entreprises, pour concevoir de nouveaux produits ou résoudre des problèmes complexes qui ne peuvent être résolus en interne. Cette expertise de la foule est mathématique : si un très grand nombre de personnes sans relations entre elles évaluent une situation, la moyenne de leurs opinions est souvent meilleure que celles des experts les plus compétents. Le recours au CAI, permet alors d’accroître dans certains cas la productivité lorsqu’il stimule des équipes internes en les mettant en concurrence avec un réservoir mondial d’autres chercheurs (Sur IBM JAM par exemple). Avec pot-pourri d’idées, la marque recherche en premier lieu un moyen d’expérimenter de nombreuses situations di fférentes. (Burger-Helmchen et Pénin, 2011).

« La qualité a dépassé de loin nos attentes. Ce qui a fait évoluer notre organisation sur la façon de faire les choses, d'accéder à des concepts créati fs et à des idées innovantes. » (Leonardo O’Grady Directeur IMC chez Coca-Cola)

La mondialisation impose aujourd’hui aux entreprises de proposer des solutions innovantes et adaptées aux besoins identifiés dans leur domaine. Elles doivent trouver d’autres façons de pérenniser leur activité pour rester compétitives et surmonter les résistances au changement55. Cette créativité nouvelle et externe permet à la marque de sortir du piège incrémental (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). Les créateurs, par souci de reconnaissance ou simplement par attrait pour la marque vont répondre à ces concours sans pour autant rechercher de retour financier. Le CS propose alors un coût de l’innovation bien inférieur à celui d’une tâche réalisée en interne.

« Grâce à Eyeka, nous obtenons 80% de l'impact pour 20% des coûts. » (Laura Ashton Directeur Marketing de l'Eclairage chez Philips.56)

Par ailleurs, la marque ne paye que ce qu’elle souhaite utiliser et réduit considérablement le risque d’échec au sein de ses équipes ou prestataires habituels.

54 Sawhney et Prandelli, 2000; Sawhney et al. 2005; Nambisan et Sawhney, 2007; Ågerfalk et Fitzgerald, 2008; Pisano et Verganti, 2008; Trompette et al. 2008; Schenk et Guittard, 2011 ; Burger-Helmchen et Pénin, 2011 55 Consulter la partie disruption océan bleu / océan rouge en 5)192La zone de confort et la prise de risque. 56 Témoignage affiché en page d’accueil Eyeka, version 2014, permettant de valoriser l’intérêt financier de passer par une plate-forme de CS

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Une pratique en forte croissance

Jusqu’à présent il était difficile d’évaluer le recours systématique au crowdsourcing d’activités inventives (Burger-Helmchen et Pénin, 201157), ni même d’étude permettant de savoir si cette pratique entre ou non en concurrence avec les agences (Y. Roth). State of crowdsourcing in 201558dresse cependant pour la première fois un état des lieux sur cette pratique au niveau des grandes marques. 85% des plus grandes marques59 ont fait appel au CS ces dix dernières années : Coca-cola, Pepsi, Danone, Samsung, GE… tous les secteurs sont représentés, majoritairement des marques de Produits de Grande Consommation. Utilisant au départ les réseaux sociaux, celles-ci ont commencé à faire appel à des plates-formes spécialisées dès leur apparition autour de 2005 et préfèrent aujourd’hui majoritairement60 utiliser ces intermédiaires pour alimenter leurs campagnes marketing de nouvelles idées. Au cours de la dernière décennie, les marques ont surtout utilisé le CS pour organiser des concours de vidéos (45%) et d’idées (23%). Les marques ne passent en effet pas toujours par les plates-formes. Elles lancent elles-mêmes des initiatives fortes visant à impliquer leurs clients dans des opérations de CAI : Un site dédié comme celui de Décathlon-Open Oxylane61 fait appel aux pratiquants pour concevoir les produits sporti fs du futur et invite ensuite les gagnants dans l'entreprise pour participer avec les designers-maison à élaborer le concept avant de passer en production. Avec McDonald’s MyBurger 62vous pouvez créer votre propre hamburger de A à Z, les 12 sandwiches plébiscités par le web seront ensuite réalisés en cuisine. Un jury décidera ensuite de commercialiser les 5 burgers gagnants. Sur My Starbucks Idea63, 75 000 idées ont été déposées dès la première année, et plus d’une centaine d’entre elles ont déjà été concrétisées par l’entreprise. "Qui mieux que vous sait ce que vous attendez de Starbucks ?" On peut donc se demander, ce que ces marques viennent chercher de différent par rapport à une agence classique. Selon Divard (2014), deux questions fondamentales se posent aux entreprises : pourquoi s’engager dans une opération publicitaire participative ? Et comment le faire de manière efficace ?64

57 En dehors d’exemples emblématiques (Procter & Gamble) et d’anecdotes originales, nous n’avons pas connaissance d’étude empirique mettant en évidence la pratique systématique et à grande échelle de stratégies de CAI. 58 Présenté sur la nouvelle page dédiée au CS d’Eyeka, Roth Y., Petavy F., Céré J. The state of Crowdsourcing in 2015 [En ligne]. avril 2015. Disponible sur : < https://fr.Eyeka.com/resources/analyst-reports#CSreport2015 > 59 Identifiées par Best Global Brands Rankin comme les plus valorisées au monde sur www.bestglobalbrands.com 60 75% des opérations de CAI 61 Open Oxylane - Sports co-creation platform, https://www.openoxylane.com, (consulté le 19 novembre 2014). 62 « McDonald’s MyBurger /Meet the People’s Champion! ». Disponible sur : https://myburger.mcdonalds.co.uk/top5home (consulté le 16 janvier 2015) 63 « My Starbucks Idea | Share, Vote, Discuss, See | Starbucks Coffee Company ». Disponible sur : http://mystarbucksidea.force.com (consulté le 16 mars 2015) 64 Divard R. « La participation des consommateurs aux campagnes publicitaires : ses formes, ses avantages et ses limites ». Gestion [En ligne]. 17 janvier 2014. Vol. 38, n°4, p. 61‑73. Disponible sur : < http://dx.doi.org/10.3917/riges.384.0061 > (consulté le 17 janvier 2015)

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Le  consommacteur  Avec le web 2.0, le marketing participatif est en forte progression. Les consommateurs ne sont plus de simples lecteurs de contenu. Ils en deviennent les acteurs et participent à l’élaboration de nouvelles formes de campagnes publicitaires dans lesquelles ils se retrouvent directement impliqués. Ayant acquis une certaine maturité grâce aux réseaux sociaux, ils élaborent une nouvelle forme de dialogue direct avec les marques. Pour les grandes marques, cela représente bien plus qu’une économie. Divard (2014) identifie les avantages potentiels65 pour lesquelles une organisation souhaite avoir recours au crowdsourcing : connaissance du consommateur permettant d’enrichir une base de données, renforcement de la relation avec la marque et de son image, amélioration du trafic sur les réseaux sociaux, réalisation d’économies et amélioration des ventes. Pour les marques, l’idéation constitue alors une source d’accès direct à ces lectacteurs ou consommacteurs (Rebillard, 2007 ; Divard, 2014 ; Pelissier, 2011) où les managers auraient simplement « à se baisser pour ramasser ces idées et cela, de plus, gratuitement » (Bernard Cova, 2006)66. Les créateurs vont permettre à la marque de faire parler d’elle tout en lui donnant de nombreuses informations sur la manière dont ces créatifs la perçoivent. Il n’y a plus de « push » ou de mail lié à une transaction précédente, aucune plainte ou question de service après-vente : la contribution est spontanée. La marque priorise ainsi les idées en fonction des consommateurs. Cette relation lui permet de réaliser à la fois un audit marketing (rapide) et une publicité qui n’en a pas la forme.

Le sentiment d’implication

Cette « dépublicitarisation67 » (Aubrun, Patrin-Leclère, Marti de Montety, et Berthelot-Guiet, 2014) où l’aspect promotionnel passe au second plan est fortement liée au sentiment d’appartenance de la part des créatifs.

« Ils ont envie d’être reconnus pour ce qu’ils pensent, de parler aux marques à travers une ligne directe et que les paroles se transforment en actes pour faire avancer le monde qui les entoure.68 » (Livescault J., 2014)

Cette reconnaissance se retrouve également au niveau des témoignages affichés sur les blogs des plates-formes :

65 Mieux connaître le consommateur / Bénéficier de la créativité des consommateurs / Créer du mouvement sur son site et sa page Facebook et développer sa base de données / Renforcer la relation avec la marque / Bénéficier de retombées positives sur la notoriété et l’image Améliorer les ventes / Réaliser des économies 66 (Cité par Divard R en fin d’ouvrage, Le marketing participatif) : Cova B. Innover en marketing. Paris; New York : Tec & Doc Lavoisier, 2006. 232 p.ISBN : 978-2-7430-0870-3. 67 Aubrun F., Patrin-Leclère V., Marti De Montety C., Berthelot-Guiet K. Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation [En ligne]. , 2014. Disponible sur : < http://lectures.revues.org/15111 > (consulté le 7 octobre 2014) 68 Livescault J. Le crowdsourcing d’idées, la nouvelle révolution B2C [En ligne]. Webmarketing & co’m. 10 novembre 2014. Disponible sur : < http://www.webmarketing-com.com/2014/11/10/33461-crowdsourcing-didees-nouvelle-revolution-b2c > (consulté le 16 mars 2015)

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« C’est en 2011 que ça s’est débloqué, je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir changé de style ou de m’être calibrée pour gagner. J’ai donc découvert le plaisir de la reconnaissance des clients qui adhèrent à ce que l’on fait et propose. »(@Freestylo)69

L’implication du client dans la vie de la marque et la reconnaissance de son savoir-faire, permettent de renforcer un sentiment d’identification. La marque devient une valeur sûre aux yeux du consommacteur qui n’hésitera pas à en parler à son entourage, surtout si son idée est sélectionnée. Le sentiment de faire partie d’une communauté de privilégiés est ainsi très présent.

« la seule rétribution que retire chaque contributeur étant alors le plaisir de participer à l’amélioration de quelque chose qui est important à ses yeux (la foule prend de ce fait certaines propriétés des communautés, ce qui modifie les conditions de recrutement et d’interaction avec l’entreprise » (Burger-Helmchen et Pénin, 2011)

Sur les plates-formes : Le produit c’est votre production et vous

C’est sans doute dans le domaine de la santé que l’on trouve le plus d’initiatives de crowdsourcing, et aussi le plus grand écart en terme de positionnement éthique avec l’utilisation des données personnelles où l’utilisateur devient finalement le produit à vendre. Les mutuelles utilisent ensuite ces data pour nous proposer des tarifs ajustés en fonction de nos performances de santé70. Quel rapport avec le graphisme ? A priori pas grand chose, pourtant en fournissant des données marketing par le biais de plates-formes de création, le consommateur va donner aux marques un pouvoir de séduction plus précis, plus ciblé. Avec le web social dominé par Facebook et sa foule d’utilisateurs, Andrew Keen71 estime que la Privacy72 est sans doute un des grands enjeux éthiques et économiques à venir où les nouveaux business s’organisent autour de cette question. Le produit sur ces plates-formes : c’est le créatif. Les données personnelles qu’il va fournir aux plates-formes sont essentielles en marketing. Les marques vont pouvoir savoir votre âge, ce que vous aimez, comment vous les percevez ou les imaginez évoluer. L’offre de valeur apportée par les contributeurs aux marques n'est pas uniquement la production retenue à la fin, c'est aussi un audit marketing permettant de savoir comment celles-ci sont perçues par des dizaines ou centaines de personnes qu’une organisation ne trouvera jamais au sein d’un simple focus group.

« Ce qu'achètent les clients c'est cette valeur lié à la masse. » (B. Fluzin, entretien 2015) Propriété intellectuelle, compétences, anonymat, seule la plate-forme de CS connait tout le monde et possède ces données, qui constituent son trésor. Jusqu’où faut-il légiférer dès lors qu’une action orchestrée par la foule génère du profit pour une plate-forme. ? Bruno Téboul se demande même si la question doit être soulevée pour un faible niveau d’investissement de la part de l’internaute : 69 Paroles de Créa - Découvrez l’interview de @Freestylo ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-freestylo > (consulté le 25 juillet 2015) 70 Apple a négocié un énorme contrat avec les mutuelles américaines peu de temps avant de lancer son bracelet connecté 71 Keen A. Rsln Andrew Keen : « J’ai fait du chemin, depuis Le culte de l’amateur … » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible sur : < http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx > (consulté le 22 mars 2015) 72 Les Data qui incluent des données personnelles

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« La Data et les algorithmes. Il est indispensable que des géants comme Google, Facebook et autres, soient contraints de rémunérer chacun d’entre nous en échange des informations qu’ils ont récoltées et archivées sur nos propres vies. » (B Teboul, 2015)73

4) Discours  

Bienvenue  chez  nous,  vous  faites  partie  de  l’agence  En arrivant sur la page d’accueil d’une plate-forme, on découvre qu’elle se définit comme une grande communauté de créateurs en ligne qu’il faut rejoindre. Ces sites se focalisent surtout sur cette valeur, et cherchent à attirer de nouveaux clients avec une mise en avant « chiffrée » de leur vivier de créatifs. Les sites de CS ne portent guère d’attention aux créatifs de manière individuelle. Ils sont présentés comme une ressource et un potentiel quantitatif de réponses.

« Eyeka est une communauté mondiale de créateurs talentueux qui aiment résoudre les défis de marques grâce à des idées créatives et du contenu de qualité. » (Eyeka, 2015)

Qu’il s’agisse de la meta description74 ou du header75, on retrouve toujours cette Sainte trinité : communauté, (grandes) marques, gains et reconnaissance :

1. Devenez un membre de la plus grande communauté de créateurs au monde ! 2. Participez à des concours stimulants lancés par de grandes marques. 3. Remportez des Prix, soyez di ffusé et reconnu (Eyeka, 2014)

La promesse communautaire est très présente (sur la version Eyeka 2014), jusqu’au Y du logo Eyeka qui s’apparente à un personnage les bras en l’air76. Les créateurs sont présentés sous forme de mosaïque77 et mis en avant comme de vrais créati fs sur la page d’accueil. Sur un ton très proche de l’utilisateur, vous êtes invité à rejoindre cette communauté : Rejoignez-nous ! Ce dialogue est destiné à interpeler le futur membre, qu’il soit amateur ou professionnel.

Les blogs

Outil de communication à part entière, les blogs des plates-formes permettent de faire une promotion complémentaire. Les témoignages sont un moyen de provoquer l’adhésion de nouveaux membres et participent à l’émulation de la communauté (la tribu). Ils jouent toujours sur l'aspect communautaire avec des articles très variés. 73 Teboul B. « L’ubérisation, ce tsunami qui va déchirer notre économie. » Capital.fr [En ligne]. Aout 2015. Disponible sur : < http://www.capital.fr/bourse/actualites/l-uberisation-ce-tsunami-qui-va-dechirer-notre-economie-1061678 > (consulté le 1 août 2015) 74 Ici Eyeka, version 2015, plus compacte, sans doute pour répondre aux besoins de Google de 160 caractères 75 Le header est le terme utilisé pour désigner la partie haute d’un site web, c’est avant tout un terme HTML5 qui est aussi utilisé par les designers. 76 On peut imaginer qu’il symbolise l’esprit positif des défis proposés aux créateurs : Members of our community express themselves in a visual way. This is the «eYe» part. As to the «Ka», it is an ancient Egyptian word meaning the “spirit” - part of the human soul. By asking our community to express their ideas visually, we can better unlock what they mean. Hence: «Eyeka». 77 Voir capture écran Creads en annexe en page 171 et Eyeka en page 187 .

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« Faites-vous interviewer et présentez votre travail / Devenez notre prochain Créateur du mois et partagez votre histoire avec le monde créati f ! » (Eyeka)

Sur Eyeka, les témoignages sont réunis sur une page dédiée « histoire de créateurs », un storytelling initié avec le blog par les témoignages réguliers des créateurs du mois78. La rubrique CREAS de Creads permet de découvrir les paroles de créas. Ces portraits de graphistes, gamers, copywriters, graffers côtoient des articles sur la typographie ou des astuces sur le webdesign.

« Paroles de créa est une rubrique qui permet à la communauté Creads de s’exprimer. C’est très enrichissant puisque nous avons tous des parcours di fférents » (Justine, créative chez Creads)

En mettant en avant un créateur de la communauté (renouvelé régulièrement), cela participe au positionnement humain de la plate-forme en matière de communication. Le fait d’intégrer la plate-forme, permet de faire partie d’une famille. Une caste comme dans le cinéma ou le « monde de la pub ». Le site joue d’un ton bienveillant qui permet à chacun de tenter sa chance. On sait que l’on sera suivi et épaulé.

« L’équipe d'Eyeka est toujours très attentive, telle une petite famille de l'audiovisuel. » (Marcs 2nd prix Vidéo du concours Coca-Cola - Premières fois.)

Les créatifs sont sensibles, ils mettent un peu d’eux-mêmes dans une création, ils ont parfois peur de l’échec et un refus n’est jamais facile à accepter. Eyeka sait que le temps passé et investi n’est pas toujours rentable, puisque 3 propositions sur une moyenne de 60 seront primées. Il faut donc transformer les échecs en expérience positive.

« Le plus important dans une compétition, c'est de vous remettre en question. » (Marinapambou Membre de la Communauté d'Eyeka.)

La promesse du gain est toutefois toujours présente. Certains témoignages permettent de créer une projection pour les créatifs. On peut les comparer à ceux des gagnants du loto : c’est possible, pourquoi pas vous ?

« En consultant ma messagerie, il y avait un email d'Eyeka m'annonçant que j'avais gagné le premier prix ! Pour nous, c'était bien plus qu'un simple prix. C'était la réponse à nos prières. Grâce à Eyeka, nous avons pu payer une partie de notre mariage. » (Ranggaimmanuel 1er prix (Design) du concours Vivre l'instant Présent.)

Tout commence par un compte

Outre la volonté de « vous » présenter le concept, et la marche à suivre par étapes pour participer et « devenir célèbre » sur le « plus grand terrain de jeu créati f du monde ! » (page d’accueil Eyeka), l’objectif des pages d’accueil est limpide : « créer un compte » ou « demander une présentation » (si on est sur la page dédiée aux marques). Le site s’adresse toujours à sa communauté et lance un défi : « Créez le buzz », « Mettez l'eau à la bouche ».

78 Ils sont à présent plus faciles à trouver que sur le blog.

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Pour parcourir la page en détail, lire l'ensemble du brief ou empocher de futurs gains : il faut s’inscrire. Lors de cette étape, il est possible d’indiquer sur son profil si l’on est amateur, professionnel et même auto-entrepreneur. L’agence sera toujours à votre écoute, le community manager se fera un plaisir d'y répondre personnellement. Une fois inscrit, il vous sera possible d’échanger avec la communauté internationale. En découvrant le mur vous ne pourrez échanger qu’avec des francophones (En ce qui concerne Creads)...

Profil  de  performances  S’il est possible d’indiquer de nombreuses informations sur son profil (qui serviront aux marques), il est rare de trouver un créatif qui se présente sous son nom propre. Sur Eyeka, la plupart des membres utilisent leurs identités et des photos de profil. L’affichage se fait de manière aléatoire sur une mosaïque d’avatars79sans cesse renouvelée. On peut ainsi consulter chaque profil sans pour autant avoir la possibilité de les trier par région ou palmarès80. A l’inverse, sur Creads, les avatars sont des logos (souvent les initiales du pseudo81). Le site se focalise sur un classement page à page, un peu comme le tableau des médailles des JO. Chaque membre de la communauté possède un mur qui est rempli automatiquement lorsque l’on gagne un trophée, les autres membres viennent alors féliciter le lauréat ou simplement échanger avec lui. Les échanges sont peu nombreux et le mur ne vit que par l’activité que génère la plate-forme, ce qui donne une illusion d’activité. À peine inscrit, la compétition commence pour faire partie de l’élite créative de la communauté. Vous figurez alors dans les bas-fonds du classement autour de la page 458…(il y a même des scores négatifs !?). Pour remonter, il faudra uploader, échanger ou gagner des « badges ». Si vous gagnez une victoire communautaire, vous pourrez figurer environ à la 7000e place (autour de la page 100)82. Votre score créati f83 détermine votre stature : si vous êtes visible en première page, vous avez probablement décroché la timbale à plusieurs reprises. Sur Eyeka, un petit picto jaune situé en bas à droite de l’avatar permet au créatif de faire partie des 1% les plus acti fs de la plate-forme. Les informations principales visibles sont focalisées sur votre rendement. Eyeka indique d’ailleurs très bien le nombre de contributions soumises générant un classement en pourcentage. Ainsi, La « page profil » fonctionne plus comme un tableau de bord des performances qu’une fiche d’identité. Ces chiffres sont là pour attirer les clients mais aussi pour renforcer cet esprit de communauté omniprésent dans le discours. C'est aussi un moyen d'attirer les créatifs par un sentiment d'appartenance à cette communauté, qui paradoxalement regroupe des personnes en situation de

79 Cette mosaïque n’et pas filtrable, le créatif est « perdu » dans la foule. Capture en annexe en page 187 80 Eyeka vient d’introduire cet outil : vient d'introduire un leaderboard : https://fr.eyeka.com/leaderboard. En savoir plus sur : https://blogfr.eyeka.com/2015/10/19/le-leaderboard-d-eyeka-nouvelle-r-f-rence-cr-ative 81 Voir en annexe quelques exemples d’avatar en annexe en page 170 82 Le premier point situe le membre à la 12947e place, (234e page), les premières victoires apparaissent pour les 7425e, avoir 2 victoires vous place en 1065e position, mais à ce stade, encore de nombreux membres accumulent des points grâce aux autres critères. À partir de la 600e position, la tendance s’inverse, il y a plus de victoires que de scores nuls. 83 Calculé sur plusieurs critères : Nombre des victoires, Les votes de la communauté (étoiles jaune, argent, bronze, autre place), niveau de remplissage du profil, les contributions…

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concurrence ! Ce dernier élément de discours est-il une usurpation du terme ? Est-ce bien là l’esprit communautaire et co-créatif pourtant sans cesse martelé ?

Tous amis, tous concurrents

Avec internet, la communauté a changé de visage84, les liens se font à distance, devant un écran qui devient l’espace où se déroulent les échanges. Un des aspects fondamentaux du CS créatif est la dimension communautaire. Les termes communauté, collaborati f ou encore co-création sont utilisés de manière récurrente. Les utilisateurs, au cœur de la stratégie, ont un intérêt commun : les concours (ou vivre leur passion). Pourtant, chacun reste dans son périmètre et les échanges sont parfois loin de ce que l'on peut attendre d'une communauté créative que l'on trouve sur un forum comme Kobone85. Si l'on prend l'exemple de Wikipédia, qui est du CS, cette communauté n’est pas forcément visible, mais pourtant bien présente. La frontière est donc assez floue et semble difficile à définir.

« Pour moi c'est une usurpation du terme ! Là ce n’est pas une communauté ! C’est du poulailler ! De l'élevage en batterie ! […] J’ai commencé à bosser il y a 10 ans, et à faire du design en autodidacte il y a plus ou moins 15 ans... J'étais au collège, j'y connaissais rien, et j'allais sur des communautés, sur des forums où les gens m'aidaient mais n'avaient aucun intérêt à le faire, ils le faisaient par amusement, on se donnaient des avis sur nos créas et puis ensuite, lorsque toi-même tu avais appris des choses, tu aidais les plus jeunes qui débutaient… ça c'était une communauté ! » (B. Fluzin)

Sur Eyeka les interactions se déroulent en « circuit fermé », uniquement pour les créatifs ayant soumis et validé une création. Bien que Creads soit plus proche d’un forum avec des fils de discussions visibles de tous, le CS est une logique de production individuelle de savoir (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). Présentées tous ensemble comme une grande famille - we are design tribe -(Devise Creads), tous les utilisateurs sont paradoxalement concurrents :

« De surcroît, faire appel à la foule, c’est avant tout faire appel à des individus ou à des équipes qui entrent en compétition les unes par rapport aux autres. Contrairement aux autres formes de crowdsourcing, dans le cas du CAI il n’existe le plus souvent qu’un seul gagnant, qu’une seule meilleure solution. » (Burger-Helmchen et Pénin, 2011)

Pour Baptiste Fluzin, les commentaires reflètent même cette notion de compétition, où rien de constructif n’alimente les échanges. Simplement un « bravo ton logo est très chouette » qui sous-entend un « j’aurai bien gagné à ta place ». L’ancienne version du site Eyeka proposait d’ailleurs plus d’options d'interactions, supprimées depuis, car jugées peu rentables, inutiles et générant plus de bashing que de réels échanges constructifs sur les projets soumis.

« Depuis le début, Eyeka a toujours parlé de communauté, et je ne vois pas trop quel autre terme on pourrait utiliser. Foule ? Je trouve ça réducteur, je n'aime pas trop ce terme […] Les médias, les clients, et même les gens de la communauté souvent prennent pour argent comptant ce terme : 300 000 Créati fs : c'est une communauté. » (Y. Roth)

84 S. Proulx (2006) Communautés virtuelles : ce qui fait lien in S. Proulx, L. Poissant, M. Sénécal, éds, Communautés virtuelles : penser et agir en réseau, Presses de l’Université Laval, Québec, p. 13-26 85 Forum qui fédère une grosse communauté de designers, professionnels ou amateurs et qui échangent autour du design essentiellement.

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Les plates-formes n'aiment pas parler de foule mais c'est bien de ça qu'il s'agit lorsque l’on traduit crowd de l’anglais. Elles admettent que le terme est galvaudé mais utilisent les codes communautaires. Il s'agit de marketing. Cette communauté ne bénéficie qu'au gérant de celle-ci. La plate-forme a pour objectif de proposer aux marques une communauté adéquate à la demande (Pelissier, 2011). Pour Yannig Roth, la communauté Eyeka est aujourd'hui plutôt coordonnée et activée. Ce qui fait la différence avec une communauté de marque sur Facebook (bien que les données des "membres" représentent toutefois une mine d'informations à revendre aux marques) c'est la capacité des plates-formes à transformer cette foule en valeur.

« Si l'on prend ce terme au niveau sociologique comme un ensemble d'individus qui partagent des lieux, des initiatives, des moments d’échanges ou un objecti f commun : alors Eyeka n'est pas une communauté. En effet ils sont en concurrence, il n'y a pas de possibilité d'interaction, sauf par les réseaux sociaux » (Y. Roth)

Il faudrait sans doute un autre mémoire pour débattre de la question, mais c’est sans doute au niveau sociologique qu’il serait intéressant de regarder. Le mot est utilisé et compris par tous. À partir du moment où l’on a affaire à un ensemble de personnes qui partagent une pratique (Blablacar, AirB&B), le fait est acquis qu’il s’agit d’une communauté, même pour un mur de créatifs en concurrence. La logique est la même pour la co-création qui joue sur la tendance des espaces de co-working et des studios.

Des plates-formes orientées utilisateurs

« Pour cette nouvelle version, nous avons voulu réfléchir à la fois du point de vue des créateurs qui nous suivent depuis si longtemps et qui connaissent déjà toutes les règles de notre « aire de jeux », mais également du point de vue de ceux qui voient Eyeka pour la première fois et essayent de comprendre ce que veut dire toute cette histoire de crowdsourcing86. » (Eyeka, 2015)

Malgré un positionnement différent, les plates-formes ont un mode de fonctionnement qui reste le même et jouent sur des recettes similaires. Grandes marques, discours au champ lexical ambigu, message toujours positif et enthousiaste, interfaces proches de celles des agences (Creads) ou des start-up (Eyeka) sont des appeaux à créati fs. Le CS semble en effet modifier la manière dont les marques utilisent les consomm-acteurs. Elles utilisent à la fois leur travail mais aussi les données marketing qu’ils représentent. Pour clore cette partie, soulignons le fait qu’un site de CS s’adapte clairement en fonction de l’utilisateur. Une fois celui-ci connecté, le menu principal est simplifié et dépend du statut de l’usager : contributeur-créatif ou client (marque-crowdsoucer). L’espace commun est celui du concours (ou projets) que nous allons à présent étudier par phases en nous plaçant essentiellement du point de vue du créatif.

86 Nouveau site Eyeka | Blog Eyeka - the Co-Creation Community [En ligne]. juillet 2015. Disponible sur : < http://blogfr.Eyeka.com/2015/07/08/nouveau-site-Eyeka/ > (consulté le 11 juillet 2015)

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5) Les  mécanismes  du  concours  Les concours, regroupés sous la rubrique « projets » des plates-formes, sont toujours encadrés par un règlement que chaque plate-forme élabore en fonction de l’objectif souhaité par le client et de son positionnement. Les créatifs découvrent les concours par un petit résumé et une image générique. Le gain et le type de concours sont les infos principales visibles. L’ordre d’affichage est défini par la deadline (Date butoir) du dépôt (upload) : il vous reste X jours pour uploader votre création ! Nous allons étudier le déroulement en phases d’un appel à création proposé par la plate-forme Creads en nous appuyant sur un projet de refonte de logo pour un garage spécialisé en poids lourds (SEGASEL). Nous verrons tout d’abord les différentes formes et les règles qui entourent ces concours. Puis nous étudierons le Brief et les échanges qui s’opèrent durant la phase de création et nous verrons enfin ce qu’il advient des créations et des gagnants une fois le concours terminé en étudiant la manière dont les rétributions sont orchestrées.

Les  phases  des  concours  Un concours se déroule sur de plus nombreuses phases souvent indiquées par une timeline. Sophie Renault (2014)87 distingue six phases qui sont sensiblement les mêmes selon les plates-formes. Nous en ajouterons une septième : la phase préparatoire de définition des règles (Brief et CGU88) :

Phase 01 : Définition des règles et élaboration du brief créatif Phase 02 : Le lancement du concours

Les participants découvrent le nom, la dotation et l’échéance du concours auquel ils peuvent choisir ou non de répondre. Ils suivront alors le brief créati f et les guideline,

Phase 03 : La création

Pendant cette phase dont la durée varie de 2 semaines à 2 mois selon la complexité des projets, les créatifs peuvent poser des questions au Community manager en charge du projet. Ils peuvent uploader leurs productions jusqu’à la date de clôture du concours.

Phase 04 : Les délibérations (votes)

Dans un esprit d’émulation, le premier vote est communautaire. Les participants peuvent juger les créations des autres participants en attribuant une à plusieurs voix. Ce qui permet d’augmenter un score créati f ou de gagner des « badges ». Puis une période, dont la date n’est pas précisée, permet au client d’affiner ses choix souvent avec l’aide de la plate-forme qui effectue un premier tri (Eyeka) selon la pertinence des réalisations.

Phase 05 : La décision du client

Le site annonce le ou les vrais gagnants.

87 Renault Sophie, 2014, « Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l’organisation et du travail », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, 1 mars 2014, vol. 11, no 2, p. 23‑40 88 Conditions générales d’utilisation, séparé ou faisant partie du brief créatif. Elles sont aussi rappelées lors de l’inscription sur la plate-forme.

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Phase 06 : La fin du concours

Une fois le concours terminé, il est possible d’obtenir des informations permettant de situer le contexte du concours, de lire le brief au complet. On découvre alors les statistiques clés du concours : les montants des gains selon les gagnants ; les Favoris de la Communauté désignés comme les plus créatifs ou les plus originaux ; l’ensemble des contributeurs89, leur pays d’origine sous la forme d’une mosaïque des profils (Eyeka) ou une galerie (Creads). Les médias acceptés peuvent être visibles ou non. Le témoignage du client accompagne parfois le travail effectué permettant de justifier son choix et de valoriser la création retenue.

Phase 07 : Le paiement des gains

La rétribution s’effectue ensuite au titre d’une session de droits d’auteurs. Le(s) gagnant(s) est gratifié de points et fait monter ses statistiques.

Les  règles  et  les  différents  types  de  concours  

Du brief initial au brief créatif

Les règles, uniques pour chaque concours, sont définies en amont avec la marque et peuvent prendre différentes formes. Les conditions de succès d’une opération de publicité participative90 (Divard, 2014) sont définies en plusieurs étapes : Objectifs, cible, nature et philosophie de l’opération, nombre de lauréats et récompenses, procédure de collecte et de sélection des propositions, calendrier, suivi, accompagnement médiatique, coût et bilan de l’opération. Le brief initial définit les objectifs du client. La plate-forme aide alors celui-ci à transformer la stratégie marketing en un brief créati f destiné à la communauté. Ce travail exploratoire rejoint celui d’une agence classique91, qui reformule la demande pour la soumettre à ses créatifs. La relation client est essentielle dans cette phase et la qualité du brief permettra d’obtenir une réponse plus juste. La première question que pose la plate-forme au client est de savoir s’il est possible d’externaliser la demande :

« Il y a des choses que l'on ne peut pas externaliser ; par exemple des clients demandent une stratégie 360° digitale » (Y. Roth92)

En général, un concours se concentre sur une tâche. Il est rarement demandé aux créatifs de concevoir plusieurs produits dans une campagne ou pour une charte graphique. Cela permet d’assurer l’adhésion de la communauté qui peut identifier plus facilement la tâche.

89 Participants avec au moins une contribution, (upload) validée au concours 90 Divard R. « La participation des consommateurs aux campagnes publicitaires : ses formes, ses avantages et ses limites ». Gestion [En ligne]. 17 janvier 2014. Vol. 38, n°4, p. 61‑73. Disponible sur : < http://dx.doi.org/10.3917/riges.384.0061 > (consulté le 17 janvier 2015) 91 Un free-lance effectue aussi ce travail pour étudier l’univers du client et affiner la demande 92 En marketing, une stratégie 360° consiste à traiter toutes les facettes d’une problématique, elle combine une large palette de médias Activation, site web, street marketing, pub tv, expérience retail.

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Les conditions du concours

La participation est tout d'abord conditionnée par la création d'un compte utilisateur sur la plate-forme. Pour qu’une participation soit validée, le créatif devra alors respecter les contraintes du brief, liées au fond, format ou guidelines imposés par la marque. Nous pouvons alors classer ces concours selon deux axes qui peuvent se recouper, dans les deux cas il peut y avoir des restrictions : Le premier un axe concerne les participants. L'ouverture sans restriction est souvent la forme la plus répandue des appels à la création. Tout le monde peut alors répondre au concours mis en ligne par la plate-forme. Ce qui est évident si le client souhaite obtenir un maximum de participations. Il y a cependant des restrictions liées à l'âge qui peuvent s'appliquer : dans le cas de concours liés à l'alcool ou tabac (plus rare) où les participants doivent être majeurs ou encore si le créateur est mineur, celui-ci s’engage à fournir une autorisation parentale. Sur la plate-forme Creads, il est également possible de participer aux concours confidentiels pour lesquels il faut fournir une copie de la carte d'identité. Pour des plates-formes comme Eyeka, qui déclinent parfois les concours en 12 langues, il peut aussi y avoir aussi des restrictions géographiques. Lorsqu’une marque a l'habitude de ne contracter qu'avec un public originaire d'un pays en particulier ou d'exclure certains pays :

« On le voit souvent avec les clients américains, qui ont pour habitude dans les opérations en ligne d'exclure de la participation des ressortissants de pays avec lesquels il n'est pas possible de contracter librement, comme Cuba... » (É. Favreau - Eyeka)

Le second axe concerne la diffusion des contributions. Il est fortement lié à la notion de droits d'auteurs. L'approche est totalement différente selon les plates-formes et permet de comprendre le positionnement stratégique de celles-ci. Dans une vidéo explicative, Éric Favreau, responsable juridique d’Eyeka explique qu’il y a trois types de concours93 : Confidentiel (la marque n'est pas dévoilée), participations confidentielles (on ne voit pas les productions) et ouvert (on peut voir les productions et la marque). Les clients, pour des raisons stratégiques, ne souhaitent pas toujours divulguer les créations une fois le concours effectué. Le mode confidentiel de Creads empêche la diffusion du concours via Google. Ceux qui n'y ont pas participé ne peuvent pas découvrir les créations (comme sur Eyeka). Nous verrons que les participants n'intègrent pas toujours ces aspects de confidentialité lorsqu'ils acceptent les termes définis par les CGU, focalisés sur la demande tels des zombis du brief, ils réalisent ensuite qu'ils ne pourront pas toujours alimenter leur book de leur création.

Le brief créatif

Une fois la phase préparatoire effectuée, le brief créati f est diffusé à la communauté. C’est le lancement du concours (phase 2) et le démarrage de la conception pour les créatifs.

93 Éric Favreau, [Webinar] Creative Crowdsourcing From A Legal Perspective. 2014.https://www.youtube.com/watch?v=7cMVfY-j7lE&feature=youtube_gdata_player

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Aujourd’hui en agence, les échanges avec le client se font en phases de travail, il y a des allers-retours, souvent à distance lors de conf-call94sur skype. Des outils collaboratifs comme permettent au client d’annoter en direct ses remarques. Google drive, evernote, dropbox sont ainsi des outils très pratiques. Les échanges courts et réguliers ont pour but de faire évoluer le brief plus précisément. Cet ajustement est essentiel car il permet au créatif de s'approcher au plus près de la demande :

« Cette proposition de l’ajustement désigne un régime d’interaction au cours duquel, l’acteur s’engage dans un corps-à-corps avec un dispositi f de communication et interprète la situation (c'est-à-dire qu’il la comprend et la juge) en mobilisant des représentations de cette situation et en déployant un travail réflexi f sur sa posture de visiteur » (Jutant, 2011)95

Sur une plate-forme de CS, l’acte de production reste le même mais le seul interlocuteur du créatif reste le Brief, et la possibilité de dialoguer avec le Chef de projet par l’intermédiaire d’un formulaire de contact semble limitée. Le designer peut ainsi manquer de recul. L’évolution du Brief peut toutefois s’opérer pendant la phase de concours, le client ajuste sa demande à mesure que les propositions sont déposées sur la plate-forme, mais il y a toujours cette notion d’échange à sens unique, où le créatif reçoit le fruit des discussions entre la plate-forme et son client :

« Pour un projet de logotype, le brief n’a cessé d’évoluer avec le client : il exprimait ses souhaits au fur et à mesure de nos propositions. Le client est toujours décisionnaire au final. » (@Elie-X96)

Sur le concours SEGASEL de Creads, Aurélien le chef de projet, s’adresse directement au créatif. Il nous présente son brief créati f affiché en page du projet. Il faut que l’on sache que l'on a affaire à un interlocuteur réel. Simple guide sémantique, les grandes lignes sont ici présentées de manière très synthétiques et l'on peut découvrir les guidelines souvent très générales (format, couleurs, concept, mots-clés, intentions client) permettant de moderniser avec dynamisme l'identité de l'organisation97. Il est alors possible de récupérer des éléments qui peuvent aider le créatif dans sa démarche, comme l'ancien logo98, on découvre que le client a en effet un logo-totem-clé-à-molette-vendéen : Et qu’il souhaite un logo qui ressemble à ça :

94 Terme utilisé pour désigner une réunion téléphonique. 95 Jeannin H., Sarre-Charrier M. « Injonction de créativité et création sous contrainte : parallèles entre secteur culturel et monde du travail à l’épreuve du numérique. » In : 82ème Congrès de l’ACFAS Université Concordia, Montréal, Canada. Montréal : 2014. p.107-116. Disponible sur : < http://creanum2014.sciencesconf.org/conference/creanum2014/eda_fr.pdf > (consulté le 16 février 2015) 96 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste > (consulté le 25 juillet 2015) 97 Brief complet, annexes en page 164 98 Suivant les concours les éléments peuvent aussi être des motifs, tempêtes, maquettes wireframe de sites web ou gabarits

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Ou ça :

On apprend aussi que le F de Facebook ne le fait pas rêver… Au travail et Bonne créa :) nous souhaite Aurélien.

Démarche  de  création  Passons à la mise en pratique. Me99 voilà seul avec mon brief. J’ai eu à refaire en agence l’identité d’un garage spécialisé de ce type (pour IVECO) et je possède encore la bonne base de recherche pour arriver à créer un camion qui ressemble à ce que demandait le client à l’époque. Je vais donc, pour ce concours tester la repompe100 et fournir deux propositions en moins d’une heure « montre en main ». Commençons par visiter le site du client101 pour cerner son univers : un webdesign pas vraiment dans la finesse et un logo provisoire en têtière fait à partir de la police Eurostile, et souligné par un arc de cercle rouge (de toute beauté). Pour rester dans la charte, il faudrait utiliser le bleu électrique en effet… Pourquoi le bleu ? Évidement rien n’est précisé. En étudiant le secteur on pourra découvrir qu’il s’agit d’une couleur identifiable pour les camions mais qu’il ne s’agit pas d’une règle non plus. (Scania, Volvo, Iveco, Daf, Michelin et l’univers des poids lourds possèdent cette dominante). Le brief manque souvent de précision. Suite au questionnaire adressé aux gagnants de la plate-forme (dont nous avons donné les grandes lignes dans notre corpus), 51% des personnes interrogées102 estiment qu'il manque parfois des éléments pour avancer tandis que 18,6% trouvent souvent compliqué de cerner la demande. Seuls 30,2% trouvent que le brief est toujours précis, en étudiant de plus près leur profil on s'aperçoit qu'il s'agit surtout d'employés dans un autre secteur puis de free-lances en recherche d'opportunité. Fabienne Chabus, une conceptrice-rédactrice faisant partie du top 5 des meilleurs créatifs qualifie ces briefs de stéréotypés, ils ne permettent pas sans une expérience solide en agence ou en free-lance de savoir quel axe de travail et quel ton adopter. Elle précise qu'un entretien en direct avec le client sera toujours le meilleur moyen de viser juste103. À chacun sa recette pour répondre. @Jonk, un créatif interrogé sur le blog de Creads indique la sienne, il s'agit surtout de technique et de forme, c'est la couche sensible de la création :

« En général je vais prendre un bloc de feuilles à côté de moi en mettant en avant les mots qui me semblent importants, puis les idées et formes qui me viennent. Tout ça sur une ou deux pages avec mes idées et les mots clés. De là viennent des dessins qui se mélangent aux mots. Après deux ou trois pages de rough je retiens les idées les plus intéressantes et c’est là que je me lance sur mon ordi. Je ne commence jamais rien sur Illustrator ou Photoshop tant que je n’ai pas mon idée définitive. Je préfère avoir une

99 Je préfère utiliser la première personne, car je me positionne ici comme graphiste et non l’auteur de ce mémoire. 100 Concept détaillé en partie 2, Plagiat en page 84 101 http://www.segasel.fr/fr/ capture, annexe en page 166 102 Sur la base 305 concours : 51% totalisent 54% des concours remportés - 18,6% totalisent 28% concours remportés - 30,2% totalisent 18% concours remportés. (Source : questionnaire réalisé pour cette étude) 103 Voir référence le témoignages de Fabienne Chabus, annexes en page 160

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idée du rendu avant en petit, gri ffonné au crayon en noir. Je me sens beaucoup plus libre sur le papier qu’en utilisant les techniques disponibles sur Illustrator104. » (@Jonk !)

Étienne Robial, qui pendant 25 ans a accompagné Canal+ en façonnant son identité graphique est considéré comme un précurseur en terme d’identité audiovisuelle, il décrit à sa manière le rôle d’un graphiste dans le cadre d’un projet d’identité105 :

« Il doit aussi clari fier, hiérarchiser et distinguer, dans le sens bourdieusien du terme, sans forcément d’ordre hiérarchique. Je prends un exemple : si un mec présente son émission en nœud papillon tous les jours de l’année, le 31 décembre il ne sait plus comment s’habiller. Et enfin, l’habillage doit valoriser et promouvoir. Là encore, nous sommes dans le " faire joli", notion que je mets volontairement entre guillemets car pour moi c’est quelque chose qui se fait naturellement mais on n’est pas là pour ça. L'habillage n’est pas qu’une histoire d’esthétique et de charte graphique mais d’identité : quand on arrive sur l’antenne, on doit savoir exactement où l’on est. » (Robial, 2014)

Le graphiste doit avant tout faire appel à son sens de l’analyse pour comprendre une demande et la traduire afin de faire passer des émotions à travers un travail visuel. (Gaborit, 2013). Il peut intervenir dans de nombreux secteurs et peut avoir de nombreuses facettes ou compétences techniques. Ces profils souvent atypiques restent en veille à la fois au niveau technique et visuel. Ils scrutent les tendances, et se révèlent indispensables au sein des stratégies de communication :

« C’est le ciment qui relie toutes les variables stratégiques d’une communication. Le métier de graphiste est un métier qui se doit d’être remis en question chaque jour. Il se plie aux tendances, aux évolutions du marché, de l’histoire et des secteurs. » (Gaborit, 2013)

Voilà enfin mes propositions de logo terminées ! Une fois l'upload effectué, la plate-forme propose au créatif un formulaire limité à 500 caractères pour défendre le travail et expliquer la démarche créative… La possibilité de fournir un argumentaire est restreinte. L'absence de médiation discursive qui caractérise le CS où est sans doute la principale rupture avec une commande classique. C'est un des points qui soulève le plus de critiques de la part des professionnels du design. Ils estiment que cette prestation incomplète dévalorise la valeur du designer et conduit à une uniformisation du paysage graphique (nous aborderons ce point en seconde partie de ce mémoire). Etudions à présent le déroulement des dernières phase du concours : la phase des votes et des rétributions.

104 Paroles de Créa - Découvrez l’interview de @Jonk ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-jonk > (consulté le 25 juillet 2015) 105 Il est possible de transposer cette démarche à une identité ou un logo.

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Ci-dessus les deux propositions, réalisées chacune en 20 minutes, plaçant le travail de gauche à la 21e place sur 94 (3 votes).

La  phase  des  délibérations  À la date limite définie par la plate-forme pour déposer les fichiers, le concours entre dans sa phase de vote (phase 4). Les créations validées sont alors visibles par les créatifs mais aussi par les visiteurs non-participants suivant le type d'appel à la création. Les participants peuvent alors désigner les Favoris de la Communauté qui seront affichés sur la page des résultats, aux côtés des vrais gagnants. Offrant une visibilité à ceux qui auraient été désignés par la communauté sans pour autant avoir été choisis par la marque.

Les échanges entre créatifs

Les deux plates-formes étudiées sont résolument tournées vers leurs Communautés qu’elles utilisent comme un argument de vente auprès des marques. Dans un processus de création, il est toujours important d'échanger ou de voir ce que les autres ont produit, surtout lorsqu'une problématique est donnée. Sur Creads, les interactions sont très présentes et visibles sous la forme d'un fil de discussion que l'on trouve sur la page de la création soumise. Certains membres semblent toutefois regretter l’ancien forum106, cette phase de partage très appréciée semble aussi importante que la compétition pour les créatifs, et peut même donner lieu à des collaborations futures entre un créatif et un rédacteur107. La disparition de ces échanges a généré une certaine frustration. Sur Eyeka, une nouvelle fonction a vu alors le jour sur la page du concours au sein d’un club des contributeurs (Feedback Circle sur la version anglaise). Espace ouvert uniquement aux participants. Ce qui fait la différence avec d’autres plates-formes comme wilogo ou Creads qui permettent au public de consulter les créations alors que le concours est en cours de délibération du côté client.

Aider à améliorer les compétences

Ces espaces ont été conçus pour permettre aux participants d'échanger des astuces positives (Eyeka), des conseils et des commentaires sur leur travail dans l'optique de les aider à améliorer leurs compétences. Sur Eyeka, les créations peuvent être notées par les créateurs selon des critères de qualité, d'originalité de l’idée, de singularité (ce qui la rend unique) et de pertinence narrative. Sur Creads, un participant attribue un certain nombre de voix pour désigner ses créations préférées, jugement simplement fondé sur le j'aime, j'aime pas qui peut aussi relever d'une stratégie si celui-ci se bat pour le podium, les créations recevant le plus de votes sont affichées en premier dans la galerie et les gagnants sont 106 Voir témoignage de @sifflodoc annexes, en page 161 107 Voir les témoignages autour des discussions, annexes en page 161

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désignés à l'issue de la période de vote. Quelle que soit la plate-forme, la note des créateurs n'a aucun impact sur le résultat final. Chaque action prise sur la plate-forme ou vote remporté permettra au membre d'augmenter son score créatif, permettant au profil de remonter dans le classement communautaire et de faire même partie des meilleurs 1% (Eyeka). Sur Creads, une autre forme de récompense permet de créer une émulation : à la manière de trophées, de nombreux badges, servant à illustrer différents paliers de progression, permettent de cumuler des points supplémentaires et d’avancer dans le classement général. Dans la veine des écussons de scouts, le créatif affiche fièrement sur son mur ces petites illustrations, en travaillant par exemple jusqu'à 2 heures du matin, vous pouvez gagner celui de noctambule !

Le vote du client

Le recours au CS permet aux marques d’avoir virtuellement accès à des ressources gigantesques (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). L’entreprise n’a cependant pas toujours les capacités de traiter et d’absorber les réponses. Les plates-formes permettent aux marques d’effectuer un tri des meilleures propositions. Dans le cadre d’une production de contenu, elles fournissent un produit « fini » ou une matière première aux marques.

La fin d’un projet…

Chez Creads, le projet est terminé : l’Agence sélectionne les meilleures propositions puis aide le client à affiner son choix. Face à cette foule de propositions, il est sans doute peu probable de trouver un travail de qualité qui soit vraiment adapté à la demande. Bien qu’il puisse être retravaillé par l’agence, nous verrons alors que ce process de travail soulève de vives inquiétudes du côté des professionnels. La création choisie n'est effectivement pas toujours la plus professionnelle précise Geoffrey Dorne, mais celle qui plaira le plus au commanditaire, qui décide. :

« Il n'y aura pas de grille de lecture basée sur le design, mais plus sur le "j'aime, j'aime pas" » (G. Dorne)

…Et le démarrage d’un nouveau

Concernant l’idéation pratiquée chez Eyeka, la logique est sensiblement différente. L’analyse est faite en externe (Parfois en interne) par des sémiologues, sémioticiens, directeurs créatifs ou planners en free-lance. Ces personnes ont une expérience de stratégie de marque et font une analyse des entrées pour donner des grandes tendances, des concepts : « Par exemple, McCann-Chine, qui lançait un concours pour Coca-cola, son client, cherchait de nouvelles idées pour communiquer le goût de la boisson. Ils ont eu, je ne sais pas combien, mais des centaines d'idées qu'ils ont clusterisées en grandes tendances. Ils ont choisi ensuite ce qui, d'après la marque et les personnes qui travaillent sur ce compte au sein de l'agence, leur paraît le plus prometteur. Évidement c'est aussi testé avec des instituts d'études en parallèle. » (Y. Roth) Cette méthode va relativement vite : « on a des idées : et on choisit la bonne » (Y. Roth). Ce qui n’arrive pas systématiquement. Parfois les marques ne trouvent pas leur bonheur « Ce qui fait partie du jeu. » Et que la plate-forme ne peut garantir. Eyeka admet que la qualité des réalisations est loin d’être professionnelle : « On ne demande pas aux personnes de venir avec des contributions parfaites, qui peuvent être utilisées dès le lendemain par le client. » (É. Favreau). Dans une recherche d’idée ouverte, les

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exigences techniques, créatives et professionnelles sont moindres que sur un appel d’offre s’adressant uniquement à des professionnels. L’idéation peut cependant révéler des concepts très intéressants.

« Alors c'est sûr : cette créativité n'est pas toujours exprimée de manière professionnelle. Mais ça on le sait ; et nos marques aussi. D'où une étape ultérieure de redéfinition et re-travail peut-être. » (É. Favreau)

Un des problèmes fondamentaux du marketing lors de ce passage de relais est le fameux syndrome not invented here. Il arrive en effet que l’idée puisse « se perdre » au sein des agences ou entreprises ayant initié le projet. Les personnes évoluent au sein des grandes marques, les validations peuvent demander du temps, et le projet peut même finir par être oublié.

« C’est un gâchis d'argent pour la marque si elle ne continue pas - à nuancer bien sûr - puisque c'est une expérience et qu’il y a eu du travail en amont, de l'apprentissage et des idées...» (Y. Roth)

C'est une des difficultés du crowdsourcing d’idéation pour laquelle « Il n'y a pas encore beaucoup de solutions aujourd'hui ». En adoptant cette posture, la plate-forme ne contrôle pas la mise en place et l'implémentation. À l’entreprise de choisir in fine, ce qu’il advient de ces idées ou de ces créations. La vision d'idéation selon Eyeka est de permettre aux marketers et aux agences d'être plus créatives. Plutôt que de se situer dans la production, en remplaçant des personnes existantes par du low-cost. C’est là qu'aujourd'hui les marques voient le plus de valeur et non dans la production ou le remplacement de ce que font très bien les professionnels du design. Par ailleurs, les marques souhaitent conserver un certain contrôle et le fait de confier intégralement à la plate-forme son identité représente un risque qu’elle ne souhaite pas prendre.

Les  gains  Une fois cette période passée, qui sert de mise en appétit, arrive la phase de décision client tant attendue par les participants. Les gagnants peuvent exprimer leur joie et dire :

« Quand tu gagnes, c'est comment dire, noël avant noël ! Tu as l'impression d'être Di Caprio à l'avant du Titanic en train de crier, je suis le roi du monde. Gagner face à des centaines d'autres candidats cela te rebooste forcément et te pousse à croire que tu as bien fait d'aller dans cette voie ! » Mistizouk (Créati f sur Creads, France)

La « passion pour la création », est à 80% la motivation principale des gagnants. Pourtant 5% ne sont pas intéressés par les gains... Pour un jeune professionnel, un étudiant en design en passe de le devenir ou un designer qui travaille déjà en agence ou à son compte, le premier critère de motivation, « c’est tout simplement l'argent » selon G Dorne. Lorsqu'il en discute avec ses étudiants pour savoir s'ils ont déjà entendu parlé de cette pratique et pourquoi ils seraient tentés :

« Potentiellement ils peuvent gagner 300-400€ en une soirée en faisant un logo sur photoshop. C'est cet aspect financier qui motive ceux qui savent un minimum faire ce métier : de l'agent facile, vite fait bien fait. » (G. Dorne)

Cette motivation est entretenue pas un affichage des gains sous forme de prix. Le créatif sait combien il va toucher suivant son classement. L’argent est un facteur important de motivation pour les

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concepteurs allant sur ces sites (étude de Daren Brabham, 2008). Pour un stagiaire payé 588€ par mois en Agence108 le raisonnement est simple : un logo = un mois de stage. Nous allons voir qu’il est cependant assez difficile de sortir du lot sur ces plates-formes et encore plus d’en faire une activité à part entière.

Un faible taux de réussite

On peut comprendre la joie des gagnants lorsque l'on constate qu’ils représentent moins de 2,3%109 de la communauté Creads110. Sur les 24250 "membres" qu’il est possible de recenser sur cette communauté111, seuls 544 ont remporté au moins un concours. Parmi ces élus, 59% ont emporté une unique victoire (soit seulement 18% des victoires). Les victoires sont réparties un peu comme les richesses du monde : une minorité parvient à gagner la plupart des concours. 20% des gagnants, soit 0,44% de la communauté, trustent ainsi ainsi 67% des victoires112. Ces quelques designers font donc figure d’exception, et bien sûr, mis en avant pas les plates-formes. Sur Creads @creagaz, cumule 127 victoires113, suivi de @magik avec 58 trophées. Le site Eyeka présente Holly McAlister114, designer de San Diego ayant perdu son emploi en agence en 2005. Elle explique dans une interview comment le CS est devenu une activité à part entière lui permettant même de dépasser ses anciens revenus en agence. Avec 22 concours remportés et plus de 60000$ gagnés, elle fait partie des top-sourcers d’Eyeka (Les concours sur Eyeka sont dotés jusqu’à 15000€). « This past year I have surpassed my old salary and I don’t sit in rush hour. And that’s beauti ful.» Elle estime avoir trouvé un équilibre entre sa vie familiale et ses aspirations professionnelles. Elle peut choisir son type de concours, effectue une recherche avant de travailler et élaborer ses concepts. Les taux de réussite, même chez les meilleurs est souvent très bas. À la suite d’une enquête réalisée auprès d’un panel de 43 des meilleurs créatifs de Creads, on constate un taux de réussite de 3,3%. Soit une moyenne de 69 créations proposées pour une victoire115. Bien que ces données soient à nuancer, faute d’un panel plus large116. Le retour est évocateur et permet de dégager des tendances : cet échantillon ciblé représente 7,9% des gagnants (sur 544) et 16,8% des victoires sur le site (sur les 1814 identifiables) pour une moyenne de 7 concours gagnés. Soit au dessus de la moyenne globale du site117. Il serait intéressant de connaître à présent la proportion de lauréats en fonction des statuts. Sur Eyeka, il n’est pas possible de trier les gagnants. Nous avons donc effectué cette étude sur Creads.

108 Les agences sont des « usines à stagiaires » et payent un minimum légal. 109 1% si on se réfère aux 53666 membres visibles et indiqués par le site encore en 2014. 110 Voir étude chiffrée des gagnants Creads , annexes en page 177. 111 Sur le site on ne voit que les Français semble-t-il. 112 19,66% des gagnants (soit 107 sur 544) se partagent 67,4 % des victoires (soit 1224 sur 1814 possibles.). 113 Premier au classement général toutes catégories. 114 Huffman Jennifer, 2015, Local designer becomes top creative « crowdsourcer », http://napavalleyregister.com/news/local/local-designer-becomes-top-creative-crowdsourcer/article_48e9bb70-90e6-58a5-9307-71a8a9527163.html, 12 février 2015, consulté le 17 février 2015. 115 19143 upload pour 305 victoires. 116 Creads a clôturé mon compte à la suite des messages envoyés aux gagnants, considérant l’étude comme du « spam », le seul moyen de contacter les gagnants qui n’avaient pas indiqué de book étant de passer par la messagerie privée de la plate-forme. 117 3,3 victoires pour l’ensemble des 544 gagnants.

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Qui sont les gagnants ?

À première vue, en parcourant les portraits créateurs du mois sur le blog de Creads on se rend compte que la plupart des gagnants sont des créatifs ou possèdent déjà une activité. Lorsque l’on consulte la fiche du profil, il est possible d’accéder à leur page Linkedin ou leur portfolio118. C’est en étudiant de plus près les parcours que l’on se rend compte que la plupart sont de vrais professionnels. Gilles Babinet indique en 2008 que plus de 50% de la communauté est professionnelle. On découvre sur un article du blog que les créateurs en janvier 2015 étaient sur 300 000 (50% d’amateurs et 50% de professionnels et semi-pro, terme qui reste à définir sans doute le pro-am de Patrice Flichy). L’illustration ci-dessous présente selon Eyeka la répartition des profils des créateurs de la communauté selon leur statut.

Parmi les profils sondés sur Creads on trouve : 56% professionnels et 9% pro-am, en recherche d’emploi. Parmi les 28 pro et semi-pro sondés, 46% sont des autodidactes, 14% ont suivi une formation technique en infographie et 40% ont suivi des études d’art119. Les créatifs free-lances sont fortement représentés, la plupart sont des autodidactes ou ont suivi une formation technique mais quelques uns ont suivi des études de design, une minorité vient de l’agence ou de services communication. Si on recoupe avec tous les gagnants du site qui se déclarent free-lance sur leur profils ou possèdent un book, on obtient 41 personnes et 13,6 victoires de moyenne. Bien au dessus de la moyenne pour l’ensemble des gagnants. Ensuite, on trouve 35 % d’amateurs120, qui ont une autre activité que le graphisme mais les données sont insuffisantes pour savoir dégager une tendance précise. Les autodidactes sont très fortement représentés dans le panel des gagnants (54%). Les gagnants sont donc en majorité des professionnels autodidactes, ils cumulent le plus de victoires. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient meilleurs que les autres. Ils font certainement plus de concours que les pros occasionnels et possèdent un savoir-faire probablement supérieur aux amateurs. On pourrait également supposer qu’ils se tournent vers les plates-formes faute de clients. C’est donc une

118 Le questionnaire et l’étude des profils Creads permet également d’accéder aux portfolios en ligne, parmi les meilleurs, seul 1 sur 3 en possède un (annexes en page 181) 119 28 pro (4,45% de réussite / 7 victoires) 4 pro-am (9% / 1% de réussite / 3,5 victoires). 28 pro et semi-pro (13 autodidactes = 46% / 8,6% de réussite), 4 formation infographie (14% / 3,8% de réussite) et 11 études d’art (40% / 16% de réussite.) 120 Pour 3,5 victoires en moyenne pour les pro-am et 6,8 pour les amateurs.

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tendance logique, mais non-vérifiable en ce qui concerne la précision des statuts. Seules les plates-formes savent exactement qui sont les créatifs et ne préfèrent pas le révéler. Certainement pour éviter d’être accusées de faire du travail dissimulé. Cette étude est cependant très intéressante, car il a été possible de dégager de grandes tendances sur les taux de réussite. Les données précises de rendement permettent d’effectuer une comparaison avec les tarifs pratiqués habituellement (qui ne sont pas forfaitaires).

Des tarifs en dessous du marché

En 2013121, il était déjà possible de visualiser la somme globale attribuée depuis la création de la plate-forme sur Creads. 658 727€ avait été attribués pour 284 554 créations déposées sur l’ensemble des 1512 concours. Après un rapide calcul, on peut estimer à 188 propositions pour 436€ de gains par concours (2€ le gain moyen par création). De quoi avoir envie de se lever le matin. En 2015, les chiffres sont plus attrayants pour Eyeka : 5 814 600€ pour 864 concours et 96 798 idées soumises : soit 6730€ par concours et 60€ par idée. Ce type de déduction, utilisé par les opposants au CS ont d’ailleurs conduit la plate-forme Creads à supprimer le montant des gains globaux attribués (Eyeka le fait toujours). Celle-ci préfère aujourd’hui valoriser le nombre de projets et de propositions soumises. Adrienne Massanari122, professeur adjoint au Département de la communication à l'Université de l'Illinois à Chicago, utilise une méthode similaire pour comparer les tarifs de Wilogo Threadless ou DesignCrowd avec ceux pratiqués par les professionnels. Elle constate qu’ils sont en effet bien inférieurs à ceux pratiqués par les professionnels. Avant de pouvoir effectuer une comparaison réaliste, il s’agit de comprendre comment fonctionne le paiement d’une prestation de design (en temps normal).

La tarification des designers

« La valeur d’une connaissance est ainsi extrêmement di fficile à évaluer avec précision. Cette incertitude ouvre la porte aux comportements opportunistes de toute sorte. » (Burger-Helmchen et Pénin, 2011).123

La question de la tarification du design est délicate, un designer doit expliquer à son client le temps passé sur une commande selon de nombreux critères basés à la fois sur son expérience, sa notoriété et l’importance du client (cadre de diffusion). Les graphistes de la grande époque (90’s) ont connu la grille très complète éditée par le Syndicat National des Graphistes (aujourd’hui AFD : Alliance Française Des Designers) ou celle parue dans Création Numérique (annexes en page 191). Ces barèmes sont

121 En analysant les commentaires de illusion1986 / 11 octobre 2013 at 16 h 31 min sur YATUU. Le crowdsourcing c’est le mal ! [En ligne]. YATUU - blog BD. 11 octobre 2013. Disponible sur : < http://yatuu.fr/crowdsourcing-cest-mal/ > (consulté le 28 février 2015) 122 Massanari A. L. « DIY design: How crowdsourcing sites are challenging traditional graphic design practice ». First Monday [En ligne]. 22 septembre 2012. Vol. 17, n°10, Disponible sur : < http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/4171/3331 > (consulté le 17 janvier 2015) 123 Pénin J., Burger-Helmchen T. « Crowdsourcing d’activités inventives et frontières des organisations ». 2011. Disponible sur : < http://www.academia.edu/1905797/Crowdsourcing_d_activit%C3%A9s_inventives_et_fronti%C3%A8res_des_organisations > (consulté le 17 janvier 2015)

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cependant incohérents, incomplets ou obsolètes. Ils ne prennent pas en compte l’ensemble des paramètres indispensables pour évaluer une prestation124.

« Ces grilles racontaient n’importe quoi, soit des prix ridicules soit des prix exorbitants, et surtout sans indiquer un quelconque périmètre ni méthodologie pour sortir ces chi ffres. Bref, si ça pouvait quelquefois être utile aux free expérimentés, ça ne faisait que semer la confusion pour un débutant, qui faisait sa salade interne là dessus jusqu’à ce que ça ne veuille plus rien dire. » (Marie&Julien)125

Ces grilles étaient également peu accessibles par les commanditaires. Aujourd’hui encore, il a un flou qui entretient le mystère autour de la tarification. L’ADF a édité une application (payante sur abonnement) au doux nom de CalKulator126. Bien qu’elle soit très précise, pour une petite collectivité qui souhaite de manière ponctuelle estimer une tarification, cela peut être un frein (frein relatif car 75€ ne représente pas une grosse somme pour une collectivité). La tarification est donc une fourchette de prix pouvant aller du simple au double : jusqu’à 600€/jour pour un bon free-lance ou une agence (bien au delà pour les « designers stars »). Un sondage réalisé par l’agence Graphéine auprès de 5000 professionnels du secteur est pour le moment la représentation la plus complète disponible gratuitement127. À l’inverse des plates-formes de CS, un bon professionnel ne travaille jamais au forfait. Comme un boulanger ou un électricien : tout dépend du temps passé et de la complexité du projet.

« S’il vous demande “quel est votre forfait pour un site web”. Fuyez ! Il sait très bien qu’il va vous sortir des fonctionnalités au dernier moment et faire des modifs à n’en plus finir. » (Marie&Julien, 2012)

Le tarif journalier est la clef de voute du tari f de la prestation. Il est donc indispensable de savoir à combien s’élève le savoir-faire et l’expérience d’un designer. Pour être rentable, un designer doit prendre en compte ses dépenses, charges et la marge qu’il souhaite dégager (pour vivre). Sur les 22 jours travaillés (comme tout le monde), il va ensuite prendre en compte le temps passé à démarcher pour développer son activité « la partie invisible » (Compatibilité, prospection, rencontrer le client, se former). Marie&Julien estime qu’un free-lance « qui roule » travaille 10 à 15 jours par mois sur ses projets.

124 Druaux C. Design graphique et tari fs - Ouinon.net [En ligne]. Ouinon.net. 2008. Disponible sur : < http://www.ouinon.net/index.php?2008/05/27/342-design-graphique-et-tarifs-ou-qu-est-ce-que-le-design-graphique > (consulté le 23 août 2015) 125 Grille tarifaire 2009, 2010, 2011 et 2012 pour les graphistes, infographistes et webdesigners freelance recherchant un ordre de prix pour un site web, flyer, brochure, catalogue, logo, carte de visite, affiche ou autre prestation graphique [En ligne]. Marie&Julien. 2012. Disponible sur : < http://www.mariejulien.com/?post/2009/09/27/Grille-tarifaire-2009-2010-2011-et-2012-pour-les-graphistes-infographistes-et-webdesigners-freelance-recherchant-un-ordre-de-prix-pour-un-site-web-flyer-brochure-catalogue-logo-carte-de-visite-affiche-ou-autre-prestation-graphique > (consulté le 22 août 2015) 126 Taux horaire, droits d'utilisation, 12 disciplines du design et 85 domaines : « Tarifs designers / Prix du design > Guide pour calculer honoraires de création et droits d’utilisation de projets de design ». Disponible sur : < http://www.calkulator.com/ > (consulté le 16 janvier 2015) 127 Sondage tari f graphiste agence de communication [En ligne]. Agence de Communication Paris Lyon. Disponible sur : < http://www.grapheine.com/tarif-graphiste > (consulté le 22 août 2015)

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Il doit ensuite estimer le temps que prendra sa prestation selon les contraintes du projet. La formule très simple souvent utilisée est : (Tarif jour × Nombre de jours) + cession de droits = Tarif de la prestation (Marie&Julien, 2012).

La comparaison

Pour effectuer une comparaison réaliste avec les plates-formes, nous utiliserons la base du tarif d’un super-débutant de 250€/j. Les débutants prennent parfois en dessous, mais ce n’est pas viable. Pour le logo Segasel, doté de 600€, un designer aurait forcément proposé plusieurs axes créatifs, puis travaillé celui retenu par le client et réalisé a minima la papèterie (Un modèle de carte de visite, papier à entête, signature mail). Ce travail représente environ 4 à 5 jours de travail s’il est effectué sérieusement. Un logo basique devrait donc coûter entre 1000€ et 1500€. Ce que confirme le sondage Grapheine. Sur Creads, un logo est doté entre 400 et 600€. Si l’on prend en compte le taux de réussite aux concours : soit un designer effectue le travail à la chaîne (comme moi), soit il prend le risque de perdre vraiment du temps. Poussons le raisonnement à l’extrême. Pour être rentable et dégager un salaire de super-débutant, un créatif comme @magik (Le second de Creads) a produit 10560 propositions pour 58 concours, soit 182 uploads pour une victoire. Il devra ainsi remporter 4 à 5 concours par mois, à raison de 14h par jour de travail. Soit un logo toutes les 11 minutes pour arriver au tarif de 250€/j128

Le concours sous-payé

Sur les espaces d’échanges (Creads), les discussions tournent surtout autour des concours. Se limitant à quelques mots de félicitations ou de réconfort, un débat peut être lancé autour d’une dotation qui ne serait pas assez payée. Il est intéressant de découvrir qu’un sein même des plates-formes, les membres « refusent de travailler » sous un certain seuil, il évoquent des précédents payés en « bons Leclerc » et se demandent surtout s’il y aura des participants. Le sentiment d’être exploité ressort même parfois dans les discussions :

« L’occasion m'est offerte de redire, espérant peut-être que faire des émules fera changer les choses, que je ne participe pas aux concours dotés de moins de 200 euros. […] La notion de plaisir est nettement amoindrie lorsque j'ai le sentiment d'être exploité ! » (@garal 17 juin 2015 - 22:50)

C’est alors que l’on découvre que la motivation est souvent liée au montant du premier prix, à moins que le sujet ne soit vraiment très intéressant. Les membres aimeraient savoir qui « serait prêt à briller pour si peu129 » et à accepter cette nouvelle grille tarifaire dégressive. Ce qui fait naître des inquiétudes chez les meilleurs130 qui considèrent comme « une marche de plus » vers du recyclage de création. Bien

128 Si l’on considère les charges liées au paiement de la Maison des artistes : 1 jour de travail acharné de 14h équivaut à 840 minutes, sans pause. 250€ correspondent à 840 minutes de travail (soit 17,85€/h), soit 1€ toutes les 3,36 minutes. Si un logo est doté de 600€, il faut 2016 minutes pour être rentable. Si pour 1 victoire il faut 182 propositions, alors il faut produire un logo toutes les 11 minutes. 129 @loursin91 18 juin 2015, « Le hic si on veut en savoir plus sur les participants prêts à tout pour briller, c'est qu'il faudrait poster un nom pour voir ce que ça va donner, sinon, impossible d'accéder au concours… » 130 Ceux qui gagnent les concours sont plus actifs aussi sur les forums.

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conscient du fait que la qualité se mesure aussi à la dotation : « à dotation discount...création discount », cela oblige les participants à produire des inventions minutes.

« De toute façon, chacun fait comme il veut suivant son propre schéma de ce que doit être cette plate-forme. » (@sofi 18 juin 2015 - 14:08)

Notons toutefois qu’Eyeka valorise bien plus ses concours. Pour une vidéo, la dotation peut monter jusqu’à 15000€ (en moyenne 6000€), une idéation est rétribuée environ 800 à 1200€. De quoi motiver bien plus de monde. La dotation est souvent proportionnelle à l’investissement demandé. Pour une vidéo, le lauréat va fournir une réalisation qui va servir de maquette à un futur clip publicitaire : un story-board amélioré servant ensuite de base de discussion. On peut imaginer qu'il ne va pas faire du Scorcèse. Le vidéaste seul, est à la fois réalisateur-technicien-chef op... Le travail fourni est assez conséquent dans le cas d'une vidéo. Le risque de perdre pour le contributeur est aussi important, il faut donc le motiver pour qu’il participe car l'expertise nécessaire est plus pointue.

La perte de motivation des Oompas lompas ?

Sophie Renault étudie la plate-forme Eyeka pour comprendre les motivations des « clickworkers ». Elle confronte les participants à la recherche d'une satisfaction, financière ou créative, également en quête de reconnaissance avec les opposants de cette pratique qualifiée comme peu gratifiante et dont les contreparties sont insuffisantes. Ces créatifs travaillent sans avoir l'assurance d'un retour à la hauteur de leur investissement. Ils sont tout à fait comparables à des « Oompa-Loompas du Web ». En référence Charlie et la chocolaterie de Roal Dahl (1964), ces petits lutins n’attendent rien d’autre que des fèves de cacao de la part de Willy Wonka. Dans un documentaire131, on découvre un innovateur132 de la plate-forme suisse Atizo qui se demande comment continuer à être intéressé de donner ses idées pour si peu de retombées financières. La concurrence est vorace et bien que les prestations soient payées à prix d’amis. La plate-forme risque une dispersion de la foule. Pourtant, les créatifs continuent à s’affronter sur ces sites, nous verrons que l’argent n’est pas l’unique facteur de motivation.

Les  droits  d’auteurs    Les gagnants ont été désignés, il est temps de passer au tiroir-caisse. Le CS créatif suppose l’existence de créations intellectuelles sous forme de fichiers dématérialisées déposés en ligne par les participants aux concours. Cela implique une œuvre de l’esprit sur laquelle des droits d’auteurs vont être cédés. En France, cette rémunération se fait au profit de l’auteur soit de manière proportionnelle, soit sur une base forfaitaire133. Si la société qui intervient dans le processus de CS est à but lucratif, il y a deux possibilités : soit celle-ci externalise ses recherches (R&D) en direction d’une communauté, soit elle intervient comme intermédiaire en mettant en relation une communauté et des bénéficiaires (ses clients) par le biais d’un concours. Juridiquement le CS se définit comme :

131 Nouvo. Le crowdsourcing: les bonnes idées sont dans la foule [En ligne]. 2012. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=nZSJWT4HVxA&feature=youtube_gdata_player > (consulté le 21 janvier 2015) 132 Le terme désigné pour un contributeur sur Nouvo. 133 Code de la propriété intellectuelle, art. L. 131-4.

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« L’action qui consiste, pour une société à but lucrati f, à recourir à une communauté de partage sur le web, directement ou par le biais d’une plate-forme spécialisée, afin que cette communauté réalise, contre rémunération, des créations immatérielles. » (C. Lucien, 2012)134

Les droits d'auteurs (intellectuels) sont transférés à la marque. Les créateurs perdent ainsi les droits en cas de sélection. Le droit moral est lui toujours imprescriptible, inaliénable et incessible on ne peut y renoncer par contrat. Le montant indiqué pour chaque concours correspond à une session de droit, c’est ce que paye le client. Il n’y a donc pas de rémunération au titre du travail effectué.

« Les gagnants qui sont sélectionnés cèdent leurs droits. La récompense qu'ils récupèrent est la contrepartie de la cession des droits. » (É. Favreau)

Agissant comme un intermédiaire, la plate-forme ne vend pas de contenus comme peut le faire une véritable agence mais en organise la production. Dans cette logique d'intermédiation (É. Favreau), le transfert de droits s'effectue uniquement entre le client et le créatif135qui est lui-même garant de l'exploitation des idées et certifie l'authenticité des médias soumis s'engageant à ne pas fournir d'éléments contrefaisants (terme utilisé par É. Favreau). Nous allons désormais étudier pourquoi certaines plates-formes, comme nous l'avons précisé plus haut ne souhaitent pas toujours divulguer les créations.

Divulguer ou non les créations

Les créateurs doivent fournir un travail qui leur appartient. Le risque de dérive vient du fait que le créateur peut lui même faire appel à l'outsourcing pour sous-traiter sa création (un logo sur une plate-forme comme Fiverr par exemple136). Le créateur s’engage donc à fournir les documents prouvant qu’il possède les droits sur les images ou musiques utilisées lorsqu’il n’en est pas le créateur. S’il s’agit de vidéos ou photos, il s’engage aussi à fournir les autorisations de cession de droit à l’image des figurants. Si par exemple une vidéo se retrouve en ligne sans que les droits sonores aient été payés, à la différence d'un hébergeur comme You tube, la plate-forme est responsable de ce qu'elle affiche sur son site. Le risque de plagiat constitue l'une des raisons pour lesquelles l'ensemble des contenus n'est plus visible sur Eyeka (il était visible auparavant) alors que l'approche est très différente de Creads puisqu’il est possible de visualiser les créations soumises. Bien sûr, ayant accès en amont à l'ensemble des contributions, le contrôle peut être effectué par la plate-forme qui peut supprimer les contenus manifestement illicites. Mais il ne sera pas possible de garantir cette authenticité au client, vue la quantité de propositions soumises. Cette différence de positionnement nous donne de nombreuses indications quant à l'objectif d'un concours et ce que devient la contribution. Eyeka fournit à ses clients un maximum d'informations en précisant le contexte de création lui permettant de savoir ce qu'il peut utiliser ou non. En choisissant de ne pas divulguer les contenus, le client souhaite conserver une forme de fraîcheur et de confidentialité (É. Favreau) car il ne va pas utiliser la création telle qu'elle a été soumise, soit parce qu'elle n'est pas toujours pertinente, soit parce qu'il souhaite s'inspirer de la création et affiner le 134 Lucien C. « Crowdsourcing et gestion des droits d’auteur ». 2012. p. 70‑71. 135 Entretien en annexes Éric Favreau en page 123 136 Voir la partie sur la « repompe » / Plagiat en partie III en page 84

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travail avec son agence habituelle (idéation). Recherchant surtout une démarche créative, celui-ci va plutôt l'utiliser comme base de travail à la manière d'un benchmark créatif, une mise en ligne de la création peut donc être dommageable d'un point de vue marketing pour la marque qui souhaite garder une certaine confidentialité autour du projet. À cela s'ajoute un caractère d'exclusivité, les personnes sélectionnées amenées à transférer directement leurs droits d'exploitation au profit du client peuvent le faire de manière exclusive, comme lors d'une vente. Les gagnants ne pourront donc plus céder ces droits à quelqu'un ou à une autre organisation.

Les questions soulevées par cette pratique

Dans le cadre d'un projet d'agence, un créatif peut choisir d'utiliser pour son book (portfolio de réalisations) un projet qui lui semble pertinent. Il le fait en général en utilisant la création dans sa globalité. En école, la logique est similaire, cependant les projets sont fictifs, avec des cas concrets et de véritables marques. Les étudiants mettent alors ces travaux dans leurs books, faute de références. Cependant, ils sont de qualité professionnelle et restent porteur de leur réflexion. Après avoir constaté que des non-gagnants mettaient en ligne sans mention (Disclaimer) des contenus qui pouvaient être assimilés à des publicités officielles pour des marques, la plate-forme Eyeka insiste pour qu'aucune référence à la marque ne soit visible (comme le logo ou le nom du produit). Si l'on enlève la marque (notamment dans des projets de packaging), le travail ne présente plus aucun intérêt pour le créatif qui souhaite justement briller. La plupart des sites de crowdsourcing choisissent de ne pas permettre aux concepteurs de conserver certains droits liés à la propriété intellectuelle. Ce qui est très surprenant car il s’agit d’une pratique normale au sein des professions du design. Leur approche en terme de droit d’auteur n’aide pas non plus le monde du design à les porter dans son cœur. Une autre question soulevée par ces pratiques concerne le droit à l'image. Sur Fotolia, qui fonctionne comme une place de marché, des photographes déposent des clichés sur la plate-forme. Les clients (entreprises ou particuliers) achètent alors ces clichés en payant des tarifs variables suivant les utilisations (droits d’exploitation). Le contrat avec l'acheteur selon Fotolia permet de limiter l'usage dans certains cas des clichés, notamment lorsqu'il s'agit de politique, de tabac ou de religion. Prenons le cas d'un père de famille mettant en scène ses enfants pour compléter ses revenus sur Fotolia137. Les images sont diffusées, mais on ne sait pas ce qu'elles deviennent. Il faut obligatoirement que le nom du photographe apparaisse. Ce « droit à la personnalité »138 n'est pas toujours respecté par les agences qui mentionnent Fotolia, mais pas l'auteur. Rien ne garantit non plus que ces enfants se retrouvent pas sur une publication qui déplaise au photographe. Il est en effet difficile de protéger les concepteurs qui cèdent intégralement leurs droits d’exploitation à des clients qui peuvent ensuite réutiliser comme ils le veulent la création, en détourner le concept ou retoucher le design original. On parle souvent de Carolyn Davidson qui a touché 35$ pour concevoir le logo NIKE, sans toucher aucun droit d’auteur (type royalties). Celle-ci travailla ensuite avec la firme 137 Voir le reportage les forçats du cybermonde de Vanina Kanban 138 Le nom de l’auteur doit figurer sur le projet quelle que soit son utilisation : article 6 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique

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pour la déclinaison de la charte et reçu ensuite un pack d’actions de la société (et une bague en or marquée du logo !). Les entreprises travaillant avec les plates-formes remercient rarement les créatifs ayant conçu leur identité139. Ils sont une foule d’anonymes dont le seul intérêt est de répondre sans sourciller à des briefs. Le processus de création est radicalement modifié si l’on se réfère à une pratique professionnelle du design. Nous allons à présent voir ce que cette pratique peut apporter à des créatifs, à défaut de les rétribuer correctement et de façon transparente.

139 Voir étude sur les gagnants, annexes en page 181

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6) De  nouvelles  façons  de  travailler  

Se  libérer  des  contraintes  de  salarié  en  agence  L’agence de com’ est idéalisée par les plates-formes, pourtant elle est parfois génératrice de stress ou de frustration pour les professionnels qui y travaillent. En parcourant les témoignages et après quelques échanges de mail, on comprend que les motivations sont différentes suivant les personnes. Au-delà du simple enjeu financier, c'est la volonté de gagner qui anime certains graphistes, d’autres cherchent un moyen de « lâcher prise » et trouvent la valorisation qu'ils n'ont pas dans leur activité principale. Ils pratiquent un design, sans contraintes...

Le rythme parfois difficile de l’agence

En agence, la richesse c’est le temps, on facture à la demi-journée de travail, on est confronté aux Dead-line, il peut arriver que l’urgence du matin à faire pour hier soit reléguée en P2 voir P4 (jardon d’agence : priorité 2). Un délai trop court peut laisser un arrière goût d’inachevé au designer, qui est souvent exigeant et perfectionniste, une sensation de ne pas être allé assez loin dans l’élaboration de son travail.

Illustration Deadline de Don motta (dit Insidemotta), très largement diffusée sur internet. Visible sur http://www.designbyhumans.com/shop/insidemotta/ Un moyen de remédier à ce stress consiste à laisser le designer dans sa bulle. Le temps de la conception, sans pour autant l'isoler de l'entreprise. En design ce sont les émotions qui alimentent aussi le travail et la créativité (Amabile, et al. 1996)140. La procrastination semble parfois inévitable lorsque l’inspiration ne vient pas, il est souvent plus facile de créer lorsque l’on vient de faire un tour de vélo pour se changer les idées plutôt que d’enchainer les cafés assis sur la chaise de son bureau. C’est peut-être la grande différence de liberté que peuvent avoir les free-lances. Ils ont probablement 140 Jeannin H., Sarre-Charrier M. « Injonction de créativité et création sous contrainte : parallèles entre secteur culturel et monde du travail à l’épreuve du numérique. » In : 82ème Congrès de l’ACFAS Université Concordia, Montréal, Canada. Montréal : 2014. p. 107-116. Disponible sur : < http://creanum2014.sciencesconf.org/conference/creanum2014/eda_fr.pdf > (consulté le 16 février 2015) d’après Amabile, T.M., et al. (1996) « Assessing the work environment for creativity ». Academy of Management Journal. Vol. 39, 5. 1154-1184

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moins de pression qu'avec un employeur ou un chef de projet qui attend quelque chose afin d’alimenter le client. Cette plus grande liberté les oblige cependant à assumer leur choix face au client à qui ils sont directement confrontés. Ce qui fait la particularité de ce métier, c’est qu’il est difficile d’être efficace en restant devant un écran. Si les agences comprennent cet aspect essentiel du métier qui se pratique sur un écran, mais se nourrit d’influences extérieures et d’échanges, alors elles pourront continuer à proposer des idées neuves et du bon design. Le télétravail est aussi une façon de rapprocher le designer-employé du free-lance, le lien doit cependant être maintenu pour ne pas isoler le créatif dans sa démarche, alterner les moments de brainstorming puis de concentration est essentiel. L’agence est souvent considérée comme un cadre de travail exigeant, les burn-out sont fréquents et les effectifs souvent renouvelés. Les nuits blanches et les périodes de charrettes ne sont pas une légende et il est fréquent que les heures supplémentaires ne soient pas du tout payées.

Trouver l’inspiration ailleurs

Répondre à un concours sur une plate-forme de crowdsourcing pour un professionnel, c’est un peu comme un grand chef qui fait de la purée-saucisses : il se libère de manière simple et radicale de son cadre habituel de travail141. Un designer se nourrit de l’extérieur, de l’expérience, de ce qui l’entoure. Expositions, architecture, motifs de la vie urbaine, une scène de la vie quotidienne ou une tache de café laissée sur une feuille142... Tous les moyens sont bons pour changer d’air ou trouver l’inspiration, y compris une expérience de CS. Cette pratique sans pression, se nourrit des créations des autres. Un designer choisira donc cette pratique de manière occasionnelle, par curiosité ou pour changer de typologie des clients. Pour un graphiste, c’est aussi sortir de la routine de l’agence qui peut parfois être limitée à quelques clients ou des projets moins glorieux143. Bien que les chefs de projet choisissent leurs créatifs en fonction de leurs champs de compétences ou de leur expérience sur un type de client, pour un créatif en agence, il faut travailler sur un sujet imposé. Il est parfois difficile de trouver la motivation avec un sujet peu passionnant ou un client « difficile » (qu’il faut convaincre avec diplomatie car ce qu’il souhaite est peut-être incompatible avec sa stratégie de communication). La plate-forme offre la possibilité de travailler pour de grands comptes comme Coca-cola ou Nestlé, le créatif peut alors choisir son sujet en fonction de ses envies.

« Aujourd’hui, je réponds surtout si le projet m’inspire. » (@Elie-X144) Un autre avantage avancé par Holly Mac Allister est le fait de travailler avec des projets variés pour de nombreuses marques de renom (elle cite McDonald’s ou Coca-cola) alors qu’elle ne travaillait que pour cinq ou six clients en agence. La diversité est un argument à tempérer, il arrive qu’en agence, et

141 Voir témoignage Mistizouk (Créative sur Creads, France), annexes en page 161 142 Il n’est pas possible d’utiliser internet comme source unique d’inspiration. Pinterest, www.thefwa.com ou les blogs spécialisés sont indispensables mais on ne peut se passer des influences extérieures. 143 Témoignage Holly Mac Allister : Huffman J. « Local designer becomes top creative “crowdsourcer”. » In : Napa Valley Register [En ligne]. 2015. Disponible sur : < http://napavalleyregister.com/news/local/local-designer-becomes-top-creative-crowdsourcer/article_48e9bb70-90e6-58a5-9307-71a8a9527163.html > (consulté le 17 février 2015) 144 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste > (consulté le 25 juillet 2015)

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c’est ce qui fait la différence avec l’annonceur, on soit amené à travailler pour des clients très variés, suivant la taille de la structure, les comptes sont plus ou moins importants. Certains graphistes, au contraire, préfèrent travailler sur du long terme et développer un dialogue avec un client qui permet de conserver une ligne cohérente de communication et de consolider une identité pour la marque. La diversité est un facteur de créativité, qui permet de développer de nouvelles idées, mais les contraintes liées à la routine obligent les créatifs à aller plus loin dans la réflexion, à trouver une manière de faire vivre un design dans le temps.

Un  moyen  de  débuter  une  activité  ?  

De belles références ?

Les plates-formes mettent toujours en avant la présence de leurs clients « célèbres ». Un jeune professionnel y verra une opportunité de consolider un book de références avec des clients de prestige qui lui semblent inaccessibles. Le book est essentiel lors d'un recrutement, surtout lorsque l'on débute. Il démontre la qualité et la valeur de l’expertise du designer et met en avant ses réalisations les plus significatives. Il doit donner au client qui cherche un graphiste, ou à l’agence qui recrute, suffisamment d'informations permettant d’identifier l’étendue du savoir-faire ou un style qui corresponde à ses attentes. C’est le même principe que pour la vitrine d’un boulanger :

« T’as plein de boulangeries, il y en a une où tu vois qu'ils ont l'air de faire de la meilleure pâtisserie, tu rentres, tu ne demandes pas à goûter… tu rentres parce que ce qu'ils montrent te laisse penser que c'est ce que tu cherches. Tu leur fais confiance, et tu pars avec eux. » (B. Fluzin)

Un free-lance n'achète pas d’encart publicitaire. Ce n'est que la qualité de son travail qui lui apporte des affaires. Effecter un travail de qualité est la seule manière d’en toucher de nouveaux.

« On n’a pas de 4 par 3, les grosses agences achètent peut-être des encarts dans la presse spécialisée, mais pas les petites et encore moins les free-lance145. Le portfolio est l'engagement à faire du bon taff, c'est une évidence qui est parfois oubliée. » (B. Fluzin)

Pourtant cet aspect a progressivement disparu des pratiques. Certaines agences demandent même de faire des tests lors de candidatures. Avec un portfolio, « on ne perd pas de temps » indique Baptiste Fluzin, inutile de faire travailler quelqu’un gratuitement si le style recherché ne correspond pas à la demande, même si le travail est de qualité. En montrant ce qu’il aime faire, un graphiste va attirer des clients qui viennent chercher son style. Cette relation est saine et vertueuse. Un professionnel devra donc nécessairement fournir un travail de qualité pour assurer un minimum de réputation. Sur un concours de crowdsourcing, les professionnels réaliseront une proposition passe-partout impersonnelle, bien qu’ils possèdent une expertise suffisante. Bien sûr il sera parfois le seul à voir les petits détails, et les clients ne remarqueront pas la typo bancale ou l’interlettrage maladroit. Ce sont les autres créatifs et les agences qui vont lui rappeler. Il y a peu de chance pour qu’il décide de l’inclure par souci de notoriété vis à vis de la profession souvent critique. 145 Dans les années 2000, l’illustrateur Denis Truchi avait cependant son encart dans Étapes.

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« Good design is all about making other designers feel like idiots because that idea wasn’t theirs. » (Frank Chimero)146

Ce détail échappe surement aux amateurs, pour qui effectuer la commande relève de l'objectif principal. Pour les clients, cela représente un risque : se retrouver avec du boulot d’amateur. S’il s’en satisfait, tant mieux pour lui. Mais quels sont les recours si le travail fourni ne convient pas ?

« Le pro, il a sa réputation à tenir ! Le bouche à oreille joue beaucoup pour ou contre lui. Avec une communauté de graphistes qui est tout de même relativement restreinte, et une cible de clients comme les PME : le mec qui en plante une n'a plus qu'à changer de région. » (B. Fluzin)

Pas de différence de statut

Le designer-novice, partant du principe que ses « concurrents » sont tous amateurs, fait confiance à son expertise pour gagner. La faible récompense potentielle compte moins que la promesse de toucher un gros client pour démarrer une possible collaboration. Les plates-formes sont bien conscientes de la difficulté que peuvent avoir certains professionnels du graphisme à débuter une activité. On parle bien de designers sur le site Creads147, une façon de montrer que ce sont des professionnels, mais aussi un moyen d’attirer les aspirants du monde entier qui souhaitent le devenir :

« Devenez membre de notre tribu créative mondiale » (Creads) Les autodidactes ou les professionnels sont confrontés à des talents. Sur ces sites, c’est le design ou l’idée qui compte, la formation ou le diplôme importe peu. Comme le souligne une des fondateurs de crowdSpring :

« La beauté de notre site, c’est qu’il ne fait pas de di fférence entre un diplômé de l’école de Rhode Island ou une mamie du Tennesee qui passe son temps libre sur Adobe illustrator » (Steiner, 2009)148

La concurrence entre les créatifs de la communauté est également stimulante pour certains et la présence de professionnels est une source de motivation supplémentaire pour les aspirants. Un défi pour ces créatifs.

« Je me suis très vite rendu compte, dès mon inscription, qu’il allait y avoir une sérieuse concurrence sur tous les concours, au vu des nombreux talents présents sur Creads. » (@Ezpeletar !)149

Cette concurrence est aussi une base d’entrainement et un moyen de progresser où l’amateur s’inspire de l’expert pour améliorer sa pratique (le fan de P. Flichy)150. Ce mélange soulève cependant de vives tensions, car la majorité des prix sont attribués aux professionnels (Pelissier, 2011). La plate-forme

146 Un bon design fera dire aux autres designers qu’ils sont idiots de ne pas y avoir eux-mêmes pensé. 147 50000+ designers inscrits 148 « The beauty of our site is that it doesn’t matter if you have a degree from the Rhode Island School of Design or if you’re a grandma in Tennessee with a bunch of free time and Adobe ... Illustrator’ », (d’après MASSANARI A. L. 2012) 149 Paroles de Créa - Découvrez l’interview de @Ezpeletar ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-ezpeletar > (consulté le 25 juillet 2015) 150 Voir le Témoignage @RDCom en annexe en page 162

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trouve alors des solutions pour permettre à tout le monde d’améliorer son score créatif. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’Eyeka a même permis de créer une catégorie non-professionnelle au Festival international de la créativité à Cannes Lions cette année151. S’il gagnent, c’est aussi leur compétence qui sera reconnue par les marques, une opportunité de briller individuellement pour prétendre au graal : l’agence de com’, la vraie. La plate-forme devient alors une pré-agence, l’antichambre d’une future réussite professionnelle.

7) La  montée  des  inquiétudes  (Conclusion)  Les mécanismes et le discours des plates-formes de CS fonctionnent sur les mêmes recettes. La notion d’intermédiaire que l’on retrouve aussi en agence diffère, mais le processus de création est radicalement modifié si l’on se réfère à une pratique professionnelle du design. Selon les modèles, les entreprises vont utiliser le contenu produit par la foule selon deux axes : un produit fini (Creads) ou une idéation (Eyeka). L’implémentation ne s’effectue pas au même niveau. Le CS de contenu est une logique de production, à bas coût et souvent d’une qualité inférieure à ce que peuvent proposer les professionnels du secteur. La plate-forme tente de pérenniser la relation client en proposant ensuite des déclinaisons réalisées en interne sur divers supports. Dans une logique d’idéation, les internautes apportent une forme d’expertise aux entreprises pour concevoir de nouveaux produits ou résoudre des problèmes complexes qui ne peuvent être résolus en interne. En adoptant cette posture, la plate-forme ne contrôle pas la mise en place et l'implémentation laissant ainsi la marque travailler avec son partenaire habituel plutôt qu’en remplaçant des personnes existantes par du low-cost. Elle ne vend pas de contenus finis comme peut le faire une véritable agence mais en organise la production. La mondialisation impose aujourd’hui aux entreprises de proposer des solutions innovantes et adaptées aux besoins identifiés dans leur domaine. Ce modèle permet aux marketers et aux agences d’être plus créatifs en amont des projets. L’offre de valeur apportée par les contributeurs aux marques est un audit marketing permettant de savoir comment celles-ci sont perçues par des dizaines ou centaines de personnes. Intégrer le client dans une opération marketing afin de tester un produit ou un design n’est pas nouveau. Ce qu’une organisation ne trouvera jamais au sein d’un simple focus group est une source d’accès direct et à grande échelle à des consommacteurs. Ce qui n’existait pas auparavant dans une stratégie de communication. Bien que le manque de suivi constitue l’une des difficultés du crowdsourcing d’idéation, c’est là qu'aujourd'hui les marques voient le plus de valeur et non dans la production ou le remplacement de ce que font très bien les professionnels du design. La plate-forme est alors une hybridation entre l’agence et un cabinet d’audit. Le créatif doit cependant réfléchir à son niveau d’implication. Il donne à ces entreprises qui génèrent des profits une partie de son expertise. Il est le produit. En faisant ce choix, il devra faire la part entre ses potentiels bénéfices et ce qu’il est prêt à fournir. L’agence est un lieu de fantasme pour ceux qui n’y ont pas encore mis les pieds. Si les professionnels viennent trouver du réconfort en répondant de temps à autre à un concours et en travaillant sans pression. Pour les autodidactes ou les jeunes étudiants en recherche d’opportunité, la promesse est de rentrer dans le cercle fermé de l’agence. Les frontières entre la plate-forme et une véritable agence sont fines. Les plates-formes jouent sur les codes des professionnels avec des concours qui ressemblent à de véritables commandes. Le vocabulaire utilisé est celui d’un recruteur. Cette ambiguïté peut conduire

151 Après avoir lancé une pétition sur Facebook ayant recueilli +12000 soutiens www.facebook.com/rolcannes

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un jeune créatif à idéaliser la plate-forme qui lui donne illusion de devenir pro. Comme s’il fallait passer par cette étape pour faire ses preuves. Celui-ci y verra une manière de briller en alimentant son portfolio de belles références ou en se faisant repérer par une marque. Il s’agit d’un mirage où la relation client est limitée. Seuls 23% des gagnants interrogés ont échangé avec le commanditaire (et ils totalisent 7 victoires en moyenne !). La communauté est coordonnée et activée (Eyeka) : c’est la plate-forme qui définit les règles. L’acte de création est le même mais le seul interlocuteur du créatif reste un simple guide sémantique manquant de précision. La plate-forme propose ensuite un formulaire limité pour défendre la réalisation et expliquer la démarche créative. Le travail sera alors probablement en dessous des exigences demandées par les agences. L’activité que génère la plate-forme donne une illusion d’activité mais les échanges sensés améliorer les compétences sont limités entre les membres. La différence de statut, la formation ou le diplôme importent peu : les créatifs sont présentés comme une grande famille. La communauté représente une ressource et un potentiel quantitatif de réponses. Les marques peuvent aller puiser dans un réservoir à idées auquel elles n’avaient pas accès auparavant. Tous les utilisateurs sont paradoxalement concurrents. Le rendement et les performances du créatif constituent les principales informations visibles du profil sur la plate-forme. L’argent est un facteur important de motivation pour les concepteurs allant sur ces sites. Il est cependant très difficile de sortir du lot sur ces plates-formes et encore plus d’en faire une activité à part entière. Quelques designers font figure d’exception mais les chances de gagner sont très minces. Le taux de réussite, même chez les meilleurs est souvent très bas. Bien que les tarifs des designers soient fixés sur une base journalière et non au forfait comme pour les concours de CS, on peut rapidement constater que les tarifs pratiqués sur les plates-formes se situent bien en dessous du marché. Le rendement que doit fournir un créatif pour espérer remporter un concours n’est pas tenable pour assurer un minimum de rentabilité. Le risque principal pour les plates-formes est donc une dispersion de la foule liée à la perte de motivation. Par ailleurs, la plupart des sites de crowdsourcing ne permettent pas aux concepteurs de conserver certains droits liés à la propriété intellectuelle comme cela se fait habituellement dans une relation classique avec un commanditaire. Attirés par un statut en apparence simple et sans contrainte, un gagnant devra quoiqu’il arrive déclarer ses gains à la Maison des artistes et céder ses droits d'exploitation de manière exclusive à la marque. Souhaitant s'inspirer de la création et affiner le travail avec son agence habituelle, la marque souhaite alors rester discrète sur son opération marketing. Focalisés sur la demande tels des zombis du brief, les créatifs réalisent ensuite qu'ils ne pourront pas toujours alimenter leur book s’ils doivent supprimer le logo de la grande marque à l’origine du concours. Il est alors possible de vérifier notre hypothèse selon laquelle le CS propose une nouvelle pratique du design et de nombreux avantages pour les marques. Tout est là : brief, clients, grandes marques, concurrence, agent artistique (la plate-forme), gains, droits d’auteurs... mais les équilibres semblent différents. Il manque en effet le principal ingrédient : la relation créatif-client. Les plates-formes cherchent à démystifier la création en donnant la possibilité aux entreprises d’externaliser de manière rentable la conception d’un logo ou d’un site web. Ces sites génèrent des revenus énormes et travaillent ainsi avec des clients potentiels pour les graphistes en encourageant amateurs ou étudiants à répondre à des concours de création dont l’issue ne garantit pas une rémunération ou des droits

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d’auteurs. L’idéation semble représenter une forme plus équilibrée de CS, dans le sens où il ne s’agit pas d’une production livrée et implémentée. Ce qui ne semble pas dévaloriser le design ni jouer sur le même terrain que les agences qui collaborent avec les marques. Pourtant le ton monte du côté des designers. Adrienne Massanari152 analyse dans son article le débat qui s’est intensifié ces dernières années autour des pratiques amateurs face aux professionnels de la création153. Son approche permet de mettre en valeur les failles et les dérives de ces plates-formes. Elle indique que les recherches en ce sens sont encore trop peu nombreuses pour répondre aux hypothèses liées à l’éthique du CS à but lucratif et en particulier les sites qui finissent par contester la pratique créative du design tel qu’il est pratiqué par les professionnels. Étudions à présent ce qui fait débat...

152 Massanari A. L. « DIY design: How crowdsourcing sites are challenging traditional graphic design practice ». First Monday [En ligne]. 22 septembre 2012. Vol. 17, n°10, Disponible sur : < http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/4171/3331 > (consulté le 17 janvier 2015) 153 Elle étudie cinq des plates-formes principales de crowdsourcing anglo-saxones : 99 designs, Crowdspring, Designcrowd, Threadless et DesignByHumans

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III. Le  crowdsourcing  au  cœur  des  préoccupations  Hypothèse 02 : La création graphique dans un contexte économique fragile est mise à mal par le crowdsourcing qui brouille davantage les frontières entre les amateurs et les professionnels et ne fait qu’augmenter la méconnaissance de ce métier.

1) Introduction  Notre étude nous a permis de constater que les gagnants qui cumulent le plus de victoires sur ces plates-formes sont de vrais professionnels, souvent autodidactes venus parfois chercher une forme d’échappatoire à leur activité d’agence. Ils se retrouvent en concurrence avec des amateurs et des pro-am qui tentent de percer et d’en faire une activité à part entière. Comment définir un professionnel d’un amateur en design ? Il y aurait donc deux approches possibles : celle qui définit le professionnel par le fait qu'il paye des cotisations et génère un revenu de son travail d'auteur et celle qui consiste à dire que l'expertise, sa qualification, suffit pour faire de lui un professionnel. Flichy souligne que la zone grise qui sépare les pros des amateurs est en effet plus difficile à situer et à défendre (Face à la contre-expertise scientifique de Wikipédia, par exemple). Cela demande un changement de positionnement de la part du professionnel pour expliquer ce qui définit son expertise de celle d'un amateur. Nous verrons dans cette seconde partie que le designer est bien plus qu'un technicien, il possède une démarche qui va, au delà de son statut juridique le qualifier de professionnel.

« La montée en puissance des amateurs peut […] être profondément déstabilisante pour les experts-spécialistes. Il est di fficile pour l’enseignant d’avoir en face de lui des élèves qui contestent son savoir au nom d’informations recueillies dans des encyclopédies en ligne. […] Ces nouveaux rapports sociaux obligent le spécialiste à changer de position et de ton : ne pouvant plus imposer son savoir par des arguments d’autorité, il doit s’inscrire dans une relation plus égalitaire où il faut expliquer, dialoguer, convaincre, tenir compte des objections de ses interlocuteurs. » (P. Flichy, 2010)

Prenons un peu de recul pour comprendre le contexte dans lequel cette nouvelle économie du crowdsourcing est en train de s’inscrire. La vitesse d’expansion de ces nouvelles économies numériques est frappante : Creads est passé par exemple en 5 ans de 2 à 50 employés, sa communauté créative de 9500 à 60000154, avec plusieurs levées de fond155. Assimilés à de Nouveaux barbares fondant sur Rome (Dedieu, Mathieu, 2015) 156, Netflix est par exemple valorisé autant que Saint-Gobain, soit 25,2 Milliards de dollars alors que la plate-forme de streaming totalise 75 fois moins de salariés157. Des effectifs modestes liés au modèle d’externalisation. Profitant du climat économique morose et du chômage de masse, ces usages permettent aux particuliers, aux amateurs d’améliorer leur pouvoir d’achat au point d’en faire leur activité principale.

154 Creads. « Dossier de presse-web - folder-kit-web-fr.pdf » [En ligne]. 2014. Disponible sur : < http://www.creads.fr/media/press/folder-kit-web-fr.pdf > (consulté le 1 août 2015) 155 2008, 2009 et dernière en date 2014 via le fond CM CIC, filiale du réseau Crédit mutuel et CIC. 156 Dedieu F., Mathieu B. « Uber, Airbnb, BlaBlaCar... L’invasion des barbares ». juin 2015. Disponible sur : < http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/uber-airbnb-blablacar-l-invasion-des-barbares_1683952.html > (consulté le 11 juillet 2015) 157 2500 employés pour Netflix contre 187000 pour Saint-Gobain

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Ces entreprises championnes de la disruption158 emploient peu de monde et leurs coûts de fonctionnement sont bas. Elles peuvent ainsi pratiquer des prix très compétitifs. Cependant, des emplois précaires voient le jour autour de ces nouveaux marchés de l’internet. Les Auto-entrepreneurs, limités à un plafond de chiffre d’affaire, deviennent concurrents alors qu’ils font partie de la même communauté. Le terme même du travail est remis en cause par ces occupations au statut flou qui brouillent davantage la perception du travail tel que l’on pouvait le concevoir il y a encore quelques années. Cette « destruction créatrice » (J. Shumpeter, 1943)159 entamée par la désindustrialisation massive des années 80160 touche désormais le tertiaire et les services jusqu’alors épargnés. Les cols-blancs sont touchés de plein fouet par la paupérisation de leurs métiers assurés désormais par une foule établie dans des pays où le niveau de vie est moins élevé. Alors qu’il était possible de faire sa carrière au sein de la même structure, les entreprises dirigées à l’ancienne, avec une hiérarchie pyramidale et une organisation par cellules perdent du terrain. Les carrières sont ponctuées de trous et les contrats de travail deviennent flexibles (ou précaires selon les points de vue). Dans le secteur du design, le free-lance constitue le réseau informel des start-up et des agences. Ces travailleurs indépendants nomades et mobilisables à la demande selon les besoins interviennent de manière ponctuelle. Il n’y a plus de visibilité à long terme pour ces travailleurs ne bénéficiant parfois d’aucune couverture sociale. Le statut d’auto-entrepreneur161représente à lui seul ce courant de pensée individualisée qui pousse à considérer le travail comme un coût et non comme une ressource. L’identité du travailleur se perd au milieu des nouvelles pratiques numériques. En travaillant de manière décentralisée, le créati f invisible, repousse les frontières entre travail et emploi, il doit lui-même trouver ses clients, fournir de la valeur. Derrière une idée de liberté et d’indépendance véhiculée par la perte de hiérarchie, tout repose sur les épaules du free-lance, il y a une perte de sens de la valeur-travail. Le salariat semble devenir obsolète et notre modèle de sécurité sociale basé sur l’emploi162, menacé par ces nouveaux acteurs qui accentuent encore cette précarité.

« Il faut se demander ce que l'atomisation du travail va impliquer pour notre modèle social » (Gauthey, 2015)163

Comme nous venons de l’évoquer en première partie, l’absence de pratiques discursives sur les plates-formes et le manque d’accompagnement préparatoire pendant la phase de conception pourraient remettre en cause la place du designer dans un processus créatif. Ces lacunes ne font qu’accentuer le malaise au sein des professions du design. Le CS tel qu’il est pratiqué par ces plates-formes devient alors spéculati f et rencontre une forte opposition de la part des designers. 158 La disruption consiste pour une organisation à sortir de sa zone de confort et des idées reçues pour changer l’ordre établi et les conventions afin d’occuper un océan bleu où le potentiel de développement est plus important. Il sera plus facile pour la marque ensuite de faire naviguer son produit, sa communication. Voir complement en annexes : p192, 5) La zone de confort et la prise de risque. 159 Joseph Schumpeter, 1943 Traduction française 1951 Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, p.106 et 107. 160 L’industrie représentait environ 4,5 millions d’emplois en 1980 contre 2,4 en 2008 (INSEE) 161 Créé en 2008 avec la loi de modernisation de l’économie (LME) 162 Les charges payent la sécurité sociale et les retraites, elle diminuent fortement avec le statut de freelance : environ 20% contre 60% pour les salariés. 163 Gauthey M.-A. « L’ uberisation , nouvelle mythologie française ». Les Echos Business [En ligne]. 17 mars 2015. Disponible sur : < http://business.lesechos.fr/directions-generales/0204227707880-l-uberisation-nouvelle-mythologie-francaise-109163.php > (consulté le 1 août 2015)

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Pour répondre à notre seconde hypothèse, nous partirons d’observations plus larges liées à l’externalisation du travail sur le web (outsourcing). Nous verrons tout d’abord qu’il existe des modèles de CS qui permettent aux professionnels de la création de se demander si leur métier peut lui aussi se précariser de manière extrême. Pour illustrer ces dérives du travail sur le web, nous allons nous appuyer sur l’édifiant documentaire Les Forçats du Cybermonde (2007) de Vanina Kanban164 et étudier une expérience du journaliste Yann Guégan165 sur Fiverr166. Après avoir défini plus précisément la notion perverted-crowdsourcing et ses origines, nous tenterons de comprendre dans cette seconde partie si la crainte des professionnels est un réflexe d’auto-défense corporatiste ou si elle se justifie par le fait que les droits des créatifs sont réellement diminués. En élargissant l’observation au-delà du CS nous verrons que l’expertise de designer perd en crédibilité de manière générale. Nous évoquerons les nombreuses dérives autour des appels d’offres et le manque réel de reconnaissance du métier auquel s’ajoute un statut du graphiste au bord de l’essoufflement. Nous ferons nos analyses à partir du débat occasionné par l’affaire Creads et du travail gratuit en nous appuyant principalement sur les entretiens réalisés dans le cadre de cette étude et les articles de blogs parus sur le sujet. Nous utiliserons également les informations fournies par l’Alliance Française des Designers pour alimenter cette recherche. Dans un second temps nous vérifierons si cette pratique a un impact sur la qualité des productions et ce qui est mis en jeu pour les marques. Pour clore cette partie, nous verrons par l’exemple de la refonte du logo de Charleroi en quoi consiste un design de qualité.

2) L’outsourcing  pour  comprendre  les  dérives  possibles  

Les  forçats  du  cybermonde  Les industries créatives sont naturellement touchées par ce phénomène, on peut distinguer deux niveaux de pratique du CS : les concours et l’externalisation directe (outsourcing). Au regard de certaines pratiques extrêmes nous pourrons aussi comprendre pourquoi les professionnels du design sont si méfiants envers les plates-formes de crowdsourcing.

- vous accepteriez de travailler pour 3$ de l'heure ? - moi probablement pas, mais je suis certain que l'on peut trouver un étudiant qui serait d'accord, des gens qui accepteraient de travailler chez eux pour ce prix. Des gens qui ont décidé que c'est ce qu'ils voulaient faire. Personne ne les force, il n'y a aucune pression, aucune torture. Ils font ce travail parce qu'ils le veulent.

(Jeff Barr, responsable marketing Amazon)167

164 Vanina Kanban, « Les Forçats du Cybermonde », 2007. À propos de la plate-forme Amazon Mechanical Turk. 165 Guégan Y. J’ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros [En ligne]. Dans mon labo. Disponible sur : < http://dansmonlabo.com/2015/07/05/comment-jai-fait-faire-mon-logo-au-bangladesh-pour-5-euros-837/ > (consulté le 18 juillet 2015) 166 « Fiverr : Dessins, marketing, amusement et bien plus de services pour $5 » Disponible sur : < https://fr.fiverr.com/ > (consulté le 8 octobre 2014) 167 Vanina Kanban, « Les Forçats du Cybermonde », 2007. À propos de la plate-forme Amazon Mechanical Turk.

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Jusqu'où une plate-forme peut-elle globaliser et finalement créer une nouvelle forme d'esclave ? Pas de grille de salaire ni de contrat, ni de sécurité sociale. Un jeu qui passe parfois au-delà des lois. Les nouveaux travailleurs du web, par centaines, n’ont aucune certitude en terme de sécurité d'emploi. La sous-traitance avec ses petites mains de l'internet est sans doute la forme la plus extrême de ce que l'on peut trouver en terme d'activité liée au web 2.0. Les champs de sourcing se sont élargis et même complexifiées depuis 2007. Les questions soulevées par le film très engagé de Vanina Kanban montrent une facette obscure du 2.0168. La face cachée de l’internet ressemble aux temps modernes de Chaplin et on comprend vite que les nouvelles technologies ont remis au goût du jour de manière globalisée, un monde du travail digne du 19ème siècle.

Certains  modèles  bien  moches  Il est intéressant d’explorer 3 exemples représentatifs de ce que l’on peut qualifier d’outsourcing :

Le gaming

En 2007, les jeux en réseau battent leur plein, des jeunes chinois jouent pour le compte d'occidentaux afin d'améliorer les personnages. Ces joueurs-esclaves gagnent à peine 90€/mois pour 12 heures par jour passées devant les écrans. Eux ils paient, nous on bosse glisse l'un deux. Le patron quant à lui se préoccupe plus du faible rendement de ces jeunes employés que de la loi qui interdit l’embauche des mineurs169. Les tarifs sont au départ très élevés au niveau la société mère et des clients, mais une suite de sous-traitants distille les revenus des employés en bout de chaîne. Dans une scène surréaliste, un sous-traitant débarque au siège chinois de la société américaine. Il prend alors une employée en otage et menace avec une arme afin de toucher son salaire. Un acte désespéré que cherche à minimiser la société américaine…

Amazon Mechanical Turk

Mechanical turk170 est un site de micro-tâches au nom barbare proposé par Amazon : un échange de service, souvent lié à internet (recherche, test, ontologie). Jeff Barr, responsable marketing Amazon estime qu’il s’agit d’un bon moyen de sous-traitance pour les entreprises débordées. Elles n’ont plus à investir de ressources internes pour des tâches répétitives. Selon lui, l'avantage est de permettre à tous et partout dans le monde de participer. Agnès Laurent, une travailleuse française du site interrogée dans ce documentaire gagne 9$ pour 450 tâches et environ 15 heures de travail (non déclarées). Randy Foreman, a gagné environ 175$ en 6 mois, en répondant à des questions d'internautes. Il fait ça pour le plaisir, pour utiliser son ordinateur et pour aider… on peut donc se poser la question de la motivation qui pousse ses personnes à œuvrer pour rien171 mais qui permettent, sans toujours le savoir, d'enrichir de grosses entreprises comme Amazon. Pour les clients, aucune garantie de résultat et pas d'explication à donner en cas de refus. En France il n'est pas possible d'être payé par la plate-forme, sauf en bons cadeaux ce qui doit certainement dissuader quelques internautes.

168 Étant pourtant informé et sensible à l’éthique des entreprises sur le web, je suis resté sidéré par ce que j’ai découvert 169 La majorité est de 18 ans en Chine 170 « Amazon Mechanical Turk - Welcome ». Disponible sur : < https://www.mturk.com/mturk/welcome > (consulté le 16 janvier 2015) 171 Cf La perte de motivation des Oompas lompas, partie II, en page 52

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Fiverr

Le dernier exemple Fiverr, le Mechanik turk d'activités créatives, concerne directement les graphistes. Cette plate-forme d'outsourcing permet de trouver des free-lances en graphisme, traduction, programmation web, composition musicale…pour un prix plancher de 5$ la création. On entend souvent dire qu'un logo coûte cher et il est facile de trouver des témoignages d'entrepreneurs qui disent avoir trouvé la formule gagnante en faisant réaliser un logo à moindre coût via un site de sous-traitance (outsourcing).

« J'utilise Fiverr depuis plus d'un an pour tous mes designs. Logo, ebook cover, bannières, cartes postales, flyers, intro vidéo etc... Je n'ai jamais été déçu. C'est incroyable de penser que l'on peut trouver des gens très pro pour $5. Ce que j'aime en plus c'est que la plupart du temps tout est livré en 4 a 5 jours. Donc pas cher plus rapide- It's a steal. » (Biba de Networking et réseaux, 2014)

Plusieurs expériences (Sasha Grief172, 2015 ; Weiler J, 2014173) ont été tentées pour comparer les offres de création de logo discount. Dans son article J’ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros, le journaliste Yann Guégan, part du constat autour d'Uberpop, et se demande si les graphistes peuvent aussi se faire du souci. Il passe commande à partir d'un brief très simple pour refaire son logo en présentant rapidement son entreprise et reçoit 27 offres174. 70% sont au prix minimum proposé par le site : 5€. Les autres offres allant de 5€ à 55€, il choisit, « perdu dans cette liste » de « talents les plus créati fs au monde » (Fiverr) trois graphistes avec pour seules indications les commentaires et évaluations des acheteurs, un petite bio du créatif et son temps moyen de réalisation. Sur le même principe qu’eBay, les créatifs sont présentés comme des produits de consommation où chacun tente de se démarquer par une Baseline digne d'un marché aux puces175. À renforts de smileys, les échanges sont rudimentaires, sans avoir le temps d'approfondir le brief, les retours sont très rapides. Les fichiers sont livrés dans des formats plus ou moins exploitables. Inutile de s'attendre à une valise de logo permettant différents types d'utilisation ni même une charte d'utilisation176 : débrouillez-vous ! Au delà du manque d'originalité, le plus inquiétant concerne les droits autour de la création : les visuels sont souvent repris d'autres logos ou proviennent directement de banques vectorielles. Un algorithme tel que Vistaprint ferait presque mieux. Après avoir reçu 3 propositions et des fichiers exploitables d'Israël (55$), du Pakistan (15$) et du Bangladesh (5$), le journaliste finit par conclure :

172 « What Kind of Logo Do You Get for $5? ». In : Medium [En ligne]. Disponible sur : < https://medium.com/@sachagreif/in-the-past-couple-years-startups-have-started-realizing-that-good-design-can-make-the-difference-2fdeb90d390a > (consulté le 18 juillet 2015) 173 Source > Weiler J. « Entrepreneurs, j’ai testé la création de logo à prix discount ! ». 2014. Disponible sur : < http://businessinternational.fr/creation-logo-prix-discount/ > (consulté le 4 novembre 2014) 174 Capture d’écran permettant de constater la répartition des propositions en fonction des tarifs de prestations. Guégan Y. J’ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros [En ligne]. Dans mon labo. Disponible sur : < http://dansmonlabo.com/2015/07/05/comment-jai-fait-faire-mon-logo-au-bangladesh-pour-5-euros-837/ > (consulté le 18 juillet 2015) 175 La traduction automatique du site n’arrange pas les choses. 176 Une valise de logo permet ensuite d’utiliser celui-ci dans différents cas d’utilisation, en général, elle est accompagnée d’une charte graphique qui indique par des règles comment décliner la création selon les supports. Différents formats sont fournis : Eps, RVB, CMJN, couleur, NB...

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« Au final, le graphisme me semble une profession di fficile à « uberiser », en tout cas d’une façon aussi radicale que celle proposée par Fiverr – même si ce secteur, comme bien d’autres, compte son lot de précaires qu’on cherche à payer toujours moins cher. » (Yann Guégan, 2015).

Ci-dessus : Capture du site Fiverr, sur la page permettant de choisir son créatif, ici pour créer une « Amazing infographie » Cette pratique managériale d’externalisation permet aux organisations d’accéder à des connaissances externes très variées, souvent à faible valeur ajoutée car il s’agit de micro-tâches répétitives. Les frontières entre crowdsourcing compétitif et outsourcing sont souvent très minces. Bien entendu, les concours de création sont loin de générer des situations de cette ampleur, mais les récents événements autour d'Uberpop par exemple génèrent un climat de méfiance envers les nouvelles formes d'externalisation du travail par la foule. Cela peut encourager des métiers en apparence protégés à voir rapidement le mal à travers ces nouveaux usages.

3) Perverted-­‐crowdsourcing  

Les  craintes  des  professionnels  face  au  perverted-­‐crowdsourcing  Comme pour l’outsourcing, le crowdsourcing voit naturellement apparaître son lot de critiques, et peut vite devenir du « perverted crowdsourcing » ou également du « travail spéculati f 177». Ce qui est reproché avant tout est le manque de garantie d’indemnisation, qui aurait un impact négatif sur le métier et l’industrie du design dans son ensemble. L’autre aspect souvent évoqué est le manque de

177 Qu’est-ce que le travail spéculati f ? [En ligne], 2012. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=gemQQ0-RSyQ&feature=youtube_gdata_player > (consulté le 15 novembre 2014)

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pertinence dans le processus de création (concept, recherches, maquettes et rough178), qui vise à affiner la demande d’un client et à trouver des solutions personnalisées par des échanges avec celui-ci.

Apparition  du  terme  spec-­‐work  Internet est sans frontière. Les plates-formes sont également critiquées par les professionnels des pays dans lesquels elles se développent. Le terme spec-work179 est même plus employé que celui de perverted crowdsourcing.

« Ce n'est pas nous franco-français-râleurs qui sommes les seuls à nous élever contre ce type de pratique. » (B. Fluzin)

La plupart des sites de CS sont anglo-saxons. Les critiques apparaissent donc en France, avec un léger décalage. Les premiers à tirer la sonnette d’alarme sont des blogueurs ou acteurs du secteur qui cherchent à sensibiliser sur ces compétitions bénévoles. Métiers Graphiques, le forum Kob-One, le blog de Marie&Julien émettent de vives critiques concernant les dérives possibles du système. Au delà des questions éthiques liées au travail, elles portent surtout sur la vision erronée du design véhiculés par ces concours. Laissant croire qu’il est possible d’obtenir un travail de qualité à bas coût. Les puissants syndicats d’architectes ont su peu à peu se prémunir contre ces dérives. Les designers ont forcément moins de responsabilités qu’un architecte s’ils font du mauvais travail. Les tables rondes et autres colloques ayant tenté de réglementer ces compétitions n’ont fait que renforcer juridiquement les plates-formes de crowdsourcing.

« Je ne sais pas si ils nous ont "renforcé", mais en y participant, je considère qu'au moins on prend part au débat et on essaye de trouver des solutions là où il y en a besoin. Par rapport à "disparaître", c'est sûr que "participer au débat" c'est certainement être renforcé! Mais notre objecti f n'est pas de devenir plus forts à tout prix. C'est un effort de transparence et d'éducation... et de compréhension mutuelle. » (Précision de Yannig Roth par mail, 2015)

L'association "union des photographes créateurs180, estime que les banques d'images ont cassé le marché. Il y a selon eux un nivellement par le bas. Ces photographes du tiers-monde et les agences qui participent font fonctionner ce marché. Ils ont ouvert une boîte de pandore. Le métier semble désormais à la merci du libéralisme et de la mondialisation. On se retrouve dans une suite d’exploitation en palier... avec en bout de chaîne le travailleur.

À  quel  moment  cela  devient  du  travail  spéculatif  ?  Du côté des graphistes cela crée une grogne particulière au delà des considérations juridiques. Il n’est donc pas étonnant d’entendre parler de travail spéculatif. Le CS repose sur « une belle idée au départ » (F. Caspar, Alliance Française des Designers : AFD). Le partage de compétences peut apporter des solutions aux ONG ou associations dans un but qui peut

178 Ébauche, esquisse, travail préparatoire. 179 Speculative work ou travail spéculatif 180 Depuis : L’Union des Photographes Professionnels

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être humanitaire par exemple. Pour Alec Ross, conseiller d'Hillary Clinton en innovation, l’Intelligence collective où la sagesse de la foule est parfois plus pertinente que celle d’un expert. Il constitue un outil de développement qui permet d’identifier des enjeux sociétaux qui n’auraient pas pu être résolus au sein d’un gouvernement181. Il donne l’exemple d’une application nommée Icow182, réalisée à la suite d’une campagne de CS en Afrique, permettant de rendre la traite des vaches laitière plus efficace. À quel moment s’opère la bascule entre le crowdsourcing et une plate-forme qui fait du perverted CS ?

« On bascule là dedans quand on en fait une plate-forme justement. Une plate-forme qui ne fait que ça.» (G. Dorne)

Pour Geoffrey Dorne, il arrive que des marques fassent des concours qui ressemblent à des appels d’offres déguisées où les droits de Propriété intellectuelle sont « réquisitionnés » après une faible rémunération183. Si le concours est un acte gratuit, qui n'est pas indispensable à l'entreprise : c'est en général assez sain. Lorsqu’une entreprise souhaite réaliser le meilleur logo, ou la meilleure interface pour son futur logiciel : il s’agit d’un travail déguisé sous forme de concours. Cela remet en cause le métier d’agent artistique réglementé qui protège les auteurs selon François Caspar, président de l’AFD, qui ajoute : « Les auteurs ne sont pas forcément businessman : il s'agit d'une population plutôt fragile. » Pour des graphistes salariés à mi-temps ou des amateurs, cela peut apparaître comme une source de revenus complémentaires. Lorsque le CS est utilisé comme une formule rapide pour trouver des missions ou des clients en attirant énormément de personnes fragiles, c’est différent. Le problème ne vient pas du fait qu’il y ait un intermédiaire selon les opposants, mais plutôt du fait que ces plates-formes fournissent un travail incomplet et se récupérent sur le nombre. Contrairement à un agent qui travaille au pourcentage. Le graphiste, lui n'est rémunéré que s'il obtient la commande. Un exemple revient souvent dans la bouche des opposants du “perverted crowdsourcing” : plusieurs cuisiniers proposent chacun un plat à un client. Celui-ci les goutera tous mais n’en choisira qu’un. Laissant les autres repartir sans avoir été payés pour le travail effectué.

La  Saga  Creads  

Le mot d’Axelle Lemaire

La question est d’autant plus d’actualité qu’en mai 2014, une déclaration d’Axelle Lemaire, Secrétaire d’État chargée au numérique, met le feu aux poudres. Dans la lignée des labels FrenchTech mis en place par Fleur Pellegrin, celle-ci se déplace au sein de « l’agence participative » Creads :

« Les politiques ont besoin d’être davantage à l’écoute des startups. Il est plus que nécessaire de lutter contre la morosité ambiante. Creads a un rôle d’exemplarité à jouer. Vous êtes la France qui gagne. Il

181 Kirpalani A. « Alec Ross, conseiller d’Hillary Clinton: “le crowdsourcing, un outil de développement”. » In : Youphil [En ligne]. , 2012. Disponible sur : < /fr/article/04917-alec-ross-hillary-clinton-crowdsourcing-developpement-facebook-twitter?ypcli=ano > (consulté le 19 août 2015) 182 « The Best African Mobile Apps: iCow ». In : Forbes [En ligne]. Disponible sur : < http://www.forbes.com/sites/mfonobongnsehe/2011/08/02/the-best-african-mobile-apps-icow/ > (consulté le 19 août 2015) 183 L’AFD veille d’ailleurs sur cette question. Voir en partie I, partie consacrée aux droits d’auteurs en page 52

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faut le faire savoir ! Je suis très sensible à l’univers de Creads. Il y a une excellente énergie positive ici. Je comprends que 50000 créati fs vous aient rejoint ! » (Axelle Lemaire)

#Travail Gratuit

La communauté graphique, un public plus sensible, se réveille et lance une pétition d’ampleur nationale184 pour s’opposer au travail spéculatif, sous le terme de travail gratuit (#TravailGratuit sur Twitter). Certains avancent des solutions, d’autres veulent simplement interdire ces pratiques déloyales. Tous ont un avis passionné, car c’est le métier même qui selon eux est en jeu. Cette pétition et les débats virulents sur Twitter vont permettre de prolonger un dialogue déjà entamé deux ans plus tôt. Des designers reconnus comme Ruedi Baur ou Jean-Louis Fréchin ont en effet déjà soulevé cette question du CS spéculatif dès 2012 (articles de presse, billets de blog, conférences).

Les rencontres au ministère

Au-delà de la bourde en terme de communication de la part d'Axelle Lemaire (qu'elle a reconnu en OFF), ces rencontres ont permis d’expliquer à la secrétaire d’État la raison de la grogne des professionnels : un rapport rédigé par cette communauté a été remis ce soir là. Ce qui intéresse le ministère c’est l’aspect juridique : que le travail soit gratuit, c’est là qu’il faut légiférer. Une crainte sous-jacente pendant toute la discussion était de savoir si en interdisant ce type de plates-formes en France, on allait assister à une migration des utilisateurs vers les sites étrangers ; ce qui freinerait l’innovation de la FrenchTech. Dans cette affaire, on pense « numérique » et on pense peu à « économie » (B. Fluzin). Insertion professionnelle, création d’emploi, exode des talents à l’étranger… La vision du ministère est centrée sur ces aspects. Ce positionnement économique, qui est également celui du gouvernement de manière plus large, a marqué certains participants. Si Uber était issu de la FrenchTech, le gouvernement aurait-il pris aussi vite la décision de sa fermeture ? Contrairement aux taxis qui dénoncent une concurrence déloyale, la difficulté pour la délégation de designers est donc de faire comprendre qu’ils ne sont pas des « affreux coco » (B. Fluzin) contre le salariat ou la concurrence, ils estiment qu’il s’agit surtout de travail dissimulé :

« Quand on est free-lance, la concurrence : on vit avec, on l’embrasse parce qu’elle est stimulante. Lorsque l’on voit un voisin qui fait un truc mieux que nous, on a envie de faire encore mieux. Mais que dans cette situation185, il s’agit vraiment de travail dissimulé - de notre point de vue » (B. Fluzin)

Pas de jurisprudence

Se posent alors des questions légales avec les experts de la commission légale de Bercy présents. Ils apportent un éclairage concernant la possibilité d’une concurrence déloyale ou d’un travail dissimulé. L’essentiel de la discussion portait sur ce point : « Comment quali fier cet acte de faire travailler un très grand nombre de personnes en n’en rémunérant qu’un petit nombre ? » Leur réponse est alors de dire qu’il n’y a pas de jurisprudence. Un responsable politique ne peut affirmer publiquement l’illégalité de la pratique s’il n’y a pas de précédent. En effet nous verrons que

184 7000 signatures de professionnels du graphisme 185 En parlant de l’affaire Creads et du CS.

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ces plates-formes sont très prudentes quant aux termes employés dans les contrats des concours, d’ailleurs très rapidement corrigés au moindre doute : c’est une question de survie pour elles. L’AFD186très impliquée sur les questions des droits du designer, a une approche différente des intervenants sans véritable structure venus en simples professionnels et plutôt issus de Twitter ou de la blogosphère (B. Fluzin par exemple) ce qui a généré des petites tensions. Le débat jugé globalement très intéressant avec une discussion franche et riche (B. Fluzin) était pourtant, selon Geoffrey Dorne, peu constructif car « trustée par deux ou trois personnes monopolisant la parole autour de la table. Uniquement là pour dire : « le CS c'est mal et nous on fait des trucs bien et c'est tout ». Par manque de connaissance de la plate-forme dans les détails, certains intervenants, ont tenu des propos parfois provocateurs vis à vis d'Axelle Lemaire :

« J’aimerais sortir de cette réunion en ayant une réponse de votre part à la question : Est-ce que demain, j’ai le droit ou pas de faire travailler des gens gratuitement pour mon compte ? En tant que jeune chef d’entreprise, si vous me dites oui, cela change beaucoup de choses. » (B. Fluzin reprenant les mots d’un intervenant virulent)

Une chose est sûre : il faut un dialogue plus riche car le CS risque d’exister encore longtemps.

4) Contexte  difficile  pour  les  professionnels  du  design  La colère des professionnels du design est accentuée en toile de fond par un contexte économique difficile, des méthodes parfois à la limite de la légalité en ce qui concerne les appels d’offres liés à la création et une méconnaissance générale d'un métier aux statuts précaires. On constate une certaine dévalorisation de l’œuvre de l’esprit qui consiste uniquement à considérer un travail de design pour ce qu’il devient sans se demander d’où il vient. Pourquoi c’est cher une idée ?

« Difficulté de reconnaissance comme professionnel, préjugés sur le métier, multiplication des graphistes de tous niveaux, aidés par facilités d’accès aux outils et aux ressources gratuites. Statut facilité par l'auto-entreprenariat.187 » (Thomas Pascaud)

Les  Gratuistes  et  la  méconnaissance  du  métier  Il y a un nombre très important de demandeurs d’emploi dans le métier de la communication visuelle. Pôle emploi conseille même aux graphistes qui s’inscrivent d’envisager une reconversion. Les postes sont moins nombreux que les demandes, les agences ne peuvent absorber tous les jeunes diplômés et le marché non plus. Les salaires sont revus à la baisse et un étudiant qui vient d’effectuer cinq années d’études commence en agence souvent en CDD à moins de 1500€ net par mois, voir encore moins en province. Les formations express proposées par des organismes comme Pyramid188 viennent par ailleurs alimenter ce marché saturé de personnes qui deviennent, après une session dans Indesign ou Photoshop, des

186 AFD : L’alliance Française des designers dont est président François Capsar. 187 « Un graphiste, pourquoi c’est cher | Thomas Pascaud ». Consulté le 4 novembre 2014. http://thomaspascaud.com/un-graphiste-pourquoi-cest-cher/.

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graphistes. Le spectre du designer est d’avantage brouillé car il peut être difficile, pour un recruteur de trouver les compétences qu’il recherche. On se trouve aussi aujourd'hui dans une situation avec un bon enseignement généraliste dans la plupart des écoles, mais on manque de spécialités. Les jeunes étudiants se retrouvent plus facilement en difficulté car ils n’ont pas eu suffisamment de préparation pour valoriser leur savoir-faire et s'armer contre les clients abusifs lorsqu’ils débutent en free-lance. Pôle emploi et certains sites spécialisés189 relaient même des offres d’emploi bénévoles pour des gratuistes190 à la limite de la légalité, il existe d’ailleurs des sites qui recensent toutes ces offres souvent mises en ligne par des associations. On trouve cependant des PME ou start-up qui n’hésitent pas, sous prétexte qu’il s’agit d’un métier créatif - une passion donc - à évoquer une rémunération potentielle en cas de réussite du projet, avec le graal à la clé : une promesse d’embauche. Bien entendu, les exigences sont les mêmes que pour une mission classique : « Il devra avoir du talent et toutes les compétences d’un professionnel (Pôle Emploi)»191 Le graphiste en recherche d’opportunité192 devra alors justifier avoir répondu à une offre mais ne pas toucher de salaire. La difficulté sera donc, dans ces métiers de déceler l’emploi dissimulé du bénévolat et bien différencier une activité à but non-lucratif d’un objet commercial. La méconnaissance du métier de la part du grand public est une des difficultés que peut rencontrer un graphiste dans sa recherche d’emploi, le cliché voudrait qu’un créatif travaille « pour la gloire » (S. Drouin).

« Le graphiste… Cette créature à mi-chemin entre le professionnel et l’artiste, que les gens ne savent pas trop où caser, pour finalement lui coller quand même l’étiquette « artiste » sur le front. » (S. Drouin)193

Comme nous l'avons évoqué en introduction, un graphiste est polyvalent avec les outils, la facette artistique est un des aspects qui caractérisent un designer. Il doit trouver un juste compromis entre le besoin du client et ses propres envies. La sensibilité doit servir de facette émotionnelle finale et ne servir que le fond, qui est bien plus structuré. Un graphiste communique pour les autres, il sait interpréter une demande et la traduire visuellement. Il a parfois fait jusqu’à 5 ans d’études pour apprendre certaines règles de mise en page, de typographies et une façon de répondre de manière pertinente à une commande.

188 « Pyramyd / Centre de formation / Paris / PAO, Web, Mobile, Vidéo » Disponible sur : < http://pyramyd-formation.com/ > (consulté le 9 août 2015). 189 Graphicjob, regionJob ou monster par exemple. 190 Marenati M. Quand Pôle Emploi propose du travail sans salaire aux graphistes - Manufacture créative Aether Concept [En ligne]. Manufacture créative Aether Concept : Graphisme print, conception web et formation à Saint-Brieuc et Rennes. décembre 2014. Disponible sur : < http://www.aetherconcept.fr/pole-emploi-travail-gratuit-graphiste/ > (consulté le 21 décembre 2014) 191 (Extrait offre n°1018510 parue le 10/12/2014 sur le site de Pole emploi) 192 Ce terme est utilisé pour éviter de prononcer le terme « emploi » par des plates-formes comme Linkedin ou Viadeo 193 Drouin S. « Cherche graphiste bénévole : Va te faire voire, ça ira ? » - Manufacture créative Aether Concept [En ligne]. Manufacture créative Aether Concept : Graphisme print, conception web et formation à Saint-Brieuc et Rennes. 7 mai 2013. Disponible sur : < http://www.aetherconcept.fr/cherche-graphiste-benevole/ > (consulté le 17 février 2015)

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Les arguments utilisés par les clients en contrepartie d’un travail gratuit sont nombreux : une publicité gratuite avec le privilège d’indiquer votre nom d’artiste sur la réalisation, ce qui est en fait obligatoire194 ou un book alimenté par une référence de poids, argument léger que s’amuse à transposer dans une autre profession195les illustrations de « mon maçon était illustrateur ». En inversant simplement la situation, cela peut rapidement devenir ridicule :

« Hey ! Tu m’installes une salle de bain toute neuve gratos ? Tu pourras toujours dire que tu as fait une installation chez un super graphiste ! » (S. Drouin, 2013)

Ce dernier argument est souvent utilisé pour dénoncer le CS, il s’agit du concept d’être payé si le résultat convient. Le client de mauvaise foi dira aussi qu’il a toujours fonctionné comme ça. Lui dire de continuer ainsi et passer son chemin serait l’attitude à adopter face à ce type de client. C’est souvent l’inexpérience des jeunes designers qui les pousse à accepter ce type de commandes… On retrouve hélas ce principe au niveau des appels d’offres.

Dévalorisation  de  l'image  que  l'on  a  du  design  et  du  designer  Résumer le métier de designer à l'exécution graphique revient à amoindrir l'expertise (G. Dorne). Le savoir-faire dévalorisé est alors au cœur de la réflexion autour du CS. Toutes les étapes de travail n'existent plus pour le client qui pense acheter uniquement un résultat visuel. La préoccupation des professionnels ne tourne donc pas uniquement autour du statut, mais de la valeur du travail ou l'idée ne vaut pas grand-chose en comparaison avec l'expertise de départ. (F. Caspar). Cette démarche produit du dumping social et habitue des clients potentiels à avoir une grande quantité de réponses pour un faible coût. Cela revient encore à donner l'impression que les graphistes exercent un métier-passion (Plus passion que travail selon Baptiste Fluzin) et peut aussi fausser l'idée que les clients peuvent avoir du design.

« Ça dévalorise le travail, pas uniquement au niveau des professionnels, mais aussi du grand public ou entrepreneurial, ça dévalorise l'image que l'on a du design, l'image que l'on a du designer, son savoir-faire, son sérieux la qualité et le prix que ça coûte aussi. C'est cet aspect le plus gênant, j'essaie de me battre contre ça justement en disant que le design n'est pas juste la couche visible de l'iceberg mais tout ce qui se trouve en dessous aussi. » (F. Caspar)

Il est urgent de sensibiliser davantage sur ce secteur d'activité dans un pays comme la France où la

194 Un professionnel sait qu’il doit indiquer son nom (a minima celui de l’imprimeur) quelque part quoiqu’il arrive 195 Monmaçon. « Mon maçon était illustrateur. ». Disponible sur : < http://monmacon.tumblr.com/ > (consulté le 15 novembre 2014)

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culture visuelle est moins forte qu'ailleurs en Europe196 précise François Caspar de L'AFD.

5) Les  appels  d’offres  et  leurs  dérives  Cette méconnaissance du métier très bien décrite par les travaux de Marion Phelebon197 (2014), Manon Verbeke198 ou Yohann Bertrandy199 (2009) se traduit surtout par une incompréhension concernant les tarifs des prestations et le travail de recherche effectué en amont. Cela se répercute notamment sur les appels d’offres et les mises en concurrence pratiquées par les organisations.

Deux  cadres  d’appels  d’offres    Les appels d’offres publics sont des concours dépassant 15k€200 encadrés de manière très stricte par le Code des marchés publics (CMP) exigeant une mise en concurrence. En deçà, les règles sont moins strictes et n’exigent pas cette mise en concurrence201. Certains maîtres d’ouvrages s'arrangent parfois pour saucissonner des commandes en plusieurs petits fragments de commandes afin qu'elles ne dépassent pas les fameux 15K€ (B. Fluzin).

La  charte  de  l’AFD  L’AFD dénonce dans une liste noire202 les appels d’offres douteux (publics essentiellement), où les droits des designers ne sont pas respectés. S’appuyant sur de nombreux principes déontologiques ou professionnels203, ce syndicat de designers définit à travers une charte204, les bonnes pratiques des concours de création en ce qui concerne leur mise en place (le jury, le règlement, l’attribution des indemnisations et des prix). Comme pour le CS, dans les domaines des arts graphiques, un concours est une compétition ouverte à un nombre non-limité de participants qui doivent répondre à une commande définie par un règlement, un jury205 effectue la sélection et attribue une récompense à l’auteur ou aux auteurs. Tous sont informés lors de la sélection sur le nombre et l’identité des participants. Un concours doit avoir 196 Benelux, Suisse en particulier possèdent une très forte culture visuelle et un respect du « bon design ». 197 Phelebon M. « La relation entre le client & le designer graphique » [En ligne]. Mémoire : Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, 2014. Disponible sur : < http://fr.slideshare.net/geoffreydorne/la-relationentreleclientetledesignergraphiquemarionphelebon > 198 Verbeke M. « Un Graphisme Public - Manon Verbeke » [En ligne]. 2013. Disponible sur : < http://issuu.com/manontringaverbeke/docs/graphisme_public_memoire_manon > (consulté le 9 novembre 2014) 199 Bertrandy Y. « Tout le monde est graphiste - le livre. » [En ligne]. , 2009. Disponible sur : < http://issuu.com/yoannbertrandy/docs/ttlmonde-est-graphiste > (consulté le 29 octobre 2014) 200 Ces dispositions du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 s’appliquent aux marchés d’un montant compris entre 15000 € HT et 193000 € HT. Au delà de ce montant, il un avis d’attribution au Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel des communautés européennes après signature des contrats (source AFD : Règles du jeu équitables des appels d’offres de la commande artistique et du design, 2010) 201 Les marchés inférieurs à 15 000 € HT (art. 28 du CMP) peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence. (Source AFD) 202 « AFD | Liste noire des appels d’offres de design ». Disponible sur : < http://www.alliance-francaise-des-designers.org/blog/2010/12/15/liste-noire-des-appels-d-offres-de-design-et-de-communication-1.html > (consulté le 7 décembre 2014) 203 Les règles professionnelles sont fondées sur les dispositions de la loi du 11 mars 1957. 204 « AFD | Charte des concours des arts visuels ». Disponible sur : < http://www.alliance-francaise-des-designers.org/charte-des-concours.html > (consulté le 15 janvier 2015) 205 Connu des participants et sous contrôle d’huissier.

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un « cout élevé pour les organisateurs ». La première différence avec le CS se situe alors dans la cession des droits, aucune renonciation ne peut être exigée, et la distinction doit être faite entre le prix et une cession de droits :

« Le montant des récompenses ne peut inclure la cession des droits moraux et patrimoniaux des auteurs, droits protégés par la loi du 11 mars 1957. »

Tous les participants doivent être indemnisés à hauteur du travail à fournir, et en fonction de l’importance du concours, sur la base des tarifs pratiqués206. Aucune modification ne pourra par la suite être apportée à l’œuvre sans accord de l’auteur, qui sera rétribué de manière complémentaire en cas de retouches. Les auteurs restent propriétaires de l’œuvre. Des règles strictes ou des chartes encadrent donc ces appels d'offres mais souvent les limites sont franchies. Au niveau de la commande publique, on constate déjà de nombreux abus : délais souvent irréalistes fixés en fonction d’une deadline et non d’une charge de travail définie par la complexité de la commande ; pénalités de retard sous la forme de sanctions financières, parfois démesurées, prévues en cas de non-réalisation des travaux. Pourtant les retours clients souvent longs ne permettent pas toujours d’avancer, surtout si le brief (cahier des charges) est incomplet. Enfin, dans certaines commandes publiques par exemple il est exigé « des références similaires ». Comment répondre à un premier concours ? Se demande le studio Graphicstyle207. On retrouve également au niveau de la commande publique des principes sur le fonctionnement d’un appel d’offre :

« Quel que soit le montant du marché, le pouvoir adjudicateur peut exiger que les offres soient accompagnées d’échantillons, de maquettes ou de prototypes concernant l’objet du marché ainsi que d’un devis descripti f et estimati f détaillé comportant toutes indications permettant d’apprécier les propositions de prix. Ce devis n’a pas de valeur contractuelle, sauf disposition contraire insérée dans le marché. Lorsque ces demandes impliquent un investissement signi ficati f pour les candidats, elles donnent lieu au versement d’une prime. » (CMP, art 49)208

L’échantillon dont parle le texte de loi est souvent une « simple esquisse » demandée par les maîtres d’ouvrages. Ce n’est pas légalement un « investissement signi ficati f ». Cela demande cependant un temps conséquent de recherche et de réflexion pour aboutir à cette idée ou ce concept. Ce temps de la réflexion n’est pas pris en considération, bien qu’il soit obligatoire.

L’ère  du  Pitch  :  le  crowdsourcing  CS,  sans  plate-­‐forme.  Dans le cadre d’une consultation privée, bien moins normalisée, le client peut fixer lui-même les règles. L’indemnisation n’est pas systématique et le devient de moins en moins depuis quelques années. Même si le travail est signi ficati f, le commanditaire peut consulter un nombre illimité d’agences ou free-lances, qui doivent fournir un travail conséquent. Le pitch gratuit (B Enns) est probablement un souci majeur de la profession, car il s’agit de professionnels que l’on rémunère

206 Il existe des grilles de tarifs sur le site de l’AFD, ou des logiciels comme http://www.calkulator.com/ 207 Graphicstyle. « Le scandale des appels d’offres. », 2015. Disponible sur : < http://blog.graphicstyle.fr/le-scandale-des-appels-doffres/ > (consulté le 14 juin 2015) 208 Article 49 du code des marchés publics

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uniquement si un ensemble de facteurs convient au commanditaire. Les professionnels s’indignent car ce fonctionnement dévalorise la profession. Il existe alors un risque pour les participants non retenus de se voir plagiés par le détenteur final du marché. En outre les appels d’offres pipés sont souvent évoqués (et fantasmés) au sein des agences, souvent lorsque les amis du commanditaire remportent le marché. Se pose alors la question de la rentabilité : est-ce encore valable de répondre à un appel d’offre ?

Du  temps  perdu  pour  tout  le  monde  Comme pour le crowdsourcing, la norme tend à mettre en compétition de nombreux graphistes avant même de consulter leur portfolio. Une amie free-lance209 m'a donné l'exemple de 15 graphistes appelés à refaire l’identité d’un théâtre associatif. Dans cette situation, le risque de travailler pour rien est important et le client ne sait peut-être pas vraiment ce qu'il veut. Parfois les idées sont bonnes mais le devis est trop élevé… Alors pourquoi est-ce du temps perdu pour tout le monde ? Comme nous l’avons évoqué en étudiant les mécanismes des concours pour le CS, il y a une notion de rendement210. Il est impossible selon Baptiste Fluzin de trouver 15 styles qui correspondent à ce que recherche la structure. La démarche habituelle consiste en général à faire une première sélection sur book, pour trouver un style qui convienne et de demander ensuite un devis et une proposition qui sera rémunérée. Tous les perdants touchent un petit cachet, souvent inférieur au temps passé mais qui montre un certain sérieux du commanditaire. En indemnisant l’ensemble des participants, un client choisira avec soin ses prestataires, il pourra aller plus loin dans l’échange avec eux.

« Ces appels d'offres, qui a les reins pour y répondre ? » (B. Fluzin) Seules les très grosses agences qui ont des pôles dédiés à ce type d’offres, ces usines de stagiaires dont le temps-homme dédié par concours ne représente pas une grosse masse salariale peuvent se permettre d’y répondre. Pour une agence plus petite, la réponse à un appel d'offre représente du temps passé à l’échelle de la structure, c’est parfois 100% du temps qui est joué s’il s’agit d’un free-lance (B. Fluzin). L’agence Spintank211 demande systématiquement le nombre de participants mis en concurrence.

« Il nous arrive de refuser quand on nous dit : -On sollicite 8 agences, on fait un premier round et on en garde plus que 4 et à la fin on n'en garde plus que 2... Là désolé, c'est pas pour nous. » (B. Fluzin)

Un  système  qui  devient  la  norme  Cette notion de consultation gratuite en agence est révélatrice des dérives autour des appels d’offres. L’AFD dénonce ce système entretenu par les professionnels eux-mêmes :

« Paradoxalement, il est vrai que si ce genre de pratiques existe, c’est que les agences et graphistes y répondent les bras ouverts ! Nous pensons que ces agences se tirent elles-mêmes une balle dans le pied car elles dévalorisent le métier de créati f en fournissant des prestations gratuites. » (Graphicstyle)

209 Élodie Cavel : je vous invite à découvrir son travail sur http://www.elodiecavel.fr/portfolio/ 210 Voir : Qui sont les gagnants ? Partie I en page 48 211 http://spintank.fr/

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Partant de ce constat, les créatifs peuvent l’assimiler à la norme. La plate-forme Creads semble relayer cette idée en diffusant sur son blog le témoignage d’un créatif qui ne voit pas forcément la différence :

« L’aspect participati f revient à des projets de même type que les concours d’affiche : il y a toujours cette notion d’engagement sans garantie de gain au final. Il en est de même en agence pour une consultation ou de la prospection. Creads me pousse à essayer d’être le plus créati f. Les créations des autres participants me servent aussi comme elles servent à inspirer le client. » (@Elie-X)212

Pourtant il y a une nuance à apporter. L’agence ou un free-lance prend parfois le risque de répondre à un appel d’offre mais peut compter sur un panel de commandes classiques pour assurer ses charges ou salaires. Lorsque la norme est uniquement basée sur un système d’appel d’offre comme sur une plate-forme : Il y a un moment où on met la clé sous la porte parce qu'il y a un mois où on perd tout. (B. Fluzin). Des agences213 ont même indiqué qu’elles arrêtaient de faire des appels d'offres, considérant qu’elles avaient suffisamment de clients. Elles invitent les commanditaires intéressés par leur approche créative à simplement entrer en contact avec eux.

Dérives  au  niveau  des  écoles  Il est possible que certaines personnes au niveau pédagogique ne réalisent pas les enjeux qui se cachent derrière le CS. Certaines écoles incitent leurs étudiants à aller sur Creads. Si cette pratique peut sembler récente, la mise en concurrence des étudiants au sein des écoles ne date pas d'hier. Des entreprises font parfois appel aux écoles, pour des projets déjà réalisés par une agence ou un studio et donnent juste un exercice en conditions réelles. Il arrive qu'il y ait un arrangement entre l'école et l'entreprise pour un projet à court terme214 qui serait un besoin réel pour l'organisation : un mini appel d'offre à l'échelle d'une classe où les étudiants travaillent gracieusement pour le compte de l'école payée a contrario très cher par l'entreprise, si les étudiants peuvent avoir une réelle relation client avec le commanditaire, alors il y a un intérêt pédagogique, mais cela reste discutable d'un point de vue déontologique. Certaines écoles privées demandent aux étudiants des frais d'inscription annuels autour de 6-7K/€, on peut constater une certaine forme d'abus dans ce système. Cela ne fait qu’entretenir cette notion de travail gratuit. À l’Ésad d’Amiens, (mon école de 2000 à 2005) le système était plus proche des appels d’offres classiques, on parlait de concours externes : trois ou quatre étudiants toutes promo confondues rencontrent le commanditaire. L’ensemble des participants échangent et parfois certains collaborent si le projet demande un certain investissement. J’ai ainsi réalisé de nombreux projets qui ont alimenté mon portfolio, et permis de tisser un premier réseau professionnel local. Bien sûr, l’école touche sa part215 mais l’étudiant perçoit un prix, même s’il est modeste.216 Geoffrey Dorne parle d'une zone grise située entre les deux, où l'entreprise va interagir avec l'école sur des projets à long terme et visionnaires « comme sur les transports à Paris en 2030 ». Encadrés par les

212 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste > (consulté le 25 juillet 2015) 213 Agence LEG selon Baptiste Fluzin 214 Un projet de logo, livre, site web… 215 Pas de réponse de l’Esad, mais cela doit être bien en dessous des 50% de commission d’une plate-forme. 216 Divisé en outre par le nombre de participants. J’ai ainsi gagné 250€ pour réaliser une partie de la signalétique du Zoo d’Amiens, ce qui peut sembler ridicule.

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enseignants, les étudiants travaillent et utilisent les contraintes de l'entreprise avec une vision pédagogique moins court-termiste qu'un projet qui serait financé directement. Geoffrey Dorne, également responsable pédagogique, fait très attention et informe les entreprises sur le fait que les étudiants ne travaillent pas "pour elles" mais plutôt l'inverse en donnant aux étudiants un maximum d'informations et de contexte afin qu'ils puissent « imaginer les choses, créer, concevoir et qu'il y ait une relation inversée de ce que l'on pourrait croire habituellement. ». Le master CTN du Celsa et de l’école des Mines d’Alès intègre également dans son cursus un projet pédagogique sur un projet de conception de site web. Par petits groupes, les étudiants sont en relation directe avec le commanditaire, dans les conditions réelles d’une commande. L’équipe pédagogique accompagne ainsi tout au long du projet les Equipes jusqu’à la livraison d’une maquette fonctionnelle. Cette démarche est valorisante pour les étudiants. Le client joue le jeu et participe au process, souvent plus long qu’en agence. Geoffrey Dorne, toujours face à ses étudiants, indique qu'en expliquant les dérives possibles que représente une pratique de CS, ceux-ci comprennent un peu mieux la mécanique et changent de discours. Ainsi, ils pensent à plus long terme :

« Je leur dis : dans 3 ans vous êtes diplômés, et vous ne pourrez plus faire ça, si vous le faites maintenant, vous tuez votre propre boulot à la sortie de l'école ».

6) Le  statut  complexe  du  designer  free-­‐lance  

Essoufflement  du  système  actuel  On constate depuis quelques temps une certaine remise en cause du statut d'indépendant tel qu'il est géré par la Maison des Artistes (MDA). Sur le papier, les avantages sont intéressants, et les charges attractives. Un court passage par la case MDA, donne suffisamment envie de devenir salarié. Ce qui n'évite pas d'être encore hanté par cette administration quelques années pour justifier des choses qui n'ont pas été correctement payées par un commanditaire. Sur certaines périodes, si le free-lance oublie une étape il peut se retrouver à cotiser plus que ce qu'il aurait réellement gagné. Le designer est perdu au point d'avoir besoin d'un guide du graphiste indépendant217, outil salvateur dans ce système anti-commercial aussi compliqué que celui des intermittents, où il faut souvent expliquer les démarches au client devant parfois signer 3 chèques distincts pour une même commande (Prestation, précompte, 1% diffuseur...). Autre problème soulevé par l’AFD : La maison des artistes refuse de plus en plus les designers au sein de leurs cotisants. Il serait illégal de sélectionner des designers selon le type de design qu’ils produisent. Devant cotiser à la fois à l'Agessa218 et à la Maison des artistes pour un même métier. Aujourd’hui, un designer peut exercer des activités très variées souvent transverses et ne se contente pas d'intervenir sur un seul type de design. Cette mauvaise gestion pousse des free-lances à changer de statut malgré les contraintes ou les charges plus lourdes. Ce qui est même vécu comme un soulagement :

217 « Le nouveau guide du graphiste indépendant » de Christelle Capo-Chichi [En ligne]. Disponible sur : < http://pyramyd-editions.com/le-nouveau-guide-du-graphiste-independant-100-mis-a-jour > (consulté le 11 août 2015) 218 L'AGESSA est un organisme visant à assurer la protection sociale des écrivains, traducteurs, illustrateurs du livre, dramaturges, photographes, auteurs compositeurs, scénaristes, adaptateurs, auteurs de l'audiovisuel, auteurs du multimédia.

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« Ça fait donc aussi partie des raisons pour lesquelles j'ai décidé de créer mon entreprise, pour sortir de ça, avec d'autres contraintes qui ne sont pas non plus évidentes mais c'est une autre aventure ! […] J’ai été ravi le jour où j'ai pu quitter la MDA pour créer une société, je gagne bien moins avec les charges, mais je cotise pour ma retraite, j'ai un interlocuteur fiable, un comptable : c'est bien plus carré, et c'est plus solide que d'être à la MDA avec toutes les surprises qui vont avec. » (G. Dorne)

Il y donc la volonté de la part des professions indépendantes de trouver une nouvelle forme de gestion des cotisations, plus simple dans son fonctionnement, comme en Belgique ou en Suède. Malgré de bons modèles chez nos voisins Européens, la France est encore à la traine à ce niveau. Créer une sorte de maison des graphistes ou des designers… mais sans appeler ça maison « qui rappellerait trop de mauvais souvenirs. » (G. Dorne). Pour aller plus loin, l'AFD lance une pétition afin que les pouvoirs publics puissent repenser le régime de sécurité sociale des artistes auteurs et son fonctionnement219, et renforcer le statut du designer.

Le  CS  par  simplicité  :  Paypal  et  la  vision  court-­‐terme  Mauvaise gestion, sous-effectifs, parfois même des interlocuteurs peu compétents qui manquent de connaissances sur les métiers de la création(G. Dorne) ; par facilité ou peut-être aussi un peu effrayés, les étudiants ou jeunes graphistes vont donc se tourner vers des plates-formes qui proposent un gain simple. Rien ne contrôle le devenir des gains qui peuvent être payés via Paypal220. Il y a alors le risque que cela reste en circuit fermé, il n'y a pas de déclaration… Le créatif se dit qu'il est tranquille. « C'est une vision très court-termiste et un peu infantile » (G. Dorne).

« Étant donné qu'Eyeka ouvre les portes de la créativité au monde entier, nous utilisons PayPal pour transférer vos récompenses directement sur votre compte » (Eyeka)

Peut-­‐on  contrôler  les  gains  ?  S’ils décident toutefois de déclarer leurs gains (obligation en France), de nombreux gagnants de concours découvrent alors les arcanes de la MDA... Ce qui est déjà compliqué pour un graphiste indépendant, doit sembler invraisemblable pour un amateur qui ne connaît pas l'existence même de cet organisme. Aiguiller et informer les créatifs amateurs à faire leurs premiers pas vers ces organismes est important, mais pas obligatoire... Les plates-formes ne font pas toujours ce service après vente. Eyeka indique dans les grandes lignes les démarches à suivre221 mais ne peut contrôler ce qu’il advient des gains. Il y a deux statuts possibles : les auteurs et les diffuseurs. La plate-forme se situe entre les deux en jouant un rôle d’intermédiaire, ils ne sont ni l’un ni l’autre. C’est donc au commanditaire, qui acquiert les droits, de s’acquitter du paiement et non à la plate-forme222.

219 Réforme Du Régime De Sécurité Sociale Des Artistes Auteurs Illustration: Erick Duhamel, http://petitions.upp-auteurs.fr/appel.php?petition=445, consulté le 6 juillet 2015. 220 Sur Eyeka par exemple il s'agit d'un argument de vente pour susciter l'adhésion de nouveaux membres. « Eyeka pour les créateurs ». In : eYeka [En ligne]. Disponible sur: < https://fr.eyeka.com/creators > (consulté le 11 août 2015) 221 « Dois-je acquitter des cotisations sociales sur le prix que j’ai perçu ? – Support communautaire eYeka ». Disponible sur : < http://support.fr.eyeka.com/knowledgebase/articles/339545-dois-je-acquitter-des-cotisations-sociales-sur-le > (consulté le 11 août 2015) 222 Voir annexes p123 Éric Favreau (entretien n°2)

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« On a donc rencontré les Agessa et on a validé le fait que l'on était ni un di ffuseur, ni un auteur bien évidemment. […] On ne peut donc, en tant qu'intermédiaire, qu'informer nos parties. » (É. Favreau, Eyeka)

À l’issue du concours, que le lauréat possède un statut ou non, cela ne change rien car le travail a déjà été produit et la plate-forme ne s’en soucie guère. Sur ce point les opposants au Perverted Crowdsourcing dénoncent le manque de contrôle et suggèrent un meilleur accompagnement des lauréats, car il est question alors de travail au noir. Le manque de communication et de transparence de la part des plates-formes laisse ainsi imaginer de nombreux scénario et peut alimenter la méfiance des opposants :

« Ça dans la pratique, je ne sais même pas comment ils font. Quelqu'un qui gagne un concours, mais qui n'a pas de statut… Qu'est-ce qu'ils font ? Ils payent au black ? Ils délaient le paiement ? Ils ne paient pas et c'est tout bénéf pour eux ? Ils disent à la personne "il faut mieux lire les conditions d'utilisation..." ? Je ne sais pas. » (B. Fluzin)

Volonté  d’un  statut  pour  tous  Parmi les revendications des professionnels, il y a l'obligation pour les plates-formes de s'assurer que tous les participants aient un statut, pas uniquement les gagnants. Étant donné la valeur globale qu’ils apportent à la marque, pourrait-on envisager un accès aux concours uniquement aux créatifs qui ont un statut ? Ces plates-formes fonctionnent justement pour leur ouverture et attirent par leur offre de foisonnement (B. Fluzin). Cette solution limiterait d’emblée l’accès au plus grand nombre. Ce qui va à l’encontre la stratégie actuelle. Il n’y aurait alors que des pros avec un statut :

« S’ils font ça, ils se tirent une balle dans le pied […] Si tu les obliges à s'assurer du statut de chacun des participants, ces chi ffres fondraient comme neige au soleil ! » (B. Fluzin)

Un statut plus équilibré du designer pourrait sans doute éviter cette migration facile des créatifs vers les plates-formes. Il est difficile de répondre à cette hypothèse, mais les difficultés que rencontrent les designers pour expliquer leur métier au quotidien jouent aussi en faveur du CS.  

7) Une  prestation  incomplète  :  Impact  sur  la  qualité  des  productions  

« C’est surtout la qualité de ce qui sort de ce type de plate-forme qui est pitoyable. Ça m'ennuie profondément, je suis un peu utopiste, j'ai tendance à croire qu'on peut tirer les choses vers le haut, sortir des meilleurs designs... Mais en fait ce genre de plate-forme arrive à prouver que des gens font l'inverse en tirant la qualité vers les bas. C'est vraiment dommage car ce n'est l'intérêt de personne. C'est chercher au moins cher, au moins intéressant, et donc : au moins qualitati f. » (G. Dorne)

Si le CS s’inscrit dans un contexte déjà compliqué pour le designer, comme on le voit déjà avec les banques d’images, le paysage graphique pourrait être lui aussi appauvri par la présence de ces nouveaux acteurs de la scène graphique. La généralisation des productions réalisées sans véritable travail de design aura surtout un impact sur la qualité. C’est la valeur du designer qui semble remise en cause. Ce qui peut aussi se répercuter sur les clients, qui jouent avec leur image.

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Le  logo  du  neveu  du  patron  Le neveu du patron qui connaît bien Photoshop pose quelquefois des soucis. L’exemple fréquent d’une communauté de communes qui refait son logo en interne et ensuite demande à une agence de la rendre exploitable ne fait qu’appuyer ce sentiment d’impuissance223. Andrew Keen anticipe un monde numérique dominé par les amateurs où la médiocrité l’emporte sur la qualité. Mais appelle cependant à la nuance en précisant que les technologies ne détruiront pas les cultures, les nouveaux médias ne sont pas les seuls à proposer des contenus où l’amateur tient une place de choix224. Cette parole de l’amateur ne coûte pas cher à produire, et vient de ce fait bousculer la qualité, qui elle, se paye.

« L’idée que des technologies pourraient détruire, à elles seules, des cultures, n’est pas vraie. Ces deux pôles entretiennent entre eux une relation de cause à effet beaucoup plus subtile. Leurs effets réciproques, leurs interpénétrations doivent être regardés avec beaucoup plus de nuance. » (A. Keen)225

Il y a une très mauvaise pédagogie du graphisme, les entreprises, bien qu'elles commencent peu à peu à comprendre les enjeux d'une communication de qualité, n'ont pas encore compris pourquoi un logo pouvait coûter cher. Un coach en e-réputation pour PME et entrepreneur disait après avoir passé commande sur Fiverr :

« Bien sûr ce n’est pas un logo de haut-vol. C’est une bonne solution si vous devez rapidement lancer votre affaire ou ne pouvez pas faire de grands investissements initiaux. Mon logo à prix discount ne m’a coûté que. 4 euros ! Je suis plutôt content du résultat pour le prix payé. »

Le  brief  figé  /  autodiagnostic  Dans une relation classique, le regard du client évolue à mesure que le projet avance. Le diagnostic initial se précise. Dans un projet de CS, le brief reste figé et ne peut évoluer dans le temps. Le client se trouve alors dans une situation où il sera « auto-satisfait par l'autodiagnostic » (F. Caspar). La prestation du designer est incomplète. Il ne réalise qu'une partie de son travail : la partie émergée de l'iceberg, l’aspect visuel que l'on voit au premier abord. Bien sûr cela peut être réussi visuellement, mais l'ensemble des signes, des déclinaisons, la manière dont un logo va vivre sur tel ou tel support ou être véhiculé ne pourront être traités. Il y a une vie après le logo : la réflexion va au delà de la simple conception. C’est une projection dans la continuité de la création, il doit s'intégrer au paysage de manière cohérente. Le travail du designer consiste aussi à faciliter le passage de relais pour que les graphistes suivants puissent s'approprier la création sans la dénaturer. Il est donc important de définir une stratégie de déploiement de l'identité.

« On ne peut pas tout prévoir dans une charte, il faut parfois réadapter certains points qui n’étaient pas prévus au départ, et il est important, surtout au début, de bien rester dans les lignes prescrites, sinon on déforme tout avant même d’avoir commencé. Cette étape de démarrage (1 à 3 ans suivant les cas) est

223  Un logo ou une identité doit être décliné dans différents formats d’utilisation, vectoriels notamment, et ne peut être un simple jpeg rvb 72dpi (basse définition)… 224  Keen A. « Le culte de l’amateur : Comment Internet tue notre culture. » Paris : Scali, 2008. 302 p.ISBN : 9782350122281. 225 Keen A. RSLN | Andrew Keen : « J’ai fait du chemin, depuis Le culte de l’amateur … » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible sur : < http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx > (consulté le 22 mars 2015)

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souvent oubliée dans les appels d’offres, elle devrait y être automatiquement incluse. » (Nathalie Pollet, 2015)

Le  manque  de  pratique  discursive  Un client d’une agence de crowdsourcing, n’est pas impliqué dans le mécanisme de production. Il est orienté à travers un questionnaire qui n’est qu’un guide sémantique servant à exprimer ses intentions et à formuler son brief créatif. Il cite des logos qu’il trouve sympas... une aide précieuse pour le graphiste. Le dialogue que l’on peut trouver entre une agence (ou un free-lance) et son client est rompu. Ayant directement affaire avec la plate-forme, le client ne connaît pas son créatif. Il se retrouve devant 50 propositions impersonnelles avec pour seuls indications le petit résumé concernant la démarche créative. En dehors du brief très simple, toute la démarche de conseil d’accompagnement qui permet de faire évoluer une piste initiale en réponse pertinente semblent invisibles. Les plates-formes proposent un espace d’échange avec le client, mais il s’agit d’un échange public, que tous les concurrents peuvent voir sur un simili-forum (B. Fluzin). Ce qui est différent d’une rencontre chez le client permettant de comprendre comment il fonctionne, son univers, ce qu’il apprécie... Toutes ces informations sont précieuses pour un designer qui effectue un travail de collecte visuelle et d’ambiance. Souvent lors de cette étape, murissent les idées et meurent les premières intentions. Sans la moindre source, un designer va produire un truc générique (B. Fluzin), qui peut être visuellement réussi mais qui ne conviendra pas au client. Le graphiste, passionné par son métier aime faire du sur-mesure. Il doit pouvoir se dire qu’un logo ou une identité est unique et ne conviendra qu’à son client. Pas à son concurrent pourtant du même secteur. Chaque commanditaire possède son propre message et sa propre histoire, le dialogue permet d’en cerner les contours.

« J’affirmais que les « nouveaux médias » étaient ceux où le culte de l’amateur jouait à plein, mais il suffit d’allumer une télévision et de tomber sur une émission de télé-réalité pour voir que ce n’est pas le cas. Et cette sacralisation de la parole de l’amateur, de l’homme de la rue, dans les « vieux médias » est également encouragée car elle ne coûte pas très cher à produire. » (A. Keen)226

Le public se satisfait alors d’un mauvais design. Paul Rand estime même qu’il est conditionné à aimer ça. Il le reconnaît et se trouve rassuré227. Si le designer souhaite faire correctement son métier, il doit habituer à produire de la qualité.

8) Uniformisation  du  paysage  graphique  Produire du bon design semble vraiment préoccuper les graphistes tout comme la volonté d'être au plus proche de la bonne réponse. Mais la question d’uniformité est souvent évoquée lorsqu’il s’agit de CS. 226  Keen A. RSLN | Andrew Keen : « J’ai fait du chemin, depuis Le culte de l’amateur … » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible sur : < http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx > (consulté le 22 mars 2015) 227 Paul Rand : « The public is more familiar with bad design than good design. It is, in effect, conditioned to prefer bad design, because that is what it lives with. The new becomes threatening, the old reassuring. »

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Il est important de comprendre que ces sites sont potentiellement en train de modifier le paysage graphique. Certains sites comme Fotolia qui ne font qu’uniformiser le paysage iconographique de la communication, véhiculant parfois la même image pour des annonceurs concurrents. Il n’y a plus de spécificité. Seules les grandes agences, font encore appel aux photographes professionnels pour des campagnes publicitaires. Bien conscient de la loi du marché qui sévit sur le site Fotolia, un photographe Serbe explique228 que le but de ses séances de shooting est de réaliser un maximum de photos avec une qualité la plus élevée possible afin d'avoir une chance de vendre un cliché. Sur cette place de marché, il n'est plus dans la commande, mais dans une espérance de vente, comme un commerçant. Le travail s'oriente donc vers une réponse à une attente du plus grand nombre. La créativité est forcément laissée de côté et on tombe vite, sans mauvais jeu de mot dans le cliché avec un lissage des cadrages et des sujets.

Rentabilité  et  recyclage  Un créatif qui compte vivre de son travail doit forcément augmenter son volume de production dès lors qu’il s’agit d’un projet non-rémunéré. En crowdsourcing, nous avons étudié le principe de rendement lié à la rémunération incertaine lorsqu’un faible pourcentage de la production est rétribué. Le graphiste sera forcément obligé de recycler son travail pour obtenir un meilleur rendement.

« Y’a deux mois j'avais proposé un truc pour une agence de voyage, mais là c'est une chaîne aérienne “low-cost”, c'est à peu près la même thématique, je recase le même boulot… » (B. Fluzin)

Le travail produit existe : conçu au départ pour un client, il sera ajusté pour un autre. Transposer à une autre profession suffit là encore pour comprendre l’absurdité de la démarche :

« Je vais voir un boulanger, et je lui demande un gâteau d'anniversaire personnalisé. Si ça ne me plaît pas, je ne l'utilise pas. Vous pourrez le vendre à quelqu'un d'autre. Mais il y aura écrit - joyeux 30 ans Baptiste » (B. Fluzin)

Pour espérer avoir un retour sur investissement, le graphiste doit revendre son gâteau-logo à quelqu’un d’autre. Il sera forcé de produire dès le départ un travail impersonnel passe-partout. Ce qui reste une situation qui n'affecte que le résultat. L’autre scénario consiste à voler des travaux existants.

Plagiat  La Repompe229est un vrai risque du métier qui est souvent plus lié au rendement qu'au manque d'idée. Ce risque est aussi pour le client qui utilise la création plagiée. Les plates-formes se désengagent de toute responsabilité en demandant aux contributeurs de certifier l'originalité de leurs productions, elles ne fournissent pas non plus de garantie d'authenticité quant à l'origine du travail. Malgré un contrôle systématique effectué par certaines plates-formes (comme Eyeka), le risque existe toujours. Une agence, qui en théorie fait du sur-mesure, est responsable si elle n'effectue pas ce travail de contrôle et

228 Vanina Kanban. « Les Forçats du Cybermonde » [En ligne]. 2007. (Jeudi Investigation Canal+). Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=Q73kccapzW4&feature=youtube_gdata_player > (consulté le 15 janvier 2015) 229  Joe La Pompe. « Joe La Pompe advertising, publicité - Packaging ». [En ligne]. Disponible sur : < http://www.joelapompe.net/category/design-digital/packaging/ > (consulté le 11 août 2015)

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prévient son client lorsqu'elle utilise une source sur une Bank230. Le CS propose au contraire d’obtenir un nombre de propositions proportionnel au tarif payé au départ. Il suffit de consulter la grille de tarifs de Creads pour se rendre compte : plus le client paye, plus il aura de propositions231. Peu importe d’où viennent ces créations.

« Un logo à 5 $ qui peut revenir beaucoup plus cher si les droits d'auteurs ne sont pas respectés, car le premier à trinquer sera le client qui utilise une image ou plusieurs images sans autorisation et sans savoir qu'il est dans l'illégalité. » (Cédric Pavot)

9) Un  impact  à  échelle  variable  

Pour  les  grandes  marques  On ne peut mettre sur un pied d'égalité toutes les problématiques de design. Une identité visuelle, d'une petite structure ou d'un commerçant n'a pas les mêmes enjeux que l'identité d'une société du CAC40. Les clients d’Eyeka cherchent une idéation plutôt qu'un résultat fini. La plate-forme est bien consciente que l'expertise du designer est indispensable pour obtenir une production de qualité :

« On peut considérer que ça va satisfaire un certain nombre de clients qui recherchent avant tout un prix, mais les clients qui sont à la recherche d'une qualité d'expertise, ne peuvent pas être satisfaits par ce système là. » (É. Favreau)

Le budget marketing annuel d'une grande marque est énorme. Même si travailler avec Eyeka coûte cher (Y. Roth), un concours est un investissement relatif au regard du budget global du projet. Il s'agit d'une opération marketing d'une nature différente, une nouvelle corde à leur arc de communication (B. Fluzin), qui peut conduire à des résultats complémentaires d'une étude réalisée par un gros cabinet d'audit sur un panel de consommateur. Dans cette situation, le résultat produit par les contributeurs n'est pas diffusé, il n'y a pas d'impact direct sur la qualité232.

Pour  les  PME  Outre le fait d'acheter à bas coût une partie d'un travail233 et de risquer d'utiliser une création plagiée234, le risque est plus élevé pour les petites entreprises. Elles allouent tout d’abord un budget qui représente une part plus importante de leur chiffre d’affaire. Mais surtout, elles prennent le risque d’obtenir la fameuse solution passe-partout-générique (le gâteau-logo). Lorsqu’elles cherchent à (re) faire leur identité, ce travail ne se démarquera pas. Il véhiculera probablement une image faussée de l’entreprise. Il est aussi probable qu'une PME soit confrontée à un ensemble de propositions qui ne l'enchantent pas. Elle prend donc le risque de ne rien avoir, ou de choisir par défaut la moins mauvaise des pistes.

230  Il existe des banques pour tout: vidéo, picto, images, typo, avec différents types de licence. 231 Creads. « Les tarifs de création d’un logo. ». Disponible sur : < http://www.creads.fr/commande-creation-logo > (consulté le 2 septembre 2015) 232 Voir partie I sur l’idéation et les grandes marques, en page 28 233 Voir partie prestation incomplète en page 81 234 Voir partie plagiat / repompe en page 84

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Seule la quantité semble garantie : c'est l'argument de vente principal. Dans une démarche de CS, il y a cette notion de one-shot (B. Fluzin) à sens unique, sans possibilité de retour pour le client qui revient à se bander les yeux et désigner une proposition au hasard ! Il est bien sûr possible de soulever par chance le bon caillou en se demandant ce qu'est venu faire ce créati f talentueux ici (B. Fluzin) mais le client n'aura pas cette possibilité de retour que l'on peut trouver dans un échange classique. L’agence Creads intervient ensuite pour ajuster « le travail du neveu »235 mais cela reste une rustine où le créatif de départ n'est souvent plus impliqué dans le processus236. Parmi les meilleurs créatifs de Creads, que l’on a évoqué dans la première partie, seuls 27% ont déjà échangé ensuite avec le client237. C’est à la fois une déception pour le créatif, mais aussi un manque de professionnalisme. L’agence participative effectue le travail d’accompagnement post-concours, mais semble oublier le créatif à l’origine du travail. Celui-ci est dépossédé de la création qu’il n’a même pas pu défendre.

Le  risque  de  grogne  de  la  part  de  la  communauté  Faute de trouver un résultat à la hauteur de ses attentes, il arrive au client d’annuler un concours, ou de refuser tout simplement d'aller plus loin. Il n’y aura donc pas de résultat visible. Cela arrive parfois précise Yannig Roth d'Eyeka. Les grandes marques le savent et la plate-forme fait au mieux pour éviter cette situation en limitant le brief à une simple idée. Lorsqu'il y a production de contenu, la marque prend un risque si le concours n'aboutit pas : celui de recevoir un retour négatif de la part de la communauté des graphistes ou des consommateurs de manière plus large. Ces marques qui bottent en touche, vont décevoir les participants en prétextant que le projet sera ensuite re-travaillé en interne par exemple238. Si le produit est mis sur le marché, il est souvent loin de ressembler à la proposition faite lors du concours. De manière plus extrême, la marque peut aussi faire travailler directement de vraies agences si les propositions de départ sont vraiment mauvaises (« trop pourries » selon B. Fluzin).

« Pour la marque c'est pas du win-win : c'est du loose-loose ! » (B. Fluzin)

Un  impact  en  terme  de  réputation  pour  les  marques    La possibilité d’un mécontentement se retrouve bien au-delà de la sphère du CS. Comme pour les appels d’offres, c’est une tendance qui se généralise pour les marques. Les exemples de bad buzz de concours sont nombreux (B. Fluzin) et reflètent là encore la distance entre la pratique du design et la manière dont cette activité est perçue du grand public. Ces marques pensent à tort qu’un concours va donner la possibilité aux artistes-créatifs de briller et de sortir enfin de l’ombre. Il s’agit presque d’un cas d’école : avec des discussions entre créatifs outrés et des billets de blog qui tentent d’expliquer pourquoi il s’agit d’une mauvaise idée. Mais les marques continuent à véhiculer l’idée que l’on peut faire travailler des personnes gratuitement en n’en rémunérant qu’un petit nombre. Elles ne font pas la différence entre un concours qui s’apparente à une commande et un concours dont elles pourraient se passer. Une marque n’apprend pas des erreurs des autres et répète un scénario déjà usé jusqu’à la corde. On peut citer la commune de Tours239 qui demande au Public, dans un contexte économique contraint, 235  Voir plus haut p82, Le logo du neveu du patron 236  Sauf exception pour Eyeka qui est parfois amené à travailler avec le créatif de manière à prolonger le projet. 237  Ces 10 personnes totalisent 69 victoires soit 3% des 1814 qu'il est possible de recenser sur le site en parcourant les profils. étude en annexes en page 180 238 Eyeka fonctionne ainsi mais prévient dès le départ qu’il s’agit d’un benchmark. 239 Etapes Graphiques. « Aux graphistes, les élus jouent des Tours ». février 2015. Disponible sur : < http://etapes.com/aux-graphistes-les-elus-jouent-des-tours > (consulté le 13 avril 2015)

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de choisir parmi quatre logos réalisés en interne. Si l’objectif est d’impliquer les citoyens dans la vie locale : c’est une mauvaise idée en terme d’image. Un logo doit s’inscrire dans la durée. Il y a de fortes chances pour qu’un travail non-professionnel vieillisse mal. Si le but de l’opération est économique : c’est un mauvais diagnostic. Une collectivité ignore-t-elle qu’un logo coutera bien plus cher à implémenter qu’à réaliser de manière professionnelle240? Valérie Pécresse a provoqué sur Twitter une réaction virulente de la part des professionnels en proposant la création d'un logo de région auprès des habitants pour qu'il ne coûte rien au contribuable :

« Bonne idée! "@Vincent___B: Je l'ai toujours défendu : 0€ d'argent public pour un logo de Région. Faites un concours auprès des habitants ! » (@vpecresse, 2014)

Les réactions sont intéressantes :

« @vpecresse @Vincent___B Bonne idée ! Faisons la même chose avec les rémunérations des élus ! » ( @JulienMoya Jan 31) « Mais bien-sûr, bonne idée @vpecresse et @Vincent___B ! Nions la valeur ajoutée des professions du design, n'importe qui peut le faire ! \o/ »

L’image de la marque est donc ternie par ces concours-polémiques qui jouent au départ sur une promesse de visibilité, en attirant surtout les jeunes graphistes qui souhaitent se voir exposé « partout en France ». L’organisation fait parfois « machine arrière » en annulant le concours comme ce fut le cas avec l’affiche « de la fête de l’humanité241 » mais le mal est fait et la marque perd en crédibilité, surtout si au départ elle porte un message de respect et d’éthique.

10) Un  bon  exemple  d'identité  :  Charleroi  Si les appels d’offres, les concours organisés par les marques sont parfois limite au niveau déontologique, il ne faut pas cependant voir le mal partout, et penser que le graphisme est en train de mourir à petit feu ou que les graphistes vont disparaître. Il existe en effet de bonnes pratiques qui démontrent le contraire. La culture du design est plus présente au Benelux et l'approche de la commande publique plus sérieuse qu'en France, on a bien conscience des problématiques liées à la conception d'un logo. Nous pourrions citer l’exemple de White studio242avec l’identité de Porto ou celui de la commune de Charleroi, en Belgique, qui a fait appel au studio Pam&Jenny pour refaire son identité.243J'ai choisi ce très bon travail pour illustrer un travail sérieux de logo-design, avant d’évoquer les pistes possibles qui se présentent à la fois aux designers mais aussi aux marques qui souhaitent passer par des plates-formes de CS.

240 Cela peut facilement dépasser les 100K€ si la collectivité fait évoluer tous ses supports de communication. 241 Etapes Graphiques. « Concours : la fête de L’Humanité perd de sa superbe », 2015. Disponible sur : < http://etapes.com/concours-la-fete-de-l-humanite-perd-de-sa-superbe > (consulté le 26 février 2015) 242 White Studio. « New identity for the city of Porto ». In : Behance [En ligne]. Disponible sur : < https://www.behance.net/gallery/20315389/New-identity-for-the-city-of-Porto > (consulté le 13 août 2015) 243 Etapes Graphiques. « Charleroi : le logo aspire à la couronne » [En ligne]. mars 2015. Disponible sur : < http://etapes.com/charleroi-le-logo-aspire-a-la-couronne > (consulté le 21 mars 2015)

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Nathalie Pollet, fondatrice du studio, explique sa démarche exemplaire, ses inspirations et le sens donné à sa création. Ce discours tranche avec les exemples récents de logo crowdsourcés par les collectivités :

« Créer l'image d'une ville, c'est d'abord prendre en compte le fait que l'on va s'adresser à un public immensément large, mais cela ne veut pas dire qu'il faille, par souci de plaire au plus grand nombre, oublier d'être audacieux. » (N. Pollet, 2015)

La réussite du projet vient du fait que le commanditaire est conscient de la démarche de design et comprend les enjeux de création :

« Je travaille donc principalement avec des personnes ayant une vraie culture de l'image, et en même temps connaissant très bien le contexte de l'intérieur. Même si nous sommes contraints par un environnement parfois complexe (politique, administrati f, budgétaire, etc.), le dynamisme, l'ouverture, la quête de qualité et de pertinence sont présents à chaque étape du travail. Cette situation est un grand avantage pour le projet, et pourrait être - à mon avis - un exemple à suivre. » (N. Pollet, 2015)

La typographie est en lien direct avec ce territoire industriel. En citant le concepteur du caractère (Michael Mishler), le studio marque un respect pour ce travail souvent méconnu. Derrière une simple lettre on retrouve l'histoire d'un lieu, la forme esthétique ("douce et technique") est aussi pensée pour occuper un espace réduit. Il y a un souci de lecture, de positionnement stratégique futur du logo, qui prend en compte les coûts des déclinaisons sur les différents supports. : Le designer doit savoir proposer une réponse qui prenne en compte son public mais sans oublier d'aller plus loin. Le positionnement stratégique doit se faire ressentir, il doit transmettre avec force le caractère du territoire. Selon Nathalie Pollet, les collectivités sont frileuses, et par excès de démocratie

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manquent de pertinence en balayant trop large. La communication reste plate et pourrait être utilisée par d'autres collectivités sans que cela ne choque. Il est important de proposer des réponses intelligentes, sans avoir peur d'être parfois trop radical, il faut faire confiance au public, pour que le logo perdure et s'impose dans le temps. Un logo réalisé par une agence coûte effectivement plus cher qu’un logo à 5$ sur Fiverr, voir un projet élite de Creads à 3500€ (et encore...). Pour un travail comme celui-ci, on peut estimer qu’il sera facturé entre 10 et 20k€. Certes, c’est plus cher qu’un feu d’artifice du 14 juillet. Mais une collectivité doit y voir un investissement à long terme. Un studio de renom comme celui de Ruedi Baur a réalisé celui des archives nationales pour 45K€ : les tarifs sont très hétérogènes.

11) Conclusion  seconde  partie  Dans son ouvrage sur le web collaboratif, le culte de l'amateur244, Andrew Keen, à travers ses réflexions sur l’univers sauvage du web 2.0 explique de manière critique que la parole de l'amateur deviendrait avec les UGC245 une forme dominante de la culture, il relativise aujourd'hui ses propos et préconise l'arrivée de nouveaux spécialistes, considérés pour leurs compétences et non leur statut :

« Dans « l’ancien monde » - celui du XXe siècle, on va dire – vous pouviez être un universitaire perché dans votre tour d’ivoire, réfugié dans le douillet cocon de votre « chapelle », et professant votre savoir à des étudiants respectant totalement votre parole. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, je ne me situe pas sur ce terrain là, mais une chose est sûre : aujourd’hui, cette attitude n’est plus tenable, vous devez apporter votre autorité par la preuve plus que par le statut. La hiérarchie ne fait plus l’expertise, c’est la compétence qui la révèle. » (Keen, 2008)

Manon Verbeke246 (2013) se demande si le métier de graphiste peut être mis au même plan qu’un artisan ou un petit commerçant. Sa démarche intéressante met en pratique une expérience consistant à positionner le graphiste comme un petit commerce. Elle propose ses services de graphiste aux professionnels aux petits budgets en apportant une réponse simple sans pour autant être impersonnelle. Elle constate que l’on peut répondre intelligemment à une commande tout en restant abordable. Sur internet on retrouve les amateurs dans de nombreux secteurs, telles que la vidéo (Youtube), la musique (Soundcloud), la photographie (Instagram), les écritures numériques, la cuisine... Laure Blanchard247 étudie comment, à travers les blogs, les émissions de télé-réalité ou les portails de recettes, la pratique amateur en cuisine permet de redonner une stature d’expert aux professionnels de la gastronomie. Le graphisme d’auteur profite également de la pratique amateur : sur les blogs des plates-formes, les créatifs interrogés avouent être inspirés par de grands noms du design, des blogueurs influents, des agences… ces fans décrit par Flichy s'approprient et consomment l'œuvre en la

244 Keen A., Olivennes D., Laberge J.-G. Le culte de l’amateur : Comment Internet tue notre culture. Paris : Scali, 2008. p.ISBN : 9782350122281. 245 User generated content défini en introduction en page 12 246 Verbeke M. Un Graphisme Public - Manon Verbeke [En ligne], 2013. Disponible sur : < http://issuu.com/manontringaverbeke/docs/graphisme_public_memoire_manon > (consulté le 9 novembre 2014) 247 Blanchard Laure. « Triomphe de l’amateurisme en cuisine ? De la relation entre les imaginaires du web social e de la gastronomie au service de l’expression du désir amateur. » . Mémoire Pro, CTN, EMA-Celsa, 2011. (consulté le 21 janvier 2015)

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remaniant à leur convenance (braconnage). Le numérique remet en cause la définition classique du fan qui met en relation un public dominé par une culture de masse. La pratique amateur prolonge la production artistique sur le web et bouleverse le rapport traditionnel à la culture populaire industrielle jusqu’à présent instauré. Il y a un brouillage des catégories qu’opèrent les pratiques des amateurs.

« L’ère numérique remet en cause le fonctionnement de la culture populaire industrielle, qui imposait que l’œuvre soit consommée sous la forme choisie par l’éditeur. Les fans retrouvent, au contraire, les pratiques de la culture préindustrielle où les contes pouvaient être réappropriés en permanence par les auditeurs et les lectures. Ainsi, le Remix n’appartient plus à l’éditeur, mais au fan. Celui-ci ne prend pas seulement plaisir à consommer, mais à lire, écouter ou regarder comme bon lui semble. » (P. Flichy, 2010)

Désormais, le design possède ses fans, dont la pratique génère des univers inspirés des productions professionnelles. Ces modes suivent les tendances du graphisme, parfois avec un léger décalage pouvant donner une impression has-been (la mode des logos flat-design par exemple). Internet est un espace étendu de la réception créatrice (P. Flichy, 2010), cette pratique proche de celles que l’on peut rencontrer dans les cultures préindustrielles, où les contes, par exemple sont réappropriés en permanence par les auditeurs et lecteurs. Aujourd’hui, les contenus sont ainsi vulgarisés par des amateurs s’engageant plus par conviction que par obligation professionnelle. Les observations in situ des amateurs sont précieuses dans les domaines de l’informatique, de la botanique ou de l'astronomie :

« Ce que le savoir local perd en universalité, il peut le gagner en précision et en capacité de description » (P. Flichy, 2010)

Flichy précise que l’amateur reste toujours moins pertinent lorsqu'il s'agit du domaine de la connaissance : celle d’une expertise acquise par l’expérience ne remplacera jamais l’expert-spécialiste. Les amateurs s’intéressent avec passion aux règles typographiques, au logo-design ou à la simple pratique des outils. Il est fréquent pour un professionnel de trouver une réponse technique sur un forum d’entraide ou dédié à la stop-motion (Sur le repaire248 par exemple) où se côtoient des experts et des débutants. Bien qu’ils soient standardisés, les habillages des sites web ont gagné en qualité avec la démocratisation des thèmes proposés par les CMS (wordpress, Drupal), nous évitant ainsi les sites web entièrement conçus à partir de gif animés249. Globalement le web permet de véhiculer un design de meilleure qualité, que l’on ne trouvait qu’en se déplaçant à Chaumont (Festival de l’affiche) ou aux rencontres de Lures250 (semaine de la culture graphique, le festival de Cannes des typographes). La notoriété par le biais de l'audience (Like, nombres de vues, followers) positionne également l'amateur d'un état de fan à celui de star, ce qui n'en fait pas encore un professionnel mais qui lui laisse le champ et les espérances pour le devenir. On peut citer l'exemple des Youtubeurs comme Norman qui après avoir obtenu l'audience suffisante a fait de cette activité une marque de fabrique qui s'exporte au delà du média internet. Après avoir gagné plusieurs concours, quelques graphistes ayant débuté sur

248 http://www.repaire.net/forums/adobe-after-effects.html 249 Un très bel exemple de Fanfan F. « La boncourtoise - graphisme ». Disponible sur : < http://laboncourtoise.e-monsite.com/contact/contact.html > (consulté le 20 novembre 2014) 250 http://delure.org/

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Creads ont prolongé ensuite leur activité en free-lance ou en agence, mais il y a peu d'élus si l’on souhaite démarrer une carrière par ce chemin. Flichy ne prend pas part au débat amateurs versus professionnels. Selon lui, ils se complètent et il lui parait impossible que les amateurs détrônent les experts (P. Flichy, 2010). Sur la base d'une description de la pratique, Flichy met en avant le fait que les compétences des amateurs se développent de manière indépendante de celles des experts, il n'y a pas d'opposition entre les partisans d'une victoire de l'intelligence collective sur les experts et le discours selon lequel les amateurs et la médiocrité peut se substituer au professionnel qui possède le talent. Internet, principal vecteur de ces nouvelles pratiques d’amateurs, ne signifie ni la disparition des experts (médecins, scientifiques, etc.) ni celle des médiateurs (documentalistes, journalistes, enseignants, etc.). Patrice Flichy résume en quelques mots, dans sa conclusion, la thèse sur laquelle son étude des nouvelles pratiques des amateurs débouche :

« Dans les domaines où il s’est forgé des compétences, l’amateur peut exceptionnellement remplacer l’expert, mais il lui importe surtout de constituer sa propre opinion et de la défendre. Il peut accéder à une masse d’informations qui lui étaient inconnues auparavant : grâce à elles, il est capable de tenir un discours critique, d’évaluer la position de l’expert-spécialiste par rapport à son expérience ou à ses propres pratiques. Il acquiert ainsi les ressources et la confiance qui lui permettent de se positionner par rapport au professionnel, de l’interroger, de le surveiller, voire de le contester en lui tenant un discours argumenté sur ses opinions. L’amateur fait descendre l’expert-spécialiste de son piédestal, refuse qu’il monopolise les débats publics, utilise son talent ou sa compétence comme un instrument de pouvoir » (P. Flichy, 2010).

Réaction corporatiste ou craintes justifiées ? Le CS présente de nombreux points discutables au niveau éthique en véhiculant l’idée qu’il est possible d’obtenir un design de qualité à un prix défiant toute concurrence. La pratique peut être nuisible pour la marque, qui joue avec son identité ou risque de ternir son image. Mais le CS s’inscrit dans un contexte déjà complexe pour le designer où les dérives qui entourent son métier sont nombreuses. L’idée d’une concurrence déloyale est donc relative en ce qui concerne le CS créatif. Si effectivement nous pouvons constater que le CS brouille davantage les frontières entre amateurs et professionnels, il est peut-être utile de constater que cette pratique amateur peut au contraire faire sortir de la clandestinité le beau design, aidant espérons-le, le graphisme à retrouver progressivement ses lettres de noblesses au sein du grand public. Le crowdsourcing ce n’est pas grave précise de manière un peu provocatrice François Caspar (En faisant référence à Blair Enns). Un designer doit être en mesure de comprendre cet aspect pour mettre en œuvre une stratégie lui permettant de légitimer son expertise.

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IV. Les  pistes  d’ouverture    L'émergence d'un nouveau modèle éthique et transparent permettra aux professionnels et au crowdsourcing de cohabiter, voir de collaborer. Alors que le CS s’autoproclame gagnant-gagnant, il existe certainement un modèle éthique et transparent qui soit à la fois profitable aux entreprises et aux créateurs de contenus. Cette hypothèse a déjà été formulée par Sophie Renault. À la fin de l’article « Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l’organisation et du travail » elle pose la question suivante :

« Quels sont les mécanismes permettant d’atténuer la défiance de la foule envers le crowdsourcing ? Sous quelles conditions, les plates-formes peuvent-elles insuffler un esprit gagnant-gagnant ? Comment fidéliser la foule ? Quelles sont les attentes et motivations de la foule auxquelles les plates-formes doivent apporter une réponse ? Comment développer des modes de crowdsourcing empreints de transparence et d’éthique ?… » (S. Renault, 2014)

Il est encore difficile de répondre à cette question. L’apparition récente des plates-formes de crowdsourcing créatif représente une composante qui vient s’ajouter aux autres. Il est probable que le modèle soit encore en cours de positionnement. Il existe cependant des initiatives plus optimistes. Tout type de client, pas uniquement ceux qui ont un budget considérable, peut accéder à un graphisme de qualité respectueux du statut du graphiste. Les plates-formes sont un mirage à la fois pour les marques et pour les designers. Il y a des formes plus vertueuses que d’autres, mais nous n’avons malheureusement pas pu trouver de modèle équitable en dehors des initiatives organisées autour de concours à caractère humanitaire ou de l’open-data. On trouve également quelques exemples impliquant les consommateurs de manière vertueuse, mais rien du côté de la production de design. Les sociétés Creads ou Eyeka sont-elles si malveillantes que ce que le prétendent les puristes du design ? Geoffrey Dorme (DesignandHumans) en a fait les frais (sur Twitter) en évoquant simplement l’idée qu’il y avait peut-être des bonnes pratiques envisageables. Adrienne Massarani avance quelques ouvertures dans son article. La piste serait de procéder à une étude sur le long terme visant à encourager une approche plus raisonnée du droit d’auteur en utilisant un système de licence de type « Creative Common » et d’aller plus loin dans la démarche éthique de ces sites. Comment le graphiste va pouvoir trouver sa place dans cette économie numérique en perpétuel mouvement et vers quelle forme sa pratique peut-elle évoluer ? Un graphiste qui souhaite exercer son métier dans les prochaines années doit s’adapter constamment. Les outils évoluent rapidement et il doit également rester à l’écoute des tendances pour en jouer et se démarquer (s’il ne veut pas tomber dans l’effet mode).

« Photoshop que j'utilise aujourd'hui n'a rien à voir avec le Photoshop d'il y a 10 ans. Je faisais du flash quand j'ai débuté et plus du tout aujourd'hui. Un graphiste, qui fait du digital de surcroît, s'il n'évolue pas, dans 5 ans : il est mort. » (B. Fluzin)

Comme pour Uberpop avec les taxis, on ne peut réagir sans comprendre ce qui nous permet de tirer notre épingle du jeu.

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« Apparemment, on ne peut interdire ces plates-formes, une fois qu’elles existent... qu'est-ce qu'on fait ? Une fois qu’on déconstruit leur mécanique, comment on agit pour transformer ça à notre avantage ? » (G. Dorne)

À défaut de définir un modèle, nous allons à présent voir qu’il existe des pistes à la fois pour les professionnels du design mais aussi pour les plates-formes.

1) Les  pistes  pour  le  design  

Graphisme  à  deux  vitesses  ?  On voit clairement que le CS oriente un certain nombre de personnes vers ces sites. Des designers qui n'ont soit pas une bonne expertise, soit ne savent pas la communiquer. Il y a également un certain nombre de mauvais clients. Dans ce cas là : « tant mieux » précise François Caspar. Pendant qu’ils vont sur ces plates-formes, cela permet d’aller chercher les bons clients. Il s’agit de la notion de sélectivité décrite par Blair Enns251. En refusant les idées gratuites, le « non » devient un gage de crédibilité pour le designer. Certains accusent la plate-forme de tuer le métier, nous nuancerons cette notion en suggérant plutôt un tri du métier. Tout comme les clients, il paraît plus probable de voir le métier de graphiste se scinder en deux pratiques. Celle où l’outil devient le critère principal, et celle où la réflexion, le conseil et la singularité priment sur l’outil. Comme on le voit en haute-couture, on se dirige progressivement vers du “prêt-à-porter” en graphisme contre une approche haut-de-gamme qui va finir comme dans le cinéma par engendrer un réseau perméable de professionnels autour duquel les amateurs gravitent en espérant un jour en faire partie. Il faut l’admettre : dans l'immense population des designers, tous ne sont pas au même niveau. Ce qui est valable pour toutes les professions. Il y a des bons boulangers et des mauvais boulangers...

« Le niveau de formation n'est pas le même, le niveau d'expertise n'est pas non plus le même. » (F. Caspar)

Au delà du crowdsourcing, le contexte difficile va toucher une partie de la profession qui n’a pas toujours les armes pour avancer sereinement dans ce métier. Il ne faut pas se faire de soucis pour ceux qui ont déjà une place, les stars ou les free-lances très talentueux et qui ont compris ce qu’étaient les bases du métier. Ces personnes ont des réseaux étendus. Sur du court terme il y aura toujours du travail pour eux. Cependant les salaires sont aussi à deux vitesses. Et ceux qui démarrent hors des réseaux parisiens, avec des petits boulots pour des associations, pour des petites boutiques, etc. seront probablement les premiers atteints.

« Les plus faibles seront touchés en premier. » (G. Dorne)

251Selon B. Enns, être sélectif : il s'agit de pousser la démarche d'adéquation, de trouver les clients pour lesquels nous pouvons trouver des solutions et savoir dire non aux clients qui seraient mieux servis par d'autres. "En disant non nous gardons la crédibilité de notre oui " Blair Enns et Caspar François, 2014, Gagner sans idées gratuites, Money design.org.

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Pour un jeune professionnel, il est possible de se passer du CS, il ne s’agit pas d’une fatalité. Il suffit d’élaborer une stratégie.

Refuser  les  idées  gratuites  :  Élaborer  une  stratégie  En sortant d'une école, même très bonne, on part la fleur au fusil en se disant « c’est bon je sais faire du graphisme : je vais m'en sortir ». On se retrouve dans une situation où a besoin d'être bon dans ce que l'on produit, mais il faut savoir le dire. Un designer doit pouvoir se vendre tout en restant armé pour affronter les situations difficiles avec certains clients dont l'attitude est contestable. Ce métier compliqué, la notion d'argent est souvent la dernière roue du carrosse. Il y a presque une certaine pudeur que l'on retrouve dans ce milieu, qui empêche le designer d'aborder le sujet. Cette attitude très nuisible pour le chiffre d'affaire est un peu « le mal du designer ». Être bon peut suffire pour trouver un travail dans une entreprise : il faut être opiniâtre et chercher, on finira pas trouver… Mais comment faire si l’on se retrouve dans un désert économique252 ? Le précepte de l’AFD et de B. Enns est de s’occuper d’abord de son positionnement de designer. Cela commence par refuser les idées gratuites et adopter une réelle stratégie commerciale.

« À un moment on comprend qu'il faut échafauder une stratégie » (F. Caspar) Il s’agit d’une stratégie de défense juridique qui consiste à « blinder juridiquement sa stratégie commerciale » (F. Caspar). Un ensemble de pièces juridiques que B.Enns appelle « le contrat ». Une fois le premier dialogue effectué avec le client, qui est essentiel. Vient la rédaction d’un cahier des charges permettant au designer d’être en position de faire valoir son droit. Sans ce document, il est souvent difficile de s’engager dans une procédure couteuse pour le designer. À moins que le client ait fait de grossières erreurs, cela n’a pas d’intérêt pour des petits budgets253. En France les droits sont très forts et protecteurs (le droit de la PI par exemple). Mais ils restent difficiles à appliquer. L’application est « beaucoup moins romantique que l'énoncé de la loi » (F. Caspar). Il est important de se préparer en amont avec une stratégie de la relation professionnelle. Un syndicat comme l'AFD propose donc un accompagnement sur ces questions de forme. Il s’agit de choses qui ne sont pas enseignées, souvent apprises hélas « en se faisant avoir ». En faisant le choix d’une activité indépendante, ce complément de formation est indispensable. Un enseignement de ces notions dès l'école serait-il une piste pour que ce métier soit moins précaire ? Certainement, mais peu d'étudiants enregistrent les choses et restent focalisés sur la réussite de leur cursus. Ce que nous confirme Barbara Dennys254, directrice de l’École Supérieure d’Art et de Design d’Amiens (ESAD) :

« Nous ne parlons pas de l'aspect commercial à l'Esad. Il y a toujours un grand hyatus sur cet aspect là. Il est très di fficile pour une tête en train d'apprendre de se confronter simultanément à la réalité d'un

252 François Caspar, explique qu’en étudiant l’annuaire des designers en France, apparaissent des zones où c’est le désert total. 253 Qui sont en dessous de 5K€, Ça commence à avoir un intérêt autour de 8-10K€. 254 Retour par mail de Barbara Dennys, annexes en page 189. Pour aller plus loin il existe une étude sur l’insertion des étudiants de design : Durand Jean-Pierre et Sebag, 2012, Métiers du graphisme. Ministère de la Culture et de la Communication (coll. « Département des Etudes de la Prospective et des Statistiques (DEPS) Ministère de la Culture et de la Communication »).

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marché et au développement de ses capacités créatives. L'intervention de François Caspar est déjà une exception en école d'art, et je l'ai pratiquement imposée. » (B. Dennys)

La perte d’information est importante, « c’est peut-être un peu tôt finalement » précise François Caspar255. Les graphistes talentueux n’ont pas tous un sens inné du commerce. Un designer peut vite apprendre mais il doit prendre conscience qu’il n’y arrivera pas seul. Comme un chef d’entreprise, il doit être aidé par des spécialistes dont c’est le travail. Un comptable, un fiscaliste, un syndicat pourront proposer une méthode, par des retours d'expériences.

« Il n'y a que de mauvaises rencontres […]. être indépendant, c'est comprendre certaines règles du commerce. Si on monte un commerce d'achat-vente on a affaire à des personnes qui ont un profil commercial, mais quand on monte un business dans le design, on a affaire à des créati fs et qui sont les moins préparés à cette vie là. »

L’AFD, constate aujourd’hui que ces rencontres se font trop tard. Beaucoup de graphistes adhèrent uniquement s’ils sont déjà en litige. Il est alors plus difficile pour le syndicat de les aider.

Les  clients  à  éduquer    Les créatifs sur Creads constatent eux-mêmes que le métier n’est pas suffisamment compris. Ils sont d’autant plus confrontés à ce problème car ils ne peuvent argumenter face au client et sont tributaires de la plate-forme qui les présente comme des créatifs, sans distinction de niveau256. Le blog « client suivant257 » ou « Les Graphisteries258 » illustrent parfaitement cette méconnaissance du métier que nous avons déjà plusieurs fois évoqué tout au long du mémoire. Il est donc primordial de casser les idées reçues qui entourent ce métier. Celles qui consistent à dire qu’il s’agit uniquement de temps passé derrière un écran (Pascaud, 2014)259. Sans aller jusque dire comme David Carson que le design sauvera le monde260. Un monde de communication ne peut avancer sans design261. Cela passe avant tout par de la pédagogie. Il est vital de sensibiliser et d’accompagner les commanditaires dans leur démarche de commande graphique si l’on souhaite des échanges sains ou un minimum de respect autour des appels d’offre. Il s’agit d’un combat permanent (B. Fluzin), mais tout graphiste vous dira que la moitié du succès final d’un projet vient de la pédagogie-client. Pourquoi telle typographie ? Pourquoi telle structure ? Pourquoi ne pas avoir peur du blanc ? Pourquoi ne pas limiter le contenu ? Il s’agit d’un aspect que le graphiste doit apprendre, sur le terrain,

255 F. Caspar intervient également dans plusieurs écoles 256 Voir témoignage de @Wiliko en annexe en page 162 257 « Client suivant » qui reprend les citations de clients type : Client suivant [En ligne]. Disponible sur : < http://clientsuivant.blogspot.fr/ > (consulté le 25 juillet 2015) 258 Vinot L., Gélas P., Sesmat A., Birkel N., Moya J. « Les Graphisteries | Actualités, Découvertes, Débats et Conseils. Pour les Graphistes et autres métiers de la communication. » Disponible sur : < http://www.lesgraphisteries.com/lequipe-du-blog/ > (consulté le 15 janvier 2015) 259 Pascaud T. Vraies et fausses idées reçues sur les graphistes indépendants [En ligne]. 16 octobre 2014. Disponible sur : < http://thomaspascaud.com/vraies-et-fausses-idees-recues-sur-les-graphistes-independants/ > (consulté le 12 novembre 2014) 260 “Graphic design will save the world right after rock and roll does.” David Carson 261 Voir explication disruption / océan / bleu, annexes en page 192

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devant le client. Pas sur une plate-forme...où l’on fait croire que la production graphique n’est qu’une exécution. Le graphisme, n’est pas comparable à un micro-onde ! Il ne s’agit pas d’attendre 2 minutes pour voir sortir du four 50 propositions toutes chaudes. Faire ça, c’est « amputer » 50% de ce qui fait l’intérêt du travail d’un designer (B. Fluzin). Il y a d’autres pistes permettant également d’améliorer la perception du métier de graphiste : au niveau politique et par un design de qualité.

Les  initiatives  politiques    Nous avons évoqué en seconde partie le statut de free-lance. Il doit être débattu autour d’une table ronde de manière à rendre la pratique plus sereine. Au delà de cette question, les politiques semblent sensibilisés depuis peu à ce manque de perception à propos du rôle du graphiste. Le 13 janvier 2015, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication, prononce un discours très novateur face à des professionnels enthousiastes d’être enfin entendus.

« Nous avons récemment pu prendre toute la mesure du poids économique et de la vitalité de la culturelle visuelle grâce à l’étude sur l’impact économique de la culture qui m’a été remise. [...] Cette étude a permis de faire la lumière sur le rôle majeur des arts visuels qui produisent une valeur ajoutée de 5,7 Mds d’euros, soit 10% du total des activités culturelles. C’est considérable et je suis convaincue que le redressement créati f de notre pays passe par la vitalité de notre culture visuelle. C’est d’ailleurs tout le sens de la politique nationale en faveur du design que nous menons avec Arnaud Montebourg depuis 2013. » (Filippeti, 2013)

Cette prise de position en faveur des créatifs en France était en effet très attendue. Ils ont le sentiment d'une évolution du discours. La ministre préconise la création d'une Charte Haute Qualité Design, l’édition d'un guide de la commande de design graphique et la diffusion d’une « circulaire aux dirigeants des établissements » pour que les bonnes pratiques puissent « s’étendre à l’ensemble des commanditaires publics. » Édité par le Centre national des arts plastiques (CNAP) et diffusé à 20 000 exemplaires auprès des collectivités territoriales et locales. Ce guide de la commande de design graphique262 (Adebiaye, 2014) peut être une forme de première réponse éducative à destination des organisations. Soulignons également certains collectifs et associations comme l’ANEC qui proposent cette forme de pédagogie en développant le concept de slow-design263.

Reconnaître  la  valeur  du  travail  Nous avons abordé la question de la commande publique. Mais surtout celle de la qualité et de la valeur du travail. Il est important que cette valeur soit reconnue. Le bon design français doit être valorisé pour rayonner à l’étranger. Éduquer le public à voir de belles choses, différentes :

262 Adebiaye F. Guide : « La commande de design graphique » [En ligne]. [s.l.] : Centre national des arts plastiques, 2014. Disponible sur : < http://www.graphismeenfrance.fr/article/guide-commande-design-graphique > (consulté le 19 janvier 2015) ISBN : ISSN : 2267-3075. 263 Anec T., Faure A. Vers « l’uberisation » de nos entreprises | Association pour un Nouvel Élan Créati f [En ligne]. février 2015. Disponible sur : < http://www.anec-asso.fr/uberisation-entreprises-crowdsourcing/ > (consulté le 17 février 2015)

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« Quand on voit les affiches de la fête de la musique des années précédentes : c'est un désastre ! C'est triste qu'un truc aussi populaire et vu pas autant de monde soit aussi moche ! Alors - bonheur ! - cette année, l'affiche est faite par un studio parisien, composé de graphistes de métier, qui s’appelle Building Paris264. » (B. Fluzin)

Nous avons souligné l’importance du travail de qualité pour le book du designer, qui attire de manière vertueuse les bons clients265. Jean-Louis Fréchin266 lors des réunions au ministère portait ce discours justement :

« C’est par la qualité que l'on arrivera à combattre ces plates-formes. » (Propos rapportés par B. Fluzin) En effectuant un travail de qualité, la logique voudrait que l'on se fasse repérer et solliciter par des clients sérieux qui rémunèrent correctement… Avec l’expérience, le designer finit par refuser du travail parce qu’il en a trop (B. Fluzin). Une position qui n’est pas partagée par tous les professionnels :

« Si en effet il faut porter un discours de qualité, je ne suis pas d'accord pour le laisser-faire. On peut faire les deux en même temps : taper sur les plates-formes de CS et les encadrer, tout en cherchant à promouvoir un design de qualité français. » (B. Fluzin)

2) Vers  un  collaboratif  vertueux  

Quelques  formes  intéressantes  Il existe des formes de collaborati f vertueux qui stimulent le graphiste à faire et tester des choses. On le retrouve avec les Templates WordPress mis en ligne sur des banques de thèmes à des tarifs intéressants pour la plate-forme comme pour le designer.

« J’avais un collègue qui avait développé sur flash un script pour générer de la neige… Il a vendu sa neige à Hermès et aux galeries Lafayette et il se faisait en moyenne 1000$/mois en vendant son petit script qui faisait de la neige. » (B. Fluzin)

Le graphiste est à l’initiative de la démarche, la notion d’intermédiaire disparaît, comme celle de l’incertitude du paiement (à condition que le travail soit intéressant). Ce qui est très différent du crowdsourcing spéculatif. Sur nounproject267 il est possible de trouver des icônes en domaine public ou licence CC. Rien n’oblige un graphiste à envoyer des icônes sur la plate-forme qui seront vendues à 1$ l’unité. Malgré la présence d’icônes gratuites, il est tout à fait possible de dire au client qu’il faudra payer l’une d’elles pour obtenir quelque chose de plus personnalisé.

264 http://www.buildingparis.fr/ 265 Le « cercle vertueux » de François Caspar 266 Propos rapportés par Baptiste Fluzin. JL Féchin est un pionnier du design numérique en France, il dirige l’agence multi-primée Nodesign et enseigne notamment à l’Ensci. 267 https://thenounproject.com/

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Le  Co  working  équitable  La co-création attire, les plates-formes jouent sur la tendance des espaces de co-working et des studios. Les free-lances et les auto-entrepreneurs deviennent la norme. Ce nouvel écosystème de l’emploi268, frôlant parfois l’illégalité269 conduit aussi à la création de nouveaux espaces de travail de co-working dont le but est de mettre en commun des compétences et de s’entraider. Certaines coopératives, comme Coopaname270, permettent de lutter contre cet éparpillement des ressources. Elles servent d’interface administrative entre les clients et les free-lances qui perçoivent un salaire, mais sans la commission parfois élevée liée au portage salarial classique. Comme une forme de résistance cherchant plutôt à s’adapter qu’aller à l’encontre des nouvelles pratiques : une agence participative. L’agence Spintank271 héberge également des créatifs sous la forme de co-working au sein du TANK. C’est une forme très intéressante de ce que peut être la pratique du design graphique : à la fois solitaire et collective. 35 personnes travaillent pour l’agence. À côté, de nombreux espaces accueillent272 à plus ou moins long terme des créatifs cherchant à la fois un cadre épanouissant et stimulant. Plus qu’un simple bureau, il s’agit là d’un lieu d’échange pour recevoir les clients. En arrivant dans cette petite ruche où chacun butine à sa façon, en groupe, assis dans un canapé, sur une chaise au bar… tous les ingrédients semblent là pour stimuler la créativité et encourager le graphiste dans son travail.

« La co-création est un processus acti f, créati f et social, basé sur la collaboration entre les producteurs et les utilisateurs, initié par l’entreprise pour générer de la valeur pour les clients » (C.K. Prahalad, Distinguished Professor, University of Michigan)

L’exception  des  concours  à  caractère  humanitaire  Pour une ONG comme WWF273, qui n’a d’ailleurs plus vraiment besoin d'être valorisée, un concours de crowdsourcing peut être considéré comme « éthique ». Il y a un jury sérieux, avec des intervenants crédibles et surtout : il n’y a pas de relation financière avec le consommateur. La mécanique du concours n’est pas pervertie par l’aspect mercantile. Un concours de dessin ou d'affiche reste intéressant s’il respecte certaines valeurs. Un designer peut alors choisir de donner un peu de son temps de travail pour la bonne cause. Creads propose ce type de concours, mais cela attire bien moins de monde. Surtout s’il s’agit de bénévolat. C’est louable, mais la démarche de la plate-forme reste marginale.

« Pour ma part, les jobs gratuits que j’accepte sont à but associatifs et citoyens uniquement […] Si vous vous sentez attiré par un projet particulier, souhaitez aider un ami, ou qu’une réelle opportunité s’offre à vous et réclame un sacri fice de temps au début, foncez ! » (S. Drouin)

268 On retrouve des free-lances partout : journalisme, conseil, formation, informatique, électricité, plomberie... 269 L’externalisation est devenue une norme jusque dans les grandes entreprises qui utilisent ce statut pour gérer leur main-d’œuvre souvent bon marché et s’affranchissent des charges. 270 http://www.coopaname.coop/ 271 Dont Baptiste Fluzin est le Directeur de Création. http://spintank.fr/ 272 Pour un loyer modéré et flexible (Paris) compris entre 140€ /mois (1/4 temps) et 430€ (illimité) 273 Creative Awards by Saxoprint, http://www.saxoprint.fr/creativeawards, consulté le 6 juillet 2015.

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Les  concours  aux  enjeux  sociétaux  On trouve aussi du côté des marques quelques exemples de plates-formes impliquant le consommateur de manière vertueuse. Étant donné les profits générés par les organisations qui mettent en place ces concours, on peut aussi avoir des doutes sur la démarche. La technologie et le crowdsourcing sont très puissants, appliqués à de bonnes stratégies, les marques peuvent aussi profiter de leurs énormes ressources pour mettre en place des initiatives qui ne serviront pas uniquement leurs intérêts. Nous avons en effet souligné le fait que les consommateurs pouvaient être impliqués dans une opération marketing. Nous choisirons cependant de qualifier les trois exemples suivants comme « vertueux » en considérant que les enjeux sociétaux sont plus importants que ceux de la marque. Orange propose d'imaginer des services numériques innovants274 et part du principe qu'une initiative locale peut avoir une portée globale. Les créateurs des idées les plus appréciées sont invités 5 fois par an pour prendre part à un workshop au sein même de la société : « Vos idées font le tour du monde ».

Sur le Jam, les salariés d’IBM proposent une problématique d’ordre sociétale ou managériale. Les internautes par centaines interagissent de manière bénévole sous forme d’un brainstorming à grande échelle à durée limitée, permettant également à la marque de repérer des talents (Renault et Boutigny, 2013). Google Science Fair275est un concours international ouvert aux jeunes de 13 à 18 ans. Sur cet incubateur d’idées, les innovations scientifiques sont à l’honneur. Un jury composé de personnalités de l’industrie, scientifiques, journalistes, designers, politiques et même astronautes présélectionne 20 lauréats qui auront peut-être la chance de se voir décerner le Grand prix ou les différentes récompenses attribuées par thèmes ou par partenaires (National Geographic, Virgin galactique, Lego, Scienti fic American...) sous forme de bourse ou d’une implication directe avec la marque dans la mise en œuvre du projet sélectionné. Les projets sont très différents, et la marque Google cherche à dénicher les talents de demain. Une opération de recrutement. Google est une entreprise qui est loin du modèle éthique 274 Imagine by Orange, http://imagine.orange.com/fr ou http://www.dailymotion.com/ImagineWithOrange 275 « Accueil - Google Science Fair 2015 ». 2015. Disponible sur : < https://www.googlesciencefair.com/fr/ >

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qu’elle défend, pourquoi est-ce tout de même sain ? Les projets sont très bons et innovants, à portée humanitaire pour la plupart. Qui en dehors de la firme américaine aurait pu trouver de telles pépites ? Le jury est hautement qualifié, et tous ces jeunes designers-ingénieurs-artistes n’auraient probablement pas eu la possibilité de faire aboutir leurs idées (parfois géniales) si la puissance de frappe de la firme américaine n’avait pas été là. Lorsqu’un adolescent de 13 ans développe un outil de diagnostic automatisé de la maladie d’Alzheimer, c’est simplement impressionnant. Certes, il ne s’agit pas de design, mais le travail d’un designer n’est-il pas aussi d’imaginer de nouveaux services ? Ici sont mis en application à la fois un savoir-faire technique mais surtout des idées. L’idéation est en effet la forme qui semble la plus prometteuse, même si les enjeux marketing viennent parfois ternir la belle idée de façade. Il y a une notion d’équilibre à trouver entre l’émotion et le fonctionnel lorsque l’on exerce le métier de designer : trouver à la fois ce que les usagers attendent d’un produit, mais aussi réussir à trouver la technique qui permettra de le concevoir. Alors, il sera possible d’obtenir un design durable et viable. La désidérabilité du produit, est une notion essentielle, l’innovation sans prise en compte de l’usager est inutile : les entreprises aujourd’hui tentent de resserrer leur politique RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) vers l’humain ou des défis de société. C’est peut-être une bonne chose à l’heure de la consommation dématérialisée de « remettre les besoins des pauvres au premier plan276 » (Lisicki. O, 2012). Le designer envisage les choses de manière globale et intuitive, cela permet d’avoir un point de vue particulier sur le monde et les objets qui nous entourent. Il sera probablement un des piliers des entreprises du futur.

« Et il n'est plus possible aujourd'hui de concevoir de nouveaux services et de nouveaux objets sans une prise de conscience et un engagement responsable devant les di fficultés actuelles. Les grandes questions sociétales, environnementales, économiques et culturelles du monde doivent permettre de penser de nouveaux usages et de nouveaux services pour de nouveaux contextes. » (Larivière, 2013)277

276 Vergier Lisicki Olivia, 2012, BOP: « Les entreprises doivent remettre au premier plan les besoins des pauvres », http://www.lexpress.fr/emploi/business-et-sens/bop-les-entreprises-doivent-remettre-au-premier-plan-les-besoins-des-pauvres_1196003.html , 2012, consulté le 10 juillet 2015. 277 Larivière Maurille, 2013, « Le design ou l’innovation pensée par et pour tous! » http://www.lexpress.fr/emploi/business-et-sens/le-design-ou-l-innovation-pensee-par-et-pour-tous_1223165.html , 2013, consulté le 10 juillet 2015.

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3) Vers  un  statut  qui  protège  les  créatifs  sur  les  plates-­‐formes  

Donner  un  cadre  légal  à  ces  pratiques  S’il n’est pas possible d’avoir « Uber et l’argent d’Uber » (Marc-Arthur Gauthey), il est urgent de donner un cadre légal à ces pratiques. Une sorte de loi « Macron 2.0 » qui irait dans le sens d’un « Small business act » à la française. Le phénomène de colère des taxis bruyants ne fait qu’illustrer au grand jour l’immobilisme déjà constaté lors de la déconstruction de la culture. Il faudrait se demander si nous ne deviendrons pas tous des « intermittents du travail ». Pour le moment la force de notre système social fait qu’il y a une forme de résistance de l’emploi. Les taxis professionnels bénéficient d’un sursis, depuis l’auto-fermeture en France d’Uberpop par la maison-mère début juillet 2015, les négociations se déroulent désormais au niveau Européen278 où ces plates-formes refusent d’être assimilées à des entreprises de transport ou de logement (AirB&B), mais plus comme des acteurs de l’économie numérique. Les politiques cherchent à encadrer par des lois ces nouveaux services numériques, le choix du positionnement et du statut de ces plates-formes va directement définir leur liberté d’action et le cadre législatif, l’enjeu est donc de taille. Si l’idée est surtout de fixer des règles de bases, il faut aller plus loin car cela exonère tout de même les plates-formes de leurs responsabilités dès lors qu’il n’y a plus de chauffeurs (en ce qui concerne Uber) ou de graphistes-designers en ce qui concerne les plates-formes de création. Le 16 Juin, la commission de travail de San Francisco a reconnu le statut d’employée à une conductrice d’Uber, Robin Prudent sur Rue 89 se demande alors si l’entreprise compte 1000 ou 1 Millions d’employés279. Pour une plate-forme de CS, qui deviendrait par la législation un intermédiaire neutre, quel serait le statut du graphiste qui génère suffisamment de revenus pour que cela soit assimilable à une activité à part entière ? En associant Creads ou Eyeka à une entreprise technologique et non un acteur de l’industrie de la création (ou du marketing), cela revient définitivement à faire une croix sur le modèle social. La fin du salariat ne devrait pas être un tabou, mais il est urgent de moderniser notre législation dépassée afin de « donner aux technologies la place qui leur est due »280car les grosses plates-formes vont progressivement être en situation de monopole281, absorbant cette fois les « pépites » de la FrenchTech dont le capital risque annuel de 200 Millions d’euros représente de l’argent de poche pour les start-up américaines ayant levé 1,75Milliards en avril et juin 2014.

« L’économie française risque d'être ubérisée avec la fin de notre souveraineté numérique » (Bruno Teboul)

278 Et part conséquent, ce sont 28 législations qui sont directement concernées. 279 Prudent R. « L’appli Uber a-t-elle 1 000 ou 1 million d’employés ? ». Rue89 [En ligne]. Juin 2015. Disponible sur : < http://rue89.nouvelobs.com/2015/06/19/lappli-uber-a-t-1-000-1-million-demployes-259858 > (consulté le 1 août 2015) 280 Delli. « A Bruxelles, Uber tente de contourner les obstacles nationaux - Rue89 ». Rue89 Les Blogs [En ligne]. Juillet 2015. Disponible sur : < http://blogs.rue89.nouvelobs.com/karima-delli/2015/07/25/bruxelles-uber-tente-de-contourner-les-obstacles-nationaux-234822 > (consulté le 1 août 2015) 281 On voit des acteurs comme Blablacar racheter un à un leurs concurrents et c’est la sélection naturelle qui prime souvent dans l’économie numérique

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Travail  ou  pas  ?  Au delà des dimensions éthiques du travail spéculati f ou liées à la qualité du design se posent des questions juridiques et contractuelles. Je ne possède pas les compétences sur ce point, mais la question est toutefois inévitable, nous allons en décrire les grandes lignes. La proximité entre l'activité professionnelle, le temps passé à répondre aux concours et la cession des droits semblent brouiller la perception que l'on a du CS compétitif. Les frontières entre le travail et un concours sur une plate-forme de crowdsourcing sont fines. Sophie Renault (2014) parle de nébuleuses où la tentation de qualifier cela en contrat de travail augmente en fonction de la nature de la plate-forme ou du type d'appel à la création. Creads a vécu de plein fouet cette problématique : comment récompenser cet acte de création, ce travail, à l'issue duquel seule une ou deux personnes seront récompensées ? Il y a donc un constat de déséquilibre entre un travail effectué et une récompense. « Quel statut pourrait être donné à ceux qui participent souvent dans l'ombre à la création de valeur d'une organisation ? » Se demande Sophie Renault282 (2014), sur le plan légal, la réponse se situe pour le moment au niveau de l'implication du Créatif. Co-auteur de l’article "Travail ou pas ?...283" Éric Favreau définit les différents cadres d'autonomie et les types d'interaction pouvant s’inscrire dans un cadre de contrat de travail. Sur le site Eyeka, le discours assez transparent. Cette plate-forme a le mérite de bien informer les utilisateurs et l’information reste facile à trouver. Ils insistent sur la liberté de création dans une logique d’appel à la création ouvert. La plate-forme sert d’intermédiaire entre les marques et les créateurs qui sont dans une totale autonomie durant le processus de création. Il n’y a pas de contrôle imposé par la plate-forme en dehors des règles définies par le brief. Aucune garantie de résultat n’est également demandée au contributeur qui choisit la manière et l’énergie qu’il souhaite investir sur un projet :

« Nous n'intervenons absolument pas en ce qui concerne le processus d'élaboration de la création, et on ne veut pas intervenir pour bénéficier de cette créativité di ffuse. » (É. Favreau)

Le seul contrôle concerne l’upload (la mise en ligne du fichier par le contributeur) qui doit répondre à des impératifs techniques là encore définis par le brief. Rien ne permet donc d’assimiler ces échanges à une relation de travail en terme de contrôle, sanction, de discipline ou de temps de travail. Lorsque la plate-forme échange avec certains contributeurs pour affiner une création afin qu’elle corresponde plus aux attentes du client, Il s’agit d’un travail dirigé qui peut être comparé à une relation entre un prestataire et une entreprise. Il y a une distinction à faire entre un consultant payé pour une prestation externe et un contrat de travail :

282 Renault S. « Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l’organisation et du travail ». RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise [En ligne]. 1 mars 2014. Vol. 11, n°2, p. 23‑40. Disponible sur : < http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RIMHE_011_0023 > (consulté le 17 janvier 2015) 283 Favreau Eric, Lemoine Jean-François et Roth Yannig, « Travail ou pas? L’autonomie des participants au crowdsourcing et ses implications juridiques ». 2014

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« Il ne faut pas fantasmer sur la notion de re-quali fication en contrat de travail, c'est un risque qui existe pour toute entreprise qui fait appel à des consultants extérieurs, quel que soit la nature de la prestation.»(É. Favreau)

Dans cette situation, l’entreprise sera confrontée à un grand nombre de consultants mais qui n’auront pas de garantie de paiement. Ce qui n’était pas envisageable pour une entreprise il y a 15 ans. Éric Favreau précise que la plate-forme prend le risque, pas le client :

« Le risque de contrat de travail est, à mon avis très limité. Par contre celui d’avoir une grogne est plus grand dès lors que l’on part du principe qui est de dire : je travaille donc je suis payé »

Les gagnants sélectionnés cèdent leurs droits, la récompense qu'ils récupèrent est la contrepartie de la cession des droits. Dans une étape ultérieure, le client souhaitant retravailler une proposition pourrait demander au créatif de s’investir d’avantage. Si la plate-forme souhaite également travailler dans la durée parce qu’elle estime qu’une prestation doit être rémunérée à ce moment là, un contrat de travail classique de type Free-lance-client ou auto-entrepreneurs peut être mis en place. Il ne s’agit pas non plus d’un contrat de travail à condition que l’intervention du prestataire soit ponctuelle et non systématique.

Faut-­‐il  encadrer  davantage  le  crowdsourcing  ?  C'est une question qui revient souvent, elle doit encore être débattue. Juridiquement le CS créatif se situe dans les règles. Les plates-formes utilisent très bien les aspects juridiques en vigueur pour contrer les arguments des professionnels, car il n'y a pas d'implication. Le CS créatif se situe cependant dans une zone grise où ce qui est demandé aux participants est une véritable commande maquillée sous la forme d’un concours, et qu’il n’est pas toujours contrôlé par un huissier284. On est loin de l’application qui permet aux automobilistes de signaler un « nid de poule ». Mais on est loin aussi d’Uber. Et si ces plates-formes pouvaient évoluer vers des formes plus équitables pour tous ? Pour le moment ces plates-formes sont jeunes, on manque de recul, certaines n'ont d’ailleurs pas encore fini de trouver leur modèle et pourraient encore évoluer vers plus de transparence. Il est certain qu’il faudra considérer le crowdsourcing comme une facette à part entière du petit monde de la création visuelle. Lorsque l’on voit le nombre de nouvelles structures qui voient le jour depuis 2011, la manière exponentielle dont elles évoluent et procèdent à des levées de fonds dépassant le chiffre d’affaires décennal de petites agences de communication. On peut se demander en effet si elles ne vont pas « tuer le métier ». Le CS est associé à une forme de dumping social. Les professionnels sont inquiets pour leur profession. Il n'y a cependant aucune étude qui prouve actuellement que le crowdsourcing soit un danger pour la filière du design, d'un point de vue économique en tout cas :

« Aujourd'hui, il n'y a pas de travaux parus sur les dommages. J'aimerais beaucoup avoir ce genre de retours chi ffrés de l'influence du CS sur une profession créative par exemple ou sur la société, notamment le manque à gagner en terme de taxe, etc.… Aujourd'hui rien n'est prouvé, tout simplement

284 Information qui demande toutefois à être vérifiée, car elle provient surtout des opposants au CS.

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aussi parce que c'est peut-être un trop petit problème pour la société et qu'il n'y a pas encore de gros cabinets ou de gros ministère qui s'est penché sur la question. » (Y. Roth)

Dire que les entrepreneurs comme Creads participent à la dynamique économique en créant des emplois est partiellement vrai. Certes, l’agence a considérablement augmenté ses effectifs interne et embauche des stagiaires, mais elle joue en parallèle sur une promesse de réussite envers des créatifs qui se réfugient par défaut sur la plate-forme en attendant des jours meilleurs ou en espérant être repérés. Fermer les plates-formes ne règlera pas le conflit, qui est mondial. Il ne faut pas oublier que personne n'est obligé de participer. Cela ne fait de mal à personne, ne force personne. Et même un moyen de changer de l’agence pour certains designers. À condition que la plate-forme informe correctement au départ.

« J’ai des di fficultés à voir ce que gagnent les personnes qui veulent faire interdire activement le crowdsourcing. Je ne pense pas qu'ils se rendent compte qu'en interdisant les plates-formes cela généra bien plus de déception du côté des créati fs, que cela faisait bien marrer ou qui gagnaient des concours - ou même des profs ou des étudiants - qui trouveraient ça dommage, que de personne qui diraient - ha enfin on a enlevé ça ». (Y. Roth)

Il ne faut pas toutefois accepter le CS comme une fatalité et laisser faire. Ce type de plate-forme véhicule une mauvaise vision du design. Cette proposition de valeur gratuite reste individuellement positive pour certains créatifs mais peut devenir négative pour la profession si elle devient systématique.

« Si une part signi ficative devient crowdsourcée dans les concours, c'est certainement néfaste pour une profession ou peut-être même pour une société. » (Y. Roth)

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4) Conclusion  générale  Une pratique amateur peut toutefois favoriser les professionnels. Cela mène les personnes créatives à se poser une question sur le vrai rôle du designer et valorise leur travail d'accompagnement. Il existe toujours dans l'industrie graphique une forme de snobisme, qui consiste à critiquer le mauvais design, et d'encenser le vrai design. Comme quelque chose de sacré que les autres, les clients, les non-designers, ne peuvent comprendre. Mais si l'on souhaite affirmer son expertise, il serait peut-être temps d'accepter que les amateurs puissent aussi pratiquer et s'améliorer, s'ils veulent continuer d'aller sur les plates-formes : alors laissons-les ! Bien entendu cela n'enlève pas les possibles dérives du système, ni l’idée selon laquelle on peut obtenir « du sur-mesure pour le prix d’une barquette surgelée » (B. Fluzin). On se plaint suffisamment du mauvais goût des clients, qui s’attachent souvent à la simple enveloppe visuelle, sans considérer les aspects de sens. Accepter que les amateurs puissent apprécier le bon design, en comprenant le travail sérieux qui est effectué en amont serait une bonne chose pour tout le monde. Le professionnel ira toujours au-delà de l'enveloppe esthétique. Son expertise associée à une véritable stratégie commerciale lui permettra de s’armer contre certains clients.

« Le CS, non pas qu'il s'agisse d'un faux problème. Sous l'angle de la déontologie, c'est un vrai problème. Sous l'angle de la stratégie commerciale : c'est un faux problème. » (F. Caspar)

Le CS va être utilisé de plus en plus. Mais il n’est pas structurel, et ne le deviendra sans doute jamais. Il ne remplacera pas les agences ou les free-lances. Dans le cadre d’une idéation, il pourrait déboucher vers une forme de collaboration (mais cela est surtout valable dans le cas d'Eyeka : « Pour un Creads ou autre cela peut être di fférent » précise Y. Roth).

« Parce qu'on sait que les clients aiment travailler avec leur agences. » (Y. Roth) Le contexte sensible du design permet au business de s'engouffrer dans un créneau plus facilement. Il s’agit d’un électrochoc qui doit amener le professionnel à se poser les bonnes questions. Se faire Uberiser n'arrivera pas pour les meilleurs, mais les débutants ou les graphistes qui habitent dans des déserts économiques risquent d’avoir plus de mal. Il faut bien savoir que les personnes opposées au CS sont face à la communication positive des plates-formes. Mais tout ne fonctionne pas. Il ne sera pas possible de remplacer le travail complet d’un créatif ou d’une agence. Le risque est surtout du côté des plates-formes. Vont-elles encore attirer les personnes talentueuses si elles ne leur permettent pas un juste retour sur leur investissement ou une réelle reconnaissance ? Finiront-elles par être désertées par les professionnels découvrant qu'il n’est pas toujours possible de mettre le logo de la marque dans leur book alors que c'est exactement ce qui les pousse à participer ? Comme de nombreux modèles du web, les startups de CS ne sont pas à l’abri d’une baisse d’intérêt de la part de la foule. Il est important pour ces jeunes entreprises du web de pérenniser leur activité. L’ultime question est de savoir s’il est possible pour ces plates-formes de garantir à leur clientèle une réponse de qualité tout en effectuant un repositionnement de leur modèle sur le plan éthique.

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VI. Annexes  

1) Entretiens  

Yannig  Roth  (entretien  N°1)  Responsable marketing d’Eyeka, le 8 avril 2015 dans les locaux d’Eyeka (Paris) Les présentations se font en présence d’Éric Favreau et Yannig Roth, qui me montrent rapidement les locaux d’Eyeka et les différents pôles de travail. Le cadre ressemble à une agence de communication de taille moyenne sur un seul niveau dont le cœur est une salle de réunion aux parois de verre autour de laquelle gravite un open-space à taille humaine. Je conserve le souvenir d’une ambiance calme et studieuse sans faux-semblant « fun » comme cela m’avait frappé chez Creads. Pendant la première partie avec Yannig puis avec Éric, il y avait une visio-conférence dans l’aquarium central pour présenter probablement un concept avec un client, des méthodes de travail qui cadrent avec l’activité ancrée dans le digital. La majorité des employés semblaient rassemblés dans cette pièce, durant les entretiens on pouvait parfois entendre des applaudissements. Damien Henry : Le sujet de mon étude est de comprendre comment le crowdsourcing (CS) créatif peut s'inscrire dans le paysage de la création graphique. Nous allons commencer simplement en parlant d'Eyeka : avec de nombreux modèles présent sur le web, comment votre plate-forme se différencie-t-elle des autres ? Yannig Roth : Pour commencer, Eyeka a commencé en 2006, comme quelque chose qui ressemblerait à ce qu'est aujourd'hui peut-être iStockphoto ou Shutterstock. Le principe était de faire ça aussi pour de la vidéo - alors peut-être qu'aujourd'hui ces sites proposent aussi de la vidéo285 - c'était encore un peu tôt à ce moment. Une manière d'alimenter la plate-forme en contenus était d'organiser des concours, au départ non-brandés (sans être assimilé à une marque) : « la meilleure photo de paris », des photos ou vidéos sur un thème, ce genre de choses... Ensuite des marques sont venues ou ont été approchées par des propositions de concours sur des thématiques particulières, et c'est à partir de 2008/2009 que les concours ont commencé de manière régulière sur Eyeka. Aujourd'hui c'est une plate-forme de concours qui, il y a encore 2 ou 3 ans se définissait elle-même comme une plate-forme de co-création. On parle maintenant de CS parce que c'est plutôt une description plus objective et transparente de ce que c'est, plutôt que de parler de co-création, qui est quand même un peu une grande idée sur laquelle on ne peut pas mettre grand chose derrière... Donc aujourd'hui on fait du CS, quasiment exclusivement des concours. Le chiffre d'affaire et les revenus d'Eyeka ne viennent que de là, pas d'autre chose ; ou alors de choses liées aux concours comme des workshops, que l'on décrira après. Le principe d'Eyeka est de faire des concours d'innovation, de

285 En effet les plates-formes comme Pond5 ou istock proposent depuis quelques années des vidéo ou des templates Aftereffect.

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design, de packaging, d'expériences - donc d'idées globalement - ou alors de contenus : print ou vidéo, pour des grandes marques. Je m’occupe ici de la veille concurrentielle et du marketing, en terme de veille je regarde ce que font les autres plates-formes. Le positionnement d'Eyeka est différent des autres plates-formes de 2 manières : C'est premièrement d'être la vraiment la seule plate-forme à être présente sur tout le continuum marketing, de l'idée jusqu'au contenu : de l'idée du design, du pack, du graphique, de l’inspiration créative pour des études de marché ou de la production vidéo par étapes - Eyeka est la seule à proposer ce panel de différents types de concours, alors que les autres plates-formes sont plus spécialisées sur le design graphique, l'identité, la vidéo... - on a pas mal de concurrents sur ce secteur - Nous sommes les seuls à proposer cet ensemble. Le second point de différenciation, c'est qu'Eyeka est une des seules - pas la seule cette fois mais bien une des seules - à travailler exclusivement avec des grandes marques et des grandes entreprises. Non pas par snobisme ou par facilité - parce que ce n'est pas forcément plus simple - mais tout simplement parce que stratégiquement, c'est quelque chose de plus intéressant que d'avoir comme par exemple 99design (c'est une plates-formes ouverte). Nous la manière dont on fonctionne : c'est d'avoir des gens qui viennent voir les marques ou bien à l'inverse des marques qui viennent nous voir- (on a les 2) qui disent : « Il y a des concours, vous pouvez en faire, voilà comment vous pouvez utiliser Eyeka. Est-ce que pour votre marque, votre stratégie digitale ou votre stratégie d'innovation, vous avez besoin de créativité nouvelle qui en plus ne vient pas d'une agence, mais de vrais gens, de consommateurs, de designers, de graphistes, etc... » On travaille donc exclusivement avec ces grandes marques tout d'abord car cela représente un certain coût de travailler avec Eyeka - on pourra en parler après - mais aussi parce qu'on s'est rendu compte qu'il était bien plus intéressant de se concentrer sur un certain nombre de marques. On doit avoir à l'année 20 à 30 clients, ce qui n'est pas énorme. Mais certains font plusieurs concours (ex : Unilever, P&G...), ce qui est plus intéressant car ces entreprises ont besoin de beaucoup d'idées et de créativité pour leur marketing. On peut ainsi travailler avec eux plus régulièrement. C'est pour cette raison que le second point de différenciation est de se concentrer sur ces entreprises là, et non sur des start-up ou des entrepreneurs, qui ont aussi un besoin, et sont plus ciblées par d'autres plates-formes. DH : On peut citer l'exemple de Creads, assez orienté sur de la création d'identité pour des petites structures qui se lancent. Ce qui est frappant chez vous, c'est effectivement la présence de grands comptes et une certaine récurrence dans les concours - je pense à Mc Donald's notamment - On peut donc se demander, ce que ces marques viennent chercher de différent par rapport à une agence classique : ce que pensent leurs consommateurs, la diversité ? YR : C'est un peu ces deux choses à la fois. Le seul type de concours pour lesquels ce que fait Eyeka est quasiment frontalement parallèle à l'existant c'est plutôt pour la production de contenu. Un concours va dans ce cas concurrencer certaines agences - bien évidement pas celle qui font des choses pour Cannes - mais certaines agences et des maisons de production. DH : Pas les agences conseils donc ? YR : C'est ça, les agences conseils on a un autre boulot qu'eux, on ne va pas les concurrencer directement pour des raisons évidentes. Alors que des agences de production ou créatives, dans

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certains pays surtout, on sera concurrent sur le contenu. [Partie confidentielle de l’entretien qui concerne une démarche client] Une des raisons pour lesquelles on fait ces projets avec eux, c'est qu'ils n'ont pas d'agence de qualité ou bien meilleure que ce nous pourrions donner. [Non publiable]. Mais pour quasiment tous les autres projets, même en France, il n'y a pas de concurrence directe ou frontale entre ce que fait Eyeka et les autres. Et même : les budgets que l’on prend dans les marques, permettent à celles-ci d'avoir davantage d'idées, de la fraîcheur et de la nouveauté. Ce qu'elles ne faisaient pas avant et n'allaient pas chercher. En terme d'étude de marché c'est comme avoir un méga-brainstorming créati f au début d'un processus exploratoire où les idées sont ensuite validées par différentes méthodologies existantes (Nielsen286, ...). Idem pour la communication, si une marque se demande comment communiquer sur son yaourt ou sa boisson... le CS est devenu une nouvelle manière d'avoir des idées créatives et fraîches venant directement de consommateurs - avec un petit c : un groupe de gens de manière générale, qui n'agit pas en tant que professionnel mais en tant que consommateur, c'est comme ça que je définirais ici ce terme de consommateur - d'avoir des idées de leur part de manière globale, très rapides et non-biaisées. C'est à dire : souvent quand vous faites travailler une agence, vous pouvez en avoir une pour l'implémentation, ce qui est toujours indispensable aujourd'hui, nous on ne va rien implémenter derrière, les marques vont toujours travailler avec leur agence. Par contre en amont, durant la phase très exploratoire d'idéation, c'est là qu'aujourd'hui les marques voient le plus de valeur pour avoir une foule d'idées dans laquelle ils peuvent choisir. C'est là qu'on intervient parfois pour certains cas, où l'analyse est faite en interne ou plus souvent en externe par des sémiologues, sémioticiens, directeurs créatifs ou planners en freelance, des personnes, quel que soit leur terme, qui ont une expérience de planning et de stratégie de marque. Ces personnes font une analyse des entrées pour donner des grandes tendances, des concepts : Par exemple, McCaan-Chine, qui lançait un concours pour Coca-cola, son client, cherchait de nouvelles idées pour communiquer le goût de la boisson. Ils ont eu, je ne sais pas combien, mais des centaines d'idées qu'ils ont clusterisées en grandes tendances, et de choisir ensuite ce qui, d'après la marque et les personnes qui travaillent sur ce compte au sein de l'agence, leur paraît le plus prometteur. Évidement c'est aussi testé avec des instituts d'études en parallèle. Une bonne partie de la valeur d'Eyeka aujourd'hui pour les marques est donc d'ajouter un gros shot de créativité où avant ce n'était pas vraiment possible… où on avait un brainstorm287 ou un benchmark288. Et donc c'est ça la valeur. Ce qui fait que du coup, parfois, c'est plus cher, plutôt que moins cher. Mais c'est aussi plus efficace car ça va plus vite, pas toujours, mais souvent ça va plus vite dans le sens où on a des idées : et on trouve la bonne. D'ailleurs, cette approche là est risquée parce que parfois des clients qui lancent des concours sur Eyeka qui disent : « C'est pas mal, mais j'ai pas trouvé la bonne idée ». Ce qui fait parti du jeu. 286 http://www.nielsen.com/fr/fr/about-us.html est un important cabinet d’audit de consommateurs 287 Terme souvent utilisé en agence pour désigner un processus collectif de recherche d’idée. 288 Le benchmark est un terme marketing pour désigner une démarche d’observation et d’analyse des performances atteintes et des pratiques utilisées par la concurrence ou par des secteurs d’activité pouvant avoir des modes de fonctionnement réutilisables par l’entreprise commanditaire du benchmark. “Une pêche aux bonnes idées” http://www.definitions-marketing.com/Definition-Benchmark

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C'est aujourd'hui là qu'est la plus grande valeur d'Eyeka. On va ressortir aujourd'hui ou demain un rapport sur l'évolution du CS289 dans le temps et on s'aperçoit que le CS d'idées est toujours minoritaire en comparaison avec celui de contenu, mais que cela commence à prendre de plus en plus de place. À Eyeka, nous voyons donc stratégiquement un avenir plus important dans ce type de CS d'idéation, ce brainstorming créatif global, rapide et visuel. Nous voyons plus un avenir dans cette forme, que dans l'externalisation globalisée et souvent low-cost de la production (vidéo ou print). On ne dit pas que la production n'est pas un métier noble, mais plutôt que l'on voit plus de valeur dans une étape comme le story-board ou l'idéation qu'ensuite dans l'implémentation. On s'est aussi rendu compte que les marques avaient bien plus envie de contrôle que ce qu'une foule leur permet d'avoir et préfèrent donc travailler avec leur agence. Si demain Eyeka, on l'est déjà, veut être plus structurel dans l'écosystème créatif, c'est d'avoir une vision à terme où le brainstorm créatif est global, rapide et systématique : parce que ça permet d'avoir plein d'idées. Bien sûr, rien ne garantie que l'on trouve LA bonne idée, jamais. On ne pourra donc jamais garantir nos résultats. La vision c'est ça : plus d'idéation, pour permettre aux marketers et aux agences d'être plus créatives plutôt que d'être dans la production où on va remplacer des personnes existantes parce qu'on est moins chers. Parfois on le fait, parce que des clients le demandent, et qu'on ne leur dit pas non - Parfois on dit non d'ailleurs - Mais ce n'est pas là fondamentalement qu'est l'avenir du CS. L'avenir du CS, pour nous c'est proposer de l'inspiration créative venant de consommateurs et d'individus du monde entier, pour des problématiques de marque, de manière systématique et relativement peu cher. Ce n'est pas dans la production ou dans le remplacement de ce font déjà des gens très bien, et bien mieux que nous. DH : C'est pour cette raison que vous ne divulguez pas toujours les résultats produits qui font partie d'un projet à plus long terme. Il y a un passage de relais je suppose ? YR : D'ailleurs, il peut y avoir des difficultés, lors de ce passage de relais. Il arrive que des agences ou les personnes qui ont initié le projet au sein des entreprises finissent pas ne rien utiliser ou que cela se perde dans les différentes arcanes de la validation, de la R&D... des nombreux autres projets qu'ils ont en tête. C'est donc quelque chose qui peut se perdre. Soit parfois si d'autres personnes reprennent le projets - le successeur du gars qui a lancé le projet au niveau de la marque ou alors l'agence qui travaille pour l'initiateur du projet... - il y a aussi un risque de perte à ce niveau là. C'est un des problèmes fondamentaux du marketing, pour lequel Il n'y a pas encore beaucoup de solutions aujourd'hui, le fameux syndrome not invented here. Personne en interne ne va challenger le projet, il n'y a pas quelqu'un qui est là en permanence, ce n'est pas notre job en tout cas, ou bien il faudrait que l'on change de positionnement et qu'on soit vraiment comme une agence en accompagnant la suite du projet, ce que l'on ne fait pas pour le moment. De ce fait, les idées ou des choses se finissent parfois par ne pas être utilisées et se perdent. C'est un gâchis d'argent pour la

289 http://eyeka.pr.co/99215-eyeka-releases-the-state-of-crowdsourcing-in-2015-trend-report

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marque, à nuancer bien sûr, puisque c'est une expérience, il y a de l'apprentissage et ils ont eu des idées... C'est une des difficultés du CS. En prenant cette posture là, on ne contrôle pas la mise en place, l'implémentation. In fine, ça n'appartient qu'à l'entreprise de savoir si elle utilise ou non ces idées ou ces créations. Notre positionnement aujourd'hui fait que c'est une chose que l'on accepte, comme un problème fondamental de ce que l'on fait. On essaye surtout de faire au mieux pour savoir ce qu'il se passe après. Mais plus le temps avance et plus le client utilise les idées ou les vidéos à la suite d'un concours. DH : J'ai déjà une bonne partie de la réponse, mais comment faites-vous pour accompagner le client entre le moment où il vient frapper chez vous et celui où vous livrez le projet ? YR : En guise d’introduction je dirais que notre travail ici c'est à mon avis deux cœurs de métier : Le premier étant de connaître les clients et de savoir leur parler, comme une agence finalement. Le second est de gérer les projet de CS sur une plate-forme : la gestion de projet, l’activation d'une communauté, représente une bonne partie du cœur du métier. Mais il n’y pas que ça : il y a plein de gens capable de construire des plates-formes, plein de gens qui ont des communautés, théoriques - ne serait-ce une marque sur Facebook. Mais de pouvoir aller transformer la valeur de la communauté, de dire aux marques comment on peut ou non les aider - premier point important - et ensuite de transformer ce business brief (décrit plus bas), cette problématique, en quelque chose de cohérent sur une plate-forme : là c'est une autre compétence, car derrière il y a tout le project-managment. Donc pour résumer comment ça se passe : Au départ un client vient voir Eyeka et dit : « j'ai telle problématique d'innovation, de communication... ». On commence par lui dire si on peut ou non répondre à sa demande. Il y a des choses que l'on ne peut pas faire comme : « vendre plus d'alcool en France » (on ne peut pas demander des idées sur ce thème en France). On s'interdit également de faire des concours pour le tabac par exemple - mais on n’a pas empêché Gleeden (Site de rencontres extra-conjugales), il n’y a pas longtemps, ma copine me le rappelle assez souvent ! - Donc on a des barrières éthiques mais ce n'est pas le motif de refus principal. La frontière principale, c'est : peut-on externaliser ça via un concours à une foule ou pas ? Il y a des choses que l'on ne peut pas externaliser par exemple des clients demandent une stratégie 360° digitale (activation, pub tv, expérience retail, etc...), et on dit toujours : on ne demande qu'une chose à la fois par concours. Tout d’abord car les personnes ne sont pas payées pour, il faut donc que ça les intéresse et qu'ils puissent identifier la tâche à faire et non faire 360°... DH : Ils ne sont pas pro pour la plupart... YR : C'est surtout qu'ils n'agissent pas en tant que pro. On considère que les personnes qui ont des idées qui veulent s'engager dans un projet, n'ont envie de développer qu'une seule idée, mais pas une campagne entière. Ils savent d'ailleurs très bien que c'est le job d'une agence. Dans ce cas, on dit au client, lorsqu'ils ont des demandes très larges comme celle-ci, que l'on ne peut pas le faire, à moins de lancer 15 concours… Un concours correspond à une problématique. C'est donc assez rare qu'un client lance de nombreux concours différents, simplement parce qu'il se rend compte qu'ils n’ont pas besoin

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de tout ça, juste d’une idée peut-être ou d’une idée d'activation et tout le reste sera fait avec son agence. Donc la première étape c'est : le client vient nous voir et on étudie la faisabilité. Si on continue ensemble, qu'Eyeka peut les aider et que cela peut intéresser la communauté. On écrit alors un business brief, comme en agence, qui est une description de la problématique : quels sont les concurrents, les contraintes, les résultats attendus... Une fois ce business brief validé et signé, on passe ici du côté de nos planners internes, à l'écriture du brief communautaire : c'est donc transformé et adapté au format standard, ce que vous voyez sur le site, mais c'est toujours un teaser, une explication, des guidelines spécifiques lorsqu'il y en a, des contraintes, etc… On le montre au client, si celui-ci comprend : très bien. S'il demande des choses plus spécifiques, on lui précise qu'il faut surtout rester dans un langage rigolo et créati f, pour les personnes qui ont envie de s'amuser sur le projet… que ça ne soit pas trop marketing, ce ne sont pas des agences. Il ne faut pas oublier que c'est un appel à participation. Les personnes doivent avoir envie de participer. Parfois, il faut donc expliquer que ce community brief doit être un peu plus relâché qu'un brief d'agence plus serré. C'est notre expertise. Une fois cette étape validée, on lance ce brief, après l'avoir traduit en différentes langues, rarement moins de 6 (les standards Eyeka : Russe, Indonésien, Chinois, Français, Anglais, Espagnol) et jusqu'à 12... Il est assez rare de ne faire que deux langues, même si cela arrive de plus en plus. Ensuite, on lance le concours et on modère les entrées. On dit aux participants qui soumettent les idées c'est bien ou c'est pas bien, c'est accepté ou non. On explique pourquoi. On ne juge jamais sur la qualité, mais uniquement sur la conformité au brief. Donc si quelqu'un a une très mauvaise idée, mais que ça reste conforme au brief : on prend. Si au contraire l'idée est excellente, magnifique ou avec un potentiel énorme, mais hors-brief : on rejette. On explique pourquoi et on dit ce qu'il faut revoir. DH : Il y a donc ce rôle de conseil, comme intermédiaire concepteur-client. YR : On est totalement intermédiaire. DH : Comme lorsqu'une agence sous-traite à un graphiste indépendant ? YR : Oui ces petits allers-retours ont pour objectif de rester dans les cordes, d'où l'importance primordiale d'un bon brief de départ. Notre modération intervient surtout pour cette adéquation, ou alors pour des choses plus techniques qui sont fondamentales, comme des aspects juridiques - que vous verrez avec Eric Favreau - sur le respect du droit d'auteur. Si on trouve que certaines choses ne sont pas respectées ou que le participant a pompé sa proposition ailleurs, on va demander. Lorsque l'on clôt la modération, on ne donne pas encore accès au client aux entrées, on leur montre les idées souvent dans une restitution faite par les planners, parfois avec l'analyse, si on a une personne en free-lance, celle-ci informe le client sur ce qu'il a vu et analysé. Une fois que l'on a restitué notre analyse. On donne accès au client à toutes les entrées. Notre rôle est surtout de donner au départ une grille de lecture au client, si on lui livre de manière brute les données, par expérience on sait que cela n'est pas très bon, le client se dit « qu'est-ce que c'est que toutes ces idées qui vont dans tous les sens ?... ». Dans notre façon de pratiquer le CS, c'est fondamental, car c'est difficile d'encaisser de manière brute les idées venant de l'extérieur. Digérées et analysées : ça passe mieux.

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À la fin, on donne au client la clé des plates-formes : ils ont un backoffice qui leur ai dédié. Et on leur laisse la main. Il valident eux-mêmes les gagnants, font des short-lists, en discutent en interne... et valident les gagnants. Et enfin (Éric va savoir ça) nous nous occupons de tout ce qui est transfert de propriété intellectuelle… et c'est fini pour nous. En terme d’implémentation, si c'est utilisé ou non. On a géré les droits et ensuite on passe le bébé à l'agence ou à la personne qui va continuer le projet. DH : Parlons à présent de l'aspect communautaire : on se demande, en arrivant sur le site, avec un mur qui génère de manière aléatoire des profils de créateurs, ce que représente pour vous cette communauté, de personnes finalement en concurrence mais qui sont présentées tous ensemble comme une grande famille. Pourquoi ce terme ? YR : Depuis le début, Eyeka a toujours parlé de communauté, et je ne vois pas trop quel autre terme on pourrait utiliser. Foule ? Je trouve ça réducteur, je n'aime trop pas ce terme. Pour ma thèse on m'a demandé dans ma pré-soutenance si l'on pouvait effectivement parler de communauté, comment on la définit, etc... Et c'est indispensable de définir cette notion. Les médias, les clients, et même les gens de la communauté souvent prennent pour argent comptant ce terme : 300 000 Créatifs : c'est une communauté. Si l'on prend ce terme au niveau sociologique comme un ensemble d'individus qui partagent des lieux, des initiatives, des moments d’échanges ou un objectif commun : alors Eyeka n'est pas une communauté. En effet ils sont en concurrence, il n'y a pas de possibilité d'interaction, sauf par les réseaux sociaux - Auparavant il y avait un espace d'interaction sur lequel ils pouvaient envoyer des messages mais on l'a supprimé car cela nous apportait peu : cela nous coûtait beaucoup d'argent pour finalement peu d'utilité pour nous. On se disait « autant que les gens puissent se mettre en relation entre eux via leurs réseaux plutôt que via Eyeka », puisqu'au fond cela n'avait pas d'utilité. Finalement on pourrait presque dire qu'Eyeka n'est pas une communauté au sens sociologique. Si par contre, on élargit le terme à un ensemble de personnes qui partagent une pratique ou une passion, comme pour airB&B, Balablacar, ou autres - car tout le monde utilise ce terme en fait - Alors la compréhension populaire du mot communauté devient ce qu'elle est : on peut parler de communauté pour un mur de gens qui sont en concurrence… Cela dépend en fait de la manière dont on définit le terme. À ce niveau on peut parler de communauté, et on continue donc à le faire. Il y a peu d'interactions entre les gens. Ils venaient au début sur Eyeka pour le feedback qu'il était possible d'avoir sur ses créations, mais on a enlevé ces fonctionnalités parce qu'on se rendait compte qu'il y avait beaucoup de bashing, des gens qui disaient « ça c'est nul... ». Ce système n'existe plus aujourd'hui, tel quel. Cela frustrait des gens qui voulaient avoir la possibilité de voir ce que faisaient les autres parce que ça fait parti du processus créatif de pouvoir un peu regarder ce qu'il se fait, surtout pour un concours avec une problématique donnée. On a ajouté une fonctionnalité qu'on appelle le Feedback circle qui consiste à pouvoir à la fin d'un concours, seulement, de voir ce que font les autres, et uniquement si votre création a été acceptée. DH : Pas comme wilogo où il est possible de voir ce qui se fait ...

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YR : Ha oui ? Parce qu'il y a aussi plein de créatifs - plutôt des participants - qui disent « je ne veux surtout pas qu'on voit se que je fais et qu'on me vole des idées », le vieux reflex est toujours là puisque 90% des soumissions se font dans les dernières 6 heures à peu près. Ce qui inquiète aussi nos clients ! Mais systématiquement c'est ce qui se passe. Bien sûr il y a aussi l'aspect procrastination mais je ne peux affirmer si c'est aussi parce que les gens s'y prennent au dernier moment. Le côté communauté est ambiguë c'est vrai : pour certains voulus pour d'autres participants non-nécessaire. On peut en effet se demander s’il s'agit d'une communauté : nous on essaye de parler au maximum de communauté et de favoriser la connaissance des autres via « le créateur du mois » mais quand on y pense vraiment, ce n'est pas comme une communauté familiale, open source qui co-crée le même produit ensemble. DH : Au final, le fait de pouvoir se noter n'a de toute façon aucune influence sur le résultat du concours ? YR : Non, on ne s'en sert pas, cela permet aux créatifs de se juger entre eux. Avant ce système là, certains gagnaient des concours et lorsque cela devenait ouvert (quand tout le monde peut voir les créations) tous les participants critiquaient le gagnant : « c'est de la merde ! Pourquoi il a gagné le premier prix ? » et l'inverse était vrai aussi : des personnes faisaient des boulots absolument superbes qui ne gagnaient pas… Le principe même du concours génère une frustration. Avec ou sans ce système d'interaction des participants, cette frustration existera toujours. Les personnes de mauvaise foi ne comprennent pas, ou alors ils sont juste un peu naïfs, que tout choix créatif est basé sur un historique précédent et une subjectivité : le client n'aime pas forcément une chose que toute la foule aime bien. Le client peut être ringard si on veut dire ça comme ça ! Ils peuvent donc aimer une idée qui n'est pas du goût de tous et surtout : les entreprises ont leur propre historique créatif, des expériences sur ce qui fonctionne ou pas et savent très bien ce qu'il y a dans leur département R&D ou dans les tiroirs, si parfois l'idée est super bien notée parce qu'elle est géniale mais que le client l'a déjà eue et qu'il a vu que cela n'avait pas marché, ce que la communauté ne sait pas, il peut y avoir des frustrations ; mais là il s'agit plus d’asymétrie de l'information. Notre rôle c'est justement de lever ces mauvaises compréhensions mais on ne peut jamais les faire disparaître totalement. Le feedback circle, comme mécanisme, est toujours une manière pour nous de faire en sorte que la communauté puisse avoir un mot à dire, ça fera peut-être réfléchir le client. Mais même sur des shortlists effectuée en interne par Eyeka, très souvent le client choisi d'autres gagnants. Parfois ils regardent les notes du feedback circle, par curiosité, mais très souvent ils choisissent leurs propres gagnants. Heureusement d’ailleurs. C'est finalement plus une manière de faire interagir les gens qu'une façon d'aider le client ou même Eyeka à sélectionner les gagnants. Le client fait sa sélection de manière assez isolée. DH : Dernière question, vous imaginez le modèle d'Eyeka évoluer vers de la création d'idées. Il est souvent reproché aux plates-formes de CS d'être une façon d'externaliser à moindre coût. Le terme de travail spéculati f a fait son apparition et il est aussi associé à un dumping social. Quand on vous accuse de faire du perverted CS, quels sont vos arguments face à ce type de remarques ? YR : On y pense souvent, et donc on sait répondre sur le côté légal (avec Éric) ou éthique.

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Effectivement, si l'ensemble, voir 10% du travail créatif, se fait par l'intermédiaire de concours et non en collaboration directe avec des agences ou des personnes en freelance qui ont un rôle de conseil et d'accompagnement. Si une part significative devient crowdsourcé dans les concours, c'est certainement néfaste pour une profession ou peut-être même pour une société. Je n'ai aucun doute là dessus, avec mon recul et parce que cela paraît assez évidemment aussi. Aujourd'hui, il n'y a pas de travaux parus sur les dommages. J'aimerai beaucoup avoir ce genre de retours chiffrés de l'influence du CS sur une profession créative par exemple ou sur la société, notamment le manque à gagner en terme de taxe, etc… Aujourd'hui rien n'est prouvé, tout simplement aussi parce que c'est peut-être un trop petit problème pour la société et qu'il n'y a pas encore de gros cabinets ou de gros ministère qui s'est penché sur la question. Si cela devient systématique, pour tout travail effectué, c'est une mauvaise chose. Même si on a pas encore prouvé le côté négatif par des chiffres c'est mon ressenti. On peut parler de perverted CS, de choses néfastes, etc... la seule chose c'est : tant que l'on se situe, en tant qu'entreprise ou marque, dans une proposition et pas dans une imposition, toujours à la condition que cela ne devienne pas systématique - je pense que cela ne fait de mal à personne. Parce que ça ne force personne. Cela fait plus de bien à beaucoup de gens qui enrichissent leur book et tout ce que l'on dit sur le CS et les motivations - qui sont toutes vraies - ça fait plus de bien pris pour argent comptant que de mal, qui aujourd'hui n'est pas prouvé. Tant qu'on est dans un rôle de proposition et d’offre parce que ça reste gratuit un concours, c'est idiot à rappeler mais cela reste gratuit pour les participants et cela a un coût pour une plate-forme d'acquérir un concours, même si on le vend comme une prestation, cela a quand même un coût. C'est une proposition de valeur gratuite qui reste individuellement positive pour les créatifs mais peut devenir négative pour la profession si elle devient systématique. Cela revient à mettre en compétition des choses qui pourraient être beaucoup plus normalisées avec des taxes, alors que pour le moment cela sort du cadre réglementaire. On a vu (avec éric) d'un aspect légal que tant que l'information proposée est transparente et qu'on ne trompe personne sur la manière dont sont sélectionnés les créations où sur le transfert d'idées. On juge que les règles qu'on met en place sont justes : c'est à dire que toutes les personnes qui participent à un concours ne cèdent pas leurs droits, il ne cèdent qu'un droit d'être inspiré des idées, etc… on juge que ce n'est pas abusif comme clauses. Même à ce niveau, je me demande si c'est bien du perverted CS dans le sens où on informe au départ, et encore une fois : que personne n'est obligé. Finalement, le point le plus important : étant donné que tout le monde est dans l'autonomie, dans la liberté la plus totale de participer. J’ai des difficultés à voir ce que gagnent les personnes qui veulent faire interdire activement le CS. Je ne pense pas qu'ils se rendent compte qu'en interdisant les plates-formes cela généra bien plus de déception du côté des créatifs, que cela faisait bien marrer ou qui gagnaient des concours - ou même des profs ou des étudiants - qui trouveraient ça dommage, que de personne qui diraient « ha enfin on a enlevé ça ». C'est une réponse qui est débattable, j'aimerai beaucoup en débattre plus que l'on ne le fait aujourd'hui. Légalement on « est dans le droit ». On n’est pas Uber sur uberpop. Après si quelqu'un veut nous attaquer… c'est une proposition pas une imposition. Ce n'est pas encore structurel et ça ne le

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deviendra certainement jamais je pense. Le CS va être utilisé de plus en plus, mais ça ne remplacera jamais les agences ou les free-lances. Ce qu'on fait nous c'est mettre en compétition. En plus cela mène les personnes créatives à se poser une question sur le vrai rôle du créati f c'est à dire : d'augmenter la valorisation de leur travail d'accompagnement. Évidement les personnes opposées au CS ne se rendent pas compte des difficultés qu'il y a parfois dans les concours en terme d'incertitude et de qualité du travail à délivrer pour produire de bons projets (autrement dit : tout ne fonctionne pas). Ils sont face à notre communication positive, mais tout ne marche pas, et nous on sait très bien qu'au fond ça ne peut remplacer le bon travail créatif d'une agence ou de quelqu'un. Bien sûr, on ne le dit pas comme ça. On est dans un discours positif : ça marche, les résultats sont excellents... Cela fait peut-être peur aux gens qui trouvent que c'est perverted, et ils ont le droit d'avoir cet avis. Mais, au fond, je ne pense pas que cela devienne menaçant à l'échelle d'un Uber pour les taxis par exemple. Parce qu'on sait que les clients aiment travailler avec leur agences. Mais cela est surtout valable dans le cas d'Eyeka : pour un Creads ou autre cela peut être différent. Fin de l’entretien

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Éric  Favreau  (entretien  n°2)  Responsable juridique d’Eyeka, le 8 avril 2015 dans les locaux d’Eyeka (Paris) Les présentations se font en présence d’Éric Favreau et Yannig Roth, qui me montrent rapidement l’agence et les différents pôles de travail. Le cadre ressemble à une agence de communication de taille moyenne sur un seul niveau dont le cœur est une salle de réunion aux parois de verre autour de laquelle gravite un open-space à taille humaine. Je conserve le souvenir d’une ambiance calme et studieuse sans faux-semblant « fun » comme cela m’avait frappé chez Creads. Pendant la première partie avec Yannig puis avec Éric, il y avait une visio-conférence dans l’aquarium central pour présenter probablement un concept avec un client, des méthodes de travail qui cadrent avec l’activité ancrée dans le digital. La majorité des employés semblaient rassemblés dans cette pièce, durant les entretiens on pouvait parfois entendre des applaudissements. Damien Henry : En guise d'introduction je vais vous demander de m'expliquer sur quel type de concours Eyeka se positionne de manière générale, vous parlez de concours ouverts, participations confidentielles ou concours confidentiels où vous situez-vous aujourd'hui ? Éric Favreau : Il y a deux axes en fait : La liberté de participer, la restriction quant à la participation. Ensuite il y a la liberté de la diffusion ou la restriction en ce qui concerne la communication des contributions. Ces deux axes peuvent se rejoindre mais peuvent être différents sur la notion d'ouverture ou de fermeture. En ce qui concerne la participation des appels à création, la plupart sont ouverts sans restriction. L'idée étant pour le client d'obtenir un maximum de participations. Le principe c'est de mettre en ligne l'appel à la création, et réponde qui veut. À partir du moment où on est intéressé et on a créé un compte d'utilisateur sur le site, la participation est conditionnée à la création d'un compte. Il peut y avoir des restrictions liées au client qui demande un focus sur un public particulier, ce qui induira des restrictions : « je ne veux que des gens qui sont dans tel pays ou telle zone géographique », cela peut aussi faire partie des habitudes du client de ne contracter qu'avec des gens de certains pays ou d'exclure les pays qui le mettent mal à l'aise. Le cas de clients américains qui, on le voit souvent, ont pour habitude dans les opérations en ligne d'exclure de la participation des ressortissants de pays avec lesquels il n'est pas possible contracter librement, comme Cuba... Il y a aussi des restrictions liées au produit. Par exemple, si l'on fait un appel à la création sur des produits alcoolisés, forcément on ne nous permet pas tout. DH : Ou le tabac ? ÉF : Le tabac on ne fait pas. Mais par contre les produits alcoolisés on en fait, avec une restriction de participation liée à l'âge. En ce qui concerne la communication autour des contributions. Aujourd'hui en effet il y a un principe de non-diffusion des contributions. Ce qui n'a pas toujours été le cas à Eyeka. Aujourd'hui, si vous allez sur le site, vous n'avez pas accès à l'ensemble des contributions qui ont été mise en ligne par les participants. Ce qui permet au client de conserver une sorte de fraîcheur et de confidentialité sur les contributions. Il n'y a pas diffusion ouverte sur celle-ci aujourd'hui. DH : Même après la diffusion des résultats c'est bien ça ?

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ÉF : Oui. Après cela dépend des appels à création, mais la règle c'est que, comme vous le disiez290 on est souvent en amont par rapport à ce que le client fera au final, le résultat précis de l'appel à création n'est pas forcément pertinent tout de suite pour le client. Pour celui-ci c'est peut-être parfois trop tôt aussi, car il a besoin d'affiner et retravailler cette contribution. Il y a tout de même une petite exception à ce principe : pour les participants, il sera possible dans une durée limitée d'accéder à l'ensemble des contributions soumises et validées à la fin de l'appel à la création. Dans un esprit d'émulation.291 DH : Yannig m'en a parlé en effet, si vous voulez on peut aborder les droits de la PI, c'est vrai que pour un créatif c'est un peu obscur, dans votre article « Travail ou pas ?...292 » Vous avez bien défini des cadres d'autonomie en précisant les notions d'interaction qui entrent en jeu et pouvant s’inscrire dans un cadre de travail. Toutes ces notions juridiques font qu'il y a des frontières assez fines entre le travail et un concours. Sur votre site vous essayez d'être assez transparent vis à vis de tout ça. Mais la proximité entre l'activité professionnelle, le temps passé et la cession des droits semble brouiller la perception que l'on a de ces concours. Quelle est votre position sur ces sujets ? ÉF : Il y a en effet la notion sur le temps passé, vous le disiez, il y a une limite un peu ténue et parfois en fonction de la façon dont ça s’organise au quotidien. Le risque ou la tentation de qualifier cela de travail est plus importante et n'est pas forcément la même en fonction des appels à création ou de la nature de la plate-forme. Vous parliez tout à l'heure de Creads, eux ont vécu de plein fouet cette problématique qui ne portait pas forcément que le travail salarié ou pas mais aussi du « comment récompenser cet acte de création, ce travail, à l'issu duquel seul une ou deux personnes seront récompensées ? ». C'est un constat de déséquilibre entre un travail effectué et une récompense. Comme Creads, est sur un public plus sensible - les graphistes - cela crée une grogne particulière au delà des considérations juridiques. Voilà pour le contexte. Au quotidien, Eyeka insiste sur la liberté de création. On est sur une logique d'appel à la création ouvert où on agit vraiment comme un intermédiaire entre les marques et les créateurs, ce qui fait que ces derniers ont une totale liberté, une totale autonomie, il n'y a pas de contrôle, ou alors un minimum de contrôle imposé par la plate-forme, qui n'induira pas sur la qualité de la création. La personne n'a pas à rendre de compte et reste libre du temps, du budget ou de l'énergie qu'elle consacre à un concours. On a uniquement un contrôle en ce qui concerne l'upload, pour constater la conformité du brief qui doit être respecté. Mais en ce qui concerne le processus d'élaboration de la création, là on n'intervient absolument pas et on ne veut pas intervenir pour bénéficier de cette créativité diffuse. Alors c'est sûr : cette créativité n'est pas toujours exprimée de manière professionnelle. Mais ça on le sait, et nos marques aussi. D'où une étape ultérieure de redéfinition et re-travail peut-être. Mais en tout cas, en ce qui concerne la relation entre nous et les contributeurs, il n'y a rien qui puisse être assimilé à une relation de travail en terme de sanction, de contrôle ou de discipline. DH : Tout à l'heure Yannig me disait qu'avant le dépôt officiel, il pouvait y avoir des ajustements demandés aux créateurs. Ces premiers échanges peuvent être considérés comme une démarche 290 Lors de nos premiers échanges en amont de l’entretien. 291 Il y a tout de même des exceptions pour illustrer certains articles sur le blog. 292 Favreau Eric, Lemoine Jean-François et ROTH Yannig, « Travail ou pas? L’autonomie des participants au crowdsourcing et ses implications juridiques ». 2014

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d'accompagnement mais paradoxalement, alors qu'on vous reproche un manque d'échange dans le processus de création diminuant la pertinence des créations. Cela pourrait-il être considéré aussi comme une forme de relation professionnelle ? ÉF : Il y a deux choses : le fait d'induire un travail dirigé peut avoir des conséquences qui n'est pas forcément d'y voir un contrat de travail. En effet, pour obtenir une contribution qui corresponde un peu plus aux attentes du client, on va interagir avec certains contributeurs dans la durée de l'appel à la création pour affiner le projet avant la soumission. On est en effet plus proche du contributeur. Le simple fait de parler à quelqu'un et d'organiser à deux une réalisation de contribution, ça ne vaut pas la création d'un contrat de travail. C'est la distinction que l'on fait entre un prestataire et un contrat de travail : tout prestataire amené à travailler pour une entreprise, à partir du moment où il apporte à celle-ci une compétence qui n'est pas en interne et qu'il agit librement, il reste un consultant, un externe, même s'il est payé. Il ne faut pas fantasmer sur la notion de requali fication en contrat de travail, c'est un risque qui existe pour toute entreprise qui fait appel à des consultants extérieurs, quel que soit la nature de la prestation. DH : On le voit avec les auto-entrepreneurs... ÉF : Exactement, c'est la même logique. On souhaite lever le drapeau en disant : «attention, contrairement à une entreprise classique qui va avoir 3 consultants, là avec le CS potentiellement vous en avez 500 ». La plate-forme prend le risque, pas le client. Comment analyse-t-on cette relation qui est nouvelle ? Il y a 15 ans, ce n'était pas envisageable pour une entreprise d'être confrontée d'un coup à autant de personnes... Donc le risque de contrat de travail est, à mon avis très limité, par contre le risque d'avoir une grogne sur le fait de dire « on me fait travailler et je suis pas payé » existe. C'était ce point dans le litige avec Creads, la notion de travail gratuit : je travaille = je ne suis pas payé. Ça peut se résoudre de différentes manière : « J'estime que dans le cadre de mes relations, j'ai une prestation qui est réalisée et à ce titre je devrais être rémunéré ». Ce n'est pas forcément un contrat de travail. C'est pour cela que dans ces appels à création où on sélectionne certaines personnes avec qui on travaille dans la durée, on est amené à rémunérer celles-ci au titre de la prestation. En plus de la rémunération au titre de la session des droits. Puisque ici les gagnants qui sont sélectionnés cèdent leurs droits. La récompense qu'ils récupèrent est la contrepartie de la cession des droits. DH : Ce sont bien des droits d'exploitation ? ÉF : Oui le droit moral est lui toujours est inaliénable et incessible. DH : Il y a aussi un caractère d'exclusivité ? ÉF : Oui, dans le cadre classique des appels à la création on distingue les gagnants et les non-gagnants. (Sélectionnés ou non). Les personnes sélectionnées sont amenées à transférer leurs droits d'exploitation au profit du client, ils cèdent directement au client. En contrepartie on part sur une rémunération forfaitaire. Puisqu'ils transfèrent leurs droits de manière exclusive, ils n'en sont plus titulaires : c'est comme une vente. Les personnes sélectionnées ne peuvent plus ensuite transférer leurs droits à une autre personne ou entité. Ensuite en addition de ça, il y a en effet une notion de confidentialité. Les contributeurs ne peuvent pas diffuser leur publication ou contribution. Nous sommes dans une logique où le client devra refaire,

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retravailler ou s'inspirer de la création. Une mise en ligne directe peut être dommageable pour le client, donc ce qui est fait en général, si on constate 6 mois ou 1 an après qu'il y a une mise en ligne par le client, les contributeurs peuvent l'utiliser. DH : Ce qui arrive aussi en agence, dans le cadre d'un projet. Mais si un créateur se dit « je vais faire ça pour mon book » qu'est-ce qui est possible ? ÉF : Pour les non-gagnants, c'est un peu différent car ils sont toujours titulaires de leurs droits d'exploitation. Ils peuvent donc utiliser leurs créations, ce qui reste dans une démarche logique d'équilibre entre leurs droits leurs obligations. Par contre, on organise et on essaye d'induire la façon dont ils vont pouvoir utiliser leurs contributions. Toute contribution qu'ils auront soumise à un appel à la création pour lequel ils auront utilisé des éléments de la marque, comme des logos, ou un nom de produit. Tout cela doit être retiré lors de la mise en ligne. On a en effet constaté que parfois des non-gagnants, mettaient en ligne sans aucune mention (disclaimer), ce qui pouvait paraître comme une publicité officielle de la marque. Maintenant on indique vraiment et on insiste sur ce point : ils ne peuvent faire référence à la marque et ne pas indiquer que cela a été validé par celle-ci. DH : En école, on est aussi dans cette logique, sur des projets fictifs cependant, mais avec souvent des cas concrets de véritables marques. Souvent les étudiants mettent ces travaux dans leurs books, faute de référence. Sur une page de votre site, vous indiquez qu'il faut cotiser soit à la MDA ou l'AGESSA, si l'on gagne un concours, en France en tout cas, qu'est-ce que cela veut dire pour le créateur ? ÉF : Oui concrètement, cela concerne le contexte français. Les rémunérations perçues par les contributeurs, le sont au titre de la cession des droits. Ce type de rémunération en France est liée à des charges sociales, qui sont gérées par ces organismes. Nous intervenons comme des intermédiaires, on paye au nom du client, mais par contre on indique aux contributeurs que toute la partie sociale est organisée par ces organismes. On le dit à ceux qui ne le savent pas. Par contre le paiement des cotisations, c'est le client qui le fait, ce n’est pas à nous de le faire. DH : De nombreuses personnes doivent découvrir les arcanes de la MDA, le précompte, le 1% diffuseur...vous les aidez un peu quand même ? Pour un graphiste indépendant c'est déjà compliqué, mais pour un amateur qui ne connaît pas même l'existence de la MDA, il doit se sentir perdu. ÉF : Notre rôle c'est surtout de les informer, après on ne peut contrôler, c'est quelque chose que l'on a validé avec les Agessa, puisqu'on est en contact avec eux. On a vraiment fait en sorte de valider notre rôle. Les agessa, c'est un peu binaire, ils connaissent soit les diffuseurs, soit les auteurs. Le diffuseur c'est celui qui achète les droits et qui le diffuse. L’auteur, apporte ces droits. Nous sommes entre les deux. On joue ce rôle d'intermédiaire. On a donc rencontré les Agessa et on a validé le fait que l'on était ni un diffuseur, ni un auteur bien évidement. Ce n'est donc pas à Eyeka de s'acquitter du précompte, ni du paiement des charges sociales. Cela reste à la charge du client en tant qu'acquéreur des droits. On ne peut donc, en tant qu'intermédiaire, qu'informer nos parties. DH : Bon, c'est un système qui reste toutefois assez obscur, même les graphistes grognent contre la MDA, et en ce moment ils font d'ailleurs pression pour une simplification des démarches. On sait à quel point c'est compliqué aussi bien pour atteindre le statut (comme pour les intermittents) que pour

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informer le client de ses obligations. C'est donc un minimum de service après vente d'aiguiller les créatifs amateurs à faire leurs premiers pas vers ces organismes... En dessous de 15000€, on a souvent une mise en concurrence qui est proposé en guise de concours dans la profession. En quoi ce type de pratique est-il différent de vos concours ? À quel moment peut-on trouver cette rupture entre les appels d'offres ou les mise en concurrence et vos concours ? Qui au final ont la même finalité, même si chez vous il s'agit plus de concept d'idées. ÉF : La principale différence vient de la dimension d'ouverture. On est dans une logique totale d'ouverture, ce qui fait que les personnes qui vont contribuer ne sont pas des professionnels. On pourrait aussi le faire : il n'y aurait pas de grande différence dans le processus. « Pour tel appel à projet j'ai besoin d'un niveau de qualité important, je vais travailler avec des clients dont l'attente en terme de qualité est forte, donc je ne fais appel qu'à des professionnels.» DH : Vous savez qui sont vos créateurs, ceux qui sont vraiment pro, ceux qui ne se considèrent qu'amateurs... ÉF : Si c'est bien rempli oui... La principale différence est donc là : à partir du moment où l'on part dans une totale ouverture d'accès à des consommateurs. En terme de gestion des données, recueil du consentement, mise en place de l'information : c'est un peu plus contraignant. DH : Vous pourriez en effet ouvrir vos concours avec une sélection sur book, comme cela se fait chez les professionnels. ÉF : Oui. Pardon mais quand vous dites appels d'offres, mise en concurrence, c'est quoi en fait ? DH : Des collègues graphistes m'ont parlé de ça, je ne connaissais pas la différence, mais il y a une notion de prix, je ne sais pas s'il s'agit d'un terme officiel. On m'a donné l'exemple de 15 graphistes, ce qui sous-entend que le risque de travailler pour rien est grand et que le client ne sait peut-être pas vraiment ce qu'il veut. Parfois les idées sont bonnes mais le devis est trop élevé… Sur les appels d'offres classiques souvent on demande d’abord des références, puis une sélection se fait sur devis et seulement à la fin une maquette peut être demandée pour un concept. Mais il y a aussi des règles plus strictes qui encadrent ces appels d'offres, et souvent les limites sont franchies. J'aurai pour continuer des questions plus générales, comme pour Yannig, sur votre positionnement lorsque l'on vous qualifie, cette fois au niveau juridique, de générer du travail gratuit ou d'être accusé de faire du perverted crowdsourcing, Tout est certainement dans le discours, dans une communication astucieuse et une très bonne connaissance du cadre juridique. Comment réagissez-vous dans ces situations ? ÉF : Ce n'est pas une critique que nous avons régulièrement, on sait que ça fait parti de l’écosystème, on en est conscient, c'est quelque chose qu'on lit, qu'on prend en considération. Après, la réponse est également contractuelle et juridique en effet. À partir du moment où on fait appel à des consommateurs, on fait appel à des auteurs, il y a aussi un ensemble de dispositions qui protègent les gens. Il y a un soucis de clarté de l'information, de lisibilité des contrats : un contrat d'auteur doit répondre à un certain nombre de dispositions pour qu'il soit valide. On a vraiment conscience de ça. On ne peut bien sûr pas empêcher certaines personnes de ne pas être contentes. On parlait aussi de la

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différence entre les gagnants et non-gagnants, focalisé sur des contributeurs pour lesquels il y a une rémunération: cela fait parti des choses que l'on défend aussi et parfois même vis à vis des clients. Les clients pourraient très bien dire : « je veux tout, je donne 50€ et voilà... » Vouloir organiser un cadre que l'on estime être juste pour les contributeurs, une justice (équilibre) entre les gagnants et les non-gagnants, ça fait parti du cœur de notre activité. On est très attaché à organiser les choses de manière équilibrée vis à vis des contributeurs. En ce qui concerne le travail spéculatif, c'est vrai que pour beaucoup d'appels à création on est sur une logique d'idée, d’innovation assez ouverte, ce qui fait que le ticket d'entrée, en terme d'exigence créative ou professionnelle ou technique n'est pas toujours très élevé. Néanmoins, il peut y avoir quelque chose de pertinent derrière ces idées. Mais les contributions brutes ne sont pas utilisables (dans la plupart des cas). D'où l’intérêt pour nous d'avoir internalisé une logique d'analyse des contenus. Donc le travail sera perdu par le contributeur au moment de la participation. On le met aussi au regard de ça : on ne demande pas aux personnes de venir avec des contributions parfaites, qui peuvent être utilisées dès le lendemain par le client. Il y a souvent un effort nécessaire qui va être fait par le client pour affiner ces contributions. Cela serait peut-être différent si l'on était dans une logique d'apporter des contributions parfaites qui demande du temps, du travail en conséquence, une expertise acquise avec l'expérience... DH : Comme ce que recherchent d'autres plates-formes ÉF : C'est ça. DH : Voilà une chose qui vous est reprochée : « vous avez peut-être parmi vos créations des choses qui ont déjà été produites sur le net ». On sait qu'il n'y pas trop de plagiat au sein des concours puisque vous ne diffusez pas les uploads avant la clôture des soumissions mais comment parvenez-vous à garantir l'authenticité des créations ? ÉF : En terme de positionnement, lié au fait que l'on a un intermédiaire, nous ne sommes pas une agence, on ne vend pas des contenus. Notre métier n'est pas d'acheter des contenus, ou d'organiser la production de contenus pour les vendre. On est vraiment dans une logique d'intermédiation. Les contrats par exemple sont faits directement entre les auteurs et les clients, les droits sont cédés entre eux, nous ne participons pas à cette étape de transferts des droits. La conséquence c'est que les auteurs sont les garants de l'exploitation des idées. Ils garantissent qu'ils n'ont pas inséré d'éléments contrefaisants et que la diffusion de la contribution ou l'utilisation de la contribution par le client ne sera pas source de litige et de violation des droits d'auteurs. Par contre on a quand même accès aux contributions avant de les soumettre au client, et on organise une modération: un contrôle pour retirer le manifestement illicite qui inclut le manifestement contrefaisant, les choses pour lesquelles on sait que les contributeurs n'ont pas les droits. Ensuite on organise aussi un recueil d'informations de la part des contributeurs pour qu'au moment de l'upload ils fournissent une information précise sur le contexte de création : est-ce qu'ils se présentent comme les propriétaires de tout, est-ce qu'il ont inclus des éléments extérieurs, est-ce qu'ils ont les droits ou non dessus. Ensuite l'idée c'est de permettre au client de lui donner une bonne information sur le contexte de création et lui fournir si nécessaire, en plus du contrat de cession, des éléments de preuve du recueil de consentement des personnes dont l'image est utilisée ou une licence pour une musique... C'est ce qui compte pour le client est d’avoir une bonne information. Lorsqu'il voit un visuel, il dit : « ok ça je sais que je dois le remplacer, ça je peux le

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garder ». Ce qu'il a recherché, c'est plutôt toute la démarche créative qui peut être illustrée avec un élément externe. DH : C'est une raison pour laquelle les contenus ne sont pas visibles ? ÉF : Si une vidéo avec une bande son se retrouve en ligne, sans que les droits sonores aient été payés, contrairement à You Tube qui est un hébergeur, nous on est plus que ça : on est responsable de tout ce qui est affiché sur notre site. Remerciements. Fin de l’entretien.

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Baptiste  Fluzin  (entretien  n°3)  Directeur de création de l’agence SPINTANK, le 8 avril 2015 au Tank (Paris) Les présentations se font autour d’une bière bio et un petit tour de l’agence Spintank qui héberge également des créatifs sous la forme de co-working au sein du Tank. C’est une forme très intéressante de ce que peut être la pratique du design graphique : à la fois solitaire et collective. Avec 35 personnes travaillant pour l’agence et de nombreux espaces pour accueillir à plus ou moins long terme des créatifs de tous horizons, cherchant à la fois un cadre épanouissant et stimulant. Il s’agit là bien plus qu’un simple espace-bureau : mais bien un lieu d’échange permettant également de recevoir les clients. En arrivant dans cette petite ruche où chacun butine à sa façon, en groupe, assis dans un canapé, sur une chaise au bar… tous les ingrédients semblent là pour stimuler la créativité et encourager le graphiste dans son travail. Damien Henry : Tu as participé aux discussions autour du CS qui ont eu lieu au ministère de l'économie en présence d'Axelle Lemaire293, quels ont été les principaux points abordés lors de ces échanges ? Baptiste Fluzin : Au-delà de la bourde en terme de communication de la part d'Axelle Lemaire (qu'elle a reconnu en OFF elle-même) nous avons évoqué la raison de la grogne, ce sur quoi elle reposait : un travail de rapport a été fait par la communauté, qui a été crowdsourcé et remis à la secrétaire d’État ce soir là. Ce qui m’a marqué vraiment dans la discussion, c’est l’aspect économique et la position d’Axelle Lemaire - déléguée à l’économie numérique. On pense numérique et on pense peu à économie. Elle avait un regard vraiment centré sur l’économie : insertion professionnelle, création d’emploi, exode des talents à l’étranger… Elle a mis l’emphase là-dessus dans son discours : « quand je rencontre des jeunes à Londres, ils me disent qu’en France c’est compliqué pour s’insérer, etc. ». Elle était vraiment sur cette thématique de l’emploi qui est également celle du gouvernement de manière plus large. Toute la difficulté était donc de lui faire comprendre que les personnes qu’elle avait en face n’étaient pas des « affreux coco » contre le salaria, la concurrence ou ce genre de choses... mais au contraire, quand on est free-lance, la concurrence : on vit avec, on l’embrasse parce qu’elle est stimulante. Lorsque l’on voit un voisin qui fait un truc mieux que nous, on a envie de faire encore mieux. Mais que dans cette situation, il s’agit vraiment de travail dissimulé - de notre point de vue - et donc des questions légales se posaient. Les experts de la commission légale de Bercy étaient là, et nous espérions un éclairage concernant la possibilité d’une concurrence déloyale ou d’un travail dissimulé. Comment qualifier cet acte de faire travailler un très grand nombre de personnes en n’en rémunérant qu’un petit nombre ? À plusieurs reprises, un des intervenants, un peu virulent, a posé la question à Axelle Lemaire : « J’aimerai sortir de cette réunion en ayant une réponse de votre part à la question : Est-ce que demain, j’ai le

293 Des échanges à la suite de l’affaire “creads” ont été programmé avec La secrétaire d’État chargée du numérique le 21 juillet puis le 26 novembre avec les conseillers juridiques.

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droit ou pas de faire travailler des gens gratuitement pour mon compte ? En tant que jeune chef d’entreprise, si vous me dites oui, cela change beaucoup de choses. » Et c’est là que se situait le malaise. La réponse des experts légaux était de dire : « Pour le moment il n’y a pas de jurisprudence. » Évidemment, les boîtes qui se montent sur ce modèle sont très prudentes aux termes qu’elles emploient dans les contrats, qui sont très rapidement corrigés au moindre doute pour ne pas se faire tomber dessus. En l’état, un responsable politique ne peut pas dire de manière publique que ce n’est pas légal puisqu’il n’y a pas de précédent. C’est donc sur ce point que portait l’essentiel de la discussion. Il faut savoir qu’il y avait aussi l’AFD294 ce jour là, et il y a des petites tensions entre l’approche de cet organisme et celle des personnes, dont je fais parti, et qui venaient plutôt de Twitter et qui n’appartiennent pas à une véritable structure. Nous étions juste des professionnels. L’aspect représentatif a joué dans le débat qui était globalement très intéressant avec une discussion franche et riche. Côté Axelle Lemaire, c’est donc vraiment la dimension économique qui revenait. Certes l’aspect juridique a été soulevé - par son directeur de cabinet et les experts - mais pour la secrétaire d’état, ce qui comptait, c’était de savoir si en interdisant ce type de plate-forme en France, on allait voir ou non une migration des utilisateurs vers les sites étrangers. Il y avait cette crainte sous-jacente pendant toute la discussion. DH : Ces plates-formes sont autorisées à l’étranger ? BF : Oui ça reste autorisé, et internet est sans frontière. Ces plates-formes se développent partout et sont également critiquées à l'étranger. En anglais on parle de spec-work (Speculative work) qui est un terme encore plus employé que celui de perverted crowdsourcing, et ça Axelle Lemaire ne le savait pas. Ayant vécu longtemps en Angleterre, elle voit surtout le côté toujours positif et enthousiaste de « ça me permet de remplir mon portfolio »... mais on lui a expliqué qu’à l’étranger aussi, chaque plate-forme de spec-work est décriée par la communauté de créatifs locale. C’est un mode de travail qui se développe à l’international et qui est aussi critiqué à l’international. Ce n'est pas nous franco-français-râleurs qui sommes les seuls à nous élever contre ce type de pratique. DH : En dehors des aspects juridiques qui visent à encadrer la pratique du CS et à minima en définir les règles et limites, de quelle manière a été abordée la légitimité du designer, la qualité du travail ? BF : On en a bien évidement parlé, un des intervenants présent : Jean-Louis Fréchin295 portait ce discours justement : « C'est par la qualité que l'on arrivera à combattre ces plates-formes. » En définitive, elles attirent vers elles des gens qui ont peu d'expérience (a priori ou en tout cas) et qui trouvent un 294 L’Alliance Française des Designers dont est président François Capsar. 295 Pionnier du design numérique en France, il dirige l’agence multi-primée Nodesign et enseigne notamment à l’Ensci.

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intérêt ou qui ont besoin de ces plates-formes pour travailler ou gagner un peu d'argent. Alors que, lorsque l'on fait un travail de qualité, la logique veut que l'on se fasse repérer et solliciter par des clients sérieux qui mettent de l'argent derrière… on roule sa bosse, on se fait de l'expérience, et un jour on finit par refuser du boulot parce qu'on en a trop. Donc ça c'était la position de JL Fréchin, avec laquelle on était pas tout à fait d'accord : si en effet il faut porter un discours de qualité, je ne suis pas d'accord pour le laisser-faire. On peut faire les deux en même temps : taper sur les plateformes de CS et les encadrer, tout en cherchant à promouvoir un design de qualité français. Il y eu donc cette inquiétude qui a été verbalisée envers A. Lemaire : « Habituer les clients potentiels à avoir autant pour si peu cher, in fine en effet, c'est donner l'impression que l'on exerce un travail-passion - plus passion que travail d'ailleurs - qui du coup, n'a pas vraiment de valeur. Ce qui est vraiment problématique... » DH : On touche à l'identité même du designer ? BF : Oui l'identité mais aussi celui d'un secteur d'activité en France. La France n'a pas forcément - ou moins aujourd'hui qu'à une époque - une culture visuelle hyper forte comparée à d'autres pays. Et c'est justement un point sur lequel il faut se battre. L'AFD bataille pas mal en ce sens. Nous avons aussi abordé la question de la commande publique. Mais surtout en fil rouge dans les discussions, il y a avait la notion de la valeur du travail. Il est important que cette valeur soit reconnue, que les personnes qui font du bon design soient valorisés afin d'obtenir de la visibilité à l'étranger, ça éduque les personnes exposées à des choses jolies. J'y pense, parce que l'on bosse dessus en ce moment, mais quand on voit les affiches de la fête de la musique des années précédentes : c'est un désastre ! C'est triste qu'un truc aussi populaire et vu pas autant de monde soit aussi moche ! Alors - bonheur ! - cette année, l'affiche est faite par un studio parisien, composé de graphistes de métier, qui s’appelle Building Paris (http://www.buildingparis.fr/). Mais c'est un combat permanent finalement. Un effort continu d'éducation et beaucoup de pédagogie à faire. Tout graphiste indépendant ou en agence dira que quasiment la moitié du succès final de ce qui est produit, c'est de la pédagogie face au client : lui expliquer pourquoi on part sur telle typo, pourquoi telle structure, pourquoi ne pas avoir peur du blanc, pourquoi limiter le contenu… et ça c'est une chose que le graphiste doit apprendre à faire. Il faut être dans une relation avec le client pour faire cette pédagogie. Si un intermédiaire se met au milieu et que l'on fait croire que la production graphique n'est que de l'exécution et qu'il suffit de poster sa demande dans la machine et que - PLOUP !! -, une semaine après on a 50 propositions… on ampute le travail du créatif de 50% de ce qui fait son intérêt. DH : Ce qui est reproché à ces plateformes, est donc un manque de pratique discursive ou de médiation entre le créatif et le client permettant d'affiner le brief... BF : Faire évoluer le brief en effet et s’imprégner de qui est le client. Certaines plates-formes comme Creads disent : « les participants posaient des questions et le client peut y répondre... ». Mais il y quand

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même une différence entre un simili-forum où on demande au client, en public - et donc à la vue de tous - si on peut faire ou non certaines choses ; et la démarche d'aller voir le client chez lui, dans son espace de travail, et écouter la personne parler de son métier. Les clients sont souvent passionnés. J'aime beaucoup les rencontrer, voir à quoi ils ressemblent, ils me disent : « Tiens, ce que je vous raconte ça me fait penser à telle plaquette…[ils la sortent] ça a 3 ans mais on aimait bien ça... » On effectue du coup un petit travail de collecte visuelle et d'ambiance quand on est face au client qui est hyper salutaire. J'ai vraiment du mal à bosser sans source, sans contrainte et sans information de la part du client. J'ai de l'expérience donc je vais faire un truc joli mais ça sera un truc joli générique. Le graphiste qui est passionné par son métier n'aime pas faire des trucs génériques : il aime faire du sur-mesure. Il aime se dire : « Ce logo ou cette maquette que j'ai produite, elle ne sied bien qu'à ce client là. Même pour un concurrent qui est sur le même secteur, je n'aurais pas fait la même chose, parce que chacun a son histoire, son message et sa personnalité. » DH : On parle d'uniformisation des visuels, ou du paysage graphique. Produire du bon design semble vraiment préoccuper les graphistes tout comme la volonté d'être au plus proche de la bonne réponse. Il existe de nombreux modèles de CS, nous parlions de Creads à l'instant mais par exemple chez Eyeka, le principe est de sourcer des idées puis de les réintégrer au circuit classique de la commande. Les clients transmettent aux agences et à leurs designers le travail effectué en amont sur les plates-formes. Souvent la sélection est faite par des free-lances ou les DC296 des ces agences...il s'agit de cas de l'antichambre de la commande, un benchmark... Si l'on met de côté la question du statut, existe t-il justement une forme de CS avec une approche plus qualitative, un modèle plus respectueux processus du design ? BF : Creads sont en train de muter justement face à la grogne et aux demandes clients. Ils font signer un ticket d'entrée pour avoir les X propositions, puis derrière tentent de pérenniser la relation client en disant : « Il vous faut des déclinaisons sur di fférents supports, et ça on le fait directement via notre agence-Creads. » On peut discuter du modèle longtemps mais il y a 2 choses qui me semblent fondamentales pour faire de la qualité : la dimension d'échange et sans limite avec le client et l'idée de dire que si je suis sur une plate-forme ou je travaille sans avoir la certitude d'être rémunéré, et que je compte en vivre, je suis obligé d'augmenter mon volume de production, car seul un faible pourcentage de mon travail sera peut-être retenu, et c'est cet aspect qui génère de l'uniformité. Pour les plates-formes, à partir du moment où il s'agit de CS et dès lors des gens participent sans être rémunéré - qu'elle le veulent ou non - les participants eux-mêmes vont recycler ce qu'ils ont envoyé : « Y'a deux mois j'avais proposé un truc pour une agence de voyage, mais là c'est une chaîne aérienne low-cost, c'est à peu près la même thématique, je recase le même boulot... » Ça c'est dans le meilleur des cas… dans le pire ils vont aller voler des boulots. 296 Directeur de création : la personne en charge des choix artistiques dans une agence. Parfois assimilé au directeur artistique mais souvent avec un rôle plus important au niveau managérial.

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Il y a aussi ce vrai risque pour le client que l'on a essayé de faire comprendre à Axelle Lemaire. Ces plates-formes ne fournissent aucune garantie d’authenticité et de recherche d'antériorité à leurs clients. Ils ne peuvent leur assurer qu’il ne s'agit pas d'un travail pompé. Quand on passe par une agence, c'est elle qui est responsable si elle n'a pas effectué les recherches ou si elle revend du picto. En théorie, elle fait du sur-mesure… ou alors au moins l'entente est claire avec le client. Nous on a des demandes d'infographies sur des délais hyper short, on précise bien évidement au client que l'on va taper dans des banques picto, parce que sinon c'est impossible - Dessiner un picto demande beaucoup plus de temps que ce que l'on croit - C'est posé clairement. Là, ce concept de : « Pour X€, vous avez N logos », ils ne vérifient absolument pas d'où viennent les logos... DH : Sur l'histoire du plagiat, on m’a dit chez Eyeka qu'ils font signer des clauses d’engagement aux créatifs et préviennent les clients du risque de pompage. BF : Ils se blindent eux en fait... DH : Oui mais quand le client n'utilise pas directement le travail... BF : On pose la question d'utilisation du travail, qui a été produit...il suffit de transposer ce truc du CS à n'importe quelle autre profession pour se rendre compte de l'absurdité. DH : L'exemple des restaurants... BF : Je vais voir un boulanger, et je lui demande un gâteau d'anniversaire personnalisé, et si ça ne me plaît pas, je ne l'utilise pas. Vous pourrez le vendre à quelqu'un d'autre seulement il y aura écrit « joyeux 30 ans Baptiste »... Il va avoir du mal à le revendre à une autre personne. Ou alors il fait un travail impersonnel, en essayant de le refiler à quelqu'un d'autre dans le moment où il l'a produit. Mais le travail existe et a été produit. Ce qui est encore plus vicelard. C’est la question que l'on posait et une des obligations que l'on souhaite : que ces boîtes aient l'obligation de s'assurer que tous les gens qui participent, par nécessairement qui gagnent, aient un statut. Le fait que dans l'offre de valeur qu'elle apporte à leurs clients, ce n'est pas uniquement ce qui est retenu à la fin, c'est le choix de voir comment ils sont perçus par X dizaines ou centaines de personnes. Ce qu'achètent les clients c'est cette valeur liée à la masse, sauf que dans la quantité, ils ne s'assurent absolument pas du statut des participants, sont-ils déclarés ou non ? Ils les font travailler, mais ce n'est pas vraiment du travail parce qu'ils ne sont pas rémunérés et lorsqu'ils le font, ils demandent « au fait t'as bien un statut ? », la personne répond « non » et j'imagine qu'ils s'organisent rapidement...mais le travail a déjà été produit. On a des communautés de milliers de personnes qui bossent, les plates-formes ne se préoccupent pas de savoir si elles ont un statut avant qu’elles ne gagnent. Mais en attendant, c'est ce que payent les clients : cette offre de foisonnement. DH : Souvent les plates-formes disent qu'elles rémunèrent la cession de droits d'exploitation... BF : Parce que c'est bien pratique pour eux, c'est ce que eux rémunèrent mais ce n'est pas ce vraiment ce qu’achètent leurs clients.

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DH : Lorsque l'on est professionnel, on sait que passer par des organismes tels que l'Agessa ou la MDA relève parfois du parcours du combattant. On peut imaginer qu'un amateur soit vite dérouté en découvrant ces démarches (précompte, 1% diffuseur, etc..) on peut se demander s'il jouera le jeu... BF : Ça dans la pratique, je ne sais même pas comment ils font. Quelqu'un qui gagne un concours, mais qui n'a pas de statut… Qu'est-ce qu'ils font ? Ils payent au black ? Ils délaient le paiement ? Ils ne paient pas et c'est tout bénéf pour eux ? Ils disent à la personne « Il faut mieux lire les conditions d'utilisation... » ? Je ne sais pas. DH : Ce matin, Eyeka me disait qu'ils essayaient d'accompagner les créatifs et échangent régulièrement avec la MDA et l'Agessa, et en effet la plupart des amateurs sont sensibilisés. Mais n'ont pas forcément les moyens de vérifier si les démarches sont effectuées ensuite. C'est un peu un entre-deux assez flou. Proposer un droit d'entrée "pas de statut / pas de concours" serait-il une solution ? BF : Eh oui ! Mais s'ils font ça, ils se tirent une balle dans le pied... Ils sont obligés d'avoir des pros pour cette démarche qui sont plus à même de se rendre qu'ils se font un peu pigeonner, du coup, ils n'ont plus du tout cette masse qu'ils mettent tous en avant : « 300 000 créati fs » par ci, « tant de propositions » par là... quand tu regardes la homepage et que tu t'amuses à faire ressortir les chiffres, c'est vraiment l'argument de vente n°1. Si tu les obliges à s'assurer du statut de chacun des participants, ces chiffres fondraient comme neige au soleil ! DH : Ces chiffres sont là pour attirer les clients mais aussi pour renforcer cet esprit de communauté omniprésent dans le discours. C'est aussi un moyen d'attirer les créatifs par un sentiment d'appartenance à cette communauté, qui paradoxalement regroupe des personnes en situation de concurrence ! BF : Pour moi c'est une usurpation du terme ! J'ai commencé à bosser il y a 10 ans, et à faire du design en autodidacte il y a plus ou moins 15 ans... J'étais au collège, j'y connaissais rien, et j'allais sur des communautés, sur des forums où les gens m'aidaient mais n'avaient aucun intérêt à le faire. Ils le faisaient par amusement, on se donnaient des avis sur nos créas et puis ensuite, lorsque toi-même tu avais appris des choses, tu aidais les plus jeunes qui débutaient… ça c'était une communauté ! Là ce n’est pas une communauté ! C’est du poulailler ! De l'élevage en batterie ! Alors bien sûr tu as des gens qui se lâchent des commentaires du style « Ha franchement bravo pour ton logo, il a gagné il est vraiment très chouette ! » mais c'est pas une communauté ça, c'est plus « j'aurai aimé gagné »... DH : Même les plates-formes admettent que le terme est galvaudé, et que le fameux mur avec tous les profils de créatifs, utilise les codes communautaires sans forcément en avoir toute la dimension. Il s'agit d'un terme marketing, et il est d'ailleurs aujourd'hui difficile de définir une communauté... BF : Elle n'est pas captive cette communauté... DH : Si l'on prend l'exemple de Wikipédia, on est dans du CS, et la communauté est bien présente, tout cela indique que la frontière est assez floue et le terme largement utilisé.

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BF : Cette communauté ne bénéficie qu'au gérant de celle-ci. DH : Ils n'aiment pas parler de foule mais c'est bien de ça qu'il s'agit. BF : Si on traduit littéralement oui... DH : Le terme gagnant-gagnant est souvent également utilisé, on a vu que qu'elle que soit la situation, soit la plate-forme se tire une balle dans le pied, soit les créatifs travaillent à blanc… Il sera certainement difficile de trouver un modèle qui réponde à ce terme. Il existe probablement un modèle équitable ? BF : ... DH : Si l'on se place au niveau d'une marque qui souhaite faire appel aux services d'une plate-forme. L’intérêt marketing est évident, il permet à celles-ci de sourcer les consommateurs de la marque plus que d'avoir réellement des propositions finies. Qu'est-ce que ça implique en terme d'image ? Est-ce nuisible ou sans incidence ? Des boulots sont-ils plus adaptés que d'autres dans une pratique de CS ? BF : Il y a plusieurs choses, il y a en effet des marques qui passent par ces plates-formes en considérant ça comme une des cordes à leur arc de communication : quand je suis Citroën, mon budget de communication à l'année est colossal. Donc un petit concours à 10k€ : c'est peanuts ! Elles ne considèrent pas ça nécessairement comme une démarche qui va leur donner des idées mais plutôt comme un moyen de faire connaître à 50 gugusses le fait qu'ils sortent leur nouvelle C3. Et 10k€ pour ça, ça vaut presque le coup pour eux finalement, c'est une opération marketing. Après, je pense que ça peut être nuisible à plusieurs aspects, d'une part la grogne ne concerne pas uniquement les plates-formes de CS, il y a aussi des marques qui ont voulu organiser des concours en leur noms en disant " faites notre affiche et le gagnant aura 500€" et se font tomber dessus par la communauté des graphistes comme les pour les plates-formes. DH : Tu penses à la fête de l'huma récemment ? BF : En fait il y en a tellement, que je ne pourrai même pas te citer le dernier exemple... Mais c'est vraiment le cas d'école, mainte et mainte fois expliqué avec des billets de blogs, des discussions de forum où l'on démontre par A+B en quoi c'est une mauvaise idée, et il y a des marques qui se prennent encore les pieds dans le tapis toutes seules comme des grandes… Donc il faut bien rétablir l'idée qu'il ne s'agit pas d'un phénomène propre aux plates-formes de CS. C'est cette idée que tu peux solliciter ta communauté pour te faire un truc gratos, en n'en rémunérant qu'une micro-partie. C'est aussi nuisible pour l'image de marque parce qu'il y a une espèce de contrat tacite passé entre la marque et la communauté (encore plus vrai quand la marque passe en direct mais également valable lorsque celle-ci passe par une plate-forme). On met tous le monde en concurrence et ne retient qu'une ou deux personnes. Ces personnes retenues, on va utiliser leur travail. Chez les jeunes graphistes, il y a un peu cette dimension fame : « J'ai envie que mon travail soit vu, si je participe au concours Citroën et que je gagne les 1000€ c'est bien, mais si je me dit que toutes les Citroën de France auront le pelliculage avec mon moti f proposé en concession… ça me satisfait presque encore plus. »

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Le problème c'est que souvent, les marques se retrouvent avec des productions au niveau insuffisant pour être édité, et il n'y a finalement aucune sélection… Il y a donc des marques qui bottent en touche, qui disent aux participants : « merci à tous, cela va être retravaillé par nos équipes internes » et au final le produit mis sur la marché est loin de ressembler à l'illustration faite lors du concours ; ou alors ils font bosser en direct des vrais artistes parce que les propositions qu'ils ont eu au départ étaient juste trop pourries ! Sauf avoir un vrai coup de chance, et tomber sur un mec ou nana vraiment talentueux qui produisent une réponse de qualité et pour qui tu te demandes ce qu'ils font là... Là t'as soulevé le bon caillou et il y avait quelque chose dessous. Pour la marque c'est pas du win-win : c'est du loose-loose ! Elle prend le risque de se faire tomber dessus par la communauté, et même si cela n'arrive pas, elle prend aussi le risque d'avoir à choisir parmi des propositions qui ne l'enchante pas... Quand tu passes par un graphiste en direct, un free-lance ou une agence, si tu trouves que c'est pas top : tu le dis ! « Là je suis pas super à l'aise », « ok on se revoie et on en discute, qu'est-ce qui ne vous plaît pas ? Est-ce que vous pouvez me montrer des choses que vous aimez bien ?... » Là on retrouve ce que disais : la relation, l'échange. On rattrape le coup, on s'est mal compris alors on retravaille, et au final on arrive à trouver ce que le client souhaite avoir. Dans une démarche de CS, comme on est quasiment toujours sur du one-shot, autant se bander les yeux et désigner une proposition au hasard ! DH : Maintenant, je vais aborder une pratique qui existe depuis longtemps dans le monde du graphisme et qui concerne la mise en concurrence, une forme d'appel d'offre qui est sous les 15k€ et donc qui n'est pas régie par autant de règles. Une amie graphiste297 m'a parlé de l'exemple d'un théâtre qui demande à une quinzaine de graphistes de leur envoyer une proposition pour un logo, et en définitive elle me disait avec ces termes que c'était du temps perdu pour tout le monde… Connais-tu ce type de pratique, qui est un peu l'ancêtre du CS et peux-tu me donner ton avis là-dessus ? BF : Oui en effet, il y a la mise en concurrence en dessous de 15k pour tout ce qui est dépense publique, au dessus tu es obligé de passer par un marché public. À Spintank on est confronté souvent par nos clients à ce type de marché, je connais donc bien tout ça… et je sais comment ils s'arrangent parfois, pour saucissonner des commandes en plusieurs petites fragments de commandes afin qu'elles ne dépassent pas les fameux 15K€. Alors pourquoi est-ce du temps perdu pour tout le monde ? 15 graphistes c'est trop en effet. Parce que c'est impossible quand tu es un théâtre (ici on parle de ce type de structure) de trouver 15 styles qui correspondent à ce que tu recherches. Ça veut dire que tu ne sais pas ce que tu veux à ce niveau là. Il y a forcément des personnes dans le lot qui vont travailler pour rien, de manière certaine. Une des

297 Élodie Cavel : je vous invite à découvrir son travail.

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questions que l'on pose souvent lors d'un appel d'offre, ce n'est pas de savoir qui est en face (ce que les clients disent rarement), mais plutôt combien de personnes sont sollicitées. Dans notre agence, on demande systématiquement le nombre de participants sur le coup. Il nous arrive de refuser quand on nous dit : « On sollicite 8 agences, on fait un premier round et on en garde plus que 4 et à la fin on n'en garde plus que 2... ». Là désolé, c'est pas pour nous. Ces appels d'offres, qui a les reins pour y répondre ? Uniquement les très grosses agences, qui possèdent des usines de stagiaires et des personnes qui ne font que ça. S'ils perdent, ce n’est pas grave, le temps-homme passé dessus ne représente pas une grosse masse salariale. Plus l'agence est petite - et pire encore pour les freelances - plus la réponse à un appel d'offre représente du temps passé à l’échelle de la structure. C'est parfois 100% du temps qui est joué. C'est aussi pour ça que l'on expliquait à Axelle Lemaire : en quoi l'appel d'offre n'est pas comparable. Si je suis une agence, je prends parfois le risque de répondre à un appel d'offre, mais en parallèle j'ai des contrats qui sont certains et je suis sûr de payer mon loyer à la fin du mois et de me verser un salaire ! Quand la norme, c'est uniquement de l'appel d'offre, c'est impossible. On ne peut vivre de cette manière. Il y a un moment où on met la clé sous la porte parce qu'il y a un mois où on perd tout. Il y a de vraies dérives vis à vis des appels d'offres. À une époque, mais c'est rare aujourd’hui, les participations étaient dédommagées : tous les perdants touchaient un petit cachet souvent bien inférieur au temps passé mais qui montrait un certain sérieux du commanditaire. Lorsque l'on dédommage tout le monde, on les choisit un peu mieux forcément et on en prend moins. C'est une chose qui se faisait, mais maintenant il y a carrément des agences qui ont communiqué pour dire : « on arrête de faire des appels d'offres ». Il y a une agence notamment (je crois qu'il s'agit de LEG, ils ont fait pas mal de buzz), qui avait décrété qu'elle avait suffisamment de travaux et de référence pour dire : « Si notre travail et notre approche vous intéresse, pas besoin de nous mettre en compétition, vous venez nous demander et on sera heureux de travailler avec vous... » Tant que ce n'est pas de l'argent public, une société n'est pas obligée de passer par une mise en concurrence, bien sûr, à partir d'un certain montant, cela peut poser des soucis de trafic d’intérêt ou ce genre de truc mais dans l'absolu c'est à ça que sert le portfolio. Si je suis client et que je cherche un graphiste, en théorie, son portfolio, sa vitrine, doit me donner suffisamment d'informations pour me dire « lui il va me plaire ». En fait petit à petit, cet aspect là a complètement disparu du milieu de la commande graphique alors que pour toutes les autres professions (on en parlait tout à l'heure), ça fonctionne comme ça ! T'as plein de boulangeries, il y en a une où tu vois qu'ils ont l'air de faire de la meilleure pâtisserie, tu rentres, tu ne demandes pas à goûter… tu rentres parce que ce qu'ils montrent te laisse penser que c'est ce que tu cherches. Tu leur fais confiance, et tu pars avec eux. Une des choses aussi lorsque tu es graphiste, tu n'achète pas de pub. Ce n'est que la qualité de ton travail qui te ramène des affaires. On ne dit peut-être pas assez mais il m'arrive de l'expliquer à nos clients : « Nous aimons le travail bien fait, mais c'est la seule manière que l'on a pour toucher de nouveaux clients. »

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On a pas de 4 par 3 [les panneaux d’affichage type JC Decaux, ndlr], les grosses agences achètent peut-être des encarts dans la presse spécialisée, mais pas les petites et encore moins les free-lances298. Le portfolio et l'engagement à faire du bon taff, c'est une évidence qui est parfois oubliée. Il y a des agences qui demandent aux gens de faire des tests lors des candidatures. Je ne demande pas de faire des tests, par contre je regarde le portfolio. Je me dit : lui c'est un bon graphiste, mais il fait rien dans le style de ce que je recherche. On ne perd pas de temps, je ne vais pas le faire travailler gratuitement même s'il fait du bon boulot, il ne montre rien du style que je recherche parce que moi je suis dans l'institutionnel, dans le culturel... et donc ça ne va pas le faire… c'est sain finalement. En montrant ce que tu aimes faire, tu t'attires des clients qui viennent chercher ton style, c'est vertueux. DH : J'aime assez ta théorie du portfolio... Comment le graphiste va pouvoir trouver sa place dans cette économie numérique en perpétuel mouvement et vers quelle forme sa pratique peut-elle évoluer ? (Question reformulée, car un peu ambiguë lors de l’entretien) BF : Je vois un peu l'angle de ta question, le graphiste qui veut faire son métier encore dans 10 ou 20 ans est obligé d'évoluer. C'est à dire que les outils techniques qu'on utilise évoluent : photoshop que j'utilise aujourd'hui n'a rien à voir avec le photoshop d'il y a 10 ans. Je faisais du flash quand j'ai débuté, et plus du tout aujourd'hui. Un graphiste, qui fait du digital de surcroît, s'il n'évolue pas, dans 5 ans : il est mort. Après il y a évoluer et accepter comme une fatalité l’endroit où va la barque mais cette façon de dire : « Le CS est là et que vous le vouliez ou non, c'est là pour durer, alors essayons d'imaginer un vivre ensemble plutôt que de dire qu'il faut fermer toute les plateformes... ». Bien sûr en étant à leur place, je dirais la même chose… Il y a 10 ans lorsque j'ai commencé, il y a avait déjà des graphistes qui faisaient des designs de thèmes pour les blogs (dotclear, wordpress...) qu’ils mettaient en ligne sur des banques de thèmes pour se faire de l'argent. J'avais un collègue qui avait développé sur flash un script pour générer de la neige… Il a vendu sa neige à Hermes et aux galeries Lafayette et il se faisait en moyenne 1000$/mois en vendant son petit script qui faisait de la neige. La démarche venait de lui - ce qui est très différent du CS - il n'y avait pas une notion de commanditaire, qui dit « fais-moi ça pour mon produit et avec un peu de chance tu sera payé ». Il y 'avait l'idée de dire : « Je fais un truc bien qui m'intéresse et si ça intéresse des gens, je leur vends sans exclusivité - tu pourra avoir la même neige qu'Hermes - tu pourra customiser la taille des flocons mais basta... » Ça pour moi c'est du collaborati f vertueux, qui stimule le graphiste à faire et tester des choses. Tu as un site d'icônes très connu qui s'appelle nounproject (https://thenounproject.com/) sur lequel tu peux trouver des icônes qui sont en domaine public et d'autres en licence CC où il faut payer 1 à 2$ l'icône. En tant que graphiste, rien ne m'oblige à envoyer des icônes à nounproject et ce n'est pas parce que ce site propose des icônes gratuites que l'on n'arrive pas à expliquer à certains clients qu’il faudrait parfois payer des icônes parce que l'on va faire quelque chose qui corresponde plus à leur style.

298 (NDLR : je me souviens d'un certains Denis Truchi qui avait son encart dans étapes, pas forcément géniale d'ailleurs, je me demande si cela avait un impact sur son activité.

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Dans la rhétorique c'est aussi une méthode de ces plates-formes de dire « si vous n'aimez pas, personne ne vous oblige à participer », oui sauf que pour toutes les raisons que j'ai reprise auparavant, et l'emprunte durable que ça génère dans les mentalités des clients, c'est laisser penser que tu peux avoir du sur-mesure pour le prix d'une barquette surgelée... DH : Je vais finir, de manière anecdotique, je ne sais pas si tu as vu récemment, l'apparition de ce site qui génère ton logo via un algorithme (http://www.tailorbrands.com), on se retrouve alors dans la situation où l'on a même plus besoin de graphiste… C'est l'étape suivante ? BF : Oui j'ai vu passer - ça existait déjà - un peu comme vistaprint. Le mec qui est avocat, qui a besoin d'un logo (je trouve que c'est une bêtise parce que son logo tout le monde s'en fout, il peut mettre juste son nom avec une typo adaptée et sa carte sera suffisante) Il veut faire son logo lui-même sur une plate-forme, il ne tue pas le graphiste, c'est un mec qui n'aurait pas eu le budget pour faire appel à lui ou qui pense que ça ne vaut pas le coup. Il se fait son logo : pas de soucis. C'est vraiment différent de : « je fais bosser 50 graphistes gratos en n'en rémunérant un seul ». DH : Et il faut prouver que ce ne sont que des graphistes sur les 50... BF : Oui, la notion d'amateur est forcément présente. Jusqu’où l'amateurisme existe avant de se professionnaliser ? La discussion on l'a également eu avec Axelle Lemaire, les amateurs n'ont jamais été une menace pour les professionnels, sauf que tu fais bosser un amateur, tu as du boulot d'amateur. Si tu t'en satisfais, soit. Mais quel est l'engagement du professionnel ? L’amateur, fait un truc nul ou te plantes en cours de projet, quels sont les recours ? À part aller faire le plantin devant sa porte et aller essayer de t'expliquer avec lui tu ne peux pas faire grand chose. Le pro, il a sa réputation à tenir ! Le bouche à oreille joue beaucoup pour ou contre lui. Avec une communauté de graphistes qui est tout de même relativement restreinte, et une cible de clients comme les PME : le mec qui en plante une n'a plus qu'à changer de région. Tant que le choix est fait de manière éclairée et qu'il n'y a pas des gens qui bossent gratuitement, ça ne me pose aucun problème. DH : Merci pour ton éclairage et ton point de vue très intéressant. BF : Pas de quoi. Note de l’auteur : la bière bio était très bonne...

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François  Caspar  (entretien  n°4)  Designer et responsable de l’Alliance Française des Designers (AFD), le 10 Avril 2015 par Skype Spécialiste de l’affiche depuis 1989, François Caspar est un designer basé à Paris. Il conçoit la communication visuelle d'organismes européens et français, d’entreprises et de théâtres. Ses affiches, ont été récompensées et présentées dans plus de 140 expositions internationales et figurent dans des collections publiques et privées, comme à Paris, Hambourg ou New–York. Ses travaux ont également été publiés dans des magazines ou des livres comme Art and design, Etapes, Experimenta, Idea, Pixel Creation, Signes et New Masters of Poster Design de John Foster. Son enseignement est présenté dans le livre Design School Confidential de Steven Heller et Lita Talarico. Il est également membre de jurys de compétitions internationales. L’objectif de François Casper est d’unifier autour des meilleures pratiques. Cofondateur de l’Alliance française des designers, il en est le président de 2003 à2005. L’AFD est devenue en quelques années la première organisation professionnelle pluridisciplinaire de designers en France. François Caspar est également en charge des relations européennes et des questions juridiques, il donne à ce titre des conférences sur les droits et les devoirs des designers. Il est notamment l’auteur de Profession graphiste indépendant, publié par le ministère de la Culture. Et a effectué en 2014 la traduction française de l’ouvrage de Blair Enns Blair Gagner sans idées gratuites. François Caspar est aussi fondateur et chercheur de Moneydesign.org qui édite le guide de tarification du design CalKulator.com. (Source : http://www.francoiscaspar.fr/) Damien Henry : Merci beaucoup pour votre disponibilité. Ça risque d'être un peu formel et scolaire, c'est le quatrième entretien, deux personnes chez Eyeka, la plate-forme de CS, vous connaissez ? François Caspar : Oui DH : Je suis donc allé les voir, ils m'ont appris pas mal de choses, j'aimerai bien revenir avec vous sur certains points. Sans tomber dans le tout pour ou tout contre, je vais essayer de rester dans une démarche de recherche en me détachant de mon statut de graphiste, ce qui ne va pas être facile. Je souhaite plutôt trouver des pistes qui permettraient de voir comment le CS peut s'intégrer à l'économie du design, sa place au niveau de la qualité et son positionnement vis à vis des professionnels du design. C'est souvent difficile de trouver des points positifs lorsque l'on écoute le discours des graphistes professionnels, le rapport à sens unique, la législation sont souvent critiqués. Je vais d'abord aborder l'épisode des débats auxquels vous avez participé au ministère, j'ai rencontré également Baptiste Fluzin qui m'en a déjà pas mal parlé. Mais j'aurai tout de même aimé avoir votre point de vue, car il semblerait que les opinions différaient selon les participants. FC : Je ne pense pas qu'elle soit tout à fait identique : l'analyse est la même, on parle de CS perverti, parce qu'au départ c'est une belle idée, qui repose sur ce que peut apporter internet en terme de partage de compétences, dans un but qui peut être humanitaire par exemple ou des associations qui sont en recherche de moyens. Ce dont on parle : c'est des agences, qui utilisent le CS comme moyen. Ça pose ici des problèmes parce le métier d'agent artistique est un métier légiféré, afin de protéger les auteurs. Les auteurs sont finalement des personnes qui, parce qu'elles sont auteurs ne sont pas forcément businessman : il s'agit d'une population plutôt fragile.

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Le CS marche parce que ça attire énormément de gens fragiles sur des compétences pourtant nécessaires quand on est indépendant. Quand on est graphiste salarié à mi-temps, ça peut apparaître comme une source de revenus complémentaires, et quand on est indépendant et est en difficulté pour trouver des missions ou des clients, ça peut être une sirène intéressante pour trouver des clients. Mais il y a un intermédiaire, ce n'est pas en soi un problème : il y en a des bons, qui sont des agents exerçant bien leur travail, mais là le soucis, c'est que ce sont des intermédiaires qui font un travail incomplet, et qui tiennent à distance le système en se récupérant sur le nombre. Ils sont de toute façon rémunérés. Le graphiste, lui n'est rémunéré que s'il obtient la commande. DH : L'idée du pitch comme vous le développez dans le livre de Enns ? FC : Il y a deux choses importantes qui découlent de ça : Un aspect déontologique vu sous l'angle du professionnel et puis un aspect purement d'efficacité commerciale : ça ne fonctionne pas. Le fait de faire un grand nombre de projets et d'en perdre une majorité pour finalement en gagner peu n'est pas rentable. Donc cette technique ne sert à rien et déontologiquement on produit du dumping, on produit une idée qui ne vaut pas grand chose en comparaison avec l'expertise de départ. Ça va à l'encontre de tout ce que l'on préconise, c'est à dire, dans une relation entre un designer et un client, c'est le dialogue. Le système du CS ne produit pas de dialogue. DH : C'est un peu la notion d'un brief qui reste figé, qui ne peu évoluer dans le temps, comme ça se voit dans une relation classique. La demande évolue parce que on voit le diagnostic initial se préciser. En général le client arrive avec un premier brief qui est le sien, un second brief est formulé et ensuite, à mesure que le projet avance. FC : C'est tout à fait ça, on est forcément dans une situation d'autodiagnostic de la part du client et pour le designer dans une situation de ne faire qu'une partie de son travail : la partie émergée de l'iceberg. Ce que l'on voit au premier abord, l'aspect visuel. Cela peut être réussi : on a des choses qui sont visuellement réussies, mais il n'est pas possible de traiter l'ensemble des signes, par exemple pour un logo, l'ensemble des déclinaisons, la manière dont il va vivre sur tel ou tel support, comment il va être véhiculé. Une identité visuelle, ce n'est pas juste une carte de visite ou un en-tête de lettre ! Ce n'est pas uniquement un logo : c'est tout un ensemble. La prestation est donc forcément incomplète de la part du designer, on pourrait considérer que c'est frustrant pour le designer mais c'est surtout une piètre affaire pour le client qui n'en a pas pour son argent mais qui achète une faible somme uniquement une partie d'un travail, il n'aura pas une prestation complète. Il n'aura pas un service qui sera complet. Il sera auto-satisfait par l'autodiagnostic, parfois c'est pire. On ne peut mettre sur un pied d'égalité toutes les problématiques de design. Une identité visuelle, d'une petite structure ou d'un commerçant n'a pas les mêmes enjeux que l'identité d'une société européenne ou du CAC40... On peut considérer que ça va satisfaire un certain nombre de clients qui recherchent avant tout un prix, mais les clients qui sont à la recherche d'une qualité d'expertise, ne peuvent pas être satisfaits par ce système là. C'est pour cette raison d'ailleurs que quand on prend l'enseignement de Blair Enns, on comprend finalement, ce qui est un peu provocateur, que le CS : ce n'est pas grave. Si on est en capacité en tant que designer de comprendre ça et de mettre en œuvre un certain nombre de choses décrites par Blair Enns pour montrer la qualité et la valeur de l'expertise, que l'on a des prix potentiels on a fait une bonne partie du travail.

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11:48 perte de signal DH : On reprend. Vous disiez que l'on pouvait facilement se passer du CS en utilisant la méthode de Blair Enns... FC : Voilà. Il dit clairement que le CS ça oriente un certain nombre de personnes vers ces sites, un certain nombre de designer qui n'ont soit pas une bonne expertise, soit ne savent pas la communiquer et un certain nombre de mauvais clients, et dans ce cas là : tant mieux, parce que tous ces mauvais clients, pendant qu'il sont occupés à travailler avec les plateformes, ça vous permet d'aller chercher les bons. C'est le fameux : sélectivité299. DH : C'est un design à deux vitesses ? FC : Oui mais il faut admettre que dans l'immense population des designers, tous ne sont pas au même niveau. Mais ça se retrouve dans toutes les professions. Il y a des bons boulangers et mauvais boulangers... Le niveau de formation n'est pas le même, le niveau d'expertise n'est pas non plus le même. Le CS, non pas qu'il s'agisse d'un faux problème. Sous l'angle de la déontologie, c'est un vrai problème. Sous l'angle de la stratégie commerciale : c'est un faux problème. DH : Certains accusent la plateforme de tuer le métier, c'est nuancé on imagine plutôt un tri du métier ? FC : Oui tout à fait. DH : C'est à présent la notion des participants que l'on va aborder, j'ai eu l'occasion de discuter avec un graphiste300 qui travaille en agence, et qui m'a dit "moi j'aime bien aller faire un concours de temps en temps", ce n'est pas forcément l'aspect financier mais plus une recherche de liberté d'action. Je me demandais s'il lui arrivait d'être bloqué dans la réponse faute d'information, mais apparemment ça ne posait pas de soucis... Je ne m'attendais pas à ce type de témoignage de la part d'un pro. FC : C'est tout à fait recevable, c'est une petite différence de positionnement de l'AFD qui a réfléchi à la question dès 2007, et a émis des réponses : si il y a un problème juridique, on voit comment on peut le résoudre de façon juridique. 15:45 de nouveau un souci technique FC : L'AFD pense que ce n'est pas la peine de dépenser de l'énergie à combattre ce phénomène. Cela serait perdu d'avance. Juridiquement en tout cas, on n’ira pas vers le procès, en tout cas pour le 299 selon B.Enns, être sélectif : il s'agit de pousser la démarche d'adéquation, de trouver les clients pour lesquels nous pouvons trouver des solution et savoir dire non aux clients qui seraient mieux servi par d'autres. "En disant non nous gardons la crédibilité de notre oui " BLAIR Enns et CASPAR François, 2014, Gagner sans idées gratuites, Money design.org. 300 Il s’agit d’un enseignant du master CTN qui intervient pour les cours d’infographie, il est “intégrateur front, designer qui a de la bouteille, mais dont j’ignore le “talent” et dont les méthodes sont plutôt bizarres (création de logo dans Photoshop par exemple)

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moment, parce que il faudrait dépenser l'argent des membres pour une cause finalement où des gens ont signé en connaissance de cause un contrat avec ces sites de CS. Comme vous dites, il y a des gens qui ont envie de le faire. Quelle que soit la raison, ils ont envie de tenter leur chance... et on peut leur reconnaître le droit de choisir ça. Pourquoi devrait-on combattre ça ? On préfère finalement essayer de convaincre ceux qui veulent bien être convaincu : ceux qui veulent bien apprendre à se passer du CS, leur expliquer comment faire. Le livre de B.Enns est une façon de le faire. C'est une littérature Nord-Américaine très pragmatique qui n'existe pas en France. Ici on écrit beaucoup sur des idéaux, etc.… mais à un moment c'est limité. On pourrait passer des années à combattre le CS, à dépenser énormément d'argent pour pas grand chose. Pourquoi interdire le CS ? Si certains veulent participer : laissons-les faire. Et si on a une démarche commerciale construite issue d'une stratégie, pour faire des affaires. On peut comprendre, comment se passer du CS et on peut aussi comprendre que cela n'a pas d'importance. DH : C'est finalement un peu la méthode "ça existe mais on y va pas". On se rend compte que les personnes qui vont sur ces plateformes sont d'horizons variés, pas uniquement des professionnels et même une bonne part d'amateurs qui ont envie de faire ces concours pour différentes raisons. Est-ce que ce mix ou cette frontière entre les amateurs et les pro, qu'on retrouve aussi depuis longtemps : les amateurs ont toujours existé, l'affiche associative301... Maintenant la frontière et les outils de plus en plus accessibles parfois même des formations qui fabriquent un infographiste en 3 mois. La notion d'amateur bouscule un peu plus les pros aujourd'hui, est-ce que le CS pourrait catalyser ce phénomène ? Et donner de mauvaises habitudes côté client ? FC : Ça va forcément changer les choses, et le monde change, les professions évoluent. ça pose donc la question : c'est quoi aujourd'hui être professionnel ? C'est plus uniquement utiliser une souris et avoir un ordinateur, il y a 20 ans, c'était : avoir un ordinateur plus gros que l'autre. Aujourd'hui l'amateur peut se payer les mêmes outils en effet. Donc être professionnel c'est ailleurs, la question c'est comment donner de la visibilité à un acte professionnel ? Nous préférons nous concentrer sur cette question là. C'est quoi être designer ? C'est quoi un designer professionnel comparé à un designer amateur ? Parfois, c'est vrai, des amateurs très talentueux peuvent faire des choses esthétiquement très réussies mais il s'agit d'une partie seulement du travail de designer. Il y a aussi des autodidactes qui sont absolument extraordinaires. C'est une question complexe. La réponse doit venir des professionnels mais surtout des clients, qui savent très bien faire la différence entre les amateurs et les professionnels. Les bons en tout cas. C'est d'ailleurs la théorie de B.ENNS, il dit même qu'un bon client quand il a compris, peut payer beaucoup plus cher que ce qu'il avait prévu parce qu'il a compris ce qu'il avait acheté. C'est comme en cuisine : depuis quelques années c'est la modes des chefs, des repas les uns chez les autres... DH : Je vient en effet de lire un mémoire sur ce sujet302 : les blogs de cuisines ont chamboulé ce secteur, ce qui a eu un effet positif pour les professionnel. La pratique de la cuisine est de nouveau 301 Excellente référence sur le sujet de BERTRANDY Yohann, 2009, Tout le monde est graphiste - le livre., 302 LAURE BLANCHARD, 2011, Triomphe de l’amateurisme en cuisine ? De la relation entre les imaginaires du web social e de la gastronomie au service de l’expression du désir amateur., TRAVAUX ETUDIANT, travail qui étudie la gastronomie sur le web à travers les blogs de cuisine et la foodsphère, comment les amateurs ont fait évoluer le monde de la gastronomie sur le web (discours, services nouveaux, pratiques). Les motivations des participants leur influence sur les professionnels.

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considérée comme quelque chose de noble. On peut imaginer en effet une pratique du graphisme de haute couture aux côtés du graphisme tout venant qui sera finalement proche d'une pratique quotidienne amateur. Ce n'est pas la manière de faire, ni les outils mais la démarche qui distingue le pro de l'amateur. La pratique discursive, l'approche que l'on a avec le client, la façon dont on argumente les créations. 26:23 de nouveau un problème technique, on change de technologie... DH : (Reprise) On en était au fait que le CS pourrait, comme pour la cuisine permettre de valoriser une certaine idée du design, de mettre en avant les bons designers. Les amateurs ayant accès aux métiers pourraient en effet se rendre compte qu'il s'agit d'un métier, pas d'un loisir. Dans certaines écoles de design, j'ai des exemples303, proposent à des étudiants de participer à ces concours. J’ai été bien entendu surpris par cette démarche. Pourquoi est-ce aussi difficile pour un étudiant qui sort d'école, qui est encore un peu amateur par son manque d'expérience, destiné à devenir pro - et parce qu'il ne connaît pas B. ENNS ;-) il va être tenté par ces plateformes ? Ne serait-ce pour alimenter son portfolio. On a l'impression qu'il est tellement difficile pour un jeune graphiste de débuter son activité, qu'il s'agit d'une solution de repli. Pourquoi est-ce aussi difficile ? Pourquoi même les très bons qui sortent avec les félicitations se retrouvent parfois à bosser au Macdo 5 mois plus tard ? FC : Il y a pas mal de raisons, les emplois sont déjà moins nombreux que les demandes, les agences ne peuvent absorber tous les jeunes diplômés et le marché non plus, on est dans une situation aujourd'hui avec un bon enseignement généraliste dans pas mal d'écoles, mais on manque d'enseignement spécialisé. Ce qui du coup révèle à la fois un problème de formation, et de pédagogie aussi : les écoles qui envoient leurs étudiants dans ce type de concours, là c'est vraiment un défaut de pédagogie. Ça ne m'étonne pas, il y a des écoles très mauvaises là-dessus, et heureusement il y en a d'autres très bien. Ensuite il n'y a que les mauvaises rencontres, il y a des gens talentueux qui ne font pas les bonnes rencontres malheureusement, d'autres qui ont un sens un peu inné du commerce, qui s'en sortent plus vite, plus tôt. Tout le monde n'a pas le sens de l'entreprise et aujourd'hui il y a un mouvement clair : si on ne trouve pas de travail salarié, on s'installe en indépendant mais on manque de compétences commerciales, c'est le gros soucis. Être indépendant, c'est comprendre certaines règles du commerce. Si on monte un commerce d'achat-vente on a affaire à des personnes qui ont un profil commercial, mais quand on monte un business dans le design, on a affaire à des créatifs et qui sont les moins préparés à cette vie là. Donc a alors énormément de gens qui restent sur le bas-côté, parce que, malgré le talent, on ne leur a pas expliqué comment faire commerce de leurs idées, comment se protéger, etc… À l'AFD, ce que l'on constate c'est qu'il y a quelques années, on avait peu de visibilité, les gens ne nous connaissaient pas, maintenant ils savent que l'on existe, ils n'ont cependant pas compris l'intérêt de nous rencontrer avant d'avoir des problèmes. On a donc énormément de gens qui adhèrent à l'AFD quand ils sont déjà en litige. On a bien du mal à les aider. En France on a des droits très forts et protecteurs, comme le droit de la PI, qui sont très intéressants. Mais ils sont difficiles à appliquer. Pour faire appliquer les

303 Une collègue de promo CTN, qui a fait un BTS communication visuelle je ne citerais pas l’école.

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droits, c'est beaucoup moins romantique que l'énoncé de la loi, ça nécessite de préparer en amont une relation professionnelle en ayant une stratégie de la relation professionnelle. Là, quand on a pas ça, je ne voit pas comment l'avoir si on ne l'apprend pas. On se fait avoir, et on apprend en se faisant avoir. Je me suis fait avoir aussi, quand j'ai commencé DH : Tout le monde en fait : c'est la fatalité du graphiste. J'attends aussi toujours certaines factures d'il y a 8 ans... FC : À un moment on comprend qu'il faut échafauder une stratégie DH : Le positionnement ? FC : Non ça c'est encore autre chose, il s'agit de la stratégie commerciale, ce dont je parle à l'instant c'est une stratégie de défense, une stratégie juridique : blinder juridiquement sa stratégie commerciale. Il faut un certain nombre de pièces juridiques, ce que B.Enns appelle le contrat : Une fois que l'on a dialogué sur les choses essentielles, là on va passer à la rédaction d'un contrat. DH : Un cahier des charges ? FC : Oui un cahier des charges, contrat et signature de ce contrat. Une fois que l'on a ça, on est en position de faire valoir son droit. Sans ça, il faut vraiment que le client ait fait un certain nombre d'erreurs grossières pour avoir gain de cause. Il faut pouvoir se dire : investir dans des frais d'avocats, voir dans des frais de procédures, c'est toujours un investissement rentable à terme. Le problème dans la plupart des cas, c'est que ça ne l'est pas. Donc quand on pèse le montant d'une affaire, et celui que l'on pourrait recouvrer auprès de l'adversaire, en général, en dessous de 5K € ça ne vaut pas le coup. Ça commence à avoir un intérêt autour de 8-10K€. DH : L'AFD propose donc de bien accompagner en amont sur des questions de forme. Un enseignement de ces notions à l'école serait une piste pour que ce métier soit moins précaire ? FC : Oui en effet, on pourrait se dire qu'il faut un apprentissage à ces questions là, à l'école, le problème, c'est qu'en master, très peu d'étudiants enregistrent les choses et s'intéressent parce qu'ils sont encore un peu jeunes pour ça et focalisés sur le diplôme, je l'ai vécu à la fois comme étudiant et comme enseignant : je retiens qu'il y a une énorme déperdition d'information, peu être un ou deux sur vingt qui enregistrent bien les choses. C'est encore un peu trop tôt finalement. Ce qu'il faut c'est qu'ils aient conscience qu'il faut se faire accompagner par un certain nombre de gens compétents : un comptable, un fiscaliste, et l'AFD (un syndicat) pour apprendre- ce n'est pas grand chose, c'est vite appris - mais il faut se faire accompagner par un organisme professionnel qui peut, par des retours d'expériences proposer une méthode. DH : C'est évident qu'en sortant même d'une école assez bonne, je n'ai pas eu cette préparation. On part la fleur au fusil en se disant "c'est bon je sais faire du graphisme : je vais m'en sortir" c'est en fait un aspect du métier que l'on découvre après l'école, on se retrouve dans une situation où a besoin d'être bon dans ce que l'on produit, mais aussi savoir le dire et se vendre tout en restant armé pour affronter les situations difficiles avec certains clients dont l'attitude est contestable. Ce métier compliqué, comme vous le dites, la notion d'argent est souvent la dernière roue du carrosse, il y a

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presque une certaine pudeur que l'on retrouve dans ce milieu, qui empêche le designer d'aborder le sujet. C'est un peu le mal du designer non ? FC : Absolument, il y a une pudeur, très nuisible pour le chiffre d'affaire. Quand on est bon et que l'on veut trouver un travail dans une entreprise. être bon peu suffire, il faut être opiniâtre, il faut chercher mais on finira pas trouver. Sauf si on est au milieu de nul part bien sûr, il y des déserts économiques encore en France. Il suffit de regarder l'implémentation des personnes inscrits à l'annuaire des designers en France, on voit très bien les zones où c'est le désert total. Si on fait le choix d'exercer une activité indépendante, il faut absolument compléter sa formation par un minimum de gestion des aspects commerciaux. DH : C'est pas toujours évident lorsque l'on voit les cursus assez chargé, qui répondent parfois de manière très large à la demande du marché de l’emploi, on peut imaginer que cet aspect aura du mal à trouver une place dans les emploi du temps soit les financements dans une école qui doit déjà assurer en priorité les matières essentielles avec peu de moyen souvent. On a abordé les principaux aspects de l'entretien, la qualité, les participants… On sait que l'AFD est plutôt un farouche opposant au CS, disons plutôt au travail gratuit. En comparant les différentes plateformes de CS, je me suis rendu compte que positionnement était différent, certains proposent des concours de logo, alors que d'autres font des concours d'idées… J'aurai aimé que vous me donniez votre avis sur les formes que peut prendre le CS à l'avenir, si ce modèle peut perdurer ou non...si certaines formes sont plus vertueuses que d'autres. Je me suis en effet rendu compte en étudiant les plateformes qu'Eyeka par exemple n'était pas du tout positionné comme Creads. Pour ce dernier, je me suis tout de suite dit qu'un logo ne pouvait être adapté, sans un minimum de recherche et d'échange avec le client, et que la quantité ne garantirait pas la qualité. Par contre chez Eyeka, l'approche semble différente, puisqu'ils ont une démarche marketing : les marques n'utilisent pas la production des participants pour avoir un produit fini comme un logo, mais plutôt comme un élément de benchmark amélioré pour un projet à plus grande échelle, ce sont surtout des gros client là-bas. Ils ont peut-être un budget CS qui représente une faible proportion dans leur enveloppe marketing, on se retrouve avec un CS créatif complètement différent de ce qui est critiqué, avec Creads en première ligne. (J’admets que ça ne ressemble pas vraiment à une question...) FC : On ne peut empêcher les gens de concourir, le concours en soi peut être motivant, la question c'est les termes du concours, quels sont les termes pour concourir. Est-ce que la compétition est saine ? Si elle n'est pas saine, la première chose à faire, c'est de ne pas y aller, être en capacité" de comprendre qu'il ne faut pas y aller, c'est de trouver des sources d'éducation aux problématiques que ça pose. Encore une fois, ça fait un tri entre un certain nombre de pro qui vont à la facilité, ils savent répondre avec des idées basiques, ils savent faire. Il y a aussi le débat sur les photographes, ce n'est pas tout à fait la même chose, que les banques d'images, par exemple, ou les capacités de rémunérer les auteurs sont très importantes. Il s'agit dans ce cas d'un problème de répartition des sommes collectées qui soit en accord avec le travail du designer. Le CS est un mot foutu dans le monde, désormais associé à l'idée que l'on va travailler pour rien. Cela joue quand même sur la naïveté des créatifs, on a en effet une chance sur 100... DH : J'aimerai bien voir en effet, sur l'ensemble des participants, et le nombre de concours, si on arrive en étant un professionnel (encore une fois, on peut se prétendre pro sans en avoir l'étoffe ni la

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démarche) la part des pro qui gagne est plus importante ou non, à savoir : a-t-on plus de chance de gagner si on est pro ? Simplement pour comprendre si l'expertise reste là, quelque soit le brief : le professionnel s'en sortira-t-il mieux qu'un amateur ? Je pense (c'est une supposition pour le moment) que lorsque l'on sort d'une école de design, on a plutôt une chance sur 40 de gagner… ce qui reste élevé. FC : Si on regarde la page d'accueil d'Eyeka, tout est dit : on voit plus de 5 millions €, 87000 idées soumises, ça va nous faire un prix moyen de 57€ l'idée... DH : On voit en effet que les concours ne sont pas rémunérés selon la grille classique du marché, on est bien en dessous. Ils jouent en effet sur cet effet de masse, ce qui peut au contraire faire un peu peur quand on analyse les chiffres. FC : Oui c'est statistiquement bas. On continue : " Les réalisations des créateurs d'Eyeka nous ont souvent surpris et ont directement alimenté notre travail interne pour l'enrichir et stimuler nos équipes." (Citation du responsable de la ligne DS chez Citroën) c'est un truc qui alimente le travail interne : le travail de design n'est pas là. DH : C'est du benchmark, Eyeka l'admet, ils ne font qu'un travail en amont des créations. Je me suis posé la question pour les vidéos : les créateurs passent une semaine à produire quelque chose, si derrière, une semaine de travail, les gens mobilisés...ils n'ont rien : on peut comprendre une certaines déception. Ils ne participent qu'une fois mais pas deux... FC : Oui mais bon en fait l'objet caché du CS, il n'est pas dans le fait que les gens qui gagnent. Il est dans la création de fichiers, ce qui fait la valeur de ces entreprises, ce sont ces fichiers. Quand ils disent "on a X créateurs"...les gens s'inscrivent une fois, ils comprennent et en attendant ils ne suppriment pas leur compte (si c'est toutefois possible) ça alimente une base de données, qui est utilisée derrière. Il ne faut pas être naïf, le but reste d'appâter des gens pour créer une base de donnée qui va servir à des grands groupes de marketing direct, ou des éditeur de logiciels. Le but d'Adobe, quand ils ont racheté l'annuaire Behance, les portfolio en ligne, c'était de créer un fichier de client potentiels permettant d'alimenter un ensemble. DH : Le CS, je partage aussi le même point de vue : ce n'est pas une menace directe pour le design et les professionnels, mais c'est effectivement, une forme de marketing, poussée à son extrême pour les marques. Elles impliquent les consommateurs dans une forme de "méga-enquête" permettant la sortie d'une campagne bien ciblée. Les marques vont savoir ce qu'attendent les clients, quelle vision ils ont de celles-ci. Le Cs façon Eyeka, c'est plus du marketing que le CS façon Creads, qui est plus proche de la " foire au design Lidl". C'est peu être ce qui gène, ce n'est pas vraiment une agence, mais ils s'en donnent l'image, derrière c'est même retouché en interne après sélection (pour les logos), c'est là où au niveau métier on se retrouve dans une limite "éthique", il n'y a pas de respect pour le travail de création, qui peut être déconstruit ou réapproprié. La sacro-sainte règle du créatif est violée, le créatif est alors dépossédé de son travail. Je ne suis pas à l'aise avec cette forme là, alors qu'Eyeka, c'est du marketing, Décathlon le fait, Mado le fait pour fabriquer leurs burgers, c'est une forme d'implication de la clientèle, maintenant si des graphistes tombent dans ce circuit, ça ressemble plus à du dommage collatéral...ils ne recherchent pas la qualité mais plutôt des idées intéressantes et différentes de leur service com. ou de leur agence habituelle, qui va penser de manière professionnelle et peut-être un peu moins de manière intuitive (ou naïve).

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Pour conclure on a abordé pas mal d'aspects, peut-être un peu moins sur les appels d'offres, qui finalement concernent plus l'AFD, et il y a pas mal de choses là-dessus. Juste une dernière question une amie graphiste304 indépendante qui travaille aussi au sein de collectifs m'a parlé d'un concept qui s'appelle "la mise en concurrence" elle m'a donné l'exemple d'une salle de théâtre qui a fait la demande à une quinzaine de graphiste, malgré son intérêt pour le sujet, elle a décliné l'offre. Tu connais cette pratique ? FC : Si c'est un théâtre privé, il n'est pas soumis à la législation des marchés publics. Sinon, effectivement il rentre dans ce cadre. Pour ça la charte des marchés publics de l’AFD explique bien la différence. Les grands principes y sont. Un tableau avec les feuilles de marché indique ce qui est obligatoire, ce qui ne l’est pas et ce que l’on préconise. DH : Ce qui n’est pas cohérents dans cette histoire : ils demandent des références et une proposition mais il suffit que le devis ou le book ne conviennent pas et ils se retrouvent avec une réponse qui ne leur convient pas. La démarche habituelle consiste plutôt à faire une première sélection sur book, pour trouver un style qui convienne et ensuite de demander un devis et pourquoi pas une proposition qui sera rémunérée. Le pitch gratuit en tout cas, je ne sais pas si c’est encore plus pervers que le CS, car on bosse vraiment avec des pros, et on ne les rémunère que si un ensemble de facteur convient. FC : Hélas il y en a plein comme ça… DH : J’ai vu la liste noire sur votre site.305 FC : Notre charte a été validée par le ministère de la culture, suite à ça on a fait avec le centre des arts plastiques un PDF que l’on peut trouver facilement en ligne306 DH : Très bien fait en effet, présenté par Aurélie Filipétti. ...fin de l’entretien.

Geoffrey  Dorne  (entretien  n°5)  Designer et gérant de l’agence Design&Human et bloggeur sur Graphism.fr, le 13 Avril par téléphone. Né en 1985, Geoffrey Dorne est designer indépendant depuis 2005 et fondateur de Design & Human, une agence de design éthique, sociale et radicale. Diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (Ensad) en 2009. Il travaille à la fois le numérique et l’imprimé sur des 304 http://www.elodiecavel.fr/ 305 AFD | Liste noire des appels d’offres de design, http://www.alliance-francaise-des-designers.org/blog/2010/12/15/liste-noire-des-appels-d-offres-de-design-et-de-communication-1.html, consulté le 7 décembre 2014. 306 ADEBIAYE F., 2014, Guide : « La commande de design graphique », s.l., Centre national des arts plastiques.

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projets pour de prestigieux clients comme la Croix Rouge, la fondation Mozilla, le Commissariat à l’Énergie Atomique, EDF, La Recherche sur le SIDA, la CNIL, Orange... Son travail orienté utilisateur (UX) est subtil, conceptuel et métaphorique. Responsable pédagogique au sein de la Webschool Factory, il dispense également des cours et des workshops dans plusieurs écoles en France (la Sorbonne, l’ENSCI, les Gobelins, l’école des Arènes de Toulouse, la Webschool Factory...). En parallèle Bloggeur sur l’influant http://graphism.fr/ et suivi par 19,5K followers sur Twitter (@GeoffreyDorne) , Geoffrey fut également invité en 16 Juillet 2014 au ministère par Axelle Lemaire, Secrétaire d’État chargée du Numérique afin de rencontrer autour d’une table les responsables de Creads. Son blog : http://graphism.fr/ Son profil Linkedin : http://fr.linkedin.com/in/geoffreydorne Le site de Design & Human : http://designandhuman.com/ Damien Henry : Tout d'abord, merci de m'accorder un peu de ton temps. J'aimerai donc profiter de ton expertise et ton retour sur les débats qui ont eu lieu au ministère avec Axelle Lemaire. Avant toi j'ai déjà recueilli les témoignages de B. Fluzin et François Caspar ainsi qu'un retour à chaud par téléphone de Sébastien Drouin. Toutes ces personnes sont assez singulières, avec leur approche. De vrais professionnels, exerçant chacun de façon différente ; indépendant, responsable d'agence, directeur de création... Geoffrey Dorne : Nous n'avons pas la même façon de voir les choses en effet. DH : Ton blog est très populaire et ton point de vue est certainement plus nuancé sur certains points vis à vis du CS, le fait que tu enseignes est également ce qui m'a attiré. Tout d'abord une question autour de la qualité. Les Clients des plates-formes admettent eux-mêmes que les idées sont parfois inadaptées à la demande ou que certaines campagnes ne sont jamais dévoilées. (Suite à l'entretien avec Eyeka). Es-tu étonné que l'on se retrouve avec des « coups d'épée dans l'eau », des essais de CS qui ne fonctionnent pas ? Les clients se retrouvent devant les propositions et aucune ne colle avec leurs attentes. GD : Qui leur correspond… Ça ne m’étonne pas d'un premier abord. Je ne sais pas s'il y a une obligation de résultat sur ces plates-formes de Perverted CS comme Creads et celle dont tu parlais tout à l'heure, que je ne connais pas encore. Je ne sais pas si par exemple il y a un obligation du type : « vous aurez forcément un logo qui vous plaira avec lequel vous pourrez repartir ». Je ne pense pas que ça soit le cas. Parfois, cela doit sûrement se faire au moins pire. DH : En effet ce n'est pas le cas chez Eyeka, ils préviennent bien leurs clients au départ que le projet peut ne pas aboutir, surtout si au départ le client formule une demande complexe. Ils tentent donc au maximum de ne faire qu'une demande par concours. Il y a même des campagnes qu'ils refusent de faire « ça n'est pas fait pour le CS ». Je pense que cela varie selon les politiques des plates-formes. GD : Cela ne m’étonne pas. D'un autre côté, le fait de ne pas aller jusqu'au bout c'est sans doute lié au fait que le designer, amateur ou non, ne rencontre jamais le client. Chez Creads, apparemment, c'est comme ça. Le brief émis par le client est remâché par l'entreprise au milieu et donné ensuite aux créati fs qui participent (notez bien le mot de créatif et non de designer volontairement employé par l’entreprise).Ainsi, pour faire un bon projet de design, selon moi, il faut rencontrer les personnes avec

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qui on travaille et pour qui l’on travaille. Il faut aussi rencontrer les utilisateurs, comprendre le contexte et s’imprégner de la culture du projet. Cela prend du temps, et cela fait parti du contrat moral et professionnel. Si une partie de ce contrat n'est pas accomplie, les projets peuvent en subir les conséquences et être annulés en plein milieu. Dans ce cas de figure avec le CS, le client peut aussi dire qu'il va sortir du projet, parce qu'il ne trouve pas ce qu'il cherche et le créatif peut aussi dire qu'il part en vacances... DH : Ça rejoint beaucoup ce que disais Fluzin, qui m'expliquait que tout le processus créatif à mettre en place, dont ce brief qui d'ailleurs peut être amené à évoluer et un contrat qui précise bien les choses et les limites du projet. GD : C'est comme ça que je l’explique à mes étudiants et aux gens avec qui je travaille régulièrement : un brief c'est un outil, qui est conçu avec un créatif, avec parfois les développeurs qui vont devoir intégrer, qui est conçu avec le directeur… avec les parties prenantes du brief finalement. Et ça c'est assez rare de voir cette situation en entreprise. Créer un brief, selon moi ça doit se faire ensemble. Une fois que l’on a créé ce brief, on est d'accord pour travailler sur ces modalités, sur un axe précis. C'est un peu comme un pacte, un point de départ ou un contrat moral entre les gens… Mais en tout cas c'est quelque chose qui doit se créer ensemble. Le brief pyramidal top-down dans lequel on donne de façon autoritaire à quelqu'un des directives créatives, ça marche évidemment beaucoup moins bien que ci cela a été conçu tous ensemble. DH : Il y a des agences tout de même où le brief se faire avec le client, en interne le brief est donné aux créatifs. Il y a tout de même un dialogue, même si le créatif ne voit pas le client directement. GD : Ça repose sur la notion du dialogue, la création en général et le design plus précisément. Si le dialogue n'existe pas, ça ne m’étonne pas que ça n'aboutisse pas. DH : Si l’on compare avec une commande classique passé à une agence ou un freelance, Compte tenu du fait que le créatif soit mis en dehors de la formulation du brief. Que peut-on dire de la qualité du résultat sur les plates-formes de CS ? GD : La qualité est terriblement diminuée avec ce genre de commande par plusieurs facteurs : La première raison, la personne qui crée n'est pas forcément un professionnel, ça peut être un amateur, ça peut être un étudiant, n'importe qui... un enfant, peu importe. Le résultat peut être totalement aléatoire. Le second point, c'est question de brief et de dialogue qui n'est pas forcément intéressant dans une relation de Perverted CS comme Creads. Le fait qu'il y ait un intermédiaire, qui va servir d'interlocuteur principal, la plate-forme en l'occurrence diminue les échanges. Enfin le manque de qualité financière du projet, où les tarifs sont terriblement bas, et faire un excellent travail avec un tarif en dessous des grilles classiques cela veut dire qu'au milieu quelqu'un se fait avoir. Quelque chose de qualité ne coûte pas forcément des fortunes, mais ça a un certain prix quand même (pas forcément un coût financier, mais un échange de valeur doit être opéré) et ça je pense que c'est un facteur non négligeable. Les tarifs sont vraiment au dessous de ce que l'on peut trouver sur le marché classique du design ?

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GD : Je suis en ce moment sur Creads, je viens de voir les projets, les tarifs sont ridicules : création de logo pour un parti politique à 400€ DH : Pour un parti politique, il y a une certaine visibilité, des enjeux plus grands que pour le petit commerce local. Est-ce que la qualité du design a un impact sur la communication des entreprises ? GD : Oui tout à fait, au niveau du tarif, ça fait miroiter la valeur du travail est faible, en tout cas elle est drôlement amoindrie par rapport aux tarifs professionnels, et ensuite, on table plus sur la quantité que la qualité, au final on a un résultat toujours moindre. DH : Dans le cadre d'une identité par exemple, selon l'avis de plusieurs designers, ce n'est pas la meilleure manière d'obtenir un résultat qui puisse être pertinent, au contraire, cela nuirait à la PME ou à l'entreprise faisant appel à ce service. Le risque que la commande ne corresponde pas aux besoins de la structure est énorme et peut-être sous-estimé. Mais peut-on trouver des avantages à passer par ce système en dehors de l'aspect financier attractif au premier abord ? GD : Je réfléchi... honnêtement je me dis que si j'étais à la place d'une entreprise, peut-être que j'utiliserais le CS pour savoir comment les gens me perçoivent. C'est à dire que je pourrais dire par exemple « je suis une start-up qui réalise une nouvelle façon de s'alimenter par des boissons révolutionnaires... créez-moi un logo. » Tout à coup je me retrouve avec 100 propositions de logos, et je vois dans quel imaginaire les créatifs ou les gens en général perçoivent mon concept innovant. Sauf que cela n'a qu'une valeur consultative : quand je parle de boisson innovante, et de nutrition les gens imaginent une canette, ou plutôt une bouteille...Cela permettrait de défricher le terrain de façon visuelle. Et bien entendu, lorsque j'ai besoin de faire mon vrai logo, je ne peux plus passer par cet axe là car il faut choisir et trancher et avoir une vision graphique en plus de la vision entrepreneuriale. DH : C'est justement la principale différence entre les deux plate-forme que je suis en train d'étudier : Eyeka a plus ce rôle d'audit auprès de grands comptes qui utilisent vraiment le CS comme un outil marketing plus que dans le but de produire un résultat fini. La logique d'interroger des amateurs prend-elle du sens dans ce cas ? GD : Dans ce cas, ce n'est plus une plat-forme de création, mais plutôt une plate-forme de consulting où l'on interroge les gens, leur façon de voir les choses... Il y a déjà des entreprises qui le font, pour des marques, comment les personnes perçoivent l'univers de la marque etc... Et ça pour que cela soit bien fait, d'un point de vue qualitatif, des panels sont constitués à partir de personnes soit très différentes, soit au contraire au profil similaire. On est presque sur du sondage ou du focus-group, qui ont une meilleure représentation de la cible. DH : On jette un peu une bouteille à la mer, et on attend de voir si elle va arriver sur un rivage... Dans le cas d'Eyeka on est sur de grosses structures qui peuvent se permettre de prendre ce risque et qui consacrent une partie infime de leur budget marketing à ces campagnes de CS. Celles-ci font appels aux consommateurs pour savoir comment elles sont perçues visuellement ou sur des slogans ou des accroches. S'ils souhaitent lancer une campagne cela peut être intéressant d'avoir ce retour de personnes qui sont intéressés pour travailler sur cette marque. Ma question c'est : est-ce dans cette stratégie marketing implique les consommateurs et renforce le lien avec la marque d'une manière plus créative et active ? Être à la base du d'un futur concept génère une notion de fierté, peut-être un

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besoin de reconnaissance « je serai peut-être le concepteur du futur packaging des pâtes Lustucru... Ma création sera dans un rayon. » GD : Ça je le comprends quand c'est un concours pour une ONG, type WWF307 {quoiqu'ils n'ont plus vraiment besoin d'être valorisés}, le plus beau dessin sera affiché en 4/3 dans le métro : ça fait briller les yeux, ça donne envie. Il n’y a cependant pas de relation directement financière dessus. Les marques le font aussi via Facebook ou Twitter : « Que pensez-vous de notre nouveau logo ? De notre produit... ? ». Dans le contexte du CS on demande une prestation aux fans de la marque ou aux consommateurs, c'est plus proche du travail. Je trouve que demander à ses clients de travailler pour soi pour une rémunération utopique, parce que dans la plupart des cas il n'y en a pas du tout. C'est ce qu'on appelle le perverted CS : on perverti la mécanique du concours. Je veux bien un concours de dessin ou d'affiche, je trouve ça intéressant, mais il faut que ça respecte beaucoup de valeurs. DH : Pour toi il y a tout de même, une différence entre le crowdsourcing et une plate-forme qui fait du perverted CS. À quel moment on bascule de l'un à l'autre ? GD : On bascule là dedans quand on en fait une plate-forme justement. Une plate-forme qui ne fait que ça. Une marque qui fait un concours, ça arrive. Ils se font épingler par l'AFD sur la question du concours illégal parce que c'est un appel d'offre déguisé, ou les droits de PI sont « réquisitionnés » après une faible rémunération. Si le concours est un acte gratuit, qui n'est pas indispensable à l'entreprise : c'est en général assez sain. Faire un concours pour faire le meilleur logo, ou la meilleure interface pour le futur logiciel de l'entreprise : là c'est du travail déguisé sous forme de concours. C'est notamment là qu'on bascule. DH : Les marques le font, on le voit dans tous les secteurs, c'est donc assez difficile de faire la différence. Un site dédié comme celui de décathlon308 qui fait appel aux pratiquants pour concevoir les produits sportifs du futur et invite ensuite les gagnants dans l'entreprise pour participer avec les designers-maison à élaborer le produit avant production. Tu le classes à quel endroit ? GD : Il faut lire les « petites lignes » pour savoir ce qu’ils font ensuite avec le produit du futur. Il y a une zone grise, ce n'est pas noir ou blanc. Il y a forcément du flou entre les deux. Décathlon ne fait pas son beurre là-dessus. Ils ne vivent pas de ça. Creads le fait uniquement. Bien sûr c'est une opération marketing pour impliquer le consommateur dans la conception du produit. C'est très intéressant de faire ça, et je suis totalement partisan d'intégrer l'utilisateur dans la phase de conception, on l'invite à échanger, on lui offre des produits pour qu'il nous donne son avis sur le design, l'ergonomie, etc... Mais il faut voir jusqu'à quel point on l'implique, ce qu'on lui demande et les conséquences de son implication. Il faut bien laisser la personne à sa place : celle d'un non-professionnel qui a des idées neutres ou alors utopiques sur le sujet, et on va bien demander à un sociologue d'intervenir sur cette question là autour de la table ronde. DH : Les participants, pro ou amateurs, ont des motivations souvent différentes. Concernant les professionnels, qu'est-ce qui les attirent d'après toi sur ces plates-formes ? 307 Creative Awards by SAXOPRINT, http://www.saxoprint.fr/creativeawards, consulté le 6 juillet 2015. 308 Open Oxylane - Sports co-creation platform, https://www.openoxylane.com, consulté le 19 novembre 2014.

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GD : C'est une bonne question, j'en discute souvent avec mes étudiants, pour savoir s'ils connaissent Creads, s'ils ont déjà entendu parlé de cette pratique, pourquoi ils seraient tentés...Le premier critère de motivations c'est tout simplement l'argent. Potentiellement ils peuvent gagner 300-400€ en une soirée en faisant un logo sur Photoshop. C'est cet aspect financier qui motive ceux qui savent un minimum faire ce métier : de l'agent facile, vite fait bien fait. Une fois qu'ils comprennent un peu la mécanique le discours change. Je leur dis « dans 3 ans vous êtes diplômés, et vous ne pourrez plus faire ça, si vous le faites maintenant, vous tuez votre propre boulot à la sortie de l'école ». Ils pensent alors à plus long terme. Cet argent facile, de l'agent pourtant utopique puisque très peu réussissent finalement. La seconde raison, c'est le fait que cela soit international : quelqu'un qui vit dans un pays où le SMIC [lorsqu'il y en a un] est 200€/mois, tout à coup, gagner le double en faisant un logo, cela devient une fortune. Le fait de désintermédier et de rendre la relation créatif-client internationale, cela ajoute encore de l'ampleur aux motivations. Dernier point : avoir des client qu'on ne peut se permettre. Le professionnel se dit donc « de toute façon, je serai meilleur que les autres, puisqu'ils sont tous amateurs, et je vais faire un super projet » sauf que la création choisie, n'est pas toujours la plus professionnelle, mais celle qui plaira le plus au commanditaire, qui décide. Il n'y aura pas de grille de lecture basée sur le design, mais plus sur le « j'aime, j'aime pas ». Le fait ensuite de se dit même si je ne gagne que 300€, ça ne représente rien dans mon budget professionnel, mais je vais peut-être pouvoir approcher cette marque pour un futur projet. Tout ça reste dans le conditionnel, car on ne peut jamais être sûr de gagner. DH : On sait aussi que le book peut être très important lors d'un recrutement par exemple, surtout lorsque l'on débute. Pour ceux qui sortent de l'école, quelles sont les pistes pour démarrer et se faire des références qui ne soient pas des boulots d'étudiants ? C'est compliqué de démarcher au départ sans référence non ? GD : En général c'est assez traditionnel, y'a trois façon de faire : Les étudiants qui sortent d'école ont fait des stages, donc ils peuvent parfois, et en général ils le font, présenter des projets réalisés pendant ces périodes en agences, ça leur permet d'avoir des références professionnelles et montrer leur intervention, parfois c'est juste sur un petit logo, ou une plaquette, un site... mais c'est déjà ça. Les projets qui sont parfois réalisés en cours, sont très variés et souvent de qualité professionnelle. On travaille avec de véritables entreprises, qui proposent un cahiers des charges aux étudiants et un projet pédagogique et de vraies contraintes. Dernière voie possible : démarcher en faisant des petits projets, lorsque l'on est encore étudiant, je l'ai déjà fait pour des associations, pour des petites structures, même si ce n'est pas très cher, ce n'est pas très grave. Ou alors faire des projets fictifs, et beaucoup d'étudiants font des projets pour lesquels ils sont leur propre commanditaire : il refondent des logos, des sites web, etc. ...Même si ce n'est pas rémunérateur, cela reste porteur de leur réflexion. [Pour ces projets fictifs, il faut se fixer les contraintes et on reste dans une réponse idéale non ?] DH : Pour revenir au fait que des entreprises fassent appel aux écoles, s'agit-il de projets déjà réalisés qui donnent juste un cadre de réalisation identique à la demande réelle, pour avoir un cas d'école ? Ou bien est-ce un arrangement entre l'école et l'entreprise si ce projet est une première ? On serait dans une forme de crowdsourcing miniature, ou plutôt un mini appel d'offre à l'échelle d'une classe.

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GD : Je suis tout à fait d'accord avec toi, ça dépend évidemment des écoles, sans citer aucun nom, certaines récupèrent des briefs de projets déjà réalisés par une agence ou un studio. On travaille en conditions réelles. Ensuite il y a des entreprises qui exploitent leurs étudiants, pour les faire travailler gracieusement et les entreprises payent très cher les écoles qui gagnent donc de l'argent sur le dos des étudiants. Ce qui arrive aussi hélas. Ensuite, il y a une zone grise aussi entre les deux, car l'entreprise ne va pas interagir avec l'école sur des projets à court terme (genre site web ou faire un livre), mais plutôt sur des projets à long terme et visionnaire comme sur les transports à Paris en 2030 et là les étudiants peuvent travailler et utiliser les contraintes dans lequel l'entreprise a des connaissances mais aussi sur une vision pédagogique : « j'imagine que le transport se fera de tel ou tel façon, ou l'interface du mobile sera plutôt comme ça... » C'est moins court-termiste qu'un projet qui serait financé directement. Et c'est évidemment encadré par un travail pédagogique derrière. Moi qui m'occupe un poste de responsable pédagogique dans une école [laquelle ?] je fais hyper attention et j'essaye de prévenir toutes les entreprises qu'on ne travaille pas pour elles mais plutôt elles qui travaillent pour les étudiants en leur donnant un maximum d'informations, le maximum de contexte, et tout ce qu'elles peuvent pour faite en sorte que les étudiants puissent imaginer les choses, créer, concevoir et qu'il y ai une relation inversée de ce que l'on pourrait croire habituellement. DH : C'est rassurant d'entendre ça, puisque cette année j'ai découvert que des écoles incitaient leurs étudiants à aller sur Creads (EPMC La Ruche) GD : ... [Silence qui en dit long] Ah ouais ! Il est possible que certaines personnes au niveau pédagogique ne réalisent pas les enjeux qui se cachent derrière le CS. Il n'y a aucune étude qui prouve vraiment si le CS met en danger la filière du design, d'un point de vue économique en tout cas. Personnellement je n'y crois pas trop. Par conte en quoi cela peut nuire au niveau professionnel. Peut-on trouver des points sur lesquels le CS, cet acteur un peu nouveau de la « place graphique », pouvant être nocifs pour les professionnels dans leur pratique quotidienne du design ? GD : À court terme, les designers ne vont pas gagner moins d'argent. Parce qu'il y a moins de projet, ce n'est pas vraiment un souci économique. Les jeunes designers par contre seront en difficulté, parce qu'ils sont déjà à des prix très faibles et entre un client qui a 100 propositions de logo, pour 400€ et un client qui a 3 propositions de logo pour 400€, il risque d'aller vers la quantité. Ça peut nuire à mon avis à ceux qui démarrent, dans le métier. J'espère que ça ne sera pas comme ça, mais j'ai l'impression que ça en prend le chemin. À plus long terme, c'est surtout un dévalorisation du savoir-faire du métier du design, car évidement ce métier n'est pas uniquement le résultat visuel final, mais c'est un processus, une réflexion, des recherches, de l'ethnographie, de la socio, un dialogue avec les utilisateurs de la marque, c'est faire des tests ergonomiques, faire énormément de choses qui ne sont pas juste un logo ou un graphisme, et résumer le métier du designer à la simple création graphique final, c'est amoindrir l'expertise. C'est un peu comme si je disais qu'un garagiste fait uniquement des vidanges, ou qu'un boulanger ne fait que des baguettes. Il y a tout un savoir-faire derrière, une démarche.

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Et c'est ça qui m'ennuie le plus, ça dévalorise le travail, pas uniquement au niveau des professionnels, mais aussi du grand public ou entrepreneurial, ça dévalorise l'image que l'on a du design, l'image que l'on a du designer, son savoir-faire, son sérieux la qualité et le prix que ça coûte aussi. C'est cet aspect le plus gênant, j'essaie de me battre contre ça justement en disant que le design n'est pas juste la couche visible de l'iceberg mais tout ce qui se trouve en dessous aussi. DH : Pour toi le paysage graphique pourrait être chamboulé par la présence de cet acteur, mais aussi l'apparition de boulots faits par des amateurs ? GD : Oui et surtout la qualité qui sort de ce type de plate-forme est pitoyable. J'ai juste vu des éléments, car de temps en temps je vais faire un tour sur Creads, pour aller voir ce qui a été réalisé, c'est vraiment de la très mauvaise qualité. Ça m'ennuie profondément, je suis un peu utopiste, j'ai tendance à croire qu'on peut tirer les choses vers le haut, sortir des meilleurs designs... Mais en fait ce genre de plate-forme arrive à prouver que des gens font l'inverse en tirant la qualité vers les bas. C'est vraiment dommage car ce n'est l'intérêt de personne. C'est chercher au moins cher, au moins intéressant, et donc : au moins qualitatif. DH : Avec François Caspar nous avons abordé aussi cet aspect, et on parlait d'un graphisme à deux vitesses qui pouvait apparaître. On le voit déjà avec des formations de graphiste-express où tu deviens en 5 mois un infographiste prêt à servir, capable uniquement d'utiliser des outils. On voit du coup apparaître un marché saturé de graphistes en tout genre, souvent difficile même de déterminer qui est réellement professionnel et qui ne l'est pas. On a vu à l'instant que le métier ne tenait pas uniquement à une expertise technique, finalement ce graphisme à deux vitesses peut-il s'accentuer dans les prochaines années ? GD : C'est intéressant cette notion de graphisme à deux vitesses, je ne l’avais jamais envisagé sous cet angle là. Les gens qui ont du boulot, les stars ou les gens qui sont juste très bons (les amateurs). Je me fais pas de soucis pour eux, les gens qui sortent d'ESAG, qui font de la typo de façon nickel, sur du court terme ils n'ont pas de raison de se faire du souci, les gens qui ont des réseaux professionnels étendus n'ont pas besoin de ça. Ça ne va pas les atteindre je pense. Mais les salaires sont aussi à deux vitesses, ceux qui démarrent dans la profession, ou ceux qui ne sont pas dans les réseaux parisiens centrés mais plutôt en province, et qui font des petits boulots pour des associations, pour des petites boutiques, etc. Eux seront probablement les premiers atteints, ça m'ennuie vraiment, les plus faible seront touchés en premier. DH : Le statut d'indépendant, en ce moment on constate d'ailleurs une certaine remise en cause du système MDA, j'ai un avis là dessus qui peut être erroné mais ce fonctionnement est tellement compliqué (comme celui des intermittents) que peut-être, par facilité on peut aller se tourner vers ces plates-formes qui proposent un gain simple. Que l'on doit de toute façon déclarer, à la MDA, mais ça c'est écrit en petit et rien ne contrôle le devenir des gains. Qu'est-ce qui est remis en cause sur ce système ?

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GD : La MDA va apparemment fusionner avec l'URSSAF, ou les Agessa je ne sais plus. La maison des artistes, une enquête a été faite par l'AFD309 et François t'en a peut-être parlé, qui fait que la MDA refuse de plus en plus les designers au sein de leurs cotisants, ce qui serait illégal de sélectionner des gens qui entrent dans les cases mais sous prétexte qu'ils sont designers, ils ne les acceptent pas. Alors pas étonnant qu'ils soient un peu effrayés par ça : c'est compliqué, c'est très mal géré, ils sont en sous-effectifs et parfois pas très compétents. Car ils n'ont pas toujours les connaissances sur les métiers de la création et les métiers du graphisme ou de la photographie, donc forcément les étudiants vont vers les plates-formes. Je ne sais pas si on peut être payé via Paypal, mais si c'est possible, cela reste en circuit fermé, il n'y a pas de déclaration… Le créatif se dit qu'il est tranquille. C'est une vision très court-termiste et un peu infantile mais j'ai été ravis le jour où j'ai pu quitter la MDA pour créer une société, je gagne bien moins avec les charges, mais je cotise pour ma retraite, j'ai un interlocuteur fiable, un comptable : c'est bien plus carré, et c'est plus solide que d'être à la MDA avec toutes les surprises qui vont avec. DH : J'y ai fait un court passage aussi, mais cela m'a donné suffisamment envie de devenir salarié et poursuivi quelques années pour justifier des choses qui n'avaient même pas été correctement payées par le commanditaire, au final je pense avoir plus cotisé que réellement gagné. GD : Ça m'étonnes pas, rien que le précompte, le 1%... DH :...Rien que l'expliquer au client, c'est anti-commercial au possible ! GD : Je connais un peu les rouages de tout ça et en effet, il faudrait revoir ce statut et le faire vraiment plus simplement. En Belgique ils font ça très bien je crois, en Suède aussi ils ont des statuts très intéressants, les bons modèles ne manquent pas en Europe, mais en France on est pas toujours gâtés. DH : Il faudrait créer une maison des graphistes ! GD : Oui la maison des graphistes ou la maison des designers…? En profiter pour appeler ça autrement que « maison » ça rappellerait trop de mauvais souvenirs (MDA)! DH : La caverne des graphistes... GD : Pas mal. Ça fait donc aussi parti des raisons pour lesquelles j'ai décidé de créer mon entreprise, pour sortir de ça, avec d'autres contraintes qui ne sont pas non plus évidentes mais c'est une autre aventure ! DH : En tout cas ça m'a encore apporté des petites choses, un point de vue aussi singulier sur l'enseignement, ce n'était pas évident puisque tu es le troisième professionnel du design avec qui je m'entretiens. Si tu souhaites ajouter des choses n'hésite pas.

309 Réforme du régime de sécurité sociale des artistes auteurs Illustration: Erick Duhamel, http://petitions.upp-auteurs.fr/appel.php?petition=445, consulté le 6 juillet 2015.

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GD : Oui justement j'avais noté quelques petits points : je ne sais pas si tu avais lu mon article sur Axelle Lemaire et les graphistes310… DH : J'ai lu plusieurs comptes rendus, peu être pas tous GD : C'est quelque chose que j'ai remarqué par rapport à Creads notamment, c'est qu'en fait au départ ils se présentaient comme la plus grande agence participative, et petit à petit, dans le vocabulaire, ils ont commencé à faire une translation, en ne parlant plus uniquement que de concours et de créatifs. C'est intéressant car on ne s'adresse plus à des professionnels, mais d'un coup « tout le monde est créati f » en terme de langage, ça a évolué. On ne fait plus des projets, mais des concours. Cette translation de vocabulaire est assez intéressante pour être soulignée. Et ensuite Creads, révèlent les talents de jeunes artistes, et non plus graphistes... ce mot disparaît. Ensuite le fait qu'ils prennent 50% de marge sur tous les prix, ça ils ne le mettent pas du tout en avant... Et 50% pour un intermédiaire c'est vraiment beaucoup. Parfois même ils sont amenés à refaire les créations graphiques des gagnants. J'avais discuté pas mal avec eux, pour comprendre leur fonctionnement, ils ont un studio interne, qui retouche parfois les fichiers de logos faits dans Photoshop de mauvaise qualité, et décline le projet, redessine, etc. Ce sont des choses en interne que l'on connaît moins. Ce temps que j'avais d'ailleurs pris avant la rencontre avec A Lemaire, m'a valu quelques critiques de la part de quelques graphistes un peu « trolls » sous prétexte d'avoir rencontré l'ennemi. DH : Au moins tu es légitime dans ton analyse. Il faut en effet bien montrer qu'il y aune zone grise, c'est là où ton mémoire sera le plus intéressant. Dire comment ça se passait avant, les concours, etc. Voilà comment ça se passe aujourd'hui à l'extrême et l'industrialisation de la création pas chère, et au milieu, les choses qui peuvent être intéressantes. Des personnes comme Marie Julien, par manque de connaissance de la plate-forme dans les détails, ont tenu des propos extrêmement déplacés vis à vis d'Axelle Lemaire : « Si Creads emploie des graphistes gratuitement, est-ce que moi aussi je peux le faire ? » Cette réunion était très peu constructive car trustée par deux ou trois personnes monopolisant la parole autour de la table. Ces personnes étaient juste là pour dire « le CS c'est mal et nous on fait des trucs bien et c'est tout ». Il faut un dialogue plus riche car le CS risque d’exister encore longtemps. DH : Des initiatives comme l'ANEC de Sébastien Drouin, le guide de la commande graphique ou le livre de B Enns traduit par F Caspar est des formes de réponses. Le CS ne peut pas être interdit sous prétexte qu’il gêne une profession. Bien que c’est ce qui se passe avec les taxi et Uber pop. GD : Apparemment, on ne peut interdire ces plates-formes, une fois qu’elles existent... qu'est-ce qu'on fait ? Une fois qu’on déconstruit leur mécanique, comment on agit pour transformer ça à notre avantage ?

310 Dorne Geoffrey, Graphisme & interactivité blog de design par Geoffrey Dorne » J’ai rencontré Axelle Lemaire, Creads et des graphistes. http://graphism.fr/resume-jai-rencontr-axelle-lemaire-creads-des-graphistes/, consulté le 16 novembre 2014.

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DH : Ma théorie c'est que ces plates-formes vont finir par être désertée par les professionnels, au bout de 2 ou 3 concours, auront-ils toujours la motivation de participer, en découvrant qu'ils ne peuvent mettre le logo de la marque dans leur book alors que c'est exactement ça qui les a poussé à participer. Pour le moment ces plates-formes sont jeunes, on manque de recul, certaines n'ont d’ailleurs pas encore fini de trouver leur modèle et pourraient encore évoluer. Mais Comme pour Uber, on ne peut réagir sans comprendre ce qui nous permet de tirer notre épingle du jeu. GD : On est encore dans l’émotion… avec ton mémoire on commencera à avoir des réponses analytiques. On a besoin de ça :)

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2) Sources  et  références  Creads  

Témoignages  et  citations  sur  Creads  

Fabienne Chabus (@freesylo)

Conceptrice rédactrice freelance (www.fabiennechabus.fr) et créatif sur Creads (@freesylo), Le 28 Juillet 2015, par mail. Bonjour Damien, Je viens d’envoyer mes réponses à votre formulaire d’enquête. J’espère que d’autres créatifs en feront autant pour étoffer votre étude. En premier lieu, j’ai été surprise par votre chiffre de 544 gagnants !!! Seulement !!! Depuis 2008, année de lancement de la plateforme. Les chiffres sont implacables et ils ont toujours raison. Après, je dirais qu’il faut vivre de l’intérieur le crowdsourcing pour savoir exactement de quoi il en retourne. Mais effectivement, si on épluche un peu les résultats, ça saute aux yeux que plus le nombre de victoires est important, plus le suivi de participation et le professionnalisme d’une poignée de créatifs devient évident. Pour compléter le questionnaire de votre enquête, je vous apporte volontiers quelques précisions : > Concernant les Elite, en effet, je suis très souvent sollicitée et ai remporté d’ailleurs plusieurs concours de ce type, dont celui pour Boulanger avec le naming « SOLVAREA ». Il s’agissait d’un appel d’offres avec mise en concurrence entre plusieurs agences. Creads l’a ainsi remporté et il figure dans les « Références » en vitrine du site. Toutefois, vous noterez, qu’il n’y est cité que la mention du logo réalisé à la suite. > « De quelle façon abordez-vous une commande classique en freelance (échanges client), cela est-il sensiblement différent sur Creads ? » Comme énoncé en réponse à votre questionnaire, j’estime en effet que les briefs postés sur Creads manquent souvent de précisions. De plus, sans lien direct avec l’annonceur, il faut se débrouiller avec, ou plutôt sans, avec simplement un brief « stéréotypé ». Seule l’expérience Agence et freelance, permet dans ce cas de savoir à peu près comment orienter une demande, ou tout du moins de savoir quel est le territoire de communication ou le ton à rechercher. Le manque de « dialogue » direct avec le client, par rapport à une commande exercée en freelance est flagrant. Quand j’ai une demande de naming en direct, je prolonge toujours le brief par un entretien où je peux sonder plus facilement les attendus, être à l’écoute de la sensibilité de mon interlocuteur pour répondre plus facilement aux besoins et viser juste. Si vous avez d’autres questions, je reste bien volontiers à votre disposition. Bien cordialement, Fabienne PS : Merci d’avance de bien vouloir me communiquer le résultat de votre étude à publication.

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@Mistizouk

Créatif sur Creads (@Mistizouk), par messages depuis la plate-forme Creads, Juin 2015. C’est noël J’espère que mes réponses t'aideront même si je ne suis pas la meilleure dans le classement de la communauté ! Fais-tu parti toi aussi de Creads ? Pour ma part, j'ai répondu à beaucoup de projets avant même d'avoir 1 victoire, alors pourquoi y revenir tu me diras... et bien quand tu gagnes, c'est comment dire, noël avant noël ! Tu as l'impression d'être Di Caprio à l'avant du Titanic en train de crier, je suis le roi du monde. Gagner face à des centaines d'autres candidats cela te rebooste forcément et te pousse à croire que tu as bien fait d'aller dans cette voie ! Bonne journée Damien H Se libérer de l'agence : Me mettre en freelance c'était une délivrance effectivement, en agence on est tenu par la hiérarchie qui le plus souvent reste très administrative et ne laisse que peu de temps à la créa ! On nous prend pour des divas ! Moi je vais répondre au projet de la talonnette, si cela te tente… qui sait, je voterai peut-être pour toi sans le savoir ! Méconnaissance du métier : « Sinon une autre di fficulté c’est de faire comprendre à certains clients que c’est un métier et qu’il y a un réel travail de recherche derrière, de création, de veille. J’aime certaines réflexions que peut dire un client.311 » (@Wilko87)

Les participants regrettent l'ancien forum :

« Dommage, dommage qu'il n'y ait plus de forum pour s'exprimer publiquement. Bonne journée. » (@si fflodoc 2 juillet 2015)

Commentaires autour des échanges entre membres :

« Oui, je pense que commenter objectivement est une chose très importante » (@Freestylo)312 « Pour moi l’esprit de partage est plus important que celui de compétition » (@Mandine44 sur le blog Creads).

Parfois cela peut même donner lieu à des collaborations entre un créatif et un rédacteur :

« Sur ce projet, j’ai travaillé en team avec une jeune et talentueuse rédactrice également inscrite depuis peu sur Creads. Je tenais donc à la remercier et à l’associer à ce travail. » (@Ezpeletar !) 313

311 Paroles de Créa : Découvrez l’interview de Wilko87 [En ligne]. Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-decouvrez-linterview-de-wilko87 > (consulté le 25 juillet 2015) 312 http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-freestylo#sthash.x93kX4lr.dpuf 313 Paroles de Créa - Découvrez l’interview de @Ezpeletar ! [En ligne]. Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-ezpeletar > (consulté le 25 juillet 2015)

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162

Un moyen de progresser

« L’expérience Creads m’a clairement permis de m’améliorer, voire de démarrer d’une page quasi blanche. Avant j’avais seulement fait un ou deux logos de base et Creads m’a vraiment permis de progresser sur le plan technique, et de me confronter à des graphistes de talent et à des clients pas toujours faciles à comprendre. Je ne pense pas que j’aurais pu avancer de cette manière sur le plan professionnel sans cette corde très utile à mon arc. » (@RDCom !)314

Méconnaissance du métier

« Sinon une autre di fficulté c’est de faire comprendre à certains clients que c’est un métier et qu’il y a un réel travail de recherche derrière, de création, de veille. J’aime certaines réflexions que peut dire un client.315 » (@Wilko87)

Les Conditions générales d’utilisation Creads (CGU)

« Creads est une agence de communication qui assure un haut niveau de service à ses Clients, que ce soit dans le cadre de Projets Internes, d’Appels à la Création ou d’un mix entre ces deux processus de création. Dans ce cadre, elle a pris l’initiative et la responsabilité de développer le Site, à partir duquel les Créati fs peuvent librement contribuer aux Appels à la Création. » (CGU creads)

Creads et le community management

« Bonjour, damienhenry ! Je suis Aurélien, Community Manager chez Creads. Je suis ravi de vous accueillir au sein de notre communauté :) Pour bien commencer sur Creads, je vous suggère de remplir votre profil. Cette étape sera nécessaire pour que nous puissions vous contacter et que vous empochiez vos gains lors de victoires de projets. » Vos premiers pas dans l’agence Creads : • Complétez vos informations de compte • Participez à votre premier projet participatif • Découvrez les créatifs de la communauté • Visitez le blog marketing Creads

314 Paroles de Créa - Découvrez l’interview de @RDCom ! [En ligne]. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-rdcom > (consulté le 25 juillet 2015) 315 Paroles de Créa : Découvrez l’interview de Wilko87 [En ligne]. We are a design tribe - CREADS. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-decouvrez-linterview-de-wilko87 > (consulté le 25 juillet 2015)

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163

Le  concours  Segasel  La page du projet Segasel sur Creads : http://www.creads.fr/creation-logo-entreprise/garage-reparation-poids-lourds/gallery

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164

Le Brief du concours Segasel

Disponible sur : http://www.creads.fr/creation-logo-entreprise/garage-reparation-poids-lourds/brief Brief créatif par Aurelien - Chef de projet : Contexte Du Projet : Bonjour à tous, Nous vous sollicitons pour la refonte de l'identité visuelle de SEGASEL, garage de réparations poids lourds. Il s’agit de moderniser fortement le logo SEGASEL (disponible en pièce-jointe). Vous pouvez modifier de nombreux éléments mais l'idéal serait de conserver une suite logique afin que nous puissions sensiblement reconnaître l'ancien logo. Obligations :

• reprendre l'idée du camion tout en le modernisant. • Ne pas représenter un modèle en particulier. Le camion doit être intemporel et peu figuratif et

éviter le format vertical, peu pratique. • couleur dominante bleue • Baseline : Segasel s’occupe de tout, Segasel s’occupe de vous • Mots clés : sérieux, moderne, innovation, dynamisme.

Bonne créa :)

Stratégie de marque

Nom de logo : Segasel Baseline : Segasel s’occupe de tout, Segasel s’occupe de vous Objet du logo : Segasel est un garage de réparations poids lourds. Segasel représente la marque DAF mais répare toutes les marques de camion ainsi que les remorques et semi remorque. Segasel vend des camions neufs DAF et des poids lourds occasion toutes marques (même si Segasel préfère vendre des occasions en Daf) Segasel vend des pièces détachées pour poids lourds et remorques. DAF et toutes marques. Le logo actuel représente un camion en vertical ( certains y voient une clé a molette)avec le cœur vendéen au milieu il a le défaut d’être statique et vertical.il a la qualité d’être connu. Il faut le dynamiser et le moderniser Renseignements sur Segasel : www.segasel.fr Cibles : Tout propriétaire de camion. Clientèle exclusivement professionnelle clientèle locale en camions neufs et internationale en camions d’occasion. Pour les réparations clientèle locale et clientèle de passage. Concurrents : Les garages qui représentent d’autres marques poids lourds sur le secteur SDVI pour la marque IVECO, BERNIS pour la marque Renault Trucks, Seguin Trucks pour la marque VOLVO,DIAN pour la marque Scania, SAGA pour la marque Mercedes, Man France pour la marque MAN ou des garages qui représentent la même marque : Sidan à la Roche sur Yon pour DAF Ou des garages indépendants (Savarieau TVI, Rondeau Frères, Chiron Eds, G Trucks…)

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165

Valeurs à véhiculer : Sérieux, service, professionnalisme, disponibilité, professionnel, formation continue du personnel, innovation dans le service Supports D’application : Carte de visite, entête facture, web, bâtiment, véhicules

Direction créative

Type de logo recherché Pictural / illustratif :

Abstrait :

Contrainte typographique : / Obligations et recommandations : / Interdits : politique, religion, sexe Logos appréciés par le client : Total Logos non-appréciés par le client : Facebook car le f ne fait pas rêver

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166

Capture du site Segasel

Capture de la page d’accueil du Site www.segasel.fr du 24 Juillet 2015.

Quelques lignes pour défendre son travail

Démarche créative J’ai tout d’abord crayonné plusieurs formes de camion en essayant de conserver l’essentiel sans pour autant donner l’impression d’avoir affaire à un transporteur. J’ai ensuite ajusté les pleins et déliés afin de garder un équilibre entre la typographie Eurostile légèrement compacte et la forme du camion plus élancée. Pour finir la couleur est choisi en fonction des codes du secteur (IVECO, Michelin), mais le Rouge n’a pas été conservé car jugé trop agressif et cela pourrait rappeler IDlogistics. Pertinence : en quoi votre création répond aux besoins du client ? Pour rester dans l’univers existant de la marque, j’ai choisi de conserver la typographie Eurostile utilisée sur le site Segasel, et d’illustrer par un pico stylisé de camion à la fois la dynamique, le mouvement souhaité par le client mais aussi pour être clairement identifié comme acteur du secteur. En ce qui concerne la Baseline, la répétition Segasel, couplée au logo, rend l’ensemble un peu trop redondant. Je propose une approche plus légère, bien que le brief exige la répétition du mot.

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Captures   du   site  Creads  

Home page de Creads 2015

http://www.creads.fr/

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Le blog Creads

http://www.creads.fr/blog/

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La page projets de Creads

http://www.creads.fr/projets

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Les avatars des membres sur Creads

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Le mur communautaire

http://www.creads.fr/community/search/creatif

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Le site Creads : 2014 en chiffres Le Blog de Creads, http://www.creads.fr/blog/concours-creation/creads-2014-chiffres

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Les offres disponibles sur Creads (partie dédiée aux entreprises)

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Études  des  gagnants  sur  Creads  

Proportions des gagnants sur la communauté Creads

Les gagnants par concours

544  Gagnants  2%  

23706    Non-­‐gagnants  

98%  

322  

77  

38   27   14   12   2   7   6   4   6   2   8   2   1   2   1   1   1   1   1   1   1   1   1   1   1   1   1   1  0  

50  

100  

150  

200  

250  

300  

350  

1   2   3   4   5   6   7   8   9   10   11   12   13   14   15   16   19   20   21   22   25   28   29   31   33   35   39   54   58  127  Nombre  de  concours  remportés  

Nombre  de  gagnants  

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175

page1

23

45

67

89

1011

1213

1415

1619

2021

2225

2829

3133

3539

5458

127

>10137

3

1030

4

927

1

835

4

725

8

626

101

518

193

2

414

1712

2

36

813

152

21

24

28

711

72

41

11

1

11

11

13

25

45

27

11

21

11

11

11

11

11

11

1

total victoires322

154114

10870

7214

5654

4066

24104

2815

3219

2021

2225

2829

3133

3539

5458

127

% des victoires

17,78,49

6,285,95

3,863,97

0,773,09

2,982,21

3,641,32

5,731,54

0,831,76

1,051,10

1,161,21

1,381,54

1,601,71

1,821,93

2,152,98

3,207,0

% de gagnants

59,114,1

6,984,96

2,572,20

0,361,28

1,100,73

1,100,36

1,470,36

0,180,36

0,180,18

0,180,18

0,180,18

0,180,18

0,180,18

0,180,18

0,180,18

nbre de gagnants322

7738

2714

122

76

46

28

21

21

11

11

11

11

11

11

1

% des m

embres

1,320,31

0,150,11

0,050,04

0,000,02

0,020,01

0,020,00

0,030,00

0,000,00

0,000,00

0,000,00

0,000,00

0,000,00

0,000,00

0,000,00

0,000,00

total global1814

2425544

3,33

2,243,80

Nom

bres de victoires

victoiresM

embres de la

comm

unauténom

bre de gagnantsm

oyenne des victoires générales

% des m

embres

Les gagnants référencés par page sur Creads

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176

Les gagnants sur Creads et Eyeka

en 2013 2014 en 2015

53 666 50000 + 50000 +

total part de lacommunauté (seloncreads)

part de lacommunauté(affichés)

544 1,01% 2,24%

Nombre de victoiremoyenne pargagnant

global en 2013 nombre de projetsen 2014

global en 2015

3,33 1512 343 1807

global en 2013 pour l'année 2014 global

658 727€ NC NC

global en 2013 pour l'année 2014 global

284 554 29 567 300 000

2€ NC NC

global en 2013 pour l'année 2014 global

436€ NC NC

global en 2013 pour l'année 2014 global

188,20 86,20 166,02

Étude et analyse du siteidentifiables selon CREADS

Membres de la communauté

Selon étude des profils affichés

24 250Gagnants (qui ont gagnés au moins un concours)

total

NCvictoires (nbre concours)

total projets identifiés

1814Gains indiqués (Euros reversés)

impossiblité de parcourir les archives des concours

NC

Créations déposées

affichage ne permettant pas de faire une estimation

NC

Gains moyens par création

NC

Gains moyens par concours

NC

propositions moyenne par concours

affichage ne permettant pas de faire une estimation

NC

Données du sondagetotal identifiables Selon Creads

Selon Membres de la communauté

total membres % de la communauté % de la communauté base 2013

43 0,18% 0,08%Selon les gagnants

total gagnants % gagnants % gagnants

43 7,90% NC

selon les victoires (nbre concours)

total victoires % victoires % victoires 2015

305 16,81% 16,88%selon les Créations déposées

créations déposées % créations déposées % créations déposées base 300 000

19 143 NC 6,38%

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177

Résultats  bruts  de  l’enquête  Avant de trier les données, Google form permet de visualiser les réponses de manière « brutes ». Nous les avons ensuite croisées pour obtenir des résultats par catégories de profil.

Page 178: Crowdsourcing : le graphisme peut-il se faire uberiser ?

178

Motivation principale 20 46.5 %Motivation secondaire 21 48.8 %

Peu intéressé par cet aspect 2 4.7 %

Motivation principale 35 81.4 %Motivation secondaire 7 16.3 %

Peu intéressé par cet aspect 1 2.3 %

Motivation principale 6 14 %Motivation secondaire 5 11.6 %

Peu intéressé par cet aspect 32 74.4 %

Par passion pour la création [Quelles sont les raisons qui vous poussent àparticiper ?]

Pour "changer" de l'agence [Quelles sont les raisons qui vous poussent àparticiper ?]

Se mesurer aux autres créatifs [Quelles sont les raisons qui vous poussentà participer ?]

Motivation prin…

Motivation sec…

Peu intéressé…

Motivation prin…

Motivation sec…

Peu intéressé…

Motivation prin…

Motivation sec…

Peu intéressé…

Motivation principale 16 37.2 %Motivation secondaire 16 37.2 %

Peu intéressé par cet aspect 11 25.6 %

Motivation principale 7 16.3 %Motivation secondaire 16 37.2 %

Peu intéressé par cet aspect 20 46.5 %

Comme tremplin professionnel [Quelles sont les raisons qui vous poussentà participer ?]

Motivation prin…

Motivation sec…

Peu intéressé…

Motivation prin…

Motivation sec…

Peu intéressé…

Pour des raisons financières [Quelles sont les raisons qui vous poussent àparticiper ?]

Page 179: Crowdsourcing : le graphisme peut-il se faire uberiser ?

179

Motivation principale 16 37.2 %Motivation secondaire 16 37.2 %

Peu intéressé par cet aspect 11 25.6 %

Motivation principale 7 16.3 %Motivation secondaire 16 37.2 %

Peu intéressé par cet aspect 20 46.5 %

oui 22 52.4 %non 20 47.6 %

oui j'ai échangé avec lui 10 23.3 %non jamais 33 76.7 %

Comme tremplin professionnel [Quelles sont les raisons qui vous poussentà participer ?]

Avez-vous utilisé certaines de vos créations soumises pour votre book(portfolio) ?

Après avoir gagné un concours, avez-vous échangé avec le client ?

Motivation prin…

Motivation sec…

Peu intéressé…

Motivation prin…

Motivation sec…

Peu intéressé…

47.6%

52.4%

23.3%

76.7%

Toujours 13 30.2 %Il manque parfois des éléments pour avancer 22 51.2 %

C'est souvent compliqué de cerner la demande 8 18.6 %

Moins de réussiste : 1 7 16.3 %2 15 34.9 %3 18 41.9 %4 2 4.7 %

Très bon taux de réussite : 5 1 2.3 %

Le brief est-il suffisament complet pour fournir une réponse pertinente ?

Estimez-vous avoir un bon taux de réussite ?

Combien de concours avez-vous remporté ?

33

22

3

2

1

7

6

5

31

18.6%51.2%

30.2%

1 2 3 4 50

4

8

12

16

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180

Taux de réussite des participants à l’enquête sur Creads

Nombre deconcoursgagnésmoyen

créationsdéposées(moyenne)

nombre decréation pour 1victoire

taux deréussite -moyenne

sensation /estimation

nombre depersonnes

% profilsdes sondés

moyenne globale 7,09 445,19 69,22 3,34% 2,42

total 305 19 143 43

par statutProfessionnels 6,88 395,29 61,06 4,45% 2,54 24 55,81%

Créatif en Agence (ou studio) 4,75 33,75 9,88 14,01% 3,00 4 9,30%

créatif en agence et freelance 15,00 589,00 39,27 2,55% 3,00 1 2,33%

Freelance 6,82 448,88 72,90 2,67% 2,47 17 39,53%

independant qui paie ses cotisations 33,00 1750,00 53,03 1,89% 1,00 1 2,33%

Créatif en service communication 6,00 389,00 64,83 1,54% 3,00 1 2,33%

presque pro... 3,50 344,50 110,01 1,01% 1,50 4 9,30%

freelance à la recherche d'une opportunité 9,00 743,00 82,56 1,21% 1,00 1 2,33%

À la recherche d'une opportunité en agence 1,67 211,67 119,17 0,94% 1,67 3 6,98%

Amateur 6,80 484,73 73,37 2,13% 2,47 15 34,88%

Employé dans un autre secteur 7,92 577,00 80,42 1,54% 2,33 12 27,91%

particulier 3,00 168,50 62,75 1,77% 3,00 2 4,65%

etudiant management 1,00 10,00 10,00 10,00% 3,00 1 2,33%

par parcoursJ'ai fait des études supérieures d'art 6,08 361,58 70,47 3,67% 2,50 12 27,91%

À la recherche d'une opportunité en agence 1 80 80 1,25% 2 1 2,33%

Freelance 7,14 506,86 91,77 2,70% 2,71 7 16,28%

Créatif en Agence (ou studio) 3 30,5 11,5 9,89% 2,5 2 4,65%

créatif en agence et free 15 589 39,27 2,55% 3 1 2,33%Employé dans un autre secteur 1 61 61 1,64% 1 1 2,33%

J'ai suivi une formation en infographie 4,25 322 81,06 2,88% 1,75 4 9,30%

À la recherche d'une opportunité en agence 2 360 180 0,56% 1 1 2,33%

Créatif en Agence (ou studio) 3 39 13 7,69% 3 1 2,33%

Freelance 3 146 48,67 2,05% 2 1 2,33%

freelance à la recherche d'une opportunité 9 743 82,56 1,21% 1 1 2,33%

Je suis autodidacte 8,74 544,70 65,67 3,54% 2,39 23 53,49%

À la recherche d'une opportunité en agence 2 195 97,5 1,03% 2 1 2,33%

Créatif en Agence (ou studio) 10 35 3,5 28,57% 4 1 2,33%

Créatif en service communication 6 389 64,83 1,54% 3 1 2,33%Employé dans un autre secteur 10,25 755 86,30 1,45% 2,375 8 18,60%

etudiant management 1 10 10 10,00% 3 1 2,33%

Freelance 7 437,44 60,91 2,73% 2,33 9 20,93%

independant qui paie ses cotisations 33 1750 53,03 1,89% 1 1 2,33%

particulier 4 172 43 2,33% 2 1 2,33%la réponse D (ces personnes ont del'humour) 3,5 247 74,03 1,61% 3 4 9,30%Employé dans un autre secteur 4 274,33 71,21 1,74% 2,67 3 6,98%

particulier 2 165 82,5 1,21% 4 1 2,33%

Taux de réussite des participants à l'enquête profils

Page 181: Crowdsourcing : le graphisme peut-il se faire uberiser ?

181

Profils des participants à l’enquête sur Creads

Les résultats on été obtenus après un tri des données brutes issues du questionnaire réalisé auprès d’un panel de 43 gagnants.

tauxtaux deréussite -moyenne

oui j'ai échangéavec lui Non jamais toujours

complet

C'est souventcompliqué de

cerner lademande

Il manqueparfois des

éléments pouravancer

Oui Nonnombre depersonnes

% profils dessondés

3% 23% 77% 30% 19% 51% 53% 47%

10 33 13 8 22 23 20 43

Professionnels 4% 14% 42% 9% 12% 35% 40% 16% 24 55,81%

Créatif en Agence (ou studio) 14% 0% 9% 2% 0% 7% 7% 2% 4 9,30%

créatif en agence et freelance 3% 2% 0% 2% 0% 0% 2% 0% 1 2,33%

Freelance 3% 12% 28% 5% 12% 23% 28% 12% 17 39,53%

independant qui paie ses cotisations 2% 0% 2% 0% 0% 2% 2% 0% 1 2,33%

Créatif en service communication 2% 0% 2% 0% 0% 2% 0% 2% 1 2,33%

presque pro... 1% 5% 5% 5% 2% 2% 9% 0% 4 9,30%

freelance à la recherche d'une opportunité 1% 0% 2% 2% 0% 0% 2% 0% 1 2,33%

À la recherche d'une opportunité en agence 1% 200% 2% 2% 2% 2% 7% 0% 3 6,98%

Amateur 2% 5% 30% 16% 5% 14% 5% 30% 15 34,88%

Employé dans un autre secteur 2% 5% 23% 16% 2% 9% 5% 23% 12 27,91%

particulier 2% 0% 5% 0% 2% 2% 0% 5% 2 4,65%

etudiant management 10% 0% 2% 0% 0% 2% 0% 2% 1 2,33%

J'ai fait des études supérieures d'art 3,67% 9% 19% 9% 5% 14% 23% 5% 12 27,91%

À la recherche d'une opportunité en agence 1,25% 0% 2% 2% 0% 0% 2% 0% 1 2,33%

Freelance 2,70% 7% 9% 2% 200% 9% 14% 2% 7 16,28%

Créatif en Agence (ou studio) 9,89% 2% 2% 0% 0% 5% 5% 0% 2 4,65%

créatif en agence et free 2,55% 0% 2% 2% 0% 0% 2% 0% 1 2,33%Employé dans un autre secteur 1,64% 0% 2% 2% 0% 0% 0% 2% 1 2,33%

J'ai suivi une formation en infographie 2,88% 2% 7% 2% 2% 5% 7% 2% 4 9,30%

À la recherche d'une opportunité en agence 0,56% 2% 0% 0% 2% 0% 2% 0% 1 2,33%

Créatif en Agence (ou studio) 7,69% 0% 2% 0% 0% 2% 0% 2% 1 2,33%

Freelance 2,05% 0% 2% 0% 0% 2% 2% 0% 1 2,33%

freelance à la recherche d'une opportunité 1,21% 0% 2% 2% 0% 0% 2% 0% 1 2,33%

Je suis autodidacte 3,54% 12% 42% 12% 12% 30% 23% 30% 23 53,49%

À la recherche d'une opportunité en agence 1,03% 2% 0% 0% 0% 2% 2% 0% 1 2,33%

Créatif en Agence (ou studio) 28,57% 0% 2% 2% 0% 0% 2% 0% 1 2,33%

Créatif en service communication 1,54% 0% 2% 0% 0% 2% 0% 2% 1 2,33%Employé dans un autre secteur 1,45% 5% 14% 7% 2% 9% 5% 14% 8 18,60%

etudiant management 10,00% 0% 2% 0% 0% 2% 0% 2% 1 2,33%

Freelance 2,73% 4,65% 16% 2% 7% 12% 12% 9% 9 20,93%

independant qui paie ses cotisations 1,89% 0% 2% 0% 0% 2% 2% 0% 1 2,33%

particulier 2,33% 0% 2% 0% 2% 0% 0% 2% 1 2,33%la réponse D (ces personnes ont del'humour) 1,61% 0% 9% 7% 0% 2% 0% 9% 4 9,30%Employé dans un autre secteur 1,74% 0% 7% 7% 0% 0% 0% 7% 3 6,98%

particulier 1,21% 0% 2% 0% 0% 2% 0% 2% 1 2,33%

Avez-vous utilisé certaines devos créations soumises pourvotre book (portfolio) ?

échange client brief book profils

par statut

par parcours

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3) Sources  et  références  Eyeka  

Captures  du  site  Eyeka  

Homepage Eyeka

https://fr.eyeka.com

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La page des concours Eyeka

https://fr.eyeka.com/contests

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La page dédiée aux « créateurs » d’Eyeka

(1/3) https://fr.eyeka.com/creators

Page 185: Crowdsourcing : le graphisme peut-il se faire uberiser ?

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La page dédiée aux « créateurs » d’Eyeka

(2/3) https://fr.eyeka.com/creators

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La page dédiée aux « créateurs » d’Eyeka

(3/3) https://fr.eyeka.com/creators

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Le mur communautaire Eyeka

https://fr.eyeka.com/users

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Eyeka.  «  The  state  of  Crowdsourcing  in  2015  ».    Présenté sur la nouvelle page dédiée au CS d’Eyeka, Roth Y., Petavy F., Céré J. Avril 2015. Disponible sur : < https://fr.Eyeka.com/resources/analyst-reports#CSreport2015 >

Évolution de la proportion des grandes marques (selon Best Global Brands) qui ont fait appel aux CS pour une campagne marketing ces dix dernières années.

Usage du CS par marque et par nombre de concours en 2013 et 2014.

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4) Références  citations  (hors  plates-­‐formes)  

Barbara Dennys

Directrice de l’école supérieure de design d’Amiens (ESAD), par mail le 28 juin 2015. Damien, bonjour Je ne peux parler que pour les personnes sorties de l'Esad d’Amiens. Les jeunes diplômés en design graphique ont davantage de difficulté à trouver du travail car le ralentissement économique a un impact sur cette profession. Ils se mettent davantage en indépendant pour pouvoir avec des rétrocessions de mission d'agences de graphisme qui embauchent peu actuellement. Les diplômés de moins de quatre ans ne gagnent pas énormément. Les jeunes diplômés en design numérique n'ont pas de problème pour entrer sur le marché. Les jeunes diplômés en images animées (Waide Somme) sont recrutés après le DNAP alors qu'on voudrait les garder pour aller jusqu'au DNSEP. Nous avons renforcé le dispositif autour de François Caspar. Une représentante du Conseil Régional de Picardie donne également des conseils aux jeunes diplômés. D'une manière générale, ce sont les étudiants qui ont fait le plus de stage avant la fin de leurs études qui sont le plus à l'aise dans le début de vie professionnelle. Nous ne parlons pas de l'aspect commercial à l'Esad. Il y a toujours un grand hiatus sur cet aspect là. Il est très difficile pour une tête en train d'apprendre de se confronter simultanément à la réalité d'un marché et au développement de ses capacités créatives. L'intervention de François Caspar est déjà une exception en école d'art, et je l'ai pratiquement imposée. Si j'avais du budget pour améliorer l'offre pédagogique, je renforcerai en priorité l'apprentissage de l'anglais. Le niveau des bacheliers est toujours aussi mauvais, et c'est essentiel pour l'avenir. Et si j'avais encore davantage de budget, je ferais une sixième année bien pragmatique : anglais, print, développement de sites web, gestion financière et administrative, marketing… Je ne me souviens plus du nom des chercheurs, mais leur ouvrage était sorti à la Documentation Française. Attention, l'ouvrage rassemble tout type de graphiste, infographiste, etc. sans faire de distinction entre les types de formation. Tenez moi au courant de votre mémoire de recherche A bientôt Barbara

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Ludivine Vinot sur son blog Graphisteries316

« Quel graphiste n’a jamais été confronté à cette remarque au sein de son entourage : - Ce n’est pas vraiment un boulot pour toi, tu t’amuses ! ? Et bien malheureusement de plus en plus de clients potentiels ont cette vision des choses. » (Vinot, 2012)

Thomas Pacaud sur son blog317

« Mais c’est un signe de réactivité et de savoir-faire, pas une arnaque. J’ai passé des années à apprendre à faire certaines choses en 5 minutes. Et si nous sommes payés, c’est avant tout pour notre savoir-faire et non pour le temps passé derrière l’écran. » (Pascaud, 2014)

Destruction créatrice de Joseph Schumpeter318

« L'impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle – tous éléments créés par l'initiative capitaliste. [...] L'histoire de l'équipement producti f d'énergie, depuis la roue hydraulique jusqu'à la turbine moderne, ou l'histoire des transports, depuis la diligence jusqu'à l'avion. L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux entreprises amalgamées telles que l’U.S. Steel, constituent d'autres exemples du même processus de mutation industrielle – si l'on me passe cette expression biologique – qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c'est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter. » (Schumpeter, 1943)

316 Vinot L., 2012, Wilogo, Creads & co: la gangrène du créatif par le crowdsourcing, http://www.lesgraphisteries.com/2012/10/15/wilogo-creads-co-la-gangrene-du-creatif-par-le-crowdsourcing/ , octobre 2012, consulté le 15 novembre 2014. 317 Pascaud T., 2014, Vraies et fausses idées reçues sur les graphistes indépendants, http://thomaspascaud.com/vraies-et-fausses-idees-recues-sur-les-graphistes-independants/ , 16 octobre 2014, consulté le 12 novembre 2014. 318 Schumpeter J., 1943 Traduction française 1951 Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, p.106 et 107.

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Les tarifs des designers

parus dans la revue Création numérique au début des années 2000

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5) La  zone  de  confort  et  la  prise  de  risque  On utilise en ce moment l’expression ou l’obscur terme de disruption319 que l’on entend souvent de la bouche des publicitaires (Jean-Marie Dru). Il s’agit de sortir de la zone de confort, des idées reçues. Il est évidemment plus facile pour un designer de reprendre des formules qui fonctionnent, d’aller directement vers ce qu’attend le client. Mais non, quelque chose de plus fort nous pousse à proposer autre chose, à surprendre. Bien entendu, les designers vont parfois à l’encontre de leurs chefs de projets, ou ont parfois du mal à être compris dans leur processus de création. Il est d’ailleurs plus difficile de convaincre le client avec une idée audacieuse. Souvent le brainstorming et le dessin permettent d’exprimer rapidement un concept et de partager cette vision globale. Le designer utilise régulièrement des cartographies mentales (mind maps). Pour avoir cette vue d’ensemble, qu’il est en général le seul à comprendre. S’aventurer dans les sables mouvants peu être payant. Il est radical parfois, de changer l’ordre établi et les conventions ; je le vois d’ailleurs en ce moment en stage chez Saint-Gobain, une entreprise de 350 ans, qui souhaite d’effectuer sa transformation digitale, mais qui a encore du mal à passer sur des outils collaboratifs performants. Si on laisse sa frilosité au vestiaire, il sera plus facile ensuite de faire naviguer la marque (son produit, sa communication) sur des océans bleus où le potentiel de développement est plus important que sur un marché saturé par la concurrence (océan rouge). En orientant la conception vers l’usage et l’innovation utile (W. Chan Kim et Renée Mauborgne), les designers proposent à leurs commanditaires de repenser leurs services ou produits. La disruption consiste pour une organisation à sortir de sa zone de confort, des idées reçues changer l’ordre établi et les conventions. Certaines grandes firmes de la Silicon Valley ont bien compris le « design thinking », cette méthode centrée sur l’humain reprend la démarche des designers pour la résolution de problèmes complexes. Jonathan Ive, Directeur général du design Apple, est presque considéré comme un messie à Cupertino. Je ne suis pas certain que cela puisse être enseigné, mais l’intuition du designer est probablement aussi facteur de vocation professionnelle, on ira naturellement vers ce type de secteur plutôt que vers la banque ou la comptabilité. La curiosité, l’observation et l’écoute sont sans doute les plus importantes qualité du designer. Je trouve le terme « créatif » souvent utilisé à outrance, dès que l’on a une idée qui n’est pas courante. Alors qu’un créatif sera quelqu’un qui arrivera à placer la bonne idée au bon moment, au bon endroit. Une certaine justesse dans l’acte de création. Prototypage Chez Saint-Gobain, je constate dans le centre de R&D où je suis en stage, que le prototypage rapide et les échanges sont très encouragés pour trouver de nouvelles technologies ou procédés d’analyse. Mais ce n’est pas naturel pour tout le monde. Je travaille actuellement sur l’aménagement d’une « salle de créativité » nommée Eureka! qui a pour but de favoriser les relations entre les chercheurs et les techniciens des laboratoires qui effectuent les analyses pour ces derniers. Sortir des salles classiques de 319 Dauchez Charlotte, « L’innovation utile : à vos marques, prêts, disruptez  ! » http://siecledigital.fr/2015/02/innovation-utile-a-vos-marques-prets-disruptez consulté le 10 juillet 2015.

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réunions devrait permettre d’améliorer l’agilité des projets. L’aspect forcé où « on fait comme google » m’a frappé lorsque l’on m’a parlé du concept de cette salle, cette façon de travailler est pourtant naturelle pour un designer. C’est quand j’ai commencé à effectuer mon audit pour la refonte de l’intranet en essayant de comprendre chaque usage et en rencontrant directement le personnel que j’ai découvert que des personnes séparées par deux cloisons ne communiquaient presque pas sur leur travail. Repenser le contexte social, en rapprochant les gens est sans doute ce que l’on retrouve dans la co-création, celle des Fablabs aux antipodes des plateformes de crowdsourcing où le créati f sera seul face à son brief.

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RESUMÉ  Le crowdsourcing permet aux organisations de résoudre toutes sortes de problématiques en faisant appel aux internautes (la foule) sous la forme de concours et par l’intermédiaire d’une plate-forme. En jouant sur les codes professionnels des agences, ces plates-formes créatives attirent des amateurs cherchant à s'insérer professionnellement ou souhaitant débuter une activité. Les participants y voient une opportunité pour consolider leurs books de références avec des marques de renom. Ce mémoire aborde la question suivante : En quoi les plates-formes de crowdsourcing font-elles évoluer le paysage de la création graphique et définissent de nouvelles règles aux professionnels de la création ? Afin d’envisager une réponse à cette problématique nous verrons dans un premier temps que le crowdsourcing représente de nombreux avantages pour les marques. Il est en train de modifier la manière dont celles-ci envisagent la commande graphique et propose également aux créatifs de nouvelles façon de travailler où les droits d’auteur sont entièrement cédés. Quelle est la place du créatif sur ces communautés en concurrence ? L’accès aux outils permet à l’amateur de pratiquer une activité proche du professionnel dont les nuances sont parfois subtiles. Une limite parfois infime entre le professionnel et l’amateur éclairé, le pro-am (P. Flichy) permet à n’importe quel individu de pratiquer sur le web une activité jusque là réservée aux professionnels. Le paysage graphique tend vers une uniformisation au détriment de la réflexion et des échanges créatifs-client. La mise en concurrence semble devenir la norme de l’appel d’offre classique, devient le modèle sur le web. Le professionnel se retrouve directement en compétition avec les amateurs. Considéré comme du crowdsourcing spéculatif, (ou perverted-crowdsourcing), ce modèle est très critiqué par l’industrie classique du design. Nous verrons dans un second temps que le crowdsourcing s’inscrit dans un contexte économique fragile de l’économie du design. Il brouille d’avantage les frontières entre les amateurs et les professionnels et ne fait qu’augmenter la méconnaissance de ce métier. S’il existe également des nuances permettant d’affirmer que certaines formes de CS sont vertueuses et peuvent dans certains cas être en accord avec un processus de design de qualité. Nous verrons enfin qu’il est urgent de proposer un statut équilibré du créatif. Dans une logique de design à deux vitesses. Nous évoquerons les pistes permettant aux professionnels de valoriser leur expertise en se positionnant dans une bulle d’excellence à haute valeur ajoutée : par un accompagnement pédagogique du client et une stratégie commerciale adaptée. Mots clés : Crowdsourcing, graphisme, designer, amateur, professionnel, plate-forme, outsourcing, appel d’offre, droits d’auteurs, freelance, perverted-crowdsourcing, marques, concours, logo, uberisation.