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4 actualités Actualités pharmaceutiques n° 513 fevrier 2012 Entretien avec Xavier Bertrand « Je suis convaincu que l’officine doit se recentrer progressivement sur son cœur de métier » Alors que 2011 a été dense en réformes pour le monde pharmaceutique, ce début d’année 2012 est l’occasion de faire le point avec le ministre chargé de la Santé et notamment d’aborder sa vision du rôle du pharmacien dans la chaîne de soins. Actualités pharmaceutiques : Pensez-vous que toutes les dispositions dont la loi HPST prévoyait la mise en place ont été correctement appliquées en ce qui concerne les pharmaciens d’officine ? Xavier Bertrand : La loi portant réforme de l’hôpital et relatives aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a donné, avec l’article 38, de nouvelles missions essentielles aux pharmaciens ou renforcé celles existant. Ainsi, le phar- macien d’officine contribue aux soins de premier recours, participe à la coopéra- tion entre professionnels de santé, à la permanence des soins, concourt aux actions de veille et de protection sanitai- res organisées par les autorités de santé et participe à l’éducation thérapeutique et aux actions d’accompagnement. Il lui est également possible, dans le cadre des coopérations, d’être désigné comme correspondant au sein de l’équipe de soins par le patient. Le décret est paru le 7 avril 2011 : à la demande du médecin ou avec son accord, le pharmacien cor- respondant peut renouveler périodique- ment des traitements chroniques, ajuster, au besoin, leur posologie et effectuer des bilans de médications, qui consistent à évaluer l’observance et la tolérance du traitement, et en assure la traçabilité au bénéfice du patient. Enfin, il peut propo- ser des conseils et prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes. Les pharmaciens sont des piliers du système de santé, des piliers de la démocratie sanitaire. AP : Selon vous, quels aspects restent à développer ? XB : Indéniablement les nouvelles missions de service public qui se dessi- nent. Je pense, par exemple, à l’accom- pagnement des patients sous traitement chronique, la préparation des doses à administrer ou encore les plans de gestion des risques, avec le statut du pharmacien correspondant, particulièrement adapté pour impliquer le pharmacien dans le suivi. Ces nouvelles missions doivent être défi- nies avec précision, tout comme leur rému- nération, en concertation bien évidemment avec l’ensemble des partenaires concer- nés. Il faut savoir développer la complé- mentarité. C’est indispensable si nous vou- lons garantir la sécurité et le bon usage du médicament dans un seul et unique objec- tif : le bénéfice du patient. Le doute doit toujours bénéficier à ce dernier. AP : La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2012 prévoit une part d’honoraires pour la rémunération des pharmaciens. Sans présager des discussions en cours avec la Caisse nationale d’Assurance maladie, com- ment voyez-vous les choses ? XB : C’est parce que je connais bien le monde des pharmaciens que j’ai entendu leur message et leur inquiétude dès mon retour au ministère de la Santé. Devant cette situation, je n’ai pas souhaité me réfugier derrière une réponse conjonctu- relle, forcément inadaptée. C’est pourquoi j’ai demandé à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de me faire des propositions sur l’évolution de la pharma- cie d’officine dans un rapport qui m’a été remis le 29 juin 2011 et qui a été salué par la profession. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de faire évoluer la rému- nération et de la rendre moins dépendante du prix du médicament, en introduisant un mouvement progressif vers une rému- nération de la dispensation, déconnec- tée du prix des médicaments. Quelle part cet honoraire doit-il représenter dans la future rémunération ? Il est difficile de répondre à cette question, mais ce dont je suis convaincu, c’est que cette trans- formation doit être avant tout progressive. Cette évolution majeure de la profession doit être accompagnée, si nous voulons, ensemble, que toutes les officines, les petites comme les grandes, les urbaines comme les rurales, puissent entrer dans l’ère des nouvelles missions, de l’hono- raire et des services rémunérés. AP : Vous savez l’économie de l’officine actuellement fragile. La hausse de la TVA à 7 % pour les médicaments non remboursés ne risque-t-elle pas d’abais- ser encore plus les ressources des phar- maciens tout en réduisant l’accès aux soins des patients les plus défavorisés ? XB : Question intéressante parce qu’elle nous place au cœur du modèle économi- que de l’officine. Je suis convaincu qu’elle doit se recentrer progressivement sur son cœur de métier, la santé, et que son modèle économique doit s’axer davantage sur les produits de santé remboursables, avec un développement de la rémunération des missions de santé : la lutte contre la iatro- génie, le suivi des patients chroniques, etc. C’est le travail que nous avons initié avec les © DR Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé.

« Je suis convaincu que l’officine doit se recentrer progressivement sur son cœur de métier »

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Actualités pharmaceutiques n° 513 fevrier 2012

Entretien avec Xavier Bertrand

« Je suis convaincu que l’officine doit se recentrer progressivement sur son cœur de métier »

Alors que 2011 a été dense

en réformes pour le monde

pharmaceutique, ce début

d’année 2012 est l’occasion

de faire le point avec le ministre

chargé de la Santé et

notamment d’aborder sa vision

du rôle du pharmacien dans

la chaîne de soins.

Actualités pharmaceutiques : Pensez-vous

que toutes les dispositions dont la loi

HPST prévoyait la mise en place ont

été correctement appliquées en ce qui

concerne les pharmaciens d’officine ?

Xavier Bertrand : La loi portant réforme de l’hôpital et relatives aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a donné, avec l’article 38, de nouvelles missions essentielles aux pharmaciens ou renfor cé celles existant. Ainsi, le phar-macien d’officine contribue aux soins de premier recours, participe à la coopéra-tion entre professionnels de santé, à la permanence des soins, concourt aux actions de veille et de protection sanitai-res organisées par les autorités de santé et participe à l’éducation thérapeutique et aux actions d’accompagnement. Il lui est également possible, dans le cadre des coopérations, d’être désigné comme correspondant au sein de l’équipe de soins par le patient. Le décret est paru le 7 avril 2011 : à la demande du médecin ou avec son accord, le pharmacien cor-respondant peut renouveler périodique-ment des traitements chroniques, ajuster, au besoin, leur posologie et effectuer des bilans de médications, qui consistent à évaluer l’observance et la tolérance du traitement, et en assure la traçabilité au bénéfice du patient. Enfin, il peut propo-ser des conseils et prestations destinés

à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes. Les pharmaciens sont des piliers du système de santé, des piliers de la démocratie sanitaire.

AP : Selon vous, quels aspects restent

à développer ?

XB : Indéniablement les nouvelles missions de service public qui se dessi-nent. Je pense, par exemple, à l’accom-pagnement des patients sous traitement chronique, la préparation des doses à administrer ou encore les plans de gestion des risques, avec le statut du pharmacien correspondant, particulièrement adapté pour impliquer le pharmacien dans le suivi. Ces nouvel les missions doivent être défi-nies avec précision, tout comme leur rému-nération, en concertation bien évidemment avec l’ensemble des partenaires concer-nés. Il faut savoir développer la complé-mentarité. C’est indispensable si nous vou-lons garantir la sécurité et le bon usage du médicament dans un seul et unique objec-tif : le bénéfice du patient. Le doute doit toujours bénéficier à ce dernier.

AP : La loi de financement de la Sécurité

sociale (LFSS) pour 2012 prévoit une

part d’honoraires pour la rémunération

des pharmaciens. Sans présager des

discussions en cours avec la Caisse

nationale d’Assurance maladie, com-

ment voyez-vous les choses ?

XB : C’est parce que je connais bien le monde des pharmaciens que j’ai entendu leur message et leur inquiétude dès mon retour au ministère de la Santé. Devant cette situation, je n’ai pas souhaité me réfugier derrière une réponse conjonctu-relle, forcément inadaptée. C’est pourquoi j’ai demandé à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de me faire des propositions sur l’évolution de la pharma-cie d’officine dans un rapport qui m’a été remis le 29 juin 2011 et qui a été salué par

la profession. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de faire évoluer la rému-nération et de la rendre moins dépendante du prix du médicament, en introduisant un mouvement progressif vers une rému-nération de la dispensation, déconnec-tée du prix des médicaments. Quelle part cet honoraire doit-il représenter dans la future rémunération ? Il est difficile de répondre à cette question, mais ce dont je suis convaincu, c’est que cette trans-formation doit être avant tout progressive. Cette évolution majeure de la profession doit être accompagnée, si nous voulons, ensemble, que toutes les officines, les petites comme les grandes, les urbaines comme les rurales, puissent entrer dans l’ère des nouvelles missions, de l’hono-raire et des services rémunérés.

AP : Vous savez l’économie de l’officine

actuellement fragile. La hausse de la

TVA à 7 % pour les médicaments non

rembour sés ne risque-t-elle pas d’abais-

ser encore plus les ressources des phar-

maciens tout en réduisant l’accès aux

soins des patients les plus défavorisés ?

XB : Question intéressante parce qu’elle nous place au cœur du modèle économi-que de l’officine. Je suis convaincu qu’elle doit se recentrer progressivement sur son cœur de métier, la santé, et que son modèle économique doit s’axer davantage sur les produits de santé remboursables, avec un développement de la rémunération des missions de santé : la lutte contre la iatro-génie, le suivi des patients chroniques, etc. C’est le travail que nous avons initié avec les

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Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé.

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Actualités pharmaceutiques n° 513 fevrier 2012

représentants des pharmaciens, qui s’est traduit en LFSS pour 2012, et qui doit trou-ver sa concrétisation dans les négociations conventionnelles en cours. C’est l’enjeu de la profession pour les dix ans qui viennent.

AP : Quels sont les objectifs du décret

sur le développement professionnel

continu (DPC) des pharmaciens paru

au Journal officiel du 1er janvier 2012 ?

XB : Le DPC marque un changement très important en matière de formation continue des professionnels de santé, cette forma-tion étant un facteur essentiel de la qualité des soins. C’est enfin l’occasion de recon-naître le travail d’évaluation des pratiques, au cœur de l’amélioration des compéten-ces dans la santé. Je sais que beaucoup de pharmaciens cherchent à développer ces démarches car l’amélioration des prati ques ne passe pas uniquement par de la forma-tion traditionnelle ou magistrale. Le DPC permet enfin d’associer la formation tra-ditionnelle avec les autres méthodes uti-les au développement des compétences. C’est aussi une responsabilité que nous confions à chaque professionnel, illustrant la confiance que nous lui témoignons. Il appartient en effet au pharmacien, avec son employeur le cas échéant, d’établir son parcours de DPC, en fonction de ses besoins propres et de ce qui l’intéresse, dans le cadre d’orientations nationales mul-tiples. Le professionnel aura à sa dispo si-tion une offre variée et adaptée, tant dans les thèmes que dans les méthodes péda-gogiques. Le DPC va enfin permettre de décloisonner les milieux professionnels, avec des formations et des programmes d’analyse de pratiques qui peuvent mêler différents métiers ou milieux d’exercice. Enfin, le DPC tire toutes les conséquen-ces de l’affaire Médiator® : les règles de transparence, de cumul de mandats, de gestion des liens d’intérêt sont très préci-sément définies et seront respectées. Vous le savez, c’est un sujet qui me tient à cœur. L’obligation annuelle de DPC, traduite dans les décrets publiés le 1er janvier, constitue donc une garantie pour les patients que les professionnels qui s’occupent de leur santé mettent à jour très régulièrement leurs connaissances et bénéficient de formations de haut niveau scientifique.

AP : Que va changer la loi relative au

renforcement de la sécurité sanitaire

du médicament et des produits de

santé ? Pensez-vous qu’elle est de

nature à restaurer la confiance dans le

médicament ?XB : Cette loi [ndlr : n° 2011-2012 du 29 décembre 2011] est vitale pour l’ave-nir de notre système de santé. Ce texte refonde en effet le système de sécurité sanitaire des produits de santé, pour concilier sécurité des patients et accès au progrès thérapeutique. La réforme du médicament repose sur trois piliers : la prévention des conflits d’intérêt et la transparence des décisions, un doute qui doit bénéficier systématiquement au patient, ainsi que des patients mieux informés et des professionnels de santé mieux formés et mieux informés. Quelques exemples sont parlants. La transparence des liens entre les industriels et les experts est indisso-ciable d’une confiance retrouvée dans les décisions prises. C’est pourquoi il y aura désormais obligation de remplir une déclaration d’intérêts, qui sera rendue publique, pour tous les membres des commissions siégeant auprès des minis-tres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale, ainsi que des agences et des organismes publics, et pour les dirigeants et personnels de direction et d’encadre-ment de ces institutions. Cette exigence de transparence est également applicable aux conventions conclues entre les entre-prises et les professionnels de santé, les associations de professionnels de santé, les étudiants des professions de santé, les établissements de santé, les associa-tions de patients, les fondations, les orga-nes de presse spécialisée, les sociétés savantes et les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs, ainsi qu’aux avantages en nature ou en espèces procurés directement ou indirec-tement. Par ailleurs, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) devient l’Agence natio-nale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) : elle évalue les bénéfices et les risques, surveille le risque tout au long du cycle de vie des produits et effectue régulièrement des rééva-

luations des bénéfices et des risques. De son côté, la pharmacovigilance sur le territoire national est renforcée. Des mesures pour modifier, suspendre ou retirer les autorisations de mise sur le marché (AMM), ainsi que pour interdire la délivrance de certains médicaments, peuvent également être prises. Les pres-criptions hors AMM sont encadrées : elles sont désormais liées à l’existence de recommandations temporaires d’utilisa-tion élaborées par l’ANSM. Vous le voyez, c’est une réforme d’ampleur , qui doit redonner confiance aux Français dans notre système du médicament. Nous sommes, avec Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la Santé, particulièrement attentifs à sa mise en œuvre effective. Voilà pourquoi je souhaite que d’ici deux à trois ans, une évaluation complète de cette réforme puisse être effectuée. Ce texte n’est pas un texte comme les autres : il protège la santé de nos concitoyens.

AP : Qu’attendez-vous des pharma-

ciens pour l’année à venir ?

XB : Qu’ils aient confiance en l’avenir. Vous l’avez compris, remettre la mission de santé publique des professionnels de santé que vous êtes au cœur de l’économie du secteur, c’est l’enjeu de cette réforme de la pharmacie d’of-ficine. Et c’est ensemble que nous y parviendrons.

AP : Si vous deviez faire un vœu

pour 2012 ?XB : Je souhaite que les réformes que nous avons engagées depuis quatre ans, avec le président de la République, pour adapter, conforter et moderniser notre système de santé, portent plei-nement leurs fruits. Je le sais, elles ont demandé des efforts à tous, et leur mise en œuvre va encore pleinement mobiliser le systè me de santé en 2012.

Propos recueillis par

Sébastien Faure

Maître de conférences des universités

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]