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18 l territoires octobre 2011 POINT DE VUE « La voiture électrique a besoin de l’autopartage. Pas l’inverse. » n Jean-Baptiste Schmider, directeur d’Autotrement, service d’autopartage à Strasbourg et fondateur et gérant du réseau France Autopartage. Fin 2000, vous avez lancé la première initiative citoyenne d’autopartage en France. En dix ans, cette forme de mobilité a-t-elle fait son chemin ? Bien que la France garde son retard par rapport aux voisins européens, l’auto- partage affichait un taux de croissance de 30 à 40 % ces dernières années. On estime que 20 à 25 000 Français le pratiquent, dont 10 000 abonnés à l’un des onze opérateurs membres du réseau France Autopartage. Ils ont entre 30 et 40 ans et sont très majo- ritairement citadins, car l’autopartage reste une solution urbaine de proxi- mité en complément des transports publics. Nous sommes présents dans vingt des trente villes qui aujourd’hui disposent d’un service d’autopartage. Fin 2011, la ville de Paris déploiera Autolib. Quelles différences avec l’autopartage « canal historique » ? Dans notre réseau, l’usager est tenu de rendre le véhicule dans le parking où il l’a prélevé. Mais nous n’offrons pas une solution de mobilité occasionnelle et spontanée. Nous demandons à nos abonnés de se débarrasser de leur véhi- cule personnel ! Nous devons alors leur garantir un véhicule près de chez eux pour qu’ils puissent planifier leurs déplacements. Et la voiture électrique, y réfléchissez-vous ? Nous testons déjà des solutions, mais nous nous posons encore des ques- tions quant au bilan économique de la conversion de notre parc. Il s’agit de véhicules qui coûtent cher, qui ont moins d’autonomie et qui seront donc moins disponibles à cause du temps de recharge. Des voitures qui tournent moins sont plus difficiles à rentabiliser... L’autopartage a déjà un impact environ- nemental très positif : chacun de nos véhicules remplace jusqu’à huit voitures particulières ! L’autopartage contribue également à modifier les comporte- ments des usagers, qui utilisent moins le véhicule et se reportent sur d’autres moyens de transport. Aujourd’hui, c’est plus la voiture électrique qui a besoin de l’autopartage que l’inverse... Qui organise aujourd’hui les services d’autopartage ? Nous retrouvons des services d’auto- partage 100 % privés, typiquement dans les grandes agglomérations et notamment dans la capitale. À l’op- posé, le futur Autolib à Paris et les « voitures bleues » à Nice ont choisi un modèle public ou en délégation de service public. Entre les deux, il y a le modèle du réseau France Autopartage qui prône une coopération – ou du moins un partenariat – entre opéra- teurs privés locaux et collectivités. À mon avis, c’est le modèle le plus adap- té aux petites et moyennes agglomé- rations, qui n’attirent pas les grandes sociétés privées et où les collectivi- tés ne peuvent pas investir seules les 250 000 euros nécessaires à la mise en place d’un service. Comment les collectivités peuvent- elles s’impliquer dans un service d’autopartage ? Elles peuvent supporter la commu- nication du service ou faciliter l’attri- bution de places de parking. Ou alors s’investir davantage : les six opérateurs de notre réseau sous statut de sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) sont tous associés à leur collectivité locale. Les collectivités peuvent aider la société à atteindre la taille critique en devenant client du service. Aujourd’hui l’autopartage est-il une activité rentable ? Nous considérons qu’un service d’auto- partage est viable avec 40 à 50 véhi- cules et 800 à 1 000 abonnés. Et pour- tant, les marges restent faibles. À cause de la hausse du prix du carburant, les membres du réseau ont dû augmen- ter légèrement les tarifs, qui tournent autour de deux euros de l’heure et trente- cinq centimes par kilomètre parcouru. En revanche, les frais d’abonnement (en moyenne de dix euros) ont connu une baisse en fonction de l’augmentation de la clientèle. Le vrai enjeu est de faire tour- ner le plus possible les véhicules. À cette fin, les clients professionnels sont une cible très importante : ils ne représentent que deux abonné sur dix, mais effectuent jusqu’à 50 % des trajets ! n Propos recueillis par Andrea Paracchini 20 à 25 000 Français pratiquent l’autopartage, qui enregistre une croissance de 30 à 40 %.

« La voiture électrique a besoin de l’autopartage. Pas l’inverse. »

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Revue Territoires n° 521 (Octobre 2011)

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Page 1: « La voiture électrique a besoin de l’autopartage. Pas l’inverse. »

18 l territoires octobre 2011

POINT DE VUE

« La voiture électrique a besoin de l’autopartage. Pas l’inverse. »

n Jean-Baptiste Schmider, directeur d’Autotrement, service d’autopartage à Strasbourg et fondateur et gérant du réseau France Autopartage.

Fin 2000, vous avez lancé la première initiative citoyenne d’autopartage en France. En dix ans, cette forme de mobilité a-t-elle fait son chemin ?Bien que la France garde son retard par rapport aux voisins européens, l’auto-partage affichait un taux de croissance de 30 à 40 % ces dernières années. On estime que 20 à 25 000 Français le pratiquent, dont 10 000 abonnés à l’un des onze opérateurs membres du réseau France Autopartage. Ils ont entre 30 et 40 ans et sont très majo-ritairement citadins, car l’autopartage reste une solution urbaine de proxi-mité en complément des transports publics. Nous sommes présents dans vingt des trente villes qui aujourd’hui disposent d’un service d’autopartage.

Fin 2011, la ville de Paris déploiera Autolib. Quelles différences avec l’autopartage « canal historique » ? Dans notre réseau, l’usager est tenu de rendre le véhicule dans le parking où il l’a prélevé. Mais nous n’offrons pas une solution de mobilité occasionnelle et spontanée. Nous demandons à nos abonnés de se débarrasser de leur véhi-cule personnel ! Nous devons alors leur garantir un véhicule près de chez eux pour qu’ils puissent planifier leurs déplacements.

Et la voiture électrique, y réfléchissez-vous ?Nous testons déjà des solutions, mais nous nous posons encore des ques-tions quant au bilan économique de la conversion de notre parc. Il s’agit de véhicules qui coûtent cher, qui ont

moins d’autonomie et qui seront donc moins disponibles à cause du temps de recharge. Des voitures qui tournent moins sont plus difficiles à rentabiliser... L’autopartage a déjà un impact environ-nemental très positif : chacun de nos véhicules remplace jusqu’à huit voitures particulières ! L’autopartage contribue également à modifier les comporte-ments des usagers, qui utilisent moins le véhicule et se reportent sur d’autres

moyens de transport. Aujourd’hui, c’est plus la voiture électrique qui a besoin de l’autopartage que l’inverse...

Qui organise aujourd’hui les services d’autopartage ?Nous retrouvons des services d’auto-partage 100 % privés, typiquement dans les grandes agglomérations et notamment dans la capitale. À l’op-posé, le futur Autolib à Paris et les « voitures bleues » à Nice ont choisi un modèle public ou en délégation de service public. Entre les deux, il y a le modèle du réseau France Autopartage qui prône une coopération – ou du moins un partenariat – entre opéra-teurs privés locaux et collectivités. À mon avis, c’est le modèle le plus adap-té aux petites et moyennes agglomé-rations, qui n’attirent pas les grandes

sociétés privées et où les collectivi-tés ne peuvent pas investir seules les 250 000 euros nécessaires à la mise en place d’un service.

Comment les collectivités peuvent-elles s’impliquer dans un service d’autopartage ?Elles peuvent supporter la commu-nication du service ou faciliter l’attri-bution de places de parking. Ou alors s’investir davantage : les six opérateurs de notre réseau sous statut de sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) sont tous associés à leur collectivité locale. Les collectivités peuvent aider la société à atteindre la taille critique en devenant client du service.

Aujourd’hui l’autopartage est-il une activité rentable ?Nous considérons qu’un service d’auto-partage est viable avec 40 à 50 véhi-cules et 800 à 1 000 abonnés. Et pour-tant, les marges restent faibles. À cause de la hausse du prix du carburant, les membres du réseau ont dû augmen-ter légèrement les tarifs, qui tournent autour de deux euros de l’heure et trente-cinq centimes par kilomètre parcouru. En revanche, les frais d’abonnement (en moyenne de dix euros) ont connu une baisse en fonction de l’augmentation de la clientèle. Le vrai enjeu est de faire tour-ner le plus possible les véhicules. À cette fin, les clients professionnels sont une cible très importante : ils ne représentent que deux abonné sur dix, mais effectuent jusqu’à 50 % des trajets ! n

Propos recueillis par Andrea Paracchini

20 à 25 000 Français pratiquent l’autopartage, qui enregistre une croissance de 30 à 40 %.