1
Michel Juvet – Bordier & Cie – Article du 8 février 2010 paru dans le Temps 1/1 Au cœur des marchés Bouchons bancaires Michel Juvet Analyste financier et membre du comité de direction de Bordier & Cie Lundi 8 février 2010 es bonnes idées pour cadrer les risques ban- caires émergent progressivement. Elles se concentrent sur les postes clés des bilans. A l’actif, on recherche une plus grande sécurité: plus de liquidités, moins d’investissements à risque et plus de prêts traditionnels. Simple et efficace. Au passif, l’enjeu est plus complexe. D’abord les fonds propres minimaux devront être plus éle- vés. HSBC n’a pas eu les mêmes problèmes qu’UBS malgré des dépréciations d’actifs équiva- lentes grâce à une entrée dans la crise avec le double de fonds propres. En outre, le finance- ment auprès d’autres banques sera limité, pour réduire les effets de contagion à l’ensemble du système. Peut-être qu’une taxe sur la valeur des dettes bancaires (hors dépôts des particuliers) sera instaurée et financera un fonds qui absorbe- rait des pertes et garantirait une partie des dépôts interbancaires. La crise de 1929 avait engendré la garantie des dépôts des épargnants, la crise de 2008 générerait ainsi son équivalent pour les dépôts interbanques. Ces mesures réduiront la taille des banques, leurs rendements sur fonds propres, leurs bénéfices et pourraient les ramener aux années 1970 ou 1980… lorsque leur poids dans les indices bour- siers était deux fois moins élevé qu’aujourd’hui. Seront-elles pour autant plus « au service de l’économie » ? Dans le passé, chaque fois que les banques ont dû réduire la voilure, les prêts aux particuliers ou aux entreprises n’ont pas immé- diatement décollé. D’ailleurs, les banques euro- péennes se conforment déjà à la future régle- mentation: elles réduisent leur prise de risques et investissent dans des titres sûrs… les obligations étatiques: plus de 300 milliards d’euros achetés en 2009, autant qu’entre 2000 et 2005! Les banques ne servent donc pas encore la fa- meuse « économie réelle », mais plutôt les Etats qui les critiquent et s’endettent ! Les banques centrales, qui reprêtent aux banques à des taux planchers leur propre argent déposé chez elles en toute sécurité, n’y sont pas étrangères. Elles devront bien inverser la tendance un jour, pour ne pas créer un nouveau monstre. La réglementation bancaire, c’est comme la ges- tion de la circulation en ville: des feux rouges au mauvais endroit, des bouchons, des flux qui se réorganisent et des automobilistes qui utilisent d’autres chemins… entraînant d’autres bou- chons… PS: Que se passerait-il si les banques suisses perdaient leurs clients européens et vendaient les 125 milliards de francs de dettes étatiques euro- péennes détenues par leurs clients? L

100208 mj bouchons_bancaires_lt

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 100208 mj bouchons_bancaires_lt

Michel Juvet – Bordier & Cie – Article du 8 février 2010 paru dans le Temps 1/1

Au cœur des marchés

Bouchons bancaires

Michel Juvet Analyste financier et membre du comité de direction de Bordier & Cie

Lundi 8 février 2010

es bonnes idées pour cadrer les risques ban-caires émergent progressivement. Elles se

concentrent sur les postes clés des bilans. A l’actif, on recherche une plus grande sécurité: plus de liquidités, moins d’investissements à risque et plus de prêts traditionnels. Simple et efficace. Au passif, l’enjeu est plus complexe. D’abord les fonds propres minimaux devront être plus éle-vés. HSBC n’a pas eu les mêmes problèmes qu’UBS malgré des dépréciations d’actifs équiva-lentes grâce à une entrée dans la crise avec le double de fonds propres. En outre, le finance-ment auprès d’autres banques sera limité, pour réduire les effets de contagion à l’ensemble du système. Peut-être qu’une taxe sur la valeur des dettes bancaires (hors dépôts des particuliers) sera instaurée et financera un fonds qui absorbe-rait des pertes et garantirait une partie des dépôts interbancaires. La crise de 1929 avait engendré la garantie des dépôts des épargnants, la crise de 2008 générerait ainsi son équivalent pour les dépôts interbanques. Ces mesures réduiront la taille des banques, leurs rendements sur fonds propres, leurs bénéfices et pourraient les ramener aux années 1970 ou 1980… lorsque leur poids dans les indices bour-siers était deux fois moins élevé qu’aujourd’hui. Seront-elles pour autant plus « au service de

l’économie » ? Dans le passé, chaque fois que les banques ont dû réduire la voilure, les prêts aux particuliers ou aux entreprises n’ont pas immé-diatement décollé. D’ailleurs, les banques euro-péennes se conforment déjà à la future régle-mentation: elles réduisent leur prise de risques et investissent dans des titres sûrs… les obligations étatiques: plus de 300 milliards d’euros achetés en 2009, autant qu’entre 2000 et 2005! Les banques ne servent donc pas encore la fa-meuse « économie réelle », mais plutôt les Etats qui les critiquent et s’endettent ! Les banques centrales, qui reprêtent aux banques à des taux planchers leur propre argent déposé chez elles en toute sécurité, n’y sont pas étrangères. Elles devront bien inverser la tendance un jour, pour ne pas créer un nouveau monstre. La réglementation bancaire, c’est comme la ges-tion de la circulation en ville: des feux rouges au mauvais endroit, des bouchons, des flux qui se réorganisent et des automobilistes qui utilisent d’autres chemins… entraînant d’autres bou-chons… PS: Que se passerait-il si les banques suisses perdaient leurs clients européens et vendaient les 125 milliards de francs de dettes étatiques euro-péennes détenues par leurs clients?

L