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60 Ans d'Expériences Fédérales en Afrique de l'Ouest Francophone Author(s): Maurice Poncelet Source: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 1, No. 2 (Nov., 1967), pp. 85-109 Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/483524 . Accessed: 15/06/2014 14:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Taylor & Francis, Ltd. and Canadian Association of African Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.106 on Sun, 15 Jun 2014 14:11:49 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

60 Ans d'Expériences Fédérales en Afrique de l'Ouest Francophone

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60 Ans d'Expériences Fédérales en Afrique de l'Ouest FrancophoneAuthor(s): Maurice PonceletSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 1,No. 2 (Nov., 1967), pp. 85-109Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/483524 .

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60 ans d'exphriences f dkrales en Afrique de l'Ouest francophone

MAURICE PONCELET

L'Afrique occidentale francophone fut le the6tre, de 1904 & 1960, d'exp6riences f6d6rales qui, si elles ont finalement 6chou6, apportent n6anmoins un enseigne- ment int6ressant.

Elles ont 6chou6 car l' oui se trouvait, jusqu'en 1958, un groupe de huit territoires, existent maintenant huit Etats aux choix politiques diff6rents.

Cette "balkanisation", pour reprendre une expression du Pr6sident L6opold Sedar Senghor, pour regrettable qu'elle soit, n'est peut-etre pas d6finitive. Des regroupements peuvent s'op6rer; et, a cet 6gard, les exp6riences pr6c6dentes seront de quelque utilit6.

Parmi ces exp6riences, la plus caract6ristique semble etre celle de la

F6d6ration du Mali car elle condense sur un temps court (moins de 4 ans au total) toutes les causes, conditions et cons6quences d'une f6d6ration.

C'est donc sur elle que sera centr6e la pr6sente 6tude; mais il conviendra, 6galement, de rappeler au pr6alable ce que fut l'A.O.F. avant 1959; puis de terminer sur les perspectives d'avenir.

L'A.O.F. AVANT 1959

a - avant 1946: 1'Empire frangais

En 1904, fut constitu6, pour tenir compte ' la fois des besoins locaux et de

la n6cessit6 de satisfaire les int6rets communs aux divers territoires de l'Afrique occidentale frangaise, un "Gouvernement G6n6ral" dont le chef-lieu 6tait

'

Dakar. Une fois la conquete achev6e et les accords internationaux de partage de

l'Afrique sign6s, ce Gouvernement g6n6ral englobait 8 territoires ou "colonies": Mauritanie - S6n6gal - Guin6e - C6te d'Ivoire - Dahomey - Niger - Haute Volta (rattach6e

' la C6te d'Ivoire de 1932 a 1947) et Soudan (actuelle- ment R6publique du Mali).

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Les caracteristiques de cet ensemble 6taient l'aspect de commandement de la gestion administrative et la predominance du pouvoir federal.

Aspect de commandement de la gestion administrative

Les habitants n'avaient aucun droit politique et meme relativement peu de droits civiques (a moins de recevoir le statut de "citoyen frangais"). Ils n')taient pas representes au parlement frangais et ne disposaient d'aucune as- sembl6e locale.* Les seules autorites responsables 6taient des fonctionnaires m6tropolitains de commandement:

- Gouverneur g6neral,

nomm6 par Paris (c'6tait quelquefois un homme politique 'en mission'), a la tete de la Federation;

- Gouverneur, 6galement nomm6 par Paris, a la tate de chaque colonie; - administrateurs a la tate des diverses circonscriptions.

Predominance du pouvoir federal

Celle-ci, qui 6tait tres nette, avait trois causes principales. - la subordination hibrarchique des Gouverneurs au Gouverneur g6neral. - le fait que la repartition des comp6tences entre Gouvernement general

et colonies d6pendait uniquement du premier. Les domaines laiss6s a l'initiative locale variaient en fonction des tendances, centralisatrices ou decentralisatrices, du moment ou des hommes en place. Avec, toutefois, une preference marqube pour les premieres, conform6ment aux traditions administratives frangaises.

- l'importance primordiale du budget federal. En effet, celui-ci 6tait aliment6 uniquement par la taxation indirecte, notamment des droits d'entr6e et de sortie sur toutes les marchandises importees et exportees.

Le budget federal disposait ainsi de ressources importantes et d'une rentree regulibre. Alors que les budgets des colonies n'6taient alimentes que par la taxation directe, c'est-a-dire en fait, en raison du faible niveau de vie et des incertitudes de l'6tat-civil, par des imp6ts de type capitation, d'un montant uniforme pour tous les individus et, la plupart du temps, pergus sur des r6les numeriques.

De ce fait, les budgets des colonies 6taient obliges de demander des sub- ventions au budget federal. Ce qui, on le comprend, joint

' la d6pendance hie- rarchique des gouverneurs par rapport au Gouverneur General, ne favorisait guere leur autonomie.

Chaque ann6e voyait donc les ressources des colonies d6pendre, en

* Sauf au S6n6gal, considerb quelque peu comme une "vieille colonie" au mrme

titre que les Antilles et la Reunion.

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quelque sorte, d'un "marchandage" entre services federaux et Gouverneurs, oui les plus habiles ou les mieux "en cour" 1'emportaient.

b - 1946 a 1957: L'Union frangaise

Le vent de liberalisme qu'amena la fin de la deuxieme guerre mondiale fut marque par la transformation de 1'empire frangais en Union frangaise. Les habitants des differents territoires d'outremer regurent les droits civiques et politiques, eurent une representation dans les assembl6es parlementaires afri- caines; enfin, se virent dotes d'assembles territoriales 6lues, gerant les interets locaux; le pouvoir ex6cutif restant entre les mains des Gouverneurs.

A 1'6chelon federal 6tait constitute une autre assembl6e: le Grand Conseil, compos6e en AOF de 40 membres, a raison de 5 par territoire, 6lus par chaque assembl6e territoriale en son sein; 1 aussi le pouvoir executif restait au Gou- verneur general, devenu d'ailleurs "Haut Commissaire".

Cette representation egalitaire au Grand Conseil d6favorisait en fait les territoires riches de la Federation: Senegal - C6te d'Ivoire - Guinee. Les deux premiers, notamment, avaient des interets 6conomiques divergents; et cette opposition conomique sera renforce ultirieurement par la "concurrence" poli- tique entre M. Leopold Sedar Senghor du Sniegal et M. F6lix Houphouet- Boigny, de la C6te d'Ivoire.

La loi, cette fois, d6terminait les comp6tences federales et territoriales, les deliberations des diverses assembl6es 6tant d'ailleurs executoires dans des con- ditions variant suivant les domaines et l'importance des questions. L'approba- tion de Paris 6tait requise dans certains cas, fiscalit6 notamment.

Mais la loi s'efforgait aussi de r6soudre les problmes financiers. Elle prevoyait un systeme de ristournes et subventions du budget federal aux budgets territoriaux. Les ristournes 6taient, theoriquement, fonction de 1'activit6 economique de chaque territoire; quant aux subventions, elles ne devaient aider que les territoires pauvres.

Malheureusement, ce systeme ne put fonctionner correctement car 1'on manquait de renseignements statistiques, complets et precis, sur l'activite 6cono- mique a 1'6chelon des territoires. Et, en fait, l'aide du budget federal fut distri- bute chaque ann6e a la suite de nouveaux marchandages, non plus cette fois entre services federaux et Gouverneurs, mais entre ces memes services federaux et les Grands Conseillers de chaque territoire.

Une innovation interessante est cependant a noter en ce qui concerne la fiscalit6. Pour certains imp6ts communs ' tous les territoires, comme les imp6ts directs sur les revenus, les regles d'assiette 6taient de competence federale et les taux de competence territoriale. 11 y avait 1 une heureuse conjugaison de 1'uni- formit I de la rPglementation et de la vari t dans le montant du fardeau fiscal.

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c - 1957 a 1958: la Loi-cadre

En 1956, une nouvelle etape de liberalisation fut decidee par le Gouverne- ment frangais; une "loi-cadre" posa le principe d'executifs territoriaux, que des d6crets ulterieurs organiserent. Ce furent les "Conseils de gouvernement" com- poses de ministres 6lus par les assembl6es et places sous la presidence de 1'un d'entre eux.

Conseils de Gouvernement et assembl6es locales se voyaient confier la pleine gestion des affaires locales, Paris se reservant seulement certains services communs ou "d'Etat": affaires etrangeres, monnaie, d6fense, justice, inspection du travail, finances exterieures, contr1le financier, etc...

Les Gouverneurs, rebaptises "Chefs de territoires" avaient un double r61e: - celui d'une sorte de "chef d'etat" local, l'essentiel du pouvoir 6tant

d6tenu par le Conseil de Gouvernement; - celui de responsable de la gestion, dans le territoire, des services d'Etat. Quant l'9echelon federal, si les pouvoirs du Grand Conseil 6taient accrus,

aucun conseil de gouvernement n'etait cr66. Les adversaires des tendances f6deralistes avaient donc beau jeu de faire

remarquer le contraste entre gouvernements territoriaux 6lus, mais disposant d'assez faibles ressources financieres et gouvernement federal, toujours sous l'autorit6 de fonctionnaires et disposant de grandes ressources.

En fait, deux opinions commengaient A s'exprimer nettement chez les diri- geants africains; les uns partisans d'une sorte d'union confederale avec la France; les autres ne rejetant pas cette idbe, mais souhaitant que sa r6alisation soit prce~dee de la reconnaissance du droit a l'independance et des regroupe- ments, jug's utiles, en "federations primaires".

d - 1958 a 1960: La Communaute

Le retour au pouvoir du Genbral de Gaulle fut suivi, en septembre 1958, d'un referendum sur le projet de nouvelle constitution.

Pour les territoires d'outremer, ce referendum avait, de plus, une autre signification. Le Genbral de Gaulle avait, en effet, declar6 tant en France qu'au cours d'un voyage qu'il fit peu de temps avant le referendum en Afrique que les territoires pourraient exprimer librement leur volont6:

- en votant "oui": de rester dans le cadre des relations structurelles avec la France, organisees dans la "Communaute".

- en votant "non": de choisir leur independance immediate. Seule la Guinee choisit cette deuxieme solution, ce pour des raisons assez

mal definies et qui ne sont peut-etre que les consequences d'un malentendu aussi gigantesque que ridicule....

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Les territoires ayant repondu oui avaient alors le choix entre trois statuts: Departement franqais d'outremer - statu quo de territoire d'outremer -- "tat- membre de la communaute", c'est-a-dire republique autonome. Tous choisirent cette derniere solution.

On vit donc se former une Communaute confederale de 13 r6publiques: - la Republique frangaise - 7 r6publiques autonomes de l'ex-AOF (les 8 anciens territoires moins la

Guinee) - 4 r6publiques autonomes de l'ex-AEF - la r6publique autonome de Madagascar. Cette communaute 6tait dirigee, pour les affaires communes, par un

"Conseil ex6cutif" (ministres franqais interess6s plus presidents des gouverne- ments des 12 r6publiques autonomes) plac6 sous la presidence du president de la R6publique franqaise. Etait 6galement cree un "S6nat de la Communaut6" comprenant des representants des 13 republiques en fonction de l'importance de leur population.

Dans cette organisation, reliant directement les nouvelles r6publiques a Paris, les anciennes f6d6rations de I'AOF et de I'AEF n'avaient plus leur place; elles furent donc dissoutes le 31 mars 1959.

La liquidation de leur patrimoine entre les Etats successeurs posa de nom- breux et d6licats problemes. Pour I'AOF, elle fut marqu6e par un affrontement constant entre les representants des deux groupes qui s'6taient form6s autour des deux "p6les" oppos6s de Dakar et d'Abidjan:

- la F6deration du Mali (S6n6gal et Soudan) soutenue g6neralement par la Mauritanie

- le "Conseil de l'entente (C6te d'Ivoire-Haute Volta-Dahomey-Niger). Ce dernier etait une organisation souple dont l'id6e avait 6t6 lanc6e par M.

Houphouet-Boigny; et reposant sur des accords techniques en certains domaines et l'institution d'un Fonds de solidarit6.

Quant a la Fed6ration du Mali, nous allons maintenant r6sumer son histoire.

LA FEDERATION DU MALI

C'est le 17 janvier 1959 que les repr6sentants du S6negal, du Soudan, de la Haute Volta et du Dahomey, groupes

' Dakar en assembl6e constituante

fed6rale avaient adopt6 la Constitution de la F6d6ration du Mali. Mais la Haute Volta et le Dahomey rejoignirent tres peu de temps apres

le Conseil de l'Entente: - en raison de consid6rations 6conomiques; leur activit6 6tant beaucoup

plus li6e a celles de la C6te d'Ivoire et du Niger qu'a celles du S6n6gal et du Soudan;

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- tres probablement, en fonction de pressions et promesses financieres de la part de la C6te d'Ivoire; peut-etre meme de "recommandations" de Paris qui tenait beaucoup

' maintenir un equilibre entre MM. Senghor et Houphouet- Boigny. Or cet equilibre aurait t6e rompu par 1'existence d'une federation de quatre Etats, isolant la Cote d'Ivoire des deux autres Etats restant: Mauritanie et Niger.

Quoi qu'il en soit, la Federation du Mali, reduite a deux Etats 6tait viable. Car les economies etaient complkmentaires, le chemin de fer Dakar-Bamako- Koulikoro (sur le fleuve Niger) et le fleuve Senegal de St-Louis a Kayes constituant les axes importants de ces &conomies.

Le fait que la Federation soit ainsi ramenee a deux Etats presentait a la fois des aspects positifs et des aspects negatifs.

Aspects positifs puisque les deux 6tats "perdus" etaient des etats pauvres et que cette perte se traduisait par un meilleur equilibre du budget federal.

Aspects n6gatifs puisque le systeme d'une federation de deux Etats ne peut subsister que grace a des compromis.

Des lors, faute d'un arbitrage possible qu'aurait pu constituer la presence de membres supplementaires, la Fid&ration du Mali 6tait pratiquement con- damnee 6voluer soit vers un renforcement des liens federaux, pouvant meme aller jusqu'a l'union pure et simple; soit vers la rupture.

Il n'est cependant pas inutile de constater que la Federation ne beneficiait pas au depart du prejuge favorable du Gouvernement fran;ais. Celui-ci semblait ne pas souhaiter la creation d'un Etat trop fort, pouvant porter ombrage a l'in- fluence de M. Houphouet-Boigny et craindre la reconstitution d'un echelon federal pouvant nuire a ses nouvelles relations directes avec les Etats africains.

C'est ainsi que le Conseil executif de la Communaute refusa une represen- tation distincte, en son sein, du gouvernement federal. Position qui pouvait paraitre logique puisque Senigal et Soudan etaient, chacun, representes, et que leur Federation n'avait ete constitute qu'apres l'adhesion des deux ex-territoires a la Communaute en tant qu'etats non groupes.

Cette attitude etait fondee juridiquement, encore qu'il efit et6 certainement possible, avec quelque bonne volonte, de trouver un modus vivendi pratique pour les cas ofi le Conseil executif traitait de questions qui, au Mali, 6taient de competence federale. C'est surtout a ce manque de bon vouloir dans la recher- che d'une solution pratique que les dirigeants maliens furent sensibles.

Plus regrettable encore est le fait que les Ministeres franqais transposerent souvent l'interpretation juridique en attitude pratique en se refusant a traiter avec la Federation du Mali, meme dans le domaine des conventions oui les rapports entre parties sont de caractere contractuel.

De tout ceci, trbs certainement, est nee dans l'esprit des dirigeants maliens l'idbe que la France etait opposee a leur Federation. II ne faut donc pas s'6ton-

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ner que la rupture ulterieure de celle-ci, au mois d'aofit 1960, ait pu tre attribuee, au moins partiellement, par eux, a quelques menees occultes de la France. La reticence prolongee par des dirigeants de Bamako envers la France a 'td due en grande partie au fait qu'ils lui reprochaient d'avoir sabot l'id'e feddrale.

La Federation du Mali n'a eu qu'une existence trbs courte: 17 mois; elle merite cependant d'etre 6tudice pour:

- son organisation constitutionnelle - son systeme de repartition des charges et des ressources federales - sa marche a l'independance totale, la premiere au sein de la Commu-

naut6 - les causes, conditions et

consequences de sa rupture

- les problemes pos6s par sa liquidation.

a - Organisation constitutionnelle

Il y avait superposition de deux Etats federes: Sen6gal et Soudan, chacun dote de son assembl6e et de son gouvernement, et d'un Etat federal: Mali.

Au Soudan, le Gouvernement 6tait preside par M. Jean-Marie Kon6; mais le Secretaire g6neral du parti 6tait M. Modibo Keita.

Au Senegal, le Gouvernement etait preside par M. Mamadou Dia; mais le Secretaire general du parti etait M. L6opold Sedar Senghor.

A l'chelon federal, I'Assembl6e tait constituee de 40 membres, a raison de 20 par Etat, 6lus par chaque assembl6e locale en son sein. L'executif etait com- pos6 de huit ministres feddraux:

- un president: M. Modibo Keita - un vice-president: M. Mamadou Dia

tous deux sans departement ministeriel - six ministres, responsables chacun d'un departement ministeriel: trois

s6negalais, trois soudanais. Un 6l6ment psychologique important 6tait le fait que, pour la premiere

fois dans l'histoire, c'6tait un soudanais qui 6tait le chef a Dakar. Le Senegal avait accept6 ce choix pour att6nuer la crainte que sa plus grande richesse pouvait faire naltre dans l'esprit des soudanais et pour tenir compte, 6galement, du fait que le siege du Gouvernement federal 6tait Dakar. Une compensation consistait en ce que la Presidence de l'Assemblee Feddrale 6tait confiee a M. Senghor, premiere 6tape vers 1'acces aux fonctions de President de la Republi- que, poste dont la creation 6tait envisag6e ult6rieurement.

En fait, le choix de M. Modibo Keita comme chef de l'executif federal ne regut jamais qu'un accord des levres et non du coeur, les s6negalais ayant un peu l'impression d'etre colonises par les soudanais.

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Cette impression fut encore aggravee par le fait que M. Modibo Keita fut elu, le 15 avril 1959, president du Gouvernement soudanais, en remplacement de M. Jean-Marie Kon6 qui devenait vice-president. Nomination logique du point de vue soudanais puisque le chef du parti devenait chef du gouvernement et que le "premier" federal devenait 6galement le premier dans son propre pays. Mais qui choquait les senegalais car ce n'6tait plus seulement un President federal qui, au Conseil des Ministres, avait la primaut6 sur le premier ministre senegalais, mais 6galement et surtout le President soudanais.

Peut-etre aurait-il mieux valu, pour l'avenir de la Federation, concevoir un executif de neuf membres:

- six ministres avec departement - deux ministres sans departement: les Presidents des gouvernements

senegalais et soudanais - un

President distinct.

A d6faut, des regles d'alternance de presidence et de majorites qualifibes pour les decisions oi0 les interets des deux Etats membres auraient et6 diver- gents auraient certainement pu tre trouv6es.

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement federal tait bien structure; en outre, il beneficiait au depart:

- de l'experience administrative de l'ex-AOF, puisqu'en mars 1959, au moment oui se constituait la Federation du Mali, commengait la liquidation de

I'AOF. Une partie importante du personnel dakarois de cette derniere allait etre reprise par la Federation du Mali '

laquelle il devait apporter un concours precieux.

- des installations immobilibres et mobilibres de l'ex-AOF. II n'6tait 6vi- demment pas concevable de repartir materiellement entre les Etats successeurs les immeubles et biens sis ' Dakar. Ceux-ci furent donc mis a la disposition soit du Gouvernement du Senegal (moyennant une compensation en argent a d6ter- miner ulterieurement, d6termination qui fut d'ailleurs un des 6l6ments essen- tiels des discussions lors de la liquidation de l'ex-AOF) soit du Gouvernement de la Federation du Mali (chemins de fer, Postes et T4lcommunications, port de Dakar, etc...)

- de la formation, le 24 mars 1959, d'un parti federal unique. En effet, M. Senghor appartenait au Parti du regroupement africain (PRA) qui d6tenait egalement la majorit6 au Dahomey et au Niger. M. Modibo Keita appartenait au Rassemblement d6mocratique africain (RDA) qui d6tenait 6galement la majorit6 en C6te d'Ivoire et en Haute Volta (et meme en Guinee oui, par la force des choses, il avait pris un caractere specifique et national).

PRA et RDA provenaient d'horizons politiques assez differents, tout au moins quand ils 6taient "apparentes" a des partis m6tropolitains par les regles du jeu parlementaire a Paris. Mais en Afrique les notions de partis frangais

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n'avaient plus cours et le regroupement, au sein de la Federation du Mali, de la section s6n6galaise du PRA et de la section soudanaise du RDA fut relative- ment facile. Le nouveau parti fut le Parti de la Federation africaine (PFA) dont le Secretaire g6neral fut M. Senghor.

b - Repartition des charges et ressources fIddrales

L'apport le plus interessant de la Federation du Mali ' la doctrine et a la pratique federales en Afrique, peut-etre meme ailleurs, est tres certainement son systeme de r6partition des ressources.

En ce qui concerne l'organisation budgetaire g6ndrale, il n'y eut pas de grands changements avec les regles de l'ancienne AOF, les dirigeants federaux estimant a juste titre qu'il aurait et6 dangereux d'innover alors que le temps pressait: le nouveau budget devait s'appliquer a compter du ler avril et on 6tait deja fin mars.

Il y eut donc continuation des regles anterieures en ce qui concerne la repartition des depenses entre budget federal et budgets des Etats; et, en ce qui concerne le principe g6neral de repartition des competences dans le domaine fiscal:

- taxation indirecte genbrale au pouvoir federal - taxations indirectes particulibres et taxation directe aux pouvoirs locaux. Le grand probleme de l'ex-AOF avait 6t6 la r6partition entre les territoires

de l'exc6dent des ressources du budget federal. Les nouveaux dirigeants maliens voulurent 6viter tout marchandage et ils resolurent le probleme par un heureux melange de pratique et de reglementation.

Le principe retenu fut celui de l'attribution a chacune des trois parties prenantes: Senegal - Soudan - budget federal (pour le fonctionnement de ses services et pour faire face a ses differentes charges telles qu'elles existaient au ler avril 1959) de pourcentages determines des recettes federales: ce fut 1l la reglementation.

Ces pourcentages furent ensuite calculus sur des bases bien connues; ce fut la la pratique.

En effet, la quasi-totalit6 des ressources federales venaient de l'activite 6conomique et 6taient donc perques principalement sur le territoire du Senegal, grace a l'existence du port de Dakar et au fait que la grande majorit6 des maisons de commerce avaient leur siege social dans cette ville.

Des lors, on decida de proceder par soustractions. Au cours d'une seance tenue ' Dakar fin mars 1959 et qui r6unissait, sous la pr6sidence de M. Senghor, les huit ministres federaux, deux representants du gouvernement senegalais et deux representants du Gouvernement soudanais (dont l'auteur de la presente 6tude) on 6valua:

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1 - les besoins du budget du Soudan pour maintenir 1'aide f derale au niveau de ce qu'elle 6tait dans l'ex-AOF;

2 - les besoins du nouveau budget federal pour faire face a toutes ses charges.

Puis on calcula quels pourcentages des ressources federales correspondaient a 1 et 2; on obtint: 36 et 25%; le reliquat, donc 39% fut attribu6 au budget du Senegal.

Notons qu'avant toute repartition interne, la Federation du Mali ristournait 5% des recettes provenant de l'activit6 economique a la Mauritanie dont le trafic se faisait 6galement par Dakar.

Il fut decide que ces bases de r6partition seraient maintenues jusqu'A nouvel ordre, ce qui 6vitait tout marchandage annuel. Dire que les repr6- sentants senegalais furent tres satisfaits de cette solution serait tres nettement exagere: elle n'apportait pas au Senegal tout ce que celui-ci esperait de la suppression de I'AOF. II faut neanmoins tenir compte du fait que l'6conomie du Senegal beneficiait de la realisation sur place de la plus grande part des depen- ses federales.

On peut calculer ce que, theoriquement, perdait le budget du Senegal; c'6tait environ 13,50% des recettes qu'il aurait pu percevoir s'il avait 6te isol6. Difference serieuse, certes, mais moins importante que ne le pretendait certains et qui devait encore etre diminube par le fait que beaucoup de transac- tions inter-etats ne figuraient pas dans les statistiques. Car de nombreuses marchandises 6taient d6douanees a Dakar, mises en magasin dans cette ville et

expediees ulterieurement au Soudan par les maisons de commerce. On peut donc ramener le moins perqu du Senegal

' environ 10%. Telle quelle, neanmoins, l'organisation financiere federale 6tait viable et si

la Federation du Mali avait vecu, il est probable que des ajustements ulterieurs, bas6s sur des statistiques plus precises auraient permis de corriger les erreurs ou injustices.

Il faut, par dessus tout, retenir le fait interessant que pour la premiere fois, la repartition des ressources federales faisait l'objet d'une reglementation simple et automatique.

c - La marche vers I'ind6pendance totale

Nous avons dit plus haut que la Federation du Mali s'6tait vu refuser une representation distincte au sein du conseil ex6cutif de la Communaute; et que certains d6partements ministeriels frangais avaient refus6 6galement de traiter avec le pouvoir federal, meme dans les domaines relevant de la compe- tence de celui-ci.

Une telle attitude eut, comme consequence, non de diminuer l'enthousiasme

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fed6ral comme certains l'esperaient peut-etre, mais au contraire de l'exacerber. La F6deration du Mali envisage alors la solution de l'ind6pendance complete.

Cette independance n'etait pas fondamentalement incompatible avec les dispositions de la Constitution frangaise de 1958 qui prevoyait le passage du statut d'6tat membre de la Communaut~

' celui d'Etat ind6pendant. Mais il fallait, quand meme, modifier cette constitution pour:

- simplifier la procedure de passage d'un statut a l'autre; - preciser qu'un Etat membre de la Communaut6 pouvait, par voie

d'accords, devenir independant sans cesser de ce fait d'appartenir a la Commu- naute.

L'accord de principe a la demande de la Federation du Mali fut donne en d6cembre 1959 ' St-Louis du Senegal lors d'un Conseil ex6cutif de la Commu- naute. La procedure suivit son cours. La constitution fut modifibe le 4 juin 1960. Les accords franco-maliens de cooperation approuv6s et l'ind6pendance proclambe le 19 juin 1960 ' minuit.

Cette independance du Mali fut le signal de la dislocation de la Commu- naute. En effet, Madagascar avait formul6, tres peu de temps apres le Mali, une demande semblable qui 6volua pareillement. Voyant ces resultats, les Etats de l'ex-AEF manifesterent les memes intentions.

Des lors, les Etats du Conseil de l'Entente qui, sous l'influence de M. Houphouet-Boigny, avaient opt6, au contraire, initialement pour un renforce- ment des liens confederaux avec la France s'estimaient tromp6s par Paris (ce mot "trompes" au double sens de victime d'une machination et de cocu). Leur reaction fut brutale: le Mali et Madagascar avait acc6d6 e l'ind6pendance apres avoir sign6 des accords de cooperation avec la France; eux, demandent l'ind6- pendance d'abord pour ne signer qu'ensuite les accords de cooperation.

Ainsi se trouve achev6 le processus d'6clatement de l'outre-mer frangais. En 14 ans, quelles que soient les institutions, quelles que soient les bonnes intentions des lgislateurs, l'attitude "restrictive" des services administratifs et leur manque d'imagination avaient fait qu'avec une regularit6 implacable, Paris avait toujours 6t6 amen6 a accorder finalement plus que ce qui avait 6t6 deman- de' l'origine et a encourager ainsi toutes les surencheres.

Quoi qu'il en soit, pour en revenir a la Federation du Mali, l'avenir au 20 juin 1960 paraissait assez brillant.

Independant, mais lie A la France par des accords de cooperation favorisant le developpement, dote d'une structure et d'une experience administratives heri- tees de 1'ex-AOF, disposant d'instruments financiers et budgetaires serieux, unifi6 politiquement, 6quilibr6 6conomiquement, le nouvel Etat 6tait destin6 a devenir l'un des plus importants de l'Afrique. Il semble d'ailleurs que cette opinion ait 6t6 celle de:

- la France qui, dans les accords de coop6ration, semblait reconnaitre au

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Mali une sorte de statut d'heritier privilegid de l'ex-AOF, ce qui 6tait d'ailleurs assez piquant quand on se rappelle les reticences primitives de Paris.

- 1'O.N.U. qui, sans meme attendre l'entrde officielle du Mali en son sein, le chargeait de participer au contingent international envoy6 au Congo ex-belge.

Mais, exactement deux mois jour pour jour apres l'ind6pendance, cet Etat, promis au plus bel avenir, volait en 6clats. Que s'6tait-il donc pass6?

d - Causes, conditions et consequences de la rupture de la Federation du Mali

Cette rupture eut lieu le 20 aofit 1960 dans des conditions assez dramati- ques, encore qu'il n'y eut point de sang vers6.

En fait, au cours de ses 17 mois d'existence (15 comme groupe autonome, 2 comme Etat independant) la Federation du Mali avait 6t6 la proie de tiraillements constants entre senegalais et soudanais. Car il fallait, bien naturel- lement, harmoniser les reglementations, r6soudre certains problemes fiscaux et ceux des relations avec les autres Etats de l'ex-AOF.

En ce qui concerne ce dernier point, le Senegal n'avait pas de difficultes particulibres car:

- le budget federal du Mali reversait automatiquement 5% des droits d'entr6e et de sortie a la Mauritanie;

- le meme budget federal reglementait la rdpartition des recettes entre pouvoir federal, Senegal et Soudan.

Tout ce dont le Senegal se plaignait 6tait de ne pas avoir assez du gateau; il admettait la solidarit6 financiere feddrale comme un mal n6cessaire, une cons6quence de son activit6 6conomique importante avec son hinterland soudanais; mais il ne fallais pas lui en demander plus.

La situation, pour le Soudan, 6tait differente; son activit6 6conomique essentielle se faisait sur l'axe Dakar-Bamako, mais une part importante corres- pondant au Soudan moyen (region de Mopti) 6tait faite sur l'axe Abidjan (C6te d'Ivoire) - Bobo Dioulasso (Haute Volta) - Mopti; il y avait meme, pour le Soudan oriental (r6gion de Gao) une activit6 par Cotonou-Parakou (Dahomey) - Niamey (Niger).

Des lors, le Soudan 6tait fond6 ' soutenir que son activit6 6conomique au sein de l'ex-AOF 6tait plus importante que ne le faisaient apparaitre les diverses statistiques o0i la dite activit6 6tait r6partie entre les groupes de terri- toires: Sen6gal-Soudan-Mauritanie puis C6te d'Ivoire-Haute Volta, enfin Daho- mey-Niger.

Le Soudan avait donc des problemes '

regler avec les Etats du Conseil de I'Entente, problemes que le Gouvernement feddral de Dakar ne voyait que d'assez loin et qu'il avait tendance a considerer comme secondaires et quelque peu ennuyeux.

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Au reste, Dakar avait toujours sous-estim6 l'importance de l'axe 6cono- mique Abidjan-Mopti. Nous verrons plus loin qu'il a fallu une dure experience pour lui en faire constater la r6alit6.

D'autre part, le Soudan faisait toujours valoir h l'6gard du S6negal, meme au sein de la Fed6ration, des revendications sur les ristournes de certains droits pergus au profit des budgets des deux Etats f6d6r6s. En effet, il arrivait tres fr6quemment que des marchandises fussent d6douan6es

' Dakar et mises en d6p6t dans les magasins des maisons de commerce, apres avoir acquitt6 les diverses taxes locales du Sen6gal. Elles ressortaient des magasins dakarois au fur et a mesure des besoins des comptoirs du Senegal et du Soudan; elles 6taient exp6di6es sans aucune formalit6

' ces derniers. Mais le budget soudanais ne percevait pas alors les taxes qu'il aurait perques si elles 6taient entrees directe- ment sur le territoire national; il demandait donc les ristournes correspondantes au S6negal.

Donc, du c8t6 S6n6gal, dominait l'impression que le Soudan n'avait reelle- ment pas a se plaindre du lien f6deral dont le S6n6gal faisait les plus grands frais; du c6t6 Soudan dominait l'impression que la r6partition des recettes f6d6- rales 6tait juste, mais qu'il y avait encore des revendications a faire valoir:

- a l'6gard de la C6te d'Ivoire, revendications qui semblaient peu int6- resser le pouvoir fed6ral et encore moins le Sen6gal, lequel craignait qu'en contre-partie la C6te d'Ivoire n'e61ve des revendications a son 6gard (car des marchandises 6taient 6galement d6douan6es

' Dakar par certaines maisons de commerce qui les acheminaient ensuite sur leurs succursales d'Abidjan).

-- l'6gard du S6n6gal. Ces problemes financiers n'6taient pas d6mesurement graves. La pratique

aurait certainement permis de les r6soudre, ne serait-ce que par l'adoption d'une formule forfaitaire du genre de celle adoptee pour le budget f6d6ral. Mais ils "empoisonnaient" l'atmosphere en permanence; peut-etre aurait-il mieux valu, pour les premiers temps, les ajourner purement et simplement; puis les regler ensuite avec le maximum de renseignements et le minimum de passion. Mais comme on essayait de les r6soudre, les commissions inter-6tatiques r6unies a cet effet devinrent des lieux d'affrontement, faute d'un pouvoir d'apaisement ou d'arbitrage.

Par ailleurs, comme nous l'avons d6ja dit, les S6nigalais 6prouvaient l'im- pression d'6tre un peu colonises, a Dakar meme, par les Soudanais.

Enfin, il convient de noter que, dans les domaines politique et 6conomique, les Soudanais 6taient plus portes que les SBn6galais vers des conceptions socia- listes et d'interventions de 1'Etat. Ce fait 6tant probablement dui en grande partie A ce que le Soudan fut toujours consider6 par les maisons de commerce de Dakar comme une simple annexe 6conomique et que, dAs lors, les Soudanais

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ne retinrent de la formule capitaliste que l'aspect "exploitation" sans b6n6ficier de l'aspect "impulsion".

En aofit 1960, alors que plusieurs difficultes avaient d6j 6td6 surmontees, dont une crise serieuse en janvier 1960, une grave divergence de vues se mani- festa sur deux questions importantes:

- la nomination du chef de l'armee malienne, poste pour lequel deux candidats 6taient en presence, tous deux colonels dans 1'armbe frangaise, mais 1'un senegalais, I'autre soudanais.

1- l'lection du futur president de la republique. II avait 6td entendu que, dans la Constitution d6finitive, ce poste serait cr66 et qu'en pratique, il reviendrait a un senegalais, le poste de premier ministre restant a un soudanais; mais les soudanais estimaient que tous les 6lecteurs de la F6deration avaient leur mot a dire, alors que les senegalais estimaient qu'ils n'avaient qu'a ratifier le choix fait par les autorites senegalaises.

Les conceptions sur ces deux questions se r6v4lrent alors tellement 6loi- gnees que le Pr6sident Modibo Keita "demissionna" ses ministres f6deraux sendgalais et confia 1'exp6dition des affaires courantes de leurs ministeres a leurs collegues soudanais (19 aofit).

Cette mesure ne pouvait, en fait, etre appliquee qu'en ayant recours a la contrainte. Or les seules forces de l'ordre a Dakar 6taient:

- soit senegalaises, donc peu porties A agir contre des ministres compa- triotes,

- soit frangaises, au titre de l'Armde de la Communaut6. Le Prdsident Modibo Keita demanda l'appui de ces forces, au titre des accords de cooperation franco-maliens.

Mais les forces frangaises ne bougerent pas. Il leur 6tait d'ailleurs difficile de le faire, l'opinion publique et l'armee senegalaise d6fendant leurs ministres; une intervention francaise aurait certainement abouti a des heurts sanglants et ce pour maintenir une federation dont les Senegalais ne semblaient plus vouloir.

Les ministres feddraux et parlementaires soudanais pr6sents " Dakar furent

donc places en residence surveillee quelques jours puis acheminds vers le Soudan, le tout d'ailleurs fort correctement.

De retour ' Bamako, le President Modibo Keita essaya tout d'abord de

maintenir le principe de la Federation en: - fixant la capitale feddrale a Bamako au lieu de Dakar, - nommant des ministres soudanais comme ministres "f~ddraux" - maintenant le nom de Feddration du Mali. Toutes les communications, ferroviaires, postales, t61egraphiques, etc... fu-

rent coup6es avec le Sen6gal. II y eut meme, de part et d'autre, quelques saisies de biens appartenant a des ressortissants de l'autre Etat. Bref ce fut la rupture complete et meme une sorte de "guerre froide".

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Cependant, les Soudanais se rendirent rapidement compte qu'il n'6tait plus possible de maintenir, meme sur le papier, la Federation. C'est pourquoi, le 22 septembre 1960, fut proclamee la pleine souverainet6 du Soudan sous le nom de Republique du Mali, le maintien de ce nom a la nouvelle republique ayant une double signification: historique et symbolique.

A 1'egard de la France, la nouvelle republique prit tres nettement ses distances, au contraire du Senegal. Ses dirigeants reprochaient a la France essentiellement sa non-intervention lors des evenements des 19 et 20 aofit. Mais ils se rappelaient aussi que l'idee meme de la Federation n'avait pas 6t6 accueillie favorablement par le Conseil executif de la Communaute. Ils avaient eu egalement l'occasion de recueillir quelques paroles maladroites de fonction- naires ou militaires franqais. De 1~ a faire germer dans leur esprit l'idee d'un complot de la France contre la F6deration du Mali, il n'y avait qu'un pas; il ne fut pas franchi officiellement, mais les relations resterent mefiantes.

Et ce ne sont pas les d6clarations du G6neral de Gaulle, lors de sa conference de presse du 5 septembre 1960, qui apaiserent la rancoeur des dirigeants soudanais. Le General de Gaulle s'efforgait de se montrer impartial; mais il le fit avec son style habituel: hauteur ironique; et l' ouC quelques paro- les de regret auraient peut-etre adouci les ressentiments, le ton consider6 comme quelque peu meprisant confirma les Soudanais dans leur idee que la France n'6tait pas mecontente de l'6clatement de la Federation ou, tout au moins, le considerait comme une "peripetie" de peu d'importance.

La Republique du Mali refusa le parrainage de la France pour son entree a l'O.N.U. Et elle se tourna, en prenant une option socialiste, vers les Etats africains qui l'avaient prce~d"e sur la voie de l'independance: le Ghana et la Guinee.

Le 22 septembre 1960, la balkanisation de 1'Afrique etait achevee. L'ex- AOF 6tait 6parpillbe entre huit 6tats:

- deux de type socialiste et nettement en froid avec la France: la Guin6e et la nouvelle Republique du Mali.

- un dont les problemes internes n'9taient pas encore resolus du fait de la direction bic6phale de l'executif avec un President de la Republique, M. Senghor, et un President du Conseil, M. Mamadou Dia. Ces problkmes ne seront resolus qu'en decembre 1962 avec l'limination de M. Dia de la scene politique.

- un dont 1'existence meme 6tait mise en question par les revendications d'un Etat voisin: la Mauritanie, que le Maroc estimait Stre une part de son ancien territoire

- quatre grouphs dans un systeme de type confederal assez lache: C6te d'Ivoire, Haute Volta, Dahomey, Niger; mais qui, pour leurs problemes essen- tiels, traitaient separement avec la France.

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e - La liquidation d'une federation

Si la rupture entre Senegal et Soudan 6tait complete, il n'6tait pas possible de rayer d'un trait de plume toutes les relations qui avaient exist6 depuis plus d'un demi-siecle. Le divorce avait eu lieu mais il fallait maintenant:

- proc6der a la s6paration des biens - et essayer de profiter des rencontres a cet effet pour essayer de d6finir

de nouveaux rapports entre les deux Etats. Il faut mettre a l'actif des dirigeants sen6galais et soudanais qu'ils se rendi-

rent tres rapidement compte qu'il n'6tait pas possible de maintenir ind6finiment la rupture complete; mais il leur fallait tenir compte de l'attitude g6neralement "dure" de leurs 6tats-majors de partis et de leur opinion publique.

Pendant 28 mois, et de chaque c68t, le but des dirigeants sera: - d'essayer d'obtenir le maximum au cours des conversations inter-6tati-

ques, - tout en amenant leurs troupes a plus de souplesse et de compr6hension. Tout commenga, par une lettre du President Senghor au President Modibo

Keita, proposant a celui-ci de tenir une r6union inter-6tatique pour regler le

problbme de la liquidation de la F6deration du Mali. Cette proposition fut acceptee et, le 15 octobre 1960, une d6l6gation soudanaise arrivait A Dakar ofi elle fut d'ailleurs accueillie trbs courtoisement.

Dakar avait 6te choisie comme siege de cette r6union car la quasi-totalite des dossiers feddraux s'y trouvait. L'atmosphbre 6tait assez lourde, au d6but des n6gociations; cependant, assez rapidement, un certain nombre de delib6rations furent adoptees:

- l'assembl6e pleniere, composee des deux del6gations dont l'importance respective 6tait laissee au choix de chaque Etat. C'est cette assembl6e appelbe "conference de liquidation" qui devait adopter les regles de base, sous reserve de ratification par les deux Etats.

- une commission restreinte, composee de deux membres par Etat, et qui devait veiller A l'execution des decisions de base de la conference et la suppl6er, en tant que de besoin, en suivant de plus prbs les affaires. Elle fut appelbe "Conference de liquidation"; elle fut, en fait, l'organe essentiel de toute la liquidation et son r6le fut trbs important.

- un service administratif, plac6 sous les ordres d'un Administrateur- ordonnateur et comprenant cinq sections:

budgets et comptes personnel postes et telecommunications chemins de fer questions domaniales et diverses

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Ce service 6tait dote d'un budget de fonctionnement aliment6 par des prel vements sur les fonds disponibles de l'ancien budget f d'ral.

Des deliberations furent rapidement adoptees dans des domaines assez

specialis6s: repartition des avoirs de la Caisse d'6pargne, des comptes courants postaux, de l'aide de la France (au titre de l'ancien Fides: Fonds d'investisse- ment et de d6veloppement 6conomique et social; et du nouveau Fac: Fonds d'aide et de cooperation), sort de certaines categories de personnel, etc...

Mais la pierre d'achoppement fut la resolution concernant la d6volution du patrimoine. Comme la plupart des biens et fonds federaux 6taient situbs au Senegal, notamment a Dakar, et qu'il n'etait pas concevable d'envisager leur partage materiel ou leur demrnagement, il fut admis que:

- l'on d6terminerait la valeur des biens et fonds situbs dans chaque Etat; - puis que l'on fixerait un pourcentage theorique de repartition entre

Senegal et Soudan; - enfin, que la difference entre la valeur des biens et fonds sis dans un

Etat et la valeur theorique revenant a cet Etat donnerait lieu a soulte. En fait d'ailleurs, c'6tait le Senegal qui aurait a reverser au Soudan.

Si l'6valuation des biens f6deraux 6tait relativement aisle, la d6termina- tion du pourcentage de chaque Etat le fut infiniment moins.

Au d6part, le Soudan proposait des pourcentages analogues ' ceux attri-

bubs dans l'ancien budget federal du Mali. On se rappelle que la r6partition 6tait la suivante: 25% au budget federal - 39% au Senegal - 36% au Soudan. Comme le budget f6deral avait disparu, les parts, selon le Soudan, devaient etre:

- Senegal:

39 X 100 = 52%

100 100-25 - Soudan : 36 X 100 48%.

100 100-25

Le S6negal, lui, proposait une formule se rapprochant de celle de l'ex- AOF, bas6e sur l'activit & conomique et donnant:

Senegal 75% Soudan 25%

C'6taient 1l des propositions de d6part. Chacun savait qu'on aboutirait A un compromis; mais il fallait tenir le plus longtemps possible.

L'accord ne put se faire, dans la premiere r6union, sur les pourcentages et chacun resta sur ses positions. Et le Gouvernement senegalais refusa de ratifier les deliberations pour lesquelles l'accord s'6tait fait, tant qu'une d6cision ne serait pas prise sur l'attribution des pourcentages.

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Cette politique de fermet6 senegalaise 6tait basee sur 1'appriciation de deux 6l6ments:

- la quasi-totalit6 des biens et fonds de l'ex-f deration se trouvait ' Dakar;

le S6negal pouvait donc attendre tranquillement. - l'activit6 6conomique du Soudan se faisait principalement par le chemin

de fer Dakar-Bamako; tant que 1'accord ne serait pas fait, tant que le chemin de fer ne fonctionnerait pas, le Soudan irait vers l'asphyxie 6conomique et les difficult6s de ravitaillement.

Mais cette appreciation fut une double erreur. Tout d'abord, s'il 6tait exact que les biens sis au S6n6gal 6taient mis de

facto ' la disposition du Gouvernement senegalais, il n'en 6tait pas de meme des fonds. Ceux-ci 6taient confi6s et g6r6s aux representants locaux du Tresor

franqais, en vertu d'un accord sign6 a Paris le 11 juillet 1959. Le Tr6sor frangais n'envisagea nullement de se desaisir de ce dep6t commun au profit d'un seul Etat et les fonds resterent inemploy6s.

Ensuite, le S6n6gal fut amen6 a se rendre compte, enfin, de l'importance de l'axe 6conomique Abidjan-Bobo Dioulasso-Mopti. Pris litt6ralement a la gorge, le Soudan retourna completement son axe d'activit6 et fit passer entierement celle-ci par Abidjan grace a un ensemble de camions, d'abord h6t6rogene (transporteurs priv6s, camions pret6s par la Guin6e et le Ghana) puis ensuite homogene (camions neufs fournis par un accord avec la maison allemande

Krupp). Il y eut, certes, des a-coups dans le ravitaillement, de nombreuses pertes

de vehicules, des lenteurs, mais grace a cette volont6 de ne pas ceder, grace au contr1le parfois tracassier, mais dans l'ensemble efficace, des op6rations commerciales et des transferts de devises, le Soudan ne fut pas asphyxie.

Le S6n6gal se rendit vite compte de son erreur et surtout du danger que ferait courir dans l'avenir A son &conomie une trop grande r6ussite de l'axe Abidjan-Bobo Dioulasso-Mopti. Des conversations, officielles et officieuses, des deux membres soudanais de la Commission de liquidation lors de leurs fr&- quentes venues A Dakar, permettaient de rapprocher les points de vue; et, finalement, I'accord se fit sur la r6partition:

Senegal : 62% - Soudan: 38%.

D~s lors, aucun obstacle sbrieux ne se dressait plus devant la Commission de liquidation et les services de l'Administrateur-ordonnateur.

De nombreuses affaires furent traitees, depuis le reglement des situations personnelles des anciens fonctionnaires fbdbraux jusqu'g la liquidation des Pos- tes et T61ecommunications et des Chemins de fer, en passant par l'6tablissement des divers comptes financiers et la d6volution de propri6t6 des immeubles et biens divers.

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Les deux grands problemes furent, 6videmment, la liquidation de l'Office f6d6ral des Postes et T616communications et de la R6gie f6d6rale des Chemins de fer. Ces deux organismes etaient, en fait, des sections g6ographiques des orga- nes correspondants de l'ex-AOF. Lors de la liquidation de celle-ci, comme la

F6d6ration du Mali 6tait d6ja constituee, la d6volution avait 6te faite, non aux Etats du S6negal et du Soudan, mais aux nouvelles autorit6s f6derales.

De ce fait, si ' cet 6gard, la liquidation de l'ex-AOF avait 6t6 ais6e, celle de la F6d6ration du Mali 6tait ardue. Les travaux qui furent n6cessaires furent menes par des experts qui eurent non seulement a rechercher et r6partir les diverses donn6es, mais aussi, tres souvent, a proc6der A des estimations et A proposer des solutions d'approximation. Mais les rapports qui s'ensuivirent furent approuv6s sans modification par la Conference de liquidation et ratifi6s par les deux gouvernements.

Au point de vue politique, des la reprise, en mai 1961, des travaux de la

Conf6rence de liquidation, il 6tait tacitement admis que la fin de la liquidation coinciderait avec la d6finition de nouveaux rapports entre les deux Etats.

Il y eut encore quelques sursauts, quelques discours mal interpret6s; mais on commenqait A parler des relations futures, encore que celles-ci soient rendues plus d6licates par les attitudes divergentes des deux Etats A l'6gard de la France et du reste de l'ex-AOF. Le S6negal avait choisi la coop6ration avec la France et 6tait demeur6 dans la zone mon6taire ouest-africaine, dirig6e par la B.C.E.A.O. (Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest). Le Soudan 6tait quelque peu en froid avec la France, avait institu6 un contr6le des changes, pour aboutir a cr6er, en juillet 1962, sa propre monnaie, demeurant th6oriquement dans la zone franc, mais pratiquement autonome (elle devait le rester jusqu'aux accords de f6vrier 1967 avec la France).

L'9volution favorable s'accentua apres la "clarification des choses" au sein de l'executif s6n6galais en decembre 1962. Tout le monde se trouva d'ac- cord pour rejeter, au moins officiellement et pour sauver la face, la responsa- bilit6 des lenteurs de la r6conciliation sur l'6quipe du Pr6sident Mamadou Dia.

Des lors, la derniere r6union de la Commission de liquidation, du 5 janvier au 5 f6vrier 1963, devait tre d6cisive. Elle permit de traiter la plupart des problemes en souffrance, a tel point que les services de l'Administrateur-ordon- nateur purent, a leur tour, 9tre liquid6s, seuls restant pour les petites s6quelles, I'Administrateur-ordonnateur lui-meme avec une secr6taire.

Cette r6union permit de d6terminer le montant exact des soultes a verser par le S6n6gal au Soudan: 670 millions de francs CFA (soit environ 2,680.000 dollars US). II fut m me admis qu'une grande partie de ces soultes serait vers6e en ciment, que le S6negal produisait et dont le Soudan avait besoin.

Mais, surtout, elle marqua la r6conciliation d6finitive des deux Etats. Le champ 6tait maintenant libre pour l'avenir; et, notamment, tres peu de temps

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apres, furent sign6s des accords sur l'utilisation commune du chemin de fer Dakar-Bamako et sur l'utilisation par le Soudan d'une partie du port de Dakar.

LES PERSPECTIVES D'AVENIR

Si la balkanisation de l'Afrique est un fait accompli, l'id6e federale n'est pas morte; elle reste un rave de nombreux dirigeants africains, certains de ceux-ci la poussant meme jusqu'a la notion d'un continent uni, notion qui semble d'ailleurs a peu pres irr6alisable.

De plus, apres l'euphorie des premiers temps de l'ind6pendance et de l'acces a ce qu'on pourrait appeler les "honneurs internationaux", de nombreux dirigeants africains ont constate que:

- si leur ind6pendance politique 6tait respectee, il 6tait loin d'en etre de meme pour leur ind6pendance 6conomique;

- si, A l'6poque de l'acces a l'independance, les deux super-grands: USA et URSS faisaient assaut de generosit6 e l'6gard des nouveaux Etats, pour tenter de se constituer une "clientele" (au sens de ce terme dans le droit

romain), il en 6tait dej' beaucoup moins avec l'apparition de la co-existence pacifique dans la politique internationale;

- des pays plus developp6s essayaient de s'unir: Marche commun, zone de libre-6change, etc...

D'oui l'id6e de recreer de nouveaux liens entre les divers Etats africains. Plusieurs tentatives interessantes ont et6 faites, qu'il serait trop long de traiter ici, mais qu'on peut cependant regrouper en grandes categories:

- accords douaniers, monetaires et bancaires - ententes a objectifs specialises - societes ou groupement inter-6tatiques - accords a vocation politique - accords de cooperation internationale.

a - accords douaniers, monetaires et bancaires

Depuis que la Republique du Mali a mis fin, recemment, grace a des accords avec la France, a son "schisme", l'ex-AOF, a l'exception de la Guinee, forme une Union douaniere et monetaire, laquelle d'ailleurs a de tres nombreux liens avec la France. La B.C.E.A.O. et la Banque du Mali ont conclu des accords et il n'est pas exag6r6 de dire qu'en ce domaine, l'unit6 a 6t6 restaur6e.

b - ententes a objectifs sp6cialisees

Elles correspondent a des problemes particuliers ou techniques concernant soit quelques Etats, africains ou non, soit des organisations internationales plus vastes.

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Parmi les premieres, on peut citer les ententes pour la reglementation et le soutien des prix, sur le plan mondial, d'un produit. Par exemple: le Conseil africain de 1'arachide, lequel groupe le S6n6gal, la Haute Volta, le Niger et la Nigeria (donc trois pays francophones et un anglophone); et l'alliance des producteurs de cacao, groupent Cameroun, C6te d'Ivoire, Togo, Tchad, Nigeria et Bresil. D'autres ententes du meme genre concernent le caf6 et le coton.

Parmi les secondes, qui sont tres nombreuses et concernent la Sant6, les Telecommunications, les transports, etc... l'6l'ment technique est primordial. Ces ententes concernant g6neralement la plupart des Etats francophones et la France fait elle-meme partie de beaucoup d'entr'elles.

c - Societes inter-6tatiques

Certaines activites sont exerc6es par des soci6t's de type commercial, dont plusieurs Etats sont membres. Parmi elles, une compagnie d'aviation: Air Afri- que, commune g 12 Etats et I'Office inter-6tats du commerce africain, commun a 11 Etats.

Notons 6galement, dans ce genre d'activites, l'apparition de nouvelles ban- ques locales r6sultant de la transformation de banques de d6p6ts nationalisees franqaises (Credit Lyonnais, Societe Generale, Banque nationale de Paris) qui acquierent leur autonomie et regroupent des capitaux locaux (essentiellement d'Etat), franqais et d'autres Etats du Marche commun.

d - Accords a vocation politique

Ces accords envisagent des regroupements g ographiques. Nous avons deja parl6 du Conseil de I'Entente qui fonctionne depuis 1959

et auquel s'est joint le Togo. Les quatre autres Etats de l'ex-AOF font partie de l'organisation des Etats

riverains du fleuve Senegal laquelle, jusqu'ici, est plus l'occasion de rencontres et de confrontations d'opinions que celle de prises de decisions d'interet com- mun. Il est n6anmoins interessant de constater que ces deux organismes cor- respondent geographiquement a la r6partition de l'ex-AOF entre les deux "p6les" d'interets de Dakar et d'Abidjan.

Une experience de regroupement sur des options politiques a 6choue: l'U- nion tri-partie Guinee-Ghana-R6publique du Mali qui s'est limit e a des ren- contres de chefs d'Etat. Les relations sont maintenant tres mauvaises entre Guin e et Ghana a la suite du renversement de M. Kwam6 N'Krumah; quant au Mali, il regarde de plus en plus vers la France.

Sur le plan, non plus de regroupements regionaux, mais d'organisations plus vastes, ii faut citer 1'O.CA.M. et I'O.U.A.

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L'O.C.A.M. (Organisation commune africaine et malgache) a remplac6 l'an- cienne U.A.M. (Union africaine et Malgache) cr66e en 1961 et comprend les Etats de 1'ex-AOF (sauf Guinee-Mali-Mauritanie), de l'ex-AEF, Madagascar, le Congo-Kinshasa et le Ruanda, le Togo et le Cameroun.

Cette organisation a pour but de promouvoir des accords de toute nature entre ses membres. Elle a, jusqu'ici, a cet 6gard un bilan positif et traduit un resserrement tres important des liens de 1'Afrique francophone, ex-frangaise et ex-belge.

Elle dispose d'organisations specialisees, d'un secretariat permanent (a Yaound6) et a proc6d6 a des 6tudes dans les domaines economique, financier, culturel et social. Ce n'est certes pas une federation, meme pas une conf6-

deration. Mais il y a la, indiscutablement, l'ebauche d'une organisation supra- nationale, destinbe a gerer au mieux les interets communs.

L'O.U.A. (Organisation de l'Unit6 africaine) a 6t6 cr66e en 1963 a Addis- Abeba; elle regroupe 32 Etats de toutes les parties de l'Afrique et de toutes les tendances politiques. Elle joue, malgr6 son caractbre plus large, donc forc6ment plus vague, un r6le important:

- dans le domaine politique oui elle permet la confrontation pacifique des diverses tendances, l'apaisement de certains conflits et une meilleure formula- tion internationale des positions africaines;

- dans le domaine &conomique oif ses travaux sont men6s en liaison avec ceux de la Commission 6conomique des Nations Unies pour l'Afrique.

e - accords de cooperation internationale

Il nous faut tout d'abord mentionner l'association au Marche commun des anciens territoires frangais et belges, auxquels s'est joint, depuis le deuxieme semestre 1966, un Etat anglophone: la Nigeria.

Outre les avantages politiques et 6conomiques d'une telle association inter- continentale, les Etats africains regoivent une assistance technique de la C.E.E., par l'interm6diaire du Fonds europeen de D6veloppement.

Sur le plan plus g6neral de l'assistance technique internationale, les Etats francophones regoivent une aide financiere et technique de la France. Mais cette assistance ne se limite plus & la puissance ex-colonisatrice; l'aide est devenue internationale. Nous avons mentionn6 plus haut le Fonds europ6en de developpement. II faut y ajouter tous les accords d'assistance liant des pays developpes a des pays moins developpes et qu'il serait trop long d'6numerer ici.

Certes, ces divers accords ne sont pas uniquement africains; il ne fait pas de doute n6anmoins qu'ils aient une enorme influence sur l'avenir de l'Afrique; et ce de plusieurs manieres:

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- en substituant la notion de cooperation a celle de domination dans les rapports entre puissances ex-coloniales et leurs anciens territoires.

- en creant de nouveau liens: &conomiques avec de nombreux pays et meme organiques avec la C.E.E.

- en facilitant les points de rencontre entre Etats africains de cultures differentes; nous pensons plus particulibrement a cet egard a un cas comme celui de I'association de la Nigeria au Marche commun et qui permettra ainsi un rapprochement entre francophones et anglophones.

Les rencontres, r6unions, comites, etc... que necessitent ces differents accords ont, de plus, tendance a favoriser l'adoption d'une attitude commune a l'6gard des pays plus d6veloppes. A noter, toutefois, chez certains dirigeants africains, le d6sir de maintenir la cooperation avec l'Europe sans compromet- tre les liens avec les autres Etats africains.

En d'autres termes, si la notion d'Eurafrique peut tre admise, elle doit signifier entente de toute l'Afrique avec toute l'Europe et non entente d'une partie de l'Afrique avec une partie de l'Europe.

CONCLUSION

Les diverses experiences, de type federal ou confederal en Afrique occi- dentale francophone, ont connu des fortunes diverses mais l'id6e et le reve d'une federation africaine sont demeures profond6ment ancres dans les esprits des dirigeants des nouveaux Etats.

Quelques regles g6nerales peuvent, du moins, nous le pensons, tre tirees de l'experience africaine. Une federation semble devoir, pour etre viable, r6sou- dre avant tout ses problbmes dans quatre principaux domaines:

- composition - structures - finances - arbitrage

a - Composition

Il semble avantageux qu'une Fbdbration ne regroupe que des Etats ayant le maximum de points communs en 6conomie, races ,langues et cultures.

Le regroupement de peuples de diverses cultures ou langues est toujours, sinon impossible puisqu'il en existe plusieurs exemples, mais plus difficile puis- qu'il faut concilier 6panouissement des cultures diverses et satisfaction des besoins comuns.

Ainsi, toute federation entre pays africains de langues differentes semble, du moins pour l'imm6diat, pratiquement impossible. Si certaines unions ont pu

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etre realisees ou sont envisag6es, elles concernent des pays qui avaient 6t6 arti- ficiellement s6pares par les frontieres de la colonisation: Senigal et Gambie, les deux Camerouns, les deux Somalies.

De m~me parait illusoire tout regroupement entre Afrique blanche, du Nord et a fortiori du Sud, et Afrique noire.

Il importe 6galement que les economies des Etats fed6res soient, de pre- ference, complementaires. En Afrique occidentale francophone, on peut asso- cier un Etat c6tier et un Etat de l'interieur, le premier ayant, en gros, une 6cono- mie d'exportation, le second une 6conomie de subsistance. A cet 6gard, la Federation du Mali 6tait viable, comme l'est le Conseil de l'Entente, compos6 de deux associations de ce genre: C6te d'Ivoire-Haute Volta et Dahomey-Niger.

Enfin, il ne semble pas convenir qu'une Federation comporte plusieurs p6les d'interets. Car, a moins de coordination, l'existence de ces p6les risquerait d'entrainer des tensions internes. Ce fut le cas, dans l'ex-AOF, de Dakar et d'Abidjan. Une federation de ce genre ne pourrait se maintenir qu'en 6voluant soit vers une organisation conf6derale tres lache, soit au contraire en instituant un pouvoir federal fort, 6conomiquement et politiquement, capable de lutter contre les tendances centrifuges.

b - Structures

Il semble preferable, tout au moins en Afrique oi les susceptibilites sont plus grandes, de ne pas crier au debut une organisation federale trop lourde. Ce qui pr6sente deux avantages:

- de ne pas mettre en place une superstructure f6derale qui serait, d'une part trop onereuse, d'autre part trop lourde.

- de permettre une evolution par la pratique. Evidemment, les grandes lignes de la repartition des pouvoirs doivent etre

tracees; mais il parait souhaitable qu'avec le temps les Etats federes 6prouvent le besoin d'une intervention federale dans tel ou tel domaine plut6t que de ressentir l'impression d'etre dans un carcan. Une organisation legere au depart a tendance a se renforcer progressivement, alors qu'une organisation lourde a tendance a provoquer des mouvements de fuite centrifuges.

c - Finances

Cependant si l'organisation federale doit tre, dans 1'ensemble, assez 16gere et souple, il convient que la r6partition des charges et ressources des Etats fed6- ral et fdedres soit d6finie le plus exactement possible.

Les approches successives de I'AOF puis celles de la Federation du Mali avaient permis d'6laborer des solutions pratiques sur la r6partition des ressour-

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ces, les diverses competences et leurs consequences financieres, l'uniformisation de la fiscalit6 et la solidarit6 des divers budgets.

Il semble que, dans ce domaine, des solutions simples, forfaitaires soient

preferables a des solutions theoriquement plus justes mais necessitant des dis- cussions periodiques.

d - Arbitrage

Enfin, il parait important qu'une Federation doit dothe des le d6part de possibilites d'arbitrage. A cet 6gard, le meilleur arbitrage est celui qui resulte de la presence de plus de deux Etats federes.

S'il n'y a que deux Etats, il est a peu pres inevitable que la Federation 6volue, soit vers l'union, c'est-a-dire en pratique l'absorption d'un Etat par l'autre, soit vers une rupture, comme ce fut le cas pour la F6deration du Mali.

Le r61le d'arbitre pourrait etre jou6 par un Chef d'Etat respect6 par tous. A cet 6gard, les monarchies sont avantagees; malheureusement, telle n'est pas la formule africaine. Mais on pourrait concevoir 6galement une Cour d'arbitrage destinbe a regler les conflits entre:

- pouvoir federal et pouvoirs fdere~s - deux ou plusieurs Etats federes - un Etat feder6 et le reste de la Federation lorsque celui-la estime

qu'une decision prise a la majorit6 est contraire a son existence meme ou a ses interets essentiels.

Enfin, mentionnons la solution de l'exigence de majorites qualifibes dans certains cas.

Pour tous ces problemes, les experiences federales en Afrique de l'ouest francophone ont constitu6 un champ d'6tudes interessant. Il serait a souhaiter que ces experiences soient de quelque utilit6 pour l'avenir du continent africain ainsi que pour celui de toutes les organisations federales.

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