5
Communication À propos du syndrome de Münchhausen, du Münchhausen par procuration et de ses descriptions cliniques I. Gasman 1 *, V. Rouyer 1 , S. Borentain 2 , N. Skurnik 3 1 Chef de clinique-assistant dans le service de pédopsychiatrie du Pr M.C. Mouren-Simeoni, hôpital Robert Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France ; 2 chef de clinique-assistant dans le service de psychiatrie du Pr J.F. Chevalier, Hôpital Mignot, 177, route de Versailles, 78150 Le Chesnay, France ; 3 CHS de Maison Blanche, 3, avenue Jean Jaurès, 93330 Neuilly sur Marne, France Résumé – Le syndrome de Münchhausen est fréquemment retrouvé dans les observations cliniques hospitalières. Le patient présente le trépied clinique classique avec une spectaculaire symptomatologie aiguë et les explorations diagnostiques associées, une histoire médicale invraisemblable et des parcours d’un hôpital à l’autre. Il semble qu’il soit nécessaire de susciter une plus grande prise de conscience du trouble dans la communauté médicale. La discussion clinique est fondée sur deux observations cliniques. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS syndrome de Münchhausen / syndrome de Münchhausen par procuration / troubles factices Summary – About Munchausen syndrome, Munchausen by proxy and its clinical description. Munchausen syn- drome is frequently observed in hospital cases. The patient presents a characteristic triad with spectacular acute symptoms, fabulated medical history and travel from one hospital to another. It seems necessary to stimulate awareness in the medical community. Clinical discussion is based on two case reports. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS Munchausen syndrome / Munchausen syndrome by proxy / factitious disorders INTRODUCTION Le syndrome de Münchhausen, bien que réputé rare lorsqu’on le compare aux autres pathomimies, reste un diagnostic fréquemment cité par les médecins. Sa sémio- logie est peu connue en général et il n’existe pas à ce jour d’études épidémiologiques [6] portant sur cette patho- logie. À l’évidence, il nous paraît souhaitable d’améliorer la connaissance sémiologique du syndrome, dont nombre de traits sont stéréotypés, afin d’aider le clinicien dans sa démarche diagnostique et thérapeutique. Ce trouble médical est aujourd’hui enseigné dans la discipline psychiatrique, il est classé parmi les pathomi- mies au même titre que l’asthénie de Ferjol, des patho- mimies cutanées, de la fièvre inexpliquée (auto- inoculation de substances pyrogènes) et de troubles métaboliques inexpliqués (hypoglycémies par injection d’insuline). Dans la classification du DSM-IV, on retrouve cette entité pathologique parmi les troubles factices « avec signes et symptômes à prédominance physique » [1]. Par ailleurs, la pathomimie sous-tendue par la facti- cité doit être différenciée de la simulation et de l’hys- térie. La pathomimie dans sa généralité, appelée également « maladie factice », est définie par une provocation de lésions physiques ou organiques volontaires mais où les motivations échappent totalement à la conscience du sujet. Le patient recherche « le rôle de malade » et la satisfaction régressive que procure la prise en charge médicale. *Correspondance et tirés à part : Hôpital Robert Debré, 48, Boulevard Sérurier, 75019 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] (I. Gasman). Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 169-73 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448702001476/FLA

À propos du syndrome de Münchhausen, du Münchhausen par procuration et de ses descriptions cliniques

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: À propos du syndrome de Münchhausen, du Münchhausen par procuration et de ses descriptions cliniques

Communication

À propos du syndrome de Münchhausen,du Münchhausen par procuration et de ses descriptionscliniques

I. Gasman1*, V. Rouyer1, S. Borentain2, N. Skurnik3

1 Chef de clinique-assistant dans le service de pédopsychiatrie du Pr M.C. Mouren-Simeoni, hôpital RobertDebré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France ; 2 chef de clinique-assistant dans le service de psychiatrie duPr J.F. Chevalier, Hôpital Mignot, 177, route de Versailles, 78150 Le Chesnay, France ; 3 CHS de Maison Blanche,3, avenue Jean Jaurès, 93330 Neuilly sur Marne, France

Résumé – Le syndrome de Münchhausen est fréquemment retrouvé dans les observations cliniques hospitalières. Lepatient présente le trépied clinique classique avec une spectaculaire symptomatologie aiguë et les explorationsdiagnostiques associées, une histoire médicale invraisemblable et des parcours d’un hôpital à l’autre. Il semble qu’il soitnécessaire de susciter une plus grande prise de conscience du trouble dans la communauté médicale. La discussionclinique est fondée sur deux observations cliniques. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

syndrome de Münchhausen / syndrome de Münchhausen par procuration / troubles factices

Summary – About Munchausen syndrome, Munchausen by proxy and its clinical description. Munchausen syn-drome is frequently observed in hospital cases. The patient presents a characteristic triad with spectacular acutesymptoms, fabulated medical history and travel from one hospital to another. It seems necessary to stimulateawareness in the medical community. Clinical discussion is based on two case reports. © 2002 Éditions scientifiqueset médicales Elsevier SAS

Munchausen syndrome / Munchausen syndrome by proxy / factitious disorders

INTRODUCTION

Le syndrome de Münchhausen, bien que réputé rarelorsqu’on le compare aux autres pathomimies, reste undiagnostic fréquemment cité par les médecins. Sa sémio-logie est peu connue en général et il n’existe pas à ce jourd’études épidémiologiques [6] portant sur cette patho-logie.

À l’évidence, il nous paraît souhaitable d’améliorer laconnaissance sémiologique du syndrome, dont nombrede traits sont stéréotypés, afin d’aider le clinicien dans sadémarche diagnostique et thérapeutique.

Ce trouble médical est aujourd’hui enseigné dans ladiscipline psychiatrique, il est classé parmi les pathomi-

mies au même titre que l’asthénie de Ferjol, des patho-mimies cutanées, de la fièvre inexpliquée (auto-inoculation de substances pyrogènes) et de troublesmétaboliques inexpliqués (hypoglycémies par injectiond’insuline).

Dans la classification du DSM-IV, on retrouve cetteentité pathologique parmi les troubles factices « avecsignes et symptômes à prédominance physique » [1].

Par ailleurs, la pathomimie sous-tendue par la facti-cité doit être différenciée de la simulation et de l’hys-térie.

La pathomimie dans sa généralité, appelée également« maladie factice », est définie par une provocation delésions physiques ou organiques volontaires mais où lesmotivations échappent totalement à la conscience dusujet. Le patient recherche « le rôle de malade » et lasatisfaction régressive que procure la prise en chargemédicale.

*Correspondance et tirés à part : Hôpital Robert Debré, 48, BoulevardSérurier, 75019 Paris, France.Adresse e-mail : [email protected] (I. Gasman).

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 169-73© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0003448702001476/FLA

Page 2: À propos du syndrome de Münchhausen, du Münchhausen par procuration et de ses descriptions cliniques

L’abord psychopathologique de ces patients est trèssouvent impossible du fait de leur fuite en avant, ils sonttantôt décrits comme des états limite, parfois commedes psychopathes.

Qu’elle en est sa physiopathie ?

Le syndrome de Münchhausen proprement dit désigneun comportement défini par une trilogie symptoma-tique associant des troubles factices d’apparence aiguëconduisant à une démarche médicale lourde, de multi-ples démarches diagnostiques d’un hôpital à l’autre etdes fabulations biographiques incessantes et disconti-nues.

HISTORIQUE

Lorsque l’on s’intéresse de près à l’histoire de cettepathologie, on découvre quatre hommes clés. Un scien-tifique irlandais d’origine allemande nommé RudolfRaspe, mythomane, et qui va créer une multitude derécits imaginaires à partir du second personnage lebaron Hieronymus von Münchhausen. Pour l’histoire,Raspe semble avoir réellement rencontré dans sa vie cebaron tout à fait authentique. Le troisième personnageest un médecin anglais, Richard Asher [2], qui vaconsacrer une partie de ses études aux malades trom-peurs et aux troubles factices. Le dernier personnagen’est autre que John Carswell, à l’origine du livre Theadventures of Baron Munchhausen, publié en 1948 àLondres.

Il est intéressant de noter que jusqu’au début duXXe siècle, les pathomimies se confondent avec les simu-lations et la maladie hystérique.

Dans l’ouvrage de Fénelon [6], un historique trèsprécis permet de retracer l’itinéraire de cette patholo-gie ; ainsi Ernest Dupré, médecin chef de l’Infirmeriespéciale de la préfecture de police, va tenter de préciseren 1905 ce qu’il appelle « la fabulation morbide ».Dupré décrit ainsi la mythomanie comme une ten-dance pathologique, plus ou moins volontaire et cons-ciente, au mensonge et à la création de fables imaginaires[5]. Les formes cliniques de l’activité mythomatiquequ’il individualise sont l’altération de la vérité (parexagération ou atténuation), le mensonge, la simulation(fabulation en activité) et enfin la fabulation fantas-tique.

Cette fabulation fantastique est elle-même réperto-riée sous trois formes : la mythomanie vaniteuse, lamythomanie maligne et la mythomanie perverse. Lespatients atteints de syndrome de Münchhausen sontrattachés à la forme vaniteuse de la mythomanie. À cetteépoque, la mythomanie vaniteuse se manifeste par lamise en œuvre de fausses maladies avec automutila-

tions, simulations de lésions extérieures et de troublesorganiques et discours plein de vantardise, d’exagéra-tion et de suffisance.

Le mythomane vaniteux est décrit ainsi : « Il pro-voque le zèle des médecins, souvent l’intervention deschirurgiens, et l’entêtement du mythomane, manifeste-ment contraire à ses intérêts, ne cède pas à la perspectived’une opération imminente. Le simulateur, non seule-ment réclame l’intervention chirurgicale mais, aprèsl’avoir subie, la sollicite à nouveau auprès d’autres méde-cins et de chirurgiens. Il s’associe fréquemment uneinstabilité, une tendance continuelle aux déplacements,aux fugues et à la vie errante. »

Dupré laissera son empreinte tout en restant prudentsur la part du volontaire et de l’involontaire dans lesproductions des mythomanes.

Peu après, Georges Dieulafoy [4] introduit le termede « pathomimie avec un étonnement marqué de cespatients qui ne présentent aucune motivation appa-rente et l’aberration de ces comportements ; les patho-mimes ne retirent de leurs actes aucun profit, aucunbénéfice ; mais ils éprouvent une joie intime à se rendreintéressants et à se faire plaindre ».

Asher, en 1951, précise l’entité nosographique. Iloppose le syndrome de Münchhausen aux simulateurs ;à l’inverse du simulateur qui poursuit un but déter-miné, ces patients semblent n’avoir rien d’autre à gagnerque la déconvenue d’investigations et d’opérations inu-tiles. Ils sont exceptionnellement tolérants aux déci-sions médicales, mais ils sortent volontiers d’eux-mêmesaprès quelques jours d’hospitalisation alors que les soinssont en cours. Enfin, les mensonges débordent le champmédical, s’infiltrant dans tous les secteurs de la vie.

Enfin Spiro, en 1968, insiste sur le fait que le dia-gnostic de troubles factices chroniques que l’on allègueau syndrome de Münchhausen doit s’articuler à undiagnostic principal psychiatrique prenant en comptela nature compulsive de l’acte, le consentement maso-chiste de la personne et l’association parfois de troublesdes conduites à type de toxicomanie et de délits.

Dans la littérature, il est intéressant de constater quel’on retrouve des observations mentionnant de vérita-bles symptômes psychiatriques factices tranchant avecles histoires chirurgicales habituelles que l’on rencontredans les récits de Münchhausen. Ainsi, Limousin etAdès [10] décrivent le cas d’un épisode de manie déli-rante chez un homme de 57 ans qui s’avère être unsyndrome de Münchhausen.

LE SYNDROME DE MÜNCHHAUSENPAR PROCURATION

Le syndrome de Münchhausen par procuration désignedes sévices secrètement exercés sur un enfant par sa

170 Société médico-psychologique

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 169–73

Page 3: À propos du syndrome de Münchhausen, du Münchhausen par procuration et de ses descriptions cliniques

mère, voire son père (rare), directement ou en provo-quant des investigations inutiles et dangereuses. Lesauteurs considèrent qu’il ne s’agit pas à proprementparler et selon la terminologie de Asher d’un syndromede Münchhausen. Le degré de gravité varie selon lescas : altération d’une histoire médicale, falsification deprélèvements biologiques, injection de substances toxi-ques à l’enfant. La mortalité chez les enfants victimes dece comportement est élevée [13]. Comme au cours destroubles factices auto-induits de l’adulte, les mères deces enfants appartiennent souvent au milieu médical.Par ailleurs, certaines observations de syndrome deMünchhausen par procuration mettant en scène deuxadultes ont aussi été mentionnées [8].

Dans une étude consacrée au Münchhausen par pro-curation [8], on retrouve le cas de cinq enfants entre unet onze ans ayant été traités pendant quatre ans partraitement antiépileptique avant que l’on ne découvreque leurs histoires médicales d’épilepsie incontrôléen’étaient autre qu’une machination maternelle.

Une étude épidémiologique menée en Nouvelle-Zélande [3] auprès 156 pédiatres retrouve une inci-dence du trouble à 2 pour 100 000 enfants de moins deseize ans. La durée moyenne de découverte du troubleest de 2,7 ans après les premières manifestations. Lamère a été dans tous les cas incriminée.

Certains cas de Münchhausen par procuration ontégalement été décrits par des vétérinaires [12]. Munroidentifie dans la littérature 448 cas avec des animauxdomestiques. On retrouve une triade très similaire desymptômes avec, entre autres, des anomalies sanguines,des blessures impressionnantes et un nomadisme hos-pitalier. Dans une des observations, un enfant est direc-tement à l’origine des sévices infligés à l’animal.

Le terme de « Münchhausen par procuration » a étéutilisé pour la première fois en 1977 par Roy Meadow[11].

Il s’agit donc d’une forme de maltraitance particuliè-rement difficile à détecter, et ce d’autant que les parentsresponsables se présentent généralement comme desparents modèles.

Les maladies les plus souvent induites ou « fabri-quées » sont dans la majorité des cas des pathologieschroniques [3] telles que l’asthme ou l’épilepsie. Lamortalité est élevée puisqu’elle touche environ 10 %des cas rapportés.

Il s’agit dans sa forme typique et complète d’unepathologie rare mais peut-être sous-estimée ; toutefoisR.G. Wilson fait remarquer que de façon plus fré-quente, l’exagération et la dramatisation par certainsparents de troubles anxieux mineurs présentés par leurenfant peuvent également contribuer à la fabrication depathologies factices ou réelles dont les explorations et

les éventuels traitements pourraient s’avérer délétères(par exemple, création d’un asthme résistant chez desenfants ayant un abus « provoqué » de �-stimulants).

Le diagnostic du syndrome de Münchhausen parprocuration est difficile et demande parfois des mois,voire des années. Il est fait le plus souvent par lessomaticiens. Malgré le grand nombre d’études publiéessur ce sujet, il semble qu’on n’ait pas pu établir de profiltype ou de traits de personnalité communs aux parentsmaltraitants. Toutefois, comme dans le cas du syn-drome de Münchhausen, l’auteur de la maltraitancerecherche des bénéfices secondaires mais cette fois liés àla maladie de l’enfant (et non à sa propre maladie). Lecorps de l’enfant est donc utilisé ici comme un « faire-valoir ».

Dans son roman noir intitulé Moloch [7], l’écrivainThierry Joncquet s’inspire d’un fait-divers réel en rela-tant le cas d’une fillette de huit ans ayant subi deuxpancréatectomies partielles à la suite de malaises hypo-glycémiques à répétition, attribués à tort à un insuli-nome récidivant. La répétition des malaises au décoursimmédiat de la seconde intervention suscitera l’étonne-ment puis finalement les soupçons de l’équipe chirur-gicale qui, après avoir instauré une surveillance discrètemais renforcée de la patiente, finira par surprendre lamère, décrite comme un modèle d’attention et de com-passion, en train d’injecter une seringue d’insuline dansla perfusion de sa fille…

Il s’agit ici d’un cas d’école heureusement assez rare enpratique courante. Les trois exemples suivants tirés del’expérience clinique ne sauraient être qualifiés de Mün-chhausen par procuration. Toutefois, ils s’en rappro-chent par l’utilisation faite du corps de l’enfant en tantque « faire-valoir » du parent.

CAS CLINIQUES

Madame Z, âgée de 30 ans, est admise pour grossessepathologique dans un service d’obstétrique. Il s’agitd’une 3e pare, 3e geste au terme de 28 semaines d’amé-norrhée pour laquelle un trouble du rythme cardiaquevient d’être détecté chez le fœtus. Il est difficile depréciser si cette grossesse a été désirée, mais elle sembleavoir été acceptée, du moins aux dires de la parturiente(peut-être de façon ambivalente).

Rapidement un lien assez fort se crée entre la patienteet l’échographiste qui réalise quotidiennement la sur-veillance du fœtus ; l’inquiétude pour l’enfant à naîtresemble partagée entre les deux femmes.

Un traitement par Digoxine, prescrit initialement peros, semble se montrer efficace et l’inquiétude retombe,puis à peine deux jours plus tard, les troubles du rythmeréapparaissent chez le fœtus. On effectue alors un dosagede la digoxinémie chez la mère, lequel reviendra à un

Séance du 24 septembre 2001 171

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 169–73

Page 4: À propos du syndrome de Münchhausen, du Münchhausen par procuration et de ses descriptions cliniques

taux nul. Madame Z. niera avoir arrêté son traitementalors que les cachets de Digoxine non pris serontretrouvés dans le tiroir de sa table de nuit…

On voit ici le lien fait entre la pathologie du fœtus etla quête d’attention de la part de la patiente. Il faudraitégalement s’interroger sur l’acceptation réelle de cettegrossesse…

Le jeune Fabien G, âgé de six ans, est hospitalisé defaçon itérative en pédiatrie pour des crises d’asthme àrépétition, quotidiennes selon sa mère. Le début destroubles remonterait à environ un an. C’est un enfantmalingre, aîné d’une fratrie de deux (une sœur dequatre ans est décrite comme étant en bonne santé).

La liste des antécédents médicaux paraît impression-nante, à commencer par sa naissance : accouchementprématuré à 30 semaines d’aménorrhée, provoqué poursouffrance fœtale, maladie des membranes hyalines, demultiples infections ORL dans la petite enfance, etc.

D’après Madame G., tous les problèmes de santé deson fils remonteraient à sa naissance : « C’est la faute dumédecin accoucheur, il a trop attendu pour déclencherl’accouchement. » Elle qualifie les problèmes de santéde son fils de « préjudice » dont elle demande la répa-ration et l’indemnisation.

Lors d’une énième hospitalisation de Fabien à la suited’une de ses fameuses crises, on décidera sous un pré-texte quelconque de prolonger son hospitalisation d’unesemaine. Aucune crise ne sera constatée durant cettepériode, alors que la mère décrit des problèmes quoti-diens ; l’enfant mange avec appétit, reprend du poids etne présente aucun symptôme d’ordre respiratoire ouautre.

Bien que de forts soupçons de pathologie induite sesoient manifestés ici, rien n’a pu être formellementprouvé. Une séparation a toutefois été préconisée « pourraisons de santé ». Fabien est parti en internat clima-tique à la montagne et n’a pas présenté de problèmes desanté depuis. On notera ici l’attitude revendicatrice dela mère qui, plus qu’un Münchhausen par procuration,aurait pu faire évoquer une sinistrose par procuration.

Grégoire, seize ans, est adressé à ma consultation parune collègue pédopsychiatre pour un sevrage de méthyl-phénidate (Ritaline). Ce traitement lui a été prescritdepuis l’âge de six ans par un confrère pédiatre, sanscoupure ni interruption pour les vacances. Il reçoitactuellement une dose quotidienne proche de 2 mg/kg.

Grégoire présente un retard de croissance staturo-pondéral de plus de 2 déviations standard ainsi qu’unretard pubertaire. Là encore, multiples intolérances ali-mentaires et allergies, asthme, nombreuses infectionsORL.

Grégoire se montrera parfaitement calme et stable aucours de la consultation. Sa mère, qui l’accompagne,

accapare la parole, ne lui laisse aucun espace. Elle sembledécrire avec une certaine complaisance, voire mêmeune certaine délectation, la liste interminable des patho-logies et des traitements actuels et passés de son fils, meparle de son hyperactivité avec force détails, me préve-nant qu’un arrêt du traitement avait déjà été tenté il y aun an et qu’il s’était avéré catastrophique…

Après avoir expliqué le possible retentissement dutraitement sur la croissance de Grégoire, l’évolutionnaturelle de l’hyperactivité vers une amélioration dessymptômes, nous convenons ensemble d’une diminu-tion progressive du méthylphénidate qui semble avoirété respectée et se poursuit encore actuellement.

Ici, rien ne permet de mettre en cause la mère deGrégoire dans l’induction de ces symptômes, toutefoisle plaisir qu’elle semble prendre à les rapporter peutconstituer pour le moins un obstacle à la guérison.

La mère de Grégoire semble clairement rechercherune valorisation à travers les nombreuses pathologiesqu’elle décrit chez ce dernier [9].

REFERENCES

1 American Psychiatric Association. Diagnostic and statisticalmanual of mental disorders. DSM-IV. Washington : Ameri-cain Psychiatric Association ; 1994.

2 Asher R. Munchhausen’s syndrome. Lancet 1951 ; 1 : 339-41.3 Denny S, Grant C, Pinnock R. Epidemiology of Munchausen

syndrome by proxy in New Zeland. J Paediatr Child Health2001 ; 37 : 240-3.

4 Dieulafoy G, Pathomimie, La Presse médicale 1908 ; 16 :369-72.

5 Dupré E. La mythomanie. Bulletin médical des 25 mars, 1er et8 avril 1905.

6 Fenelon G. Le syndrome de Münchhausen. Paris : PUF« Nodules » ; 1998.

7 Joncquet T. Moloch. Paris : Gallimard « Série noire ».8 Koul RL. Munchausen syndrome by proxy. Saudi Med J 2000 ;

21 : 482-6.9 Krebs MO, Bouden A, Lôo H, Olié JP. Le syndrome de

Münchhausen par procuration entre deux adultes. La Pressemédicale 1996 ; 25 : 583-6.

10 Limousin F, Adès J. Behcet’s disease and factitious manic-depressive psychosis : a case of Munchausen syndrome. LaPresse Médicale 1999 ; 28 : 1460-2.

11 Meadow R. Munchausen by proxy : the hinterland of childabuse. Lancet 1997 ; 2 : 343-5.

12 Munro HM. Battered pets. J. Small Animal Pract 2001 ; 42 :385-9.

13 Rosenberg DA. Web of deceit. Child Abuse Negl 1987 ; 11 :547-63.

DISCUSSION

Dr Veyrat – Je voudrais tout d’abord rappeler que ce syndromeaurait pu aussi bien se nommer « de Crac », tant les aventures de cetautre Baron étaient également fantastiques et automutilatoires…

Ensuite, je voudrais évoquer deux films tirés des fameuses aven-tures du Baron de Münchhausen : non seulement celui, plus récent,de Terry Gillian, mais celui, plus ancien, de Von Balky nous faisantdécouvrir l’ancêtre du Technicolor, l’Agfacolor, pendant la guerre.

Enfin, je pense qu’il faut rétablir le « Münchhausen par procura-tion » décrit par Thierry Jonquet, dans son livre Moloch, dans sa

172 Société médico-psychologique

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 169–73

Page 5: À propos du syndrome de Münchhausen, du Münchhausen par procuration et de ses descriptions cliniques

globalité. Cet ouvrage décrit en effet un ensemble des sévices faitsaux enfants, puisque une enquête sur les disparitions d’enfantsaboutit à des réseaux de pédophilie, et même à des sévices à desenfants par un peintre voulant « peindre la douleur in vivo », chez lesenfants torturés !

Par ailleurs, une question : avez-vous connaissance d’hommesresponsables de Münchhausen par procuration ? Car la plupart desobservations semblent concerner des femmes.

Dr Lécuyer – La relation du syndrome de Münchhausen avec lamort subite du nourrisson avait fait l’objet d’une importante enquêterapportée par la revue Sciences et Avenir, et qui en dramatisait lafréquence. Il était suspecté une très insuffisante et coupable luciditéde la part du corps médical français. Courant 2000, il y avait eu unevéritable campagne de presse, comme si l’on « passait à côté » deplus de 50 % des causes de ces morts subites inexpliquées !

Avez-vous eu connaissance des suites de cet enchaînement média-tique tellement préjudiciable ?

Dr Gachnochi – À propos du Münchhausen par procuration, jevoudrais attirer l’attention sur quelques points.– La grande différence qui sépare le syndrome de Münchhausen,qui est avant tout un problème psychiatrique, donc médical, dusyndrome de Münchhausen par procuration, qui est trop souventimmédiatement judiciarisé, ce qui provoque une mise hors-jeu desmédecins en tant que thérapeutes, les réduisant à un rôle d’expertise,une crispation autour du diagnostic au détriment du traitement.– Les risques très importants que font courir aux patients une hâteexcessive à affirmer ce diagnostic. Dans un cas qui a eu récemmentles honneurs de la grande presse, une mère a été « indemnisée » aprèsune incarcération et deux procès (en première instance et après

acquittement en appel après recours par le parquet) témoignantd’un véritable acharnement judiciaire. Rien ne peut, bien entendu,« indemniser » une famille soumise pendant plusieurs années à unvéritable assaut destructeur. Ce processus avait été provoqué par lediagnostic hâtif d’un jeune confrère, tout enorgueilli de poser cediagnostic.

Réponse du Rapporteur – Au sujet des cas de mort subite, dans lalittérature récente, il est plus souvent question du syndrome desenfants secoués que de la mort subite, mais on ne peut exclure quecertaines morts subites soient les conséquences du syndrome deMünchhausen par procuration.

– À propos de la question du Dr Gachnochi, je ne peux aller quedans le sens de ses propos et recommander une extrême prudencedans l’établissement d’un diagnostic de Münchhausen par procura-tion, compte tenu des conséquences délétères que vous avez décrites.Ce devrait d’ailleurs être le cas pour l’établissement de toutes lesformes de maltraitance.

Dans les exemples décrits précédemment, aucune mise en causedirecte des parents n’a été prouvée et nous avons pu protéger lesenfants sans inquiéter les parents eux-mêmes. Le délai de plus dedeux ans et demi décrit dans les études entre les premiers symptômeset la révélation du diagnostic prouve bien à quel point il est difficileà poser et qu’il impose une grande prudence.

– À propos du sex-ratio, la plupart des cas de Münchhausen sonten fait vus par des somaticiens et échappent aux psychiatres. Lesétudes récentes ne font pas état d’une prédominance de l’un oul’autre sexe ; toutefois, dans mon expérience personnelle, les femmesétaient plus souvent concernées.

Séance du 24 septembre 2001 173

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 169–73