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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 3–7 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Chronique Actualité de la jurisprudence en matière d’infections nosocomiales Safar Haji Safar 37, rue Marc-Bloch, 69007 Lyon, France Disponible sur Internet le 3 mars 2014 Résumé Examen de décisions de jurisprudence récentes en matière d’infections nosocomiales. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. La loi n’a pas d’effet rétroactif, et en tenant compte du délai pour agir et du fonctionnement des juridictions, dans des procès longs car ils incluent toujours une phase d’expertise, apparaissent encore dans l’actualité des décisions dépendant du régime antérieur à la loi du 4 mars 2002. Ce régime était jurisprudentiel et la juridiction administrative a maintenu sa jurisprudence. . . 1. Régime antérieur à la loi du 4 mars 2002 1.1. Régime de la preuve 1.1.1. CAA Lyon, 7 novembre 2013, n o 12LY02961 1.1.1.1. Faits. Un patient, en 1953, souffrait d’une arthrose cervicale dont les conséquences ont été aggravées par l’accident de la circulation dont il a été victime en 1999. Les douleurs cervicales s’étant intensifiées et présentant un caractère invalidant, il a subi le 4 avril 2000 au CHU de Grenoble une intervention chirurgicale de dysectomie au niveau C5–C6 et C6–C7 avec ostéosynthèse. Après s’être amélioré, son état s’est rapidement dégradé. En raison de troubles de la déglutition et de l’intensification des douleurs cervicales dans un contexte de fièvre brutale, il a être à Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.014

Actualité de la jurisprudence en matière d’infections nosocomiales

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 3–7

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Chronique

Actualité de la jurisprudence en matière d’infectionsnosocomiales

Safar Haji Safar37, rue Marc-Bloch, 69007 Lyon, France

Disponible sur Internet le 3 mars 2014

Résumé

Examen de décisions de jurisprudence récentes en matière d’infections nosocomiales.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

La loi n’a pas d’effet rétroactif, et en tenant compte du délai pour agir et du fonctionnement desjuridictions, dans des procès longs car ils incluent toujours une phase d’expertise, apparaissentencore dans l’actualité des décisions dépendant du régime antérieur à la loi du 4 mars 2002. Cerégime était jurisprudentiel et la juridiction administrative a maintenu sa jurisprudence. . .

1. Régime antérieur à la loi du 4 mars 2002

1.1. Régime de la preuve

1.1.1. CAA Lyon, 7 novembre 2013, no 12LY029611.1.1.1. Faits. Un patient, né en 1953, souffrait d’une arthrose cervicale dont les conséquencesont été aggravées par l’accident de la circulation dont il a été victime en 1999. Les douleurscervicales s’étant intensifiées et présentant un caractère invalidant, il a subi le 4 avril 2000 auCHU de Grenoble une intervention chirurgicale de dysectomie au niveau C5–C6 et C6–C7 avecostéosynthèse.

Après s’être amélioré, son état s’est rapidement dégradé. En raison de troubles de la déglutitionet de l’intensification des douleurs cervicales dans un contexte de fièvre brutale, il a dû être à

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.014

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nouveau hospitalisé le 16 août 2000. Un examen IRM a mis en évidence une infection dans larégion opérée.

Il a fait l’objet d’une nouvelle intervention le 19 août 2000, destinée à l’ablation du matérield’ostéosynthèse, suivie d’une antibiothérapie qui a permis de guérir son infection.

1.1.1.2. En droit. Les infections dont se plaint le patient sont apparues à la suite de l’opérationqu’il a subie le 4 avril 2000 au CHU de Grenoble, soit antérieurement à l’entrée en vigueur,le 5 septembre 2001, des dispositions du I de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique,issues de la loi du 4 mars 2002, qui font peser sur l’établissement de santé la responsabilité desinfections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d’unecause étrangère ne soit apportée.

La situation du requérant continue donc de relever du principe selon lequel, sauf en casd’infection résultant de germes déjà présents dans l’organisme du patient avant son hospitali-sation, l’introduction accidentelle, lors d’une intervention médicale, d’un germe microbien dansson organisme révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier denature à engager la responsabilité de ce dernier envers la victime des conséquences dommageablesde l’infection.

L’introduction accidentelle d’un germe microbien dans l’organisme lors d’une interventionchirurgicale révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier. Iln’en va autrement que lorsqu’il est certain que l’infection, ni présente, ni en incubation au débutde la prise en charge et qui s’est déclarée à la suite d’une intervention chirurgicale, résulte degermes déjà présents dans l’organisme du patient avant l’hospitalisation.

1.1.1.3. Analyse. Le patient ne présentait pas d’infection au début de sa prise en charge au CHUde Grenoble. Les complications qui ont suivi l’opération qu’il a subie le 4 avril 2000 s’étantmanifestées dès le mois de juin suivant et le diagnostic concernant l’identification de l’infectionayant été établi moins d’un mois plus tard.

S’agissant des quatre germes infectieux qui ont été retrouvés sur le site opératoire, ilressort du rapport d’expertise que trois de ces quatre germes responsables de l’infectionproviennent de la propre flore microbienne d’origine buccodentaire ou œsophagienne dupatient.

Il existe, en revanche, une incertitude sur l’origine du quatrième germe, soit le staphylocoquedoré, dont l’expert n’exclut pas qu’il a pu pénétrer sur le site opératoire à l’occasion du gesteinvasif qu’impliquait l’opération réalisée le 4 avril 2000.

Dans ces conditions, l’absence de certitude quant au caractère endogène de l’infection, révèleune faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier qu’il appartient au CHUde Grenoble de réparer les conséquences dommageables que cette faute a comportées.

1.2. Accident de circulation et action subrogatoire de l’assureur

1.2.1. CAA Marseille, 17 octobre 2013, no 11MA015481.2.1.1. Faits. Le 21 juin 2000, une patiente a été victime d’un accident de la circulation mettanten cause un véhicule, assuré par la société Areas Dommages.

Conduite à l’hôpital de Font Pré à Toulon, dépendant du CHI de Toulon – La Seyne-sur-Mer,pour polytraumatisme avec fracture du genou gauche et hématome des avant-bras et du brasgauche, elle a fait un choc septique le 26 juin 2000 et a présenté une défaillance poly-viscérale.

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Transférée le 26 juillet 2000 à la clinique Clairval à Marseille dans un état critique, elle estdécédée le 2 août 2000.

1.2.1.2. Procédure. Ses ayants-droit ont engagé une action civile contre le conducteur et sonassureur.

Le tribunal de grande instance de Toulon, par jugement du 21 avril 2008, les a condamné insolidum à verser à la famille de la victime la somme totale de 190 292,53 euros.

La compagnie d’assurance, s’estimant subrogée dans les droits des victimes à hauteur de cettesomme et considérant que le décès de la victime trouvait son origine dans des fautes commisespar le CH et non dans l’accident de la circulation dont elle a été victime, a recherché devant letribunal administratif de Toulon la responsabilité du CH de Toulon – La Seyne-sur-Mer.

L’administratif de Toulon a déclaré le CH entièrement responsable des conséquences de lafaute commise lors de la prise en charge de la victime et l’a condamné à verser la somme de190 292,53 euros à la société d’assurances.

Le CH a formé appel.

1.2.1.3. Recevabilité.1.2.1.3.1. En droit. 1.2.1.3.1.1. Exercice du recours subrogatoire de l’assureur. Lorsque

l’auteur d’un dommage ou son assureur, condamné par le juge judiciaire à en indemniser lavictime, saisit la juridiction administrative d’un recours en vue de faire supporter la chargede la réparation par la collectivité publique co-auteur de ce dommage, sa demande, quel quesoit le fondement de sa responsabilité retenu par le juge judiciaire, n’a pas le caractère d’uneaction récursoire par laquelle il ferait valoir des droits propres à l’encontre de cette collec-tivité mais d’une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l’égard de laditecollectivité.

Ainsi subrogé, s’il peut utilement se prévaloir des fautes que la collectivité publique auraitcommises à son encontre ou à l’égard de la victime et qui ont concouru à la réalisation du dommage,il ne saurait avoir plus de droits que cette dernière et peut donc se voir opposer l’ensemble desmoyens de défense qui auraient pu l’être à la victime.

En outre, eu égard à l’objet d’une telle action, qui vise à assurer la répartition de la charge dela réparation du dommage entre ses co-auteurs, sa propre faute lui est également opposable.

1.2.1.3.1.2. Infection nosocomiale antérieure à la loi du 4 mars 2012. S’agissant enl’espèce de soins accomplis entre le 21 juin et le 26 juin 2000, l’introduction accidentelle,lors d’une intervention chirurgicale, d’un germe microbien dans l’organisme révèle une fautedans l’organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier de nature à engager saresponsabilité, sauf en cas d’infection causée par des germes déjà présents dans l’organisme dupatient avant l’hospitalisation.

1.2.1.3.2. Analyse. Un hématome, puis un volumineux abcès se sont formés sur l’avant-brasdroit de la patiente sur lequel avait été posé un cathéter à son arrivée à l’hôpital. Le choc septiqueest apparu le 26 juin 2000, date de la détection d’un staphylocoque Méti R.

L’expert affirme clairement que « les causes du décès de la patiente ne sont pas directementliées à l’accident du 21 juin 2000, mais secondaires à une infection nosocomiale contractéedans le service de chirurgie à l’hôpital Brunet suite à la perfusion au niveau de l’avant-brasdroit ».

En l’absence de l’infection nosocomiale litigieuse, il est certain que Mme C. ne serait pasdécédée, et par suite, la responsabilité du CH est entièrement engagée.

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2. Régime dépendant de la loi du 4 mars 2002. Prise en charge chirurgicale et infectionnosocomiale

2.1. CAA Lyon, 14 novembre 2013, no 12LY01885

2.1.1. FaitsLe 27 février 2002, un homme ayant chuté d’une échelle, a été admis au CH de Firminy, où

une double fracture complexe du tibia et du péroné droits a été diagnostiquée. Une réduction avecostéosynthèse et greffe a été réalisée dans cet établissement le 11 mars suivant.

Après avoir regagné son domicile le 27 mars, le patient a, en raison de douleurs et d’un étatfébrile, été réadmis, le 2 avril, au CH de Firminy où il a été procédé, le 8 avril, à l’ablation dumatériel d’ostéosynthèse et où a été mis en évidence le germe infectieux Escherichia coli.

Postérieurement, la fracture a évolué vers une pseudarthrose tibio-tarsienne. À partir de sep-tembre 2002, la prise en charge du patient a été assurée par le CHU de Saint-Étienne, où plusieursinterventions ont été pratiquées et où ont été successivement mis en évidence de nouveaux germesinfectieux, soit un streptocoque sanguis et un staphylocoque doré.

En dernier lieu, le patient a été pris en charge par le CH Lyon Sud, où a été réalisée avec succèsune arthrodèse.

2.1.2. Analyse2.1.2.1. Sur la faute. La commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidentsmédicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de Rhône-Alpes, saisiepar le patient a désigné successivement deux experts.

Le premier expert, spécialisé en infectiologie, estime que la gravité de la fracture aurait nécessitéun transfert dans un service comportant des chirurgiens plus expérimentés, mais il ne relèvecependant aucune erreur quant à la technique chirurgicale retenue ainsi qu’aux conditions de samise en œuvre.

Le second expert, spécialiste en chirurgie ostéoarticulaire et traumatologie, précise que leschirurgiens qui ont opéré le patient sont qualifiés et expérimentés et qu’il n’est pas certain que lareconstruction aurait été meilleure dans un CHU. Les radiographies post-opératoires du 11 mars2002 montrent que l’ostéosynthèse qui a été réalisée, sans être parfaite, est « très honorable »compte tenu de la complexité de la lésion.

Dans ces conditions, la prise en charge de la fracture au CH de Firminy ne peut être regardéecomme fautive.

2.1.2.2. Sur l’infection. À la suite de l’intervention chirurgicale subie le 11 mars 2002 par lepatient, a été mise en évidence, à partir de prélèvements réalisés le 8 avril 2002, une infection parE. coli.

Cette infection, dont le CH ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère d’extériorité,d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, ne peut être regardée comme imputable à une cause étrangèreet revêt donc le caractère d’une infection nosocomiale qui, comme telle, indépendamment desfautes commises dans la mise en place d’une antibiothérapie adaptée, engage la responsabilité duCH de Firminy.

2.1.2.3. Sur le préjudice. Lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui,commises par des personnes différentes ayant agi de facon indépendante, portaient chacune enelle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher

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la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes ou decelles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les co-auteurs du dommagepourraient former entre eux.

Le premier expert émet l’hypothèse que les autres germes infectieux découverts alors quele patient était pris en charge par le CHU de Saint-Étienne sont la conséquence de l’infectioninitiale, l’antibiothérapie administrée durant trois jours au CH de Firminy, avant tout prélèvementpermettant d’identifier les germes, ayant pu avoir pour effet de « décapiter » un autre germe quise serait « réveillé » ultérieurement.

Toutefois, le second expert indique que les prélèvements bactériologiques réalisés le6 novembre 2002, soit six semaines après l’arrêt de l’antibiothérapie qui avait été mise en place, sesont avérés stériles et en déduit que le patient « a été victime d’une seconde infection nosocomialeau décours des soins délivrés au CHU ».

Dès lors, l’existence d’un lien direct et certain entre l’infection initiale et les complicationsseptiques survenues à partir de décembre 2002 n’est pas établi.

Par suite, la responsabilité du CH de Firminy ne peut être recherchée par le patient qu’enconséquence des dommages strictement imputables à l’infection nosocomiale initiale. L’évolutiondéfavorable du traitement des conséquences de la fracture qui, selon les deux experts, est imputablepour moitié à la lésion initiale et pour l’autre moitié à l’infection nosocomiale contractée au CHde Firminy (Indemnisation à 50 %).