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Compte-rendu de congrès « Adolescence, psychopathologie et adoption, quelles singularités ? » F. Cosseron * Centre médical et pédagogique pour adolescents de Neufmoutiers-en-Brie, 19, rue du Docteur-Lardanchet, 77610 Neufmoutiers-en-Brie, France Sept cent cinquante personnes se sont inscrites pour le colloque « Adolescence, psychopathologie et adoption, quel- les singularités ? » organisé par la clinique médico- universitaire Georges-Heuyer, avec la participation de psy- chiatres de la Fondation santé des étudiants de France sous la présidence d’honneur du professeur Michel Soulé. Ce succès n’a pas été démenti par la qualité des tables rondes. La première table ronde intitulée « Problématique de l’abandon du côté de l’adolescent à travers les mythes et la littérature » a rappelé que pour permettre l’adoption, il y avait d’abord avant tout l’abandon. Cette table ronde débute par un bref rappel de trois mythes fondateurs de notre civilisation : Rémus et Romulus, Moïse, OEdipe car chacun explore l’un des thèmes de la journée : interrogations sur les origines et les filiations, interrogations sur les parents abandonnants au moment du passage à l’âge adulte, interrogations sur la sexualité et l’inceste devenu adulte. La suite de cette table ronde sera centrée sur l’abandon dans la littérature classique puis la littérature psychiatrique. Le Pr Pierre Brunel, professeur de littérature comparée à la Sorbonne, nous rappellera à travers l’exemple de Rimbaud, que l’abandon peut tout aussi bien être actif que passif. Son impact n’en sera pas moindre quant à la quête de l’abandonné (réel ou ressenti) d’une image paternelle et maternelle comme le confirmera dans la discussion Maurice Corcos, praticien hospitalier, psychiatre, psychanalyste, co- animateur du séminaire « Psychanalyse et littérature ». Nicolas Girardon, psychiatre, insistera quant à lui sur la nécessité de ne pas se satisfaire d’un lien causaliste entre symptôme et abandon. Nicole Vacher-Neill démontrera, à travers un conte de sa création, l’intérêt de réécriture de sa propre histoire par l’adolescent dans les soins. « L’éprouvé du patient, comme celui du soignant, devenu figurable, per- met ainsi une nouvelle élaboration psychique ». Michel Soulé conclura cette table ronde avec humour en rappelant, à travers l’exemple d’OEdipe, que c’est l’avène- ment de la démocratie grecque et l’abolition de l’infanticide qui ont permis l’institution de l’abandon légal. Ceci nous éclaire sur l’histoire de l’abandonnant, sur l’histoire de l’abandonné avant même l’adoption, source de singularité propre à chaque histoire. Mais Michel Soulé insiste égale- ment sur les modifications propres à chaque époque quant à l’interprétation du mythe qui se substitue à la réalité comme peut le faire l’adopté à propos de son histoire, accompagné parfois par une équipe thérapeutique. Les tables rondes suivantes aborderont tour à tour trois aspects propres au processus d’adolescence. Tout d’abord, le travail de reconstruction par rapport à ses propres origines, sur le sens de sa propre filiation et enfin sur le poids du mandat transgénérationnel qui nous est transmis à l’adoles- cence. Introduite par le Dr Lida-Pulik, chef de service à la clini- que Dupré, en traitant « d’Identité, origines et filiation », la deuxième table ronde nous interroge sur nos places de soi- gnants, sur celles de parents biologiques, de parents adop- tants et de parents potentiels d’enfants en situation d’aban- don et d’adoption. Les deux présentations cliniques des docteurs Bailly et Barrère poseront de façon opposée cette problématique. D’une part, le non-abandon est-il préjudiciable à certains enfants qui ne peuvent pas ainsi bénéficier d’une adoption ? L’abandon, s’il est énoncé, peut-il alors être interprété comme formulé par un père symbolique, tiers entre la mère abandonnante et son fils abandonné ? À l’inverse, le Dr Barrère illustrera d’une vignette clinique intitulée « Tu es la greffe qui n’a jamais prise » l’influence de l’incapacité d’un adolescent à dépasser l’abandon dont il avait été l’objet comme point de départ d’une décompensa- tion. Incapacité mise en lien dans cette situation avec les difficultés parentales d’intégrer leur fille dans une filiation adoptive tant sa filiation biologique les contrariait. Ces deux vignettes donneront l’occasion au Dr Bernard Penot, médecin–directeur du Cerep adolescents de poser une question essentielle dans les mécanismes d’interactions pa- rents adoptants–enfants adoptés. Comment les parents adop- tants intègrent dans leurs propres histoires l’histoire des parents abandonnants ? Quels sont les fantasmes véhiculés par les parents adoptants auprès de ces enfants abandonnés avant d’être adoptés ? Il propose alors de considérer que « certaines projections imaginaires parentales sur l’origine * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Cosseron). Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 51 (2003) 111–112 www.elsevier.com/locate/neuado DOI: 1 0 . 1 0 1 6 / S 0 2 2 2 - 9 6 1 7 ( 0 3 ) 0 0 0 2 2 - 9

« Adolescence, psychopathologie et adoption, quelles singularités ? »

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Compte-rendu de congrès

« Adolescence, psychopathologie et adoption, quelles singularités ? »

F. Cosseron *

Centre médical et pédagogique pour adolescents de Neufmoutiers-en-Brie, 19, rue du Docteur-Lardanchet, 77610 Neufmoutiers-en-Brie, France

Sept cent cinquante personnes se sont inscrites pour lecolloque « Adolescence, psychopathologie et adoption, quel-les singularités ? » organisé par la clinique médico-universitaire Georges-Heuyer, avec la participation de psy-chiatres de la Fondation santé des étudiants de France sous laprésidence d’honneur du professeur Michel Soulé. Ce succèsn’a pas été démenti par la qualité des tables rondes.

La première table ronde intitulée « Problématique del’abandon du côté de l’adolescent à travers les mythes et lalittérature » a rappelé que pour permettre l’adoption, il y avaitd’abord avant tout l’abandon.

Cette table ronde débute par un bref rappel de trois mythesfondateurs de notre civilisation : Rémus et Romulus, Moïse,Œdipe car chacun explore l’un des thèmes de la journée :interrogations sur les origines et les filiations, interrogationssur les parents abandonnants au moment du passage à l’âgeadulte, interrogations sur la sexualité et l’inceste devenuadulte.

La suite de cette table ronde sera centrée sur l’abandondans la littérature classique puis la littérature psychiatrique.Le Pr Pierre Brunel, professeur de littérature comparée à laSorbonne, nous rappellera à travers l’exemple de Rimbaud,que l’abandon peut tout aussi bien être actif que passif. Sonimpact n’en sera pas moindre quant à la quête de l’abandonné(réel ou ressenti) d’une image paternelle et maternellecomme le confirmera dans la discussion Maurice Corcos,praticien hospitalier, psychiatre, psychanalyste, co-animateur du séminaire « Psychanalyse et littérature ».

Nicolas Girardon, psychiatre, insistera quant à lui sur lanécessité de ne pas se satisfaire d’un lien causaliste entresymptôme et abandon. Nicole Vacher-Neill démontrera, àtravers un conte de sa création, l’intérêt de réécriture de sapropre histoire par l’adolescent dans les soins. « L’éprouvédu patient, comme celui du soignant, devenu figurable, per-met ainsi une nouvelle élaboration psychique ».

Michel Soulé conclura cette table ronde avec humour enrappelant, à travers l’exemple d’Œdipe, que c’est l’avène-ment de la démocratie grecque et l’abolition de l’infanticidequi ont permis l’institution de l’abandon légal. Ceci nous

éclaire sur l’histoire de l’abandonnant, sur l’histoire del’abandonné avant même l’adoption, source de singularitépropre à chaque histoire. Mais Michel Soulé insiste égale-ment sur les modifications propres à chaque époque quant àl’interprétation du mythe qui se substitue à la réalité commepeut le faire l’adopté à propos de son histoire, accompagnéparfois par une équipe thérapeutique.

Les tables rondes suivantes aborderont tour à tour troisaspects propres au processus d’adolescence. Tout d’abord, letravail de reconstruction par rapport à ses propres origines,sur le sens de sa propre filiation et enfin sur le poids dumandat transgénérationnel qui nous est transmis à l’adoles-cence.

Introduite par le Dr Lida-Pulik, chef de service à la clini-que Dupré, en traitant « d’Identité, origines et filiation », ladeuxième table ronde nous interroge sur nos places de soi-gnants, sur celles de parents biologiques, de parents adop-tants et de parents potentiels d’enfants en situation d’aban-don et d’adoption.

Les deux présentations cliniques des docteurs Bailly etBarrère poseront de façon opposée cette problématique.D’une part, le non-abandon est-il préjudiciable à certainsenfants qui ne peuvent pas ainsi bénéficier d’une adoption ?L’abandon, s’il est énoncé, peut-il alors être interprétécomme formulé par un père symbolique, tiers entre la mèreabandonnante et son fils abandonné ?

À l’inverse, le Dr Barrère illustrera d’une vignette cliniqueintitulée « Tu es la greffe qui n’a jamais prise » l’influence del’incapacité d’un adolescent à dépasser l’abandon dont ilavait été l’objet comme point de départ d’une décompensa-tion. Incapacité mise en lien dans cette situation avec lesdifficultés parentales d’intégrer leur fille dans une filiationadoptive tant sa filiation biologique les contrariait.

Ces deux vignettes donneront l’occasion au Dr BernardPenot, médecin–directeur du Cerep adolescents de poser unequestion essentielle dans les mécanismes d’interactions pa-rents adoptants–enfants adoptés. Comment les parents adop-tants intègrent dans leurs propres histoires l’histoire desparents abandonnants ? Quels sont les fantasmes véhiculéspar les parents adoptants auprès de ces enfants abandonnésavant d’être adoptés ? Il propose alors de considérer que« certaines projections imaginaires parentales sur l’origine

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Cosseron).

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 51 (2003) 111–112

www.elsevier.com/locate/neuado

DOI: 1 0 . 1 0 1 6 / S 0 2 2 2 - 9 6 1 7 ( 0 3 ) 0 0 0 2 2 - 9

de l’enfant en viennent àconstituer comme une sorte de fauxréel, une maldonne originaire pour l’enfant adoptif entraî-nant une fusion–aliénation confusionnante à la défense nar-cissique parentale. »

Pierre Levy-Soussan, psychiatre, directeur du centre deconsultation des filiations rappellera alors que premièrementl’âge de l’adoption n’est pas un critère de pathogénicité àl’ inverse de la longueur de l’abandon ; longueur de l’abandonqui peut être un indicateur de la souffrance abandonnique del’enfant mais aussi de sa faible compétence à attirer despotentiels adoptifs ou témoin d’une histoire précoce des lienstissés entre parents biologiques et l’enfant particulièrementpénible et complexe.

Michel Soulé conclura cette table ronde par l’évocationd’un double questionnement. La question des origines, es-sentielle dans le processus de développement de l’enfant estune question sans réponse car l’origine ne cesse de reculer.De plus, la perception par l’enfant de la temporalité de sapropre origine reste floue ; de ce fait, il faut que chaque parentpuisse percevoir ce qui paraît entendable par l’enfant, enfonction de ce que les parents auront métabolisé dans leurpropre histoire de parents adoptifs non biologiques. Dès lors,il n’est pas surprenant pour le Dr Levy-Soussan, que « l’ado-lescent, dans certaines situations adoptives, rejoue avec uneparticulière véhémence cette conflictualité avec des objetsœdipiens, d’autant plus vulnérables que fragilisés par cettesituation filiative particulière ».

La troisième table ronde centrée sur le processus sépara-tion–individuation introduite par Dominique Monchablon,chef de service à la clinique Georges-Heuyer, sera l’occasiond’aborder, à travers le témoignage de Jean-Claude Cébula, laplace des placements familiaux dans l’adoption. Place cen-trale, il y a encore quelques années, place similaire parcertains aspects à celle de parents adoptifs dans bon nombred’abandons non affirmés comme le citait Rémi Bailly. Dèslors, la quête identitaire des adolescents dans la familleadoptive ou nourricière vient interroger ces parents sur leurdésir d’enfants, leur désir d’enfance et leur désir de couple.Cébula aborde cette question par la propension particulièreau « vol des bijoux de famille » de ces enfants en situationnourricière ; vol dont la signification est à la fois une appro-priation–identification à la famille adoptive mais égalementune tentative d’ individuation–séparation. Il apparaît alorsnécessaire d’étayer parents et enfants dans la permanence dulien créépar l’adoption et non la destructivité liée à l’ interro-gation sur sa légitimité.

Dans la continuitéde cette interrogation, Thierry Vincent,directeur médical du CMUDD à Grenoble, resitue ces ques-

tions dans le contexte de société actuel. Pour lui, la placeattribuée aux parents majore les difficultés des parents adop-tifs. Quelles sont les figures paternelles ? Quel roman fami-lial peut se construire l’enfant adopté ? Quelle filiation ima-ginaire peuvent s’arroger les parents face à la démarchescientiste ? Quelle signification peut donner l’adolescentadopté àson adoption dans le contexte du dialogue nord–sudentre pays développés « adultes » et pays en voie de dévelop-pement « enfants » ? Toutes interrogations qui poussentparfois les parents adoptifs, comme nombre de parents bio-logiques àla résignation làoù il faut continuer à être présents.

La dernière table ronde introduite par Benoît Servant,responsable de l’hôpital de jour à la clinique Georges-Heuyer, pointera les difficultés possibles d’une élaborationdu fantasme incestueux, tant chez l’enfant adopté que chezses parents du fait de l’absence de lien biologique, de l’ igno-rance des liens biologiques réels qui font de tout étranger unconsanguin potentiel. De plus, la légitimité du lien crééparles parents adoptifs envers l’enfant adoptépeut parfois ne pasdissimuler « l’ impossible sexualité »entre les parents adop-tifs, favorisant ainsi le risque d’un trop « sexuel ».

Il poussera son questionnement en comparant le « jeu »introduit par la distance relative, et toujours àanalyser, entresoignant et soignéadolescent, famille adoptive et adolescentadopté ; « jeu susceptible de faire émerger chez les soignantscomme chez les parents adoptifs des aspects refoulés de larelation parentale naturelle ».

Les docteurs Bié et Lambert, psychiatres au CMPA deNeufmoutiers-en-Brie, illustreront ce questionnement à tra-vers une vignette clinique montrant l’amplification fantas-matique souvent décrite chez les enfants adoptifs.

Gérard Pommier ouvrira alors le débat sur la place de lasexualité des parents adoptifs dans le désir d’adoption et dusort du patriarcat dans la société actuelle.

En conclusion, Patrice Huerre et Marcel Rufo insisterontsur le fait que toute naissance s’accompagne d’une adoption ;adoption de l’enfant par ses parents mais aussi des parentspar l’enfant. Que de ce fait, les spécificités dégagées de cecolloque montrent que plus qu’un réel lien de causalitéentreadoption et psychopathologie, la situation d’adoption donneun éclairage différent. D’autre part, si l’on parle de singula-rité, elle appartient surtout à l’histoire de chacun, parentsadoptifs comme parents biologiques, enfants naturels commeenfants adoptés et à la relation qui se crée entre eux. Ce quiimporte, « c’est qu’on leur dise qu’on les aime comme ilssont et malgré tout ».

112 F. Cosseron / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 51 (2003) 111–112