Analyse Institutionnelle

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Analyse institutionnelle

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Analyse institutionnelleOn parle gnralement d'analyse institutionnelle, tout court. Le qualificatif vincennoise permet d'identifier un des mouvements d' analyse institutionnelle qui s'est particulirement implant l'universit de Vincennes, puis Saint-Denis.

Conflit sur la paternit de l'analyse institutionnelleLe syntagme analyse institutionnelle est utilis galement en psychothrapie institutionnelle. Lorsqu'il veut aller vite, Jean Oury dfinit l'analyse institutionnelle comme analyse permanente de notre alination sociale. Lorsqu'on lui demande des rfrences thoriques, il renvoie Franois Tosquelles. Flix Guattari s'en affirmait le crateur (voir par exemple, Jean Oury dans Pratique de l'institutionnel et politique, Matrice, 1985, p. 48). Le Centre d'tudes, de recherches et de formation institutionnelles (CERFI) que ce dernier cra, diteur de la revue Recherches [1], se proposait d'outrepasser le seul champ psychiatrique pour interroger partout o les questions de l'inconscient et les problmatiques des pouvoirs se mlent inextricablement[2] . Mais au titre de prtendant on trouve une autre personnalit : Georges Lapassade. En ralit nous pourrions dire qu'il existe deux courants de l'analyse institutionnelle : le courant de la psychothrapie et de la pdagogie institutionnelle, qui bnficie de l'antriorit, et le courant universitaire qui, avec Lapassade, Lourau et Hess en particulier, l'applique l'ensemble des organisations.

Georges LapassadeCe dernier, agrg de philosophie, se formant la psychosociologie, la sociologie, la dynamique des groupes, participe divers mouvements marxistes (autour de la revue Arguments, autour du groupe et de la revue Socialisme ou barbarie). Activiste autogestionnaire, il s'engage dans la pdagogie. C'est ainsi qu'il est amen rencontrer F. Oury et R. Fonvieille lorsqu'ils sont en train de fonder une pdagogie institutionnelle bientt duelle. Le projet gnral de G. Lapassade est avant tout politique : changer la socit. Notre socit se bureaucratise, les choix et les dcisions tendent chapper l'individu, rapts par le systme bureaucratique. L'individu devient de plus en plus alin ce systme, de plus en plus htronome. On peroit ici l'influence de Cornelius Castoriadis qui a dvelopp l'opposition entre autonomie ( la lgislation ou la rgulation par soi-mme ) et htronomie ( la lgislation ou la rgulation par un autre ) dans une srie de textes publis dans la revue Socialisme ou barbarie (repris plus tard dans son livre L'institution imaginaire de la socit). Avec Ren Lourau, il va alors crer et thoriser un mode d'analyse sociale qui est en mme temps une technique d'intervention : l'analyse institutionnelle.

Ren LourauDans L'analyse institutionnelle, sa thse d'tat, R. Lourau redonne au concept d'institution sa qualit dynamique en s'appuyant sur la dialectique hglienne (universalit, particularit, singularit). L'institution est dfinie par le mouvement dialectique de trois moments : L'universalit, qui en est l'unit positive c'est dans ce moment que le concept est pleinement vrai, c'est--dire vrai abstraitement, gnralement. R. Lourau, L'analyse institutionnelle, Paris, Les ditions de Minuit, 1970, p. 10. La particularit, qui est la ngation du moment prcdent, de la positivit du concept. En effet, quel que soit le cas considr, Toute vrit gnrale cesse de l'tre pleinement ds qu'elle s'incarne, s'applique dans des conditions particulires, circonstancielles R. Lourau, L'analyse institutionnelle, op. cit., p. 10.

Analyse institutionnelle La singularit, la ngation de la ngation, le moment de l'unit ngative, qui consiste en des formes sociales par lesquelles s'incarne l'institution. Il complte ce modle l'aide d'un autre, qui s'inspire de C. Castoriadis, et qui fait jouer trois autres moments : l'institu, l'instituant et l'institutionnalisation. Ces trois termes sont prsents dans les textes que ce dernier a publi dans Socialisme et barbarie, mais c'est R. Lourau qui va les prciser et les articuler. Par ailleurs, l'accent va tre mis sur le moment de l'institutionnalisation, qui reste secondaire par rapport aux deux autres chez C. Castoriadis (chez lequel, d'ailleurs, aucun des trois termes n'est central). L'institu, qui englobe tout ce qui est tabli, lois, comme allant-de-soi, correspond au moment de l'universalit. L'instituant (en fait une multitude de forces instituantes) qui est ce qui met l'institu en tension, le nie, le remet en cause, correspond au moment de la particularit. Des processus d'institutionnalisation par lesquels la contradiction entre l'institu et l'instituant est rsolue, ce qui correspond au moment de la singularit. L'institu peut assimiler une partie de l'instituant, c'est--dire qu'il se modifie dans ce sens. Une partie de la tension entre les deux disparat donc. Une autre partie n'est pas prise dans ces processus d'institutionnalisation, la tension se maintient alors. La nouvelle forme de l'institu peut gnrer de nouvelles formes d'instituant. Enfin, la suite d'une analyse du texte de S. Freud Psychologie des foules et analyse du Moi , R. Lourau dtermine trois types de dviances qui finiront par tre considres comme une troisime triade dialectique constituant le concept d'institution : Idologique, qui met des doutes sur les finalits, la stratgie gnrale de l'organisation Ibid., p. 282., Libidinal, ...qui occupe une trop grande place dans la structure libidinale du groupe, et jette le doute, par sa seule prsence, sur le srieux de l'idologie ou de l'organisation. Ibid., Organisationnel, ...qui attaque de front -et non plus par l'intermdiaire de dsaccords thoriques ou de comportements physiques anxiognes- le point o se rencontrent les problmes les plus pratiques et matriels, d'une part et, d'autre part, les questions les plus thoriques : l'organisation. Ibid., p. 283.

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L'mergence de la sociologie d'intervention : propos des relations entre socianalyse et analyse institutionnelleDans son ouvrage Groupes, organisations, institutions, 1re dition, Presses universitaires de la Sorbonne, Paris, 1965, 5 d. prface par R. Hess, Anthropos, 2006, Georges Lapassade mentionne dans une note de bas de page quil a emprunt le terme socianalyse Jacques & Maria Van Bockstaele ( Note prliminaire sur la socianalyse, dans Bulletin de psychologie, XII, 6-9 (1959), p. 277-290). Il le raffirme dans son ouvrage ultrieur Socianalyse et Potentiel humain, Gauthier-Villars, Paris, 1975, o il crit (p. 6) : Nous appelons socianalyse, cest un terme emprunt (note 14), une intervention conduite avec les concepts et hypothses de lanalyse institutionnelle (italiques dans le texte). Voici la reproduction intgrale du texte de la note 14 en bas de page 6 dans cet ouvrage de G. Lapassade (des prcisions ajoutes sont en italique entre parenthses) : Ce terme : la socianalyse a t produit par Jacques et Maria Van Bockstaele en 1956. Il a t repris par le courant sociologique de lactuel mouvement institutionnaliste pour dsigner lanalyse institutionnelle en situation dintervention. Cf. J. et M. van Bockstaele : Une mthode de traitement des problmes de groupes : la socianalyse , Cahiers d'tudes et de recherches, Paris, Sorbonne, mars 1960, (p. 17-36) ; J. et M. van Bockstaele, C. M. Barrot (Colette) et Cl. Magny : Quelques conditions d'une intervention de type analytique en sociologie , L'anne sociologique, 1963, (p. 238-262) ; J. et M. van Bockstaele, C. Barrot, J. Malpos (Jacques Malbos) et P. Schein, Nouvelles observations sur la dfinition de la socianalyse , L'anne sociologique, 1968, (p. 279-295). Ce dernier article contient les informations indispensables pour la gense du concept de la socianalyse. Georges Lapassade, Socianalyse et Potentiel humain, Gauthier-Villars repris par Dunod, Paris, 1975

Analyse institutionnelle En introduction de son ouvrage Socianalyse et Potentiel humain (1975), G. Lapassade affiche d'entre de jeu sa position critique l'gard du parolisme , qu'il dfinit comme l'attitude analytique construite partir d'une parole sociale, d'un discours . Cette critique du parolisme s'appuie directement sur l'uvre du psychanalyste Wilhelm Reich. Pour G. Lapassade, l'apport fondamental de Reich, c'est l'analyse bio-nergtique, fonde entre 1933 et 1940, reprise et dveloppe ensuite par ses lves, puis adapte et diffuse en masse, dans un autre contexte, celui des groupes de rencontre. Reich, c'est la rupture avec l'analyse de la parole, au bnfice d'un travail thrapeutique articul sur le corps et l'expression directe des motions (1975, p. 2). Au regard de la rupture avec la conception freudienne de l'analyse qui s'annonce chez Reich ds 1927 avec la publication de La fonction de l'orgasme, la critique du parolisme offre un caractre rducteur. La divergence technique majeure entre Reich et Freud ne concerne pas, comme l'crit Lapassade (1975, p. 4), le renoncement Tout dire . En psychanalyse, la dissidence du disciple bien-aim vis--vis du matre fondateur porte en ralit avant tout sur l'introduction dlibre, voire sauvage , de l'acting out (passage l'acte) dans la formulation de la rgle fondamentale (association libre sans omission et interdiction du passage l'acte). Ce choix technique princeps de Reich en faveur de l'acting out est partag par Lapassade pour des raisons multiples, notamment idologiques et politiques. De fait, ce dernier emprunte largement ces mmes principes d'acting out pour fonder l'analyse institutionnelle ainsi que la conception de la socianalyse qu'il en drive. La conception de la socianalyse dveloppe par Jacques et Maria van Bockstaele se distingue radicalement de ce choix technique en faveur de l'acting out. Dans leur ouvrage rcemment paru (Jacques et Maria van Bockstaele, La socianalyse : imaginer-coopter, Editions Economica, coll. Anthropos , Paris, 2004), les auteurs prsentent un expos dtaill des 32 rgles ayant contribu, entre 1956 et 1976, laborer leur propre outil technique socianalytique. Cet outil, ou tche diapotique d'imagination-cooptation, ne se rfre pas la psychanalyse freudienne. Il s'accorde nanmoins avec l'option de l'exclusion de l'acting out qui, en opposition permanente celle de Reich, continue de caractriser la psychanalyse de Freud. En socianalyse, cette exclusion prend la forme d'un vitement systmatique de l'approche directe au profit de l'introduction d'un dtour qu'explicite la 32me rgle (1976). Cet usage du dtour protge techniquement la dmarche sociologique interprtative des effets lis aux rsistances qui risquent d'merger dans l'intervention comme le constate aussi G. Lapassade dans la conduite de ses travaux ultrieurs d'analyse institutionnelle, dits d'intervention sociologique (Georges Lapassade, Lanalyse institutionnelle entre socio-histoire et socio-clinique , dans L'Homme et la Socit, n147-148, 2003). Jacques & Maria Van Bockstaele sont socianalystes depuis 1956.

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Remarque sur le terme de moment Ce terme provient de Georg Hegel. Selon Patrice Ville (Situations de tiers-triangulation, premier semestre de l'anne universitaire 1998-1999), il a t abondamment traduit et compris en France comme moment temporel. Le mouvement dialectique tant alors compris comme une succession de moments : l'un puis l'autre, etc. Or, il semble que le terme allemand das Moment se rfre, non pas un intervalle de temps, mais une force en action. Le moment d'une force physique est le produit de sa norme par la distance l'axe sur lequel elle s'applique corrle en fonction de l'angle qu'elle produit avec celui-ci. L'exemple le plus simple, c'est le bras de levier : la force exerce multiplie par la longueur du levier. On obtient alors, non plus une succession d'intervalles de temps mais un jeu de forces dynamique, des rapports de forces fluctuants. Henri Lefebvre a construit une "thorie des moments" dans La somme et le reste (1959), qui a t dveloppe par Remi Hess. ct du concept d'institution, on trouve d'autres, tels analyseur , transversalit , qui proviennent de la psychothrapie institutionnelle (Flix Guattari, Psychanalyse et transversalit), d'autres, plus spcifiques (l'implication, qui allait avoir beaucoup plus de succs). ses dbuts, l'analyse institutionnelle prtendait tre la fois un outil de rgulation des tensions micro-sociales et de changement global de la socit (autogestion).

Analyse institutionnelle Et bien ce projet est toujours vivant, comme l'annonait d'ailleurs Henri Lefebvre, qui considrait que l'intervention tait de loin une des voies les plus intressantes de la sociologie. Aujourd'hui, les interventions socianalytiques se sont dveloppes dans plusieurs secteurs, au-del des coles, des hpitaux, des centres mdico pdagogiques qui les avaient vu natre. Les socianalyses peuvent tre brves, ou de longue dure. Elles permettent d'analyser la dialectique l'uvre dans un tablissement, dans une situation. Patrice Ville mne des socianalyses dans le nuclaire franais depuis 1984. Il a cr une quipe de socianalystes professionnels avec Christiane Gilon et Fabienne Fillion. Dominique Jaillon de son ct a dvelopp le coaching socianalytique. Paris VIII, Georges Lapassade, Rmi Hess, Benyouns, Kharouni, animent un laboratoire de recherche en analyse institutionnelle, font vivre un rseau international d'analystes institutionnels et publient une revue dont le titre montre la vitalit du mouvement: les "irrAIductibles". Les dispositifs socianalytiques ont beaucoup volu depuis les annes 1960, et sont capables de mettre en analyse des systmes sociaux complexes. Au dbut des annes 2000, la socianalyse institutionnelle a invent les rseaux socianalytiques, utilisant internet, permettant des socianalyses avec plus de 300 participants. Collectivisation des savoirs, restitution des savoirs l'ensemble des gens, implication des acteurs sociaux dans les affaires qui les concernent, ces partis pris de la socianalyse donnent aux dispositifs actuels une dimension politique qui ractualise en permanence le projet de dpart. La priode politique qui s'ouvre, avec un mouvement social qui va dans le mme sens, est l'occasion de pousser plus loin ces pratiques et les partager avec le plus grand nombre.

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La pratique de l'intervention socianalytiqueLanalyse institutionnelle sintresse lorganisation en tant quinstitution, cest--dire un ensemble de rgles, de normes, de valeurs, de relations et de rapports de force. Elle part du principe que la prsence de lanalyste modifie le fonctionnement mme de linstitution et le comportement de ses membres. Son intervention nest pas neutre, et ne peut pas ltre, contrairement ce que prconisent les autres mthodes dintervention sociologique. Lui-mme doit tenir compte de son implication : quels sont ses liens institutionnels, affectifs ou conomiques avec linstitution ? Linstitution est la cristallisation (institu) dun rapport de forces (instituant) : gnralement un groupe en domine un autre et lorigine de cette domination est occulte. Le rle de lanalyste est de mettre en place un analyseur, dispositif ou vnement, qui va forcer linstitution prendre conscience de ses contradictions. Lanalyse institutionnelle ou socianalyse est rarement sollicite par les entreprises dans la mesure o elle peut remettre en cause les nondits qui constituent les bases mme de lorganisation, comme la rpartition du profit, la justification de la hirarchie, les objectifs de lorganisation, la rpartition sexuelle des tche ou des fonctions, les mythes et tabous, etc).

Notes et rfrences[1] http:/ / perso. wanadoo. fr/ . editions-recherches/ revue. html [2] Voir notamment Liane Mozre, Le printemps des crches : histoire et analyse d'un mouvement, L'Harmattan, 1992 Lion Murard et Patrick Zylbermann, L'hygine dans la Rpublique. La sant publique en France ou l'utopie contrarie (1870-1918), Fayard, 1996 Numa Murard, La morale de la question sociale, La Dispute, 2003 Franois Fourquet et Lion Murard, La naissance des villes nouvelles, anatomie d'une dcision (1961-1969), Presses de l'cole nationale des ponts et chausses, 2004 Anne Querrien, L'cole mutuelle, une pdagogie trop efficace ?, Les Empcheurs de penser en rond, 2004

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AnnexesArticles connexes Antipsychiatrie Institution disciplinaire | Institution totale

BibliographieOuvrages de rfrence Flix Guattari, Psychanalyse et transversalit. Essais d'analyse institutionnelle, Franois Maspero, 1972 (rd. La Dcouverte, 2003) avec une prface de Gilles Deleuze Ren Lourau, L'illusion pdagogique, EPI, 1969 Ren Lourau, Analyse institutionnelle et pdagogie, EPI, 1971 Georges Lapassade, Ren Lourau, Clefs pour la sociologie, Seghers, 1971 Georges Lapassade, L'analyseur et l'analyste, Gauthier Villars, 1971 Alain Coulon, L'ethnomthodologie, PUF, 1988 Remi Hess, Michel Autier, L'analyse institutionnelle, PUF, 1993 (ISBN 2130451950) Remi Hess, Voyage Rio, sur les traces de Ren Lourau, Tradre, 2003. Erving Goffman, Asiles, Minuit, 1961 Franco Basaglia, L'institution en ngation, Seuil, 1970

Articles et revues Lion Murard et Michel Rostain, Faut-il fonctionnariser la recherche en sciences sociales ? , Le Monde, 27 juillet 1977 L'analyse institutionnelle. Entre socio-clinique et socio-histoire, revue L'Homme et la Socit, n147, 2003 Jacques Guigou, L'analyse institutionnelle sans son jeu (http://www.editions-harmattan.fr/minisites/index. asp?no=21&rubId=394#AI) in J.Guigou, La cit des ego. L'impliqu p.31-34. (rd. L'Harmattan 2009).

Sources et contributeurs de larticle

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Sources et contributeurs de larticleAnalyse institutionnelle Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?oldid=69491659 Contributeurs: .melusin, Acha45, Bob08, Chaussette, Chome36, GT, Horowitz, ISTM, Idalits, JVB, Jef-Infojef, Le gorille, Libellule Bleue, Lomita, Malev, Methexis, Remybaudouin, Rmih, Sam Hocevar, Socio---logique, Stefp, Xic667, 28 modifications anonymes

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