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PAS DE CALAIS ARGUMENTAIRE Le projet de Marine Le Pen : un chiffrage de science-fiction, un scénario financier à la grecque Olivier Ferrand Note Par Cellule chiffrage de Terra Nova. Marine Le Pen a présenté le chiffrage de certaines mesures de son programme. L’ensemble des mesures proposées s’élève selon le FN, en dépenses, à 97 milliards d’euros environ à la fin du prochain quinquennat face à quelques 240 milliards d’euros de recettes nouvelles dont : - 115 milliards d’euros de recettes liées selon lui à la sortie de la zone euro (88 milliards d’euros) et au déploiement de mesures protectionnistes ; - 41 milliards d’euros de recettes liées à la « réduction de l’immigration ». Le chiffrage des mesures du FN présente deux difficultés méthodologiques importantes : - La première tient au fait que de nombreuses mesures programmatiques n’ont pas été chiffrées et ne présentent pas d’hypothèses techniques précises : nous avons décidé de ne pas en tenir compte mais il est évident qu’elles alourdiraient significativement le volume global des dépenses. - La second est relatif à la décision politique centrale du programme du FN, la sortie de l’euro : ses conséquences économiques et budgétaires sont difficilement calculables. Nous avons décidé de nous caler sur les hypothèses moyennes des récentes études économiques sur le sujet (baisse de 5 points du PIB) Quoi qu’il en soit, le chiffrage affiché par le FN est fantaisiste et franchit souvent le seuil du ridicule. 1. Le programme du FN aboutirait à une explosion aussi phénoménale qu’irréaliste de la dépense publique Selon les calculs de Terra Nova, les mesures du projet du FN s’élèveraient entre 150 milliards et 200 milliards d’euros d’ici 2017 – environ le double du chiffre avancé par Marine Le Pen. 50 milliards d’euros sont liés dès la première année à la seule sortie de la zone euro, laquelle se traduirait par : - un effondrement de la croissance et des recettes fiscales de l’ordre de 50 milliards d’euros ; - un impact majeur sur les charges annuelles de la dette française . Parmi les mesures les plus coûteuses, figurent : - l’augmentation des salaires inférieurs à 1,4 SMIC (21 milliards d’euros par an) ; - l’augmentation du budget de la justice (8,5 milliards d’euros par an), de la sécurité (6,4 milliards d’euros) et celui de la santé (15 milliards d’euros) ;

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PAS DE CALAIS

ARGUMENTAIRE

Le projet de Marine Le Pen : un chiffrage de science-fiction,

un scénario financier à la grecque

Olivier Ferrand

Note Par Cellule chiffrage de Terra Nova.

Marine Le Pen a présenté le chiffrage de certaines mesures de son programme. L’ensemble des mesures

proposées s’élève selon le FN, en dépenses, à 97 milliards d’euros environ à la fin du prochain quinquennat

face à quelques 240 milliards d’euros de recettes nouvelles dont :

- 115 milliards d’euros de recettes liées selon lui à la sortie de la zone euro (88 milliards d’euros) et au

déploiement de mesures protectionnistes ;

- 41 milliards d’euros de recettes liées à la « réduction de l’immigration ».

Le chiffrage des mesures du FN présente deux difficultés méthodologiques importantes :

- La première tient au fait que de nombreuses mesures programmatiques n’ont pas été chiffrées et ne

présentent pas d’hypothèses techniques précises : nous avons décidé de ne pas en tenir compte mais il est

évident qu’elles alourdiraient significativement le volume global des dépenses.

- La second est relatif à la décision politique centrale du programme du FN, la sortie de l’euro : ses

conséquences économiques et budgétaires sont difficilement calculables. Nous avons décidé de nous caler

sur les hypothèses moyennes des récentes études économiques sur le sujet (baisse de 5 points du PIB)

Quoi qu’il en soit, le chiffrage affiché par le FN est fantaisiste et franchit souvent le seuil du ridicule.

1. Le programme du FN aboutirait à une explosion aussi phénoménale qu’irréaliste de la dépense publique

Selon les calculs de Terra Nova, les mesures du projet du FN s’élèveraient entre 150 milliards et 200

milliards d’euros d’ici 2017 – environ le double du chiffre avancé par Marine Le Pen. 50 milliards d’euros

sont liés dès la première année à la seule sortie de la zone euro, laquelle se traduirait par :

- un effondrement de la croissance et des recettes fiscales de l’ordre de 50 milliards d’euros ;

- un impact majeur sur les charges annuelles de la dette française .

Parmi les mesures les plus coûteuses, figurent :

- l’augmentation des salaires inférieurs à 1,4 SMIC (21 milliards d’euros par an) ;

- l’augmentation du budget de la justice (8,5 milliards d’euros par an), de la sécurité (6,4 milliards d’euros)

et celui de la santé (15 milliards d’euros) ;

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- la création de 40.000 places de prison supplémentaires en cinq ans (4,6 milliards d’euros de coût

d’investissement et 1,2 milliard d’euros de coût de fonctionnement par an) ;

- le passage à 40 annuités pour une retraite à taux plein (6 Milliards d’euros en 2013) ;

- l’augmentation de 2% du budget de la Défense (4 milliards d’euros) ;

- la création d’un revenu parental (1 à 2 milliards d’euros en 2013) dont les modalités ne sont d’ailleurs

aucunement précisées ;

- le recrutement de 19.000 policiers et gendarmes (170 Millions d’euros en 2013).

D’autres propositions apparaissent clairement irréalistes, comme l’expulsion systématique de toutes les

personnes qui entrent ou se maintiennent illégalement sur le territoire (qui pourrait représenter un coût de

près de 6 milliards d’euros sur la base du coût actuel de la reconduite à la frontière, qui est de l’ordre de

21.000 euros par personne reconduite aujourd’hui).

Au total, le programme de Marine Le Pen aboutirait à une hausse de la dépense publique de l’ordre de 10

points de PIB : soit un saut aberrant de 57 à 71% du PIB (hypothèse d’une baisse de 5 points de PIB).

2. Le volet recettes relève de la science fiction

Les 115 milliards d’euros de recettes liées « à la sortie de la zone euro » (88 milliards d’euros) et au

déploiement de mesures protectionnistes sont fictives. Bien au contraire, la sortie de la France de la zone

euro se traduirait comme indiqué par des pertes fiscales et des reculs de parts de marchés à l’exportation,

synonymes de destructions d’emplois considérables.

Les 41 milliards d’euros de recettes liées à la « réduction de l’immigration » sont imaginaires. La seule

expulsion, proposée comme « systématique » de toutes les personnes qui entrent ou se maintiennent

illégalement sur le territoire coûterait près de 6 milliards d’euros (selon un rapport du Sénat de 2009, le

coût de la reconduite à la frontière est de 21.000 euros par personne entre les frais d’éloignement,

sanitaires, hôteliers et policiers)… Globalement, contrairement à une idée reçue, les immigrés ont une

contribution positive importante aux budgets publics : plus de 12 milliards d’euros net, soit plus de 2.250

euros par immigré.

Selon nos estimations, les recettes supplémentaires basées sur les mesures fiscales réalistes du

programme du FN s’élèveraient à peine 10 milliards d’euros, face aux 150/200 milliards d’euros de

dépenses nouvelles d’ici 2017 (hors nombreuses dépenses non chiffrées)

3. Dette publique : un scénario grec pour la France

Au total, le programme de Marine Le Pen, s’il était mis en œuvre, conduirait à un triplement du déficit public,

de 5% à 15% du PIB. Et un gonflement de la dette autour de 130% du PIB (hypothèse d’une baisse de 5

points de PIB).

Ce serait un désastre pour l’économie française, et une crise comparable à celle subie par la Grèce depuis

2 ans.

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Le programme du FN est-il réaliste ?

DECRYPTAGE - Deux économistes ont passé au crible le programme du FN pour 2012.

Marine Le Pen sort sa calculette. Jeudi, la candidate du Front national a dévoilé le chiffrage de son programme et énuméré à la fois beaucoup de dépenses et de mesures de désendettement. Au menu : du protectionnisme, une réduction de l'immigration et le retour au

franc.

Mais ces mesures tiennent-elles la route économiquement parlant ? Pour répondre à cette question, Europe1.fr a décidé de soumettre

quatre propositions de ce projet au regard critique de deux économistes : Eric Heyer, directeur adjoint du département prévis ion de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et Bruno Jérôme, chercheur à l'université Paris-II. Voici leur décodage.

LES DEPENSES

> La proposition du FN : 200 euros de plus pour les bas salaires

Marine Le Pen promet une hausse de 200 euros net/mensuel "sur tous les salaires" allant jusqu'à 1,4 fois le Smic, grâce à la prise en charge par l'Etat du même montant de cotisations salariales. Cette mesure est chiffrée à 64 milliards d’euros sur 5 ans. Le FN compte compenser cette mesure en taxant les importations de 3%.

Bruno Jérôme : "Le problème d’une telle mesure, c’est évidemment son réalisme. Deux choses prêtent ici à caution. La première est qu’il

existe une sorte de règle d’or en économie, voulant qu’on augmente les salaires quand la croissance est au rendez-vous et que les

entreprises dégagent des gains de productivité. Aujourd’hui, nous ne sommes clairement pas dans ces cas de figure. Le second point ?

Une telle augmentation sera forcément répercutée sur les prix, notamment par le biais de l’inflation ou des impôts. Quant au coût global

d’une telle mesure, il est, à mon sens, impossible à chiffrer tant les incidences sont difficiles à calculer. Côté recette : taxer les

importations, c’est ce que l’on peut faire de pire dans un contexte de mondialisation. Les consommateurs vont tout payer plus cher."

Eric Heyer : "Dans l’absolu, tout est faisable, y compris augmenter les salaires de 200 euros. Et, une augmentation de 3% des

importations permettrait effectivement de financer une telle mesure. Mais cela aurait des incidences : certains ménages seront perdants.

C’est le cas des chômeurs ou des autres salariés qui devront payer plus cher ce qu’ils achètent. L’inflation sera en revanche compensée

pour ceux qui touchent les 200 euros. Et puis que dire, enfin, d’un monde où l’on peut taxer les importations, sans que vos partenaires

décident de faire la même chose…"

> La proposition du FN : 8 milliards de plus pour la justice

Marine Le Pen prévoit de revaloriser le budget de la sécurité de 8,5 milliards sur 5 ans. Lors du chiffrage de son projet, elle n’a pas donné plus de détails mais dans son programme elle prévoit notamment "un vaste plan carcéral pour créer, dans les plus brefs délais, 40.000 nouvelles places de prison"..

Bruno Jérôme : "Le chiffrage global tient a peu près la route. C’est tout à fait plausible et le diagnostic est bon : la justice française est le

parent pauvre des pays européens. Pour les places de prison, on estime le coût d’un prisonnier à 100 euros par jour. Soit 36.000 euros

par an. 40.000 nouvelles places de prisons coûteraient donc 1,4 milliard d’euros. Reste que ne sont pas comptés ici les frais de construction de nouvelles structures qui sont, eux, exorbitants."

LES RECETTES

> La proposition du FN : 41 milliards supplémentaires grâce à une restriction de l’immigration

Côté recette, Marine Le Pen pense dégager des fonds en limitant l'immigration : elle entend diviser l’immigration légale par vingt et économiser ainsi 41 milliards d'euros.

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Bruno Jérôme : "Marine Le Pen fait référence ici aux économies de prestations sociales, mais, elle oublie tous les immigrés qui

apportent de la richesse en travaillant. Si cette mesure était appliquée, certains secteurs seraient particulièrement impactés comme le

bâtiment. Privés de bras, les prix du secteur exploseraient".

Eric Heyer : "On a là une vision très pessimiste de l’immigration, en terme de finances publiques. Marine Le Pen compte les prestations

en oubliant la consommation, les cotisations, etc. Il faut bien savoir que la France a besoin d’un flux migratoire important pour soutenir son système de sécurité sociale et de retraites".

> La proposition du FN : sortir de l'euro

Le retour au franc est un grand classique au FN. Marine Le Pen estime qu’une telle décision couplée à des mesures protectionnistes permettrait d'économiser plus de 200 milliards d'euros sur cinq ans.

Bruno Jérôme : "Difficile de chiffrer toutes les incidences de cette mesure. Si on doit revenir au franc, on aura au minimum une hausse

de 30% de l’inflation. Il faudra alors dévaluer. Et je ne parle pas des spéculations et des attaques contre cette nouvelle monnaie... "

Eric Heyer : "En réalité, cette décision conditionne toutes les autres. C’est tellement gigantesque qu’une telle mesure mangerait tout le

reste. Les chiffres annoncés pour les autres réformes n’auraient d’ailleurs plus le même sens, puisque la monnaie n’aurait plus la même

valeur. Cette mesure serait un drame pour la France pour au moins cinq ans. Il faudrait attendre dix ans ou quinze ans pour espérer y

gagner."

Analyse clinique du programme du Front National

Guillaume Bachelay est une de ces personnalités qui comptent : maire-adjoint d’une ville près de Rouen, vice-président de la Région Haute-Normandie, secrétaire national du PS à l’industrie, aux entreprises et aux nouvelles technologies, rapporteur général du projet du PS… et auteur. Plus qu’un ouvrage, Réagissez ! est un un appel lancé aux électeurs du Front National et à ceux qui seraient tentés*. Point après point, mot après mot, lettre après lettre, l'auteur revient sur les propositions fortes du Front National. Fini les approches sociologiques, historiques ou biographiques, place à l'analyse clinique.

Nonfiction.fr- Pourquoi écrire un ouvrage sur le FN quelques mois avant les élections présidentielles ? Peur d’un nouveau 21 avril ?

Guillaume Bachelay- Cet ouvrage est né au lendemain des élections cantonales de mars dernier. De nombreux candidats du Front National ont réalisé des scores importants dans des élections qui leur sont traditionnellement défavorables, alors même qu'ils ne faisaient pas toujours campagne et que leurs affiches représentaient Marine Le Pen et non eux-mêmes. Non seulement ils ont enregistré des résultats élevés au premier tour, mais ils ont souvent progressé en voix au second. D'où ce constat : d'un vote de protestation, le vote frontiste se mue en vote d'adhésion. Adhésion à des mots, à un leader – une leader, en l'occurrence – et à des slogans. Najat [Najat Vallaud-Belkacem, co-auteur de l’ouvrage] et moi-même appartenons à la génération du 21 avril 2002. Nous avons connu les défaites de la gauche à la présidentielle sur fond d'éloignement des catégories populaires et de déclassement des couches moyennes précarisées. Notre livre vise évidemment à déconstruire les propositions du FN pour en donner à voir le contenu et les possibles effets, mais il est aussi une façon de tirer les leçons de l'expérience pour la gauche qui aspire à gouverner le pays. Réagissez !, c'est autant une alerte aux citoyens qu'un appel aux dirigeants de la gauche, les socialistes et les autres, pour qu'ils présentent leurs solutions aux problèmes qui sont les ressorts électoraux du FN – la

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désindustrialisation et les délocalisations, les fermetures de services publics de proximité, l'incapacité à proposer un avenir au pays et d'abord aux jeunes, l'individualisme et la crise qui opposent les catégories, les générations, les personnes.

Nonfiction.fr- Justement ces scores majeurs du FN alors qu’il n’y a aucune campagne locale ne sont-ils pas le résultat d’une nationalisation des scrutins locaux par certains partis dont le PS ?

Guillaume Bachelay- Quand la moitié des départements renouvellent leurs assemblées, le scrutin est local mais sa dimension est forcément nationale, que les partis le veuillent ou pas. Ce qui me frappe actuellement, c'est le "retour à la normale" que l'on perçoit chez nombre de commentateurs, voire de responsables politiques : à sept mois de la présidentielle, les sondages dessinent, jurent-ils, un duel classique entre l'UMP et le PS, la droite et la gauche. Or, cette bipolarisation n'est nullement acquise. Certaines enquêtes d'opinion créditent actuellement Marine Le Pen de 18 % - 19 % d'intentions de vote : autrement dit, son score plancher avant même d'entrer en campagne correspond au score plafond enregistré par son père au premier tour de la présidentielle 2002.

Nonfiction.fr- Aujourd’hui on a l’impression que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front National a déstabilisé les contradicteurs, qu’ils soient médiatiques ou politiques d’ailleurs. Ils ne savent pas comment répliquer et souvent les débats semblent contre-productifs et au final renforcent le Front National. Quelle attitude adopter ?

Guillaume Bachelay- Nous assistons depuis 30 ans à une forme d’impuissance et au final d’échec dans le traitement du Front National. Soit le discours est moralisateur – c'est la culpabilisation des électeurs –, soit il est dogmatique – c'est l'injonction, la sommation faite aux citoyens de voter comme "on" leur dit. Pour tout vous dire, cela fait belle lurette que cette double approche me semble inefficace : pire, parce qu'elle refuse d'argumenter, de prendre le temps de démonter les affirmations du FN et d'expliquer les propositions des formations démocratiques, cette méthode fabrique du vote frontiste.

C'est particulièrement frappant dans les médias : certains journalistes ou éditorialistes interrogent Marine Le Pen non seulement comme ils questionnaient Jean-Marie Le Pen, mais de surcroît en lui adressant les critiques qu'ils lui destinaient à lui, compte tenu de son histoire, de ses outrances, de ses thématiques. Or, le FN est aujourd'hui dirigé par une femme née en 1968 et non plus par un ancien parlementaire de la IVe République. Manquer cette évidence, c'est manquer d'efficacité dans le combat contre les thèses d'extrême droite. Même chose à propos du discours : dans celui du Front National version Marine Le Pen – nous parlons du discours officiel d'un parti légal, non de ses satellites qui composent la galaxie de l'ultra-droite française –, l'islamophobie s'est substituée à l'antisémitisme sur fond de choc des civilisations, d'occident contre le monde musulman toujours identifié au radicalisme et à l'intégrisme. C'est une évolution commune aux partis nationaux populistes en Europe – Vlaams Blok flamand, UDC suisse, Parti de la Liberté néerlendais, FPÖ autrichien – qu'il faut avoir à l'esprit si l'on veut combattre efficacement les thèses et les thèmes du FN d'aujourd'hui et non sa version vintage.

Nonfiction.fr- Justement sur la sémantique. Les journalistes parlent de "nouveau Front National" en comparaison avec l’ancien Front National de Jean-Marie Le Pen. Ces appellations ne contribuent-elles pas à laisser croire que le parti a véritablement changé ?

Guillaume Bachelay- Ce type de raccourci est en effet du pain béni pour le FN. Pour apprécier la nouvelle carte du restaurant frontiste, il faut aller au-delà de la vitrine et visiter les cuisines, c'est-à-dire les idées, les discours, les argumentaires, les programmes. C’est ce que nous avons voulu faire dans notre ouvrage. Nous avons pris la présidente du Front National au mot. Elle prétend vouloir gouverner et donc être soumise à la question comme le sont les autres formations politiques. C'est pourquoi nous avons examiné les principaux chapitres du projet du Front National, les avons classés sous la forme d’abécédaire pour plus de clarté et fait suivre, sur chaque thème, des propositions du Parti socialiste afin, précisément, d'apporter des réponses démocratiques et réalisables aux attentes des Français. Il ne faut pas seulement dénoncer, il faut démonter. Il ne faut pas seulement critiquer, il faut proposer.

Les approches biographiques, historiques ou sociologiques sont toujours précieuses à propos du FN. Mais Najat et moi pensons qu'à l'approche des échéances de 2012, dans un moment où la crise est dure pour des millions de salariés, d'entrepreneurs, de retraités, de jeunes, ce qui manquait, c'était l'approche quasi-scientifique des options frontistes. Propositions après propositions. Mots après mots. Que découvre-t-on, à la fin de ce travail ? Que non seulement les

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solutions qui sont avancées n'en sont pas, mais que si elles étaient mises en oeuvre, elles auraient pour effet d'aggraver plus encore la situation de ceux dont le FN prétend défendre les intérêts, c'est-à-dire les ouvriers, les employés – du public comme du privé -, les artisans, les commerçants, les patrons de PME.

Nonfiction.fr- Prenons quelques éléments précis du programme du FN. Marine Le Pen explique vouloir sortir de l’euro sous six mois si elle est élue présidente de la République....

Guillaume Bachelay- C'est sa principale proposition et pourtant, les parades mises en avant par les beaux esprits qui veulent sauver la monnaie unique paraissent peu convaincantes, donc guère efficientes. Soit on assiste à une défense lyrique et mystique, quasi religieuse de l’euro – du genre : "Pourquoi faut-il sauver l'euro ?", réponse : "Parce qu'il le faut" -, soit c'est le refus d'argumenter qui prévaut, comme si l'idée même de quitter la zone euro valait excommunication du "cercle de la raison". Aucune de ces deux approches n'est pertinente.

Nous, nous prenons le FN au mot, et d'abord au plan pratique : pour passer du franc à l’euro, il a fallu que 2 300 ouvriers travaillent pendant 10 ans pour produire plus de deux milliards de billets et sept milliards et demi de pièces. Un délai de six mois – comme l'affirme le FN – ne permettrait tout simplement pas de passer, pour les besoins de la vie quotidienne des ménages et des entreprises, d'un système monétaire à un autre.

Au plan économique et financier non plus, le slogan "sortons de l'euro" n'est pas rassurant. Marine Le Pen promet une dévaluation du "nouveau franc" de 20 % pour relancer les exportations. La réalité, c'est que le défaut de paiement – autrement dit la faillite – menacerait rapidement la France. D'une part, notre dette – libellée en euros, à maturité courte et détenue à plus de 60 % par des créanciers non-résidents – subirait immédiatement une hausse de 20 % : elle sera déjà à 90 % du PIB à la fin du mandat de M. Sarkozy, voilà qu'elle dépasserait les 110 % ! Quant aux épargnants, soucieux de la valeur de leur patrimoine, ils placeraient illico leurs euros à l'étranger. Les banques relèveraient leurs taux d'intérêt, renchérissant l'argent pour les particuliers et les entreprises. Dans le même temps, les pays voisins ou plus lointains mettraient en place des mesures de rétorsion sur des produits comme les carburants, le cacao, le café, les bananes, la téléphonie, les écrans plasma. Ces produits verraient leurs prix augmenter dans des proportions substantielles pendant que les marchés extérieurs nous deviendraient inaccessibles ou interdits. Et qui serait touché en priorité ? Les classes moyennes et les catégories populaires, ainsi que les PME, les artisans, les agriculteurs.

Une fois ces vérités rappelées, encore faut-il offrir une perspective sérieuse et ambitieuse à la crise, bien réelle, de l'euro. Une chose est de contester les réponses de Mme Le Pen aux manques ou manquements de la monnaie unique et du type de construction européenne qui va avec, autre chose est de nier que l'une et l'autre soient effectivement en crise. D'où le besoin – le Parti socialiste y a beaucoup travaillé depuis deux ans – d'une réorientation de l'Europe : elle doit progresser et protéger. Progresser, cela veut dire émettre des eurobonds pour stopper la spéculation, mutualiser les dettes et financer les chantiers d'avenir – infrastructures de transports ou d'énergies – qui sont indispensables à la croissance et à l'emploi. Progresser, cela veut dire aussi procéder à une harmonisation fiscale et sociale au sein de l'Eurozone, ainsi que l'exigence, sur la scène internationale – et d'abord au G20 – d'un nouveau panier des monnaies : il est temps que les Européens aient une gestion politique de leur monnaie, comme en ont les Américains vis-à-vis du dollar ou les Chinois à l'égard du yuan ! Mais l'Europe doit aussi protéger. J'ai été l'un des initiateurs au PS, au lendemain du référendum sur le traité constitutionnel, des écluses commerciales aux frontières de l'Europe pour faire respecter les normes sanitaires, sociales et environnementales. Bien entendu, pour réaliser ces changements, il faut admettre que l'Europe ne peut avancer d'un même pas à 27, 28 ou 30 Etats membres, mais qu'il faut d'urgence bâtir une avant-garde de pays euro-volontaires et euro-solidaires. Bref, ce n'est pas en insultant les électeurs du FN et en méprisant sa présidente que les partis républicains réduiront le poids électoral de l'extrême droite : c'est en assumant le débat projet contre projet. A l'examen du réel, la sortie de l'euro et le retour au franc, ce sont les ménages et les entreprises qui paieront l'addition, bien plus rudement encore que ce n'est le cas aujourd'hui.

Nonfiction.fr- Autre mesure phare du programme de Marine Le Pen, atteindre l’objectif de zéro immigré…

Guillaume Bachelay- C’est le totem idéologique du Front National. C'est l'un des invariants idéologiques de l'extrême droite : l'immigré serait le danger. Par exemple, le FN prétend souvent que 400 000 à 500 000 nouveaux immigrés arrivent sur le territoire national chaque année. L’ennui, c’est qu’aucune étude ne confirme ces données. Les organismes publics – l'Insee, l'Ined ou le Secrétariat général du comité interministériel de contrôle de l'immigration –

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établissent à 190 000 titres de séjour délivrés chaque année depuis 2001, moins 45 000 à 60 000 titres délivrés à des étudiants étrangers qui repartent pour l’essentiel dans leur pays d’origine.

Même chose à propos du "coût" de l'immigration. Marine Le Pen l'évalue à 60 milliards d'euros. Pour rédiger notre livre, nous nous sommes penchés sur les travaux de chercheurs de l’université de Lille ("Migration et protection sociale. Etude sur les liens et les impacts de court terme", Rapport au ministère des Affaires Sociales sous la direction de Xavier Chojnicki, Université de Lille, juillet 2010) qui ont évalué ce coût à 47,5 milliard d’euros. Ils détaillent notamment 16,3 milliards d’euros pour les retraites, 2,5 milliards d’aides au logement, 1,7 milliards au titre du RMI, 6,7 milliards d’allocations familiales et 11,5 milliards de prestations santé, enfin 4,2 milliards de dépenses d’éducation. Avec le même souci de la précision, les mêmes chercheurs procèdent à une autre estimation : celle de la contribution des immigrés par leur travail à la solidarité nationale. Etrangement, le Front National n'évoque jamais l'autre colonne du bilan. Et pour cause ! On estime l'apport des immigrés à 3,4 milliards d’euros d’impôts sur le revenu, 3,3 milliards d’impôts sur le patrimoine, 18,3 milliards d’impôts et taxe à la consommation, 2,6 milliards au titre des impôts locaux, 6,2 milliards de CRDS et de CSG et enfin 26,4 milliards d’euros de cotisations sociales. Faites le calcul : le différentiel est supérieur à 10 milliards.

Nonfiction.fr : Autre sujet de société : le nucléaire. Vous dites que Marine Le Pen entretient un flou pragmatique. Expliquez-nous.

Guillaume Bachelay- C'est effectivement le cas. Marine Le Pen, très habilement, dit vouloir "dépasser le nucléaire". Chacun y met ce qu'il veut. Les plus écologistes du parti comprendront stratégie de sortie, fermeture progressive alors que les artisans de l’atome, qui connaissent leurs dialectiques, seront sensibles au fait que "dépasser" ne signifie pas annuler, mais préparer le futur en conservant le passé. Sans jamais se prononcer sur le fond, elle parvient à créer un amalgame et à satisfaire tout le monde. Attention : il ne s'agit pas seulement pour le FN d'essayer de tirer parti de la montée des revendications écologiques dans la société, mais aussi d'opérer une synthèse entre la mouvance "souverainiste", qui est d'abord attachée à la souveraineté de la France et à un productivisme traditionnel, et la tendance "naturaliste" qui exalte la terre ancestrale contre l'urbanisation des villes autant que les technologies industrielles.

Nonfiction.fr : Aujourd’hui, avec Najat Vallaud-Belkacem, vous êtes l'un des seuls à décrypter de manière froide, rigoureuse, le programme du FN. Existe-t-il un risque que Marine Le Pen réalise un score substantiel à la présidentuelle en avril prochain ?

Guillaume Bachelay- Evidemment qu'il y a un risque, mais la présidentielle est une lessiveuse à programmes. Dans la réalité de la confrontation démocratique, les amalgames, les raccourcis, les approximations doivent apparaître pour ce qu'ils sont : un rideau de fumée.

Encore faut-il que les partis républicains soient à la hauteur de leurs responsabilités. Si, entre les deux principaux partis de gouvernement que sont l’UMP et le PS, le débat se résume à "comment faire la rigueur la moins rigoureuse ?", alors Marine Le Pen peut envisager l’échéance de 2012 avec une certaine gourmandise. Si au contraire – comme nous le croyons –, le débat entre le PS et ses alliés d'une part, l'UMP et ses alliés d'autre part se fait projet contre bilan, stratégie de sortie de crise contre plan d'aggravation de la crise, espérance contre peurs, rassemblement contre divisions, progrès contre fatalité, alors le FN aura peu de perturbation car les citoyens se passionneront pour la controverse démocratique. Au fond, que le FN ait une place centrale ou latérale en 2012 reste largement la responsabilité des partis républicains et des citoyens. C'est pourquoi il faut les éclairer

* Propos recueillis par Julien Miro.

* Najat Vallaud-Belkacem et Guillaume Bachelay, Réagissez ! Le Front National de A à Z, Jean-

Claude Gawsewitch

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François Hollande attaque le FN, "ennemi de la République"

TULLE, Corrèze (Reuters) - François Hollande a mis en garde samedi contre la tentation que représente

pour un électorat populaire le vote Front national.

"L'extrême droite a vu le bénéfice qu'elle pouvait tirer du malheur, de l'inquiétude et de l'angoisse dans cette

campagne", a dit le candidat socialiste à l'élection présidentielle lors d'un meeting sur ses terres, à Tulle, en

Corrèze.

"N'oublions jamais cet adversaire-là, cet ennemi de la République", a-t-il ajouté.

"Comment admettre que des ouvriers, des employés qui n'ont aucun intérêt à voter pour un parti qui

a toujours fait le choix de la haine, de l'exclusion et de la stigmatisation, que des électeurs qui

devraient voter à gauche hésitent à le faire aujourd'hui ? C'est notre responsabilité", a dit François

Hollande.