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ARISTOTE LEÇONS DE PHYSIQUE Leçons de Physique. Simplicius nous apprend, dans la préface de son commentaire, que ce titre n'était pas le seul qui fût donné à l'ouvrage d'Aristote. Selon Adraste, dont Simplicius cite le livre sur l'Ordre des oeuvres d'Aristote, on intitulait la Physique de différentes manières. Tantôt on l'appelait : Des principes ; tantôt : Leçons de Physique. Parfois encore ou employait des titres particuliers pour les livres divers. Les cinq premiers réunis étaient intitulés : des Principes ; les trois derniers : Du Mouvement. Ces deux derniers titres sont presque les seuls qui soient cités par Aristote lui-même ; par exemple, dans le Traité du ciel, livre I, chapitre 5, édit. de Berlin, page 272, a, 30 ; ibid. ch. 6, édit. de Berlin, p. 274, a, 21 ; id. livre III, ch. 1, édit. de Berlin, p. 299, a, 40. Aristote parle aussi très souvent dans la Métaphysique de son Traité sur la nature. J'ai préféré le titre de Leçons de Physique à tous les autres, afin de conserver le souvenir de la tradition, au moins en partie, puisqu'en général cet ouvrage est connu sous le nom de Physique d'Aristote Le titre le plus convenable est celui que donnent quelques manuscrits : Des Principes de la nature ; mais ce titre, que Pacius recommande avec raison, n'a pas prévalu. Simplicius, loc. cit., pense que c'est de la Physique qu'il s'agit dans la lettre d'Alexandre, où il reproche à son précepteur d'avoir publié ses doctrines ésotériques. Plutarque, dans sa vie d'Alexandre, croit qu'il s'agit de la Métaphysique. Simplicius, en réfutant Plutarque, ne dit pas sur quelle autorité il s'appuie lui-même. La question reste douteuse ; mais ce qui parait certain c'est que les Leçons de Physique, comme l'indique cette dénomination, appartiennent aux ouvrages d'Aristote qui exigeaient du maître en personne une explication spéciale, pour être bien compris. CHAPITRE V.

ARISTOTE - Physique Livre 1- Chap 5

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DESCRIPTION

La Physique est une sorte d'introduction épistémologique à l'ensemble des ouvrages d'Aristote de science naturelle (un des trois domaines des sciences théorétiques, avec les mathématiques et la philosophie première). Elle est ainsi une réflexion sur la connaissance des réalités naturelles et sur la nature en général.La nature se caractérise pour Aristote principalement par le changement.L'influence de ce que Heidegger disait être « le livre fondamental de la philosophie occidentale » est considérable.

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ARISTOTE

 

LEÇONS DE PHYSIQUE

Leçons de Physique. Simplicius nous apprend, dans la préface de son

commentaire, que ce titre n'était pas le seul qui fût donné à l'ouvrage

d'Aristote. Selon Adraste, dont Simplicius cite le livre sur l'Ordre des oeuvres

d'Aristote, on intitulait la Physique de différentes manières. Tantôt on

l'appelait : Des principes ; tantôt : Leçons de Physique. Parfois encore ou

employait des titres particuliers pour les livres divers. Les cinq premiers réunis

étaient intitulés : des Principes ; les trois derniers : Du Mouvement. Ces deux

derniers titres sont presque les seuls qui soient cités par Aristote lui-même ; par

exemple, dans le Traité du ciel, livre I, chapitre 5, édit. de Berlin, page 272, a,

30 ; ibid. ch. 6, édit. de Berlin, p. 274, a, 21 ; id. livre III, ch. 1, édit. de Berlin, p.

299, a, 40. Aristote parle aussi très souvent dans la Métaphysique de son Traité

sur la nature. J'ai préféré le titre de Leçons de Physique à tous les autres, afin

de conserver le souvenir de la tradition, au moins en partie, puisqu'en général

cet ouvrage est connu sous le nom de Physique d'Aristote Le titre le plus

convenable est celui que donnent quelques manuscrits : Des Principes de la

nature ; mais ce titre, que Pacius recommande avec raison, n'a pas prévalu.

Simplicius, loc. cit., pense que c'est de la Physique qu'il s'agit dans la lettre

d'Alexandre, où il reproche à son précepteur d'avoir publié ses doctrines

ésotériques. Plutarque, dans sa vie d'Alexandre, croit qu'il s'agit de la

Métaphysique. Simplicius, en réfutant Plutarque, ne dit pas sur quelle autorité il

s'appuie lui-même. La question reste douteuse ; mais ce qui parait certain c'est

que les Leçons de Physique, comme l'indique cette dénomination,

appartiennent aux ouvrages d'Aristote qui exigeaient du maître en personne

une explication spéciale, pour être bien compris.

 

CHAPITRE V.

Réfutation de quelques autres systèmes sur l'unité de

l'être : les Physiciens, Platon, Anaximandre, Empédocle.

Réfutation spéciale d'Anaxagore. Il n'est pas possible que

tout soit dans tout ; démonstration de l'absurdité de ce

principe. Autre erreur d'Anaxagore sur la génération des

choses. Empédocle.

§ 1. Pour étudier ce que disent les Physiciens, il faut

distinguer deux systèmes.

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Ch. V, § 1. Les Physiciens, c'est-à-dire les philosophes qui étudient la nature

sans nier, comme Parménide et Mélissus, les principes mêmes de la science en

soutenant l'unité et l'immobilité de l'être. Voir plus haut, ch. 2, §§ 1 et 7. Les

Physiciens, dans un sens plus spécial, sont surtout les philosophes de l'École

d'Ionie.

§ 2. Les uns, trouvant l'unité de l'être dans le corps qui sert

de sujet substantiel aux attributs, ce corps étant pour eux,

soit un des trois éléments, soit tel autre corps, plus grossier

que le feu et plus subtil que l'air, en font sortir tout le reste

des êtres, dont ils reconnaissent la multiplicité, par les

modifications infinies de la condensation et de la

raréfaction, de la densité et de la légèreté. Mais ce sont là

des contraires qui,d'une manière générale, ne sont

qu'excès et défaut, comme le dit Platon en parlant du grand

et du petit. Seulement Platon fait de ces contraires la

matière même, réduisant l'unité de l'être à la simple forme,

tandis que ces physiciens appellent matière le sujet qui est

un, et appellent ]es contraires des différences et des

espèces.

§ 2. L'unité de l'être dans le corps, ce n'est plus l'unité de l'être au sens où

l'entendait l'École d'Élée ; c'est l'unité de l'être dans l'individu, au sens où

l'entend Aristote lui-même. - Des trois éléments, l'eau, l'air ou le feu, personne

n'ayant proposé de regarder la terre comme le principe universel des choses, si

ce n'est peut-être Hésiode ; voir dans la Métaphysique, liv. I, ch. 8, p. 989, a,

10, édition de Berlin. - Dont ils reconnaissent la multiplicité, que niaient

Parménide et Mélissus. - De la densité et de la légèreté, l'élément qu'un prend

pour principe est supposé pouvoir produire tons les êtres selon qu'il se

condense ou se raréfie. - Platon en parlant du grand et du petit, voir le Phédon

de Platon, p. 283 de la traduction de M. V. Cousin. Il est possible aussi que

Platon ait encore truité de ces sujets dans des ouvrages qui ne sont pas

parvenus jusqu'à nous.

§ 3. Quant aux autres physiciens, ils pensent que les

contraires sortent de l'être un qui les renferme, comme le

croient Anaximandre et tous ceux qui admettent à la fois

l'unité et la pluralité des choses, par exemple, Empédocle

et Anaxagore. Car ces deux derniers philosophes font sortir

aussi tout le reste du mélange antérieur ; et la seule

divergence de leurs opinions, c'est que l'un admet le retour

périodique des choses, tandis que l'autre n'y admet qu'un

mouvement unique ; c'est que l'un regarde comme infinies

les parties similaires des choses et les contraires, tandis

que l'autre ne reconnaît pour infinis que ce qu'on appelle

les éléments.

§ 3. Quant aux autres physiciens, c'est le second des deux systèmes dont il a

été parlé plus haut au § 1. - Empédocle et Anaxagore, voir les opinions

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d'Empédocle et d'Anaxagore dans la Métaphysique, livre 1, ch, 3 et p. 849 et

985, édit. de Berlin : et de la Génération et de la corruption, livre 1, ch. 1, p.

314, a, 12, 15. - Du mélange antérieur, j'ai ajouté ce dernier mot. - L'un admet

le retour périodique des choses, voir le traité de la Génération et de la

corruption, livre I, ch, 4, p. 314, édit. de Berlin. C'est le Sphaerus d'Empédocle,

mouvement alternatif d'enveloppement et de développement des choses, idée

tout indienne. - L'autre n'y admet qu'un mouvement unique, c'est Anaxagore

qui attribue à l'intelligence divine le débrouillement du chaos, voir la

Métaphysique, livre 1, ch. 4, page 985, a, 48, édit. de Berlin. - Les parties

similaires, les Homoeomères d'Anaxagore. Voir le traité de la Génération et de

la corruption, livre 1, ch. 1., page 314, édit. de Berlin, et Métaphysique, loc,

laud. - L'autre ne reconnaît comme infinis, c'est Empédocle qui, d'après

Aristote, a été le premier à distinguer les quatre éléments, Métaphysique, livre

1, ch. 3, p. 984, a, 8, édit. de Berlin.

§ 4. Si Anaxagore a compris de cette façon l'infinité de

l'être, c'est, à ce qu'il semble, parce qu'il se rangeait à

l'opinion commune des Physiciens, que rien ne peut venir

du néant ; car c'est par le même motif qu'il soutient que

"tout à l'origine était mêlé et confus" et que "tout

phénomène est un simple changement," comme d'autres

soutiennent encore qu'il n'y a jamais dans les choses que

composition et décomposition.

§ 4. L'opinion commune des Physiciens, voir la Métaphysique livre XI, ch. 6,

page 40 (12,1), 25, édit. de Berlin. - Tout à l'origine était mêlé et confus,

opinion d'Anaxagore qui commençait ainsi un de ses ouvrages. Voir la

Métaphysique. livre 1, ch. 4. p. 984, a, 45, édit. de Berlin, et surtout le

commentaire de Simplicius sur ce passage de la Physique. - Tout phénomène

est un simple changement, voir le traité de la Génération et de la corruption,

livre I, ch. 1, page 344, h, 44, édit. de Berlin. - Composition et décomposition,

c'est le système d'Empédocle, le Sphaerus, d'où sort le monde, et le monde qui

rentre dans le Sphaerus.

§ 5. Anaxagore s'appuie de plus sur ce principe que les

contraires naissent les uns des autres ; donc ils existaient

antérieurement dans le sujet ; car il faut nécessairement

que tout ce qui se produit vienne de l'être ou du néant ; et

s'il est impossible qu'il vienne du néant, axiome sur lequel

tous les physiciens sont unanimement d'accord, reste cette

opinion qu'ils ont dû accepter, à savoir que de toute

nécessité les contraires naissent d'éléments qui existent

déjà et sont dans le sujet, mais qui grâce à leur petitesse

échappent à tous nos sens.

§ 5. Anaxagore s'appuie de plus, le texte n'est pas aussi précis et il ne nomme

pas formellement Anaxagore. - Les contraires naissent les uns des autres, voir

Platon, Phédon, p. 282 et suiv. de la traduction de M. V. Cousin. - Les contraires

naissent d'éléments qui existent déjà : ainsi il y aurait dans le blanc les

éléments du noir, et réciproquement, de même pour tous les autres contraires.

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- Échappent à tous nos sens, alors il est impossible de démontrer la réalité de

ces éléments.

§ 6. Ils soutenaient donc que tout est dans tout, parce qu'ils

voyaient que tout peut naître de tout, et ils prétendaient

que les choses ne paraissent différentes et ne reçoivent des

noms distincts, que d'après l'élément qui domine en elles

par son importance, au milieu du mélange des parties dont

le nombre est infini. Ainsi, jamais le tout n'est purement ni

blanc, ni noir, ni doux, ni chair, ni os ; mais c'est l'élément

prédominant qui est pris pour la nature même de la chose.

§ 6. Que tout est dans tout, la conséquence est rigoureuse ; mais c'est le

principe qui est faux. Voir la Métaphysique. livre III, ch. 5, p. 1009, n, 26, édit.

de Berlin.

§ 7. Cependant, si l'infini, en tant qu'infini, ne peut être

connu, l'infini en nombre et en grandeur étant

incompréhensible dans sa quantité, et l'infini en espèce

l'étant dans sa qualité, il s'ensuit que du moment que les

principes sont infinis en nombre et en espèce, il est

impossible de jamais connaître les combinaisons qu'ils

forment, puisque nous ne croyons connaître un composé

que quand nous savons l'espèce et le nombre de ses

éléments.

§ 7. Si l'infini, objection contre la théorie d'Anaxagore, qui, si elle était exacte,

détruirait la science de la nature, attendu que l'infini soit en nombre et en

grandeur, soit en espèce, échappe à l'esprit de l'homme. - Les principes étant

infinis, selon le système d'Anaxagore.

- Les combinaisons qu'ils forment, et par conséquent la nature qui se compose

des corps ainsi formés. Anaxagore prétendait que les parties similaires sont

infinies en nombre et en espèce, et qu'elles sont les plus petites possibles ; en

d'autres termes, des atomes.

§ 8. De plus, si une chose dont la partie peut être d'une

grandeur ou d'une petitesse quelconque, doit être elle-

même susceptible de ces conditions, j'entends une de ces

parties dans lesquelles se divise le tout ; et s'il est possible

qu'un animal ou une plante soit d'une dimension arbitraire

en grandeur ou en petitesse, il n'est pas moins clair

qu'aucune de ses parties non plus ne peut être d'une

grandeur quelconque, puisqu'alors le tout en serait

également susceptible. Or, la chair, les os et les autres

matières analogues sont des parties de l'animal, comme les

fruits le sont des plantes ; et il est parfaitement évident

qu'il est de toute impossibilité que la chair, l'os ou telle

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autre partie aient une grandeur quelconque

indifféremment, soit en plus soit en moins.

§ 8. Susceptible de ces conditions, c'est-à-dire indéfiniment grande ou petite,

comme les parties mêmes qui la composent. - Soient d'une grandeur

quelconque, et par conséquent Anaxagore a eu tort de dire que tes parties

similaires étaient les plus petites possibles ; car les parties intégrantes d'un

être, quel qu'il soit, ont une dimension précise, puisque l’être lui-même est

limité dans son développement, et qu'il ne peut être ni indéfiniment grand, ni

indéfiniment petit.

§ 9. En outre, si toutes les choses, telles qu'elles sont,

existent les unes dans les autres et si elles ne peuvent

jamais naître, ne faisant que se séparer du sujet où elles

sont antérieurement, et étant dénommées d'après ce qui

domine en elles, alors tout peut naître de tout

indistinctement ; l'eau provient de la chair, d'où elle se

sépare ; ou la chair provient de l'eau indifféremment. Mais

alors tout corps fini est épuisé par le corps fini qu'on en

retranche, et l'on voit sans peine qu'il n'est pas possible

que tout soit dans tout ; car si de l'eau on retire de la chair,

et que d'autre chair sorte encore du résidu, par voie de

séparation, quelque petite que soit de plus en plus la chair

ainsi tirée de l'eau, elle ne peut jamais, par sa ténuité,

dépasser une certaine quantité appréciable. Par

conséquent, si la décomposition s'arrête à un degré précis,

c'est que tout n'est pas dans tout, puisqu'il n'y a plus de

chair dans ce qui reste d'eau ; et si la décomposition ne

s'arrête pas, et qu'il y ait séparation perpétuelle, dès lors il

y aura dans une grandeur finie des parties finies et égales

entr'elles qui seront en nombre infini ; et c'est là une chose

impossible.

§ 9. Existent les unes dans les autres, c'est une des opinions prêtées plus haut à

Anaxagore, §§ à et 5. - Tout corps fini est épuisé, l'exemple qui suit éclaircit

suffisamment cette idée qui dans le texte n'est pas plus précise que dans ma

traduction. - Qu'on en retranche, j'ai cru devoir ajouter ces mots que justifie le

contexte. - Et c'est là une chose impossible, conséquence absurde, qui implique

la fausseté du principe admis par Anaxagore, que tout est dans tout.

§ 10. J'ajoute que, quand on enlève quelque chose à un

corps quelconque, ce corps entier devient nécessairement

plus petit. Or, la quantité de la chair est limitée soit en

grandeur soit en petitesse. Ainsi, évidemment, de la

quantité la plus petite possible de la chair, on ne pourra

plus séparer aucun corps ; car, alors, il serait moindre que

la quantité la plus petite possible.

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§ 10. J'ajoute, ce nouvel argument contre Anaxagore est en quelque sorte la

contre-partie de celui qui précède ; et il n'en diffère que très peu. L'auteur vient

de prouver qu'en admettant la prétendue analyse des corps sortant les uns des

autres il y a une limite nécessaire; car cette réduction successive d'un corps fini

doit l'anéantir ; maintenant il prouve que les éléments intégrants des corps

ayant également une limite, il arrivera nécessairement un point de ténuité d'où

l'on ne pourra plus rien retrancher. - Moindre que la quantité la plus petite

possible, ce qui est une hypothèse contradictoire.

§ 11. D'autre part, il y aurait déjà, dans les corps supposés

infinis, une chair infinie, du sang et du cerveau en quantité

infinie, éléments séparés tous les uns des autres, mais qui

n'en existent pas moins cependant, et chacun d'eux serait

infini ; ce qui est dénué de toute raison.

§ 11. D'autre part, autre argument coutre la théorie d'Anaxagore, que tout est

dans tout. D'après ce principe, on arrive à cette conséquence que, dans chaque

corps réputé infini, il y a une infinité d'autres corps infinis qui sont eux-mêmes

infinis. Ce que la raison ne peut comprendre.

§ 12. Prétendre que jamais la séparation des éléments ne

sera complète, c'est soutenir une idée dont peut-être on ne

se rend pas bien compte, mais qui, au fond, n'en est pas

moins juste. En effet, les qualités affectives des choses en

sont inséparables. Si donc les couleurs et les propriétés des

êtres, étaient primitivement mêlées à ces êtres, du moment

qu'on les aura séparées, il y aura quelque qualité, par

exemple, le blanc ou le salubre, qui ne sera absolument que

salubre ou blanc, et qui ne pourra plus même alors être

l'attribut d'aucun sujet. Mais l'Intelligence supposée par

Anaxagore tombe dans l'absurde quand elle prétend

réaliser des choses impossibles, et quand elle veut, par

exemple, séparer les choses, lorsqu'il est de toute

impossibilité de le faire, soit en quantité soit en qualité ; en

quantité, parce qu'il n'y a pas de grandeur plus petite ; en

qualité, parce que les affections des choses en sont

inséparables.

§ 12. Que jamais la séparation des éléments ne sera complète, l'expression est

moins précise dans le texte ; mais je suppose que ceci fait allusion à

l'intervention de l'intelligence divine ordonnant les éléments du chaos, comme

Anaxagore le pensait. La séparation des choses sera sans terme, puisque les

éléments eux-mêmes sont infinis. Aristote admet que cette théorie est vraie ;

mais il croit qu'Anaxagore ne l'a pas bien comprise, attendu qu'elle s'applique à

un tout autre sujet, c'est-à-dire aux qualités affectives des choses, qui en effet

n'en sont jamais séparables. - Par exemple, le blanc et le salubre, le texte n'est

pas tout à fait aussi précis. Le blanc représente les couleurs en général ; le

salubre représente les propriétés. - Qui ne sera absolument que blanc et

salubre, c'est-à-dire qui ne sera rien, puisque les qualités des choses ne

peuvent pas exister indépendamment de ces choses, et que l'attribut n'a

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d'existence que dans son sujet. - L'Intelligence, c'est de l'intelligence divine qu'il

s'agit, ordonnatrice du chaos selon Anaxagore. - Supposée par Anaxagore, j'ai

cru pouvoir ajouter ces mots. - Parce qu'il n'y a pas de grandeur plus petite, voir

plus haut § 10. - Parce que les affections des choses en sont inséparables,

principe posé au début de ce § même.

§ 13. Enfin, Anaxagore n'explique pas bien la génération

des choses en la tirant de ses espèces similaires. En un

sens, il est bien vrai que la boue se divise en d'autres boues

; mais, en un autre sens, elle ne s'y divise pas ; et si l'on

peut dire que les murs viennent de la maison et la maison

des murs, ce n'est pas du tout de la même manière qu'on

peut dire que l'air et l'eau sortent et viennent l'un de

l'autre.

§ 13. De ces espèces similaires, le texte dit espèces, et non plus parties, comme

plus haut. - La boue se divise en d'autres boues, quand la boue est formée, les

parties dans lesquelles on la divise sont bien encore de la boue ; mais si l'on

veut remonter à ses éléments primitifs, elle se divisera en eau et en terre,

éléments qui ont servi tous deux à la composer. On peut trouver d'ailleurs que

cet exemple de la boue est assez mal choisi. - Les murs viennent de la maison,

c'est-à-dire qu'ils sont les parties du tout que forme la maison. - Et la maison

des murs, c'est-à-dire que la maison est composée par les murs qui la forment.

Il y a donc entre la maison et les murs les rapports de parties et de tout, tandis

qu'entre l'air et l'eau, il y aurait selon Anaxagore, rapport de véritable

génération.

§ 14. Il vaudrait mieux admettre des principes moins

nombreux et finis, comme l'a fait Empédocle.

§ 14. Comme l'a fait Empédocle, ceci ne veut pas dire d'ailleurs qu'Aristote

préfère Empédocle à Anaxagore, pour lequel il a exprimé la plus haute

admiration clans le premier livre de la Métaphysique, ch, 4,p. 984, h, 17, édit.

de Berlin. Cette longue réfutation prouve même tout le cas qu'il en fait.