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LEÇONS DE PHYSIQUE LIVRE II DE LA NATURE. CHAPITRE VI. Suite de la théorie du hasard ; comparaison du hasard et du fortuit, qui se produit spontanément ; différence du spontané et du hasard ; l'idée de hasard implique toujours l'idée de liberté ; opinion ridicule de Protarque sur les pierres des autels ; l'idée du spontané exclut au contraire l'idée de réflexion et de libre arbitre. - Des choses faites en vain. - Le hasard et le spontané font tous deux partie des causes motrices ; mais ce sont des causes postérieure. L'Intelligence et la nature sont les causes supérieures de tout l'univers. § 1. Ainsi que je l'ai dit plus haut, le hasard et le spontané, c'est-à-dire ce qui se produit de soi-même, sont tous deux des causes indirectes et accidentelles, dans les choses qui ne peuvent être ni absolument toujours, ni dans la majorité des cas, et parmi ces choses, dans celles qu'on peut regarder comme se produisant en vue d'une certaine fin. Ch. VI, § 1. Ainsi que je l'ai dit plus haut, voir le chapitre précédent § 5. - Indirectes et accidentelles, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Comme se produisant en vue d'une certaine fin, et qui sont faites par conséquent soit par l'intelligence de l'homme, soit par la nature. Voir tout le chapitre précédent. § 2. La différence entre le hasard et le spontané, c'est que le spontané, ou ce qui arrive de soi- même, est plus compréhensif que le hasard, attendu que tout hasard est du spontané, tandis que tout spontané n'est pas du hasard.

ARISTOTE - Physique Livre 2 - Chap 6

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La Physique est une sorte d'introduction épistémologique à l'ensemble des ouvrages d'Aristote de science naturelle (un des trois domaines des sciences théorétiques, avec les mathématiques et la philosophie première). Elle est ainsi une réflexion sur la connaissance des réalités naturelles et sur la nature en général.La nature se caractérise pour Aristote principalement par le changement.L'influence de ce que Heidegger disait être « le livre fondamental de la philosophie occidentale » est considérable.

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LEÇONS DE PHYSIQUE

LIVRE II

DE LA NATURE.

CHAPITRE VI.

Suite de la théorie du hasard ; comparaison du hasard et du fortuit, qui se

produit spontanément ; différence du spontané et du hasard ; l'idée de hasard

implique toujours l'idée de liberté ; opinion ridicule de Protarque sur les pierres

des autels ; l'idée du spontané exclut au contraire l'idée de réflexion et de libre

arbitre. - Des choses faites en vain. - Le hasard et le spontané font tous deux

partie des causes motrices ; mais ce sont des causes postérieure. L'Intelligence

et la nature sont les causes supérieures de tout l'univers.

§ 1. Ainsi que je l'ai dit plus haut, le hasard et le spontané,

c'est-à-dire ce qui se produit de soi-même, sont tous deux

des causes indirectes et accidentelles, dans les choses qui

ne peuvent être ni absolument toujours, ni dans la majorité

des cas, et parmi ces choses, dans celles qu'on peut

regarder comme se produisant en vue d'une certaine fin.

Ch. VI, § 1. Ainsi que je l'ai dit plus haut, voir le chapitre précédent § 5. - Indirectes et accidentelles, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Comme se produisant en vue d'une certaine fin, et qui sont faites par conséquent soit par l'intelligence de l'homme, soit par la nature. Voir tout le chapitre précédent.

§ 2. La différence entre le hasard et le spontané, c'est que

le spontané, ou ce qui arrive de soi-même, est plus

compréhensif que le hasard, attendu que tout hasard est du

spontané, tandis que tout spontané n'est pas du hasard.

§ 2. La différence, plus haut ch. 5, § 5, Aristote avait promis d'expliquer la différence du hasard et du spontané. - Le spontané, ou ce qui arrive de soi-même, j'ai cru devoir paraphraser le mot grec d'après son étymologie, qui n'est pas d'ailleurs celle qui sera donnée plus bas, § 8. - Est plus compréhensif que le hasard, le hasard s'applique surtout aux choses de l'intelligence ; le spontané s'applique aux choses de la nature, aux brutes et aux choses inanimées, comme il est dit un peu plus bas.

§ 3. En effet, le hasard et tout ce qui est de hasard n'est

jamais rapporté qu'aux êtres qui peuvent avoir aussi un

hasard heureux, du bonheur, et d'une manière générale,

une activité. C'est là ce qui fait encore que nécessairement

le hasard ou la fortune ne peut concerner que les choses où

l'activité est possible ; et ce qui le prouve, c'est que la

prospérité se confond avec le bonheur, ou du moins s'en

rapproche beaucoup ; et que le bonheur est en effet une

activité d'un certain genre, puisque c'est une activité qui

réussit et fait bien. J'en conclus que les êtres auxquels il

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n'est pas permis d'agir, ne peuvent rien faire non plus qui

soit attribuable au hasard.

§ 3. Le hasard.... un hasard heureux, je n'ai pas pu rendre mieux en notre langue les deux expressions du texte, dont l'une n'est qu'un composé de l'autre. Ce rapprochement et cette corrélation ne sont pas possibles en français; et il n'y aurait guère que les mots de Chance et de Chanceux qui eussent un rapport analogue. - Une activité, il faut voir dans la Morale à Nicomaque, Livre I, ch. 4, 5 et 6, p. 30 et suiv. de ma traduction, tome I. ce qu'Aristote entend spécialement par l'activité ; c'est uniquement l'activité de la pensée ; voir aussi Morale à Nicomaque, Livre 1, ch. I, § 2, et la Politique, Livre I, ch. 2, §§ 5 et 6. - Le hasard ou la fortune, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Où l'activité est possible, entendez l'activité morale et intellectuelle. - La prospérité, ce mot en grec est formé du même radical que le mot hasard. La fortune a parfois dans notre langue ce double sens. - Une activité qui réussit et fait bien, voir la Morale a Nicomaque, Livre 1, ch. 6, § 4, p. 35 de ma traduction. - D'agir, moralement.

§ 4. C'est pour cela que ni l'être inanimé, ni la brute, ni

même l'enfant, ne font rien qu'on puisse qualifier de

hasard, parce qu'ils n'ont pas de préférence libre et

réfléchie dans leurs actes. Quand donc on parle pour ces

êtres de bonheur et de malheur, ce n'est que par une

simple assimilation, tout comme Protarque prétendait que

les pierres qui entrent dans la construction des autels, sont

heureuses parce qu'on les adore, tandis que d'autres

pierres de la même nature qu'elles, sont foulées aux pieds.

§ 4 Ni la brute, ni même l'enfant, voir la Morale à Nicomaque, Livre III, ch. 3, § 2, p. 13 de ma traduction. - Protarque, on ne sait quel est cet auteur. L'opinion qu'on lui prête ici est assez ridicule.

§ 5. Mais il se peut que les êtres que nous venons de

nommer souffrent par hasard de certaine façon, quand on

fait quelqu'acte qui les concerne et qu'on le fait par hasard ;

mais autrement ce n'est pas possible.

§ 5. Les êtres que nous venons de nommer, les choses inanimées, les brutes et même les enfants. - Souffrent par hasard, tandis qu'il vient d'être démontré un peu plus haut qu'ils ne peuvent agir. Il semble d'ailleurs que ce complément de la pensée n'était pas très nécessaire.

§ 6. Quant au spontané, qui se produit de lui seul, on le

trouve à la fois dans des animaux autres que l'homme, et

même dans la plupart des êtres inanimés. Par exemple, un

cheval s'est mis de lui-même en marche spontanément, ce

mouvement lui a bien sauvé la vie ; mais il ne l'avait pas

fait en vue de son salut. Autre exemple ; le trépied est

tombé fortuitement et de lui-même ; dans sa chute, il s'est

placé de manière qu'on pût s'asseoir dessus ; mais le

trépied n'est pas tombé pour offrir un siège à quelqu'un.

§ 6. Qui se produit de lui seul, paraphrase du mot précédent que j'ai cru devoir ajouter pour plus de clarté. - Dans des animaux autres que l'homme, tandis que le hasard ne s'applique qu'aux actes de l'homme. Voir plus haut, § 2. - De lui-même et spontanément, il n'y a qu'un seul mot dans le

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texte. - Autre exemple, après l'exemple d'un animal, vient l'exemple d'une chose inanimée. - Fortuitement, ce mot équivaut, du moins dans ce passage, à Spontanément.

§ 7. Il est donc évident que, dans les choses qui arrivent en

général en vue de quelque fin, quand une chose dont la

cause est extérieure arrive sans que ce soit pour l'effet

même qui se produit, on dit que cette chose se produit

spontanément et d'elle-même. On dirait au contraire que

c'est du hasard, si c'était de ces choses qui se produisent

fortuitement dans les actes libres des êtres qui sont donnés

de libre arbitre.

§ 7. En général, le texte dit : Absolument. - Dont la cause est extérieure, voir plus loin, § 9 - Spontanément et d'elle-même, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Fortuitement, le texte répète ici le mot de Spontanément. - Dans les actes libres... doués de libre arbitre, une répétition analogue se trouve dans le texte.

§ 8. La preuve, c'est qu'on dit qu'une chose est faite en

vain, quand le résultat en vue duquel ou agissait ne se

produit pas, mais que se produit seulement la chose faite

en vue de ce résultat. Par exemple, on se promène pour se

relâcher le ventre ; mais si le relâchement de ventre ne suit

pas la promenade, on dit que l'on s'est promené en vain et

que la promenade a été vaine. C'est ainsi que l'on dit

qu'une chose a été faite eu vain, quand, faite naturellement

pour une autre, elle n'accomplit pas l'objet qu'elle avait

pour fin, et pour lequel la nature l'avait faite. Ce serait un

non sens ridicule de dire qu'on s'est baigné en vain, parce

qu'il n'a point eu d'éclipse de soleil ; puisqu'en effet le bain

n'a pas été pris en vue de l'éclipse de soleil qui a manqué.

Ainsi, comme l'indique l'étymologie même du mot en grec,

on dit d'une chose qu'elle est spontanée, et est arrivée de

soi-même, quand cette chose même a été vaine ; et, par

exemple, la pierre est tombée sans que ce fût pour donner

un coup à quelqu'un ; elle est donc, en ce cas, tombée

spontanément et fortuitement, puisqu'elle pourrait aussi

tomber par la volonté formelle de quelqu'un qui aurait

l'intention de porter un coup à une autre personne.

§ 8. Qu'une chose a été faite en vain, il y a ici dans le grec une sorte de jeu de mots étymologique qui ne peut se rendre dans notre langue. En grec le mot Spontané se dit Automaton, et le mot En vain se dit Matên. Aristote dérive le mot Automaton du pronom Auto et de l'adverbe Matên. Mais cette étymologie ne paraît pas très acceptable ; et l'on ne peut pas dire qu'un fuit spontané, au sens où on l'entend ici, soit réellement une chose faite en vain ; car une chose ne peut être vaine qu'autant qu'elle a manqué le but qu'on se proposait ; et ici on ne se propose aucun but. C'est du reste ce qui est dit dans le texte, du moins en partie. - Comme l'indique l'étymologie même, l'expression du texte est nécessairement un peu plus générale. - Spontanée et

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est arrivée de soi-même, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Spontanément et fortuitement, même observation.

§ 9. C'est surtout dans les choses qui se produisent par le

fait seul de la nature, qu'on peut distinguer et séparer le

hasard du spontané. Quand un phénomène a lieu contre les

lois naturelles, nous disons qu'il est spontané bien plutôt

que nous ne disons que c'est un hasard ; car il y a cette

différence que la cause est intérieure pour l'un, et toute

externe pour l'autre.

§ 9. Par le fait seul de la nature, d'après tout ce qui précède, c'est surtout aux faits purement naturels que semble s'appliquer le spontané. - Contre les lois naturelles, par exemple quand il se produit des monstres. - Nous disons qu'il est spontané, dans notre langue et suivant l'expression vulgaire, nous disons plutôt que c'est un effet du hasard. - La cause est intérieure pour l'un, j'aurais peut-être dû préciser plus que ne le fait le texte, qui se borne à dire, sans désignation spéciale, que la cause de l'un est intérieure et celle de l'autre extérieure. On devrait sans doute appliquer la cause extérieure au spontané, d'après ce qui est dit dans le § 7, un peu plus haut ; mais en général, au contraire, les commentateurs ont attribué la cause intérieure au spontané, ce qui semble en effet plus rationnel.

§ 10. On doit voir par ce qui vient d'être dit ce qu'on entend

par le hasard et le spontané ; on doit voir, en outre, les

différences de l'un et de l'autre.

§ 10. Les différences, voir plus haut, ch. 5, § 5.

§ 11. Quant à leur mode d'action comme causes, tous deux

doivent être également classés parmi les causes d'où vient

le principe du mouvement ; car ils sont causes de choses

qui sont dans la nature ou qui viennent de l'Intelligence ;

mais le nombre des phénomènes est indéterminé.

§ 11. Quant à leur mode d'action, voir plus haut, ch. s, §§ 10 et 11. - D'où vient le principe du mouvement, causes motrices ou efficientes ; voir id., ibid. - Indéterminé, voir plus haut, ch. 5, § 10.

§ 12. D'autre part, comme le hasard et le spontané sont

causes de choses que l'Intelligence ou la nature pourrait

produire, à savoir toutes les fois que l'Intelligence et la

nature produisent quelque chose accidentellement ; et

comme ce qui est accidentel ne peut être antérieur aux

choses en soi, il est clair que jamais non plus la cause

accidentelle n'est antérieure à la cause essentielle. Donc, le

hasard et le spontané ne viennent qu'après l'Intelligence et

la nature, du telle sorte que si le spontané était à toute

force la cause du ciel, il n'en faudrait pas moins

nécessairement que l'Intelligence et la nature fussent les

causes antérieures de bien d'autres choses, et les causes

de tout cet univers.

§ 12. Accidentellement, voir plus haut, ch. 5, § 5. - Antérieur aux choses en soi, voir plus haut, ch. 3, § 14, et Livre 1, ch. 10, § 8. - Accidentelle ou indirecte, il n'y a toujours qu'un

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seul mot dans le texte. - A toute force, j'ai cru pouvoir risquer cette expression qui rend bien celle du texte grec. - La cause du ciel, c'est le système de Démocrite qui est critiqué ici. - L'intelligence et la nature, grande et exacte théorie, qui est la conséquence de celles d'Anaxagore et de Platon. Pour cette réfutation du matérialisme, il faut lire le dixième Livre des Lois, p. 221 et suiv.