article fondation de Turgot

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S. f. (Arch.) ce mot dans son sens primitif, s'applique à la construction de cette partie des édifices qui leur sert de base ou de fondement, & qui est plus ou moins enfoncée au-dessous du sol, suivant la hauteur de l'édifice, ou la solidité du terrein. Quoique le mot de fondation, suivant l'analogie grammaticale, ne doive signifier que l'action de poser les fondemens d'un édifice, il a cependant passé en usage parmi les Architectes & les Maçons, de donner le nom de fondations aux fondemens eux-mêmes : ainsi l'on dit, ce bâtiment a douze piés de fondation. Malgré cet usage, je crois qu'on doit préférer en écrivant le mot de fondement, plus conforme à l'analogie. Voyez FONDEMENT. (Architect.)FONDATION, (Politique & Droit naturel) Les mots fonder, fondement, fondation, s'appliquent à tout établissement durable & permanent, par une métaphore bien naturelle, puisque le nom même d'établissement est appuyé précisément sur la même métaphore. Dans ce sens on dit, la fondation d'un empire, d'une république. Mais nous ne parlerons point dans cet article de ces grands objets : ce que nous pourrions en dire, tient aux principes primitifs du Droit politique, à la premiere institution des gouvernemens parmi les hommes. Voyez GOUVERNEMENT, CONQUETE, & LEGISLATION. On dit aussi fonder une secte. Voyez SECTE. Enfin on dit fonder une académie, un collége, un hôpital, un couvent, des messes, des prix à distribuer, des jeux publics, &c. Fonder dans ce sens, c'est assigner un fond ou une somme d'argent, pour être employée à perpétuité à remplir l'objet que le fondateur s'est proposé, soit que cet objet regarde le culte divin ou l'utilité publique, soit qu'il se borne à satisfaire la vanité du fondateur, motif souvent l'unique véritable, lors même que les deux autres lui servent de voile.Les formalités nécessaires pour transporter à des personnes chargées de remplir les intentions du fondateur la propriété ou l'usage des fonds que celui-ci y a destinés ; les précautions à prendre pour assûrer l'exécution perpétuelle de l'engagement contracté par ces personnes ; les dédommagemens dûs à ceux que ce transport de propriété peut intéresser, comme, par exemple, au suzerain privé pour jamais des droits qu'il percevoit sur le fond donné à chaque mutation de propriétaire ; les bornes que la politique a sagement voulu mettre à l'excessive multiplication de ces libéralités indiscrettes ; enfin différentes circonstances essentielles ou accessoires aux fondations, ont donné lieu à différentes lois, dont le détail n'appartient point à cet article, & sur lesquelles nous renvoyons aux articles FONDATION, (Jurispr.) MAIN-MORTE, AMORTISSEMENT, &c. Notre but n'est dans celui-ci que d'examiner l'utilité des fondations en général par rapport au bien public, ou plûtôt d'en montrer les inconvéniens : puissent les considérations suivantes concourir avec l'esprit philosophique du siecle, à dégoûter des fondations nouvelles, & à détruire un reste de respect superstitieux pour les anciennes !1°. Un fondateur est un homme qui veut éterniser l'effet de ses volontés : or quand on lui supposeroit toûjours les intentions les plus pures, combien n'a-t-on pas de raisons de se défier de ses lumieres ? combien n'est-il pas aisé de faire le mal en voulant faire le bien ? Prévoir avec certitude si un établissement produira l'effet qu'on s'en est promis, & n'en aura pas un tout contraire ; démêler à-travers l'illusion d'un bien prochain & apparent, les maux réels qu'un long enchaînement de causes ignorées amenera à sa suite ; connoître les véritables plaies de la société, remonter à leurs causes ; distinguer les remedes des palliatifs ; se défendre enfin des prestiges de la séduction ; porter un regard sévere & tranquille sur un projet au milieu de cet atmosphere de gloire, dont les éloges d'un public aveugle & notre propre enthousiasme nous le montrent environné : ce seroit l'effort du plus profond génie, & peut-être la politique n'est-elle pas encore assez avancée de nos j

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S. f. (Arch.) ce mot dans son sens primitif, s'applique la construction de cette partie des difices qui leur sert de base ou de fondement, & qui est plus ou moins enfonce au-dessous du sol, suivant la hauteur de l'difice, ou la solidit du terrein. Quoique le mot de fondation, suivant l'analogie grammaticale, ne doive signifier que l'action de poser les fondemens d'un difice, il a cependant pass en usage parmi les Architectes & les Maons, de donner le nom de fondations aux fondemens eux-mmes : ainsi l'on dit, ce btiment a douze pis de fondation. Malgr cet usage, je crois qu'on doit prfrer en crivant le mot de fondement, plus conforme l'analogie. Voyez FONDEMENT. (Architect.) FONDATION, (Politique & Droit naturel) Les mots fonder, fondement, fondation, s'appliquent tout tablissement durable & permanent, par une mtaphore bien naturelle, puisque le nom mme d'tablissement est appuy prcisment sur la mme mtaphore. Dans ce sens on dit, la fondation d'un empire, d'une rpublique. Mais nous ne parlerons point dans cet article de ces grands objets : ce que nous pourrions en dire, tient aux principes primitifs du Droit politique, la premiere institution des gouvernemens parmi les hommes. Voyez GOUVERNEMENT, CONQUETE, & LEGISLATION. On dit aussi fonder une secte. Voyez SECTE. Enfin on dit fonder une acadmie, un collge, un hpital, un couvent, des messes, des prix distribuer, des jeux publics, &c. Fonder dans ce sens, c'est assigner un fond ou une somme d'argent, pour tre employe perptuit remplir l'objet que le fondateur s'est propos, soit que cet objet regarde le culte divin ou l'utilit publique, soit qu'il se borne satisfaire la vanit du fondateur, motif souvent l'unique vritable, lors mme que les deux autres lui servent de voile. Les formalits ncessaires pour transporter des personnes charges de remplir les intentions du fondateur la proprit ou l'usage des fonds que celui-ci y a destins ; les prcautions prendre pour assrer l'excution perptuelle de l'engagement contract par ces personnes ; les ddommagemens ds ceux que ce transport de proprit peut intresser, comme, par exemple, au suzerain priv pour jamais des droits qu'il percevoit sur le fond donn chaque mutation de propritaire ; les bornes que la politique a sagement voulu mettre l'excessive multiplication de ces libralits indiscrettes ; enfin diffrentes circonstances essentielles ou accessoires aux fondations, ont donn lieu diffrentes lois, dont le dtail n'appartient point cet article, & sur lesquelles nous renvoyons aux articles FONDATION, (Jurispr.) MAIN-MORTE, AMORTISSEMENT, &c. Notre but n'est dans celui-ci que d'examiner l'utilit des fondations en gnral par rapport au bien public, ou pltt d'en montrer les inconvniens : puissent les considrations suivantes concourir avec l'esprit philosophique du siecle, dgoter des fondations nouvelles, & dtruire un reste de respect superstitieux pour les anciennes ! 1. Un fondateur est un homme qui veut terniser l'effet de ses volonts : or quand on lui supposeroit tojours les intentions les plus pures, combien n'a-t-on pas de raisons de se dfier de ses lumieres ? combien n'est-il pas ais de faire le mal en voulant faire le bien ? Prvoir avec certitude si un tablissement produira l'effet qu'on s'en est promis, & n'en aura pas un tout contraire ; dmler -travers l'illusion d'un bien prochain & apparent, les maux rels qu'un long enchanement de causes ignores amenera sa suite ; connotre les vritables plaies de la socit, remonter leurs causes ; distinguer les remedes des palliatifs ; se dfendre enfin des prestiges de la sduction ; porter un regard svere & tranquille sur un projet au milieu de cet atmosphere de gloire, dont les loges d'un public aveugle & notre propre enthousiasme nous le montrent environn : ce seroit l'effort du plus profond gnie, & peut-tre la politique n'est-elle pas encore assez avance de nos jours pour y russir. Souvent on prsentera quelques particuliers des secours contre un mal dont la cause est gnrale ; & quelquefois le remede mme qu'on voudra opposer l'effet, augmentera l'influence de la cause. Nous avons un exemple frappant de cette espece de mal-adresse, dans

quelques maisons destines servir d'asyle aux femmes repenties. Il faut faire preuve de dbauche pour y entrer. Je sais bien que cette prcaution a d tre imagine pour empcher que la fondation ne soit dtourne d'autres objets : mais cela seul ne prouve-t-il pas que ce n'toit pas par de pareils tablissemens trangers aux vritables causes du libertinage, qu'il falloit le combattre ? Ce que je dis du libertinage, est vrai de la pauvret. Le pauvre a des droits incontestables sur l'abondance du riche ; l'humanit, la religion nous font galement un devoir de soulager nos semblables dans le malheur : c'est pour accomplir ces devoirs indispensables, que tant d'tablissemens de charit ont t levs dans le monde chrtien pour soulager des besoins de toute espece ; que des pauvres sans nombre sont rassembls dans des hpitaux, nourris la porte des couvens par des distributions journalieres. Qu'est-il arriv ? c'est que prcisment dans les pays o ces ressources gratuites sont les plus abondantes, comme en Espagne & dans quelques parties de l'Italie, la misere est plus commune & plus gnrale qu'ailleurs. La raison en est bien simple, & mille voyageurs l'ont remarque. Faire vivre gratuitement un grand nombre d'hommes, c'est soudoyer l'oisivet & tous les desordres qui en sont la suite ; c'est rendre la condition du fainant prfrable celle de l'homme qui travaille ; c'est par consquent diminuer pour l'tat la somme du travail & des productions de la terre, dont une partie devient ncessairement inculte : de-l les disettes frquentes, l'augmentation de la misere, & la dpopulation qui en est la suite ; la race des citoyens industrieux est remplace par une populace vile, compose de mendians vagabonds & livrs toutes sortes de crimes. Pour sentir l'abus de ces aumnes mal diriges, qu'on suppose un tat si bien administr, qu'il ne s'y trouve aucun pauvre (chose possible sans-doute, pour tout tat qui a des colonies peupler, voy. MENDICITE) ; l'tablissement d'un secours gratuit pour un certain nombre d'hommes y creroit tout-aussi-tt des pauvres, c'est--dire donneroit autant d'hommes un intrt de le devenir, en abandonnant leurs occupations : d'o rsulteroient un vuide dans le travail & la richesse de l'tat, une augmentation du poids des charges publiques sur la tte de l'homme industrieux, & tous les desordres que nous remarquons dans la constitution prsente des socits. C'est ainsi que les vertus les plus pures peuvent tromper ceux qui se livrent sans prcaution tout ce qu'elles leur inspirent : mais si des desseins pieux & respectables dmentent toutes les esprances qu'on en avoit cones, que faudra-til penser de toutes ces fondations qui n'ont eu de motif & d'objet vritable que la satisfaction d'une vanit frivole, & qui sont sans-doute les plus nombreux ? Je ne craindrai point de dire que si on comparoit les avantages & les inconvniens de toutes les fondations qui existent aujourd'hui en Europe, il n'y en auroit peuttre pas une qui sotint l'examen d'une politique claire. 2. Mais de quelque utilit que puisse tre une fondation, elle porte dans ellemme un vice irremdiable, & qu'elle tient de sa nature, l'impossibilit d'en maintenir l'excution. Les fondateurs s'abusent bien grossierement, s'ils imaginent que leur zele se communiquera de siecle en siecle aux personnes charges d'en perptuer les effets. Quand elles en auroient t animes quelque tems, il n'est point de corps qui n'ait la longue perdu l'esprit de sa premiere origine. Il n'est point de sentiment qui ne s'amortisse par l'habitude mme & la familiarit avec les objets qui l'excitent. Quels mouvemens confus d'horreur, de tristesse, d'attendrissement sur l'humanit, de piti pour les malheureux qui souffrent, n'prouve pas tout homme qui entre pour la premiere fois dans une salle d'hpital ! Eh bien qu'il ouvre les yeux & qu'il voye : dans ce lieu mme, au milieu de toutes les miseres humaines rassembles, les ministres destins les secourir se promenent d'un air inattentif & distrait ; ils vont machinalement & sans intrt distribuer de malade en malade des alimens & des remedes prescrits quelquefois avec une ngligence meurtriere ; leur ame se prte des conversations indiffrentes, & peut-tre aux ides les plus gaies & les plus folles ; la vanit, l'envie, la haine, toutes les passions, regnent-l comme ailleurs, s'occupent de leur objet, le poursuivent ; & les gmissemens, les cris aigus de la douleur ne

les dtournent pas davantage, que le murmure d'un ruisseau n'interromproit une conversation anime. On a peine le concevoir ; mais on a v le mme lit tre la-fois le lit de la mort & le lit de la dbauche. Voyez HOPITAL. Tels sont les effets de l'habitude par rapport aux objets les plus capables d'mouvoir le coeur humain. Voil pourquoi aucun enthousiasme ne se sotient ; & comment sans enthousiasme, les ministres de la fondation la rempliront-ils tojours avec la mme exactitude ? Quel intrt balancera en eux la paresse, ce poids attach la nature humaine, qui tend sans-cesse nous retenir dans l'inaction ! Les prcautions mme que le fondateur a prises pour leur assrer un revenu constant, les dispensent de le mriter. Fondera-t-il des surveillans, des inspecteurs, pour faire excuter les conditions de la fondation ? Il en sera de ces inspecteurs comme de tous ceux qu'on tablit pour maintenir quelque regle que ce soit. Si l'obstacle qui s'oppose l'excution de la regle vient de la paresse, la mme paresse les empchera d'y veiller ; si c'est un intrt pcuniaire, ils pourront aisment en partager le profit. Voyez INSPECTEURS. Les surveillans eux-mmes auroient donc besoin d'tre surveills, & o s'arrteroit cette progression ridicule ? il est vrai qu'on a oblig les chanoines tre assidus aux offices, en rduisant presque tout leur revenu des distributions manuelles ; mais ce moyen ne peut obliger qu' une assistance purement corporelle : & de quelle utilit peut-il tre pour tous les autres objets bien plus importans des fondations ? Aussi presque toutes les fondations anciennes ont-elles dgnr de leur institution primitive : alors le mme esprit qui avoit fait natre les premieres, en a fait tablir de nouvelles sur le mme plan, ou sur un plan diffrent ; lesquelles, aprs avoir dgnr leur tour, sont aussi remplaces de la mme maniere. Les mesures sont ordinairement si bien prises par les fondateurs, pour mettre leurs tablissemens l'abri des innovations extrieures, qu'on trouve ordinairement plus ais, & sans-doute aussi plus honorable, de fonder de nouveaux tablissemens, que de rformer les anciens ; mais par ces doubles & triples emplois, le nombre des bouches inutiles dans la socit, & la somme des fonds tirs de la circulation gnrale, s'augmentent continuellement. Certaines fondations cessent encore d'tre excutes par une raison diffrente, & par le seul laps du tems : ce sont les fondations faites en argent & en rentes. On sait que toute espece de rente a perdu la longue presque toute sa valeur, par deux principes. Le premier est l'augmentation graduelle & successive de la valeur numraire du marc d'argent, qui fait que celui qui recevoit dans l'origine une livre valant douze onces d'argent, ne reoit plus aujourd'hui, en vertu du mme titre, qu'une de nos livres, qui ne vaut pas la soixante-treizieme partie de ces douze onces. Le second principe est l'accroissement de la masse d'argent, qui fait qu'on ne peut aujourd'hui se procurer qu'avec trois onces d'argent, ce qu'on avoit pour une once seule avant que l'Amrique ft dcouverte. Il n'y auroit pas grand inconvnient cela, si ces fondations toient entierement ananties ; mais le corps de la fondation n'en subsiste pas moins, seulement les conditions n'en sont plus remplies : par exemple, si les revenus d'un hpital souffrent cette diminution, on supprimera les lits des malades, & l'on se contentera de pourvoir l'entretien des chapelains. 3. Je veux supposer qu'une fondation ait eu dans son origine une utilit incontestable ; qu'on ait pris des prcautions suffisantes pour empcher que la paresse & la ngligence ne la fassent dgnrer ; que la nature des fonds les mette l'abri des rvolutions du tems sur les richesses publiques ; l'immutabilit que les fondateurs ont cherch lui donner est encore un inconvnient considrable, parce que le tems amene de nouvelles rvolutions, qui font disparotre l'utilit dont elle pouvoit tre dans son origine, & qui peuvent mme la rendre nuisible. La socit n'a pas tojours les mmes besoins ; la nature & la distribution des proprits, la division entre les diffrens ordres du peuple, les opinions, les moeurs, les occupations gnrales de la nation ou de ses diffrentes portions, le climat mme, les maladies, & les autres accidens de la

vie humaine, prouvent une variation continuelle : de nouveaux besoins naissent ; d'autres cessent de se faire sentir ; la proportion de ceux qui demeurent change de jour en jour dans la socit, & avec eux disparot ou diminue l'utilit des fondations destines y subvenir. Les guerres de Palestine ont donn lieu des fondations sans nombre, dont l'utilit a cess avec ces guerres. Sans parler des ordres de religieux militaires, l'Europe est encore couverte de maladreries, quoique depuis long-tems l'on n'y connoisse plus la lepre. La plpart de ces tablissemens survivent long-tems leur utilit : premierement, parce qu'il y a tojours des hommes qui en profitent, & qui sont intresss les maintenir : secondement, parce que lors mme qu'on est bien convaincu de leur inutilit, on est trs-longtems prendre le parti de les dtruire, se dcider soit sur les mesures & les formalits ncessaires pour abattre ces grands difices affermis depuis tant de siecles, & qui souvent tiennent d'autres btimens qu'on craint d'branler, soit sur l'usage ou sur le partage qu'on fera de leurs dbris : troisiemement parce qu'on est trs-long-tems se convaincre de leur inutilit, ensorte qu'ils ont quelquefois le tems de devenir nuisibles avant qu'on ait souponn qu'ils sont inutiles. Il y a tout prsumer qu'une fondation, quelque utile qu'elle paroisse, deviendra un jour au-moins inutile, peut-tre nuisible, & le sera long-tems : n'en est-ce pas assez pour arrter tout fondateur qui se propose un autre but que celui de satisfaire sa vanit ? 4. Je n'ai rien dit encore du luxe, des difices, & du faste qui environne les grandes fondations : ce seroit quelquefois valuer bien favorablement leur utilit, que de l'estimer la centieme partie de la dpense. 5. Malheur moi, si mon objet pouvoit tre, en prsentant ces considrations, de concentrer l'homme dans son seul intrt, de le rendre insensible au malheur & au bien-tre de ses semblables ; d'teindre en lui l'esprit de citoyen ; & de substituer une prudence oisive & basse la noble passion d'tre utile aux hommes ! Je veux que l'humanit, que la passion du bien public, procurent aux hommes les mmes biens que la vanit des fondateurs, mais plus srement, plus complete ment, moins de frais, & sans le mlange des inconvniens dont je me suis plaint. Parmi les diffrens besoins de la socit qu'on voudroit remplir par la voie des tablissemens durables ou des fondations, distinguons-en deux sortes ; les uns appartiennent la socit entiere, & ne seront que le rsultat des intrts de chacune de ses parties en particulier : tels sont les besoins gnraux de l'humanit, la nourriture pour tous les hommes ; les bonnes moeurs & l'ducation des enfans, pour toutes les familles ; & cet intrt est plus ou moins pressant pour les diffrens besoins : car un homme sent plus vivement le besoin de nourriture, que l'intrt qu'il a de donner ses enfans une bonne ducation. Il ne faut pas beaucoup de rflexion pour se convaincre que cette premiere espece de besoins de la socit n'est point de nature tre remplie par des fondations, ni par aucun autre moyen gratuit ; & qu' cet gard, le bien gnral doit tre le rsultat des efforts de chaque particulier pour son propre intrt. Tout homme sain doit se procurer sa subsistance par son travail ; parce que s'il toit nourri sans travailler, il le seroit aux dpens de ceux qui travaillent. Ce que l'tat doit chacun de ses membres, c'est la destruction des obstacles qui les gneroient dans leur industrie, ou qui les troubleroient dans la joissance des produits qui en sont la rcompense. Si ces obstacles subsistent, les bienfaits particuliers ne diminueront point la pauvret gnrale, parce que la cause restera toute entiere. De mme, toutes les familles doivent l'ducation aux enfans qui y naissent : elles y sont toutes intresses immdiatement ; & ce n'est que des efforts de chacune en particulier que peut natre la perfection gnrale de l'ducation. Si vous vous amusez fonder des matres & des bourses dans des collges, l'utilit ne s'en fera sentir qu' un petit nombre d'hommes favoriss au hasard, & qui peut-tre n'auront point les talens ncessaires pour en profiter :

ce ne sera pour toute la nation qu'une goutte d'eau rpandue sur une vaste mer ; & vous aurez fait trs-grands frais de trs-petites choses. Et puis faut-il accotumer les hommes tout demander, tout recevoir, ne rien devoir euxmmes ? Cette espece de mendicit qui s'tend dans toutes les conditions, dgrade un peuple, & substitue toutes les passions hautes un caractere de bassesse & d'intrigue. Les hommes sont-ils puissamment intresss au bien que vous voulez leur procurer ? laissez-les faire : voil le grand, l'unique principe. Vous paroissent-ils s'y porter avec moins d'ardeur que vous ne le desireriez ? augmentez leur intrt. Vous voulez perfectionner l'ducation ; proposez des prix l'mulation des peres & des enfans : mais que ces prix soient offerts quiconque peut les mriter, du-moins dans chaque ordre de citoyens : que les emplois & les places en tout genre deviennent la rcompense du mrite, & la perspective assre du travail ; & vous verrez l'mulation s'allumer -la-fois dans le sein de toutes les familles : bien-tt votre nation s'levera au-dessus d'elle-mme, vous aurez clair son esprit ; vous lui aurez donn des moeurs ; vous aurez fait de grandes choses ; & il ne vous en aura pas tant cot que pour fonder un collge. L'autre classe de besoins publics auxquels on a voulu subvenir par des fondations, comprend ceux qu'on peut regarder comme accidentels ; qui borns certains lieux & certains tems, entrent moins immdiatement dans le systme de l'administration gnrale, & peuvent demander des secours particuliers. Il s'agira de remdier aux maux d'une disette, d'une pidmie ; de pourvoir l'entretien de quelques vieillards, de quelques orphelins, la conservation des enfans exposs ; de faire ou d'entretenir des travaux utiles la commodit ou la salubrit d'une ville ; de perfectionner l'agriculture ou quelques arts languissans dans un canton ; de rcompenser des services rendus par un citoyen la ville dont il est membre ; d'y attirer des hommes clebres par leurs talens, &c. Or il s'en faut beaucoup que la voie des tablissemens publics & des fondations soit la meilleure pour procurer aux hommes tous ces biens dans la plus grande tendue possible. L'emploi libre des revenus d'une communaut, ou la contribution de tous ses membres dans les cas o le besoin seroit pressant & gnral ; une association libre & des souscriptions volontaires de quelques citoyens gnreux, dans les cas o l'intrt sera moins prochain & moins universellement senti ; voil dequoi remplir parfaitement toute sorte de ves vraiment utiles ; & cette mthode aura sur celle des fondations cet avantage inestimable, qu'elle n'est sujette aucun abus important. Comme la contribution de chacun est entierement volontaire, il est impossible que les fonds soient dtourns de leur destination : s'ils l'toient, la source en tariroit aussi-tt : il n'y a point d'argent perdu en frais inutiles, en luxe, & en btimens. C'est une socit du mme genre que celles qui se font dans le commerce, avec cette diffrence qu'elle n'a pour objet que le bien public ; & comme les fonds ne sont employs que sous les yeux des actionnaires, ils sont porte de veiller ce qu'ils soient employs de la maniere la plus avantageuse. Les ressources ne sont point ternelles pour des besoins passagers : le secours n'est jamais appliqu qu' la partie de la socit qui souffre, la branche du Commerce qui languit. Le besoin cesse-t-il ? la libralit cesse ; & son cours se tourne vers d'autres besoins. Il n'y a jamais de doubles ni de triples emplois ; parce que l'utilit actuelle reconnue est tojours ce qui dtermine la gnrosit des bienfaiteurs publics : enfin cette mthode ne retire aucun fond de la circulation gnrale ; les terres ne sont point irrvocablement possdes par des mains paresseuses ; & leurs productions, sous la main d'un propritaire actif, n'ont de bornes que celles de leur propre fcondit. Qu'on ne dise point que ce sont-l des ides chimriques : l'Angleterre, l'Ecosse, & l'Irlande sont remplies de pareilles socits, & en ressentent depuis plusieurs annes les heureux effets. Ce qui a lieu en Angleterre peut avoir lieu en France : & quoi qu'on en dise, les Anglois n'ont pas le droit exclusif d'tre citoyens. Nous avons mme dj dans quelques provinces des exemples de ces associations qui en prouvent la possibilit. Je citerai en particulier la ville de Bayeux, dont les habitans se sont cottiss

librement, pour bannir entierement de leur ville la mendicit ; & y ont russi, en fournissant du travail tous les mendians valides, & des aumnes ceux qui ne le sont pas. Ce bel exemple mrite d'tre propos l'mulation de toutes nos villes : rien ne sera si ais, quand on le voudra bien, que de tourner vers des objets d'une utilit gnrale & certaine, l'mulation & le got d'une nation aussi sensible l'honneur que la ntre, & aussi facile se plier toutes les impressions que le gouvernement voudra & saura lui donner. 6. Ces rflexions doivent faire applaudir aux sages restrictions que le Roi a mises par son dit de 1749 la libert de faire des fondations nouvelles. Ajotons qu'elles ne doivent laisser aucun doute sur le droit incontestable qu'ont le gouvernement dans l'ordre civil ; le gouvernement & l'Eglise dans l'ordre de la religion, de disposer des fondations anciennes, d'en diriger les fonds de nouveaux objets, ou mieux encore de les supprimer tout--fait. L'utilit publique est la loi suprme, & ne doit tre balance ni par un respect superstitieux pour ce qu'on appelle l'intention des fondateurs, comme si des particuliers ignorans & borns avoient eu le droit d'enchaner leurs volonts capricieuses les gnrations qui n'toient point encore ; ni par la crainte de blesser les droits prtendus de certains corps, comme si les corps particuliers avoient quelques droits vis--vis l'tat. Les citoyens ont des droits, & des droits sacrs pour le corps mme de la socit ; ils existent indpendamment d'elle ; ils en sont les lmens ncessaires, & ils n'y entrent que pour se mettre, avec tous leurs droits, sous la protection de ces mmes lois auxquelles ils sacrifient leur libert. Mais les corps particuliers n'existent point par eux-mmes, ni pour eux ; ils ont t forms pour la socit ; & ils doivent cesser d'tre au moment qu'ils cessent d'tre utiles. Concluons qu'aucun ouvrage des hommes n'est fait pour l'immortalit ; puisque les fondations tojours multiplies par la vanit, absorberoient la longue tous les fonds & toutes les proprits particulieres, il faut bien qu'on puisse la fin les dtruire. Si tous les hommes qui ont vcu avoient eu un tombeau, il auroit bien fallu pour trouver des terres cultiver, renverser ces monumens striles, & remuer les cendres des morts pour nourrir les vivans. FONDATION, (Jurisprud.) les nouveaux tablissemens que l'on considere dans cette matiere, sont ceux des vchs, abbayes, & autres monasteres, glises, chapelles, hpitaux, collges ; les fondations des messes, obits, services, & autres prieres. Aucune fondation ecclsiastique, telle que celle d'un vch, monastere, paroisse, chapelle, &c. ne peut tre faite sans l'autorit du suprieur ecclsiastique ; il faut aussi des lettres patentes du roi, dement enregistres au parlement, ce qui est tojours prcd d'une information de commodo & incommodo. Il faut aussi des lettres patentes pour autoriser les fondations sculieres, telles que sont les hpitaux, collges, & autres communauts sculieres. On appelle fondateur celui qui a fait la fondation, soit qu'il ait donn le fond ou terrein pour y construire une glise ou autre difice, soit qu'il y ait fait construire l'difice de l'glise, monastere, hpital ou collge, ou que l'difice ayant dja t construit, & depuis tomb en ruine, il l'ait fait relever ; ou bien qu'il ait dot l'glise ou maison de deniers & revenus destins l'entretenement d'icelle : chacune de ces diffrentes manieres de fonder une glise acquiert au fondateur le droit de patronage. Il faut nanmoins l'avoir rserv spcialement par la fondation ; autrement le fondateur n'a simplement que la prsance, l'encens, la recommandation aux prieres nominales, & autres droits honorifiques ; mais non pas la collation, prsentation ou nomination des bnfices : pour ce qui est des droits honorifiques, le fondateur en joit dans les glises conventuelles comme dans les paroissiales.

Un fondateur peut tre contraint de redoter l'glise par lui fonde, lorsqu'elle devient pauvre, moins qu'il ne renonce son droit de patronage. S'il toit prouv par le titre de la fondation que le fondateur et renonc au droit de patronage, la possession mme immmoriale de prsenter aux bnfices, ne lui acquerroit pas ce droit. Les hritiers ou successeurs des fondateurs tant tombs dans l'indigence, sans que ce soit par leur mauvaise conduite, doivent tre nourris aux dpens de la fondation. L'vque ne peut pas autoriser une fondation ecclsiastique, moins que l'glise ne soit dote suffisamment par le fondateur, tant pour l'entretien des btimens, que pour la subsistance des clercs qui doivent desservir cette glise ; c'est ce qu'enseignent plusieurs conciles & autres rglemens rapports par Ducange, en son glossaire, au mot dot. La surintendance des fondations ecclsiastiques appartient l'vque diocsain, ensorte qu'il a droit d'examiner si elles sont excutes suivant l'intention des fondateurs ; il peut aussi en changer l'usage, les unir & transfrer lorsqu'il y a utilit ou ncessit. Le concile de Trente ne permet l'vque de rduire les fondations que dans les synodes de son diocse, mais il y a des arrts qui ont autoris ces rductions, quoique faites par l'vque seul ; quand il n'y a point d'opposition, c'est un acte qui dpend de la jurisdiction volontaire ; s'il y a des opposans, on fait juger leurs moyens l'officialit avant que l'vque fasse son decret. Mais ils ne peuvent changer les fondations sculieres faites pour l'instruction de la jeunesse, & les rendre ecclsiastiques. On ne peut pas non plus appliquer une fondation faite pour une ville une autre ville. Le grand vicaire de l'vque ne peut pas homologuer une fondation sans un pouvoir spcial. Philon, juif, enseignoit que le gain fait par une courtisanne ne pouvoit tre re pour la fondation d'un lieu saint ; on n'a cependant pas tojours eu la mme dlicatesse ; & M. de Salve, part. II. tract. quaest. 5. n. sotient au contraire que la fondation d'une glise est valable, quoiqu'elle ait t faite par une femme publique, des deniers provenans de sa dbauche. Une glise ne peut prtendre avoir acquis une possession contraire sa fondation. Elle n'est point non plus prsume avoir les biens qu'elle possede, sans qu'il y ait eu quelque charge porte par la fondation ; c'est pourquoi Henri II. en 1556, voulant amplifier le service divin & procurer l'accomplissement des fondations, c'est--dire des messes ; services, & prieres fondes dans les glises, ordonna que tous hritages & biens, immeubles tenus sans charge de service divin ou d'office gal, ou revenu d'iceux, par les glises, prlats, & bnficiers, quelque titre que ce ft, seroient censs vacans & runis son domaine. Les biens d'glise ne peuvent tre alins mme par decret, si ce n'est la charge de la fondation, quand mme on ne se seroit pas oppos au decret. Pour accepter une fondation faite dans une glise paroissiale, il faut le concours du cur & des marguilliers.

Dans les fondations faites par testament ou codicille, c'est aux hritiers payer les droits d'amortissement & d'indemnit, parce que l'on prsume que l'intention du dfunt a t de faire joir l'glise pleinement de l'effet de ses libralits, au lieu que dans les fondations faites par actes entre-vifs, les hritiers ne sont pas obligs de payer ces droits, parce que ces sortes de donations ne reoivent point d'extension ; & l'on prsume que si le fondateur avoit voulu payer les droits d'amortissement & d'indemnit, il l'auroit fait lui-mme, ou l'auroit dit dans l'acte. Le docteur Rochus dit que les fondations doivent tre accomplies au moins dans l'anne du dcs du fondateur ; que si ce qu'il a donn n'est pas suffisant pour accomplir les charges de la fondation, les hritiers ne sont pas tenus de fournir le surplus, mais la fondation est convertie en quelqu'autre oeuvre pie, du consentement de l'vque. Lorsque les fondations sont exorbitantes, & qu'il y a contestation sur l'excution du testament o elles sont portes, le juge peut les rduire ad legitimum modum, eu gard aux biens du dfunt, la qualit & la fortune du dfunt, & autres circonstances. Les arrrages des fondations pour obits, services, & prieres, se peuvent demander depuis 29 annes, en affirmant par les ecclsiastiques qu'ils ont acquit les charges, & qu'ils n'ont pas t pays. Pour ce qui est du fond, si c'est une somme une fois payer, qui est donne l'glise, elle est sujette prescription ; mais les fondations qui consistent en prestations annuelles, sont imprescriptibles quant au fond ; la prescription ne peut avoir lieu que pour les arrrages antrieurs aux 29 dernieres annes. (A) FONDATION ECCLESIASTIQUE, est celle qui a pour objet l'utilit de quelque ecclsiastique : comme la fondation d'un canonicat, ou autre bnfice. (A) FONDATION LACALE, est celle qui est en faveur de personnes laques, comme des bourses dans un collge, lorsqu'elles sont affectes des coliers laques. (A) FONDATION OBITUAIRE, est celle qui est faite pour un obit, c'est--dire qui a pour objet des messes, services, & prieres, qui doivent tre dites pour le repos de l'ame de quelqu'un qui est dcd. (A) FONDATION PIE ou PIEUSE, est celle qui s'applique quelques oeuvres de pit, comme de faire dire des messes, services, & prieres ; de faire des aumnes, de soulager les malades, &c. (A) FONDATION ROYALE, est celle qui provient de la libralit de nos rois. Les vchs & la plpart des abbayes sont de fondation royale ; dans le doute l'gard des abbayes, on prsume en faveur du Roi. Il y a aussi des collgiales & autres glises de fondation royale ; pour la fondation des chapelles & autres bnfices simples, le Roi n'a pas besoin de recourir la jurisdiction ecclsiastique pour les autoriser ; il en seroit autrement s'il s'agissoit d'tablir des bnfices ayant charge d'ame ou jurisdiction spirituelle : il faudroit en ce cas l'autorit de l'glise & l'institution de l'vque. Bibliot. can. tom. I. p. 280. Il y a aussi des collges & autres tablissemens sculiers qui sont de fondation royale. (A) FONDATION SACERDOTALE, se dit en matiere bnficiale, de celle qui est affecte des ecclsiastiques ayant l'ordre de prtrise. Un bnfice peut tre sacerdotal

lege, comme un cur, ou sacerdotal fundatione, lorsque le fondateur a voulu que le bnfice ne pt tre possd que par des prtres, quoique la nature du bnfice ne le demandt pas. (A) FONDATION SECULIERE, est celle qui est affecte des sculiers. On entend aussi quelquefois par-l une fondation qui n'est point applicable aucune glise ni au service divin, quoique des ecclsiastiques puissent tre l'objet de la fondation, aussi-bien que des lacs ; par exemple, les bourses des collges ne sont point des bnfices, & sont considres comme des fondations sculieres, lors mme qu'elles sont affectes des ecclsiastiques. Les fondations sculieres sont opposes aux fondations ecclsiastiques. Les collges, les acadmies, les hpitaux, sont des fondations sculieres. (A) FONDATION, se dit aussi figurment du commencement d'une ville, d'un empire, &c. Les Romains comptoient leurs annes depuis la fondation de Rome, ab urbe condit, que les crivains expriment quelquefois par ab u. c. Les Chronologues comptent 779 ans depuis la sortie de l'Egypte jusqu' la fondation de Rome. Voy. EPOQUE. Chambers.