4
Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque F Limosin Résumé. Parmi les pathologies somatiques chroniques et invalidantes, l’insuffisance cardiaque se caractérise non seulement par une limitation d’autonomie parfois majeure, mais aussi et surtout par le caractère anxiogène de la dyspnée et du risque permanent de la survenue d’un trouble aigu du rythme cardiaque et d’une mort subite. Prendre en charge au mieux le patient insuffisant cardiaque implique une approche multidisciplinaire où psychiatres et psychologues exerceront leur rôle à plus d’un titre. Il s’agit d’améliorer la qualité de vie globale du patient, de dépister d’éventuelles complications psychiatriques, au premier rang desquelles la dépression majeure, de tenir compte de la gestion des émotions dans la prévention des troubles du rythme ventriculaires, ou encore d’adapter la prise en charge psychologique à l’expérience incomparable de la transplantation cardiaque. Finalement, l’abord psychologique du patient insuffisant cardiaque apparaît primordial, sans négliger le soutien de l’entourage mais aussi des équipes soignantes. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : insuffisance cardiaque, facteurs psychologiques, dépression majeure, transplantation cardiaque. Introduction Alors qu’on assiste à un recul de la mortalité imputable aux maladies coronariennes dans les pays industrialisés, le nombre de patients souffrant d’insuffisance cardiaque a tendance à augmenter [15, 16] . On estime à l’heure actuelle que le coût imputable aux frais de soins liés à l’insuffisance cardiaque représente 1 à 2 % du budget total de la santé des pays développés [2] . Dans les vingt années à venir, le taux de prévalence de l’insuffisance cardiaque va continuer à progresser, principalement chez les hommes, et il faudra en tenir compte en termes de santé publique compte tenu des conséquences sur la consommation de soins. Ainsi Stewart et al ont évalué que d’ici 2020, le nombre d’hospitalisations, dont le motif principal est l’insuffisance cardiaque, pourrait augmenter, en Écosse, de 52 % chez les hommes et de 16 % chez les femmes [20] . L’insuffisance cardiaque est une pathologie sévère et invalidante, dont l’évolution chronique se caractérise par une altération notable de la qualité de vie associée à la perspective, toujours menaçante, d’une issue fatale. On entrevoit aisément l’importance des paramètres psychologiques dans un tel contexte. Or très peu d’études ont été spécifiquement consacrées aux aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque et à leur rôle dans le cours évolutif de la maladie [17] . Tenir compte des dimensions psychologiques dans la prise en charge d’une telle affection implique de s’intéresser au vécu et au retentissement émotionnel du handicap, d’évaluer les caractéristiques de personnalité du sujet ainsi que la qualité du soutien social, et enfin d’être averti des symptômes psychiatriques que peut parfois revêtir la maladie, y compris ceux liés aux propriétés pharmacologiques de certains médicaments utilisés. Insuffisance cardiaque et qualité de vie L’insuffisance cardiaque est une maladie chronique dont la symptomatologie n’est pas dominée par la douleur physique, comme c’est par exemple le cas de certaines affections rhumatismales, mais bien par le retentissement sur l’autonomie quotidienne. Ainsi, les patients se plaignent avant tout d’être limités dans leurs activités physiques, ce qui entraîne une incapacité professionnelle, puis une réduction globale des occupations et de la vie sociale. C’est justement pour évaluer cet impact qu’a été développé le concept de « qualité de vie » [13] . Cette approche tient compte du niveau de productivité du patient, de sa capacité à fonctionner au quotidien, notamment en société, de ses capacités cognitives, de son état émotionnel et de sa satisfaction à vivre. Chez l’insuffisant cardiaque, plus la maladie est symptomatique, plus le fonctionnement physique et social est altéré, et plus la qualité de vie s’en trouve diminuée. Dracup et al ont ainsi évalué la qualité de vie chez des patients insuffisants cardiaques pour la plupart aux stades III et IV de la New York Heart Association (NYHA) [7] . En comparaison avec une population d’insuffisants coronariens ayant une limitation comparable de leurs activités, ceux souffrant d’insuffisance cardiaque présentaient davantage de difficultés relationnelles, mais semblaient s’adapter plus facilement au fait de ne plus travailler. Cette étude a permis par ailleurs de montrer que de meilleures performances aux exercices physiques, dont le test de la marche, étaient corrélées à une meilleure qualité de vie, alors que la corrélation entre la qualité de vie et les mesures physiologiques classiques, comme la fraction d’éjection systolique, n’était pas significative. Hobbs et al ont également montré, à partir d’un échantillon de 6 000 sujets recrutés en population générale, que ceux souffrant d’insuffisance cardiaque présentaient une altération de toutes les dimensions de leur qualité de vie [10] . Par ailleurs, l’impact sur le fonctionnement physique était plus important que dans le cas d’autres pathologies chroniques de sévérité comparable, notamment cardiaques. Il a enfin été montré que l’altération de la qualité de vie, Frédéric Limosin : Psychiatre, praticien hospitalier. Service de psychiatrie du professeur F. Rouillon, hôpital Albert Chenevier, 40, rue de Mesly, 94000 Créteil, France. Encyclopédie Médico-Chirurgicale 11-036-G-60 11-036-G-60 Toute référence à cet article doit porter la mention : Limosin F. Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Cardiologie, 11-036-G-60, 2003, 4 p.

Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque

  • Upload
    drlauri

  • View
    645

  • Download
    12

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque

Aspects psychologiquesdans l’insuffisance cardiaque

F Limosin

Résumé. – Parmi les pathologies somatiques chroniques et invalidantes, l’insuffisance cardiaque secaractérise non seulement par une limitation d’autonomie parfois majeure, mais aussi et surtout par lecaractère anxiogène de la dyspnée et du risque permanent de la survenue d’un trouble aigu du rythmecardiaque et d’une mort subite. Prendre en charge au mieux le patient insuffisant cardiaque implique uneapproche multidisciplinaire où psychiatres et psychologues exerceront leur rôle à plus d’un titre. Il s’agitd’améliorer la qualité de vie globale du patient, de dépister d’éventuelles complications psychiatriques, aupremier rang desquelles la dépression majeure, de tenir compte de la gestion des émotions dans la préventiondes troubles du rythme ventriculaires, ou encore d’adapter la prise en charge psychologique à l’expérienceincomparable de la transplantation cardiaque. Finalement, l’abord psychologique du patient insuffisantcardiaque apparaît primordial, sans négliger le soutien de l’entourage mais aussi des équipes soignantes.© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : insuffisance cardiaque, facteurs psychologiques, dépression majeure, transplantation cardiaque.

Introduction

Alors qu’on assiste à un recul de la mortalité imputable auxmaladies coronariennes dans les pays industrialisés, le nombre depatients souffrant d’insuffisance cardiaque a tendance àaugmenter [15, 16]. On estime à l’heure actuelle que le coût imputableaux frais de soins liés à l’insuffisance cardiaque représente 1 à 2 %du budget total de la santé des pays développés [2]. Dans les vingtannées à venir, le taux de prévalence de l’insuffisance cardiaque vacontinuer à progresser, principalement chez les hommes, et il faudraen tenir compte en termes de santé publique compte tenu desconséquences sur la consommation de soins. Ainsi Stewart et al ontévalué que d’ici 2020, le nombre d’hospitalisations, dont le motifprincipal est l’insuffisance cardiaque, pourrait augmenter, en Écosse,de 52 % chez les hommes et de 16 % chez les femmes [20].L’insuffisance cardiaque est une pathologie sévère et invalidante,dont l’évolution chronique se caractérise par une altération notablede la qualité de vie associée à la perspective, toujours menaçante,d’une issue fatale. On entrevoit aisément l’importance desparamètres psychologiques dans un tel contexte. Or très peud’études ont été spécifiquement consacrées aux aspectspsychologiques dans l’insuffisance cardiaque et à leur rôle dans lecours évolutif de la maladie [17].Tenir compte des dimensions psychologiques dans la prise en charged’une telle affection implique de s’intéresser au vécu et auretentissement émotionnel du handicap, d’évaluer lescaractéristiques de personnalité du sujet ainsi que la qualité dusoutien social, et enfin d’être averti des symptômes psychiatriquesque peut parfois revêtir la maladie, y compris ceux liés auxpropriétés pharmacologiques de certains médicaments utilisés.

Insuffisance cardiaqueet qualité de vie

L’insuffisance cardiaque est une maladie chronique dont lasymptomatologie n’est pas dominée par la douleur physique,comme c’est par exemple le cas de certaines affectionsrhumatismales, mais bien par le retentissement sur l’autonomiequotidienne. Ainsi, les patients se plaignent avant tout d’être limitésdans leurs activités physiques, ce qui entraîne une incapacitéprofessionnelle, puis une réduction globale des occupations et de lavie sociale. C’est justement pour évaluer cet impact qu’a étédéveloppé le concept de « qualité de vie » [13]. Cette approche tientcompte du niveau de productivité du patient, de sa capacité àfonctionner au quotidien, notamment en société, de ses capacitéscognitives, de son état émotionnel et de sa satisfaction à vivre. Chezl’insuffisant cardiaque, plus la maladie est symptomatique, plus lefonctionnement physique et social est altéré, et plus la qualité de vies’en trouve diminuée. Dracup et al ont ainsi évalué la qualité de viechez des patients insuffisants cardiaques pour la plupart aux stadesIII et IV de la New York Heart Association (NYHA) [7]. Encomparaison avec une population d’insuffisants coronariens ayantune limitation comparable de leurs activités, ceux souffrantd’insuffisance cardiaque présentaient davantage de difficultésrelationnelles, mais semblaient s’adapter plus facilement au fait dene plus travailler. Cette étude a permis par ailleurs de montrer quede meilleures performances aux exercices physiques, dont le test dela marche, étaient corrélées à une meilleure qualité de vie, alors quela corrélation entre la qualité de vie et les mesures physiologiquesclassiques, comme la fraction d’éjection systolique, n’était passignificative. Hobbs et al ont également montré, à partir d’unéchantillon de 6 000 sujets recrutés en population générale, que ceuxsouffrant d’insuffisance cardiaque présentaient une altération detoutes les dimensions de leur qualité de vie [10]. Par ailleurs, l’impactsur le fonctionnement physique était plus important que dans le casd’autres pathologies chroniques de sévérité comparable, notammentcardiaques. Il a enfin été montré que l’altération de la qualité de vie,

Frédéric Limosin : Psychiatre, praticien hospitalier.Service de psychiatrie du professeur F. Rouillon, hôpital Albert Chenevier, 40, rue de Mesly, 94000 Créteil,France.

Ency

clop

édie

Méd

ico-

Chi

rurg

ical

e1

1-0

36

-G-6

0 11-036-G-60

Toute référence à cet article doit porter la mention : Limosin F. Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Cardiologie, 11-036-G-60, 2003, 4 p.

Page 2: Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque

évaluée sous forme auto-évaluative, était un facteur prédictif d’uneévolution plus péjorative de l’insuffisance cardiaque, tant en termesde survie que d’hospitalisations [1].

Insuffisance cardiaque et comorbiditépsychiatrique. Dépression majeure

Les patients souffrant d’insuffisance cardiaque se trouventconfrontés à un pronostic incertain, dominé par la menace d’unemort subite, notamment par troubles du rythme ventriculaires.Parallèlement, ces mêmes patients doivent quotidiennement faireface à une limitation de leur autonomie et de leurs activités. Dans cecontexte, les patients présentant une insuffisance cardiaque sont plusvulnérables aux stress psychologiques et plus exposés à développerdes troubles anxieux et dépressifs.On sait par ailleurs que la dépression majeure est un facteurprédictif essentiel de l’évolution des pathologies cardiaques sévères,notamment l’insuffisance cardiaque [3]. Il a ainsi été clairement misen évidence que non seulement l’insuffisance cardiaque étaitfréquemment à l’origine de réactions dépressives, mais égalementque ces dernières s’accompagnaient d’une morbidité et d’unemortalité plus importante. Jiang et al ont justement étudié de façonprospective la prévalence de la dépression majeure et sesconséquences sur 1 an chez des patients souffrant d’insuffisancecardiaque [12]. Sur un total de 331 patients, 46 (13,9 %) avaient lescritères de dépression majeure, et 35,3 % avaient un score à l’échellede dépression de Beck (BDI) > ou = 10. La mortalité globale à 3 moisétait de 7,9 %, et à 1 an de 16,2 %. Le diagnostic de dépressionmajeure augmentait de façon significative le risque de mortalité à1 an (OR = 2,23 ; p = 0,04), et le taux de réhospitalisation à 3 mois(OR = 1,90 ; p = 0,04) et à 1 an (OR = 3,07 ; p = 0,005), et celaindépendamment de l’âge ou du degré de sévérité dudysfonctionnement cardiaque. L’étude de Turvey et al, réalisée enpopulation générale auprès de sujets âgés d’au moins 70 ans, aégalement retrouvé un risque de dépression majeure multiplié pardeux en cas d’insuffisance cardiaque par rapport au reste del’échantillon [23]. Les symptômes à type de fatigue et d’incapacitéfonctionnelle ne suffisaient pas à rendre compte de cettecomorbidité. Il est à noter que la comorbidité avec la dépressionconcerne aussi bien l’insuffisance cardiaque ischémique que cellesde causes non ischémiques. Dans cette dernière catégorie, le risquede dépression semble de plus corrélé à des chiffres de pressionartérielle systolique et diastolique plus bas, à une atteinte rénaleassociée, et à une atteinte ventriculaire gauche de type restrictif [8].Vaccarino et al ont également montré que la dépression majeureconstituait un facteur de pronostic moins favorable à 6 mois tant entermes de mortalité que d’altération de la fonction ventriculaire [24].Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce pronosticplus péjoratif. D’une part, la dépression augmenterait le risque desurvenue de troubles du rythme, du fait d’un déséquilibre dans larégulation autonome (par augmentation de l’activité sympathiqueet/ou diminution de l’activité vagale), à l’origine d’une instabilitéélectrique au niveau du myocarde lésé. D’autre part a été incriminéel’association dépression et troubles de l’activation plaquettaire,susceptibles de majorer le risque de complications thrombo-emboliques. Enfin, on sait que la dépression peut amener à unemoins bonne compliance aux soins et donc retentir sur l’évolutiondu trouble cardiaque. Il semblerait que l’isolement social soit,indépendamment du facteur dépression, un facteur de pronosticmoins favorable, associé à un risque de mortalité à 2 anssupérieur [18]. De même, la qualité de la relation conjugale sembleconstituer également un facteur de pronostic plus favorable [5].En termes de consommation de soins, Sullivan et al ont étudié defaçon rétrospective 1 098 sujets souffrant d’insuffisance cardiaque [21].Le coût annuel moyen imputable à la consommation de soins étaitde près de 30 % supérieur chez les sujets ayant présenté au moinsune dépression pendant la période de 3 ans étudiée, par rapportaux autres patients. Or, ce surcoût n’était pas imputable aux soins

psychiatriques. Pour rendre compte de cet excès de consommationde soins associé à la comorbidité dépressive, plusieurs hypothèsespeuvent être proposées. En cas de dépression, le patient a tendanceà se négliger et du fait d’une moins bonne compliance aux soins,peut aggraver sa morbidité. Par ailleurs, les sujets déprimés peuventau contraire avoir tendance à percevoir davantage de symptômessomatiques et donc consulter par excès. Enfin, la dépression pourraitêtre préférentiellement associée aux formes les plus gravesd’insuffisance cardiaque.Ces différents résultats soulignent l’importance de mieux dépisterles cas de dépression chez l’insuffisant cardiaque et de les traiterefficacement. Une des raisons qui pourraient expliquer que ladépression est sous-diagnostiquée donc sous-traitée chezl’insuffisant cardiaque est sa présentation clinique particulière avecsurtout de l’irritabilité et de l’hostilité. De plus, les médecinspourraient considérer, à tort, que les affects dépressifs sont dans cecadre une réaction normale ne nécessitant pas forcément de mesurethérapeutique spécifique. Enfin persiste une réticence, de moins enmoins fondée, sur les risques iatrogènes des antidépresseurs chez lecardiaque.

Place des facteurs psychologiquesdans la survenue de troubles aigusdu rythme cardiaque

Les arythmies atriales et ventriculaires surviennent courammentchez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque et peuventconstituer un risque d’évolution fatale [11]. Or de nombreuses étudesont justement porté sur le rôle des réactions psychologiques commefacteurs de risque de survenue de troubles du rythme cardiaque.Plusieurs études ont ainsi montré que certaines manifestationsémotionnelles, comme les affects de colère associés à une crainte de« perte de contrôle », pouvaient intervenir comme véritablesdéclencheurs de troubles du rythme. Le mécanisme sous-jacentpourrait être une libération accrue de catécholamines générée par cesentiment aigu de perte de contrôle. L’étude de Hatton et al a ainsiporté sur une population de patients ayant déjà présenté destroubles du rythme ventriculaire, avec évaluation du profil decomportement de type A et du lieu de contrôle [9]. Les sujets de typeA se caractérisent par un profil de personnalité dominé par l’urgencedu temps, se manifestant par de l’impatience et un esprit decompétitivité, de combativité et de performance. Leur implicationdans la survenue et le cours évolutif des pathologies coronariennesa fait l’objet de multiples études. L’évaluation du lieu de contrôlepermet de distinguer et de mesurer la propension d’un individu àattribuer les événements heureux ou malheureux de l’existence àdes facteurs « internes », sous la dépendance de la volonté, ou à desfacteurs « externes » liés à la chance ou au pouvoir des autres.L’« internalité » du lieu de contrôle est généralement associée ausentiment de pouvoir maîtriser, contrôler, au moins en partie, ledevenir de sa santé. Elle est, le plus souvent, un indice prédictifd’une meilleure compliance et d’une plus grande implication dansle projet thérapeutique. L’« externalité » du lieu de contrôle est plussouvent associée à un sentiment de fatalisme ou à une« sacralisation » du pouvoir médical auquel on serait passivementsoumis. L’expérience consistait à soumettre les patients à desstimulations cardiaques ventriculaires, délivrées par l’intermédiaired’un cathéter positionné à l’apex du ventricule droit, et à mesurer lapropension individuelle à développer des troubles du rythmeventriculaire induits. L’étude a montré que les sujets ayant un fortbesoin de contrôle de leur environnement (plus grande internalitédu lieu de contrôle) présentaient une plus grande susceptibilité à lasurvenue de troubles du rythme ventriculaires induits. Uneactivation du système nerveux sympathique pourrait, au moinspartiellement, rendre compte de ce phénomène, comme l’a indiquél’augmentation du taux d’épinéphrine mesuré au niveau du cathéterchez les sujets les plus sensibles. Ainsi, un besoin de contrôle plusmarqué s’avère être un indicateur de plus grande vulnérabilité aux

11-036-G-60 Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque Cardiologie

2

Page 3: Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque

effets des stress émotionnels sur la survenue de troubles du rythmeventriculaires. En revanche, cette même étude n’a pas retrouvé delien significatif avec le type A.Plus récemment, Thomas et al ont évalué, auprès d’un échantillonde 348 patients souffrant d’arythmie ventriculaire asymptomatiquesecondaire à un infarctus du myocarde, un certain nombre defacteurs psychosociaux susceptibles d’influencer l’évolution [22]. C’estprincipalement chez l’homme que de hauts niveaux d’anxiété et debas niveaux d’extériorisation des sentiments de colère étaientassociés à un taux de mortalité significativement supérieur. Cetteétude est donc venue réaffirmer le rôle des facteurs psychologiquesdans l’évolution des pathologies cardiaques chroniques, commel’insuffisance cardiaque, et notamment en cas d’association à destroubles du rythme.

Transplantation cardiaqueLorsque l’insuffisance cardiaque est évoluée et de pronosticdéfavorable, la transplantation cardiaque s’avère être un traitementradical et particulièrement efficace et ce, indépendamment de l’âgedu sujet au moment de l’intervention [14]. Malgré les annéesd’expériences et la relative banalisation d’une telle intervention, lagreffe d’organe continue de représenter, aux yeux du patient et deson entourage, une véritable prouesse médicochirurgicale.L’expérience de greffe d’organe, et principalement du cœur, estégalement fortement chargée d’émotions contrastées et peutbouleverser profondément les sentiments d’intégrité et d’identité.L’accompagnement psychologique du patient engagé dans une telleexpérience doit donc être particulièrement rigoureux, que ce soitavant, au décours immédiat ou sur le plus long terme aprèsl’intervention.Le bilan psychologique prégreffe s’est rapidement imposé commeune étape incontournable. Les informations recueillies auprès dupatient, et le plus souvent de son entourage proche, principalementle conjoint, doivent permettre de préciser les antécédentspsychiatriques du candidat à la greffe, ainsi que son profil depersonnalité et le soutien relationnel dont il dispose. Il est importantde souligner que ces éléments n’ont pas tant pour but de fournirdes motifs de récuser un patient, que d’adapter au mieux lesmesures d’accompagnement et de soutien psychologique. On saitpar exemple que la qualité de l’adaptation psychologique àl’expérience de transplantation d’organe semble être un des facteursdéterminant la qualité de vie et la morbidité somatique dans lesannées suivant l’acte. Ainsi les bénéfices de la transplantationcardiaque sur la qualité de vie à court et moyen terme ne sont pasuniquement liés à l’amélioration de la fonction cardiaque. Lesaspects psychologiques liés au vécu de la transplantation semblentessentiels à considérer. Salmon et al ont ainsi comparé un groupe depatients insuffisants cardiaques transplantés à un groupe composéde patients insuffisants cardiaques en attente de transplantation, età un autre composé de patients angineux ayant subi uneintervention coronarienne lourde [ 1 9 ] . L’amélioration dufonctionnement psychosocial à long terme était comparable entre legroupe de transplantés et ceux ayant bénéficié de l’interventioncoronarienne. Après transplantation, et afin d’optimiserl’amélioration du fonctionnement psychosocial, il convient d’assurerun suivi psychologique suffisant et surtout focalisé sur les faiblessespsychologiques constatées avant l’intervention.

Parmi les caractéristiques psychologiques identifiées en prégreffe, ilsemble que d’eux d’entre elles constituent des facteurs de pronosticplus favorable en termes de taux de survie [4]. D’une part, le déni dudanger de mort au cours de la période d’attente de latransplantation apparaît comme un facteur plutôt protecteur, àl’inverse de son évocation par le patient, sous quelque forme que cesoit. D’autre part, l’autre facteur de pronostic plus favorable était laqualité du soutien relationnel apporté par l’entourage, et plusspécifiquement la conviction du conjoint dans la réussite de la greffe.

Concernant les pathologies psychiatriques susceptibles de surveniraprès l’intervention, Dew et al, à partir d’une étude prospective sur3 ans d’une cohorte de 191 transplantés cardiaques, ont retrouvédes risques cumulatifs de 25,5 % pour la dépression majeure, 20,8 %pour les troubles de l’adaptation, 17 % pour l’état de stress post-traumatique, et 38 % pour l’ensemble des troubles anxieux [6]. Lesfacteurs de risque pour l’ensemble des troubles psychiatriquesévalués étaient les suivants : antécédents psychiatriques avant latransplantation, sexe féminin, hospitalisation longue, plus grandealtération physique, plus faible support social apporté par lessoignants et la famille en périopératoire.

Il faut également souligner que la période postgreffe immédiates’accompagne fréquemment d’une réaction de type dépressif,concomitante d’un retour à une certaine réalité, après une phased’espoir d’une guérison idéalisée et définitive. Cette phasedépressive, qui ne constitue pas systématiquement une dépressionmajeure au sens des classifications diagnostiques, doit être dépistéeet elle doit inciter à renforcer, au moins temporairement, le soutienpsychologique. Le travail de préparation à la greffe et d’aidepsychologique concerne enfin l’équipe soignante médicochirurgicale,notamment au moyen de groupes de paroles permettant auxdifférents membres de l’équipe de mieux aborder le vécu de latransplantation par le patient, mais aussi d’exprimer leurs proprescraintes, leurs propres fantasmes, leurs propres incertitudes.

Conclusions

À tous les stades de son évolution, l’insuffisance cardiaque requiert unecollaboration efficace et régulière entre cardiologues, psychiatres etpsychologues. Non seulement parce qu’il s’agit d’une pathologiechronique qui nécessite un traitement au long cours et altère de manièresignificative l’autonomie et la qualité de vie, mais également du fait deses particularités symptomatiques, du caractère anxiogène etdépressogène de la dyspnée et de la menace, toujours présente, d’unemort subite.Cette prise en charge pluridisciplinaire ne se réduit pas au dépistage etau traitement des éventuelles complications psychiatriques susceptiblesd’émailler l’évolution de la maladie. Les patients doivent avant tout êtreconseillés et soutenus dans la gestion quotidienne de leur handicap, afinde maintenir une qualité de vie la plus satisfaisante possible. Le recoursà des thérapies cognitivocomportementales de gestion du stress, ou à destechniques de respiration contrôlée et de relaxation, constitue uneapproche complémentaire qui peut s’avérer bénéfique.Enfin, lorsque la greffe cardiaque est envisagée, l’approchepsychologique doit s’adapter à la perspective d’une telle expérience,sans négliger l’écoute et le soutien non seulement de l’entourage proche,mais aussi de l’équipe soignante.

Références ➤

Cardiologie Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque 11-036-G-60

3

Page 4: Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque

Références[1] Alla F, Briancon S, Guillemin F, Juilliere Y, Mertes PM, Ville-

mot JP et al. Self-rating of quality of life provides additionalprognostic information in heart failure. Insights into theEPICAL study. Eur J Heart Fail 2002 ; 4 : 337-343

[2] Berry C, Murdoch DR, McMurray JJ. Economics of chronicheart failure. Eur J Heart Fail 2001 ; 3 : 283-291

[3] Connerney I, Shapiro PA, McLaughlin JS, Bagiella E, SloanRP. Relation between depression after coronary arterybypass surgery and 12-month outcome: a prospectivestudy. Lancet 2001 ; 358 : 1766-1771

[4] Consoli SM, Baudin ML. Vivre avec l’organe d’un autre :fiction, fantasmes et réalités. Rev Psychol Méd 1994 ; 26 :102-110

[5] Coyne JC, Rohrbaugh MJ, Shoham V, Sonnega JS, NicklasJM, Cranford JA. Prognostic importance of marital qualityfor survival of congestive heart failure. Am J Cardiol 2001 ;88 : 526-529

[6] Dew MA, Kormos RL, Dimartini AF, Switzer GE, SchulbergHC, Roth LH et al. Prevalence and risk of depression andanxiety-related disorders during the first three years afterheart transplantation. Psychosomatics 2001 ; 42 : 300-313

[7] Dracup K, Walden JA, Stevenson LW, Brecht ML. Quality oflife in patients with advanced heart failure. J Heart LungTransplant 1992 ; 11 : 273-279

[8] Faris R, Purcell H, Henein MY, Coats AJ. Clinical depressionis common and significantly associated with reduced sur-vival in patients with non-ischemic heart failure. Eur J HeartFail 2002 ; 4 : 541-551

[9] Hatton DC, Gilden ER, Edwards ME, Cutler J, Kron J, Mc-Anulty J.Psychophysiological factors inventriculararrhyth-mias and sudden cardiac death. J Psychosom Res 1989 ; 33 :621-631

[10] Hobbs FD, Kenkre JE, Roalfe AK, Davis RC, Hare R, DaviesMK. Impact of heart failure and left ventricular systolic dys-function on quality of life. A cross-sectional study compar-ing common chronic cardiac and medical disorders and arepresentative adult population. Eur Heart J 2002 ; 23 :1867-1876

[11] Hynes BJ, Luck JC, Wolbrette DL, Boehmer J, Naccarelli GV.Arrhythmias in patients with heart failure. Curr TreatOptions Cardiovasc Med 2002 ; 4 : 467-485

[12] Jiang W, Alexander J, Christopher E, Kuchibhatla M,Gaulden L, Cuffe M et al. Relationship of depression toincreased risk of mortality and rehospitalization in patientswith congestive heart failure. Arch Intern Med 2001 ; 161 :1849-1856

[13] Konstam V, Salem D, Pouleur H, Kostis J, Gorkin L, Shuma-ker S et al. Baseline quality of life as a predictor of mortalityand hospitalisation in 5025 patients with congestive heartfailure. SOLVD investigations. Studies of left ventriculardysfunction investigators. Am J Cardiol 1996 ; 78 : 890-895

[14] Laks H, Marelli D, Odim J, Fazio D. Heart transplantation inthe young and elderly. Heart Fail Rev 2001 ; 6 : 221-226

[15] Levy D, Kenchaiab S, Larson MG, Benjamin EJ, Kupka MJ,Ho KK et al. Long-term trends in the incidence of and sur-vivalwithheart failure.NEngl JMed2002;347 :1397-1402

[16] Liu JL, Maniadakis N, Gray A, Rayner M. The economicburden of coronary heart disease in the UK. Heart 2002 ;88 : 597-603

[17] MacMahon KM, Lip GY. Psychological factors in heartfailure: a review of the literature. Arch Intern Med 2002 ;162 : 509-516

[18] Murberg TA, Bru E. Social relationships and mortality inpatients with congestive heart failure. J Psychosom Res2001 ; 51 : 521-527

[19] SalmonP,MikhailG,StanfordSC,Zielinsli S,Pepper JR.Psy-chological adjustment after cardiac transplantation. J Psy-chosom Res 1998 ; 45 : 449-458

[20] Stewart S, Macintyre K, Capewell S, McMurray JJ. Heartfailure and the aging population: an increasing burden inthe 21st century? Heart 2003 ; 89 : 49-53

[21] Sullivan M, Simon G, Spertus J, Russo J. Depression-relatedcosts in heart failure care. Arch Med Intern 2002 ; 162 :1860-1866

[22] Thomas SA, Friedmann E, Wimbush F, Schron E. Psycho-logical factors and survival in the cardiac arrhythmia sup-pression trial (CAST): a reexamination.AmJCritCare1997 ;6 : 116-126

[23] Turvey CL, Schultz K, Arndt S, Wallace RB, Herzog R. Preva-lence and correlates of depressive symptoms in a commu-nity sample of people suffering from heart failure. J AmGeriatr Soc 2002 ; 50 : 2003-2008

[24] Vaccarino V, Kasl SV, Abramson J, Krumholz HM. Depres-sive symptoms and risk of functional decline and death inpatients with heart failure. J Am Coll Cardiol 2001 ; 38 :199-205

11-036-G-60 Aspects psychologiques dans l’insuffisance cardiaque Cardiologie

4