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Marchés, réglementations, motorisations, mentalités : au-delà de la crise actuelle, l’accès à une mobilité durable passera par des transformations lentes et profondes. Regards croisés sur les voies qui se dessinent. N°16 AVANCER COMPRENDRE PARTAGER ANALYSER DÉCOUVRIR CRÉER AUTOMOBILE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

Automobile Revolution

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Page 1: Automobile Revolution

Marchés, réglementations, motorisations, mentalités : au-delà de la crise actuelle, l’accès

à une mobilité durable passera par des transformations lentes et profondes. Regards

croisés sur les voies qui se dessinent.

N°16AvAnceR • coMpRendRe • pARtAgeR • AnAlyseR • découvRiR • cRéeR

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N°16 0302

sommaire Éditorial

Prise de conscience des enjeux liés au changement climatique, records de prix des carburants en 2008, impact de la crise économique, autant de facteurs qui modifient en profondeur l’utilisation de l’automobile. Aux États-Unis, pays de “l’automobile reine”, le taux de renouvellement du parc automobile et le nombre de kilomètres parcourus diminuent. Premier consommateur mondial d’essence, ce pays voit ses besoins décliner. En Europe, la consommation de carburants, très orientée vers le gazole du fait de la diésélisation fiscale du parc automobile, recule également. En amont, l’industrie européenne du raffinage doit s’adapter pour faire face à cette diminution de la demande et pour réduire la production d’essence au profit de celle de gazole.Nous prévoyons cependant que la demande mondiale en produits pétroliers, tirée par des pays à fort potentiel de développement comme la Chine ou l’Inde, va repartir à la hausse avec la fin de la crise. Nos enjeux majeurs seront de continuer à fournir à nos clients l’énergie dont ils ont besoin, de faire de notre mieux pour l’économiser et de limiter les émissions de gaz à effet de serre.Dans le secteur du transport, parallèlement au développement de la voiture électrique, les solutions de remplacement des carburants actuels sont à l’étude. Chez Total, plusieurs programmes de recherche sur la biomasse sont en cours. Des expérimentations sur l’hydrogène-carburant sont également menées en Allemagne et en Belgique, où plusieurs stations-service spécialisées sont déjà opérationnelles. Mais il faudra encore plusieurs années pour que ces solutions entrent dans la vie courante. En attendant, l’engagement de Total est de mettre en œuvre des solutions pour réduire les consommations d’énergie. Nous travaillons avec les motoristes pour mettre au point des carburants ou des lubrifiants plus efficaces. Quant à nos clients, nous les incitons à adopter des comportements plus économes sur la route, en leur montrant les bénéfices d’une conduite apaisée ou les dépenses inutiles engendrées par un véhicule mal entretenu. Ces

actions, qui ont un effet immédiat et peuvent faire économiser jusqu’à 10 % de carburant, font l’objet d’une opération baptisée Eco10 que nous déployons à l’échelle européenne. Comme nos partenaires constructeurs automobiles, nous sommes devant une mutation profonde de nos métiers et de nos offres. C’est un défi que nous continuerons à relever ensemble.

Michel Bénézitdirecteur général Raffinage & Marketing, Total

P• 4 à 7 instantanés Total en quelques faits Le monde en quelques chiffres

P• 8 à 9 avancer La vie de recherche

Photo de couverture : Trafic à Bangkok.

N°16 Automne 2009

contributeurs

“Nous prévoyons que la demande mondiale en produits pétroliers, tirée par des pays à fort potentiel de développement comme la Chine ou l’Inde, va repartir à la hausse avec la fin de la crise.”

EN CHINE, le partenariat entre Sinochem et Total vise le développement de 500 stations-service dans les régions de Pékin – où la centième station, Li Yuan, a été inaugurée le 3 septembre 2009 – et Shanghai.

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1 - michel bénézit, directeur général Raffinage & Marketing, Total. P. 03. 2 - Yuan tao, directeur chez Chery Automobile. P. 12 à 15. 3 - Jacques radé, associé du cabinet de consultants Roland Berger. P. 14. 4 - dilip chenoy, directeur général de SIAM (Society of Indian Automobile Manufacturers). P. 16. 5 - ivan Hodac, secrétaire général de l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles). P. 17 et 18. 6 - alan reid, responsable Études Marchés au sein de la branche Raffinage & Marketing de Total. P. 18. 7 - Peter langen, directeur du département Motorisations chez BMW. P. 19 à 23. 8 - michel Forissier, directeur du Développement chez Valeo. P. 19 à 23 et P. 24 à 27. 9 - Joseph beretta, en charge des relations institutionnelles du groupe PSA dans les domaines de l’énergie, des nouvelles technologies et des émissions. P. 19 à 23. 10- robert Poncelet, responsable de la Business Unit Polypropylène Automobile chez Total Petrochemicals. P. 21. 11 - Harald ahnert, responsable Grands comptes et Équipementiers automobiles chez Atotech, une filiale de l’activité Chimie de Total. P. 21. 12 - mark Hufziger, directeur de la division Transports de Bostik. P. 21.

13 - sébastien taillemite, responsable Marketing chez Cray Valley, une filiale de l’activité Chimie de Total. P. 21.14 - christian casse, directeur de la Recherche et du Développement d’Hutchinson, une filiale de l’activité Chimie de Total. P. 23. 15 - thierry Koskas, directeur du Programme véhicule électrique chez Renault. P. 24 à 27.16 - daniel le breton, chef du département Transport & Énergie au sein de la branche Raffinage & Marketing de Total. P. 26 à 27. 17 - rob White, directeur général adjoint (moteurs) d’ING Renault F1 Team. P. 28 à 29. 18 - bob bell, directeur technique châssis d’ING Renault F1 Team. P. 28 à 29. 19 - Philippe Girard, chef du Projet technique F1 pour Total. P. 28 à 29. 20 - Glauco arbix Papagaio, professeur de sociologie à l’université de São Paulo. P. 30 à 33. 21 - Pascale Hebel, directrice du département Consommation du Credoc. P. 30 à 33. 22 - bruno marzloff, sociologue spécialiste des mobilités et fondateur du Groupe Chronos. P. 30 à 33. 23 - morgan Faivre, ancien directeur du planning stratégique de CLM BBDO et fondateur de l’agence de publicité Les Gros Mots. P. 30 à 33.

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P• 34 à 39 partager L’œil de Total

P• 40 à 43 analyser sanctions contre engagement : partir ou rester ?

P• 44 à 49 découvrir il était une foi…

P• 50 à 54 créer Au commencement était l’énergie

P• 10 à 33 comprendre la rÉvolution tranquille de l’automobile

P• 12 à 16 Un marché chéri

P• 17 à 18 Des constructeurs et des normes

P• 19 à 23 Le bel avenir du moteur thermique

P• 24 à 27 De l’hybride au tout électrique

P• 28 à 29 La F1, moteur d’idées

P• 30 à 33 Panne d’image ?

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tahiti,l’un des plus importants gisements du golfe du Mexique, est entré en production le 5 mai 2009. il est opéré par chevron. total y détient une participation de 17 % au côté de statoilhydro. Découvert en 2002, ses réserves prouvées et probables sont estimées à plus de 400 millions de barils équivalent pétrole. le golfe du Mexique présentant encore de nombreuses opportunités de découvertes, total a signé, début 2009, une série d’accords avec la société américaine cobalt, spécialiste de la zone, prévoyant l’exploration conjointe de 214 blocs appartenant aux deux groupes.

l’égypte a attribué à total un permis d’exploration en mer dans le bloc 4 (el burullus offshore est), situé dans le bassin du nil. total, opérateur, détient 90 % du permis et sera associé à enel (10 %), après approbation des autorités compétentes. D’une superficie de 2 516 kilomètres carrés, le bloc 4 se trouve dans une zone prolifique où de nombreuses découvertes de gaz ont déjà été réalisées. cette attribution marque le retour de total dans l’exploration et la production en Égypte, où le groupe a déjà été présent entre 1975 et 2001. ©

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producteur russe de gaz naturel, et total ont signé, le 24 juin, un protocole d’accord pour l’achat de 49 % de terneftegas, filiale de novatek, qui conservera 51 % des parts. terneftegas détient une licence de développement et de production sur le gisement à terre de termokarstovoye,

situé dans la région des Yamalo-nenets, dans l’arctique russe. ce gisement possède un potentiel de plus de 47,3 milliards de mètres cubes de gaz et près de 10,3 millions de tonnes de condensats. l’objectif est de lancer le projet dès 2011. la transaction sera finalisée après son approbation par le service fédéral antimonopole.

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UN Human Development Report 2007/2008.

+ 194 %, telle est la hausse du nombre d’articles scientifiques publiés entre 2002 et 2008 dans les pays en développement dont le pib par habitant est compris entre 1 250 et 3 500 dollars (bulgarie, congo, Vietnam, etc.), selon l’association research4life. l’augmentation est de 145 % dans les pays dont le pib par habitant est inférieur à 1 250 dollars (nigeria, tanzanie, Kenya, etc.), alors que la croissance avait été respectivement de 30 % et de 22 % entre 1996 et 2002. À titre de comparaison, les pays développés ont connu une augmentation de 25 % entre 1996 et 2002, et de 67 % entre 2002 et 2008. cette hausse massive des publications scientifiques s’explique notamment par la mise en place de politiques scientifiques et par un meilleur financement public et privé de la recherche.World Conference of Science Journalists, 2009.

tokyo devient la ville la plus chère du monde pour les expatriés, devant Moscou, reléguée à la 3e place. avec osaka en 2e position, le Japon se distingue particulièrement. genève est 4e et hong Kong, 5e. en un an, le classement a été largement remanié du fait des fortes fluctuations monétaires et de l’appréciation du dollar. ainsi, londres (16e) a perdu 13 places, tandis que new York, en 8e position, et pékin, désormais 9e, ont rejoint le top 10. asunción (paraguay) cède à Johannesburg le fauteuil de la ville la moins chère pour les expatriés.Enquête internationale sur le coût de la vie, Mercer, 2009.

Part dans l’emploi, par classe de taille des entreprises, dans l’Europe des 27

Eurostat (données SSE de 2005 sur les classes de taille), 2008.

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Économie marchandenon financière

Construction

Hôtels et restaurants

Commerce

Immobilier, locationet services aux entreprises

Industrie manufacturière

Transportset communications

Production et distributiond’électricité, de gaz et d’eau

59 médecins pour 10 000 habitants. il s’agit de la plus forte densité de médecins au monde, et elle se trouve à cuba. la moyenne mondiale est de 11 médecins pour 10 000 habitants. l’important personnel de santé issu du système universitaire cubain permet à la havane d’envoyer ses médecins à l’étranger dans le cadre d’accords bilatéraux. au Venezuela, en 2007, 12 272 médecins cubains soignaient les populations défavorisées des barrios. les professionnels de santé cubains interviennent également lors de désastres humanitaires ou d’opérations visant à éradiquer certaines maladies. les “brigades médicales internationales” cubaines ont récemment mis à la disposition d’haïti et de l’afrique du sud respectivement 500 et 450 médecins.The World Health Report, WHO, 2006.

GisEmEnt dE mattErhorn, opéré par Total, dans le golfe du Mexique.

le pilote de lacq« dès fin 2009 et pendant deux ans, c’est une quantité équivalente à celle rejetée par les pots d’échappement de 40 000 voitures qui va être captée, puis injectée dans le sous- sol à 4 500 mètres de profondeur. Ce projet de captage stockage totalement intégré est unique au monde à bien des égards. »nicolas aimard, chef de projet, total.

http://www.total.com/fr/responsabilite-societale-environnementale/dossiers/captage/

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Pourquoi parier sur le GnL ?parce que c’est une énergie qui connaît un très fort taux de croissance – environ 7 % par an –, alors qu’elle ne représente encore que 8 % de la consommation mondiale de gaz. ses trois principaux marchés (l’asie, l’europe et l’amérique du nord) sont en effet sensibles aux avantages de ce produit qui allie les qualités d’efficacité énergétique et de propreté du gaz à la flexibilité des hydrocarbures liquides.

Quels sont les atouts du Groupe dans ce domaine ?nous avons été l’un des pionniers du gnl, dans les années 1960, et avons pris une part active à son décollage. nous nous sommes ainsi forgé très tôt un savoir-faire dans ces projets, extrêmement complexes et capitalistiques, et nous sommes aujourd’hui l’une des trois premières compagnies internationales du secteur, avec shell et exxonMobil. notre présence intégrée

société innovante développant des biohydrocarbures. Établie à Denver, aux États-Unis, gevo a mis au point une nouvelle technologie permettant de convertir des sucres issus de la biomasse en alcools lourds et hydrocarbures. cet investissement est réalisé dans le cadre de l’activité de capital-Développement que total a récemment initiée. celle-ci est destinée à accompagner des sociétés développant des technologies ou des modèles d’affaires innovants dans les domaines qui contribuent à répondre aux défis de la transition énergétique.

total entre au capital de Gevo,

le Gnl : une filière d’avenirdes projets majeurs de gaz naturel liquéfié (GnL) ont été inaugurés au cours des derniers mois : Qatargas 2, au Qatar, et le terminal de regazéification de south hook, au royaume-Uni, deux composantes du premier projet intégré au monde dans ce secteur. très prochainement, le démarrage du projet de liquéfaction Yemen LnG sera à son tour célébré. Cette source d’énergie représente un enjeu de plus en plus important pour le Groupe, comme nous l’explique Jean-marc hosanski, directeur GnL de la branche Gaz & Énergies nouvelles.

N°16

Propos recueillis par sabine schierano

Un fonds de solidarité pour améliorer l’emploi des jeunes et lutter contre l’exclusion sociale en france a été créé par total. initialement doté de 25 millions d’euros, il atteindra 50 millions d’euros dans cinq ans. Dans ce cadre, total s’est associé au haut-commissariat à la Jeunesse pour participer à trois principaux programmes : la lutte contre l’échec scolaire, le financement de 10 000 permis de conduire et l’aide à la création d’entreprise. total consacrait jusqu’alors plus de 2 millions d’euros par an à la lutte contre l’exclusion sociale. ce fonds va permettre de développer ses actions dans le domaine de la solidarité.

Parmi les 5 premières compagnies pétrolières et gazières mondiales, 4 sont des compagnies nationales (noc), d’après energy intelligence, qui établit chaque année le classement des 100 premières en se basant sur 6 critères : les réserves et la production de pétrole et de gaz, les capacités de raffinage et la vente de produits. en tête figure la compagnie nationale saoudienne, saudi aramco, suivie par son homologue iranienne, la nioc. Viennent ensuite la compagnie internationale (ioc) américaine exxonMobil et les compagnies nationales vénézuélienne (pDVsa) et chinoise (cnpc). en 2007, les 59 premières ioc de ce classement détenaient 9,4 % des réserves de pétrole, contre 77,6 % pour les 41 premières noc.The Energy Intelligence Top 100: Ranking The World’s Oil Companies, Energy Intelligence, 2009.

Part des moins de 5 ans et des plus de 65 ans dans la population mondiale entre 1950 et 2050

United Nations Departement of Economic and Social Affairs, 2007.

65 ans et plus

Moins de 5 ans

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Affaires et motifsprofessionnels

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Famille et amis,santé, religion, autres

27 %

Loisirs, détenteet vacances

51 %

Faits saillants du tourisme, édition 2008, Organisation mondiale du tourisme (OMT).

Les migrations Sud-Sud sont plus importantes que les migrations sud-nord dans trois régionsUniversity of Sussex and World Bank, 2005.

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6 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté au cours de la seule année 2006. De 41 % dans les années 1990, le taux de pauvreté est passé à 25,6 % en 2006. ces progrès ont pu être réalisés grâce à la baisse de l’inflation, à une croissance économique soutenue et à la mise en œuvre de politiques de redistributions ciblées, dont le programme phare est Bolsa Familia. il vise à réduire les inégalités et à rompre le cycle de transmission intergénérationnelle de la pauvreté en fournissant des aides conditionnelles (scolarisation des enfants, couverture vaccinale, etc.) aux familles les plus fragiles. près de 34 millions de personnes bénéficiaient, en 2005, de ces transferts d’argents. 2004-2007 Country Assistance Strategy Document, Banque Mondiale, 2008.

le terminal de regazéification de south hook, le plus grand d’europe, a été inauguré le 12 mai 2009 au pays de galles (royaume-Uni). il est détenu et opéré par south hook lng, joint-venture réunissant Qatar petroleum (67,5 %), exxonMobil (24,15 %) et total (8,35 %). Doté d’une capacité de 15,6 millions de tonnes par an, ce terminal de regazéification traitera le gaz naturel liquéfié provenant de Qatargas 2, premier projet gnl intégré dans le monde. « Il s’agit d’une étape importante dans le développement des activités GNL du Groupe et de son partenariat stratégique avec le Qatar », a déclaré christophe de Margerie, Directeur général de total, lors de l’inauguration.

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sur l’ensemble de la chaîne gnl est l’une de nos grandes forces. pour développer de nouveaux projets de liquéfaction, il est en effet capital d’assurer nos débouchés : notre portefeuille de terminaux de regazéification et notre accès direct aux marchés sont donc essentiels.

Quels sont vos objectifs de croissance ?l’objectif principal du groupe est d’augmenter sa production par de nouveaux projets de liquéfaction. De ce point de vue, 2009 est une année pivot : notre production actuelle de 9 millions de tonnes va croître de 50 % grâce au démarrage de Yemen lng et de Qatargas 2. À partir de 2010, le gnl représentera alors plus d’un sixième de la production d’hydrocarbures du groupe. notre deuxième objectif, en aval, est de continuer à développer notre activité de trading, en plein essor depuis 2001. nos volumes d’achat de gnl étaient de 2,5 millions en 2008, et nous visons les 10 millions de tonnes en 2010.

La crise actuelle a-t-elle modifié la stratégie de total dans cette filière ?la crise a eu un effet sensible sur la demande de gaz, donc de gnl, alors même que de nombreux projets de liquéfaction arrivent sur le marché. nous connaissons donc pour un temps un excédent de l’offre. Mais cela ne durera pas : nous prévoyons que le marché devrait se tendre à nouveau à partir de 2012. le gnl sera de plus en plus attractif face aux enjeux environnementaux et aux préoccupations d’indépendance énergétique. cette énergie a un bel avenir devant elle !

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N°168

l’énergie d’avancer

La vie de recherche

Des dossiers du sol au plafond. Ce n’est pas une expression : soigneusement étiquetés, ils sont classés en ordre sur le parquet. Quelques cartes de félici-tations, un grand colis bigarré venant d’Hô Chi Minh-Ville, un ordinateur dernier cri. C’est dans ce bureau à son image – rationnel, vivant et bien peu académique – que Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008 pour son rôle majeur dans la découverte du virus VIH, nous reçoit.« J’ai été surprise, avoue la chercheuse. Le Nobel, tout le monde m’en parlait. Mon mari notamment. » Un instant, le silence s’installe : veuve depuis quelques mois, Françoise Barré-Sinoussi aurait dû fêter ses trente ans de mariage le lendemain de l’annonce. Elle reprend, énergique, iconoclaste : « Je pensais – j’étais à côté de la plaque une fois de plus – qu’il n’y aurait pas de Nobel tant qu’il n’y aurait pas de vaccin. » À côté des honneurs plutôt. Loin des projecteurs, contrairement au professeur Luc Montagnier, colau-réat du prix, qui, depuis les années 1980, personnifie pour le grand public la recherche contre le sida, la scientifique promène sa discrète ténacité à travers le monde entier. On connaissait à peine son nom ; à présent, on ne voit plus qu’elle. Depuis l’annonce de sa nomination en octobre dernier, Françoise Barré-Sinoussi est partout. À la une des journaux, au bas des pétitions, en ouverture des conférences… « C’est ingérable », sourit la scien-tifique de 62 ans, qui avoue pourtant refuser 98 % des sollicitations. Des plus grandes organisations internationales à l’American Club de Paris, tout le monde la réclame. « Ma sensibilité personnelle me conduit à accepter les invitations des pays à ressources limitées. Puisque je dois choisir, je préfère aller au Niger, d’où je reviens, plutôt qu’au Japon ou au Canada. » Lorsqu’elle n’est pas dans son bureau, où elle passe environ treize heures par jour, elle anime des conférences, forme de jeunes chercheurs dans les pays en déve-loppement, y installe des partenariats associant la communauté scientifique et le milieu associatif afin de créer des transferts de connaissances, bref, poursuit inlassablement un but : le contrôle, partout dans le monde, de ce virus, de l’épidémie et de la maladie dont il est responsable. Scientifique et missionnaire : la chercheuse refuse qu’on la cantonne à l’un de ces statuts. Elle n’a qu’une passion depuis toujours : le vivant.

La symphonie pasteurienneJeune fille, elle se tourne vers des études scientifiques sans vraiment savoir à quoi elles correspondent. « J’avais deux options : médecine ou sciences.

Venant d’un milieu modeste, je pensais que les études de médecine seraient longues et coûteuses », se souvient, amusée, la titulaire d’un doctorat ès sciences. Longues, ses études l’ont été. « Au bout de quelques années, je ne voyais toujours pas vraiment ce qu’était la recherche avec les enseignements de l’université. Apprendre, apprendre sans savoir pourquoi ne me suffisait pas. » L’étudiante « peu brillante à l’époque », selon son propre aveu, fait alors une rencontre qui déterminera le reste de sa vie. Jean-Claude Chermann, directeur d’un laboratoire de recherche en rétrovirologie à l’Institut Pasteur, la prend dans son équipe pour un mi-temps au nom trompeur, en réalité un « temps plus que complet ». « J’ai alors travaillé avec quelqu’un de passionné et d’enthousiaste », salue élégamment l’élève de celui qui est désormais considéré comme l’oublié du Nobel. C’est la grande époque de la recherche contre le cancer, et l’étudiante travaille sur des rétrovirus (des virus qui, pour se multiplier, transforment leur matériel génétique en ADN, grâce à une enzyme virale, la transcriptase inverse, et peuvent ainsi s’intégrer à notre patrimoine génétique) responsables de leu-cémie et de cancer chez la souris. Elle cesse d’aller à l’université, et « à ses moments perdus », lit les cours que lui passent ses camarades. Ils sont deve-nus simples et clairs. Avec la pratique, la théorie trouve une utilité immé-diate et se place naturellement dans un savoir global. C’est durant cette période que la chercheuse découvre la vision pasteu-rienne de la science. Interaction entre recherche fondamentale et recherche appliquée, mais aussi entre les différentes disciplines scientifiques, ensei-gnement, formation, dialogue entre cliniciens, scientifiques et patients, présence dans le monde entier… L’Institut Pasteur, centre de recherche biomédicale à but non lucratif, reconnu d’utilité publique, fonctionne selon une philosophie fondée sur la solidarité et le partage, aussi vivace qu’à sa création par le découvreur du vaccin contre la rage. La science pasteurienne est un tout, un cercle vertueux qui tend en premier lieu à l’amélioration de la condition humaine. « Les problèmes de santé publique alimentent la recherche dont sont issues les applications au bénéfice de la santé et les arguments pour convaincre les politiques d’agir. On m’avait ensei-gné cette approche, mais c’est avec l’apparition du sida que j’en ai mesuré les conséquences pratiques », s’anime Françoise Barré-Sinoussi.Rappel des événements. Nous sommes en 1983 et, depuis deux ans, est apparue aux États-Unis une maladie foudroyante, qui s’attaque aux

Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008 pour son rôle clé dans la découverte du virus du sida en 1983, a été nommée à l’Académie des sciences en février dernier. Elle dirige l’unité “Régulation des infections rétrovirales”, à l’Institut Pasteur, dont la Fondation Total est partenaire depuis 2005. Les plus hautes distinctions couronnent enfin le parcours sans faute de cette chercheuse de l’ombre.

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lymphocytes, principale composante sanguine de notre défense immunitaire. En France, une cin-quantaine de personnes sont touchées, et le prati-cien Willy Rozenbaum fait appel au laboratoire de rétrovirologie de l’Institut Pasteur pour tenter de savoir si le virus meurtrier est un rétrovirus. Quelques semaines plus tard, la jeune chercheuse de 36 ans parvient à détecter le VIH. C’est une découverte majeure. Désormais, des tests peuvent être mis en place à grande échelle. Ils permettent de pré-venir la transmission du virus par le sang et ses dérivés, mais aussi de limi-ter la transmission sexuelle et celle de la mère à l’enfant, tant par l’information que par les conseils formulés aux personnes infectées. La recherche d’un traitement commence. Dès lors, quelques malades du sida, ayant appris la découverte de l’agent responsable de leur maladie, se ren-dent à l’ Institut Pasteur. Pas en consultation, mais pour poser des questions sur le virus, l’évolution de leur infection et les traitements à espérer. « C’était très émouvant du point de vue humain, très éprouvant psychologi-quement, mais aussi extrêmement enrichissant. Grâce à eux, j’ai modifié ma manière de travailler. Aujourd’hui encore, je me demande toujours si l’orien-tation que nous prenons dans nos recherches répond bien à l’attente des malades. »

La moraliste Rien d’étonnant, alors, que la seconde réaction mentionnée par Françoise Barré-Sinoussi à l’annonce de son Nobel soit celle d’une « reconnaissance partagée ». « Ce Nobel appartient à tous ceux qui, depuis des décennies, se

battent dans l’ombre : les associations, dont Aides ou le Sidaction, mais aussi ces patients qui n’ont malheureusement pas vu leurs efforts aboutir. » Et la scientifique d’ajouter, comme pour nuancer son réel enthousiasme : « Quelle lourde responsabilité d’être le porte-parole de cette communauté ! » Voici bien le personnage : complexe, complet, à l’image de sa vision

de la science, impressionniste et impressionnant. Animée d’une pas-sion qui parfois lui pèse, Françoise Barré-Sinoussi s’accommode des

contraintes et réconcilie les contraires avec la plus grande simplicité. Rouge à lèvres raffiné et coupe courte pratique. Discrétion inégalée,

mais usage raisonné de sa célébrité nouvelle. Emportement volcanique lorsqu’elle commente les déclarations du pape sur le préservatif et foi catholique inébranlable. « Ces propos sont totalement irresponsables, ce qui ne veut pas dire que je n’adhère pas au catholicisme, à ses valeurs morales. » Jusqu’à un certain point. La calme scientifique sait s’emporter à bon escient. La catholique fait abstraction des dogmes. « Est-ce que vous regar-dez du même œil les personnes qui ont une hépatite ? » demande-t-elle, rap-pelant que le drame du sida, outre l’absence de vaccin, est celui de la discrimination. « La stigmatisation des séropositifs est liée au fantasme que la maladie véhicule : débauche, drogue, prostitution, homosexualité. Com-bien de fois ai-je entendu un chauffeur de taxi me dire, après m’avoir demandé mon métier : “Vous n’avez rien d’autre à faire que de travailler à cette maladie des homosexuels ?” » Sérieux et humour. On réplique qu’il faut désormais prendre les transports en commun et, enfin, elle éclate de rire. n

Laure Mentzel

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Marchés, réglementations, motorisations, mentalités : au-delà de la crise actuelle, l’accès à une mobilité durable passera par des transformations lentes et profondes. Regards croisés sur les voies qui se dessinent.

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Un marché chéri En 2009, la Chine est devenue le premier marché automobile mondial. Grâce à d’importants appuis publics, l’industrie chinoise envisage d’être l’un des grands acteurs mondiaux de la voiture électrique. Yuan Tao, directeur chez Chery Automobile, le premier exportateur chinois, nous donne son point de vue sur la situation de l’industrie automobile et ses perspectives de développement.

Comment la crise du secteur automobile vous affecte-t-elle ? Comment la voyez-vous évoluer au niveau mondial ? La crise du marché automobile mondial n’affecte pas les différentes régions de la même façon. Les États-Unis et l’Europe de l’Ouest sont en récession, nous le ressentons à travers nos fournisseurs et nous en subis-sons aussi le contrecoup. Cependant, nous tablons sur une reprise des ventes d’ici douze ou dix-huit mois. La demande dans les marchés émergents continue à croître en raison du dynamisme de ces économies et nous y lançons de nouveaux modèles. Nos ventes dans cette zone progressent rapidement grâce à l’introduction de nouveaux modèles et sites de production, notam-ment en Russie, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. En définitive, nous sommes optimistes. Nous pensons que cette crise est un phénomène temporaire et qu’il y a encore un gros potentiel de crois-sance au niveau mondial pour l’industrie automobile.

Qu’en est-il du marché chinois ? Quelles sont vos prévisions ?La Chine est un cas à part. Le marché automobile chinois a subi un ralen-tissement pendant le deuxième semestre 2008, mais la reprise s’est concré-tisée à partir de janvier 2009. Pendant le premier trimestre 2009, les ventes de voitures particulières ont progressé de 30 % par rapport à la même période de l’année précédente. En 2008, le mar-ché a dépassé les neuf millions de véhi-cules. Nous prévoyons une croissance de 30 % sur l’ensemble de l’année 2009, de sorte que les ventes devraient être supérieures à onze millions d’unités. Cette croissance s’explique par la dynamique de l’économie chinoise, mais aussi par l’impact du plan de relance de l’économie mis en place par le gouvernement chinois. L’in-dustrie automobile est considérée comme un secteur stratégique et concentre à elle seule 30 % de l’enveloppe officielle de soutien financier.

La croissance du marché automobile chinois va se poursuivre à un rythme très rapide au cours des cinq prochaines années car son potentiel demeure immense. On compte 100 voitures pour 1 000 habitants en Chine et ce ratio devrait rejoindre celui de l’Europe (500-600). D’ici à cinq ans, le marché devrait se stabiliser autour de 20 millions d’unités par an et nos ventes se situer aux alentours de deux millions de véhicules, soit 10 % de parts de marché contre 6 % actuellement.

Pouvez-vous nous présenter Chery ? Quelle est votre stratégie de développement ?Chery est une société relativement jeune, puisqu’elle a été créée en 1997. La production a débuté en décembre 1999 et notre croissance a été très rapide. Chery est actuellement le numéro cinq de l’industrie automobile chinoise, tant en termes de production que de ventes, et le premier exportateur. En 2009, la production de l’entreprise devrait atteindre 500 000 unités, dont 120 000 destinées à l’exportation.Notre objectif est de figurer, à terme, parmi les dix principaux constructeurs mondiaux. La Chine et les marchés émergents sont nos deux cibles prioritai-res pour le développement des ventes. Notre stratégie dans les marchés émergents consiste à offrir notre gamme complète de véhicules, depuis la petite voiture jusqu’au SUV (Sport Utility

Vehicle), et à y développer des filiales (18 actuellement). Nous avons créé plu-sieurs implantations industrielles dans sept pays (Russie, Iran, Argentine, Malaisie, etc.) et notre objectif est d’en détenir 15 d’ici à la fin de l’année. Sur ces marchés nous sommes très compétitifs en termes de rapport prix/performance car nos pièces sont fabriquées en Chine. Nous allons

créer de nouvelles filiales et stabiliser leur nombre aux alentours de 30.La progression sur les marchés d’Europe de l’Ouest et des États-Unis sera plus modeste. D’abord, parce que nous ne pouvons pas être présents partout. Ensuite, parce qu’il s’agit de marchés matures, plus exigeants sur la qualité, où il est difficile de se développer rapidement. Nous n’avons q

pas, pour l’instant, de projet d’investissement dans cette zone et nous préférons envisager des coopérations de nature commerciale ou techni-que (distribution, design, sécurité, équipements, etc.). Par ailleurs, nous avons signé un accord en Italie avec un partenaire local qui assemble et commercialise quelques modèles tout-terrain de Chery sous son propre logo. En France, nous étudions les partenariats techniques possibles. Des projets sont en cours de négociation dans d’autres pays européens.

Les marchés émergents ont un réel potentiel de croissance, mais ce sont parfois des marchés à risque, comme l’Iran par exemple. Cela vous inquiète-t-il ? L’Iran connaît une situation politique compliquée. Mais nous y vendons peu de véhicules : 20 000 par an, soit 10 % de nos ventes mondiales. Dans les pays émergents, notre principal client est la Russie, où nous vendons entre 60 000 et 100 000 véhicules par an. Ce n’est pas un marché insta-ble. Nous sommes présents dans d’autres régions, comme l’Égypte et l’Amérique du Sud, par exemple, qui ne suscitent pas d’inquiétude.

Quelles sont les forces et les faiblesses de Chery ?En dix ans, nous avons bâti en partant de zéro un constructeur automo-bile compétitif sur les marchés mondiaux. Notre force est d’avoir surgi sur un marché extrêmement concur-rentiel obligeant Chery, comme l’en-semble des constructeurs chinois, à développer un niveau de qualité identi-que à celui des marques étrangères qui produisent sur place. En ce qui concerne la sécurité, nous sommes aussi bien placés que nos concurrents.Nos principaux points faibles concernent la performance et la fiabilité des véhicules. Dans les classements internationaux de fiabilité des mar-ques, il est clair que nous ne sommes pas parmi les meilleurs et que nous avons encore des efforts à faire. Nous travaillons intensément dans ce domaine pour être au même niveau que les grandes marques internationales.

Chery est la marque automobile chinoise la plus connue dans le monde. Quelle est votre stratégie en matière de marque ?Nous accordons une importance particulière au concept de marque et nous disposons d’équipes dédiées à cette question. En 2009, nous avons introduit de nouvelles marques afin d’offrir une gamme de véhicules qui soit la plus complète possible.Chery reste notre marque de base : elle a une connotation familiale, de voiture de bonne qualité à un prix compétitif. Riich est notre marque premium de véhicules de luxe. Rely correspond aux véhicules commer-ciaux et aux camions et Karry, aux petits véhicules commerciaux desti-nés principalement au monde rural. Chaque marque dispose de son organisation marketing et commerciale propre.

Comment voyez-vous le développement de la voiture électrique et des véhicules hybrides en Chine ?Les autorités chinoises ont engagé une stratégie volontariste en matière de lutte contre la pollution, d’économies d’énergie et de réduction des émissions de CO2. Les grandes villes souffrent d’une pollution excessive et la poursuite de la croissance oblige à mettre en place des mesures draconiennes. Au rythme actuel de croissance du marché, ce sont 12 mil-lions de véhicules qui viennent s’ajouter chaque année au parc automo-bile chinois. Si l’on n’agit pas, le pays court inéluctablement à la catastrophe. Les autorités chinoises sont conscientes de la gravité de la situation et développent une stratégie très dynamique.La législation chinoise concernant la limitation des rejets polluants (oxydes d’azote, monoxyde de carbone, particules, etc.) des véhicules est de plus en plus restrictive. Le gouvernement a adopté les standards de la norme Euro 4, appliquée en Europe depuis 2005, mais il va implanter l’équiva-lent d’Euro 5, mis en œuvre en Europe en 2009, au cours des deux ou trois prochaines années. Concernant les émissions de CO2, l’objectif de la Chine est d’atteindre à cette même échéance 150-160 g/km pour les véhicules neufs, alors que l’Europe vise 130 g/km entre 2012 et 2015. Chery investit pour développer des véhicules adaptés à des normes plus restrictives que celles qui existent actuellement en Chine. Les autorités chinoises appuient activement le développement de la voi-

ture électrique et des véhicules hybri-des. Un fonds de 10 milliards de yuans (1,1 milliard d’euros) a été mis en place afin d’aider au développement des tech-nologies respectueuses de l’environne-ment et au soutien de la production de voitures électriques et de véhicules hybrides. La Chine a un gros atout sup-

plémentaire : elle dispose de réserves abondantes de lithium, qui est uti-lisé pour fabriquer les batteries des voitures électriques.

Quelle est votre stratégie sur ce créneau ?Nous travaillons sur ces deux concepts depuis huit ans, c’est-à-dire pra-tiquement depuis la naissance de l’entreprise. Nous disposons d’un centre technique, spécialisé uniquement dans les problèmes de trac-tion de la voiture électrique, qui emploie 220 personnes. Plus générale-ment, la voiture électrique et les véhicules hybrides sont l’un des axes prioritaires de notre politique en matière de recherche & développe-ment (R&D). L’ensemble des dépenses de R&D représente un mon-tant équivalant à 12 % du chiffre d’affaires et nous employons 6 000 ingénieurs dans cette activité.En janvier 2009, Chery a commercialisé son premier véhicule hybride, le modèle A5 BSG, et en février, la première voiture entièrement élec-trique (S18) est sortie de la ligne de production. Nous allons lancer trois nouveaux modèles de voiture “tout” électrique et deux modèles hybrides (ISG) en 2010. Nous croyons fermement à l’avenir de ce type de véhicule.

Les autorités chinoises appuient activement le développement de la voiture électrique.

Cette crise automobile est un phénomène temporaire ; il y a encore un gros potentiel de croissance au niveau mondial.

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les “big three” face à Une crise d’Une ampleUr inédite

ma petite amérique. Patrick Messina réalise des maquettes qui donnent à voir un univers “déréalisé” : par des effets de profondeur de champ, il joue sur notre perception du paysage urbain.

Jamais les “Big Three” n’ont aussi peu pesé sur leur marché, alors même que les ventes de voi-tures neuves aux États-Unis ont accusé un recul de 35 % au premier semestre 2009 par rapport à la même période en 2008. Ainsi, durant les six premiers mois de l’année, la part de marché totale des constructeurs américains a été de seulement 45,5 % : 19,8 % pour General Motors (GM), 15,9 % pour Ford et 9,8 % pour Chrysler. En 1998, ils représentaient encore 70 % des ventes de véhicules légers outre-Atlantique.En cause, des phénomènes conjoncturels : l’en-volée des prix de l’essence en 2008, ainsi qu’une raréfaction du crédit liée à la crise financière et économique. Mais pour Jacques Radé, associé du cabinet de consultants Roland Berger en charge du secteur automobile en France, le mal est plus profond : « Les racines de cette crise ont l’âge de l’industrie automobile américaine. L’in-dustrialisation des États-Unis s’est en effet structurée autour de ce secteur, qui a fait l’objet d’une très grande protection, notamment avec des accords salariaux et de couverture sociale négociés par l’UAW (United Auto Workers). Ainsi, quand les constructeurs japonais sont entrés sur le marché américain dans les années 1970, ils se

sont installés dans des endroits où les syndicats n’étaient pas présents. Conséquence : structurel-lement, leurs coûts salariaux ont été réduits de moitié. La crise actuelle est donc bien le résultat d’une évolution darwinienne. »Les “Big Three” ont également été accusés de n’avoir pas su prendre en compte un change-ment majeur dans les comportements des consommateurs. Jusqu’à récemment, le marché était en effet majoritairement “trucks” (Sport Utility Vehicle-SUV, pick-ups), car les Améri-cains n’étaient pas sensibles au prix du gallon. Une analyse à l’origine d’une grande erreur stra-tégique : « Les constructeurs américains ont abandonné aux Japonais – Toyota et Honda – le marché de la berline dès le milieu des années 1990, indique Jacques Radé. Ils auraient dû réa-gir à ce moment-là. » Car aujourd’hui, selon les enquêtes de satisfaction JD Power, les voitures japonaises sont perçues par les consommateurs comme étant globalement de meilleure qualité – et notamment plus fiables – que les modèles américains. Or, avec l’envolée des prix de l’es-sence, les ventes de 4x4 et autres pick-up se sont effondrées au profit de celles de berlines et de compacts.

Toutefois, l’avenir n’est peut-être pas aussi som-bre qu’il y paraît. « GM a su se positionner sur deux marchés très porteurs – la Chine, et la Russie –, par le rachat de Daewoo et le change-ment du nom de la marque en Chevrolet. Il dispose par cette filiale et, indépendamment d’Opel, des technologies et savoir-faire “petites voitures”, avance Jacques Radé. Et les “Big Three” ont dans leurs cartons les techno-logies nécessaires pour rebondir. Pour preuve, GM a été très réactif dans le lancement – prévu pour 2010 – de la Chevy Volt, un modèle hybride. Ford possède, quant à lui, ces technologies en Europe. Et l’alliance avec Fiat va permettre à Chrysler de les obtenir à bon compte. D’une manière générale, les Américains savent repar-tir très vite sur de nouveaux savoir-faire. S’ils ne les ont pas exploités jusqu’à présent, c’est parce qu’il n’y avait pas de demande. Or, en matière de voiture, les attentes des consommateurs américains tendent désormais à se rapprocher de celles des Européens. »

Charles Delaere

Les consommateurs chinois sont-ils prêts à franchir le pas ?Nous pensons qu’il y a une véritable niche de marché en Chine pour la voiture électrique. C’est un moyen de transport efficace sur les distances courtes, c’est-à-dire celles qui sont inférieures à 100 kilomètres. La voi-ture électrique est une solution idéale pour la deuxième voiture d’un ménage ou pour les jeunes. Certes, elle est plus chère (entre 10 et 15 000 euros), mais le gouverne-ment chinois a décidé d’octroyer une subvention équivalente à 6 000 euros par véhicule afin de compenser le surcoût. Pour l’instant, cette subvention ne concerne que les achats du secteur public, mais la nouvelle politique du gouvernement chinois qui sera mise en place cette année vise à étendre cet appui au secteur privé dans 13 grandes

villes du pays. La volonté des autorités est de sécuriser l’approvisionnement énergétique de la Chine en rédui-sant sa dépendance aux importations de pétrole. Dans le même temps, le problème des émissions de CO2 n’est pas déplacé. En effet, la part de l’électricité produite à partir du charbon passera de 70 % actuellement à 50 ou 60 % d’ici à cinq à dix ans et celle issue des énergies propres (hydraulique, nucléaire, solaire, etc.), de 30 %

aujourd’hui à 50 ou 40 % à la même échéance. Les trois prochaines années vont être un test. Nous croyons que

le marché progressera par étapes avec, d’abord, le développement des véhicules hybrides, puis de la voiture entièrement électrique.

Cette période d’essai va nous permettre de travailler sur les améliora-tions nécessaires, notamment en matière de capacité des batteries et d’augmentation d’autonomie des véhicules. Après cette phase préli-minaire, le marché de la voiture entièrement électrique devrait pren-dre son envol.

Comment voyez-vous les perspectives dans les pays industrialisés ?Nous pensons que l’utilisation de la voiture électrique se développera davantage dans les pays industrialisés que dans les marchés émergents, en raison des exigences plus fortes en matière d’efficacité énergétique et de réduction des émissions de CO2. Nous envisageons d’exporter nos modèles de voitures électriques en Europe et aux États-Unis quand la demande sera significative.

Il y a encore des lacunes au niveau technologique, mais elles seront réglées progressivement. La voiture électrique et les véhicules hybrides sont les meilleures réponses aux défis posés par la question énergétique, la pollution et les émissions de CO2. Nous estimons qu’en 2020 la voi-ture électrique devrait représenter en Chine, comme au niveau mondial, entre 10 et 20 % du marché automobile.

L’industrie automobile chinoise se caractérise par son atomisa-tion. Pensez-vous que nous allons assister à un phénomène de concentration ?Il existe actuellement plus d’une dizaine de sociétés chinoises et prati-quement tous les grands constructeurs internationaux sont présents. Le marché domestique est très important et la dynamique de croissance va se maintenir. Les entreprises existantes vont continuer à se développer et le processus de concentration ne se justifie pas.Cependant, lorsque le marché se sera stabilisé aux alentours de 20 mil-lions de véhicules par an, il y aura des évolutions car la compétition sera telle que les activités de certains constructeurs ne seront plus rentables. Il est possible que d’ici à dix ans, la moitié des fabricants étrangers et des locaux soient contraints de quitter le marché chinois. n

Propos recueillis par Daniel Solano

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Quels sont à votre avis, les points communs et les différences entre les industries automobiles indiennes et chinoises ?Dans les deux pays, l’industrie automobile connaît une croissance rapide, mais celle-ci est bien supérieure en Chine. La progression du PIB par habitant et des infrastructures de transport y est également plus soutenue. L’Inde a une dizaine d’années de retard sur la Chine, cependant son marché devrait, à terme, l’égaler. La principale différence réside dans la taille des véhicules. L’Inde sera fondamentalement un marché de voitures petites et moyennes, alors que celui de la Chine couvre toute la gamme. Les relations entre les deux industries se développent. Il y a des échan-ges mutuels de composants. Certains équipementiers indiens ont investi en Chine et nous savons que des fabricants chinois souhaitent faire de même dans notre pays. Pour l’instant, nous comptons seule-ment deux joint-ventures sur le segment des deux roues. Nous estimons que cette coopération entre nos deux pays peut être davantage approfondie.

Comment voyez-vous les perspectives de croissance de la demande de production et des ventes d’automobiles en Inde au cours des prochaines années ?En 2006, un document produit conjointement par le gouvernement indien et l’industrie de l’automobile prévoyait une croissance moyenne annuelle de la production comprise entre 12 et 14 % d’ici à 2016. En dépit du ralentissement de l’économie en 2008-2009 et d’une moindre croissance de la production automobile cette année, l’évolution du sec-teur est en ligne avec cette prévision. Nous pensons que l’objectif fixé d’une production de 4 millions de voi-tures particulières en 2016 contre 1,72 million en 2008 sera atteint. À cette date, le chiffre d’affaires de l’industrie automobile atteindra au moins 145 milliards de dollars. La demande intérieure est le moteur quasi exclusif de croissance de la production. Les exportations repré-sentent entre 13 et 17 % de la production et concernent essentiellement des petites voitures.

L’Inde a tendance à se spécialiser dans les petites voitures. Pourquoi ?En Inde, il existe une volonté de se spécialiser dans les véhicules de petite taille, qui sont à la fois peu onéreux, de bonne qualité et écono-mes en carburant. C’est ce que le marché demande. Ici, 75 % des véhicules produits ont une longueur inférieure à quatre mètres. Les fabricants développent des productions à grande échelle qui leur per-mettent de devenir compétitifs au niveau mondial.L’Inde est bien placée pour devenir une plate-forme d’exportation de petites voitures, principalement vers l’Asie du Sud, le Moyen-Orient et l’Afrique, mais aussi l’Europe et d’autres pays industrialisés. Plusieurs constructeurs internationaux ont choisi cette option. C’est le cas, par exemple, de Hyundai, qui exporte environ un quart de la production de petites voitures depuis notre pays.

Comment expliquez-vous la forte croissance de la demande intérieure ?Le dynamisme de la demande intérieure résulte d’une combinaison de plusieurs facteurs. L’Inde se caractérise, d’une part, par une très faible

motorisation : on ne compte que huit véhicules pour 1 000 habitants contre 500-600 en Europe. D’autre part, le niveau de vie progresse rapidement : le PIB par habitant attendra bientôt les 1 000 dollars, ce qui est considéré comme le seuil de “décollage” du marché automobile dans un pays en développement. Un important programme de déploie-ment des infrastructures routières est en cours afin de permettre la connexion de nouvelles régions du pays et de satisfaire un besoin de mobilité actuellement latent. La crise financière a bloqué le crédit à la consommation. Mais une fois celle-ci crise terminée, la reprise des financements devrait stimuler la croissance de la demande. Enfin, les constructeurs offrent de nouveaux modèles et des solutions innovantes en termes, notamment, de consommation de carburant. Ils ouvrent de nouvelles niches de marché et contribuent ainsi à la croissance du secteur.

Selon vous, quelles sont les perspectives de développement de la voiture électrique ?L’Inde est pionnière dans le domaine de la voiture électrique. La société Reva a mis sur le marché la première voiture électrique indienne, la G-Wiz, en 2001, et Tata a présenté son propre modèle en septembre 2009. En ce qui concerne les véhicules hybrides, plusieurs prototypes ont été élaborés et un modèle a été lancé.La protection de l’environnement est une préoccupation majeure en Inde, qui accueillera en novembre 2009 la World Environnement Frien-dly Vehicle Conference. La voiture électrique est l’une des solutions possibles. Cependant, son développement est confronté à un défi, celui de la disponibilité suffisante d’électricité pour recharger les bat-teries. Le partenariat avec l’État est indispensable pour développer la voiture électrique et les véhicules hybrides.

Quelle est la nature des relations entre la profession et l’État ?Il existe une coopération très étroite entre l’industrie automobile et l’administration. Celle-ci s’est concrétisée par le India’s Automotive Mission Plan (IAMP), qui a été conçu et appliqué conjointement. Ce plan couvre l’ensemble des thématiques intéressant la profession : recherche et développement, promotion de la production manufac-turière en Inde, harmonisation des standards, formation, émissions, etc. Il a été lancé en 2006 et la version finale a été présentée en janvier 2009. Les investissements prévus dans le cadre de l’IAMP s’élèvent à 40 mil-liards de dollars. L’industrie automobile s’est déjà engagée à investir 20 milliards de dollars. L’IAMP est un succès et nous cherchons à élargir cette coopération à de nouveaux sujets, par exemple la fixation d’objectifs en matière de consommation de carburant.

Propos recueillis par Daniel Solano

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« L’Inde sera L’un des prIncIpaux fournIsseurs mondIaux de petItes voItures. »

Dilip Chenoy, directeur général de SIAM (Society of Indian Automobile Manufacturers) nous présente le marché automobile indien et ses perspectives d’avenir.

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n Europe, les voitures particulières contribuent à hauteur de 12 % aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’origine anthro pique.

Le transport dans sa globalité (y compris l’aérien et le maritime) s’élève à 22,8 %, la part des centrales d’énergie électrique est de 37 %, celle des ménages de 11 % et celle de l’industrie de 22,2 %, selon des chiffres de la Commission européenne pour les 27 États membres de l’Union euro-péenne. La réduction des émissions de CO2 est depuis longtemps un élé-ment clé de la stratégie des constructeurs automobiles européens. Entre 1995 et 2008, elles ont baissé en moyenne de presque 20 % sur les nouveaux modèles. C’est plus que ce qu’aucune autre industrie n’a réussi à réaliser jusqu’à présent. Et c’est mieux que l’objectif fixé par l’Europe à l’horizon 2020 de diminuer les gaz à effet de serre de 20 % par rapport au niveau de 1990. Ainsi, les constructeurs automobiles européens ont-ils déjà relevé ce défi. Sur la dernière décennie, les membres de l’ACEA (Associa-tion des constructeurs européens d’automobiles) ont introduit dans leurs véhicules plus d’une cinquantaine de nouvelles technologies permettant de réduire les émissions de CO2. Beaucoup d’autres suivront.L’Union européenne a récemment adopté une nouvelle législation qui éta-blit des objectifs contraignants pour les rejets de CO2 à l’échappement des voitures. Cette législation constitue l’un des volets de l’ambitieux “paquet climat-énergie” de l’UE destiné à remplir les objectifs fixés par les accords de Kyoto et post-Kyoto. Selon elle, les voitures mises en circulation entre 2012 et 2015 devront émettre au plus une moyenne de 130 grammes de CO2 par kilomètre, dont dix grammes correspondent à des mesures complé mentaires, notamment un usage accru des biocarburants. Un calendrier spécifique a été établi par l’UE : 65 % des nouvelles voitures devront respecter ces normes dès 2012, 75 % en 2013, 80 % en 2014 et 100 % en 2015. Un premier bilan sera dressé en 2014, avec une révision possible des objectifs pour 2016. Ensuite, des évaluations auront lieu tous les trois ans. À plus long terme, d’ici à 2020, l’Union européenne devrait établir une limite moyenne de 95 gram-mes de CO2 émis par kilomètre – un objectif qui sera conditionné par une étude d’impact. Les constructeurs qui n’arriveraient pas à respecter cette législation seront astreints à des pénalités appliquées selon une “échelle

glissante”. Ainsi, ceux qui dépasseraient l’ objectif de plus de 3 grammes de CO2 par kilomètre devront payer une amende de 95 euros par gramme excé-dentaire. Une telle amende est, incidemment, extrêmement élevée par rap-port au coût du CO2 dans d’autres secteurs. Cela revient à fixer le prix de la tonne à 475 euros, soit beaucoup plus que dans n’importe quelle autre acti-vité. À titre de comparaison, dans l’EU-ETS (European Union Emission Tra-ding Scheme, système européen d’échange de quotas d’émissions), le coût moyen de la tonne de CO2 oscille autour de 15 euros et devrait atteindre, selon la Commission européenne, environ 33 euros la tonne. Il va sans dire que l’industrie automobile fera tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre les objectifs fixés par la législation et pour poursuivre sur la voie du progrès. Mais il est certain qu’il sera difficile de concilier la rigidité du calendrier réglementaire avec les fluctuations de la demande et des varia-tions économiques.La longueur des cycles de production, inhérente à la sophistication du pro-duit, ajoute encore à la difficulté. L’innovation technologique nécessite un délai de mise en œuvre conséquent. Ainsi faut-il jusqu’à cinq ans pour déve-lopper une nouvelle voiture (du design à la production) : l’adaptation des véhicules et, en particulier, des moteurs est extrêmement complexe et coû-teuse. En matière de réduction des émissions de CO2, il n’existe pas de recette miracle : elle ne peut être obtenue au moyen de simples filtres ou d’autres formes de traitement postcombustion. Les évolutions porteront sur la transmission ainsi que sur les matériaux ou la forme de la carrosserie. Par ailleurs, le contexte dans lequel opère l’industrie est complexe et souvent imprévisible. Les améliorations de la technologie automobile sont souvent annihilées par des réglementations européennes contradictoires sur la sécu-rité et la qualité de l’air ou par des tendances de marché consistant pour les consommateurs à privilégier certains critères comme la sécurité et le confort. Jusqu’à très récemment, la demande pour des technologies économes en énergie était des plus faibles. En dépit d’une situation économique qui limite sévèrement ses ressources, l’industrie automobile européenne est prête à relever les formidables défis qui se présentent à elle. Sa stratégie à long terme comme l’imminence

comprendreLa révoLutIon tranquILLe de L’automobILe

des constructeurs et des normesL’UE a récemment adopté la législation la plus sévère au monde concernant la réduction des émissions de CO2 produites par les véhicules. Dans un contexte de crise, où la politique européenne reste essentiellement concentrée sur les progrès technologiques, comment les constructeurs automobiles européens composent-ils avec ces réglementations strictes ?

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comprendrela révolution tranquille de l’automobile

technologies en négligeant d’autres mesures souvent plus rapides et moins onéreuses, ainsi que la possibilité de combiner les différentes options dispo-nibles dans une approche globale et intégrée.Dans le cas du transport, les efforts de réduction des émissions de CO2 doivent porter sur la flotte de véhicules circulant sur les routes comme sur les innovations technologiques automobiles. Des gains supplémentaires peuvent être obtenus grâce à une infrastructure intelligente (gestion opti-misée de la circulation), à l’“éco-conduite” (changement dans notre manière de conduire) et aux carburants de substitution (en particulier les biocarburants). Un tel effort concerté et transversal contribuerait à réduire les émissions de CO2 dans un temps plus bref. La route vers une “mobilité durable” exige un partenariat entre l’industrie pétrolière et énergétique, les décideurs politiques, les opérateurs d’infrastructures et les conducteurs ainsi que, bien sûr, les constructeurs automobiles. n

des échéances réglementaires lui imposent de continuer à investir massivement dans la recherche et développement (R&D). Comme ils l’ont fait au cours de la dernière décennie, les constructeurs vont continuer à investir des milliards d’euros dans les années à venir. Ainsi, l’industrie auto-mobile injecte-t-elle chaque année quelque 20 milliards d’euros dans la R&D (soit 4 % de son chiffre d’affaires), dont une large part concerne à la fois l’amélioration de l’efficacité du carburant et des technologies qui accroissent la performance environnementale des véhicules. Compte tenu des circonstances économiques actuelles, il est essentiel que les construc-teurs automobiles aient le soutien des gouvernements – accès à des finance-ments, d’une part, et politiques de soutien du marché, d’autre part. En temps de crise, de telles mesures seraient favorables à l’industrie et à l’emploi et contribueraient à financer les investissements colossaux indispensables pour abaisser encore les émissions de CO2. Enfin, et surtout, il est grand temps que les décideurs élargissent leur approche en matière de réduction des émissions de CO2. Les constructeurs automobiles s’inquiètent que les poli-tiques européennes se concentrent aussi lourdement sur les nouvelles

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Ivan Hodac, secrétaire général de l’ACEA

la fin programmée des importations américaines d’essence va impacter les raffineries en europe.

New deal aux étatS-uniS

“d’attrition” : le taux de renouvelle-ment, qui est de l’ordre de 7 % par an, a connu une violente contraction en 2008. D’un indice 100 en 1995, il est passé à 92 en 2007 et à 55 en 2008. Ne plus acheter de voitures neuves contribue, de facto, à une réduction du parc automobile du fait de l’obsoles-cence des véhicules qui partent à la casse sans être remplacés. La consommation d’essence s’en trouve donc elle aussi immédiatement et directement affectée. Toutefois, cette tendance pourrait être reconsidérée si les États-Unis proposaient soit une prime à la casse, soit un système de bonus/malus pour des petites voitures peu polluantes. Dans ce cas, autour de 2010-2011, un nouveau gonflement du parc et une reprise modérée du nombre de kilomètres parcourus pour-raient survenir. Malgré cette dernière hypothèse, le marché de l’essence aux États-Unis et l’outil de raffinage en Europe vont subir une mutation sans précédent. Avec

La “Politique nationale d’efficacité sur les carburants *”, présentée par le pré-sident Obama au mois de mai 2009 affiche des objectifs ambitieux de réduction de la consommation d’es-sence aux États-Unis. À l’horizon 2016, les automobiles devront parcourir en moyenne 35,5 miles avec un gallon d’essence, soit consommer 6,63 litres aux 100 kilomètres. Par conséquent la tendance récente à la baisse des besoins en essence devrait se confir-mer sur le long terme.Aux États-Unis comme sur tous les grands marchés automobiles, le para-mètre le plus important et le plus immédiat concernant la consom-mation d’essence est le nombre de kilomètres effectués. En 2008, 3 000 milliards de miles ont été ainsi parcourus. La conjugaison de la crise économique et d’un prix élevé de l’es-sence a entraîné une légère baisse de cette distance par rapport aux années précédentes. La taille du parc automo-bile a également connu un phénomène

451 millions de tonnes par an, l’Améri-que du Nord (y compris Canada et Mexique) est le premier consommateur d’essence au monde. Jusqu’à présent, cette zone a toujours été déficitaire. D’où des importations de 43 millions de tonnes d’essence en 2008, dont 31 mil-lions en provenance d’Europe, qui affiche un copieux excédent de 42 mil-lions de tonnes. Pourtant, alors que les importations d’essence nord-américai-nes n’avaient cessé de croître depuis la fin des années 1990, cette situation est en train de basculer.Selon nos modèles d’analyse, l’évolu-tion de l’outil de raffinage américain, les investissements consentis et une diminution de la consommation vont permettre aux États-Unis de cesser d’importer de l’essence d’ici 2015 ou 2016 ! Cette révolution va évidemment frapper de plein fouet les raffineries en Europe, et notamment celles de Total, qui ne pourront plus placer leurs excé-dents d’essence sur ce marché. Les capacités de production européenne

en essence devront ainsi être dimi-nuées de 900 000 barils jour d’ici 2020, tandis que celles en gazole devront augmenter pour répondre à la crois-sance de la demande. Les raffineries européennes ont été construites puis développées lorsque le marché était dominé par l’essence. Dans les années 1980, des incitations fiscales, suivies d’un effort sur l’offre réalisé par les constructeurs automobiles, ont favo-risé le gazole, et l’Europe en est aujourd’hui déficitaire. En 2008, elle a importé 35 millions de tonnes, de gazole et fioul domestique, notam-ment en provenance de Russie. Pour rééquilibrer la production, des adap-tations dans les raffineries existantes seront nécessaires, notamment en augmentant la capacité de traitement des hydrocraqueurs qui produisent du gazole et du jet fuel.* National Fuel Efficiency Policy.

le bel avenir du moteur thermique

Le moteur thermique équipera encore la grande majorité des voitures neuves vendues en 2020. À cette échéance, la commission européenne a pour objectif de fixer à 95 g/km la moyenne des émissions de CO2 du secteur automobile. Les constructeurs n’ont plus le choix, il leur faut mettre en œuvre les technologies qui permettent d’améliorer le rendement, et donc d’abaisser la consommation.

ertes, l’automobile est en train de changer et la voiture électrique occupe plus souvent qu’à son tour le devant de la

scène média tique. Il n’empêche que tous les experts s’accordent pour affirmer que le moteur thermique conservera un rôle essentiel. Direc-teur du département Motorisations chez BMW, Peter Langen n’a pas de doute là- dessus : « Au cours des vingt prochaines années, le moteur à combustion interne continuera à être majoritaire dans les voitures particulières. » L’avenir à plus long terme est en revanche difficile à prédire, « car les développements futurs dépendront des lois fiscales et de la disponibilité des énergies alternatives ». En effet, même après le pétrole, le moteur à combustion interne pourrait continuer à tourner grâce aux carburants liquides ou gazeux obtenus à partir d’autres sources d’énergie fossile (charbon, gaz natu-rel) ou de biomasse. Joseph Beretta, notamment en charge des rela-tions institutionnelles du groupe PSA dans les domaines de l’énergie, des nouvelles technologies et des émissions, souligne à ce propos que « la gamme PSA compte déjà plusieurs modèles pouvant fonctionner au gaz naturel pour véhicules (GNV). Le gain en émissions de CO2 atteint d’ores et déjà 25 à 30 %. Mais surtout, les mêmes voitures peuvent être alimentées avec du biogaz obtenu à partir des déchets organiques ou agricoles. Et là, il y a un quadruple bénéfice pour la planète, car le pouvoir de réchauffement du méthane est 23 fois supérieur à celui du CO2 ».Dans l’optique d’une utilisation plus large et variée des carburants alternatifs, les recherches menées actuellement sur le moteur à taux de compression variable porteront sans doute à l’avenir leurs fruits. Dans ce domaine, la société française MCE-5 a démontré l’intérêt du principe : logé sous le capot d’une Peugeot 407, son moteur est un 4 cylindres de 1,5 litre à double suralimentation étagée, capable de développer une puissance de 217 ch et un couple de 420 Nm tout en consommant seulement 6,7 l/100 km d’essence (158 g/km de CO2). L’année prochaine, le passage à l’injection directe permettra encore d’améliorer le rendement (270 ch, 460 Nm, 6 l/100 km et 140 g/km).

Les progrès du moteur à essencePlus près de nous, la tendance déjà amorcée de réduction de la taille des moteurs va aller en s’accentuant. Elle sera accompagnée, sur le moteur à essence, de la mise en application de technologies – jusqu’ici jugées trop coûteuses – qui apporteront de spectaculaires gains en rendement. Michel Forissier, directeur du Développement chez Valeo, précise que pour réduire la moyenne des émissions de CO2 du secteur automobile, « une augmentation de la diésélisation du parc pourrait être la première solution. Mais elle se heurte au prix du moteur Diesel. Déjà plus cher que le moteur à essence, son prix augmentera encore avec l’application de la norme Euro 6 en 2014. Par ailleurs, la disponibilité du gazole aura ten-dance à se raréfier, notamment sous l’effet de l’augmentation du parc des véhicules utilitaires en Chine ». L’amélioration du rendement du moteur à essence passera d’abord par la généralisation de l’injection directe qui, pour un même niveau de puissance et en profitant des premières consé-quences du downsizing, permettra de réduire la consommation de 15 %. L’effet de masse de cette évolution devrait être sensible car, selon l’équi-pementier Bosch, plus de 60 % des voitures vendues dans le monde sont encore équipées de moteurs à injection indirecte d’essence. Techniquement, la pulvérisation du carburant directement dans la chambre de combustion constitue le premier maillon d’une chaîne ver-tueuse : d’une part, en contribuant à abaisser la température régnant dans la chambre de combustion, l’injection directe donne l’opportunité d’augmenter le taux de compression (principal facteur de rendement) et, ou, la pression de suralimentation du turbo compresseur. D’autre part, elle permet de gérer séparément l’admission d’air en se débarrassant par-tiellement ou totalement du traditionnel volet d’air. La gestion du volume d’air admis peut alors être confiée directement aux soupapes en faisant varier leur levée et leur durée d’ouverture. Le système se nomme Valve-tronic chez BMW, Multiair chez Fiat, ou encore Camless chez Valeo. La création de turbulences favorables à la qualité de la combustion et l’éli-mination des pertes par pompage liées à la suppression du papillon sont autant d’éléments permettant d’accroître le rendement du moteur

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Alan Reid, responsable Études Marchés, branche

Raffinage & Marketing de Total

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à essence. Ainsi, par rapport à un moteur atmosphé rique de conception conventionnelle (2 litres atmosphériques développant 100 kW), les motoristes allemands de Bosch assurent avoir obtenu, pour une puis-sance identique, une réduction de la consommation de 29 % en conce-vant un 4 cylindres suralimenté de 1 100 cm3 à injection directe faisant appel à la distribution variable. Dès 2015, des moteurs de ce type équipe-ront vraisemblablement des berlines de la taille d’une Volkswagen Passat, dont la consommation tournera autour de 5,5 l/100 km (130 g/km). En conservant la cylindrée de 2 litres du moteur de la Renault Laguna, Valeo a pour sa part obtenu une puissance de 200 ch assortie d’émissions limitées à 120 g/km de CO2 (5 l/100 km).Une réduction d’un tiers des émissions de CO2 en passant d’une généra-tion à l’autre, c’est aussi l’objectif atteint par BMW avec le dernier 6 cylin-dres en ligne de la Gran Turismo 535i, qui associe la suralimentation (un seul turbo à double entrée de type twinscroll), l’injection directe et la distribution variable Valvetronic. Et comme il n’y a pas de petits profits dans le domaine de la réduction de la consommation, il y ajoute une pompe à eau électrique et une pompe à huile à cylindrée variable pilotée en temps réel grâce à un capteur de pression (logé dans le carter), toutes deux moins gourmandes en énergie. L’alternateur et le compresseur de climatisation ne fonctionnent quant à eux que lorsque c’est nécessaire. Ce nouveau 6 cylindres de 3 litres développe 306 ch, la puissance d’un V8 de 4 litres de la génération précédente.L’évolution vers des moteurs plus petits et des puissances spécifiques plus élevées est naturellement transposable à la voiture de Monsieur Tout-le-monde. Michel Forissier n’en doute pas, en soulignant toutefois qu’il « fau-dra veiller à développer des solutions financièrement accessibles pour un client qui n’est pas décidé à dépenser plus ». Ainsi, si techniquement rien ne s’op-pose au fait d’implanter un 3 cylindres turbo de 1 000 cm3 sous le capot d’une berline familiale, il faudra toutefois prévoir une “aide au décollage” afin de ne pas risquer de caler au démarrage et fournir un couple supplé-mentaire qui restitue la disponibilité à bas régime à laquelle le client est désormais très habitué depuis qu’il conduit des voitures diesel. Pour cela, la baisse de la cylindrée sera utilement associée à une hybridation légère. L’électrification grandissante des périphériques (assistance de direction, système Stop & Start, pompe à eau, climatiseur…) justifie désormais plei-nement les recherches qui visent à récupérer l’énergie perdue à l’échappe-ment pour la transformer en électricité. Dans ce domaine, Peter Langen souligne au préalable que « la meilleure façon de récupérer de l’énergie à l’échappement, c’est d’abord le turbo. Néanmoins, la prochaine étape consiste à produire de l’électricité avec un générateur thermoélectrique (utilisant des semi-conducteurs transformant directement la chaleur en électricité). Une amélioration de son efficacité est attendue d’ici à cinq ans, ce qui nous aidera alors à couvrir l’augmentation des besoins en électricité de nos modèles ».

Les progrès du moteur DieselLa tendance à la réduction de la cylindrée touche également le moteur Diesel. Joseph Beretta, rappelle ainsi que « le 1.6 HDI fournit aujourd’hui les mêmes prestations que le précédent 2 litres. Le downsizing a ceci

l’automobile Se met

au réGimedepuis leurs premières

utilisations il y a cinquante ans, les plastiques ont peu à peu

remplacé les métaux. ils constituent aujourd’hui la carrosserie

et l’habitacle de nos voitures. tour d’horizon des matériaux issus de la

branche chimie du groupe total qui rendent les automobiles plus légères, plus performantes et moins polluantes.

Lorsque les constructeurs automobiles ont opté pour les plastiques dans les années 1960, c’était pour ne plus jamais s’en défaire. La Renault 4 et la 2CV de Citroën, voitures emblématiques de l’époque, figurent parmi les premières au monde à être équipées de pièces en plastique. Ce matériau

offre des avantages que le secteur recherchait déjà : légèreté, réduction des coûts, performance, sécurité, adaptabilité… Sans nul doute, le plastique a contribué à rendre possible la production en masse d’automobiles.Aujourd’hui, les constructeurs produisent des véhicules plus efficaces du point de vue énergétique. La tendance est à l’allégement et le métal cède peu à peu sa place au polypropylène, le matériau de synthèse le plus utilisé dans l’auto-mobile « Grâce à leur faible densité, les plastiques permettent d’alléger la voiture de 200 à 400 kilogrammes, ce qui représente une économie de 0,3 à 0,5 litre pour 100 kilomètres », explique Robert Poncelet, responsable de la Business Unit Polypropylène Automobile chez Total Petrochemicals. Même son de cloche chez Cray Valley, fabriquant de résines thermodurcissables de spé-cialité, dont les produits suscitent l’intérêt du secteur. « Le SMC (Sheet Molding Compound) – composite à base de résines polyester – permet un allégement de l’ordre de 30 % par rapport à l’acier. La carrosserie des poids lourds est entièrement conçue en SMC et les applications de ce composite sur l’automo-bile sont de plus en plus nombreuses », indique Sébastien Taillemite, responsable Marketing de Cray Valley. Dans la mesure où il réduit considéra-blement le coût d’outillage, les constructeurs plébiscitent également le SMC pour la production de leurs petites séries. Il en est ainsi de la Renault Vel Satis, de la Mégane cabriolet ou encore de certains coupés BMW et Mercedes. Dans la course à l’allégement, Bostik, le spécialiste des adhésifs, ne manque pas à l’appel. « Ils contribuent à optimiser le coût d’utilisation des véhicules et ouvrent désormais la voie à l’application de matériaux plus élaborés tels que les composites à fibres légères », précise Mark Hufziger, directeur de la divi-sion Transports, basé aux États-Unis. En sus, ils permettent d’allonger la durée de vie des pièces en les protégeant de la corrosion, tout comme les finitions qu’apporte Atotech à un grand nombre de pièces automobiles, depuis les éléments de fixations jusqu’aux calandres. Leader de la métal-lisation, Atotech a mis au point des solutions innovantes pour protéger et faire briller les pièces métalliques et plastiques tout en limitant l’impact sur l’environnement : « Nous avons développé des techniques alterna-tives de chromage qui ne présentent aucune substance toxique. Cette

technologie baptisée “TriChrome” est actuellement introduite dans l’industrie automobile et représente un pas important vers une pro-

duction plus verte », ajoute Harald Ahnert, responsable Grands comptes et Équipementiers automobiles chez Atotech, à

Berlin.Décidément, les plastiques savent faire preuve de souplesse :

ils épousent autant les courbes des véhicules qu’ils répondent aux exigences écologiques !

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YAounDÉ, quartier d’Essos (Cameroun), 2004.

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de vertueux qu’il participe à la réduction de la masse du véhicule ». Or, moins de masse mécanique implique un dimensionnement inférieur de l’ensemble des trains roulants (freins, suspensions, roues), ce qui contri-bue à l’allégement. Joseph Beretta rappelle ainsi que « 100 kilogrammes gagnés sur la masse du véhicule représentent un gain moyen de 4 g/km lors du cycle d’homologation. De la même façon, une réduction de 10 % de la résistance à l’avancement due aux frottements aboutit à un gain de 2 g/km, tandis que dans le domaine de l’aérodynamique, 0,5 m2 de moins sur la surface frontale vaut un gain de 2,5 g/km ». Cependant, les motoristes n’ont évidemment pas dit leur dernier mot, car 10 % de rendement supplémentaire se traduisent par une économie de 15 g/km. Mais, en partant du moteur Diesel actuel, qui dispose déjà de la suralimentation et de l’injection directe, l’évolution sera moins specta-culaire que celle du moteur à essence. Toutefois, les gisements de progrès existent. Joseph Beretta souligne même que « contrairement aux idées reçues, le durcissement des normes de dépollution va contribuer à l’améliora-tion du rendement du moteur Diesel. Car l’efficacité supérieure des systèmes de post-traitement va nous permettre de considérer la combustion de façon moins contraignante ». Ce sera le cas avec la généralisation du filtre à parti-cules et du catalyseur DeNOx. Le premier traitera des particules plus grosses nées d’une combustion plus riche, tandis que le second permettra de revenir à des températures de fonctionnement plus élevées, facteur important de rendement pour un moteur Diesel. De la sorte, chez Bosch on considère que l’utilisation du dispositif Denoxtronic aboutit à une baisse de la consommation de 5 à 7 %. Selon l’équipementier allemand, un 4 cylin-dres Diesel de 1,2 litre et 100 kW pourrait remplacer dès 2015 le 1,6 litre qui loge aujourd’hui sous le capot d’une berline pesant 1,4 tonne, et ramener par conséquent ses émissions de CO2 à 97 g/km (3,6 l/100 km).Là encore, BMW démontre à sa façon les bienfaits de la réduction de la cylindrée. Parallèlement à la présentation du nouveau 3 litres à essence, la marque bavaroise lance une évolution du 6 cylindres Diesel de 3 litres pour remplacer le V8 de 4 litres. Par rapport à ce dernier, le nouveau venu affiche une baisse de la consommation de 23 % assortie de performances en progrès. En particulier grâce à quelques innovations encore rares sur les moteurs Diesel : au concept de la suralimentation étagée appliquée chez BMW depuis 2004 s’ajoute la géométrie variable à commande électrique du plus petit des deux turbos, le collecteur d’admission variable, la com-mande électrique de vanne EGR et le refroidissement de la boucle EGR. Sur la nouvelle série 7, cela se traduit par une consommation de 6,9 l/100 km et une accélération de 0 à 100 km/h en 6,4 secondes. Un nouvel exemple de la stratégie EfficientDynamics de BMW. Peter Langen ajoute que « la réduction de la consommation n’est pas unique-ment liée à l’amélioration du rendement. Le meilleur amortissement des vibra-tions, le couple plus important et disponible plus tôt permettent d’utiliser le moteur à des régimes de rotation moins élevés, ce qui profite à la consomma-tion. Par ailleurs, si le moteur a moins besoin d’être refroidi, cela signifie que la surface du radiateur peut être moins importante, ce qui est positif du point de vue aérodynamique. Au total, l’ensemble de ces mesures entraînera à l’avenir une réduction supplémentaire de la consommation ». Après avoir rappelé que

ces recettes sont applicables aux moteurs de cylindrées inférieures, Peter Langen précise cependant que « BMW continuera à satisfaire les désirs exclu-sifs d’une part, même petite, de sa clientèle en continuant à développer des 12 cylindres qui bénéficieront eux aussi du meilleur de la technologie ».

une nouvelle façon de voir l’automobileMais ce seront naturellement les voitures petites et moyennes qui pèseront le plus dans la réduction de la moyenne des émissions du secteur automobile. Or, cela nécessitera probablement une évolution des mentalités. Car, comme le souligne Michel Forissier, « jusqu’ici habitué à rêver d’un V6, l’automobi-liste devra se faire à l’idée d’avoir un 3 cylindres sous son capot ». Dans ce domaine, l’émergence de la voiture électrique pourrait bien faciliter l’entrée dans les mœurs du petit moteur thermique. En effet, face à une voiture élec-trique aux performances modestes (110 km/h) et à l’autonomie limitée (160 km), la petite citadine à moteur essence ou Diesel ne sera plus tenue d’afficher une vitesse de pointe d’au moins 150 km/h, qui semblait jusqu’à aujourd’hui être le minimum vital de l’automobile. Admise par une clientèle contrainte par des limitations de vitesse et réconciliée avec les transports en commun, la baisse des performances de l’automobile de demain apparaît désormais envisageable. En tenant compte des progrès apportés par l’hybri-dation légère, la réduction du poids et l’amélioration de l’aérodynamique, la voiture de taille moyenne telle que nous la connaissons aujourd’hui (2 litres, 100 kW, 1,4 tonne) verra ainsi sa consommation divisée par deux d’ici à 2020. Soit une moyenne de 3,8 l/100 km d’essence ou 2,6 l/100 km de gazole. n

touJourS une innovation

d’avanceFournisseur des plus grands constructeurs, hutchinson, une filiale de total, mise sur une recherche ambitieuse pour proposer des produits à la pointe de la technologie.

L’histoire d’Hutchinson est étroitement liée à celle de l’automobile. Et c’est sous le signe de l’expertise technique et de l’innovation que ces relations fêteront bientôt leur centenaire. Si l’équipementier a toujours bénéficié d’un statut de partenaire incontournable auprès des constructeurs automobiles, c’est à son offre de produits high-tech qu’il le doit. Celle-ci couvre de nombreux domaines : isolation

vibratoire, transfert de fluides, transmission, étanchéité de carrosserie et de précision, mastics et adhésifs. Il s’agit de pièces d’interface à haute valeur technologique visant à rendre nos véhicules toujours plus intelligents et moins polluants.La recherche scientifique et ses applications industrielles sont donc au cœur de la stratégie d’Hutchinson. Elles lui permettent d’accompagner toutes les évolutions que connaît l’automobile « depuis la Logan, la voiture low cost de Renault, jusqu’au véhicule hybride, en passant par la Smart, qui symbolise l’attrait récent pour les petites citadines », précise Christian Casse, directeur de la Recherche et du Développement chez Hutchinson. L’évolution des motorisations a également représenté un véritable défi, que l’équipementier a su relever grâce à des solutions innovantes comme le codage magnétique, fruit de la révolution mécatronique. Cette discipline d’avenir, dans laquelle Hutchinson investit, se situe au carrefour de l’électronique et de la mécanique. À titre d’exemple, la réduction des cylindrées, à des fins d’économie de carburant, « a rendu les moteurs actuels plus complexes car l’adjonction de turbos, pour maintenir la puissance, et l’utilisation de gaz comprimés à haute température pouvant s’élever à 250 °C ont nécessité des composants plus pointus à tous les niveaux. Nous avons développé de nombreux produits adaptés à ces environnements difficiles, qui aident à réduire les émissions (polluants, CO2) ou à optimiser la circulation des fluides, l’entraînement des accessoires ou le fonctionnement des boîtes de vitesse », poursuit Christian Casse. Dans le domaine de l’acoustique des moteurs, d’importantes innovations ont aussi été enregistrées : « À l’origine, les moteurs dépollués vibraient énormément. Ils sont aujourd’hui équipés d’isolateurs à contrôle actif : les nouveaux injecteurs piézoélectriques sont par exemple isolés par nos produits. » La prochaine étape est le moteur à compression variable qui permettra à des moteurs à essence de rejoindre le niveau de consommation des moteurs Diesel.Face à un secteur en pleine mutation et soumis à une forte pression sur les coûts, l’équipementier mise sur l’innovation pour préparer l’avenir. Hutchinson se projette déjà dans l’après-crise en nouant, en amont, des contacts plus étroits avec ses clients afin d’anticiper leurs demandes. Jacques Maigné, le nouveau président d’Hutchinson, souligne l’importance de la mise en place de synergies entre les différentes activités dans le domaine de la R&D. La créativité est le moteur de l’excellence.

Fouez Balit

BAngkok (Thaïlande).

ERnAkuLAm, Kerala (Inde), 2006.

PoncA, Oklahoma

(États-Unis), 2008.

Jean-Jacques cornaert

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De l’hybriDe au tout électriqueLa voiture électrique a largement plus de 150 ans. Va-t-on enfin la voir rouler dans nos rues ? C’est probable. Mais bien malin celui qui pourrait prédire le jour où elle prendra le dessus sur la voiture à moteur thermique. Sur ce sujet, les avis divergent fortement. Tout le monde est à peu près d’accord pour considérer qu’entre le thermique et l’électrique, l’hybride jouera un rôle essentiel.

six niveaux D’électrification

1. Stop & Start : le dispositif le moins cher et déjà le plus répandu. Il permet d’interrompre le fonctionnement du moteur thermique lors de l’arrêt de la voiture au feu rouge ou dans le trafic.

2. Stop & Start avec récupération d’énergie au freinage : capable, pour des voitures petites et moyennes, de récupérer une partie de l’énergie cinétique et de la restituer à l’accélération grâce, par exemple, à un alterno-démarreur relié au moteur thermique par une courroie (projet Valeo).

3. Mild hybrid : solution élaborée, à moindre coût, pour réduire la consommation de 15 % à 20 %. Un moteur-générateur assiste le moteur thermique, mais ne permet pas de traction électrique pure. La fonction Stop & Start fait également partie du dispositif.

4. Full hybrid : solution plus coûteuse et plus performante que le mild hybrid, permettant également d’effectuer quelques kilomètres en mode électrique pur. L’aide au moteur thermique et le Stop & Start sont également assurés.

5. Véhicule hybride rechargeable : véhicule fonctionnant à l’électricité pour les usages à courte distance et relayé de façon directe (génération d’électricité, ce sont les range extender) ou indirecte (chaîne de traction thermique) par un moteur thermique pour le fonctionnement sur route.

6. Véhicule tout électrique : la motorisation électrique offre une autonomie de l’ordre de 150 km. Il faut notamment repenser le fonctionnement des systèmes auxiliaires (éclairage, ventilation, sonorisation…) afin de limiter leur consommation d’électricité et inventer de nouveaux dispositifs dans le domaine de la climatisation (réfrigération et chauffage). Par - 20 °C, l’utilisation du chauffage fait chuter l’autonomie de 60 %.

usqu’au siècle dernier, la consommation des voitures intéressait peu le législateur. C’était plutôt une affaire à régler entre le vendeur et

l’acheteur. Ce dernier y prêtait plus ou moins attention en fonction du prix affiché à la pompe. Ce qui explique en partie que l’on ne conduise pas les mêmes voitures en Europe, où le carburant est fortement taxé, et aux États-Unis, où il l’est peu. Mais l’engagement des pays développés, pris dans le cadre du protocole de Kyoto, de réduire leurs émissions de CO2 a changé la donne. La consommation des voitures est soumise à des limitations sévères qui obligent les constructeurs à faire les choix techniques appro-priés. En Europe, un règlement impose de ramener les émissions moyennes de CO2 provenant des véhicules neufs à 130 g/km (soit 5,3 l/100 km en essence, réalisation échelonnée entre 2012 et 2015). L’objectif visé pour 2020 est de 95 g/km (4 l/100 km), alors que la moyenne tourne aujourd’hui autour de 160 g/km (6,5 l/100 km). Aux États-Unis, le président Obama a placé la barre à 35,5 miles par galon (mpg), soit 6,5 l/100 km, dès 2016, à comparer aux 25,5 mpg (9 l/100 km) de la moyenne actuelle.Réduire les émissions moyennes ne signifie pas forcément qu’une partie de l’offre des constructeurs est vouée à la disparition. Sauf accident, Porsche devrait encore être en activité en 2020, et sauf revirement spectaculaire de la clientèle, il est probable que les 4x4 n’auront pas encore disparu. Tous feront des efforts, y compris Ferrari, qui s’est engagé à réduire ses émissions de 40 % dans les dix ans à venir. Mais pour réduire la moyenne des émissions, il faut surtout agir sur le gros du parc, les berlines petites et moyennes, et miser sur l’électrification des véhicules. En tenant compte toutefois d’un paramètre essentiel : « Les acheteurs ne sont pas décidés à dépenser plus, affirme Michel Forissier, directeur du Développement chez Valeo, les dépenses des ménages pour l’automobile ont aujourd’hui atteint un sommet, elles vont maintenant baisser ». L’équipementier s’attache donc à développer des solutions peu coûteuses, facilement applicables à l’ensemble du parc. Déjà très répandu, le dispositif électrique Stop & Start, qui gère l’arrêt et le démarrage du moteur dans le trafic, est ainsi en passe de se généraliser. Chez Valeo, on souligne « qu’il permet d’abaisser la consommation de carburant fossile

J d’environ 6 % pour un coût de production de seulement 200 euros ». Cha-que pour-cent gagné revient donc à environ 30 euros, ce qui constitue, selon Michel Forissier, le meilleur rapport coût/performance. Alors qu’à l’extrême inverse, « le véhicule full hybrid présente le rapport le moins favorable, 200 euros le pour-cent gagné, l’investissement s’élevant à 5 000 euros pour une réduction de consommation de 25 %. Vue sous cet angle, la voiture électrique se révèle ainsi plus avantageuse que l’hybride, 100 euros le pour-cent : 100 % de consommation en moins pour un surcoût de l’ordre de 10 000 euros ».

L’électrique moins cher que le thermique ?Renault et Nissan, qui sont aujourd’hui les seuls constructeurs mondiaux conduisant une stratégie résolument tournée vers le véhicule tout élec-trique, souhaitent faire la preuve que ce type de motorisation peut se révéler, à l’usage, plus économique que le moteur thermique. Thierry Koskas, directeur du Programme véhicule électrique, affirme que Renault a la volonté « de faire du véhicule électrique en masse », c’est-à-dire d’en produire plusieurs centaines de milliers dès l’horizon 2015. À cette date, quatre nouveaux modèles auront été commercialisés : la ver-sion électrique de la remplaçante de l’actuelle Mégane 3 volumes sera lancée début 2011, en compagnie de l’utilitaire Kangoo électrique. Sui-vront en 2012 une citadine du format de la Clio et la concrétisation d’un nouveau concept présenté cet automne au salon de Francfort.L’objectif de Renault paraît formidablement ambitieux face aux 10 000 Berlingo et Partner électriques produits par PSA Peugeot Citroën dans les années 1990. Mais ces chiffres sont tout simplement incompara-bles car, en quinze ans, tout a changé. Pour Thierry Koskas, l’avenir de la voiture électrique est assuré pour au moins quatre raisons : « Il y a, premièrement, le bilan CO2 qui, même s’il varie d’un pays à l’autre, est globalement très favorable au véhicule électrique. Deuxièmement, la techno-logie Lithium-ion constitue une rupture technologique : il n’y a plus d’effet mémoire, on peut recharger à tout moment, et on peut tabler sur une autonomie stable de 150 km. Troisième point, les usages que l’on fait de

l’automobile ont évolué. Les enquêtes clients indiquent que 50 % des berlines compactes de type Clio ne sont jamais utilisées sur longs trajets. Pourtant, la moitié d’entre elles parcourent plus de 12 000 km par an, ce qui, au moins pour l’un de nos modèles, constitue le seuil de rentabilité d’un véhi-cule électrique. Enfin, il y a un intérêt économique. À partir de 12 000 km par an, soit 50 km par jour pendant 240 jours, à dix centimes le kilomètre essence contre deux centimes le kilomètre électrique, la voiture électrique devient plus intéressante que l’automobile à moteur thermique. En inté-grant, bien sûr, dans le calcul l’incitation à l’achat qui existe déjà en France (5 000 euros) et se développe dans d’autres pays. » Il faut ajouter que si le véhicule électrique est, sur certains aspects, poten-tiellement moins cher à produire que la voiture thermique (pas de boîte de vitesse, moteur simple et peu encombrant), les volumes limités au départ ainsi que certains composants spécifiques induisent un surcoût pour encore quelques années. De même, le prix de la batterie lithium-ion n’est pas encore optimisé et pourrait, à terme, être quasiment divisé par deux. Sur ce point, Thierry Koskas se montre particulièrement confiant : « Si l’on se projette dans dix ans, les effets volume vont jouer. » Et surtout, il précise que « dans la majorité des cas, Renault souhaite que le client ne soit pas propriétaire de la batterie ». Un pack de 24 kWh pourrait ainsi être loué moins de 100 euros par mois, « la batterie étant encore opérationnelle au bout de dix ans ». La location permet, d’une part, au client de profiter des évolutions technologiques, celles-ci devant logique-ment se succéder sur un rythme rapide au vu du nombre de chercheurs qui travaillent sur le sujet. D’autre part, elle constitue le seul dispositif commercial compatible avec le système d’échange rapide mis au point en collaboration avec la société américaine Better Place. Le principe est simple : sous un portique qui ressemble à un guichet de péage autorou-tier, un robot se charge, en moins de trois minutes, de déposer la batterie déchargée et de la remplacer par une unité pleine. Avec une vingtaine de batteries d’avance et grâce à la recharge rapide (trente minutes), chaque portique pourrait traiter 20 voitures à l’heure. Pour Shai Agassi, le prési-dent et fondateur de Better Place, 1 000 stations seraient suffisantes en France. Les implanter coûterait 350 millions d’euros, l’équivalent, selon lui, de la facture pétrolière consommée sur les routes françaises en trois jours. Mais, pour l’heure, la station quick drop n’est envisagée que comme une solution complémentaire, un peu exceptionnelle, pour le jour où l’usager décide de prendre la route, de préférence sur un axe fréquenté. En usage quotidien, on imagine que celui qui fait l’aller-retour domicile-travail n’aura que rarement besoin de se brancher ailleurs que dans le parking de son entreprise, dans le garage de son pavillon, voire au bas de son immeuble, pour peu que les municipalités jouent le jeu.

L’hybride : un pont vers l’électriqueLa petite voiture urbaine peut très rapidement se convertir à l’électricité. Il suffit que l’infrastructure se mette en place pour que le conducteur soit sûr de trouver une borne de recharge à proximité de l’endroit où il se rend. Certaines réussites récentes comme la location de vélos en libre-service donnent à penser que les choses peuvent aller vite.

En revanche, pour la voiture moyenne, celle qui est utilisée même très occasionnellement pour aller un peu plus loin en dehors des villes, cela risque d’être plus difficile. Car, élevé au diesel, l’automobiliste a pris l’habitude de faire le plein tous les 600 ou 800 km. Et 150 km, ce n’est guère plus que l’autonomie dont il dispose lorsque son voyant de réserve s’allume. La voiture électrique avec range extender pourrait donc avoir ses chances, puisqu’elle emmène un petit moteur ther mique chargé de faire tourner un générateur dès qu’il n’y a plus assez de cou-rant disponible dans la batterie. Connue en Europe sous le nom d’Opel Ampera, la Chevrolet Volt devrait être en 2012 la première proposition commerciale de ce genre. Une autre solution est d’utiliser le moteur thermique pour propulser la voiture en usage non-urbain. Des proto-types sont d’ailleurs en développement chez PSA Peugeot Citroën et Volkswagen.D’ici là, la Toyota Prius de troisième génération aura sans doute été vendue à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Cette coûteuse voiture à moteur thermique bénéficie d’une ingénieuse et complexe assistance électrique, qui lui permet en particulier d’afficher des valeurs de consommation significativement basses. Elle aura aussi permis à Toyota de se construire une notoriété enviable sur le thème de la voiture propre, et d’acquérir un savoir-faire utile sur les spécificités de la motorisa-tion électrique. C’est ce qui vaut au constructeur japonais d’être au centre d’une expérience subventionnée par le gouvernement français : une vingtaine de prototypes de Prius rechargeables vont circuler à Strasbourg pour mettre à l’épreuve la voiture hybride de deuxième génération, celle qui peut aussi se brancher sur le secteur. q

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où va-t-on faire son plein

D’énergie ?L’émergence d’un parc important de véhicules électriques devra être accompagnée d’une évolution des réseaux de distribution et de l’infrastructure électrique. Habitué à faire son plein d’essence ou de gazole en quelques minutes, l’automobiliste sera amené, quant à lui, à modifier profondément ses habitudes. afin de fixer les idées, il faut retenir qu’une recharge lente s’effectue en six à huit heures sur une prise de 3 kW, comme celle d’un four électrique. Pour une recharge rapide en trente ou quarante minutes, il faut prévoir une puissance de 42 kW. Des chiffres à comparer aux 20 mégawatts d’un pistolet de pompe à essence ! Pour Daniel Le Breton, chef du département transport & Énergie au sein de la branche raffinage & Marketing de total, le problème posé par la recharge des batteries sera plus ou moins difficile à traiter selon l’usage que l’on fera du véhicule électrique. « Il y a, d’un côté, ce que j’appelle le clan des classiques, ceux qui imaginent une voiture électrique uniquement urbaine, que l’on recharge la nuit chez soi et éventuellement le jour au bureau ou

dans un parking de supermarché. Ça, c’est la façon de faire la plus simple. De l’autre côté, il y a le clan des modernes, ceux qui, comme Renault, envisagent une voiture électrique capable d’aller plus loin, de faire des trajets périurbains. Dans ce cas, il faut prévoir une infrastructure spécifique, des bornes de recharge rapides, voire des stations d’échanges de batteries où l’utilisateur pourra se ravitailler en cours de route. Or, ces dispositifs sont présentés comme des solutions de secours, l’utilisateur effectuant l’essentiel de ses recharges chez lui ou au bureau. Se pose alors le problème

de l’amortissement d’installations chères, qui risquent de voir peu de clients, tout du moins à court terme. » « Par ailleurs, hormis les pays disposant d’énergie électrique renouvelable ou nucléaire en quantité significative, les avantages en matière de gaz à effet de serre sont modestes, quand ils ne sont pas nuls ou négatifs. Donc le développement de ce type de véhicule relèvera aussi d’une volonté politique d’indépendance énergétique des États, alors prioritaire sur celle de l’environnement », précise Daniel Le Breton. Dans ces conditions, quels peuvent être les investisseurs ? au Danemark et en Irlande, ce sont l’État et les sociétés de distribution d’électricité qui s’impliqueraient dans la construction d’un réseau d’échange rapide de batteries mis au point par

l’entreprise Better Place, et la mise en place de bornes de recharges rapides. Parce que, dans les deux cas, il y a une volonté politique de favoriser le véhicule électrique. Selon Daniel Le Breton : « La donnée fondamentale est que le véhicule rechargeable reste cher, qu’il se passera du temps avant que les coûteux supports fiscaux nécessaires à son développement et à celui des infrastructures électriques disparaissent, et qu’il faudra bien que quelqu’un les paye. La réaction de la clientèle est une grande inconnue : elle semble peu tentée de prendre des risques en achetant une nouvelle technologie, pourtant perçue comme attractive et ayant de l’avenir. L’électrification de la voiture est en marche, mais est-ce l’heure du tout électrique ? La question reste ouverte. »

Jean-Jacques Cornaert

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Aux avantages habituels de l’hybride (récupération de l’énergie cinétique, aide au moteur thermique en accélération, fonction Stop & Start) elle apporte en plus un fonctionnement zéro émission. Chère, mais beaucoup plus polyvalente qu’une voiture électrique, cette hybride rechargeable de deuxième génération compte d’autres partisans. Peugeot lancera aussi en 2011 la version électrifiée de son Crossover 3008, qui deviendra au passage un 4x4, car le moteur électrique animera les roues arrière, en supplément du moteur thermique, qui continuera à entraîner les roues avant afin d’augmenter le niveau de performances et la motricité. Le moteur électrique pourra également fonctionner seul afin d’assurer au 3008 un déplacement zéro émission. Ce sera en quelque sorte l’alter ego diesel de la Prius. En 2013, PSA Peugeot Citroën sortira un premier hybride rechargeable pourvu d’une traction électrique et d’une traction sur base de moteur à essence ; c’est tout du moins ce qu’il y a de plus probable, pour des raisons de prix.

Quelle voiture en 2020 ?La voiture électrique va provoquer un bouleversement qui va sans doute bien au-delà de la mutation technique. Les méthodes de commercialisation et de consommation vont, elles aussi, changer. Pour Thierry Koskas, le métier de vendeur de voitures va évoluer « avec l’apparition de ce que l’on appelle des opérateurs de mobilité. On peut très bien imaginer que le client

n’achète plus une voiture, mais signe un contrat de fourniture de mobilité com-prenant la location de la voiture, de la batterie et la fourniture de l’énergie. Pour arriver à des forfaits du genre 300 euros par mois, 1 000 km inclus ». Mais la voiture thermique, et en particulier l’hybride, a encore de beaux jours devant elle. Michel Forissier souligne que cette technologie reste bien adaptée aux véhicules lourds, les voitures haut de gamme ou les 4x4. « Le mild hybrid est une solution qui combine un moteur générateur, apte à amé-liorer les consommations en urbain et périurbain, à un moteur ther mique conventionnel, qui permet de parcourir des longues distances sur route. L’auto-nomie n’étant pas sacrifiable pour les automobilistes américains notamment, le mild hybrid, alliant les avantages du thermique et de l’hybride à coût limité, peut particulièrement répondre aux exigences du marché américain. Mais, à plus long terme, cela va sans doute changer. On a vu récemment les Américains s’intéresser au train à grande vitesse, ce qui est un signe. »

Cela dit, en 2020, le parc automobile ne devrait pas être fondamentale-ment différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. Pour le directeur du Développement de Valeo, la voiture électrique pourrait à cette échéance représenter environ 5 % des ventes de voitures neuves dans le monde (2,5 à 3 millions d’unités). « Un tiers des voitures continuera à fonctionner au thermique pur car l’électrification ne présente pas d’inté-rêt sur le pick-up du paysan de l’Arkansas, et elle est proportionnellement trop chère pour le client d’une Dacia Logan ou pour l’Indien qui achète une Tata Nano. » Le reste se répartira à parts égales entre les voitures dotées du système Stop & Start et les hybrides. Comme le souligne Thierry Koskas, « on ne peut pas croire que ça va démarrer partout à la même vitesse ». n

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médical des malades, du système de ravitaillement pour les chars militai-res à l’invention de la première chaise roulante “monocoque”… Dans l’automobile, est cité le transfert sur les voitures de route de capteurs de crevaison. Les écuries F1 sont sans cesse approchées par des sociétés de tous les horizons pour l’achat de brevets et des techniques afin de les adap-ter à divers domaines. « La F1 et ses ingénieurs n’imaginent pas forcément toutes les retombées pour le grand public », sourit Philippe Girard.

La conquête du numériqueMais en grande majorité, les retombées sont surtout indirectes. « Pour des raisons évidentes de coûts et d’exigences différentes, adapter une pièce de F1 à une voiture de série est impossible », reconnaît Bob Bell. Heureusement, le travail de développement sur des puissants logiciels aérodynamiques sera adapté demain à de gros calculateurs que la série n’a pas. ING Renault F1 Team a inauguré, il y a peu, son centre CFD (Computational Fluid Dyna-mic). Cela désigne la mécanique des fluides numériques et permet, via un ordinateur très puissant, de modéliser l’interaction entre une monoplace et l’air, tous en mouvement. « Cette révolution devient pour nous une méthode systématique de développement, et notre savoir-faire en CFD est très convoité. Il bénéficiera d’abord à l’Alliance Renault/Nissan puis à tous », ajoute Bob Bell. La CFD est en passe de rendre obsolètes les très coûteuses souffleries à échelle 1, et cela peut s’envisager également pour la série.

De la matière grise pour la sérieDans le domaine moteur, même constat. « Nous avons des échanges fré-quents avec nos collègues de la série, notamment sur les méthodes de calcul, les analyses de panne et les délais de mise sur le marché, précise pour sa part Rob White, directeur général adjoint (moteurs) d’ING Renault F1 Team. Les échanges temporaires ou permanents de personnel entre l’usine ING Renault F1 Team de Viry-Châtillon et la série sont nombreux. » On imagine le gain pour un constructeur comme Renault qui a vu Jean-Philippe Mer-cier, l’un des anciens patrons du développement Moteur en F1, devenir responsable des évolutions des futurs moteurs bicylindres ou tricylindres

disponibles à partir de 2011. Pour Philippe Girard, l’humain est au centre de la F1. « J’ai souhaité dans le projet Total que ce soit les mêmes équipes qui conçoivent les produits de gamme et de la compétition. Ils testent les logiciels et mettent au point les méthodes d’évaluation pour les deux. » Souvent, il arrive aussi que des solutions techniques passent de la série à la F1, puis retournent à la série. Ce fut le cas des DLC (Diamond Like Carbon), des revêtements très durs de surface sur des pièces métalliques et nés de la fabrication d’un composé carboné ressemblant au diamant. Le tout durcit les pièces et évite leur usure. « Ces techniques viennent des poids lourds mais ont été généralisées en F1 sur des petites pièces. Dans quelques années, on trouvera du DLC sur des arbres de distributions des véhicules de série avec des fiabilités extraordinaires. Renault maîtrise ses technologies-là. »

En avance sur son tempsPour un pétrolier, la F1 est le sport mécanique où les retombées sont les plus riches. Leurs produits y sont très nombreux : lubrifiants classiques (moteur, boîtes de vitesse), liquide de refroidissement et autres additifs dans les circuits de refroidissement pour éviter la corrosion, graisses pour trans-mission, roulements ou suspensions, fluides hydrauliques. Soit hors carbu-rant, entre 9 et 10 kilogrammes de produits pétroliers. « Dans un roulement, on est passé en dix ans de 18 grammes à moins de 2 grammes de graisse pour la même fonction et avec une protection meilleure», se félicite Philippe Girard. « On travaille aussi sur des nano-particules aux propriétés lubrifiantes très particulières qui baissent la friction, l’usure et la température. On ne les maîtrisait pas, il y a quatre ans. On verra dans un an des retombées pour le grand public et des implications industrielles. » La F1 sait aussi dire non, même à des idées pourtant politiquement correctes par ailleurs. C’est le cas pour les biocarburants : la F1 a refusé l’option des carburants bioéthanol de

type E85, carburant qualifié d’écologique qui, sous sa forme actuelle, pro-vient de ressources concurrentes de celles utilisées dans l’agroalimentaire, ce qui peut avoir des conséquences néfastes comme l’augmentation du prix du blé et du maïs. Le groupement des pétroliers de la F1, la Fofap (Formula One Fuels Advisory Panel) a rendu un avis défavorable à la Fédération inter-nationale de l’automobile. Notons tout de même que le carburant F1 pos-sède 5,75 % de masse de produits dits “bio”. D’autre part, devançant la législation européenne, la FI a souvent pris en compte la composante éco-logique. Elle avait anticipé il y a déjà plusieurs années la réduction de teneur en soufre à 10 ppm (en 2009 pour la série) – l’oxyde de soufre étant à la base des pluies acides. La F1 avait alors dix ans d’avance.

La F1 et l’avenir de l’automobile Les instances fédérales ont déjà lancé quelques pistes techniques. D’abord, celle en vigueur en 2009 – sans doute sans lendemain car trop onéreuse – de la récupération de l’énergie du freinage (dit SREC, Système de récu-pération d’énergie cinétique, KERS en anglais) stockée dans des batteries puis transformée en puissance moteur supplémentaire. Ensuite, la volonté de réduire la cylindrée des moteurs et d’aller vers un petit moteur turbo. « Les prochaines règles de la F1 devraient encourager une meilleure efficacité énergétique et une économie de carburant lors de la production des véhicules », préconise Rob White. Le passage à l’injection directe est une éventualité. « Ce type d’injection est très répandu dans l’industrie automobile, remarque Philippe Girard. Il y a beaucoup à faire sur les pressions d’injection et la qualité de la combustion. » Enfin, pour 2010, la F1 a supprimé les arrêts ravitaillement en essence. Total travaille déjà sur ce beau défi. « On aura le choix entre un carburant très léger mais moins énergétique pour rendre la voiture plus légère, ou un carburant plus énergétique mais plus lourd. En termes de produits, cela aura peu de retombées mais en sortira une très inté-ressante étude sur les équilibres entre performance et composition. » En F1, les idées ne manquent pas. n

Nicolas Gehin

la F1 moteur d’idéesEn 1969, Elf remportait avec Matra son premier titre de champion du monde de Formule 1. En janvier 2009, Total et Renault, partenaires historiques depuis quarante ans au travers de la marque Elf, ont prolongé leurs accords de coopération. Hier comme aujourd’hui, rien ne remplace la F1 lorsqu’il s’agit d’innovations, de développements technologiques et de challenges humains.

GraND prix d’Australie, Melbourne, mars 2009 (page précédente et ci-dessus, au centre). Grand Prix de Bahreïn, Sakhir, avril 2009 (ci-dessus, à gauche). Vue extérieure du Centre de recherche de Solaize (CReS) de Total, dédié notamment à la formulation des produits pétroliers utilisés en F1 (ci-dessus, à droite). Grand Prix de Malaisie, Sepang, avril 2009 (ci-contre). Grand Prix de Chine, Shanghai, avril 2009 (ci-dessous).

hâssis en carbone, 605 kg à vide, moteur V8 de 750 chevaux à 18 000 tours minute, freins en carbone, performances décoiffantes

(de 0 à 100 km/h en environ deux secondes), développements aérodynami-ques aux coûts exorbitants : difficile de trouver plus éloignée de la voiture de Monsieur Tout-le-monde qu’une F1 moderne. Pourtant, la discipline attire tous les plus grands constructeurs automobiles et les plus puissants pétro-liers. Pourquoi ? Tout d’abord, la F1 est un sport très médiatisé (600 mil-lions de téléspectateurs par an) offrant à ses acteurs un moyen de communication hors norme. Les constructeurs peuvent ainsi pénétrer de nouveaux marchés (Grands Prix en Chine, au Brésil, en Turquie, au Moyen-Orient avec Bahreïn et Abu Dhabi), et les pétroliers gagner en noto-riété sur leur image made in F1. Mais celle-ci n’est pas qu’une campagne publicitaire mondiale, c’est surtout une compétition technologique sans pareille. « Sa grande spécificité est de pousser la technique au maximum dans les domaines les plus cruciaux de l’automobile : la performance et la fiabilité », explique Philippe Girard, chef du Projet technique F1 pour Total. Bob Bell, directeur technique châssis d’ING Renault F1 Team, confirme : « La vitesse et la puissance de développement en F1 n’ont pas d’égal. »

Des écuries très convoitéesVoilà pourquoi l’incroyable évolution technique de la F1 a tant apporté à l’industrie et pas seulement automobile. Il y a eu notamment l’arrivée puis l’utilisation généralisée de la matière carbone dans le châssis. Imaginez qu’au Canada en 2007, Robert Kubica, pilote automobile polonais, est sorti d’un accident à 275 km/h (décélération de 75 G) avec seulement une petite entorse. Une victoire des composites en fibre de carbone, à la fois robustes et légers. ING Renault F1 Team a d’ailleurs un partenariat tech-nique dans l’aéronautique avec Boeing, qui inclut des études sur les maté-riaux. Une passionnante exposition se tiendra jusqu’au printemps 2010 au musée des Sciences de Londres. Son nom : “20 ways F1 is changing our world” (1). Elle rend public toute une série de retombées au niveau de la vie quotidienne. Cela va de l’utilisation de matériaux d’échappements pour des satellites ou engins spatiaux, de l’adaptation des télémétries au suivi

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1- www.sciencemuseum.org.uk/visitmuseum/galleries/fast_forward.aspx.

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« Et si le vrai luxe était l’Espace ? » s’interrogent d’immenses panneaux placés sur la route, où, au beau milieu d’un paysage marin, de gigantesques bibliothèques ont remplacé les falaises. « À vous d’inventer la vie qui va avec », clame son pendant, la publicité pour la petite citadine Twingo. Les deux slogans de Renault, mais également les voitures conçues par la marque, témoignent d’une vraie évolution de la perception de la voiture. « Renault est arrivé avec deux formats opposés, mais très proches dans leur conception, analyse Morgan Faivre, ancien directeur du planning stratégique de CLM BBDO et fondateur de l’agence de publicité Les Gros Mots. Auparavant, la voiture n’était qu’un outil de déplacement linéaire. Elle devient un lieu de vie. L’espace vendu se déplace. Il n’est plus seulement autour de la voiture, avec les trois points cardinaux valables jusqu’alors : le design, l’enveloppe du véhicule ; le danger autour de la voiture, la sécurité ; le chemin à parcourir, la fiabilité. » Le rêve de liberté associé à la voiture reste prégnant, mais la relation à l’objet s’est modifiée. Dans le même temps, le nombre de véhicules vendus dans les pays déve-loppés continue de croître, avec un record de plus d’une voiture par habi-tant atteint dans les années 2000. Les parkings de constructeurs pleins de voitures neuves qui ne trouvent pas preneurs ont remplacé les cimetières de carcasses abandonnées d’hier, note l’essayiste Pascal Bruckner. L’industrie automobile traverse une crise sans précédent. En France ou en Allemagne, cette chute est « masquée par des subterfuges, comme la prime à la casse qui, prenant prétexte d’une inci-tation à acheter des voitures propres, est en réalité un soutien masqué à l’ industrie automobile », selon Bruno Marzloff, sociologue spécialiste des mobilités et fondateur du Groupe Chronos. Mais en Espagne, aux États-Unis, au Japon, les chiffres sont « assourdissants ». Les raisons de ce coup d’arrêt ? À la flambée des cours du pétrole ont succédé ralentissement éco-nomique, crise financière et baisse du pouvoir d’achat. Les automobilistes se sont habitués à ne plus autant se servir de leur véhicule. Selon l’Obser-vatoire de l’automobile Cetelem 2009, 65 % des Français et 58 % des Espa-gnols utiliseraient moins leur voiture qu’avant. Aux États-Unis, la Federal Highway Administration a calculé une diminution de 49 milliards de kilo-mètres effectués par les automobilistes sur les cinq premiers mois de l’an-née 2008 par rapport à l’année précédente.

automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques. » Quand en 1957 Roland Barthes publie ses

Mythologies, introduction à la France des débuts de la société de consom-mation, il la place parmi les grands symboles de son temps – entre bifteck-frites et matchs de catch. « Une grande création d’époque », « un objet parfaitement magique » : la voiture d’après-guerre est vecteur de représentations si fortes qu’elle s’imprime dans l’imaginaire collectif comme un tout sacré et désirable, indispensable prolongement du corps lui-même. En cinquante ans, que s’est-il passé ? De sa généralisation à sa surconsommation, des “trente glorieuses” à la crise mondiale d’aujourd’hui, la sociologie de la voiture, son image, son usage se sont profondément modifiés.

Une brève histoire de la voitureContempler la divine “DS” des Mythologies, mais aussi admirer ses lignes rutilantes, “tâter” ses larges vitres et leurs joints souples, “peloter” ses cous-sins, respirer son odeur : la voiture d’alors est un objet charnel, quasi éroti-que. Dans la plupart des pays d’Europe et aux États-Unis, elle pénètre avec éclat dans la culture de masse. Entrée dans l’univers des possibles, parce que relativement bon marché, l’“auto” appartient symboliquement au plus grand nombre. Avec l’âge d’or de l’industrie automobile, la perception de la voiture se modifie. « La vitesse s’exprime ici dans des signes moins agres-sifs, moins sportifs, comme si elle passait d’une forme héroïque à une forme classique. » Finie la fureur de conduire façon bolide de cinéma. La virilité demeure, domestiquée. La voiture appartient à son conducteur ; elle est son conducteur. De là l’attention portée à son apparence, part essentielle du plaisir de conduire. Symbole de réussite sociale, la voiture définit son propriétaire. Design et couleur comptent dans l’acte d’achat au même titre que puissance du moteur et nombre de chevaux. Statutaire, ostentatoire, la voiture des années 1950 est surtout l’outil de liberté par excellence. Elle le restera au fil de ses évolutions : après une période d’hyperconsommation dans les années 1960 et 1970 – les cimetières de voitures américains, tout le long de la mythique Route 66, en sont l’image la plus célèbre –, puis de multiplication effrénée des modèles dans les années 1980, elle entame un processus de désincarnation dans les années 1990.

physiologie de la nouvelle voitureChangement d’usage ou révolution automobile, crise conjoncturelle ou structurelle ? Pour Pascale Hebel, directrice du département Consommation du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), le modèle automo-bile est fondamentalement remis en cause. L’automobile est le secteur le plus touché par la crise économique actuelle. « Le consommateur n’est plus attaché à l’objet. La crise ne fait qu’accentuer cette réalité : ce qui compte aujourd’hui n’est pas de posséder une voiture, mais de pouvoir se déplacer. »Cette réalité est universelle. Autant les marchés se portent bien dans les pays émergents, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, autant l’achat effec-tué y est pragmatique. « Pour le consommateur chinois, la voiture est un pur moyen de transport. Il recherche avant tout un véhicule à bas prix qui consomme peu », affirme Yuan Tao, directeur chez Chery Auto. Au Brésil, la “voiture populaire “, née avec la fin de l’hyperinflation, destinée au plus grand nombre et consacrée par les nombreuses aides de l’État, « revêt un caractère utilitaire depuis qu’elle s’est démocratisée », confirme Glauco Arbix, professeur de sociologie à l’université de São Paulo.« Il y a une rupture dans l’image de la voiture : sa dimension statutaire s’effiloche au profit d’une dimension utilitaire », résume Bruno Marzloff, qui voit dans son downsizing la preuve d’une profonde mutation. Selon l’argus de l’automobile, en un an, la voiture moyenne en France a perdu 2 centimètres, 40 kilogrammes, 5 chevaux et 58 centimètres cubes. Ses émissions de CO2 ont diminué de 10 grammes par kilomètre et son prix de 1 056 euros. Les pays industrialisés délaissent 4x4 et grosses berlines au profit des petites citadines pratiques, économiques et écologiques. En témoigne la faillite en juin dernier de General Motors, leader mondial de l’automobile de 1931 à 2007 aujourd’hui en restructuration, connu pour son produit phare, le mythique Hummer. « Un bunker sur roues », commente Morgan Faivre, décryptant l’une de ses publicités. Celle-ci montre un Hummer en gros plan, monstre terrible sur un paysage lunaire. « L’écriture de la surpuissance. Cette photo est une tentative d’in-timidation : elle explicite le pourquoi du 4x4 en ville, fruit du désir de domi-ner le monde, et annonce sa fin : monstre d’égoïsme guerrier, ce type de véhicules n’a plus sa place dans notre société. »

panne d’image ?Égérie de la société de consommation ou créature diabolisée par un monde en quête d’air pur, l’automobile, figure structurante des paysages urbains, est un symbole des sociétés qu’elle parcourt. Le point sur des valeurs en mouvement.

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paris, 2002.

Tokyo, Shinjuku, 2008.

NEw york, 2008.

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approFondir

qlire

Powertrain 2020, China’s ambition to become market leader in E-vehicles, Roland Berger Strategy Consultants, April 2009.

Véhicules propres et économes, Brochure Les solutions IFP, Institut français du pétrole.

Le véhicule “grand public” d’ici 2030, Rapport de J. Syrota, Centre d’analyse stratégique, 2008.

Pour une mobilité libre et durable, Bruno Marzloff et Daniel kaplan, Les Éditions FYP, 2009.

Mobilités, trajectoires fluides,Bruno Marzloff, L’Aube, 2005.

qconsulter

Constructeurs automobiles et équipementierswww.cheryinternational.comwww.siamindia.comwww.bmw.comwww.psa-peugeot-citroen.comwww.renault.comwww.valeo.com

Évolution des moteurswww.acea.behttp://ec.europa.eu/environment/air/transport/co2/co2_home.htmwww.greencarcongress.comwww.auto-innovations.comwww.moteurnature.comwww.gerpisa.univ-evry.fr

Chimie de spécialités www.hutchinsonworldwide.comwww.crayvalley.comwww.bostik.comwww.atotech.com

Formule 1www.total-formule1.comwww.ing-renaultf1.comwww.f1technical.net

Cabinets de consultantswww.rolandberger.comwww.groupechronos.org

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Effet de la crise, mais aussi d’une nouvelle philo-sophie du transport ? C’est ce qui semblerait se dégager

d’une étude réalisée par BVA pour Fiat en France en juillet 2008, définissant un « Néo Conducteur ». Éco-cons-

cient, il envisagerait avant tout l’achat automobile comme un acte citoyen. Premier critère de choix lors de l’achat d’un véhicule :

sa consommation (47 % des sondés), immédiatement suivie par la sécurité (24 %) et les émissions de CO2 (15 %), quand le design atteint 7 % et la puissance à peine 3 %. Sécurité, environnement, les préoccupations des conducteurs ont changé. « Jusqu’à présent, on n’a jamais montré qu’un consommateur était prêt à payer plus pour le développement durable », tempère Pascale Hebel. Si ce volet intéresse les pouvoirs publics, il n’est pas encore intégré par l’acheteur. Mais les subventions liées à l’achat d’un véhicule écologique et les sanctions aux pollueurs commencent à faire leurs preuves : « L’écotaxe est une méthode efficace pour modifier les men-talités. Elle culpabilise ceux qui doivent la payer. La pression sociale s’ad-joint à l’action publique. »

Liberté, mobilité, globalitéLa véritable mutation est intrinsèque à la voiture : en se multipliant, elle s’est autodétruite… « La liberté formidable s’avère contre-productive. La massification de l’automobile crée un engorgement terrible, une congestion qui a transformé l’automobile en “auto-immobile” », note Bruno Marzloff. « Avant d’être celle de la voiture, la crise est celle des mobilités, des modes de vie et des territoires », tranche le sociologue. Ce n’est pas d’une “désaffec-tion” que souffre la voiture. Elle a façonné un territoire, une accessibilité aux ressources humaines, un nouvel urbanisme. Elle reste nécessaire. La « dépendance automobile » est un phénomène réel, qui touche la majeure partie des populations du monde entier. Sans voiture, difficile de trouver un emploi, de s’insérer dans le tissu social. En France, deux trajets sur trois et 4 kilomètres sur 5 s’effectuent toujours en voiture. Mais la voiture devient servicielle. Espace public et privé se confon-dent. Le covoiturage, inimaginable encore à l’époque où la voiture était considérée comme une pièce de la maison, et dans laquelle on refusait d’inviter les inconnus, entre dans les mœurs. De nouveaux

q modes d’utilisation apparaissent : le système d’autopartage, prévu à Paris et en place à Lyon, fonctionne déjà aux États-Unis, où Zipcar compte plus de 300 000 abonnés. Autres pistes : la “multimodalité” du transport – choisi en fonction du trajet à parcourir – et son “intermoda-lité” – panachage quotidien de transports (voiture jusqu’à la gare, puis métro, vélo, etc.). « Plus on est mobile, moins on se sert de sa voiture. Il ne s’agit pas de l’abandonner, mais de l’utiliser intelligemment. Pour l’instant, on ne s’en sert que 5 % du temps… tous en même temps », reprend Bruno Marzloff. Villes à péages, généralisation du stationne-ment résidentiel, couloirs de bus : l’Europe et les États-Unis préparent la nouvelle mobilité. Au Japon, avec la densité des conformations urbaines, le tournant a déjà été pris, et on soumet désormais dans les grandes villes l’achat d’une voiture à la possession d’un parking. À New York, sur Broadway, quatre blocks ont été réaménagés et rendus à des modes de transports dits “doux” : marche, vélo, etc. La valeur agressive de la voiture, mentionnée par Barthes, réapparaît. Non en tant qu’ar-deur virile, sportive, érotique, mais comme une violence subie par tous. L’automobile véhicule des valeurs plus négatives qu’auparavant. Certaines publicités les tournent en dérision, comme celle de Volkswagen pour la Touareg, montrant un 4x4 citadin, maculé de chics monogrammes sur les ailes, le garde-boue et les roues. « L’image rit de la mauvaise conscience liée à la voiture. Parodie de traces de boue, clin d’œil au grand bagagiste mondial : on assume son égoïsme en le parant des vertus du luxe, du raffinement », déchiffre Morgan Faivre. De la passion amoureuse à la paisible vie familiale, puis au désamour, la relation de l’homme à la voiture s’est modifiée, influencée par les crises pétrolières, financières, climatiques et territoriales. Il n’est plus de bon ton d’aduler son véhicule, d’être séduit par lui. Et pourtant… Malgré l’injonction du durable, les entraves à la liberté, le dégoût provoqué par les embouteillages et la pollution, l’érotisme demeure dans un coin de l’inconscient. Ainsi, une étude menée par Hiscox, une compagnie d’as-surance anglaise, démontre, analyse du taux de testostérone à l’appui, que les rugissements des voitures de sport émoustillent toujours tous ceux qui les entendent. n

Laure Mentzel

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Tokyo, centre-ville, 2007. HoNG koNG, carrefour de Tsim Sha Tsui, Kowloon, 2005.

NEw york, 2008.

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l’énergie de partager

l’œil de total

Malgré sa haute silhouette reconnaissable à sa crinière blanche, Marco Dufour a le don de se fondre dans l’ombre pour œuvrer dans la lumière. Pourtant, mieux que tout autre, il connaît les facettes du Groupe : il y exerce depuis près de trente ans le métier de photographe d’entreprise.

ecruté en 1980, Marco Dufour exerce en réalité

son métier depuis sa naissance, ou presque. Son père, le célèbre affi­chiste Dufour, l’a initié au dessin, ainsi qu’à la photo « avant même que je sache lire ! » Puis Marco a suivi la voie royale : il est entré dans la fameuse école CE3P dédiée aux métiers de la photo et de l’audiovi­suel, avant de travailler sur le ter­rain. Chez Total, il a commencé par photographier des “carottes” pour les géologues de Pau, puis des packagings pour la Chimie. Aujourd’hui, ses terres de prédilec­tion sont l’Europe et l’Afrique, et il déclare son champ d’intervention « sans limite » : activités et sites industriels, centres de recherche, actions de mécénat et de dévelop­pement durable, événements mar­quants, hommes du Groupe, popu­lations locales… À la différence des photographes de presse ou indépendants qui sont spé­cialisés, le photographe d’entreprise est un généraliste. « Il doit savoir tout faire, donc maîtriser l’ensemble des techniques photogra phiques », explique Marco. Car il lui est demandé de produire des photos de haute qualité, même lorsqu’elles sont prises dans des contextes difficiles. Ainsi, en mer du Nord, il lui est arrivé de photographier

r des plates­formes qui se jouaient du temps. « Une vraie chance, même si j’ai le mal de mer dès que je détache mon œil de l’objectif ! » précise­t­il. Mais photographier les barges flottantes de production de pétrole (FPSO) dans le golfe de Guinée, au large de l’Angola et du Nigeria, reste à ses yeux une gageure très im­pressionnante. « Ces villes flottantes de 300 mètres de long (près de trois fois la longueur d’un terrain de foot) sont peu habitées et pourtant, il faut rendre perceptibles l’immensité de la structure, la haute technicité des opérations de production pétrolière par 2 000 mètres de fond et l’activité des hommes qui travaillent en trois- huit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. » Un clic ne saurait suffire, pas plus que des prises de vue en rafales ou le grand angle qui va incurver les lignes droites. Mettre la technique au service de la créativité est devenu le credo de Marco. Plus encore : un héritage, qui se transmet de

“Il faut maîtriser l’ensemble des techniques photographiques.”

marco dufour

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génération en génération. Que voulez­vous, c’est dans les gènes : l’une des filles de Marco ne suit­elle pas les traces de son père ? S’il est prêt à toutes les prouesses techniques pour servir le Groupe, à tous les courages pour faire de son métier un art, Marco Dufour sait s’imposer des limites : il a car­rément refusé de plonger avec des bouteilles… Il a une excuse : il ne sait pas nager.

Léa Malebranche

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CrystaL PaLaCeLignes acérées, verre et acier : la tour Coupole culmine à 187 mètres.2003/France, La Défense /siège social.

effet MIroIrDes panneaux solaires, étincelant reflet d’un monde en devenir. 2008/France, Toulouse/Tenesol (filiale à 50 % de Total et 50 % d’EDF)/Gaz & Énergies Nouvelles.

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aMarrages ChaMarrés. La souple rigidité d’une structure articulée quadrille l’océan. 2007/Cameroun/Exploration & Production.

À éCheLLe huMaIne. La silhouette casquée rend compte du gigantisme des installations industrielles qu’elle parcourt.2008/Mozambique, Maputo/Raffinage & Marketing.

Les quarantIèMes rougIssants. Chargé de 145 000 mètres cubes de gaz naturel liquéfié, le titanesque méthanier empourpre les latitudes espagnoles.2006/Espagne, port de Bilbao/Gaz & Énergies Nouvelles.

oMbre et LuMIère. L’association angolaise Mulemba, soutenue par Total, éclaire, en les scolarisant, l’avenir des enfants des rues. 2007/Angola/Exploration & Production.

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PoInts en susPensIon. Du haut de la majestueuse façade accidentée de la forteresse de Rabat, neuf siècles d’histoire vous contemplent… 2005/Maroc.

LIens durabLes. Des moules à joints comme des alliances : Hutchinson et ses filiales réalisent ensemble un travail d’orfèvre. 2005/France, Château-Gontier, usine Le Joint Français/Chimie.

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sur la junte birmane » (8). Et Barack Obama vient de tendre la main à l’Iran ainsi qu’à Cuba… Quelque chose serait-il donc en train de changer ?L’épisode tragique de Nargis, en tout cas, a relancé le débat sur l’isolement du Myanmar. Après le passage du cyclone, alors que les frontières birmanes étaient fermées à l’aide internationale, les réponses de première urgence ont été en grande partie apportées par ceux qui étaient déjà là. Parmi eux – majo-ritairement des ONG –, une multinationale étrangère : Total. « À lui seul, le Groupe a débloqué 2,2 millions de dollars, précise Jean-François Lassalle, directeur des Relations extérieures pour l’Exploration & Production. Ce n’est pas rien, comparé aux sommes allouées par de nombreux États. En outre, Total, du fait de sa présence dans le pays, a également pu apporter sur le terrain une assistance logistique et matérielle très efficace… »“Être là” sur le territoire birman n’est pourtant pas anodin pour un acteur étranger. Pas anodin, en effet, d’investir dans un pays soumis à de très fortes tensions internes, où la situation des droits de l’homme est régulièrement dénoncée. Est-ce une raison pour céder à la pression de l’opinion publique et partir ? Oui, diront ceux, tels Burma Campaign ou Earthrights International, qui voient dans la présence au Myanmar de compagnies étrangères et d’ONG humanitaires une collaboration indirecte qui conforte, financièrement et moralement, un régime « condamnable » (9). Qui voient dans l’« engagement constructif » une « complicité objective » des violations des droits de l’homme régulièrement dénoncées dans le pays. Entreprises, ONG, gouvernements, touristes mêmes : chaque acteur doit prendre ses responsabilités devant les enjeux et les implications d’une pré-sence dans ce type de pays. Responsabilité morale, responsabilité

argis, mai 2008 : les ravages du cyclone et la grave crise humanitaire qui s’en est suivie ont rappelé au monde l’oubli dans lequel était tombé

le Myanmar. En cause : un isolement dû principalement à la méfiance du régime, mais aussi à quinze années de sanctions politiques et économiques qui ont accru la pauvreté de la population. La politique internationale de sanctions, qui visait à faire pression sur la junte birmane et à préparer l’avè-nement de réformes politiques dans le pays, aurait-elle échoué ?Elle semble du moins sérieusement dans l’impasse. Nombreux sont les observateurs à pointer du doigt le manque de consensus international. De fait, le bilan effectué sur un siècle d’Histoire démontre (1) que les politiques internationales de sanctions ont bien souvent échoué, parce que des pays tiers permettaient au régime incriminé de les contourner en offrant des marchés, des partenaires commerciaux et des investisseurs alternatifs, voire un soutien politique. Une tendance qui s’est accrue au sortir de la guerre froide, avec l’émergence de nouvelles puissances éco-nomiques et la modification des rapports des forces en présence. Les âpres négociations pour tenter d’adopter une position commune européenne en témoignent : le consensus peine à se trouver lorsqu’il s’agit d’imposer des sanctions multilatérales.En fait, pour être « efficace, explique François Géré, président de l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas), une politique de sanctions doit être incon-testablement légitime (le droit), coercitive de manière appropriée (la volonté) et durer suffisamment longtemps (le temps) (2) ». Dans le cas de l’Afrique du Sud, souvent cité en exemple d’une stratégie coercitive réussie, si les sanctions onusiennes contre l’apartheid « ont conduit à créer une situation favorable à un “changement de régime” pacifique en 1993, […] il ne faut pas oublier que la première résolution de l’ONU avait été adoptée en 1963 ». Mais en réalité, la vraie question est double : « Étant donné la spécificité du conflit et la nature du pays visé, les sanctions sont-elles l’outil adapté ? Si c’est le cas, lesquelles mettre en place pour parvenir à quelles fins (3) ? » q

l’énergie d’analyser

sanctions contre engagement : partir ou rester ?À l’heure où les États-Unis revoient certains principes qui guidaient, depuis des décennies, leur politique étrangère, le débat est relancé sur l’efficacité des politiques de sanctions ou d’engagement vis-à-vis des États vilipendés par une partie de la communauté internationale. Un débat dans lequel l’entreprise a son mot à dire et son rôle à jouer dès lors qu’il s’agit de décider de partir ou de rester.

idéologique du régime visé. « Le défiant régime de Castro est un témoignage vivant de la faillite des politiques américaine et, jusqu’à récemment, européenne de sanctions, constate le Dr Maung Zarni, professeur à l’université d’Oxford. Il n’est pas évident que les Cubains aient ainsi été aidés politiquement ou écono-miquement. » (6) Même constat pour l’Iran. « L’histoire de l’Iran démontre que tous les mouvements internes qui ont été soutenus par l’étranger ont perdu leur légitimité auprès de la population », rappelle Thierry Coville, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l’Iran contemporain. Or, la politique occidentale adoptée jusqu’à présent face au dos-sier du nucléaire iranien « est aussi ressentie par la population iranienne comme une attaque directe. C’est se tromper complètement d’analyse que de croire qu’il est facile de séparer en Iran un “méchant” régime d’une “gentille” société ».Contre-productives, les sanctions ? Sans aucun doute au regard de la déstabilisation souhaitée des régimes et, surtout, du bien-être des populations. De fait, les pays visés souffrent souvent de problèmes endémiques (conflits, pauvreté, faibles niveaux de santé et d’éducation, absence de gouvernance et d’expertise sociopolitique) qui hypothèquent à court terme la perspective d’une après-dictature pacifique. Au Myanmar, à Cuba ou au Soudan, « un passage brutal à la démocratie qui ne réglerait pas ces conflits risquerait d’ac-centuer la fragmentation et de faire émerger une nouvelle génération de conflits, plus extrêmes encore », estime l’International Crisis Groupe (ICG) (7). Ce fut précisément le cas en Irak ou en ex-Yougoslavie.Et c’est ce qu’aujourd’hui, un nombre croissant de Birmans déplorent. Parmi les anciens partisans des politiques de sanctions, ceux-là mêmes qui ont contribué au retrait d’investisseurs étrangers (ainsi le Dr Maung Zarni, ancien porte-drapeau de la Free Burma Coalition), des voix se font de plus en plus entendre pour dénoncer une politique rendue inefficace par l’ab-sence de consensus international. Hillary Clinton déclarait récemment, en sa qualité de nouveau secrétaire d’État américain, que « clairement, la voie des sanctions dans laquelle nous nous sommes engagés n’a pas eu d’influence

On touche là du doigt un aspect essentiel, qui pourrait expliquer la faillite de l’approche adoptée ces dernières décennies vis-à-vis du Myanmar. Ce qui a pu avoir quelque effet dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, alors intégrée à l’économie mondiale, n’a pas valeur de recette. Relatives au temps de l’Histoire et à l’espace des territoires, les politiques de sanctions appellent un examen au cas par cas, qui, pour le Myanmar, suscite un cer-tain nombre de réserves. « La Birmanie est une économie du tiers-monde ; elle est donc immunisée contre le genre de pressions auxquelles l’Afrique du Sud était vulnérable (4) », analyse Derek Tonkin, ancien ambassadeur britannique en Thaïlande, au Vietnam et ancien diplomate en Afrique du Sud. Dans les pays où l’économie et l’information sont contrôlées par l’État, les régimes ne sont pas forcément impactés par les sanctions économiques ; ils en tirent au contraire des profits indirects, les sanctions rents, nés des distorsions et des opportunités d’arbitrage entre les prix du marché intérieur et ceux du marché mondial. Une pratique courante, par exemple, en ex-Yougoslavie durant la crise du Kosovo. Seules victimes de ces contournements : les populations, déjà lourdement pénalisées par un isolement qui les prive d’emplois. « La population finit souvent dans une plus grande dépendance alimentaire vis-à-vis du gouvernement, le système de rationnement se transformant alors en instrument de contrôle d’une redoutable efficacité », observe Tim Niblock, directeur de l’Institut d’ études arabes et islamiques à l’université d’Exeter. Or, dans le même temps, les sanctions fournissent à ces gouvernements « un alibi pour se disculper de leur mauvaise gestion de l’économie en rejetant le blâme sur les politiques vindicatives des puissances occidentales » (5).Bien souvent, en effet, les sanctions renforcent également la mentalité d’as-siégé des régimes visés et, avec elle, l’unité nationale autour de ceux-ci. Géné-ralement imposées par les pays occidentaux, les sanctions sont présentées paradoxalement aux populations, à grand renfort de propagande, comme une agression impérialiste, voire néocolonialiste… confortant ainsi la légitimité

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Le Grand MobiLe, 2004 Xavier Veilhan.

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ce qui a conduit plus tard Nelson Mandela (15) à remercier l’Anglo-Dutch Shell et British Petroleum pour être restés dans le pays et avoir encouragé la création de syndicats et la formation de Sud-Africains, toutes couleurs de peau confon-dues », rappellent les journalistes Matthew Swibel et Soyoung Ho (16). Ainsi, dans le cas du Myanmar, Total constitue-t-il un témoin occidental sur place avec ses normes, son code de conduite et, surtout, les projecteurs de l’opinion publique braqués sur lui. « Si Total se retirait du pays, non seulement les revenus de la junte ne seraient pas affectés, car celui-ci serait immédiatement remplacé par un autre investisseur dans le consortium, mais les populations perdraient les bénéfices des normes éthiques et sociales que le Groupe s’emploie à respec-ter », soutient Jean-François Lassalle. Un argument qui ne fait, selon Frédéric Debomy, président de l’association Info Birmanie, que « justifier un manque d’éthique au prétexte qu’il existe des concurrents peut-être moins scrupuleux encore (17) ». Il n’en reste pas moins, rétorque Derek Tonkin, que sans le groupe français, le gouvernement birman pourrait s’enrichir davantage encore « en taillant franchement dans les programmes humanitaires et sociaux introduits par Total (18) » et en récupérant la part du budget correspondante.Si le rôle de l’entreprise est avant tout de réaliser des projets économiques rentables, sans ingérence dans les affaires politiques des États, son souci conco-mitant du développement socio-économique et du bien-être des populations ne lui donne-t-il pas une responsabilité “politique” implicite ? Il n’est pas ano-din, en tout cas, que Total ait pris l’initiative d’un soutien financier à l’Unitar (United Nation Institute for Training Research) pour former les fonctionnaires birmans à la bonne gouvernance et aux règles onusiennes. Il n’est pas anodin non plus que son directeur général, Christophe de Margerie, ait rencontré à deux reprises la représentante de l’opposition birmane, Aung San Suu Kyi. « S’il s’est toujours tenu, conformément à ses principes, dans une attitude de stricte neutralité vis-à-vis du pouvoir, le Groupe mène toutefois un dialogue critique avec les autorités sur le travail forcé et la situation politique », souligne Jean-François Lassalle. Total : un médiateur provisoire en attendant que des interlocuteurs plus légitimes reprennent la main à la faveur de relations “nor-malisées” entre la communauté internationale et le Myanmar ?Évidemment, à court terme, les politiques d’engagement ont un coût : enri-chissement du régime, critiques de l’opinion publique, menace électorale… Mais elles méritent d’être mises en œuvre, car elles semblent pouvoir créer, mieux que les politiques de sanctions, les conditions du changement attendu dans les pays visés. C’est, en tout cas, dans cette voie qu’un nombre croissant de gouvernements semblent vouloir aujourd’hui s’engager. « Cette politique de dialogue trouve un écho favorable auprès de nombreux gouvernements euro-péens ainsi que d’un nombre croissant de hautes personnalités d’Asie du Sud-Est, d’Europe et au niveau international », rappelle Jean-François Lassalle.Toute stratégie coercitive n’est pas pour autant à proscrire. Le tout est de choisir les sanctions adaptées : pressions diplomatiques, smart sanctions (sanctions intelligentes) ciblées sur les dirigeants des pays incriminés (gel des comptes bancaires, interdictions de visa et de séjour, etc.), aides conditionnelles, etc. Cette “double stratégie” associant sanctions et engagement est celle préco-nisée par de nombreux experts sur le dossier soudanais. « Seules de fortes pressions amèneront le gouvernement soudanais à accepter la force de maintien de la paix des Nations unies et de l’Union africaine, à négocier avec l’Occident,

analysersanctions contre engagement : partir ou rester ?

allée de pair avec l’émergence d’une classe capitaliste, avec des investissements et la création d’emplois », estime ainsi Ian Holliday, doyen de la faculté des sciences sociales à l’université de Hong-Kong (14). De fait, la coopération économique finit souvent par promouvoir des groupes sociaux dotés d’une puissance économique indépendante qui peuvent agir comme contrepoids à l’État et favoriser l’expansion des libertés civiles et politiques. En la matière, l’Histoire recèle bien des exemples : Chili, Taïwan, Corée du Sud, Albanie, autant de pays où les réformes économiques ont finalement débouché sur des réformes politiques.Les politiques d’“engagement constructif” se fondent sur ces observations. L’ambition des tenants de cette stratégie alternative aux politiques de sanc-tions ? Rehausser le niveau de vie général de la population des pays en crise pour lui permettre de prendre en main son destin – car ce n’est pas contraint à la lutte quotidienne pour sa survie qu’un peuple peut être acteur du chan-gement. Pour y parvenir, les partisans de l’engagement misent sur la création d’un espace de « dialogue critique » avec les régimes. Des aides condition-nelles sont proposées (aides économiques et assistance au développement, accords commerciaux et investissements, diplomatie active, coopération militaire, etc.) en échange de réformes ou d’avancées politiques en faveur des populations : libération de prisonniers politiques, engagement à réaliser une réforme constitutionnelle, formation au respect des droits de l’homme, etc. Une telle stratégie ne fonctionne que si les engagements réciproques sont suivis de part et d’autre dans le temps. Dans ce cas, l’engagement constructif peut avoir nombre d’effets indirects positifs sur la situation du pays concerné : réduction du sentiment de menace extérieure et ouverture à la communauté internationale ; création de contre-pouvoirs économiques et, par extension, politiques au sein de la société civile ; introduction dans le pays de standards internationaux (droits de l’homme, protection sociale, niveau de salaire, sécu-rité, hygiène, environnement), qui peuvent avoir un effet d’entraînement sur la législation locale, etc.Dans ces retombées indirectes, les entreprises étrangères ont évidemment leur rôle à jouer. Non seulement en matière de développement économique, mais également en matières éthique et “sociopolitique”. Durant l’apartheid, les investisseurs européens présents en Afrique du Sud ont, par exemple, adhéré à un code de conduite qui refusait l’application de la ségrégation raciale. « C’est

à démanteler la milice Janjawid, à permettre aux réfugiés de la guerre civile de retourner dans leurs villages et à faire la paix avec les rebelles du Sud, estime Stephen Eric Bronner, professeur de sciences politiques à l’université Rutgers du New Jersey. Mais pour atteindre ces objectifs, il faut coopérer avec le gou-vernement de Khartoum (19) . »Tout repose au fond sur l’inscription de telles actions dans le temps. Car, par-delà l’enjeu de court terme que représentent les rapports de force internatio-naux, on ne saurait oublier de préparer le temps des générations futures. C’est un enjeu d’autant plus important pour une industrie de long terme comme l’industrie extractive, qui ne peut « retirer ses investissements aussi vite que les gouvernements changent leurs politiques » (20), rappelle Derek Tonkin, mais doit asseoir son “acceptabilité” dans des pays où elle est souvent présente plus de quarante ans. « Aujourd’hui, l’installation dans un pays en crise nécessite une étude sociopolitique beaucoup plus fine que ce qu’un investisseur pouvait réaliser il y a vingt ans, analyse Jean-François Lassalle. La stratégie d’acceptabi-lité des entreprises a changé et, avec elle, la nécessité d’être exemplaire dans des pays où l’entreprise n’a plus le droit à l’erreur. » Ainsi, au Myanmar, c’est avant tout « sur le terrain, confronté aux réalités quotidiennes », que le Groupe s’est construit « un modèle de gestion en situation difficile ». Un modèle que Total entend appliquer dans toutes ses opérations futures en contexte similaire. « Les leçons à tirer du cas birman sont aussi multiples que précieuses pour envisager, par exemple, une présence future au Soudan, le jour où les conditions seront réunies pour y reprendre nos opérations. Plus que jamais, il importera d’exercer une vigilance permanente, en nous appuyant notamment sur des partenaires externes et en pratiquant des évaluations régulières, indépendantes et docu-mentées. » Les solutions miracles n’existent pas : face à des situations aussi complexes, seule la voie du dialogue constructif peut permettre de définir, collectivement, les approches les plus adaptées. n

Laure Becdelièvre

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1- Cf. G. Hufbauer, J. Schott, K. Elliott and B. Oegg, Economic Sanctions Reconsidered 3rd Edition, juillet 2005 (Washington, DC – Institute for International Economics).2- Iran et Corée du Nord : pour ou contre une politique de sanctions ? (Ifas, 2006).3- Ibidem.4- Lettre de juin 2005.5- “Irak, Libye, Soudan : efficacité des sanctions ?”, in Politique étrangère 1, 2000 (traduit par Loulouwa T. Al Rachid).6- “Zar Ni : Western pressure on Burma isn’t working”, in The Independent, 4 janvier 2006.7- “Myanmar : sanctions, engagement or another way forward?”, ICG Asia Report n° 78, Yangon/Brussels, 26 avril 2004.8- Déclaration du 17 février 2009 à Jakarta.9- Voir, par exemple, le site www.info-birmanie.org10- “Carte blanche” dans Le Soir, 23 mai 2008.11- Voir le site birmanie.total.com12- Déclaration du 29 novembre 2007.13- Cf. les rapports Huntington (1991), Prezworski et Limongi (1997), Diamong (1999).14- Reuters, 5 octobre 2007.15- Qui a contribué au numéro 31 (printemps 1997) d’Énergies, magazine externe de Total. 16- “The Sanctions Myth”, in Forbes, 24 octobre 2007.17- Rue89, tribune du 2 octobre 2008.18- “Un départ de Total de Birmanie n’aurait guère d’effet sur la junte”, AFP, 2 octobre 2007.19- Une nouvelle chance pour le Darfour, Project Syndicate, 2008 (traduit de l’anglais par Magali Adams).20- Lettre au Burma Digest, 25 janvier 2006.

géopolitique. Responsabilité socio-économique aussi. Car ceux qui ont choisi de partir ont souvent laissé derrière eux des milliers d’hommes et de femmes sans emploi, sans solution autre, dans bien des cas, que la lutte pour la survie, la prostitution, le trafic de drogue ou l’engagement dans l’armée (seule voie d’ascension sociale aujourd’hui pour les Birmans). Était-ce la solution ? Et lorsqu’un groupe britannique se retire en 2008 du Zimbabwe, supprimant 4 000 emplois dans une économie déjà exsangue, est-ce la solution ?Si le dilemme est réel, certains constats amènent à réfléchir. L’aide dispensée par Total après le passage de Nargis, aussi relative soit-elle, montre com-bien une présence internationale dans un pays comme le Myanmar peut contribuer de manière positive à l’amélioration du sort des populations. En témoignent également les résultats du programme socio-économique d’ac-compagnement mis en place par le Groupe et ses partenaires dans la région du gazoduc de Yadana. Après quinze ans d’existence, son efficacité est large-ment reconnue. Les militants d’Actions Birmanie ne voient peut-être là qu’un « pâle pansement » (10) destiné à compenser une collaboration condamnable avec le régime. Mais en jugeant de telles actions insuffisantes, ils reconnais-sent implicitement la réalité de ses retombées : division par trois à vingt de la mortalité associée aux principales pathologies locales, doublement des effec-tifs scolaires, création d’infrastructures et mise en place de systèmes visant à éradiquer le travail forcé dans la région (11)… « Total fournit un soutien très substantiel aux communautés voisines du gazoduc, probablement supérieur à ce que les Nations unies font elles-mêmes dans le reste du pays », note Charles Petrie, représentant des Nations unies au Myanmar (12). Que pourrait, dès lors, devenir le pays avec l’arrivée d’autres opérateurs économiques responsa-bles, dont les interventions pourraient démultiplier les résultats obtenus par Total dans sa zone ? Et si la probabilité que la Birmanie redevienne un jour démocratique était plus forte avec l’arrivée de trente Total qu’après le départ de cette compagnie du pays ? Encore faut-il, répondent certains représentants de la société civile, que se mette en place un contrôle satisfaisant des revenus pétroliers générés par le projet gazier.En attendant, de nombreux rapports (13) voient dans le développement éco-nomique un préalable essentiel à l’établissement d’une meilleure gouver-nance dans les pays à régime autoritaire. Et incitent à réfléchir. « Il n’existe aucun exemple au monde de transition aboutie vers la démocratie qui ne soit

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Le MobiLe, 2005Xavier Veilhan.

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vec au moins cent quarante millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus

peuplé d’Afrique. Cette fédération de trente-six États est aussi la deuxième puissance économi-que du continent, derrière l’Afrique du Sud. En 2008, sa croissance économique approchait les 7 %. Les hydrocarbures concentrent 90 % des investissements directs étrangers et repré-sentent 39 % de son produit intérieur brut. Le pays est le cinquième exportateur mondial de pétrole et se situe déjà à la onzième position des pays exportateurs de gaz naturel. Et l’explora-tion en offshore profond a, pour sa part, encore de belles découvertes à réaliser. Le Nigeria est un grand pays, potentiellement riche, anglophone et peuplé de femmes et d’hommes ambitieux et qualifiés.Et pourtant, le Nigeria est, parmi les plus impor-tants producteurs mondiaux d’hydrocarbures, le seul à présenter un déficit budgétaire récurrent ; 71 % de la population vivent avec moins de 1 dol-lar par jour et l’espérance de vie est de 46 ans. La demande potentielle en électricité peut osciller entre 10 et 15 000 MW, tandis que le pays en produit au mieux 3 000. Les deux tiers de la population sont ainsi dépendants du bois pour leurs ressources énergétiques.Bien qu’ayant la capacité théorique de produire 3 millions de barils par jour, le Nigeria importe l’essentiel de ses produits raffinés. Les quatre raffi-neries locales peinent à fournir 10 % de l’essence qui est consommée chaque jour, comme ici dans les gigantesques embouteillages de Lagos.Il est difficile de travailler au Nigeria. Difficile pour les étrangers, soumis à des contraintes de

sécurité permanentes, difficile aussi pour les Nigérians, dont près de la moitié s’agglomère dans les villes où circuler est très vite devenu un cauchemar. Comme dans toutes les zones urbaines à fort développement, le grand écart social se creuse, l’anarchie règne et la loi du plus fort s’impose. La corruption et le bandi-tisme, souvent liés, sont les deux fléaux de la nation avec lesquels chacun doit composer. Les pipelines de gaz et d’huile sont régulièrement attaqués. Du fait de leur éloignement des côtes, les activités d’exploration et de production de Total en offshore profond sont moins exposées au piratage que celles d’autres compagnies pré-sentes dans le delta du Niger. Dans la distribu-tion des carburants, cela a pu se traduire par « des difficultés à contrôler les réseaux de stations et à éviter la multiplication des fraudes », expli-que Dominique Thiolon, le directeur général de Total Nigeria PLC de la branche Raffinage & Marketing du Groupe.

De l’espoir à la fidélitéTotal est présent depuis 1956 sur le marché nigérian, jusqu’alors dominé par des compa-gnies anglo-saxonnes. « À partir de 1974, raconte l’ingénieur Kanu Ukonne, ancien directeur au sein de la filiale et aujourd’hui administrateur, Jean Le Page, qui était alors directeur général, a imaginé un modèle de distribution, baptisé Jeu-nes Gérants, permettant à Total de se distinguer des autres compagnies. Fort de son expérience et de ses observations dans l’est du pays, où il avait démarré sa carrière nigériane, il a voulu dévelop-per un réseau basé sur le service et la fidélisation

A de collaborateurs sérieux, honnêtes et suscepti-bles, malgré leur très modeste niveau d’études, de prendre des responsabilités dans les stations-service. » Le système des Jeunes Gérants repose de fait sur la promotion. Plutôt que de confier des stations-service à des gérants financiers proprié-taires du fonds de roulement, l’idée est d’iden-tifier des collaborateurs dont le potentiel leur permettra de prendre en charge la gestion d’une station avec l’appui financier de Total pour qu’ils puissent, à terme, constituer leur propre fonds de roulement. On commence ainsi pom-piste, puis assistant chef de piste, chef de piste, gérant intérimaire et enfin gérant à part entière. Le principe peut paraître simple et pas franche-ment révolutionnaire, mais c’est ignorer les obs-tacles qu’il a fallu surmonter. Le premier est naturellement d’ordre financier, puisque, par définition, les Jeunes Gérants n’apportent pas de fonds. C’est donc la compagnie qui doit faire l’avance des stocks, du moins au début. « Le fonds de roulement est apporté par Total, mais ensuite le Jeune Gérant doit constituer un fonds de sûreté financé dans le temps sur ses propres revenus », précise Kanu Ukonne. Chaque sta-tion étant la propriété de Total (c’est le modèle CODO : Company Owned, Dealer Operated), la gestion est beaucoup plus lourde et le déve-loppement, plus lent. Une forme d’investisse-ment et de pari sur l’avenir qui a porté ses fruits, puisque depuis 1986, Total figure en tête du réseau nigérian. « Nous avons 550 stations- service, dont environ deux tiers sont issues du modèle Jeunes Gérants, explique encore q

L’Énergie de dÉcouvrir

iL ÉtAit une foi…Il y a déjà trente-cinq ans, Total initiait au Nigeria un système de gérance des stations-service fondé sur la promotion interne et la responsabilisation de tous les employés. Il a ensuite été étendu à une vingtaine de filiales africaines. Le Groupe détient aujourd’hui le premier réseau du pays et, avec 3 700 stations, le premier d’Afrique.

Station aSokoro, Abuja.

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Sur la route De l’aéroport, quartier de Makoko, Lagos (en haut). Ms L. O. Amaechi, gérante chez Total depuis 1964 (ci-dessus, à gauche). Chief Christopher Osaigbovo, gérant de la Festac 3rd Gate Station, Lagos (ci-dessus, à droite).

dÉcouvririL ÉtAit une foi…

FeStac 3rD Gate Station, Lagos ; Otti Funmi, pompiste (ci-dessous, à gauche). Station Asokoro, Abuja ;

Kabiru Rilwan Ahmed, chef de piste (ci-dessous).

Dominique Thiolon. C’est le plus grand réseau d’Afrique de l’Ouest détenu par une com-pagnie étrangère et nous avons réussi, grâce à ce système, à fidéliser les gérants et à promouvoir de la meilleure façon possible notre marque. »

Dieu, Drogba… et totalMorceaux choisis. Une rapide tournée de quel-ques stations-service soigneusement sélection-nées par Nelson Ihetu, responsable des relations avec les investisseurs, donne immédiatement la nature du lien qui unit les employés à leur gérant et ces mêmes Jeunes Gérants à Total.À Lagos, station Herbert-Macoulay, plus connue sous le doux acronyme de HM272. C’est la plus vieille station Total au Nigeria. Ouverte en 1956, elle est dirigée par Louisa Onyeoherebara Amaechi, travaillant pour Total depuis 1964 et devenue “Jeune Gérante” en 1989. D’elle, Mac-Harry Sobifa, 29 ans et numéro deux de la sta-tion, dit : « Elle est ma mère idéologique. » Abuja, la nouvelle capitale au centre du pays. Station Asokoro, la plus grosse station-service de la ville. Douze pompes, 2,5 millions de litres de carburant vendus chaque mois, ouverte 24 heures sur 24. Kabiru Rilwan Ahmed est le chef de piste, en attente de l’ultime promotion.

Son père était déjà gérant, il a vingt-quatre frères et sœurs et travaille à 300 kilomètres de sa famille, qu’il voit une fois par mois. – Qu’est-ce que vous aimez dans votre travail ?– Total a une politique de qualité, de service et de sécurité que j’aime.– Qu’est-ce que vous n’aimez pas ?– Quand il y a des ruptures de stock.Lagos encore. Festac 3rd Gate. Cette fois-ci nous sommes à la plus grosse station de la plus grosse ville nigériane, qui est aussi l’une des plus grosses villes du monde. Chief Christopher Osaigbovo (il porte ce titre honorifique en reconnaissance de ses états de service auprès de sa tribu), 53 ans, a commencé comme pompiste en 1975 et dirige cette station depuis 2001. Quarante-trois employés qui, comme un seul homme, nous accueillent bras levés et toutes voix dehors : « Total ! You know where to turn ! », que l’on tra-duira aisément par le non moins retentissant : « Total, vous ne viendrez plus chez nous par hasard ! ».Benin City, enfin. À la lisière du delta du Niger. La station Lagos Road est dirigée par Lawrence Ebo-Ozele. C’est un dignitaire local de l’église pentecôtiste qui, comme tous, a commencé pompiste. Il a sept enfants qui ont pu faire des

études à l’université grâce à la réussite de leur père. Comme d’autres, croisés à Benin, à Abuja ou à Lagos, il déclare sans emphase ni la moin-dre obséquiosité : « Dans ma vie, il y a Dieu… et ensuite il y a Total. »Et sans être inconvenant, on pourrait parfaite-ment ajouter Drogba, Ronaldo et leurs amis du ballon rond tant les maillots de Chelsea, Man-chester ou Liverpool fleurissent dans les rues et sur les épaules des Nigérians. C’est dire où ces chefs d’entreprise placent la compagnie qui leur a donné la chance de devenir des hommes respectés et prospères. On comprend très bien à leur contact et au regard des conditions de vie de l’immense majorité de la population qu’il n’y a aucune flagornerie dans leurs propos. Au-delà même des objectifs initiaux, le modèle Jeunes Gérants a engendré une relation d’ordre affectif et rempli une fonction sociale. La plu-part d’entre eux sont des fils de paysans, ont eu l’opportunité de suivre les formations dispen-sées par Total et d’accéder, après quelques années de bons et loyaux services, au Graal de la distribution. Histoire drôlement gaie de l’as-censeur social dont émergent généralement les réussites les plus spec ta culaires.« L’une des caractéristiques du modèle

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Jeunes Gérants, confirme Dominique Thiolon, c’est de maintenir une relation quasi paternaliste avec l’entreprise. Nous jouons aussi un rôle socio-économique en contrôlant les prix à la pompe. En cas de pénuries, fréquentes au Nigeria, les prix s’envolent chez nos concurrents. »Le contrôle exercé par Total sur son réseau CODO a, par ailleurs, permis de mener des campagnes de prévention contre le paludisme ou le sida. Affichettes, flyers, distribution de préservatifs et tests VIH au sein même des stations-service. « Notre projet “Drive On” s’est appuyé sur le réseau Total, explique Olusina Falana, le secrétaire général de Nibucaa, une ONG nigériane engagée dans la lutte contre le sida. Nous avons commencé par une phase pilote en 2006 à Lagos et nous entrons aujourd’hui dans la troisième phase, qui consiste à généraliser la démarche de préven-tion et d’information. » Six mille personnes ont déjà bénéficié de tests VIH et l’objectif est désormais de systématiser la procédure de suivi qui permettra de connaître ceux qui, parmi les séropositifs, vont effectivement sui-vre des traitements. « Le taux de prévalence au Nigeria est relativement faible mais en aug-

mentation, poursuit Olusina Falana. Il existe encore des États, comme celui de Benue, où la tradition d’accueil veut que le chef de famille propose sa femme à l’invité. »

un modèle pour l’avenirSi tous les Jeunes Gérants rencontrés ont laissé une impression unanime de dévotion bien comprise, le système n’échappe ni aux revers ni aux prolongements heureux que suscite toute initiative originale. Certains y ont donc trouvé des failles, d’autres de bonnes raisons d’aller plus loin. « On a connu des gérants qui avaient tellement bien assimilé le modèle qu’ils avaient fini par considérer que la fonction devait se transmettre de père en fils, ajoute dans un large sourire Kanu Ukonne. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui, parce qu’ils connais-sent parfaitement le métier, ont imaginé toutes les astuces pour tricher sur les stocks ou les livres de comptes. » Ce qu’il convient toutefois de modérer, puisque, aujourd’hui, la remon-tée des recettes est assurée de façon quoti-dienne et que des responsables des ventes (Retail Sales Executive) ayant autorité sur une quinzaine de stations contrôlent les Jeunes Gérants. Même s’il ne tarit pas d’éloges sur le

succès d’une opération dont il est un peu le représentant spirituel, Kanu Ukonne regrette encore que les Jeunes Gérants manquent parfois d’initiative et de créativité. « Une par-tie d’entre eux a malgré tout acquis le sens des affaires, conclut-il. Ils ont appris à se recycler ou parfois même à développer des entreprises parallèles, dans le transport ou le service par exemple, en profitant de l’expérience accumu-lée avec Total. » Ce que Dominique Thiolon appelle de manière synthétique, et non dénuée d’intérêt professionnel, “le rôle social” de l’en-treprise. Total, dans son activité de distribu-tion, est en effet perçu au Nigeria comme une compagnie qui donne leur chance à des jeu-nes issus de milieux défavorisés, avec des reve-nus qui peuvent atteindre pour un bon gérant 300 000 nairas (1 500 euros), soit, selon le sec-teur d’activité considéré, entre cinq et dix fois le salaire moyen officiel. Le Nigeria est un grand pays ; autant dire que les candidats sont nombreux. n

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poMpiSteS, Benin Centre Station, Benin City (ci-dessous). Sur la route de l’aéroport,

quartier de Makoko, Lagos (page suivante).

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50 N°16 N°16

lumineux et le côté obscur de “la Force”, témoigne de la fécondité de ce thème de l’anta-gonisme cosmique, renvoyant de façon ultime à la lutte entre le Bien et le Mal. C’est que les mythes d’hier et d’aujourd’hui partagent les mêmes codes : la science-fiction n’est-elle pas, comme l’écrit Boris Vian, « la résurrection de la poésie épique : l’homme et son dépassement par lui-même, le héros et ses exploits, la lutte avec l’inconnu » ?Si l’énergie antagoniste met un terme au chaos primordial en l’ordonnant, elle donne aussi naissance à un monde structuré. Exemple avec la cosmogonie égyptienne d’Héliopolis (vers 2400 av. J.-C.) : au commencement du monde était le chaos constitué par les eaux primor-diales, le Noun. Depuis ce néant, le dieu solaire Atoum-Rê se donna lui-même naissance, créant la lumière ; ainsi prit fin le chaos, et l’Univers fut alors doté d’équilibre et de vie… À l’instar de ce mythe exhumé des pyramides, le thème de l’énergie originelle fécondant la matière est omniprésent dans les récits de la création. Le Soleil, « foyer de tendresse et de vie » qui « Verse l’amour brûlant à la terre ravie » comme le scande Rimbaud, source même de l’éner-gie terrestre, bénéficie à ce titre d’une place essentielle dans l’ima-gerie mythologique. Sève première, source de lumière et de cha-leur, de puissance et de vie, il est aussi ce qui rend visible, intelligible, le monde sensible. C’est ainsi qu’Hélios, dieu solaire grec, est le témoin parfait des dieux et des hommes, avertissant Héphaïstos, dieu du feu souterrain créateur de formes, des infidéli-tés de sa femme ou Déméter, déesse de l’agri-culture, de l’enlèvement de sa fille. Dans la mythologie assyro-babylonienne, Shamash, le dieu Soleil, a un regard omniscient sur le monde, d’où son association aux questions de justice et de divination. Allégorie de la connais-sance, l’énergie solaire est aussi cette lumière sans laquelle l’homme, plongé dans les ténèbres, ne peut quitter sa condition précaire.Toutefois, la mythologie se fondant sur les q

images offertes par la nature aux hommes, l’énergie vitale n’y est pas l’apanage d’un astre extérieur tout-puissant. Comme l’indique son étymologie (car, dans le monde des mythes, l’étymologie compte), l’en-ergie est la force qui naît dans, qui agit dans un corps, un cœur, un centre intime et originel. Aussi, que ce soit sous les atours de Gaïa, de Cybèle ou de la Déesse-Mère mésopotamienne, la Terra Genetrix ou Tellus Mater (Terre-Mère) est-elle, dans maints récits mythiques, ce qui renferme l’énergie matérielle, le feu, en son sein fécond. À l’image du volcan qui abrite, dans la mythologie grecque, les forges d’Héphaïstos, le centre ori-ginel est bouillonnant et la création est échauf-fement. « Toute vie implique une combustion », rappelait Balzac, et ce n’est pas un hasard si la théorie du Big Bang fait elle-même état d’une densité et d’une chaleur particulièrement fortes dans l’Univers d’il y a plus de treize milliards d’années… Avec le voyage dans l’infiniment petit permis par l’essor des nanotechnologies, cette imagerie mythique du feu intérieur est même réactivée : « Dans la perspective où le corps humain est le microcosme du macrocosme,

l’énergie contenue dans l’antre de la terre pos-sède son doublon dans le corps humain », analyse Stéphanie Chifflet (1). Sang, orga-nes, chaleur intérieure : chez Greg Bear (Obli-que, 1999) comme chez

Isaac Asimov (Le Voyage fantas tique, 1966), c’est dans un « décor rougeoyant » que l’homme vit l’in-timité des choses et du monde.

De Prométhée à Frankenstein : l’énergie apprivoiséeCette conquête de l’infiniment petit par les nouvelles technologies illustre une autre facette de l’énergie : créatrice, elle est également civili-satrice. Aussi, tout au long de son histoire, l’homme s’est-il ingénié à la maîtriser pour achever de conquérir la nature. Symbole de cette volonté de puissance qui se manifeste à travers la maîtrise des ressources naturelles et le développement des techniques, le vol

Le thème de l’énergie originelle fécondant la matière est omniprésent dans les récits de la création.

Ron HowaRD, Apollo 13 (1995).

Si la conquête spatiale a parfois ses ratés – ce dont fit

les frais, en avril 1970, la mission lunaire habitée du programme Apollo –, c’est

elle qui permit à l’homme de mesurer toute la valeur de

son éden terrestre.

création, présents dans la mythologie comme dans les religions, que la question de l’origine du monde trouve une réponse première. En effet, dans tous les mythes cosmogoniques et anthropogoniques, qui nous offrent une vision intuitive et symbolique de nos origines et nous permettent de nous approprie r le mystère de la Création, passage du rien au tout, les dieux apportent au chaos originel l’harmonie (l’ordre cosmique). La légende d’Hermès, selon laquelle le messager des dieux, en voulant sépa-rer deux serpents en train de se battre, les vit s’enrouler autour de son bâton en sens inverse, figure ainsi le combat pour l’équilibre qui, en permanence, se joue entre les forces constituti-ves de l’Univers. L’essence même de l’énergie y est personnifiée par une bipolarité féconde, faite d’un mouvement perpétuel d’attraction et de répulsion, de diversification et de réunion, de gain et de perte. Tel est le sens de ces cou-ples d’opposés qui habitent les mythologies du monde entier : la Glace et le Feu, le Yin et le Yang, les prin cipes féminin et masculin, le Jour et la Nuit, la Matière et l’Esprit ordonnent, par leur interaction perpétuelle, un monde primor-dial. La saga culte des Star Wars (George Lucas), qui répartit ses héros entre le côté

e mythe, vieillerie fantaisiste et superstitieuse qu’on ne saurait

prendre au sérieux ? Ce serait ignorer sa fonction structurante pour la pen-

sée humaine. Ce serait oublier que la mythologie exprime la quête humaine

de sens, d’équilibre, d’harmonie. Loin d’être l’objet des manifestations inexpli-

quées d’un Univers illisible, l’homme, en le racontant, se l’approprie pour mieux le com-prendre. Parmi ces mythes qui disent, sous une forme imagée, la part de réalité qui se dérobe toujours à l’intelligence humaine, ceux mettant en scène l’énergie jouent un rôle essentiel. L’énergie n’est-elle pas, en effet, omniprésente dans l’Univers, où rien ne se crée, rien ne se perd, mais tout se transforme ? Mouvement, lumière, chaleur : autant de formes d’énergie

qui donnent vie au monde, animent la matière et les corps, mettent en branle les êtres et les choses.

Du rien au tout : l’énergie créatriceComment l’Univers est-il né ? Comment cette énergie a-t-elle surgi ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? C’est dans les récits de la

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Au commencement étAit L’énergie

Expression de la quête humaine d’ordre et de sens, les mythes sont présents dans toutes les sociétés, y compris les plus “avancées” au plan technologique. Dans cette mythologie qui traverse les âges, l’énergie sous toutes ses formes, omniprésente

dans l’Univers qu’elle anime, a toujours eu une place prépondérante. Plongée dans les arcanes de l’imaginaire énergétique humain.

ÉGYPTE. RÊ, le dieu Soleil, figuRé pAR un fAucon, musée du Louvre, Paris. Dieu du disque solaire et créateur de l’univers, Rê (ou Râ) est souvent représenté avec une tête de faucon, symbole des divinités célestes pour les anciens Égyptiens. Avec la plume de Maât, attribut de la déesse de la Justice, il est garant de l’ordre juste du monde.

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créerAu commencement étAit L’énergie

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Quel regard porte le physicien et le philosophe des sciences sur les mythes contemporains qui entourent l’énergie ? réponse avec étienne Klein, directeur du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au commissariat à l’énergie atomique (Saclay, France) et professeur à l’école centrale de Paris.

Propos recueillis par laure Becdelièvre

entretien Avec étienne KLein

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l’évocation des mena-ces qui, fatalement, pèsent sur l’utilisation des sciences et techniques par la main humaine. Les chantres de l’énergie atomique l’ont compris à la fin de la Seconde Guerre mondiale : l’énergie peut tou-jours se retourner contre l’homme ; créatrice, civili satrice, elle est en même temps destruc-trice, et l’équilibre conquis sur le chaos originel ne reste jamais qu’un équilibre fragile. C’est ce que ne cessent de nous dire, au fond, les mythes de la fin du monde : l’humanité s’y voit cycli-quement envoyer des fléaux qui l’anéantissent. La question du réchauffement climatique donne une actualité quelque peu grinçante à ce mythe ancestral… Mais c’est ce qui fonde le genre même de la science-fiction : cette forme moderne de mythologie «naît moins de l’en-thousiasme des lumières que du désenchante-ment vis-à-vis de la science, laissant augurer, pour les siècles à venir, des conséquences de la mise en œuvre de projets scientistes dans l’ordre du politique(4) », analyse Marika Moisseeff. L’art contemporain lui aussi questionne en ce sens l’idéologie moderne : c’est pour rappeler à l’homme prométhéen son impuissance face à l’implacabilité des forces naturelles que l’artiste Gianni Motti, par exemple, a placé au-dessus de la porte d’entrée du Palais de Tokyo, à Paris, un écran comptant à rebours le temps séparant le soleil de son explosion inexorable – cinq mil-liards d’années environ (Big Crunch Clock, 1999-2005).

Quel est le lien entre physique et mythologie ?la physique procède du logos davantage que du muthos, c’est-à-dire du discours rationnel plutôt que de la pensée mythique. Mais la coupure n’est pas totale. la physique peut être conçue comme un système où se donnent mutuellement sens des notions telles que le vide, l’espace, le temps, la matière, toutes choses dont on trouve déjà trace dans les mythes. Cette lointaine origine fait que les mots qu’on utilise en physique continuent de charrier avec eux tout un halo symbolique ; ils demeurent enrobés d’une périphérie mythologique qui peut créer des a priori empêchant de bien penser les concepts qu’ils nomment. Prenez l’exemple de l’énergie : elle est toujours associée au mouvement, à la chaleur, à une dynamique, jamais pensée comme inerte ou immobile. Pourtant, la découverte d’einstein, résumée par la formule e = mc², implique que tout morceau de matière a une énergie qui lui vient de sa seule masse,

de sa masse inerte. Presque à rebours du sens des mots, l’énergie peut ne pas être dynamique.

c’est la raison pour laquelle l’énergie fait l’objet d’autant de mythes ?oui. l’énergie est en physique un concept fort abstrait, si abstrait que nous éprouvons le besoin de la “donner à voir”, de l’incarner de façon concrète. C’est ainsi que nous l’associons confusément à la force ou à la puissance. nous l’imaginons en outre inépuisable car notre façon de parler d’elle oublie qu’elle est une quantité qui se conserve. Qu’est ce que cela signifie ? D’abord qu’on ne “produit” pas d’énergie (on n’en consomme pas non plus), la seule chose que nous puissions faire étant de changer sa forme ou de la transférer d’un système à un autre. ensuite, qu’il n’existe pas à proprement parler d’énergie “renouvelable” : ce qui peut se renouveler, ce n’est pas l’énergie elle-même, mais le phénomène physique dont on l’extrait. en ce sens, c’est le vent qui est renouvelable, non l’énergie éolienne…

comment l’homme peut-il penser sa condition, dès lors qu’il prend conscience de la finitude des ressources énergétiques ?nous prenons en effet conscience que nous vivons dans un monde fini, de sorte que le mode de développement scientifique, technique et économique du monde moderne apparaît comme la victime d’une contradiction douloureuse : il se pense comme universel, et pourtant il sait désormais que son extension à l’ensemble de l’humanité, tant dans l’espace que dans le temps, se heurte à des obstacles impitoyables, ne serait-ce que parce que l’atmosphère de notre globe ne supporterait ni sa généralisation ni son maintien. il y a donc une contradiction entre notre exigence éthique d’égalité et notre mode de développement. D’où le dilemme : ou bien, nous, les riches,

nous nous couperons du reste du monde au moyen de boucliers divers, ou bien nous inventerons un autre mode de développement qui aura la propriété de pouvoir être universalisé à l’échelle de l’humanité tout entière.

À quoi peut servir dans cette réflexion la science-fiction ?il y a deux sortes de sciences-fictions : celle qui s’appuie sur les lois de la physique et met en scène des situations que nous ne savons pas encore réaliser, et celle qui, au contraire, s’amuse avec des univers où les lois physiques ne sont pas celles que nous connaissons. Dans les deux cas, la science-fiction a la vertu d’alimenter et de féconder notre imaginaire, mais je ne crois pas qu’elle trace pour autant la feuille de route de la science. Prenez par exemple la lune, dont on vient de fêter les quarante ans de la conquête par l’homme : nous avions été préparés intellectuellement à ce voyage extraordinaire par la science-fiction (Cyrano de Bergerac, Kepler, tintin…), mais paradoxalement, c’est en voyant la terre depuis la lune que nous avons réalisé que nous étions des êtres profondément géocentrés, et que nous ne quitterions jamais notre planète, en tout cas pas tous ensemble. en somme, la conquête de la lune nous a remis les pieds sur terre : notre île a beau être (sans doute) astrophysiquement banale, elle est la seule planète qui soit là où nous sommes. la terre est donc notre terre, notre “archifoyer”, notre seul sol possible. C’est de ce constat qu’a sans doute émergé la conscience environnementale dans les années 1970 : plutôt que d’imaginer nous sauver de la terre si la situation y devenait intolérable, il est apparu qu’il fallait essayer d’y sauver la possibilité de notre présence à long terme. n

* Formule de Wittgenstein.

Par-delà les « sortilèges du langage »*

développement industriel et technologique des ressources énergétiques, dont le “feu” a en quelque sorte été dérobé pour être transformé en autant de feux artificiels, c’est donc l’homme prométhéen qu’il faut entrevoir. L’homme alchimiste aussi : celui qui manipule l’énergie contenue dans la matière pour créer des êtres vivants. Le roman de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), en se faisant le chantre d’une nouvelle énergie en plein essor, l’électri-cité, réactualise ainsi l’imaginaire du feu comme principe de vie. Or, avec « Frankenstein, le forgeron et l’ alchimiste convoquent la même image d’une énergie secrète (“étincelante”) animant la matière, donnant vie à un corps fabriqué “artificiellement” (3) ».La figure de Frankenstein est symbo lique à plus d’un titre : dès lors qu’il s’exhausse et quitte sa place naturelle, l’homme prométhéen, bien qu’exempt de mauvaises intentions – c’est en cherchant à donner la vie, à se substituer à Dieu, que le savant Victor Frankenstein a

donné naissance à un monstre – est exposé par son hybris à la vengeance de Némésis. À l’ins-tar du mythe biblique d’Adam et Ève, chassés du Paradis pour avoir goûté le fruit défendu de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, le mythe de Prométhée est aussi, en effet, l’his-toire d’une transgression coupable de l’“ordre

naturel”, punie par Zeus avec l’enchaînement du héros sur le mont Caucase pour y avoir chaque jour le foie dévoré par un aigle. C’est toute l’interprétation du philosophe Hans Jonas dans Le Principe responsa-

bilité (1979), qui voit dans le “Prométhée définitivement

déchaîné” l’incarnation des risques inconsidérés pris par l’homme dans son rêve de

domestiquer la nature sans se préoccuper des consé-quences de ses actes. Ainsi, dès les récits anciens, le mythe du progrès est assombri par

pRométhée, STaTuE En aRGiLE DE GuSTavE MoREau, musée Gustave Moreau, Paris. Enchaîné à un pic rocheux où il est voué à un supplice éternel, Prométhée tourne pourtant son regard vers l’horizon, attendant l’avènement d’un jour nouveau. Quand le mythe grec est revu et corrigé par le christianisme…

GEoRGES MÉLièS, le VoyAge dAnS lA lune (1902).Le premier film de science-fiction.

du feu a la part belle dans les mythes. Si nombre de récits folkloriques relatent le vol origi-nel du feu céleste par le roitelet, petit oiseau druidique doté d’une science divine, c’est la figure mythique de Prométhée qui s’est imposée dans notre imaginaire collectif comme le res-ponsable du devenir humain. En dérobant le feu aux dieux, « Prométhée, modèle d’ingéniosité et héros culturel, donne […] à l’homme la possibi-lité d’intervenir sur la Nature (Mère Nature), de la copier, voire de la défier (2) ». Derrière le

EDuaRDo Kac, gfp Bunny (2000). De Frankenstein à Alba,

le lapin fluorescent (“une œuvre d’art transgénique”), l’homme

prométhéen n’a eu de cesse de manipuler l’énergie vitale.

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Entre terre et ciel : le fantasme de l’énergie infinieEt pourtant. L’homme, à mi-chemin entre la terre et le ciel, entre la bête et les dieux, ne sait pas s’en tenir à sa dérisoire mesure : son désir insatiable de puissance le pousse toujours à conquérir de nouveaux horizons, par-delà les limites de la terre et de l’espace-temps. Le rêve de découvrir une source d’énergie inépuisable, face à la finitude des ressources fossiles, ne par-ticipe-t-il pas de ce fantasme prométhéen de s’ élever au-dessus de sa condition de mortel ? Dans The Songs of Distant Earth (1986) et 3001 : the Final Odyssey (1997), le romancier Arthur C. Clarke extrapole, à partir des derniè-res recherches sur l’énergie du vide (l’« énergie libre »), totalement renouvelable et non pol-luante, des applications fantastiques qui per-mettraient de résoudre tous les problèmes écologiques et économiques de la planète. Isaac Asimov, dans son roman Les dieux eux-mêmes (2002), imagine lui aussi un principe (la « pompe à électrons ») permettant de fournir en abondance la planète en énergie ; mais c’est pour mieux en décrire les dangers car ce prin-cipe, dont la source serait un univers parallèle, aurait à long terme des effets catastrophiques sur le cosmos…L’exploration de l’espace et du temps, à la faveur de voyages interplanétaires et interdimension-nels, fait également l’objet d’une mythologie qui invente de nouveaux moyens de maîtriser l’énergie. Propulsion ionique et téléporta-tion, popularisées dans le film Star Trek, font ainsi le bonheur des vaisseaux spatiaux qui permettent à l’homme, comme au temps de la Conquête de l’Ouest, de coloniser de nouvelles planètes et d’agrandir son royaume anthropocentré. Des expéditions d’autant plus attrayantes que ces planètes sont réputées recéler des ressources minières (c’est le secret espoir des savants de Fritz Lang qui, dans La Femme dans la Lune (1928), partent à la conquête du mystérieux satellite)… Mais dans cette “extra-territorialisation” fantasmée

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hors les limites terrestres, l’humanité ne rêve-t-elle pas au fond d’immortalité ?C’est, en tout cas, la perspective ultime qu’ouvrent les technologies virtuelles revisitées par la science- fiction. Dans La Cité des Permutants (1994), Greg Egan imagine ainsi, avec son « cosmoplexe », la possibilité pour des milliardaires de télécharger leur âme – principe d’“animation” et quintessence

de l’énergie vitale – à l’intérieur d’un ordi-nateur par un procédé de numérisation, leur offrant ainsi « l’immor-talité au cœur d’une éter-nité privative »(5). Mais tout n’est pas si simple : rares sont les individus

qui préfèrent la numérisation à la vie physique et seules les personnes en fin de vie choisissent cette voie de salut – car ces environnements aseptisés de la virtualité se révèlent difficilement vivables pour des esprits habitués aux petites imperfections de la vie. Au fond, dans ces infinies variations mytholo-giques autour de l’énergie, l’homme ne fait

JuDiT REiGL, ilS ont Soif inSAtiABle de l’infini (1950),

Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris. Cette huile sur

toile, intitulée d’après Lautréamont (Les Chants de Maldoror), est l’un des

premiers tableaux surréalistes.

jamais qu’éprouver son humanité et en redéfi-nir les limites : une humanité proche de l’ani-malité mais qui toujours s’en distingue, à travers notamment sa maîtrise des énergies ; une humanité qui tend vers la divinité mais jamais ne l’atteint, sous peine de faillir à sa condition et de perdre, en fin de compte, tout le sens de la vie. n

Laure BecdelièvreLe rêve de découvrir une source d’énergie inépuisable participe du fantasme prométhéen.

1- « L’Imaginaire mythique de l’Énergie dans les représentations du Nanomonde », in revue Alliage n° 62 (avril 2008).2- Ibidem.3- Ibidem.4- « La procréation dans les mythes contemporains : une histoire de science-fiction », in Anthropologie et sociétés : le mythe aujourd’hui, 2005, vol. 29, n° 2.5- Thomas Michaud, « L’ambivalence des représentations du virtuel dans la science-fiction ». Article inédit faisant suite à une communication au colloque Meotic, à l’Institut de la Communication et des Médias (Université Stendhal), les 7 et 8 mars 2007. Mis en ligne le 15 novembre 2007.

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N°16 - Automne 2009

édité par Total, Direction de la Communication.Directeur de la publication : Yves-Marie DalibardResponsable de l’édition : Pierre-Gautier CaloniRédactrice en chef : Marie Le BretonRédacteur : Fouez BalitRéalisation : Ont collaboré à ce numéro : Laure Mentzel et Gabriel Joseph-Dezaize.Impression : Deckers. Dépôt légal : 3e trimestre 2009. Diffusion : 80 000 ex. N° ISSN : 0990-6150.Les textes et documents publiés dans ce numéro ne peuvent être reproduits sans l’accord de la rédaction.TOTaL S.a. – Société anonyme au capital de 5 867 520 185 euros. Siège social : 2, place Jean Millier – 92078 Paris La Défense. 542 051 180 RCS Nanterre (France).

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