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EHESS Bardina: Itinéraire d'une populiste. 1853-1883 Author(s): Marie-Claude Burnet-Vigniel Source: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 16, No. 3/4 (Jul. - Dec., 1975), pp. 323-352 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20169732 . Accessed: 14/06/2014 17:20 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers du Monde russe et soviétique. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.21 on Sat, 14 Jun 2014 17:20:22 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Bardina: Itinéraire d'une populiste. 1853-1883

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EHESS

Bardina: Itinéraire d'une populiste. 1853-1883Author(s): Marie-Claude Burnet-VignielSource: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 16, No. 3/4 (Jul. - Dec., 1975), pp. 323-352Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20169732 .

Accessed: 14/06/2014 17:20

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MARIE-CLAUDE B U R N E T - V I G N I E L

BARDINA : ITIN?RAIRE D'UNE POPULISTE

1853-1883

Sof ja Illarionovna Bardina : un fascinant visage de jeune fille russe, un bref passage dans le tourbillon de Faction r?volutionnaire, un suicide ? trente ans. Que nous importe aujourd'hui de cette figure peu connue du

populisme ? En 1883, sa biographie paraissait ? Gen?ve. Par ses dimensions, par

l'int?r?t qui s'attache ? la personnalit? de son inspiratrice et parce qu'elle peint en raccourci l'?poque dite de la ? marche vers le peuple ?, cette bro chure in?dite en fran?ais d?passe le simple article n?crologique, de rigueur ? la mort de tout militant1. Bardina incarne cette g?n?ration qui attei

gnit les sommets de l'abn?gation pour payer sa dette envers le peuple. V?ritable h?ro?ne tragique, elle en r?sume le drame. En ce sens, sa vie rev?t une signification exemplaire et offre un document non n?gligeable sur le mouvement r?volutionnaire des ann?es 70

? d'autant que, selon F. Venturi, le populisme russe suscita ? des hommes et des caract?res bien plus que des doctrines ou des dogmes ?2.

Mais il ne faut pas oublier non plus que Sof'ja, ?clips?e par les grands th?oriciens populistes et par l'?clat des attentats terroristes, n'en connut

pas moins la c?l?brit? au moment du ? proc?s des Cinquante ? et qu'elle pronon?a alors un discours assez important pour justifier plusieurs publi cations ; d?s 1877, en Russie, gr?ce ? la ?

typographie ? clandestine d'Aver kiev et Kuznecov3, et ? diverses reprises ? l'?tranger : peu apr?s le juge

ment, dans le journal de Lavrov, Vpered ! et dans ObScee Delo ; ult?

rieurement, en ?dition broch?e, en 1893 et en 19034. Anonyme, la biographie de Bardina soul?ve une premi?re question :

comment identifier son auteur ? On ne peut assur?ment pas le consid?rer comme un ancien membre du groupe auquel appartenait Sof'ja ; plusieurs passages prouvent au contraire qu'il a peu connu personnellement la

jeune populiste ; ses pr?cautions oratoires sont nombreuses (? semble-t-il ?) et il admet : ? Nos renseignements sur ses ann?es d'enfance, ? notre grand regret, sont tr?s restreints ? ; il souhaite que les amies de Sof'ja viennent combler les lacunes de son information. D'autre part, il r?v?le plusieurs fois ses convictions terroristes, et c'est le cercle anarchiste de Gen?ve qui se chargera, quelques ann?es plus tard, de r??diter le discours de Bardina

avec, en guise de pr?face, un extrait de sa biographie. Voici un ?l?ment dont il faudra tenir compte pour discuter les interpr?tations que l'auteur

Cahiers du Monde russe et sovi?tique, XVI (3-4), juil.-d?c. 1975, pp. 323-352.

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sugg?re et s'interroger sur ses buts ainsi que sur la cr?dibilit? qu'on peut lui accorder.

Par ailleurs, il existe des similitudes frappantes entre la biographie de Bardina et celle de Kaminskaja, l'une de ses compagnes de lutte, qui parut en 1878 dans la revue Obscina : certains paragraphes qui d?crivent la vie des jeunes filles dans l'enfer des fabriques moscovites sont presque identiques5. Les articles ?'Obscina ne sont pas sign?s non plus, mais le comit? de r?daction se composait de Bohanovskij, Deje, Zasulic, Krav

cinskij et Stefano vie. Or il existe une seconde publication de ? Sof'ja Illarionovna Bardina ? : Dragomanov l'ins?ra en 1883 dans les num? ros 61-62 de sa revue Vol'noe Slovo6, et, cette fois, le texte est sign? de l'ini tiale K.. La convergence de ces indices permet donc d'identifier l'auteur ? Kravcinskij-Stepnjak, d'ailleurs sp?cialiste de ces portraits de r?volu tionnaires7.

La vie de Bardina ? Une carri?re exemplaire de populiste, depuis la

prise de conscience politique n?e dans la colonie des ?tudiants russes ? Zurich, jusqu'? la ? marche vers le peuple ? et sa conclusion, l'arrestation

rapide puis le premier grand proc?s public des propagandistes. D'un autre c?t?, le scandale d'un suicide, au moment m?me o? Sof'ja, ?vad?e de Sib?rie et r?fugi?e en Suisse, voyait s'ouvrir devant elle ? l'aube d'une vie nouvelle ?. Telle appara?t l'antinomie insupportable que son biographe s'efforce de briser, en soulignant son r?le historique et en retenant sur tout la valeur de t?moignage et la port?e morale du discours qu'elle pro non?a au ? proc?s des Cinquante ? ; puis en expliquant sa mort par les

?preuves qu'elle a travers?es, de sorte qu'en indignant l'opinion contre ses pers?cuteurs, il ? r?cup?re ? son acte au profit de la cause r?volu tionnaire.

De m?me, une double perspective s'impose pour l'analyse de cette brochure : sans doute, suivre les ?tapes de la br?ve existence de Bardina

permet de sonder les sources du populisme, ou plus exactement d'un popu lisme8. Mais l'on peut d'autant moins n?gliger l'interpr?tation de son sui cide que plusieurs autres membres de son groupe, pourtant tr?s peu nom

breux, se donn?rent aussi la mort : Kaminskaja ? P?tersbourg en 1877, Horzevskaja ? Tomsk en 1886, Batjuskova en 1892 pour ne parler que des femmes. Le cas de Sof'ja n'est donc pas isol? et, en ?tudiant chaque degr? de l'?mancipation et de l'action de la jeune fille, on ne peut oublier l'horizon du drame final pour faire appara?tre, au-del? de leur contra

diction, les liens qui unissent ces deux termes.

*

Bardina naquit dans une famille privil?gi?e et renia ses privil?ges ; elle entreprit des ?tudes sup?rieures qu'elle poursuivit ? l'?tranger ; elle ?tait femme : voici les ?l?ments qui en font un prototype de popu liste et dessinent le portrait de la militante r?volutionnaire telle qu'elle enflamma les imaginations et servit de mod?le aux romanciers russes

contemporains. Sans appartenir ? la haute aristocratie, Bardina ?tait noble et fille de propri?taire foncier. V. Figner nous rapporte l'anecdote suivante ? son propos : ? Un jour, sans y faire attention, la fille d'un pomeScik de la

r?gion de Tambov, Sof'ja Bardina, avoua qu'elle aimait les fraises ? la

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^T^T^^ "

Sof'ja Illarionovna Bardina

cr?me : tout son groupe se moqua d'elle. De ce jour, Vera Ljubatovic la consid?ra, en toute sinc?rit?, comme une bourgeoise. ?9

Or, dans ce groupe qui rassembla ? Zurich douze ?tudiantes russes en une communaut? de vie et d'?tude et fut baptis? ? Fritschi ? du nom de la

propri?taire du logis o? habitaient la plupart d'entre elles, dans ce cercle

que l'on devait retrouver presque int?gralement au ? proc?s des Cin

quante ?, Bardina ne faisait nullement figure d'exception10. Plusieurs de

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ses camarades disposaient de fortunes consid?rables, les s urs Subbo

tina, Horzevskaja et Ljubatovic entre autres; seule Kaminskaja, fille d'un modeste commer?ant de Melitopol', provenait d'un humble milieu. Par rapport aux cercles cr??s dans les ann?es 60, ? l'Organisation dTsu

tin, par exemple, les Fritschi rappelaient plut?t un stade plus ancien du mouvement r?volutionnaire, o? la contestation des privil?ges restait anim?e par leurs b?n?ficiaires eux-m?mes, ou du moins par les jeunes en r?bellion contre leur entourage. Peut-?tre ce d?calage temporel s'explique t-il simplement par la composition exclusivement f?minine de leur groupe :

pour elles, le probl?me de l'?mancipation individuelle demeurait crucial. Mais dans tous les cas, comme l'a montr? R. Wortman qui interpr?te le

populisme comme le transfert d'un amour filial d??u sur le peuple11, la r?volte personnelle contre la famille, ou plus pr?cis?ment contre le repr? sentant de l'autorit? ? l'int?rieur de celle-ci, le p?re, constituait une

?tape n?cessaire ? la formation d'un militant : ? Dans la g?n?ration dont les p?res avaient joui des privil?ges du servage ?, remarque V. Figner12, ? le d?dain de la personnalit? humaine introduit dans les relations fami liales fit souvent na?tre chez les enfants l'horreur du despotisme. ?

Chez les Bardin r?gnaient les rapports traditionnels : tout ployait sous le pouvoir paternel, tandis que la m?re s'effa?ait en tremblant devant son mari ; de la fillette, on exigeait une ob?issance absolue. La biogra phie de Sof'ja insiste sur la tristesse de l'atmosph?re, sur l'aust?rit? et la rigueur qui gouvernaient la maison. Si la rupture avec le milieu fami lial appara?t comme un pr?alable presque indispensable pour cette g?n? ration r?volutionnaire ? avec toutes les cons?quences psychologiques qui peuvent en r?sulter ?, tous les facteurs susceptibles de la favoriser se

trouvaient r?unis pour Bardina : plus la situation qu'occupait son p?re pouvait la choquer,

? or il ?tait commissaire de police ( castnyj pristav) ?,

plus son caract?re entravait les aspirations de l'enfant ? un d?velop pement ind?pendant, plus aussi dans les conflits entre ses parents elle

?pousait pleinement le parti de sa m?re ? qu'elle aimait beaucoup ?, et

plus sa r?volte para?t compr?hensible. Sof'ja ne d?couvrit qu'au sein des Fritschi la chaleur humaine et la compr?hension mutuelle dont elle avait ?t? priv?e.

Bardina ?tait originaire de Morsansk, dans le gouvernement de Tam bov. Sans doute vaudrait-il la peine d'?tudier syst?matiquement l'origine g?ographique des populistes afin de d?finir les principaux foyers r?volu tionnaires et leurs rapports ?ventuels avec l'existence de mouvements

sectaires, de probl?mes li?s aux minorit?s nationales ou de particularit?s socio-?conomiques. Gr?ce ? la liste des ?tudiants inscrits ? l'Universit? et au Polytechnicum de Zurich, de 1864 ? 1874, on peut tenter une pre

mi?re approche de cette question, puisque l'on conna?t leur ville natale et lesquels d'entre eux ont m?rit?, par leurs activit?s politiques ult?rieures, de figurer au Dictionnaire bio-bibliographique des r?volutionnaires russes1*.

Malgr? l'extr?me diversit? des localit?s de d?part (un ?tudiant venait m?me d'Enisejsk !), la pr?pond?rance de Moscou est ?crasante ? cette

p?riode : 32 ?tudiants ? zurichois ? en provenaient (plus de 10 %), dont les deux tiers sont cit?s dans le Dictionnaire.

Partis de Tambov comme Bardina, Krivoluckaja et Lion fr?quen t?rent, l'un la-Facult? de M?decine de Zurich d'octobre 1872 ? ao?t 1873,

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l'autre le Polytechnicum de 1867 ? 1870 ; mais il ne semble pas que Sof'ja ait entretenu de relations avec ces deux personnages qui ne particip?rent pas au mouvement r?volutionnaire ; sans doute son passage par l'Uni versit? de Moscou, o? elle se lia avec les s urs Ljubatovic, fut-il beaucoup plus d?terminant pour elle que ses ann?es d'enfance. A Zurich, elle gar dait n?anmoins une allure provinciale qui frappa Dzabadari lors de sa

premi?re rencontre avec les Fritschi. Bardina suivit les cours de l'institut de Tambov puis, d?s l'?ge de dix

huit ans, elle se rendit ? Moscou afin de poursuivre ses ?tudes. Son bio

graphe ne mentionne pas le fait comme exceptionnel et ne juge utile de

pr?ciser ni ses moyens d'existence ni les r?actions de ses parents ? son

d?part, d'abord pour Moscou, pour Zurich ensuite. Sans doute, ce fut l'un des h?ritages de la p?riode nihiliste que d'avoir proclam? l'?galit? des sexes et revendiqu? le libre acc?s des femmes ? tous les enseignements sup?rieurs. N?anmoins, on imagine difficilement que des obstacles n'aient

pas surgi devant Sof'ja. Dans une situation semblable, V. Figner dut se marier pour obtenir son ?mancipation et elle t?moigne : ? Les parents craignaient encore trop de laisser partir leurs filles, c'?tait trop extra ordinaire. ?14 M?me si l'?migration n'avait au d?part aucun but politique, elle exigeait donc de passer outre aux traditions et aux pr?jug?s, de briser des contraintes ext?rieures ou int?rioris?es, elle repr?sentait un acte pr? r?volutionnaire. Pour une femme surtout, partir ?tait un combat, ?tudier dans les universit?s ?trang?res une conqu?te, la premi?re ?tape de la lib? ration. De l? l'acharnement au travail des jeunes Russes, leur passion pour la science les rendant capables de tous les sacrifices ; de l? aussi, leur sensibilit?, plus aigu? que chez leurs condisciples masculins, aux ques tions politiques et sociales et, ult?rieurement, leur participation plus

massive au mouvement r?volutionnaire : plus d'une ?tudiante ? zuri choise ? sur deux est cit?e dans le Dictionnaire bio-bibliographique des r?vo lutionnaires russes, contre moins d'un homme sur six ; pr?s des trois

quarts des anciens ?tudiants qui y figurent sont des femmes. Les Fritschi form?rent un cercle exclusivement f?minin car, pr?cise

V. Figner, entre elles, elles ne craignaient plus de s'exprimer, elles parti cipaient toutes aux discussions, lib?r?es de la timidit? qui, trop souvent, les paralysait dans les r?unions mixtes. Certes, elles pouvaient parfois pr?ter ? sourire, et V. Figner ne dissimule pas son amusement agac? lorsqu'elle relate une conf?rence d'Idel'son, ? laquelle Bardina l'avait amen?e ; Kravcinskij insiste, non sans ironie, sur leur exaltation et sur leur comportement ? de pensionnaires ?. Il n'en s'agissait pas moins d'un

remarquable d?but ?'auto-?mancipation f?minine. M?me si V. Figner ne lui assigne aucun r?le particulier dans ses M?

moires, Bardina semble avoir joui d'une grande autorit? sur ses camarades, et le t?moignage de Dzabadari corrobore ? cet ?gard les affirmations de son biographe. Elle animait le groupe, entra?nait ses amies dans des excur sions ? travers la Suisse ; son ascendant naturel et la force de son esprit lui avaient valu le surnom de ? tante ?, expression d'une diff?rence de

maturit? plut?t que d'?ge. Morozov, qui fit en prison la connaissance de Sof'ja, ?voque ?

l'impression fascinatrice ? qu'elle suscitait chez tous ceux qui l'approchaient, et la juge comme ? l'une des militantes les plus sympathiques de cette p?riode ?15.

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Pouvons-nous cependant faire revivre Bardina telle qu'elle fut, ? par tir d'indications si fragmentaires ? Nous ne pouvons que remarquer l'extr?me pudeur du portrait qu'en trace son biographe : il laisse tout

ignorer de sa vie personnelle, dans la mesure o? elle existait, de son appa rence physique, il ne retient que le trait propre ? attendrir le lecteur, sa fragilit?, son allure ? fr?le ? au moment du ? proc?s des Cinquante ?, sa sant? d?licate. Par contre, il souligne ses qualit?s sociales, sa gaiet?, son esprit moqueur et observateur, son don des contacts humains et, par ailleurs, son refus de toute sentimentalit?, sa maturit?, son intelligence critique, la domination chez elle de la r?flexion et du sens du devoir. L'identification entre la femme et la militante appara?t totale : peut ?tre s'agit-il d'une illusion mais, en ce cas, la d?formation m?me est

significative. Sans doute, l'auteur se doit de cr?er un mod?le ; mais il est permis de se demander aussi si le drame de Bardina ne vint pas en

partie de cette assimilation excessive, qui l'amena apr?s son ?vasion ? craindre la d?ception de ses camarades et ? ne pouvoir supporter le sentiment de son inutilit?, puisqu'elle s'av?rait incapable de reprendre sa place dans le mouvement r?volutionnaire.

Le t?moignage de Dzabadari permet de compl?ter ce portrait, tout en passant probablement ? c?t? de donn?es essentielles : ? Parmi elles [les Fritschi], Sof'ja Bardina se distinguait particuli?rement par sa vivacit? :

toutes ses amies l'appelaient ' tante ', bien qu'elles fussent presque toutes

de son ?ge. C'?tait une jeune fille dot?e d'une grosse t?te originale, d'un

visage sans beaut? mais tr?s intelligent, d'un grand front bomb? sous

lequel ?tincelait une paire de petits yeux noirs p?tillants d'humour. Cette t?te de femme, on ne sait pourquoi, ?voquait au premier coup d' il la t?te de Voltaire. ?16

A Zurich, Bardina connut une ?volution commune ? beaucoup de ses

camarades. Elle suivit avec succ?s les cours du Polytechnicum, puis de la Facult? de M?decine ? apr?s avoir d?cid? que la profession de m?de

cin ?tait plus commode pour ' se caser

' au sein du peuple ?, pr?cise Krav

cinskij17, sans pour autant n?gliger une formation politique, acquise essentiellement en autodidactes par les Fritschi. Les amies se fix?rent un vaste programme de lectures, absorb?rent syst?matiquement et r?su

m?rent sur fiches la litt?rature socialiste, de Thomas Morus ? Lassalle, et rassembl?rent une importante documentation sur les mouvements

sociaux d'Europe occidentale.

Sof'ja participait activement ? la vie de la petite colonie russe, d'ail

leurs bien organis?e avec sa biblioth?que, fond?e en 1872 par Sagin, sa

caisse de secours, son bureau de placement et ses conf?rences p?riodiques. Elle appartint au groupe des collaborateurs de Lavrov, qui rappelle son

activit? dans Les propagandistes populistes1* : ? Le soir, on chantait des

airs russes. En haut du Forsthaus, d'o? l'on d?couvrait un immense hori zon bord? par les Alpes de Saint-Gall, chaque soir, des groupes de jeunes

compositeurs partaient en chantant de la typographie du ' Vpered ! '.

Dans leurs rangs, il y avait beaucoup de celles qui devaient, quelques ann?es

plus tard, compara?tre au proc?s des 50 (Bardina, Lidija Figner, les deux

Ljubatovic, les trois Subbotina, Aleksandrovna, Kaminskaja et d'autres). ?

Par contre, il ne semble pas que Sof'ja ait eu beaucoup de rapports avec les ?tudiants non russes, chez qui ces jeunes filles anticonformistes,

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avec leurs cheveux courts, leurs lunettes bleues, leur m?pris de l'?l?gance et leur paquet de livres sous le bras ?veillaient plus de d?fiance que d'in t?r?t. F. de Spengler devait en t?moigner, quelque trente ans plus tard : ? L'?tudiante russe ! Lorsque j'avais l'?ge d'?tudiant moi-m?me, on ne connaissait gu?re que celle-l? d'?tudiante. Les hautes ?tudes ne

tentaient point encore la femme ; on qualifiait d'excentriques celles qui s'y livraient. Et lorsque, parmi la jeunesse universitaire, on voyait passer un jupon, c'?tait n?cessairement une Russe, une nihiliste [...] Et nous la

voyions avec une antipathie presque r?pulsive... ?19

Cependant, Bardina sut ?largir son horizon en s'int?ressant aux mou

vements ouvriers d'Europe occidentale, ? la Commune de Paris et ? l'In ternationale. Elle assista avec Ol'ga Ljubatovic et Aleksandrovna au

congr?s de la F?d?ration jurassienne, ? Saint-Imier (15 septembre 1872), en compagnie de quelques Bakouninistes russes : Gol'stein, Ralli, Vahov

skaja, Lukanina. De cette ouverture, de cette volont? de s'ins?rer dans l'ensemble du mouvement socialiste, devait t?moigner le discours de

Zdanovic au proc?s des Cinquante. Dzabadari, lors de ses premi?res conversations avec les Fritschi, fut

impressionn? par l'ampleur de leur culture politique, par leur connais sance approfondie de la litt?rature r?volutionnaire et des activit?s de l'Association internationale des Travailleurs ; il devait reconna?tre : ? Les femmes des cercles r?volutionnaires de P?tersbourg que j'avais connues en Russie ne supportaient aucune comparaison avec ce monde nouveau pour moi des femmes russes r?volutionnaires. ?20

Toutefois, il est douteux que cette formation th?orique ait jou? un r?le d?terminant pour conduire les Fritschi ? l'engagement actif. Dans le

groupe qu'elles allaient former avec les ?tudiants caucasiens, on se sou ciait peu des questions abstraites, d'apr?s Dzabadari. L'action politique r?pondait r?ellement ? une n?cessit? vitale et la biographie de Kamin

skaja le confirme : ? Les th?ories en elles-m?mes ne les int?ressaient qu'en tant que r?ponse aux questions torturantes de la vie. ?21

Si l'on doit pourtant retenir une influence, le nom de Lavrov s'im

pose pour ?tablir le lien entre l'exigence int?rieure et l'engagement actif.

Lavrov, en lan?ant l'id?e de ? dette envers le peuple ?, poussait la jeunesse ? un sacrifice absolu et imprimait au mouvement populiste ce caract?re

moral si particulier et qui tient tant de place dans la biographie de Bar

dina, comme si ce qualificatif ?tait la clef de cette p?riode. Son auteur, certes, souhaitait offrir un mod?le ? ses lecteurs, ce qui peut justifier des tendances hagiographiques ; d?fendre aussi les jeunes r?volutionnaires des accusations d'immoralit? lanc?es contre elles, en particulier par l'ou kase de 1873. Mais l'attachement aux valeurs traditionnelles ne risque t-il pas de se r?v?ler contradictoire aux convictions r?volutionnaires, ces valeurs qu'il s'agit moins de d?truire que de purifier, comme le prouve le discours de Bardina au proc?s des Cinquante ? Son biographe insiste d'abord sur l'honn?tet? rare du p?re de Sof'ja et sur sa correction ? l'?gard de son ?pouse, qualit?s qui ont pr?serv? la fillette de toute ? perversion ?. Puis sur l'aust?rit? de sa vie d'?tudiante et sur les exigences extraordi naires que s'imposaient les membres de son groupe. En supposant qu'une lib?ration des m urs ait exist?,

? ce que d?mentent les t?moignages ?, il faut admettre qu'elle n'aurait ?t? nullement assum?e. On ressent au

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contraire l'impression d'un besoin de d?culpabilisation chez ces jeunes en totale rupture avec leur milieu et leurs origines, besoin que traduit la notion de rachat, de dette ? payer, si nettement exprim?e dans les

Lettres historiques (Istoriceskie pis ma), dont Bardina avait fait son livre de chevet. S'agit-il d'un transfert ? Toujours est-il que l'engagement se

posait en termes de sacrifice : voulu rationnel, guid? par des consid?ra tions id?ologiques, il n'en pr?sentait pas moins un caract?re essentielle

ment moral, sans que, m?me avec un certain recul, la contradiction par?t choquante au biographe de Bardina. Les propagandistes ?taient des ? anges ?, enti?rement vou?es ? leur cause, consacr?es au service exclusif de leur id?al ; leur moralit? ?tait comme la garantie du progr?s qu'elles promettaient ? travers la r?volution, puisqu'elles pr?figuraient l'huma nit? future. Sans doute les conditions propres ? la Russie leur imposaient elles cette forme d'engagement qui exigeait d'elles le don total de leur vie. Dans ses Lettres historiques, Lavrov appuyait sur la n?cessit? que l'id?e int?rioris?e dev?nt foi pour que naqu?t un militant, un homme de

progr?s de plus : la foi est la m?diation entre la r?flexion critique et l'action r?volutionnaire et celle-ci implique l'acceptation du sacrifice. Or on peut situer pr?cis?ment ? l'?poque du s?jour des Fritschi ? Zurich et de leur activit? en Russie, dans les ann?es 1872 ? 1874, le passage du nihilisme au mouvement social-r?volutionnaire, c'est-?-dire, pour reprendre la d?finition de Stepnjak, de la recherche de l'?mancipation individuelle

(d?terminante, au d?part, pour les ?tudiantes ? zurichoises ?) ? la volont? de transformer la soci?t?.

*

Kravcinskij pr?sente comme simultan?e ? la constitution m?me du

cercle des Fritschi sa d?cision de rentrer en Russie pour se conformer ? cet id?al, et il attribue ? Bardina un r?le mod?rateur en l'occurrence,

? ceci refl?tant sans doute, plus que la r?alit?, l'exp?rience acquise dans l'?chec de la ? croisade vers le peuple ?. En tout cas, V. Figner d?ment cette interpr?tation : d'apr?s elle, la politisation des ?tudiantes s'effectua tr?s progressivement, et c'est bien l'oukase de l'?t? 1873, ? ce d?cret

gouvernemental scandaleux et absurde en vertu duquel on enjoignait ? toutes les femmes ?tudiant ? Zurich de quitter sur-le-champ cette ville

?pouvantable sous peine d'excommunication civile ?22, qui d?termina la

majorit? d'entre elles ? regagner la Russie. Si une minorit? entreprit

cependant de poursuivre ses ?tudes, ? Berne, ? Paris ou en Allemagne, ce fut moins pour des motifs politiques (le sentiment d'une pr?paration insuffisante au stade de l'action), que par d?sir de parfaire sa formation

professionnelle, condition de son utilit? sociale.

Contraintes de quitter Zurich, les Fritschi, comme les autres ?tu

diantes russes, se dispers?rent. V. Figner s'inscrivit ? l'Universit? de

Berne. D'autres se rendirent ? Paris : Horzevskaja, Lidija Figner, Alek

sandrovna, Bardina, puis les s urs Subbotina et Tumoniva. Mais Sof'ja,

n'ayant pu s'inscrire aux examens et press?e par les difficult?s financi?res,

apr?s avoir consacr? ses derni?res ?conomies ? l'achat d'un microscope, retourna peu apr?s en Suisse, ? Gen?ve, o? faute de terminer ses ?tudes

m?dicales, elle suivit les cours d'obst?trique pour poss?der du moins un

m?tier.

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BARDINA 33I

C'est ? ce moment que se nou?rent les relations entre les anciennes Fritschi et le groupe des ?tudiants caucasiens : l'?migration rendait pos sibles les prises de contact et les regroupements qu'interdisait la r?pres sion en Russie. Elle permettait de constituer une soci?t? secr?te, de for

ger son programme et, surtout, de nouer entre les militants des liens qu'il suffirait de maintenir au retour en Russie.

Dzabadari a d?crit en d?tail les circonstances dans lesquelles naquit le nouveau cercle r?volutionnaire, ou, plus exactement, pour reprendre le terme alors employ?, la communaut? (obScina) : car il ne s'agissait pas tant de cr?er un parti que de fonder un noyau qui pr?figurerait l'id?al d'une soci?t? socialiste, par son mode de vie et les rapports entre ses membres23.

A Zurich, d?j?, un groupe des Caucasiens s'?tait organis? autour de Nikoladze ; il s'assignait pour but la cr?ation d'une r?publique f?d?rale du Caucase. En ao?t 1874, il tint un congr?s ? Gen?ve, et Dzabadari qui habitait alors aux Batignolles et y travaillait dans un atelier de forge, pour apprendre ? conna?tre l'ouvrier parisien

? l'ancien Communard ! ?

fut invit? ? y assister. Les d?bats provoqu?rent une rupture entre les natio nalistes et ceux qui, comme Dzabadari ou Cicianov, voulaient se lancer ? dans l'ar?ne de l'action politique, non comme G?orgiens, mais comme

membres de la famille r?volutionnaire russe ?. Aussi l'?v?nement impor tant se produisit-il ? l'issue des d?lib?rations : Dombat, Cikoidze et Dza badari qui d?naient au caf? Gresso, rendez-vous de toute la colonie russe,

y rencontr?rent deux jeunes filles, lesquelles sollicit?rent d'eux un pr?t de 500 francs. C'est ainsi que Dzabadari lia connaissance avec E. Subbo tina et V. Ljubatovic, qui vivaient alors chemin de Carouge, puis avec leurs amies, Bardina, Aleksandrovna, L. Figner, Kaminskaja et Horzev

skaja. De sa premi?re visite chez elles, il a laiss? une longue description24 :

? Toutes ?taient si jeunes, si simplement mais ?l?gamment v?tues,

qu'elles attiraient involontairement le regard ; certaines d'entre elles ?taient si timides qu'elles baissaient les yeux quand on s'adres sait ? elles. Il ?manait d'elles un air de campagne, peut-?tre de loin taine province, en tout cas, une bonne moiti? de ces jeunes filles n'avait ?videmment pas encore eu le temps de franchir le seuil du monde, comme l'on dit. Il n'y avait en elles ni de cette sereine d?sinvolture de la femme du monde, ni de cette insouciante hardiesse ext?rieure de mes connaissances p?tersbourgeoises, avec leurs vieilles bottes chauss?es sans n?cessit? et leurs cheveux cou

p?s court. A voir ces jeunes filles, on aurait pu penser qu'elles formaient une famille, et effectivement, c'?tait une famille tr?s ?troi tement unie, mais par l'amiti? et non par le sang. Parmi elles, Sof'ja

Bardina se distinguait particuli?rement par sa vivacit? [...] Bar dina ?tait habill?e tout en noir et elle ?tait assise sur un divan devant une grande table ronde. Elle nous invita aimablement ? nous asseoir ? cette table ; elle avait une voix douce, sympa thique, m?lodieuse, au timbre de contralto. Nous n'avions pas eu le temps de nous asseoir ? la table que les autres jeunes filles,

plus timides, entouraient leur ' tante ', comme des enfants : l'une

s'assit ? ses c?t?s et s'agrippa solidement ? son bras, une autre la serra par la taille, une troisi?me se pencha de tout le corps par

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dessus le bras du divan et lui entoura les ?paules de ses bras, une

quatri?me s'effor?ait de m?me de se rapprocher de sa tante d'une mani?re ou d'une autre, mais Bardina, se voyant menac?e d'?touf

fement, se d?gagea de leurs ?troits embrassements et s'exclama d'un ton moqueur, en s'adressant ? elles : '

Au diable, elles ne me laisseront pas dire un mot ? ces gens !

' Toutes se mirent ? rire,

mais sans abandonner leurs positions ; nous r?mes aussi ; nous nous ?tions rappel? un tableau d'enfance : nous aussi, quand nous ?tions enfants, nous entourions ainsi notre m?re, lorsque des inconnus venaient chez nous, tout en jetant des coups d' il de derri?re ses ?paules, comme de petits fauves. ?

Malgr? cette r?serve et ces enfantillages, non seulement les Cauca siens ?prouv?rent rapidement de l'admiration pour ces jeunes filles, mais ils n'h?sit?rent pas ? s'associer avec elles, sur un pied d'?galit?, semble

t-il, absolu, pour fonder un nouveau groupe : ? Quelques conversations avec [elles] nous convainquirent qu'il ?tait impossible de rien trouver de mieux pour la trempe intellectuelle et morale ?, assure Dzabadari25.

Uobscina, compos?e donc des anciennes Fritschi et des ?tudiants caucasiens non nationalistes, ne se dota d'abord ni de structures ni de

programme pr?cis : son action pr?c?da l'?laboration d'une id?ologie et d'une organisation v?ritable. On d?cida de rentrer imm?diatement en

Russie et de concentrer la propagande ? Moscou, qui avait moins souffert

que P?tersbourg des arrestations. Le cercle restait en relations avec

Gen?ve et la typographie de Ralli, gr?ce ? Cikoidze qui devait se charger d'acheminer la litt?rature r?volutionnaire : exemplaires du Kolokol, du

Vpered /, r?cits populaires des Cajkovcy, textes de Cernysevskij, Tkacev, Bakunin et m?me Marx, dont la traduction de La guerre civile en France ?tait parue ? Zurich en d?cembre 187126. Par ailleurs, un accord avec ? Yobscina r?volutionnaire des anarchistes russes ? de Gen?ve, qu'ani

maient Ralli et Zukovskij, permit de lancer un p?riodique, le Rabotnik,

qui s'effor?a de faire conna?tre, en un langage simple et populaire, les nouvelles du monde ouvrier et publia des correspondances de Russie. Le

journal sortit pour la premi?re fois en janvier 1875 et fut mensuel

pendant un an ; deux num?ros seulement parurent en 1876, avant sa

disparition. On peut s'?tonner que le groupe ait choisi d'agir dans les fabriques,

alors que la ? croisade vers le peuple ? ?voque plut?t la propagande dans les campagnes. Est-ce r?ellement parce que, ? d'apr?s le plan de l'Orga nisation ? absolument rationnel et r?aliste ? il fallait d'abord cr?er des cadres r?volutionnaires parmi les ouvriers des villes, plus ouverts

? la propagande, pour se r?pandre ensuite avec eux dans les cam

pagnes ? ?27 D'autres facteurs peuvent expliquer cette option, ? commen cer par l'influence de l'Internationale et le souvenir, tout frais encore, de la Commune de Paris. On doit penser aussi au travail pr?liminaire effectu?

par les Cajkovcy : lorsque Dzabadari se rendit ? P?tersbourg, en octobre

1874, dans l'espoir de cr?er un premier noyau o? se m?leraient intellec tuels et ouvriers, il b?n?ficia de l'action ant?rieure de Sinegub, Carusin,

Kravcinskij, Kropotkin, Sisko et Rogacev. Il existait d?j? une association

(artel') qui permettait ? des intellectuels de retrouver chaque soir les

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BARDINA 333

ouvriers, pour les instruire, et qui comprenait plusieurs des futurs pro

tagonistes du proc?s des Cinquante : Potapov, Oklagskij et surtout Alek seev.

En fait, il semble que beaucoup de confusion et d'ind?cision ait mar

qu? le mouvement ? ses d?buts. Tandis que Dzabadari militait ? P?ters

bourg avec Zdanovic, le cercle f?minin s'?tait ?parpill?. Certaines Frit schi demeuraient en Suisse : E. Subbotina, V. Figner et Aptekman habi taient Berne, o? ces deux derni?res devaient rester jusqu'en 1876. D'autres ?taient rentr?es en Russie, avec des fortunes diverses : les s urs Ljuba tovic, imm?diatement arr?t?es, se retrouv?rent en prison ; elles furent lib?r?es au Nouvel An, sous la caution de leur p?re. Bardina se rendit dans sa province natale, ? Tambov ; L. Figner, Aleksandrovna et Kamin

skaja, ? P?tersbourg. Mais, ? la fin de 1874, tout le groupe se rassembla ? Moscou, o? Bardina, L. Figner, Kaminskaja, E. Subbotina et presque toutes les autres Fritschi parvinrent en d?cembre.

D'embl?e, les propagandistes se mirent ? l' uvre et se firent embau

cher dans diff?rentes fabriques, avec de faux passeports, les femmes comme les hommes, et ce contre l'avis de leurs compagnons qui crai

gnaient qu'elles ne pussent supporter les conditions de travail : Kamin

skaja entra ? la fabrique Moiseev, Ljubatovic chez Nosov et Bardina chez

Lazarev, sous le nom d'Anna Zajcev. Partageant le travail et la vie des ouvri?res, les jeunes filles dispo

saient pourtant de tr?s peu d'occasions de d?jouer la surveillance et de vaincre l'apathie de leurs compagnes d'atelier. De plus, leur situation ?tait p?rilleuse et, pour justifier leur savoir tout en se faisant passer pour des femmes du peuple, elles se pr?sentaient comme des adeptes du Ras kol. En effet, les vieux-croyants, au nombre de 10 millions environ et concentr?s ? Moscou dans les quartiers de Preobrazenskoe et Rogozskoe, b?n?ficiaient souvent d'un pr?jug? favorable dans les milieux populaires, et de surcro?t, il existait parmi eux des femmes instruites dans les ?cri tures saintes (nacetcik).

Les jeunes propagandistes avaient probablement nourri au pr?a lable de grandes illusions sur l'efficacit? et la rapidit? de leur action ; aussi, dans leur exaltation, ressentaient-elles durement chaque ?chec. Or Lavrov lui-m?me devait reconna?tre qu'elles n'avaient que ? trop d'occasions de sombrer dans le d?couragement qu'engendre l'insucc?s et ne connaissaient que bien rarement

' ces minutes de triomphe, minutes

de bonheur enivrant ', quand, malgr? tous les obstacles, l'une ou l'autre

parvenait ? constituer un petit cercle ouvrier ?28. Le biographe de Bar

dina, tout en rendant hommage ? son h?ro?sme, souligne aussi l'irr?alisme de ces m?thodes, la st?rilit? de cette forme d'action, en regard des efforts ?normes qu'elle requ?rait. Vouloir se fondre d'embl?e dans le peuple, c'?tait se condamner ? une adaptation tr?s difficile et, par ailleurs, se trouver mat?riellement dans la quasi-impossibilit? de se consacrer ? la

propagande. Vis-?-vis des ouvri?res qui ne s'int?ressaient ? qu'aux toi

lettes, aux amants et aux comm?rages ?, la brochure exprime une immense

d?ception. Pour agir parmi les ouvriers (radicalement s?par?s des femmes dans les fabriques), les militantes ?prouv?rent la profondeur du foss? qui s?parait l'intelligentsia du peuple : trait?es en ?gales par leurs camarades de combat, elles se retrouvaient ? cr?atures inf?rieures ? aux yeux des

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autres29. Obstacle suppl?mentaire des pr?jug?s qui fait ressortir l'extra ordinaire audace de Bardina et de ses compagnes.

Tr?s peu nombreux (une vingtaine ? Moscou), les membres du groupe ne pouvaient de surcro?t rester longtemps en une m?me place, tant par ?puisement physique, pour les jeunes filles en tout cas, que par crainte des d?nonciations. Faut-il n?anmoins conclure ? l'inutilit? de cette tenta tive ? On peut avancer ? ce sujet des t?moignages contradictoires. Les

biographies de Bardina et de Kaminskaja montrent comment, en peu de

temps, elles surent imposer leur personnalit? et d?velopper l'influence de leurs id?es. N'approuvant pas les m?thodes employ?es, Kravcinskij en conclut ? ? l'extr?me r?ceptivit? des paysans et des ouvriers de fa

brique ?30. Sans discuter maintenant de l'assimilation peut-?tre abusive des uns aux autres, on peut se demander si la sympathie qu'?veillaient les propagandistes signifiait pour autant une adh?sion ? leur message.

V. Figner affirme formellement que non. On peut supposer, au contraire, que les ouvriers ?taient plus sensibles ? la personnalit? touchante des popu listes, ? leur d?vouement, qu'au contenu id?ologique de leur propagande, qui exigerait d'ailleurs une analyse plus pr?cise : appels ? la solidarit? et ? l'union, d?nonciation de l'exploitation capitaliste, des injustices et des ? malhonn?tet?s ?, attaques contre le r?gime tsariste et informa tions sur les mouvements ouvriers d'Occident, tels sont les th?mes

qu'abordent les rubriques du Rabotnik, sous une forme, en v?rit?, assez confuse et ind?termin?e.

Trente-deux ans plus tard, Dzabadari devait pourtant juger conclu antes ces premi?res exp?riences : ? La premi?re tentative [ce?e de Kamin

skaja] r?ussit si bien que nous ne craignions d?j? plus rien pour les autres femmes ? Bardina et Ol'ga Ljubatovic, qui ?taient plus ind?pendantes et plus adroites dans les relations avec le petit peuple. ?31 II estimait m?me

qu'au bout de deux mois, les r?sultats s'?taient av?r?s brillants : la pro pagande avait touch?, sans compter les petits ateliers, une vingtaine de

fabriques ? Moscou : Timase v, Gjubner, Tjucev, Sibaev, Grojacev, Soko

lov, Rochefort... Dans chacune d'elles, il y avait d?sormais de petits groupes de quatre ou cinq ouvriers qui ignoraient l'existence formelle de l'Organisation, mais, sensibles ? la propagande, fr?quentaient l'appar tement qui servait de rendez-vous : d'abord dans le quartier Jauzskoj, puis dans celui des Syromjatniki, puis Perspective Krasnoprudskij, et enfin dans la maison Korsak, Perspective Krasnosel'skij, dont la pro pri?taire n'?tait autre que Bardina.

En f?vrier 1875, le cercle souhaita se donner des structures, et les militants qui avaient pu se lib?rer assist?rent ? la r?union constitutive de l'Organisation social-r?volutionnaire panrusse (Vserossijskaja Social

revoljucionnaja Organizacija) : Bardina, Kaminskaja, L. Figner, les s urs

Ljubatovic, Aleksandrovna, E. Subbotina et Horzevskaja pour les an ciennes Fritschi ; Dzabadari, Cikoidze, 2ukov, Lukasevic, Grjaznov,

Alekseev, Egorov, Vasil'ev et Barinov pour les ?tudiants caucasiens et les ouvriers. On nomma alors une commission de r?daction, qui devait

s'inspirer du programme des Fritschi, lui-m?me d?riv? de celui de la F?d? ration jurassienne, et qui se composait de 2ukov, Lukasevic et Bardina.

Mais il s'agissait moins, en r?alit?, de mettre au point un v?ritable pro gramme politique, puisque, au contraire, l'Organisation d?sirait rassem

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BARDINA 335

bler toutes les tendances r?volutionnaires et refusait sciemment d'envi

sager avec pr?cision l'avenir, que de d?finir des r?gles pour l'action et,

peut-on ajouter, pour toute la vie des militants. Comme le remarque Dzabadari : ? A cette minute, ce n'?tait pas tant la soci?t? future qui nous int?ressait que ce mouvement auquel chacun de nous devait se consacrer en s'y donnant tout entier, en donnant toute sa vie ? l'action r?volu tionnaire ; dans cette action, en d?pit du caract?re exceptionnel de notre

mouvement, nous nous efforcions de mettre en uvre dans la cause les

principes moraux les plus stricts ; ceux-ci devaient r?gir l'activit? des membres de l'organisation, tout en exer?ant un ascendant sur la masse avec laquelle ils entraient en contact, en comprenant bien que seul un id?al moral peut nous ?clairer le chemin et nous gagner les c urs avides de v?rit?. ?

[Soulign? par nous. M.-C. B.-V.]32 Des statuts qui, saisis sur Zdanovic, devaient servir de pi?ce ? convic

tion au proc?s des Cinquante, retenons les exigences extraordinaires

impos?es au militant, et qui, selon Meijer, situent ? part l'Organisation social-r?volutionnaire panrusse, m?me dans la Russie de cette ?poque. Il devait abdiquer toute vie priv?e, accepter de sacrifier au besoin tous ses biens personnels, au sens le plus large, et renoncer absolument ? tout

privil?ge et donc travailler comme simple ouvrier. On d?cida seulement de relever provisoirement de cette obligation, on serait tent? d'?crire de ce v u, trois membres qui constitueraient 1' ? administration ?, coordonne raient l'activit? des propagandistes et seraient renouvel?s tous les mois.

Encore ce point fut-il discut?, certains voyant dans cette dispense une entorse aux principes sacr?s, particuli?rement ? la totale ?galit? des

membres de l'Organisation. On doit se souvenir ? cet ?gard des remous suscit?s par l'affaire Necaev : l'opposition au ? jacobinisme ? transpa ra?t tant dans l'hostilit? ? toute centralisation que dans le refus de toute violence syst?matique, et les statuts rappellent les postulats ?tablis par Bakunin dans sa lettre du 2 juin 1870 au cr?ateur de la Narodnaja Ras

prava : ? ?galit? des droits de tous les membres et solidarit? incondition

nelle et absolue ?33. La premi?re administration, refl?tant la composition sociologique du

groupe, fut constitu?e de Grjaznov, charg? des rapports avec les ouvriers, Dzabadari, qui s'occupait des relations avec les diff?rents cercles d'intel

lectuels, et E. Subbotina pour les questions financi?res ; au reste, l'ar

gent ne manquait pas, gr?ce ? la fortune personnelle de plusieurs membres du groupe, et Dzabadari remarque qu'aucune autre organisation des ann?es 70 ne fut sans doute plus riche. L'administration proposa trois

mesures destin?es ? ?largir et consolider l'influence des propagandistes : convertir en liquidit?s les biens fonciers et immobiliers dont on pouvait disposer et d?poser les fonds dans une banque ?trang?re ; cr?er une typo graphie clandestine en Russie m?me ; enfin, fonder de nouveaux foyers d'action dans les principaux centres ouvriers de province. Seul ce dernier

projet connut un d?but d'ex?cution. En mars 1875, Alekseev partit pour Ivanovo, Vasil'ev et Barinov pour Serpuhov, Lukasevic pour Tul, Alek sandrovna pour Suj, Horzevskaja pour Kiev, 0. Ljubatovic pour Odessa et Cikoidze pour le Caucase, o? militait d?j? le prince Cicianov. En avril, presque tous les membres de l'Organisation avaient quitt? leur place de Moscou et s'appr?taient ? s'?parpiller. Mais la police ne leur en laissa

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pas le temps puisque tous ceux qui n'avaient pas encore abandonn? la ville tomb?rent dans ses filets ? ce moment.

Deux exemples, extraits du Rabotnik, permettent de mesurer le tra vail et l'influence des propagandistes hors de Moscou. Dans le num?ro 8, d'ao?t 1875, on trouve une ? Lettre de Kiev ?, ?crite par Nikiforov ; elle r?v?le l'existence d'une association ouvri?re ? de quelques hommes ?, assez organis?e malgr? ses faibles ressources pour envoyer l'un de ses adh?rents enqu?ter sur une r?volte paysanne qui venait d'?clater dans le district de Cigirinskij, assez inform?e aussi pour conseiller ? Nikiforov d'adresser son rapport au Rabotnik. Ce compte rendu donne quelques pr?cisions int?ressantes sur la col?re paysanne et sur la solidarit? entre ouvriers et moujiks, et il conclut, dans ce style direct et populaire, carac

t?ristique du journal : ? Les paysans dans le district de Cigirinskij disent

que si le tsar nous a lib?r?s, alors il doit aussi nous donner la terre. A l'heure actuelle, ils esp?rent encore que le tsar leur donnera la terre. Quel ques-uns, qui seront plus avis?s et plus intelligents, ont perdu espoir dans le tsar : ils se sont tu?s, ils ont ?puis? leurs forces ? attendre. Ils com

mencent ? comprendre que le tsar, c'est un vrai pomescik, et le plus grand encore, que visiblement ou non, les terres et les paysans lui appartiennent, et qu'il n'a pas envie de se d?pouiller lui-m?me. ?34

Comment ne pas reconna?tre ici les th?mes de la propagande du Rabot nik ? Pourtant, cet optimisme est d?menti par V. Figner, par exemple, qui estime, apr?s avoir milit? quelque dix mois dans les campagnes de Russie du Sud, en 1877-78 : ? L'isolement r?volutionnaire dans lequel nous vivions ?tait d?sesp?rant. ?35

En ao?t 1875, le Rabotnik ?ditait aussi une ? Lettre ? adress?e de Ser

puhov le 2 juillet par Mikolov et qui relatait une r?volte, un bunt ? c'est ?-dire une gr?ve, en v?rit? ? des ouvriers de la fabrique d'indiennes Konsin. Mikolov, qui agissait dans les campagnes, ne faisait pas partie des propagandistes de la ville, lesquels se rattachent vraisemblablement ? l'Organisation social-r?volutionnaire panrusse. Lui aussi a voulu s'in

former, dans le souci de renforcer les liens entre les mouvements ouvriers et paysans,

? pr?occupation majeure des r?volutionnaires russes d?s cette

p?riode. Comme Nikiforov, Mikolov insistait sur la prise de conscience

qui accompagnait le mouvement, d?marr? sur des revendications d'all?

gement des horaires et de hausse des salaires : ?... Le peuple commence enfin ? comprendre qu'il lui faut s'entendre, qu'il lui faut redresser sa t?te courb?e et regarder autour de lui ce qui se passe, qui nous dirige, o? passe notre argent, comment les patrons nous grugent. ? Il rapportait la r?ponse d'un jeune ouvrier auquel il demandait pourquoi s'?tre mis en gr?ve ? ce moment pr?cis, alors que le m?me r?glement avait toujours ?t? appli qu? dans la fabrique ; ses paroles prouvent d?j? l'acquisition d'une stra

t?gie dans la lutte des classes, en m?me temps qu'elles confirment l'?troi tesse des liens entre moujiks et prol?taires urbains :

? ... Suppose qu'en ce moment, ?a chauffe pour le patron, qu'il ait beaucoup de commandes, que nous, nous ayons aussi les foins,

?a veut dire que le moment est bien choisi, que le patron est

oblig? de c?der immanquablement. Ensuite, il m'expliqua comment tous les pouvoirs sont pour le patron, et Yispravnik, et les gen

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BARDINA 337

darmes, et le vice-gouverneur, et puis il ajouta : Ah ! Ce qu'il faut bien expliquer, c'est qu'ils sont tous ensemble contre nous, les

moujiks ; ils se sont entendus pour nous pressurer, ils se sont choisi un chef, ils l'ont baptis? notre p?re le tsar et nous, ils nous op

priment. Mais n'importe, notre fr?re le moujik commence ? com

prendre toute leur m?canique et le temps n'est pas loin o?, tous

ensemble, nous tomberons comme la foudre sur nos oppres seurs. ?36

Ces deux exemples prouvent qu'on ne peut consid?rer comme pure ment utopique le projet de l'Organisation. Cependant, la plupart des t?moins de cette ?poque et les historiens qui les suivent concluent au

caract?re d?risoire des r?sultats obtenus. Meijer n'en retient qu' ? une

tradition de d?vouement ? la cause r?volutionnaire ?37. F. Venturi estime de m?me que ? la chute de l'Organisation social-r?volutionnaire panrusse cr?a un courant de sympathie et d'admiration autour des r?volutionnaires

qui s'y ?taient sacrifi?s. Leur exemple contribua ? susciter une atmo

sph?re de lutte plus active. Mais aucun v?ritable mouvement ouvrier ne

naquit ? Moscou de leur tentative. La propagande dans les fabriques y resta moins active qu'? Odessa, Kiev et surtout Saint-P?tersbourg ?38.

La question suivante se pose donc : les membres du groupe ?prou v?rent-ils le sentiment d'un ?chec ? Et dans ce cas, comment r?agirent ils, surent-ils assumer ce dernier ? Le probl?me peut se d?composer ; car

il faudrait se demander si, d'une part, la propagande poursuivie avec les m?mes m?thodes sur des th?mes identiques avait chance d'aboutir ? des r?sultats substantiels, ou si, au contraire, une r?vision s'imposait dans l'imm?diat ; et d'autre part, si l'?chec ne r?side pas plut?t dans l'arres tation pr?matur?e des propagandistes. Avant donc de rechercher comment leur r?flexion sur les modes d'action conduisit d'anciens membres de

l'Organisation sur d'autres voies et mena certains au terrorisme, il

importe de conna?tre les circonstances de la disparition du noyau mosco

vite, ? laquelle les quelques cercles p?riph?riques ne surv?curent gu?re. Or celles-ci se r?v?lent particuli?rement absurdes et traumatisantes, et surtout pour Bardina, semble-t-il.

Le 29 mars 1875, la police s'emparait du plus actif des ouvriers adh? rant ? l'Organisation, Vasil'ev, victime d'une d?nonciation. La d?cision d'abandonner la maison Korsak, qui servait de rendez-vous aux mili tants et sympathisants, et dont la ma?tresse de Vasil'ev, Skvorcova, connaissait l'adresse,

? cette d?cision qu'imposait la plus ?l?mentaire

prudence, on la prit, certes, mais sans se presser aucunement de la mettre en application. Comme le remarque Lukasevic39 : ? H?las, nous ?tions loin de garder le secret sur nos affaires aussi strictement que les statuts l'exi

geaient sur le papier ! ? Pour lui, la responsabilit? de cette erreur est collective : ? Tous, nous avions non seulement le pressentiment mais la

quasi-certitude que l'appartement ?tait fort expos?. Nous ne nous en r?un?mes pas moins l? en grand nombre, et sans nous h?ter de nous dis

perser. Ce fut notre grande faute commune. ?40

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338 MARIE-CLAUDE BURNET-VIGNIEL

Par contre, Dzabadari accuse plus pr?cis?ment Bardina, coupable, selon lui, de ne pas avoir cru ? l'imminence du danger et d'avoir provoqu? le retard fatal, dont il s'aper?ut avec effroi en passant, le 3 avril, devant les fen?tres du ? logis de la conspiration ?. Il monta dans l'appartement,

malgr? l'avertissement surprenant d'un sergent de ville, afin de presser le d?part des occupants. Mais : ? Bardina insista pour finir de boire le th? et s'en aller seulement apr?s ; aucun argument ne put ?branler cette r?solution. Il ne me restait qu'? m'asseoir et ? attendre pour partir le dernier ; Bardina n'avait pas eu le temps de porter la premi?re tasse ? ses l?vres que la porte s'ouvrait avec fracas, et qu'une foule de gens se pr?ci pitait dans la pi?ce sans avertissement, sans un mot, ainsi que des bri

gands qui forcent une porte. Le premier ? s'avancer fut le g?n?ral Voej kov qui courut droit sur moi. ?41

C'est ainsi que, sans rien pouvoir tenter pour leur d?fense, neuf per sonnes, dont sept appartenaient ? l'Organisation, tombaient entre les

mains des policiers : Bardina, Kaminskaja, Cikoidze, Alekseev, Lukase

vic, Georgievskij, Dzabadari et les sympathisants Nikolaev et Agapov. On parvint seulement ? gagner du temps en exigeant la pr?sence l?gale d'un procureur, ce qui permit d'accrocher ? la fen?tre un signal convenu, en ?vitant ainsi que le logement ne se transforme en sourici?re, et de d? truire une partie des papiers que d?tenait Cikoidze, en les avalant avec

le th?. Certains r?ussirent m?me ? faire dispara?tre ainsi leurs faux passe

ports. Mais ce coup de filet massif signait l'arr?t de mort de l'Organisa tion, dont tous les autres membres furent arr?t?s tour ? tour avant octobre 1875.

On comprend ? quel point l'absurdit? de cette catastrophe devait

frapper les propagandistes. Certes, ils savaient les risques auxquels ils

s'exposaient et avaient consenti d'avance le sacrifice de leur vie. Mais ils en ressentaient trop vivement la vanit?, alors qu'ils n'avaient qu'?

peine eu le temps d'amorcer une action. ? Il n'y a rien de plus terrible ?, confirme Dzabadari42, ? que d'?tre mis hors de combat juste au d?but de la lutte. ? L'impression de g?chis qui se d?gageait pour eux de leur tentative avort?e les emplit de chagrin sinon de remords. ? Personne ne

peut donner la mesure de la profondeur de ce sentiment d'amertume qui marqua v?ritablement pour la vie enti?re tous les responsables de ce revers, l'un des plus graves et des plus cruels de cette p?riode ?, reconna?t Luka sevic43. Et Dzabadari confie :

? Jusqu'? aujourd'hui, je me reproche de n'avoir pas trouv? en

moi la force de caract?re suffisante pour flanquer tout le monde ? la porte de cette maudite maison, lorsque j'y p?n?trai ce soir

m?morable, d?j? pr?venu par le sergent de police ; si je l'avais

fait, qui sait, peut-?tre qu'? l'heure actuelle seraient encore en

vie Bardina, et P. Alekseev, et Cikoidze et Kaminskaja, et d'autres

encore, qui ont p?ri pr?matur?ment par la suite [...] Oui, il y avait de quoi s'affliger : la veille encore, nous r?vions pour un avenir

proche d'envelopper la Russie dans le r?seau de notre Organisa tion socialiste-r?volutionnaire ; et tout ? coup, ? cause d'un simple hasard, ? cause du seul fait que nous n'avions pas su mettre ? ex? cution notre propre d?cision, et que nous n'?tions pas partis sur

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BARDINA 339

le-champ, nous avions caus? une perte irr?parable ? notre jeune organisation en la privant de six membres actifs et tr?s pr?cieux ; le coup ?tait terrible. ?44

De tels regrets rongeaient probablement Bardina, dans la solitude et l'inactivit? de sa longue incarc?ration, surtout si l'on pense aux suites

tragiques de ces arrestations : les internements prolong?s dans des condi tions ?pouvantables, telles qu'elles men?rent ? la folie, au suicide ou

? l'?puisement mortel une partie des d?tenus ; les condamnations au bagne ou ? l'exil qui autorisaient peu d'espoir de retour. Si l'on songe aussi que, si les sacrifices individuels semblaient acceptables ou m?me d?sirables aux militants, le progr?s de leur cause leur apparaissait comme le crit?re le plus valable pour ?valuer leur action.

Sentiment d'?chec, donc, et d?ception : les doutes ravageaient les

propagandistes arr?t?s et s'ajoutaient aux souffrances mat?rielles de la d?tention et ? l'ennui de l'inaction pour expliquer leur mis?re physique au moment du proc?s. Car ? la r?volution veut en holocauste non seule

ment la vie, non seulement le sang de ses serviteurs, mais la moelle de leurs cerveaux, la substance de leurs nerfs, l'?me de leur ?me : l'enthou siasme de la foi ?, ?crit Stepnjak45.

Plusieurs prisonniers ne support?rent pas l'?preuve de la d?tention

pr?ventive : ainsi Kaminskaja qui, victime d'hallucinations, sombra dans la d?pression nerveuse et se suicida peu apr?s sa lib?ration ; ou l'ou vrier Vasil'ev, dont l'arrestation avait ?t? la cause premi?re de la trag?die et dont l'attitude pendant l'instruction avait manqu? de constance46. Lui aussi se donna la mort, dans des circonstances aussi atroces que r?v? latrices : en prison, il avait occup? ses journ?es ? d?vorer tous les livres

qu'il pouvait obtenir ; un jour, il entassa les volumes sur lui et y mit le feu. Ne doit-on pas accorder une valeur symbolique ? ce comportement, l'interpr?ter comme l'aspiration ? cette culture que poss?daient les intel

lectuels, comme un d?sir d'instruction qui s'accompagnerait d'un senti ment de d?f?rence, de reconnaissance respectueuse, bien que l'?galit? de tous les membres du groupe f?t inscrite dans les statuts ?

Cependant, certains r?agirent en tirant la le?on de leur ?chec et en

essayant d'imaginer d'autres m?thodes r?volutionnaires47. Dzabadari le confirme : ? A ce moment d?j?, apr?s avoir mesur? l'?normit? des pertes que nous co?tait la propagande pacifique au sein du peuple, nous recher chions d'autres voies. ?48

La r?flexion politique devint particuli?rement intense lorsque tous les accus?s se trouv?rent r?unis ? l'occasion de leur proc?s, au d?but de

1877. Dzabadari devait d?crire cette p?riode fi?vreuse : ? En 1877, la maison de d?tention pr?ventive ?tait un vaste laboratoire politique, o? l'on proc?dait ? une analyse minutieuse des choses v?cues et o? s'?bau chaient de nouvelles m?thodes de combat avec l'ennemi contre lequel, comme tous s'en rendaient compte, il ?tait difficile de lutter avec les seuls moyens pacifiques, ainsi qu'on l'avait fait jusque-l?. ?49

Il ne faut ?videmment pas en conclure ? l'abandon de la propa gande : la grande campagne populiste allait seulement d?buter, avec

Zemlja i Volja, et m?me ? l'?poque des attentats de la Narodnaja Volja, des groupes poursuivirent la propagande dans les usines et les

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villages. Mais parall?lement, une r?flexion critique s'exer?ait sur ces

m?thodes.

Cependant, les d?tenus devaient s'absorber essentiellement dans la

pr?paration de leurs interventions devant le tribunal, ? car le proc?s cou ronne l'activit? du r?volutionnaire ?50.

Le proc?s des Cinquante, qui s'ouvrit ? P?tersbourg le 21 f?vrier 1877 ? 10 heures, devait rester c?l?bre ? plusieurs ?gards51. L'int?r?t qui s'at tache ? cet ?v?nement tient au nombre, ? la qualit? et peut-?tre aussi ? la jeunesse des accus?s, dont la moyenne d'?ge n'atteignait que vingt trois ans. Surtout, c'?tait, note Dzabadari, ? le premier grand proc?s o?

figurassent en m?me temps, presque en nombre ?gal, des hommes de l'in

telligentsia, des ouvriers et des femmes ?52. Cette assertion n'est d'ailleurs

pas tout ? fait exacte car dix inculp?s seulement ?taient de condition

paysanne ou fils de soldat, bien que le porte-parole choisi par les accus?s f?t Alekseev, pour souligner la participation ouvri?re dans l'Organisa tion, contre dix-neuf nobles, fils d'officiers ou de conseillers, cinq bour

geois et seize membres de l'intelligentsia pauvre. Quant aux femmes, au nombre de seize, elles repr?sentaient effectivement pr?s du tiers de l'effectif.

D'autre part, les inculp?s cherch?rent en cette occasion ? d?passer leur ?chec, en faisant que l'?cho de leur tentative r?sonne ? travers toute la Russie, en exposant ouvertement les motifs et les grandes lignes de leur action. De l?, aux yeux du biographe de Bardina, l'importance his

torique de son discours : ? ... jamais, ni avant, ni apr?s, on ne formula les

id?es et les aspirations du parti socialiste russe ? cette ?poque, avec autant de pr?cision, de clart? et de rigoureuse logique...

? En m?me temps, il s'agit de ? la premi?re audacieuse sommation lanc?e publiquement ? la face du gouvernement ?53.

Certes, on ne peut mettre en doute le retentissement du proc?s, que F. Venturi qualifie de ? grandiose ?. Lavrov cite les commentaires du Vor w?rtz et de Y Arbeiter-Wochen Chronik sur ? le discours h?ro?que ? de Bar dina54. On retrouve les ?chos litt?raires de l'?v?nement chez Turgenev, Nekrasov, Morozov entre autres55. On peut imaginer, par exemple, Sof'ja sous les traits de ? La prisonni?re ?, bris?e de souffrances, que chante

Polonskij. Il existe deux versions de ce po?me, publi?es simultan?ment

par la revue Byloe en 190656. Dans la forme rest?e in?dite jusque-l?, et conserv?e en manuscrit par Panteleev, on voit pointer un ?l?ment de contestation ? vrai dire modeste, mais qui souligne la port?e politique du proc?s, et montre comment la s?v?rit? du traitement inflig? aux

inculp?s a pu se retourner contre le gouvernement :

La prisonni?re (? Uznica ?J

Qu'est-elle pour moi ? Ni ?pouse ni amante, Non plus que fille bien-aim?e.

Pourquoi donc la mal?diction de son sort

M'obs?de-t-elle jour et nuit ?

Comme si, dans la col?re de l'innocence

Elle m'appelait ? r?pondre Pour elle au tribunal, qu'elle avait de sa plainte

Ensorcel? mon pauvre c ur.

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BARDINA 341

Et voici qu'on dirait maintenant que me hantent

La paillasse de la prison, Les verrous aux portes, les soupiraux grill?s,

La p?nombre au mortel silence ; Dans cette p?nombre, deux yeux br?lants regardent

Sans expression et sans larmes, Rien ne bouge : les l?vres ni les m?ches folles

De l'opulente chevelure, Pas un geste du bras ni des mains amaigries

Pos?es sur la maigre poitrine, Faiblement press?es sur un c ur qui ne fr?mit

Et n'a plus d'espoir ? nourrir.

Quel ?ge a-t-elle ? Dix-sept ans, est-il possible ?

Comment, est-il donc v?ridique Que cette jeune fille ?cras?e d'infortune,

Qu'on n'ait pas foi en elle et tire

Vengeance d'elle pour sa fi?re pauvret?, Pour sa libert? de parole,

Pour le fougueux ?lan de son impatience,

Vengeance pour l'amour sans bornes ? Est-il possible ? Comment pour moi ne pas croire

Qu'un jugement aussi s?v?re

D'un monde o? grouillent les hypocrites fripons

T?moigne corruption ou vol ?

Rendra-t-on pas bient?t le droit ? la pauvrette D'encore aimer et esp?rer ?

Ou qu'un linceul bient?t enveloppe son corps Faudra-t-il donc qu'on le supporte ?

Oh ! Choisissez ! Laissez une vie tortur?e

Respirer et s'?panouir !

Sinon achevez-la donc avant le verdict

Pour assouvir votre vengeance.

Cependant, la question reste ouverte au sujet de Bardina : eut-elle le sentiment d'avoir pleinement rempli son ultime devoir, et d'avoir ainsi

compens? sa ? faute ? pr?alable ? D'avoir su incarner aux yeux du public

les id?es pour lesquelles elle avait lutt? ? Dzabadari, pour sa part, limite

singuli?rement la port?e de son intervention57 :

? Bardina ?crivit son discours de concert avec ses amies les plus proches et le manuscrit nous en fut aussi transmis. Ce discours

me ravit davantage ? la lecture que lorsque je l'entendis de sa bouche au tribunal. Bardina r?ussit ? prononcer son discours

jusqu'au bout du fait qu'elle avait l'art de parler d'un ton remar

quablement patelin et d'un air d?gag?, et qu'il semblait ? ses auditeurs qu'elle parlait des sujets les plus innocents, comme si elle devisait avec ses proches ; la simplicit? de son discours et la

modestie avec laquelle elle se d?fendait des accusations absurdes du procureur, concernant la n?gation de la famille, de la pro pri?t?, etc., l'assurance qu'au contraire elle pensait d?fendre Tune et l'autre, tout cela d?sarmait Peters, le pr?sident en somme cor rect du tribunal, et m?me s'il l'interrompait, il le faisait en ayant l'air de s'en excuser. ?

En v?rit?, la valeur th?orique du court expos? de Sof'ja nous para?t faible ; comment aurait-il pu en ?tre autrement, d'ailleurs, puisque l'Orga nisation social-r?volutionnaire panrusse avait ?lud? la question d'un

4

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programme et s'?tait concentr?e exclusivement sur l'action elle-m?me, sans avoir le temps d'en d?gager les le?ons ? Aussi pr?sente-t-il comme essentiel l'aspect moral de son discours. Il lui faut frapper l'imagination, ?mouvoir la sensibilit? du lecteur : il porte donc l'accent sur les aspects touchants de la personnalit? de son h?ro?ne, sur sa certitude d'avoir pour elle ? la force morale ?. Car ce sont ses martyrs qui conf?rent la puissance ? une id?e, ou plus exactement ? une foi, et les mouvements de masse font

appel aux sentiments plus qu'? l'esprit logique, Lavrov a d?velopp? ce th?me dans ses Lettres historiques. Kravcinskij nous d?peint les r?actions du public lui-m?me comme excessives et irrationnelles : ? l'enthousiasme ?, ? l'atten drissement ? ; les valeurs critiques semblent oubli?es, le romantisme

?clipse la pens?e critique : ? Ce sont des saints ! Voil? le cri que r?p?t?rent d'une voix ?mue ceux qui purent assister ? ce m?morable proc?s. ?58

Le rayonnement de la personnalit? de Bardina et sa force morale

compens?rent-ils r?ellement la faiblesse doctrinale de son discours ? Il n'est

pas ?vident que, dans ce cas m?me, Sof'ja ait ?prouv? l'intime satisfaction

qui, peut-?tre, lui aurait permis de surmonter son drame int?rieur et d'affronter les nouvelles ?preuves qui l'attendaient.

Le 14 mars 1877, la sentence ?tait communiqu?e aux accus?s. Elle

pronon?ait quinze condamnations aux travaux forc?s, dont six frappaient des femmes. Cette s?v?rit? surprit. Certains inculp?s avaient d'abord

esp?r? qu'on les rel?cherait rapidement, vu l'insignifiance des charges que l'on pouvait retenir contre eux. Ainsi Dzabadari : ? ... L'espoir d'une lib?ration prochaine n'en subsistait pas moins au fond du c ur, car

j'?tais persuad? que tout le monde se comporterait bien, que personne ne soufflerait mot de l'existence de l'Organisation, et que les preuves

qui restaient ?taient si minces que nous pourrions en ?tre quittes pour la seule d?tention pr?ventive. ?59

Si cette illusion s'?tait dissip?e au cours de l'instruction, personne n'avait pr?vu d'aussi lourdes peines : Cicianov, Aleksandrov et Alekseev ?taient condamn?s ? la d?ch?ance de tous les droits civils et aux travaux forc?s pour dix ans, le maximum, Bardina et O. Ljubatovic pour neuf ans60. Ce fut la consternation : ? Cette sentence surprit tout le monde par sa s?v?rit?, y compris [l'avocat] Spasovic qui, d'avance, ?tait inform? en

gros de l'issue du proc?s ?, note Dzabadari. ? Ainsi, il m'avait dit qu'on me

condamnerait ? cinq ans de bagne et il ne s'?tait pas tromp? ; mais lors

qu'il entendit la sentence s?v?re qui frappait beaucoup d'inculp?s, et en

particulier des femmes, il s'exclama : c'est r?voltant, c'est m?me ill?gal ; ils se sont eux-m?mes coup? la gorge avec un tel jugement. ?61

Sur le conseil de ce m?me Spasovic, qui transmit leur requ?te au S?nat, les femmes condamn?es d?pos?rent une demande collective de cassation.

Finalement, l'arr?t ne fut maintenu que pour les cinq condamn?s qui refus?rent de faire appel : Cicianov, Alekseev, Kardasev, Zdanovic et

Dzabadari. Les autres peines furent all?g?es, ce qui peut indiquer un

recul des autorit?s devant les r?actions de l'opinion publique, recul que devait confirmer le verdict de cl?mence rendu au proc?s des 193.

Le 5 avril 1877, les anciens membres de l'Organisation social-r?volu tionnaire panrusse se trouvaient r?unis pour la derni?re fois, afin d'?cou ter le jugement d?finitif. Connaissant la force de l'amiti? qui les unissait,

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BARDINA 343

surtout les Fritschi entre elles, l'on doit compter comme un nouveau

drame leur s?paration, dont Dzabadari a laiss? un ?mouvant r?cit : ? En

souvenir de ce jour, on nous remit, selon notre volont?, cinquante petites croix en argent dor?, que nous ?change?mes entre nous. Une croix ?tait

le seul objet autoris?, que m?me des bagnards pouvaient emporter avec eux ; nous avions command? ces croix ; d'un c?t?, il y avait en relief la repr?sentation d'une crucifixion, et de l'autre l'inscription ? peine visible : 5 avril 1877 et les initiales RSRB, c'est-?-dire Russkoe Soc. Revol. Bratstvo [Fraternit? Sociale-R?volutionnaire russe]. ?62

*

Bardina, sa peine une fois commu?e, fut, pour sa part, assign?e ? r?si dence ? Isim, dans le gouvernement de Tobol'sk.

Les derni?res ann?es de sa vie ont malheureusement laiss? peu de traces dans la litt?rature r?volutionnaire : elle avait quitt? le devant de la sc?ne et les journaux comme les m?moires ne devaient plus gu?re s'in t?resser ? elle qu'? propos de sa fin tragique.

Manifestement, son biographe ignorait les d?tails de sa ? longue ago

nie ? : il ?voque l'ennui et le d?s uvrement de l'exil, particuli?rement ?prouvants pour une nature aussi vivante, exigeant si imp?rieusement de s'ext?rioriser, cette vie atroce ? ? cause de sa fadeur, de sa monotonie

accablante, de l'absence de quelque sensation que ce soit, de sorte qu'? la longue, elle amollit l'intelligence et la volont?, de la m?me fa?on qu'une inactivit? forc?e atrophie les muscles ?63. Lavrov le confirme : ? Vivre en exil est aussi p?nible et parfois plus qu'au bagne, et parmi les exil?s, le suicide et la mort pr?matur?e se produisent aussi fr?quemment qu'?

Kara. ?64

Kravcinskij d?crit encore l'isolement de Sof'ja, les pressions exerc?es

par les autorit?s d'Isim pour interdire ? la soci?t? locale toute relation avec elle. Il ne lui restait, dans ces conditions, que ses camarades d'exil :

par exemple l'?tudiant Nuromskij, l'ouvrier Kovalev et la fille de conseiller

Medvedeva, d?port?s en m?me temps qu'elle dans le gouvernement de Tobol'sk mais qui, il est vrai, n'appartenaient pas au cercle de ses intimes ; ou Bronevskij, et Blagovescenskij qui s'?vada, lui aussi, en 1881 d'Isim65.

Que Bardina, en rupture avec toutes les traditions, coup?e de ses racines familiales, g?ographiques et sociales, puis priv?e de cette sorte de famille spirituelle que constituait pour elle le groupe de ses amies, exclue de la soci?t? d'Isim et ne recevant, semble-t-il, aucun soutien

moral de ses compagnons d'exil, portant enfin le poids de ses responsa bilit?s et de ses ?checs, que Bardina, donc, ait sombr? dans la d?pression nerveuse ne peut gu?re surprendre : l'an?mie, le complet d?labrement

physique et moral, l'apathie, la pr?sence obs?dante d'id?es fixes, autant de sympt?mes r?v?lateurs. Mais l'on peut s'?tonner que Kravcinskij n?glige un point essentiel et dont, cependant, le seul t?moignage de 0. Ljubatovic66 r?v?le l'existence : Sof'ja fut accompagn?e dans sa fuite, le jour de No?l 1880, par l'instituteur d'Isim, Sahov, que Ljubatovic accuse en termes ? peine voil?s, mettant en cause tant sa personnalit? que son comportement apr?s l'?vasion. Elle eut l'occasion de le rencontrer lors de son bref passage ? Moscou, apr?s s'?tre elle-m?me ?chapp?e de

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344 MARIE-CLAUDE BURNET-VIGNIEL

Sib?rie, fin avril ou d?but mai 1881. Elle savait seulement de lui, ? cette

?poque, qu'il ?tait le mari de Bardina et n'avait jamais pris aucune part au mouvement r?volutionnaire. Cette entrevue la d??ut profond?ment : ? D?s les premiers mots, je m'aper?us que j'avais affaire ? un homme qui n'?tait absolument pas des n?tres et que je n'avais tout bonnement rien ? lui dire. Pourtant, avec quelle force battait mon c ur, avec quel espoir l'avais-je attendu ! Est-ce possible, pensais-je, Sonja Bardina, mon vieil et fid?le camarade, serait tout pr?s d'ici ? Mais le monsieur qui se pr?sen tait ? moi comme son mari ne me dit pas en toute sinc?rit? o? elle se trou vait ; il me demanda seulement s'il ?tait possible de vivre sans risque ? Moscou et P?tersbourg... ?67

Ce r?cit engendre la perplexit? : Bardina se lia-t-elle par d?sespoir ? Sahov ou se servit-elle simplement de lui pour faciliter son ?vasion,

? hypoth?se que le caract?re de ce personnage rend peu plausible ?

Tournant le dos ? son pass? r?volutionnaire, chercha-t-elle ? donner un

gage de son renoncement ? En ce cas, on comprendrait mal qu'elle ait

pris le risque de fuir. Et ses errances, apr?s s'?tre ?chapp?e d'Isim, tra duisent-elles ses h?sitations ou la m?fiance des groupes r?volutionnaires ? Il est difficile de r?pondre ? cette s?rie de questions, ?tant donn? l'extr?me

discr?tion non seulement de la biographie, mais des anciens camarades de Bardina : Dzabadari, Lukasevic, Morozov, V. Figner, qui tous ignorent Sahov et reprennent la m?me explication sommaire : Sof'ja, bris?e de souffrances physiques et morales, et que son ?tat de sant? rendait inca

pable de reprendre sa place dans le mouvement r?volutionnaire, se sui cida faute, d?sormais, d'un but ? son existence. Seule O. Ljubatovic pr? cise et parfois corrige sa biographie, sans en combler toutes les lacunes

cependant. Bardina s'enfuit d'Isim le 25 d?cembre 188068, avec l'aide, qu'elle

avait sollicit?e d?s 1878, de la soci?t? Zemlja i Volja, en la personne, selon Figner, de Bogdanovic. Quelles qu'aient pu ?tre les difficult?s ren

contr?es au cours de cette ?vasion, le probl?me le plus d?licat consistait

pour Sof'ja ? trouver un refuge s?r et un moyen de se r?ins?rer dans les

milieux r?volutionnaires, comme le prouvent de trop nombreux exemples de fuites manquees. Oubli?s apr?s quelques ann?es d'exil, les ?vad?s ne

rencontraient que visages inconnus, et leur r?adaptation s'av?rait diffi

cile. Ainsi, Emel'janov et Visneveckij, enfuis d'Enisejsk en 1880, par vinrent en Russie : peut-on accepter sans r?ticence l'explication qu'avance Lavrov69 : ? Ils avaient envie de retrouver les camarades dont ils avaient

si longtemps partag? le sort amer, ils retourn?rent en Sib?rie et furent

arr?t?s ? ? Kravcinskij n'est gu?re plus convaincant lorsqu'il ?crit de

Bardina : ?... il lui est trop p?nible de se montrer [aux camarades] sous

un tel aspect, et de lire peut-?tre sur leur visage l'expression d'un espoir

tromp?. ? Et voici qu'elle quitte Kazan', la premi?re grande ville qu'elle

avait atteinte, et qu'elle se cache dans un coin perdu, un trou de pro vince, un peu plus loin de tous. ?70 O. Ljubatovic, qui rappelle aussi comment Cikoidze, apr?s sa p?rilleuse ?vasion, se fit reprendre en 1881

par la faute de ? camarades nouveaux, inconnus, et qui prenaient peu de

soin de lui ?71, interpr?te diff?remment les faits, m?me si ses accusations

demeurent sous-entendues, en mettant en cause les organisations de la

ville, ? et le mari de Sof'ja : ? Sof'ja Bardina s'?tait enfuie peu avant le

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BARDINA 345

Ier mars 1881 et avait v?cu quelque temps ? Kazan', o? une conspiration absurde et maladroite des narodovoVcy et des cernoperedeV cy locaux l'indi

gna et la bouleversa, et la pla?a dans une situation critique, ce dont son mari ?tait peut-?tre aussi partiellement responsable. ?72 On peut signaler ? ce propos que Butovskaja, qui s'?tait ?vad?e de Marijnsk en m?me

temps que Bardina d'Isim, se fit reprendre ? Kazan'. Si l'on en croit toujours Ljubatovic, qui, tenant elle-m?me ce rensei

gnement de Cikoidze, d?ment sur ce point Kravcinskij, Sof'ja vint ? Moscou apr?s cet incident : ? Je n'appris que plus tard, en Sib?rie, de M. Cikoidze qui avait ?t? condamn? en m?me temps que moi et Bardina au proc?s des Cinquante, qu'? ce moment, ? la fin d'avril ou au d?but de

mai 1881, quand je rencontrai le mari de Bardina, Cikoidze et Bardina en

personne se trouvaient ? Moscou, qu'avec cela, Cikoidze avait instamment

pri? Vera Figner de lui m?nager un rendez-vous avec Bardina et avec moi, mais que Vera Figner, pour une raison ou pour une autre, ne m'avait

pas communiqu? ce souhait et ne lui avait pas dit que j'?tais ? Moscou.

Je ne m'explique cela que par le fait que, vraisemblablement, les dates de nos s?jours ? Moscou ne co?ncidaient pas. ?73

Pourquoi ce silence entretenu par Sahov comme par le Comit? ex? cutif sur la pr?sence de Sof'ja ? N?gligence ou d?fiance ? Aurait-on tenu

Bardina pour suspecte ? bien qu'aucun t?moignage ne vienne confirmer

cette hypoth?se ? Quoi qu'il en soit, les regrets qu'exprime Ljubatovic ? ce propos apparaissent significatifs des difficult?s ?prouv?es par les anciens

membres de l'Organisation social-r?volutionnaire panrusse pour trouver leur place dans le nouveau mouvement r?volutionnaire. Elle souligne l'unit? morale qui caract?risait le groupe, les aspects pr?curseurs de son

programme, son influence sur le monde ouvrier et d?plore qu'un noyau n'ait pu ?tre reconstitu? au printemps 1881 : ? Nous, c'est-?-dire Bardina, Cikoidze et moi, nous aurions pu, en unissant nos efforts, consid?rable

ment raviver la cause r?volutionnaire. ?74 Elle n'admet pas que le type d'action d?velopp? en 1874-75, que les id?es expos?es au proc?s des Cin

quante soient d?pass?s, du ressort de l'histoire. Elle affirme : ? Alors, en

1881, la Moscou ouvri?re se souvenait encore de nous individuellement ; de simples ouvriers me le dirent lorsque je passai quelques jours en 1881 dans une prison moscovite ; alors, l'intelligentsia russe se souvenait de

nous, et il ne nous fut pas donn? de tirer parti nous-m?mes de tout cela ; le destin nous dispersa et nous p?r?mes solitairement, paralys?s par notre isolement. ?75

Apr?s dix-huit mois pass?s en Russie dans ces conditions ?prouvantes, Bardina se r?signa ? chercher refuge ? l'?tranger, comme Ljubatovic elle-m?me l'avait conseill? ? Sahov. Mais bien plut?t que ? l'aube d'une vie nouvelle ?, ce sont les m?mes difficult?s qu'elle devait retrouver ? Gen?ve. Malade, parvenue au dernier degr? de l'an?mie, elle souffrit de la m?me solitude morale que pr?c?demment. Tout absorb?s par leur

combat, d?vor?s par leur passion, les militants attachaient souvent peu d'int?r?t aux probl?mes individuels, et Figner reconna?t : ? ... Nous agis sions au lieu d'observer et n'accordions qu'une attention superficielle ? la psychologie des n?tres. ?76 II existait bien une soci?t? de secours, fon d?e en 1877 ? l'usage des ?migr?s politiques russes (2enevskoe Obscestvo

posobija politiceskim izgrannikam iz Rossii). Mais c'est d'un soutien

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moral que Sof'ja avait sans doute le plus besoin. Kravcinskij escamote cette question lorsqu'il ?crit : ? Il n'y avait aucun moyen de chasser d'elle ce d?sespoir sombre, sans rem?de. ?77 Peut-?tre. Mais la contredire ne

pouvait que renforcer ses obsessions, et la laisser longtemps seule que donner libre cours ? ses r?ves d'auto-destruction. D'autre part, Bardina arriva au milieu d'une colonie russe gonfl?e de l'afflux des r?fugi?s fuyant la r?pression, mais que d?chiraient ses querelles internes. Apr?s les ?checs du terrorisme et la vague d'arrestations provoqu?e par l'entr?e du tra?tre

Degaev au Comit? ex?cutif, une nouvelle r?vision s'imposait, qui devait amener la cr?ation du premier groupe d'Osvobozdenie Truda. Or, Sof'ja ne parvint pas ? se situer parmi ce bouillonnement d'id?es, de tendances, comme l'explique Ljubatovic dont le texte laisse percer l'amertume ? l'?gard du ? Partage noir ? :

? Bardina, qui ?tait partie provisoirement pour l'?tranger, n'y trouva que des cernoperedeV cy qui avaient oubli? leur ancienne

parent? spirituelle avec nous. A cette ?poque d?j?, le mouvement r?volutionnaire se diff?renciait en deux courants, et nous qui unis sions dans notre programme la libert? d'organisation du peuple, la pr?dication pacifique et la protestation arm?e [avec la r?sis tance de Cicianov au moment de son arrestation], nous ne sem

blions en quelque sorte appartenir tout ? fait ni ? l'un ni ? l'autre. Bardina ne trouva ? l'?tranger personne qui lui f?t proche. ?78

Est-il possible d'ajouter des explications au suicide de Sof'ja, compte tenu du peu de renseignements que nous apportent ? ce sujet sa biographie et les autres documents qui la concernent ?79 On doit remarquer au pr?a lable le caract?re exceptionnel de ce suicide : si les tentatives se pro duisent fr?quemment chez les jeunes femmes, les suicides r?ussis sont

surtout le fait d'hommes dans la seconde moiti? de la vie.80 Or Bardina a prouv? la fermet? de sa r?solution par le choix de son moyen, l'arme ? feu, et de l'heure ? laquelle elle s'est frapp?e : elle s'est donn? un mini

mum de chances qu'on la sauve et a persist? dans sa d?cision une fois

bless?e : ? ... pendant sa longue agonie, la soif de vivre ne se r?veilla pas en elle, comme cela se produit habituellement apr?s un suicide manqu? :

elle ?tait silencieuse, calme, remarquablement sto?que, et n'exprimait

qu'un souhait : que tout cela finisse au plus vite. ?81

Il faut, certes, faire la part du contexte pathologique : depuis des

ann?es d?j?, Bardina souffrait d'une d?pression m?lancolique dont elle

pr?sentait tous les sympt?mes : douleur morale, id?es de culpabilit? et

d'incurabilit?, auto-d?pr?ciation, inhibition psychique et motrice ; son

?tat exigea m?me une hospitalisation, si l'on en croit O. Ljubatovic82 : ? Isol?e, oubli?e de tous, elle passa quelques mois ? l'h?pital de Gen?ve, et apr?s s'?tre convaincue [...] que ses forces perdues ne reviendraient

pas, elle en finit... ? Elle ne pouvait dissimuler sa faiblesse et ne fit pas non plus myst?re de ses intentions : ? Elle fit son deuil d'elle-m?me, elle

d?cida d?finitivement qu'elle ?tait perdue pour la cause, et elle r?pondait par un rire amer lorsqu'on protestait du contraire. ?83 Qu'elle ait ainsi

averti, au moins indirectement, son entourage de ses intentions pourrait

signifier un ultime appel ? l'aide, en ce cas bien mal entendu, mais tra

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BARDINA 347

duit plus vraisemblement la domination de ses obsessions suicidaires,

caract?ristique des m?lancoliques. Cependant, sa mort tragique est aussi, et doublement, un fait social :

d'une part, l'isolement joue un r?le pathog?ne ; or Bardina a subi trois

?preuves successives, que sa faiblesse physique et psychique la pr?parait mal ? affronter : la prison, l'exil et l'?migration, cette derni?re aggrav?e par

l'isolement moral et l'absence de liens affectifs capables de compenser, m?me dans une faible mesure, la perte de la chaude amiti? des Fritschi. D'autre part, on peut s'interroger sur la signification du suicide dans

l'esprit de Sof'ja : ne faut-il pas le consid?rer aussi comme une sorte de d?viance anti-sociale, qui exprimerait sa r?volte, comme une ultime

protestation et une derni?re forme de lutte contre l'ordre qu'elle r?prou vait ? Certes, cette interpr?tation n'appara?t chez aucun des t?moins de son drame : tous en cherchent l'origine dans un constat d'?chec, dans la certitude d'avoir perdu l'unique justification de la vie : le service de la cause r?volutionnaire. Mais existe-t-il un suicide qui ne soit d?fi, agres sion ?

Pourquoi, enfin, le passage ? l'acte s'est-il op?r? au moment ? pre mi?re vue le moins explicable ? On pourrait supposer que, le drame de Bardina relevant essentiellement d'un conflit interne, dont les ?l? ments s'accumulaient depuis des ann?es, les circonstances ext?rieures ne sont gu?re intervenues dans sa r?solution : la mort pouvait lui appa ra?tre comme la seule ?chappatoire face ? ses ? fautes ?, r?elles ou imagi naires, et ? ses ?checs, comme la seule fa?on de trancher le n ud de ses

contradictions. Mais il se peut aussi que son anxi?t? ait redoubl? apr?s son ?vasion r?ussie, parce qu'elle vit alors s'effondrer ses illusions, que le r?ve qu'elle avait nourri et qui l'avait soutenue en exil : fuir et reprendre le combat interrompu,

? ce r?ve se dissipait devant les r?alit?s : un mou vement r?volutionnaire dont les d?veloppements l'avaient d?bord?e et dont les nouveaux militants, par indiff?rence sinon par d?fiance, h?si taient ? lui tendre la main ; une faiblesse physique qui la contraignait ? l'inaction, tout en aggravant son ?tat d?pressif et ne lui laissait de choix

que de pr?f?rer ? comme les Sto?ciens de l'Antiquit? la libert? dans la mort ? l'esclavage dans la vie ?84.

Peut-?tre aussi a-t-elle partag?, et plus vivement ressenti, l'angoisse g?n?rale suscit?e par l'?chec dramatique de la Narodnaja Volja : 1881 mar

qua une coupure dans le mouvement r?volutionnaire et parut m?me consacrer sa d?faite ; les ann?es qui suivirent l'assassinat d'Alexandre II

correspondirent au plus grand d?sarroi. La mort de Bardina co?ncide avec la fin de toute une p?riode du populisme et, dans ce sens, elle rev?t un caract?re exemplaire85. Plus pr?cis?ment, dans les jours qui pr?c?d?rent son suicide, Sof'ja put apprendre le couronnement d'Alexandre III, et l'ex?cution de Bogdanovic et Bucevic, que La Tribune de Gen?ve annon

?ait le 24 avril 1883 ? c'est-?-dire deux jours avant le coup de revolver

fatal, en tenant compte du d?calage des calendriers ; si r?ellement Bogda novic avait organis? son ?vasion, cette derni?re trag?die a pu impres sionner tout particuli?rement Bardina. En tout cas, elle qui, m?me en faisant la part de l'?mulation collective, avait toujours choisi la voie la

plus difficile, elle ne trouva de solution que dans une mort voulue, confron t?e ? une impasse non seulement personnelle mais globale et id?ologique.

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348 MARIE-CLAUDE BURNET-VIGNIEL

Une fois l'in?luctable survenu, il restait une t?che n?cessaire ? remplir pour le mouvement r?volutionnaire. La mort m?me d'un militant peut et doit servir sa cause. Si elle se produit dans des circonstances tragiques, elle

frappe et, peut-?tre, indigne l'opinion publique : c'est ainsi que l'on com

prend l'esp?ce de joie qu'ont dit ressentir des condamn?s ? mort. D?sa bus? par son ?chec, plus d'un populiste a souhait? ? la couronne d'?pines ?. ? Sa volupt? intime, c'?tait la conviction de mourir pour sa foi. ?86

Rien de tel dans le cas de Bardina : le proc?s des Cinquante ?tait bien loin d?j?, et son souvenir fort estomp?. Il ?tait difficile d'incriminer le

gouvernement alors qu'elle s'?tait suicid?e, ? ce qui, en soi, comporte

toujours un ?l?ment de scandale ?, sa libert? une fois reconquise. L'?v? nement risquait donc de passer inaper?u et de ne nuire nullement ? l'en

nemi, le biographe de Sof'ja l'avoue avec une certaine na?vet? : ? ... pas m?me un simple entrefilet de journal ?87. Il lui fallait donc dramatiser le plus possible le fait divers, d?signer les vrais coupables au lecteur pour ?veiller un d?sir de vengeance. Kravcinskij ?largit le cas particulier de

Sof'ja ? la honte des d?portations, qui privent la Russie de ses meilleurs ?l?ments. Il cherche ? culpabiliser l'opinion : tous ceux qui ne condamnent

pas formellement le tsar sont objectivement ses complices ; c'est aussi l'occasion d'expliquer l'absence de r?action du pays apr?s l'attentat du Ier mars, nouvelle ?tape et aussi nouvel ?chec du mouvement r?volu

tionnaire, et d'admettre la n?cessit? d'une propagande en profondeur. Le ton monte sans cesse dans les derniers paragraphes, et la brochure se termine en diatribe, en v?ritable coup de poing ? la face de l'opinion.

Pour en mesurer l'impact, il faudrait ?videmment mettre en cause toute la litt?rature r?volutionnaire ?dit?e ? l'?tranger.

Mais aujourd'hui, quelle valeur, quelle signification accorder ? cette brochure ? Dans une premi?re lecture, elle semblait transparente : une

biographie classique de propagandiste, voulue exemplaire et donc peu critique, non exempte par ailleurs d'un pathos parfois aga?ant. Et puis la figure ressuscit?e, si imparfaitement que ce soit, de Sof'ja Bardina soul?ve une s?rie d'interrogations et laisse deviner combien d'angoisse et quels probl?mes personnels dramatiques ont pu se dissimuler derri?re le masque de la militante. Au fond, qu'y a-t-il de plus actuel, et de plus

permanent peut-?tre, que l'exigence morale du refus des privil?ges, que le d?sir de cr?er des communaut?s ?galitaires, anti-soci?t?s en miniature

qui pr?figurent l'avenir, et que l'aspiration d?sesp?r?e d'intellectuels ? aller au peuple, pour lui porter la bonne parole, certes, mais davantage en vertu d'une n?cessit? interne, pour conna?tre ce ?

sphinx ? et se fondre en lui ? Lib?ration individuelle ou (et ?) r?volution ? Le dilemme demeure vivant pour que l'engagement politique se pose parfois moins en termes de plein accomplissement personnel que de sacrifice ? une cause sup? rieure.

On pourrait multiplier les niveaux d'interpr?tation : sociologiquement, dans quelle mesure l'apparition d'une frange r?volutionnaire exprime t-elle la crise de la classe dirigeante, et comment celle-ci se conjugue-t-elle avec les revendications des couches opprim?es ? Psychologiquement, pourrait-on esquisser une typologie des premiers populistes, et, dans un

domaine plus restreint, analyser leur comportement, en particulier face

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BARDINA 349

? l'?chec et ? la solitude ? Politiquement, quel sens conf?rer ? l'action d'un groupuscule de quelques dizaines de militants, de formation et de culture politique tr?s in?gale ? Doit-on le consid?rer comme un simple r?v?lateur ou un facteur de l'histoire ? Ce sont alors la signification et la valeur m?me de l'action r?volutionnaire, en m?me temps que la fa?on pour le militant de la vivre, de l'assumer et de s'en enrichir, qu'il faudrait

?voquer. Bardina : personnage historique ou victime d'un exceptionnel climat d'exaltation collective, sacrifiant sa vie ? un mythe pour des r?sultats d?risoires ? On doit ici se replacer dans l'?clairage de ses contem

porains. La r?volution exige le don total et d?sint?ress? de ses adeptes. Accepter ou non l'inflexibilit? de cette loi rel?ve, qu'on le veuille ou non, de la foi : foi dans les hommes, dans l'avenir, dans le progr?s social ? foi d?s lors vitale ?, bien plus que d'une r?flexion critique sur l'?tat ou la soci?t?. Cette derni?re survient, en g?n?ral, comme rationalisation d'une tendance spontan?e, encore n'a-t-elle sans doute gu?re eu le temps de s'exercer dans le cas de Bardina et de ses compagnes. Leur sacrifice fut, certes, conscient et accept?, mais v?cu comme une exigence interne plus que comme une n?cessit? politique et sociale. Pourtant, l'influence de l'utilitarisme restait assez forte pour que le sentiment de leur inefficacit? dans l'action, puis de leur inutilit? pour la cause r?volutionnaire, cristal lisant leur d?sarroi, leur rend?t la vie insupportable : comment d?m?ler le n ud de ces contradictions et d?couvrir toutes les lointaines impli cations d'une telle morale du sacrifice ?

Thonon, avril 1975.

i. Sof ja Illarionovna Bardina, Gen?ve, 1883. 2. F. Venturi, Les intellectuels, le peuple et la r?volution, Paris, 1972, p. 103. 3. Rec' Sofii Illarionovny Bardinoj (Le discours de Sof ja Illarionovna Bardina ),

Nelegal'n. tip. A. N. Averkieva i N. A. Kuznecova v Peterburge, 1877. 4. Vpered !, 2, 1877, pp. 36-42. ?OMcee delo, 2 (9 juil. 1877), pp. 14-15.

? Rec'

Sofii Illarionovny Bardinoj (Le discours de Sof ja Illarionovna Bardina), Gen?ve,

1893, Novaja russkaja tipografija. A propos de cette ?dition, je remercie M. M. Vuil lemier de m'avoir communiqu? la note suivante, extraite de Max Netlau, Histoire de Vanarchisme, chap, sur la Suisse, p. 212, ms. conserv? ? l'Institut international d'Histoire sociale, Amsterdam : ? L'?tudiant en m?decine arm?nien Alexandre

Atabek, d'abord membre du mouvement socialiste national Heutschak, puis anar

chiste, a dans sa chambre une petite typographie russe et arm?nienne, o? il compose les premi?res brochures anarchistes, entre autres le c?l?bre discours de Sophie Bar

dina. ? ? Re?' na sud (Discours au tribunal), Gen?ve, 1903, Bibl. russkogo prole tanja.

? Il existe m?me une version fran?aise, d'ailleurs hautement fantaisiste, de ce discours dans le volume publi? en 1880 par E. Lavigne, Introduction ? l'histoire du nihilisme russe, Paris, 1880, p. 381.

5. Obs?ina, social'no-revoljucionnoe obozrenie, 6-7, 1878, pp. 11-13 ; 7-8, 1878, PP- 7-9.

6. Vol'noe slovo, 61-62, 1883. Dragomanov publie le texte sans aucun commen

taire, le faisant simplement pr?c?der de cette courte lettre de l'auteur : ? La sym

pathie pour la personnalit? et l'action de S. I. Bardina, que votre organe a maintes fois exprim?e, me donne l'assurance que vous ne refuserez pas d'ins?rer mon bref article sur elle, m?me si, peut-?tre, des divergences entre nous dans l'interpr?tation des divers ph?nom?nes de notre vie r?volutionnaire se sont gliss?es quelque part dans mon esquisse : honorer la m?moire d'un camarade, voil? qui se situe plus haut

que les simples d?saccords politiques. ?

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350 MARIE-CLAUDE BURNET-VIGNIEL

y. On trouve une confirmation ? cette hypoth?se dans S. M. Stepnjak-Krav

cinskij, Rossija pcd vlast'ju carej (La Russie sous les tsars), Moscou, 1965. Une note au sujet de Bardina, p. 385, remarque que Stepnjak

? lui consacra une esquisse parue ? Gen?ve en 1883 ?.

8. Au sens restreint qui se d?gage vers le milieu des ann?es 70 et que R. Pipes d?finit en ces termes : ? The intellectuals should not lead the people in the name of

abstracts, bookish, imported ideas, but adapt themselves to the people as it was,

promoting resistences to the government in the name of real, everyday needs. ?

(R. Pipes, ? Narodnicestvo : a semantic inquiry ?, Slavic Review, 23 (3), 1964, p. 445.)

9. V. Figner, Studenceskie gody, i8y2-i8y6 (Mes ann?es d'?tudiante, 1872-1876), trad, in F. Venturi, op. cit., p. 87.

10. Kravcinskij, au lieu de Fritschi, emploie la d?nomination de ? Bremersljus

sel'ski ?, vraisemblablement par erreur si l'on en croit Lavrov, qui pr?cise qu'? Zurich, ? Bremerschl?ssel ?tait le principal centre des Bakunistes de l'endroit ?.

P. L. Lavrov, Narodniki-propagandisty i8y3-i8jy (Les propagandistes populistes

?i8j3-i8jy), in Materialy dlja istorii russkogo social'no-revoljucionnogo dvizenija

(Mat?riaux pour l'histoire du mouvement social-r?volutionnaire russe), 1893-1896,

pp. 60-61.

D'abord huit, les Fritschi finirent par se retrouver douze : outre Bardina c'?taient

les s urs Figner, Subbotina et Ljubatovic ; Aleksandrovna, Toporkova et Horzev

skaja. Il faut leur adjoindre Aptekman, d'apr?s Dzabadari et Kaminskaja, selon

Lavrov. 11. R. Wortman, The crisis of Russian populism, Cambridge, 1967. 12. V. Figner, M?moires d'une r?volutionnaire, Paris, 7e ?d., 1930, p. 20.

13. J. M. Meijer, Knowledge and revolution, Assen, 1955 (Annexes).? Dejateli

revcljucionnogo dvizenija v Rossii. Bio-bibliograficeskij slovar' (Les acteurs du mou

vement r?volutionnaire en Russie...), Moscou, 1927-1934, 2.

14. V. Figner, M?moires..., op. cit., p. 50.

15. N. Morozov, Povesti moej zizni (Souvenirs de ma vie), Moscou, 1947, 3 vols ;

II, p. 240. 16. Byloe, 9, 1907, p. 182.

17. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 10.

18. P. L. Lavrov, in op. cit., pp. 60-61.

19. L'?tudiant russe, [Gen?ve], n? unique, avr.-mai 1901. 20. Byloe, 9, 1907, p. 183 21. ObZcina, 6-7, 1878, p. 12.

22. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 10.

23. Byloe, 9, 1907, pp. 169-192.

24. Ibid., p. 182. Ce passage est partiellement traduit in F. Venturi, op. cit.,

pp. 869-870. 25. Ibid., p. 186.

26. On trouve la liste compl?te des brochures et journaux saisis par la police dans B. Basilevskij, Gosudarstvennye prestuplenija v Rossii v XIX veke. Sbornik iz

politiceskih processov i drugih materialov (Les crimes gouvernementaux en Russie au

XIXe si?cle. Recueil de proc?s politiques et autres mat?riaux), Stuttgart, 1904, II,

pp. 157-202 (proc?s des Cinquante). 27. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 12.

28. P. L. Lavrov, in op. cit., p. 235. 29. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 14.

30. Ibid., p. 15.

31. Byloe, 10, 1907, p. 171.

32. Ibid., p. 174. Il existe un expos? d?taill? des statuts de l'Organisation :

ibid., 10, 1907, pp. 175-178 ; et leur texte int?gral dans V. Bogucarskij, Gosudar

stvennye prestuplenija (Les crimes gouvernementaux), Paris, 1905, 2.

33. M. Confino, Violence dans la violence. Le d?bat Bakunin-Necaev, Paris,

1973, P- 132.

34. Rabotnik. Gazeta dlja russkih rabocih, 8, 1875. 35. V. Figner, M?moires..., op. cit., p. 127.

36. Rabotnik..., 8, 1875. 37. J. M. Meijer, op. cit., p. 167.

38. F. Venturi, op. cit., p. 883. 39. Byloe, 3, 1907, p. 42.

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BARDINA 351

40. Ibid.

41. Ibid., 10, 1907, p. 181.

42. Ibid., p. 183. 43. Ibid., 3, 1907, p. 43. 44. Ibid., 10, 1907, p. 183. 45. S. Stepniak, La Russie souterraine, Paris, 1885, p. 184. 46. Cf. Vperedl, 30, 1877, p. 4.

47. Cf., p. ex., la brochure de N. Morozov, Terroristiceskaja bor'ba (Le combat

terroriste), Gen?ve, 1880.

48. Byloe, 10, 1907, p. 192.

49. Ibid.

50. V. Figner, M?moires..., op. cit., p. 251. 51. Cf. ? Process pjatidesjati...

? (Le proc?s des Cinquante), Vperedi, 30, 1877. ? B. Basilevskij, op. cit., pp. 157-202.

? A. Ul'janovskij, Zensciny v processe 50-ti (Les femmes dans le proc?s des 50), pp. 2-27.

52. Byloe, 10, 1907, p. 191.

53. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 19.

54. Ibid., p. 20.

55. Zeml'ja i Vol'ja, 5, 8 avr. 1879, in Journaux r?volutionnaires publi?s en

Russie entre i8yo et 1880, r??d. par B. Basilevsky, Paris, 1905. ? N. Morozov,

Stihotvorenija ?

18J5-1880 (Po?mes ?

1875-1880), Gen?ve, 1881, pp. 18, 35, 36. 56. Byloe, 6, 1906, pp. 99-100.

57. Ibid., 10, 1907, pp. 194-195

58. S. Stepniak, op. cit., p. 50. 59. Byloe, 10, 1907, p. 183. 60. Vpered !, 30, 1877, pp. 72-76. 61. Byloe, 10, 1907, p. 196. 62. Ibid.

63. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 24.

64. Na rodine, Londres, Vol'naja russkaja tipografija, 1, 1882, p. 35. 65. Ibid, p. 36. 66. Byloe, 6, 1906, pp. 108-157. 67. Ibid., p. 140. 68. V. Burcev, Za sto let (En cent ans), II, p. 103. 69. Na rodine, 1, 1882, p. 35. 70. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 26.

71. Byloe, 6, 1906, p. 141. 72. Ibid., p. 140.

73. Ibid., pp. 140-141. 74. Ibid.

75. Ibid., p. 141.

76. V. Figner, M?moires..., op. cit., p. 183. 77. Sof'ja I. Bardina, op. cit., p. 27. 78. Byloe, 6, 1906, p. 142. 79. En particulier les t?moignages de ses anciens camarades de l'Organisation :

Dzabadari {Byloe, 8, 9, 10, 1907) ; O. Ljubatovic {Byloe, 6, 1906) ; Lukasevic {Byloe, 3, 1907) ; V. Figner {Byloe, I?, 1917) ; et de N. Morozov, Povesti..., op. cit., II, p. 240.

Bardina n'appara?t pas dans les archives du Commissariat de police sp?cial d'Annemasse, lors de son s?jour ? Gen?ve.

80. Cahiers La?nnec, ? Le suicide ?, 1966 : les tentatives de suicide sont, en

moyenne, deux fois plus fr?quentes chez les femmes que chez les hommes, mais les suicides r?ussis, trois fois plus nombreux chez ces derniers ; par ailleurs, les taux

de mortalit? s'?l?vent avec Tage : 10,8 % pour les 25-29 ans, 33,2 % pour les 55-59 ans, 52,3 % pour les plus de 85 ans.

81. Sof ja I. Bardina, op. cit., p. 28. 82. Byloe, 6, 1906, p. 142. 83. Sof ja I. Bardina, op. cit., p. 27.

84. Byloe, 6, 1906, p. 142. 85. R. Wortman ?crit ? ce sujet {op. cit., p. 189) : ? The d?sint?gration of the

unity of the group was accompanied by a loss of coherence in the vision of its

members... ?

86. S. Stepniak, op. cit., p. 53.

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Page 31: Bardina: Itinéraire d'une populiste. 1853-1883

352 MARIE-CLAUDE BURNET-VIGNIEL

87. On ne trouve effectivement aucune mention de l'?v?nement dans les jour naux genevois, encore que cette mise au point de La Tribune de Gen?ve, en date du 14 mai 1883, ait de grandes chances de s'appliquer ? Bardina : ? En vue de la

r?ponse que M. le docteur Revilliod a donn?e ? notre ami Joukowsky, nous croyons de notre devoir de vous communiquer les faits suivants : lorsque MM. Oelsnitz et

Joukowsky se pr?sent?rent au bureau de l'h?pital, en leur qualit? de membres du comit? de la Soci?t? de Secours mutuel des proscrits russes, M. le directeur leur a dit nettement que c'?tait par ordre du docteur que toute entrevue avec la malade ?tait interdite. Cette r?ponse fut journellement r?p?t?e ? tous les amis qui venaient ? l'h?pital pour voir la malade ? n'importe quelle heure, et lorsque Mme Beldinsky, accompagn?e de M. Joukowsky, est venue, le 26 avril, demander aupr?s de M. le directeur la permission de voir la malade, l'infirmi?re appel?e par lui a d?clar?

que, par ordre de M. Revilliod, toute visite ?tait absolument interdite. ?

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