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Entrepôts sur la côte de la presqu’île de Nordnes, à Bergen. On aperçoit à droite le bâtiment qui pourrait faire partie du nouveau Musée de la pêche. Qystein Frailand en 1945 dans le nord de la Norvège. A étudié la construction navale en Écosse et la biologie marine en Norvkge. Conservateur de la section d’ichtyologie, au Musée de zoologie de 1’Univer- sit6 de Bergen jusqu’en 1977, puis directeur du Mus& de la peche de Bergen. Secretaire général et directeur des publications du ComitC inter- national de PICOM pour la formation du per- sonnel, Toutes les photos sont de Kari Gundersen Que voulons-nous dire à nos visiteurs? Question simple, mais importante, d’autant plus que nos - visiteurs sont aussi bien des habitants de Bergen que des touristes venus du reste de la Nor- vège et de l’étranger. Nous voudrions leur apprendre pour quelles raisons, liées àla mer, laville de Bergen est elle est ; pourquoi elle s’est développée jusqu’à Ctre l’une des plus importantes et des plus peuplées de toute la Scandinavie (dans les années 60, Oslo dut inclure ses prison- niers au nombre de ses habitants pour la dépasser); pourquoi elle est deve- nue un grand port hanséatique (les effets de cette appartenance à la Hanse se font encore sentir aujourd’hui sur l’activité commerciale de la ville) ; pourquoi ce fut l’un des plus grands ports de peche de Norvège - et, bien sor, pourquoi cela n’est plus vrai de nos jours. I1 faut aussi rappeler certains faits liés à l’activité maritime de Bergen qui expliquent l’apparenceactuelle de plu- sieurs quartiers de la ville : par exem- ple, l’explosion en 1944, dans le port, de la cargaison de dynamite transportée par un navire allemand a détruit grand nombre de vieilles maisons de bois bien charmantes, qui ont été rempla- cées par des bfitisses à plusieurs éta- ges (beaucoup moins charmantes). Celles-ci ont d’abord servi d’entrepbts mais sont maintenant transformées en h6tels de luxe. Pourvous présenter lavie des musées de notre port, je vais vous faire visiter quelques-uns des bgtiments qui les abritent, et vous donner en chemin les explications nécessaires. Je ne veux pas entrer dans la polémique sur la ques- tion de savoir si un musée est un édifice ou un processus, un contenant ou un contenu. Je ferai simplement remar- quer que, du moins sur le front de mer, les entrepots qui étaient indispen- sables à la peche et au commerce maritime formaient un trait d’union entre la mer et la terre, entre les navires amarrés dans le port, d’un caté, et la ville et ses habitants de l’autre. Avec l’évolution du commerce et notam- ment la création de centres d’échanges commerciaux situés loin du centre des villes, marchandises et poisson ne par- viennent plus directement en aussi grande quantité dans les ports, qui sont désormais trop petits pour les recevoir. Les anciens entrepats, qui servaient de liaisons essentielles et étaient bien plus que de simples passerelles, peuvent aujourd’hui être employés 2 d’autres usages et notamment abriter des musées ; cette nouvelle affectation est une de celles qui peuvent conserver aux entrepots leur fonction vitale sans modifier trop brutalement le caractère de ces constructions anciennes, car les musées sont, comme elles, liées à l’his- toire. Indigestion, famine et retombées économiques Voyons donc comment se présente Ber- gen, cette ville riche d’un passé de plus de neuf cent ans, dominée d’un c6té par les montagnes, mais s’ouvrant de l’autre sur la mer - la mer, source de grande prospérité et de grands mal- heurs, qui fait des quais le véritable cœur de la cité, même si les opinions varient sur ce que doit etre ce cœur et sur ce qu’on doit y faire. Fondé en 1880, le Musée de la peche

Bergen: du nouveau à l'horizon!

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Entrepôts sur la côte de la presqu’île de Nordnes, à Bergen. On aperçoit à droite le bâtiment qui pourrait faire partie du nouveau Musée de la pêche.

Qystein Frailand Né en 1945 dans le nord de la Norvège. A étudié la construction navale en Écosse et la biologie marine en Norvkge. Conservateur de la section d’ichtyologie, au Musée de zoologie de 1’Univer- sit6 de Bergen jusqu’en 1977, puis directeur du Mus& de la peche de Bergen. Secretaire général et directeur des publications du ComitC inter- national de PICOM pour la formation du per- sonnel,

Toutes les photos sont de Kari Gundersen

Que voulons-nous dire à nos visiteurs? Question simple, mais importante, d’autant plus que nos - visiteurs sont aussi bien des habitants de Bergen que des touristes venus du reste de la Nor- vège et de l’étranger.

Nous voudrions leur apprendre pour quelles raisons, liées àla mer, laville de Bergen est là où elle est ; pourquoi elle s’est développée jusqu’à Ctre l’une des plus importantes et des plus peuplées de toute la Scandinavie (dans les années 60, Oslo dut inclure ses prison- niers au nombre de ses habitants pour la dépasser); pourquoi elle est deve- nue un grand port hanséatique (les effets de cette appartenance à la Hanse se font encore sentir aujourd’hui sur l’activité commerciale de la ville) ; pourquoi ce fut l’un des plus grands ports de peche de Norvège - et, bien sor, pourquoi cela n’est plus vrai de nos jours. I1 faut aussi rappeler certains faits liés à l’activité maritime de Bergen qui expliquent l’apparence actuelle de plu- sieurs quartiers de la ville : par exem- ple, l’explosion en 1944, dans le port, de la cargaison de dynamite transportée par un navire allemand a détruit grand nombre de vieilles maisons de bois bien charmantes, qui ont été rempla- cées par des bfitisses à plusieurs éta- ges (beaucoup moins charmantes). Celles-ci ont d’abord servi d’entrepbts mais sont maintenant transformées en h6tels de luxe.

Pourvous présenter lavie des musées de notre port, je vais vous faire visiter quelques-uns des bgtiments qui les abritent, et vous donner en chemin les explications nécessaires. Je ne veux pas entrer dans la polémique sur la ques- tion de savoir si un musée est un édifice

ou un processus, un contenant ou un contenu. Je ferai simplement remar- quer que, du moins sur le front de mer, les entrepots qui étaient indispen- sables à la peche et au commerce maritime formaient un trait d’union entre la mer et la terre, entre les navires amarrés dans le port, d’un caté, et la ville et ses habitants de l’autre. Avec l’évolution du commerce et notam- ment la création de centres d’échanges commerciaux situés loin d u centre des villes, marchandises et poisson ne par- viennent plus directement en aussi grande quantité dans les ports, qui sont désormais trop petits pour les recevoir. Les anciens entrepats, qui servaient de liaisons essentielles et étaient bien plus que de simples passerelles, peuvent aujourd’hui être employés 2 d’autres usages et notamment abriter des musées ; cette nouvelle affectation est une de celles qui peuvent conserver aux entrepots leur fonction vitale sans modifier trop brutalement le caractère de ces constructions anciennes, car les musées sont, comme elles, liées à l’his- toire.

Indigestion, famine et retombées économiques

Voyons donc comment se présente Ber- gen, cette ville riche d’un passé de plus de neuf cent ans, dominée d’un c6té par les montagnes, mais s’ouvrant de l’autre sur la mer - la mer, source de grande prospérité et de grands mal- heurs, qui fait des quais le véritable cœur de la cité, même si les opinions varient sur ce que doit etre ce cœur et sur ce qu’on doit y faire.

Fondé en 1880, le Musée de la peche

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est l’un des plus anciens musées théma- tiques de Norvege. Comme Bergen était, au point de vue commercial et scientifique, le principal centre de peche du pays, il a paru tout naturel de choisir cette ville pour y établir un Musée de la peche rattaché à la Société pour le développement de la peche norvégienne. A cette époque, il n’y avait pas beaucoup d’emplacements disponibles sur le front de mer puisque les entrepôts étaient encore ... des entrepôts. Le Musée de la peche s’est donc installé dans le centre de la ville, dans un bâtiment récemment construit qui abritait également des collections d’euvres artisanales.

Bien qu’il fclt à son époque 2 l’avant- garde des techniques de présentation didactique (un article de Museum lui a été consacré en 1952), le Musée de la ptche aurait aujourd’hui vrainient besoin d’etre réaménagé sur de nou- veaux principes. A un étage, la quantité d’informations proposées au visiteur était telle qu’elle risquait de lui donner une indigestion quasiment mortelle, alors qu‘à un autre étage les explica- tions &aient si parcimonieuses que les visiteurs affamés commençaient à avoir des hallucinations, et, en tout cas, ne trouvaient guere le moyen de corriger leurs idees fausses.

Nous n’avons pas seulement l’inten- tion de moderniser la présentation de nos collections. Nous voulons égale- ment avoir notre propre bâtiment, ou plutôt nos propres b2timents. Ce ne sont pas ici les projets, les espoirs, ni meme l’imagination qui manquent. Pourquoi ne pas nous installer dans une presqu’île voisine ? Un vieil entrepôt abriterait nos collections et les autres services du musée seraient logés à l’intérieur meme de la montagne (les Norvégiens, si amoureux qu’ils soient de la mer, se plaisent à creuser des tunnels dans le roc, surtout quand il est bien dur), derrière une façade qui dominerait le port. Un tel emplacement nous donnerait en outre des voisins qui s’intéressent aux poissons, à la pêche et aux autres facons d’exploiter les res- sources de la mer,

Cependant, il y a loin des esquisses de notre architecte, Lars Haukeland, à la réalisation du projet et le chemin se révèle long et difficile. La construction d’un musée coQte cher et l’on ne peut pas dire que les subventions de 1’État et les dons de particuliers soient aujour- d’hui très abondants. Bien que des enquetes aient prouvé le contraire, l’idée que les institutions culturelles ne rapportent rien a la vie dure. Les recettes des musées n’atteignent peut-

&re pas des chiffres astronomiques, mais que fait-on des retombées écono- miques dont profite la collectivité locale?

A vrai dire, nous avons besoin de partenaires pour réaliser notre rCve : partenaires qui non seulement nous donneraient de l’argent, mais qui nous loueraient au prix actuel des bureaux et autres locaux dans un entrepot rénové datant de 1804, avec une surface totale de 1600 m’ répartie sur trois écages, sans oublier un bâtiment nouveau, creusé dans la falaise et pourvu d’une façade vitrée qui donnerait sur le fjord de Bergen. Au moins, nous ne serions pas I exposés aux quatre vents a, comme le Musée du Vieux Bergen qui est notre musée de plein air,

Lorsqu’ils ont entrepris de collec- tionner des bâtiments anciens et de les déplacer pour les rassembler loin de la mer, sur l’emplacement du Musée du Vieux Bergen, les responsables de ce musée ne se sont pas intéressés aux bâtiments du front de mer. Mais ils se sont bientat rendu compte qu’ils avaient négligé un quartier qui a joué un rôle capital dans la vie de cette cité maritime qu’est Bergen. Après seule- ment = trente années passées à faire des projets et à négocier avec le conseil municipal, ils peuvent aujourd’hui envisager de reconstruire bientôt sur le front de mer quelques-uns des bâti- ments maritimes qu’ils ont acquis au fil du temps.

Architecture hanséatique et art nouveau

Le Musée maritime de Bergen est ins- tallé dans une bâtisse qui n’a pas plus de vingt ans et qui est située sur le terrain de l’université, bien qu’il ne s’agisse pas d’un établissement univer- sitaire, A l’origine, on avait eu l’inten- tion de construire un édifice sur l’em- placement de l’ancien marché au poisson, près de l’arrière-port, mais cela n’a pas été possible à l’époque. Paradoxalement, on est aujourd’hui en train de rénover cet emplacement idéal où il ne reste presque rien des anciens bâtiments, pour y édifier des boutiques et des bureaux dans un style qualifié par les uns de pastiche et par les autres de moderne, mais harmonisé avec celui des quelques maisons anciennes qui y subsistent. Heureusement, le bâtiment moderne du Musée maritime est situé sur une des collines qui dominent Bergen et l’on y a une très belle vue sur le port, 11 paraissait en effet absolument nécessaire à l’architecte et aux respon- sables du musée que celui-ci fat ainsi relié au port et à la mer.

Fondé en 1872, le Musée de la Hanse, qui semble établir des contacts rapides et directs avec les touristes qui visitent notre ville, est installé dans une des maisons les plus anciennes et les mieux conservées du quai où il se trouve. Sa décoration et les objets qu’il contient sont destinés à montrer ce qu’était la vie du port vers 1700, du moins pour la classe aisée. Le bâtiment lui-meme est de toute évidence la principale attrac- tion et le principal atout du musée.

Le siège de la Société maritime de Bergen. Non loin de là est amarré un bateau de type traditionnel appartenant à la Société.

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Mais il crée aussi des problèmes parce que les bâtiments voisins, détruits par des incendies au début de ce siècle, ont été remplacés par des ensembles art nouveau qui sont eux-memes assez beaux mais d’un tel volume qu’ils écrasent le Musée de la Hanse qui paraît presque un nain à côté d’eux.

Je pourrais décrire encore ainsi beau- coup d’autres édifices, tout aussi inté- ressants, soit à Bergen, soit dans les autres villes de la côte norvégienne. Ceux que j’ai cités abritent des éta- blissements culturels et sont si bien protégés par la loi qu’on n’a le droit de leur apporter aucune modification. Mais qu’en est-il des autres, de tous ces témoignages innombrables d’un passé laborieux et parfois glorieux? Malgré l’excellente volonté dont beaucoup de gens font preuve, dans le secteur tant public que privé, il n’est pas toujours possible de surmonter un certain nom- bre de graves obstacles. Tout en reconnaissant qu’il serait déraison- nable d’essayer de conserver toutes les constructions anciennes, il nous semble que les intéressés ne tiennent pas toujours à sauver celles qui pour- raient et devraient I’être. I1 est plus facile, après tout, d’obtenir la permis- sion de démolir un vieux bâtiment manifestement trop délabré pour être restauré, surtout quand on l’a volon- tairement laissé atteindre un tel degré de décrépitude.

L a force du nombre

Nous avons constaté que les groupes de bâtiments résistent plus facilement aux menaces de démolition que les constructions isolées. Un exemple en est donné par Bryggen, cet ensemble de constructions situées sur le front de mer, dans le vieux port hanséatique de Bergen, entre d’une part le Musée de la Hanse, dont nous avons parlé plus haut, et d’autre part le Musée de Bryggen et l’Institut d’archéologie Erling Dekke Naess, édifice moderne construit sur le site de Bryggen où l’on avait fait des fouilles de 1955 à 1974. Le périmètre de Bryggen est l’un des plus importants de la Norvège au point de vue historique et architectural; une partie de cet ensemble, qui date du début du XVIII~ siècle, a d’ailleurs été inscrite en 1980 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. On mesure l’importance de cette inscription quand on sait qu’il y avait 2 Bergen, àla fin des années 50, un puissant mouvement en faveur de la démolition de toutes les constructions de bois de Bryggen, En effet, après l’incendie catastrophique de 1955, on avait beaucoup discuté pour savoir ce qu’il fallait faire des bâtiments restants qui, bien que protégés par la loi, étaient tombés en ruine. Depuis, les com- portements se sont considérablement modifiés et il est désormais peu pro- bable que, même si on lui accordait un permis de démolir, un propriétaire envisage de détruire un de ces bâti- ments.

I1 faut aussi tenir compte de la force du nombre, car nombreux sont les

Sandviken, à Bergen. A gauche, un entrepôt complètement restauré (ou, plutôt, presque entièrement reconstruit). A droite, les travaux de démolition se poursuivent autour d’un beau bstiment qui a malheureusement beaucoup servi (sans avoir pour autant toujours été utilisé à bon escient).

partisans de la conservation de ces bâtiments anciens, tant parmi le grand public aujourd’hui sensibilisé qu’au sein d’associations comme la Société maritime de Bergen. Cet organisme, qui œuvre à l’échelon local sous l’égide de l’Association norvégienne pour la préservation des traditions maritimes, s’efforce de conserver les bateaux anciens de toutes sortes et de toutes dimensions, de meme que le savoir des marins et des artisans, ainsi évidem- ment que les traditions culturelles qui se sont développées sur la côte norvé- gienne. La Société s’est installée tout naturellement dans un des vieux entre- pats devant lesquels sont amarrés ses navires. Elle a réussi jusqu’à présent à résister aux fortes pressions des promo- teurs qui convoitent ce terrain de grande valeur.

Malgré les progrès accomplis, beau- coup reste à faire. Quant à moi, je refuse de souscrire à l’idée, encore assez lar- gement répandue, selon laquelle les jeunes (et même beaucoup d’adultes) n’éprouvent aucun intérêt ni aucune curiosité pour les aventures, les travaux et les souffrances des marins d’autre- fois, en somme pour tout ce qui se présente spontanément à l’imagination à la vue d’un navire qui entre majes- tueusement au port, amène les voiles et jette l’ancre.

On a récemment lancé l’idée d’un projet appelé Bergen et la mer U. En effet, le front de mer de Bergen n’est pas seulement occupé par des éta- blissements culturels mais aussi par des centres de recherche, des écoles, des usines, des marchés, par les installa- tions d’un port de commerce et par celles d’un port de voyageurs relié à l’Angleterre, au Danemark, aux îles Féroé et à l’Islande. On y trouve égale- ment des restaurants où l’on sert du poisson, des entrep6ts frigorifiques, des ports de plaisance et beaucoup d’autres installations. Nous nous aper- cevons que, sans l’avoir cherché, nous avons à notre portée toutes les compo- santes d’un immense - écomusée ” dont nous commençons seulement à discer- ner les potentialités.

(Traduit de I’anglaisJ