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Les Echos Lundi31août2015 IDEES & DEBATS // 09 art&culture LES ARTICLES LES PLUS LUS HIER SUR LESECHOS.FR 1.Soupçonné de chantage contre le royaume du Maroc, le journaliste Eric Laurent admet un « accord financier » 2. Jackson Hole : les banquiers centraux face aux dangers de l’inflation zéro 3.L’airestdemoinsenmoinspollué auMoyen-Orient,etcen’est pas une bonne nouvelle 4. Les travailleurs freelance vont-ils relancer l’ économie ? 5.Letrainfantôme nazi chargé d’or suscite curiosité et convoitises Visapourl’image:l’ œ il surlestourmentsdumonde Michèle Warnet [email protected] Rendez-vous unique au monde, Visa pour l’image, est, depuis vingt-six ans, l’ événement annuel incon- tournable du photojournalisme. Quand Arnaud Baumann est venu le 6 janvier pré- senter à Jean-François Leroy, fondateur et directeur du festival, le livre de photos sur l’aventure de « Hara-Kiri » et « Charlie Hebdo »,réalisé avec Xavier Lambours, rien ne laissait présager la tragédiequisur- viendrait le lendemain. L’accrochage des portraits a naturellement été intégré au programmedesvingt-sixexpositions.Mais ledéfidansl’arbitrage,parmiles4.500dos- siers reçus chaque année, « consiste àéviter de juste égrener les fléaux», pointe Jean- FrançoisLeroy. Le festival rembobine l’actualité, drama- tique ounon,vueparleboîtierdephotogra- phes aguerris comme le Français Pascal Maitre, le Turc Bulent Kilic ou le Britanni- que Marcus Bleasdale. Visa pour l’image, qui les a souvent révélés, porte aussi les générations montantes avec des signatures comme Viviane Dalles, Edouard Elias, Ser- gey Ponomarev. Son directeur regrette l’absence de sujets sur Daech, dont seules filtrent des – insoutenables – images sous contrôle. Les femmes soldats yézidies qui l’affrontent, au nord-ouest de l’Irak sont, elles, présentes à travers le reportage de l’iranien Alfred Yaghobzadeh. En Afrique de l’Ouest, c’est une drôle de guerre contreunennemiinvisible, le virus Ebola, qui se joue. Daniel Berehulak est l’un des seuls photo- graphes à l’avoir affronté sur le terrain. Ses images d’ êtres foudroyés parmi les sca- phandresjaunesteintentlaréalité d’unfan- tastique inquiétant. Elles sont au palmarès de deux catégories, News et Magazine, parmi les six visas d’or qui sont délivrés. A cesrécompensess’ajoutentseptautresprix, dont le tout premier qui sera cette année remis au nom de Camille Lepage, la jeune photoreporter tuée en Centrafrique en mai 2014. Témoigner et non interpréter Onneverrapas,cetteannée,leslauréatsdu World Press Photo. Jean-François Leroy a refusé tout net les cimaises du festival à la prestigieuse organisation qui est au cœur d’une vive polémique pour un reportage primé dont il a été démontré qu’il était mis en scène. « Le photojournalisme doit témoi- gner du monde et non l’interpréter » martèle le directeur du festival. Alors, « Bienvenue dans le monde réel », comme le signe Jean-François Leroy dans l’ éditorial de cette 27 e édition. Perpignan vous invite à le regarder en face. n Près de Suruç, ville du sud-est de la province de Sanliurfa, en Turquie, le 2 octobre 2014 : une femme kurde et sa fille attendent après leur passage de Syrie en Turquie, sous les tirs de mortier. Photo Bulent Kilic/AFP PHOTO Visa pour l’image A Perpignan, jusqu’au 13 septembre. visapourlimage.com XavierGallais,clochardterrestre Thomas Ngo-Hong-Roche Un imposant sapin blanc sedressecôté jardinsurun lit duveteux de fausse four- rure.Onsecroiraitdansun conte d’Andersen. Mais la fête à laquelle nous convie Knut Hamsun ne ressem- ble guère à une féerie. Dans « Faim », son romanenpartieautobiographique,leNor- végien esquisse le portrait d’une généra- tion d’ écrivains sans le sou et en panne d’inspiration. Comment parvenir à un idéalesthétiquelorsquelesbesoinslesplus primaires ne peuvent être comblés? Ce jeûne forcé engendre paradoxale- ment des boufféesdélirantes propices à l’ épanchement d’une sensibilité onirique. Tranchant sur l’âpreté du quotidien, les déambulations fantastiques du sans-logis dans des palais d’ émeraude et d’améthyste offrent un refuge rêvé face à un quotidien précaire. Touchant va-nu-pieds L’ironiedusortveutquelareprésentationde « Faim » sedéroule dans la petite salle du Paradis,authéâtreduLucernaire.Unparadis bieningrat,alors,pourunartisteenquêtede créativit é.Créée avec succès en2011auThéâtredela Madeleine,l’adaptation d’Arthur Nauzyciel fait fi de fioritures. Presque austère, lamiseenscènedudirecteur duCDNd’Orl éansseconcen- tre avec profit sur son rap- portavecXavierGallais. L’acteur prodige (dirigé plusieurs fois par Benoî t Lavigne, le nouveau patron du Lucer- naire)selivre à corpsperdudanslabatailleen tentant de conserver sa dignit é d’homme de lettres.Ildélivreuneperformancesaisissante sans verser dans une quelconque emphase. L’entendre raconter sa lutte pour tenter de dénicher un os avec de la viande ou avoir le plaisir de savourer un simple bifteck provo- quedesfrissons.Gallaisdonnechairetâme à ce personnage émouvant de vagabond inqui étant. Avec de la détresse dans les yeux mais une volont é inébranlable dans le cœur, l’acteur captive le public par l’incandescence rentréedesonjeumalgré,untexteardu. « Faim » se termine sur l’illumination de guirlandes rouges : lumières vivifiantes ou enfer à venir?Entoutcas,notreclodo-artiste s’embarque à bord d’une galère. Littérale- ment. Peut-être l’aube d’un avenir plus radieux. n THÉÂTRE Faim de Knut Hamsun. Mise en scène d’Arthur Nauzyciel. A Paris, Le Lucernaire. (01 45 44 57 34). 1 h 20. LE POINT DE VUE de Stéphane Cossé LeFMIface auparadoxeallemand D anslagestiondelacrisegrecque, toutlaisse à penserquelefaucon allemand s’oppose au FMI, dont les fonctionnaires seraient devenus en quelque sorte des colombes de la disci- pline financière mondiale. La situation est pour le moins paradoxale. L’Allema- gneattendduFMIqu’ilparticipeausau- vetagedelaGrèceaunomdesarigueur, quandleFMIluirépondqu’ilestprêt à le faire si l’Allemagne assouplit sa propre position, jugée trop rigoureuse. Com- mentpeut-onenarriverl à ? Le FMI a posé deux exigences pour participer au programme d’aides à la Grèce : un plan de réformes complet et un all égement de la dette. Depuis l’accord de la mi-août avec Athènes, le FMIainsinué quelapremièrecondition était acquise, mais pas la seconde. Or l’Allemagne ne souhaite pas ouvrir la question de la réduction de la dette. Elle fait appel au FMI pour son expérience danslesplansdesauvetageetpour éviter un face-à-face germano-grec dans la miseen œuvredemesures « impopulai- res ».D’unpointdevuefinancier,leFMI fait clairement « payer » à l’Europe le choixdenepaslaissersortirlaGrècede lazoneeuro.L’institutionavaitindiquéà l’Europe qu’il lui appartenait d’arbitrer sur un choix qu’elle considérait de naturepolitique.LeFMIconsidèreainsi que le budget annoncé de 85 milliards d’euros du plan d’aide est insuffisant poursortirlaGrèced’affaire. La sortie de la zone euro aurait eu de facto pour conséquence une incapacité delaGrèce à repayerladettedel’Etaten monnaie dévaluée. Ce schéma est bien connuduFMI:lescréancierspublicsde laGrèceauraient ét é contraintsd’accep- ter une réduction du stock de la dette dans le cadre d’un accord au Club de Paris, tout en exigeant que le gouverne- ment mette en place un programme de réformes avec le FMI. Le montant de la réduction de la dette, qui atteignait 320 milliards d’euros avant l’accord mi- août,aurait ét é proportionnelauniveau estimé adéquat par le FMI pour que, compte tenu du programme de réfor- mesetdupotentieldecroissance,lebilan financierdupaysredevienneviable. LeFMIanalyseleseffetsmacroécono- miques du mémorandum et de l’ajuste- mentinterne,etconclut à l’insoutenabi- lité. La BCE semble à mots couverts partager cette analyse (Mario Draghi juge « indiscutable » lanécessit é d’all éger la dette grecque). Mais ce positionne- ment reflète aussi, et peut-être surtout, unjeud’acteursquiarrangenombredes Etats membres du FMI, sauf… l’Allema- gne. A commencer par le premier actionnaire du FMI, les Etats-Unis. Ces derniersconsidèrentquelecoûtdusau- vetage revient aux contribuables euro- péens. Le gouvernement et le Congrès voient en outre d’un bon œil la coalition d’ungouvernementd’extrêmegaucheet droite se scinder sur l’autel d’un train de réformes complètes, auquel les Etats- Unissouscriventparailleurs. Les autres actionnaires du FMI ont pourleurpart, à plusieursreprises,criti- qué la trop forte exposition du FMI en Grèce. Lass é sparleurmanque d’influence au sein de l’institution à Washington, certains d’entre eux se lancent dans des projets multilatéraux alternatifs de solidarité financière. Les pays asiatiques ont créé une Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) et les BRICS vien- nent d’abonder un fonds commun avec lemêmeobjectif. Et l’Europe ? Il est certes important à ses yeux de partager l’addition déjà lourde du plan de sauvetage avec les Etats-Unis et le reste du monde, et de réussir àélargir la base du soutien aux mesures courageuses. Mais, certains, comme la France, peuvent utiliser l’exi- gence du FMI d’une réduction de dette pour « raisonner » l’Allemagne. Et les plus européistes peuvent même y voir une manière de bouter le FMI hors d’Europe :aide-toi,l’Europet’aidera. Autotal,l’Allemagnesemblebieniso- lée, écartelée entre sa responsabilité de nepasfragiliserlasolidarité européenne et les coûts faramineux que constitue le sauvetage de la Grèce, notamment aux yeuxdesonopinionpublique.Sonappel à l’implicationduFMIresteenl’ étatvain. Ellepeut à cestaderappelersonsuccès: l’inflexibilité d’Angela Merkel a fait plier Al éxisTsípras.Sanspréjugerdurésultat des électionsgrecquesattenduesensep- tembre, la porte de sortie se trouvera sansdouteparlebiaisd’uncalculfinan- cieravecleFMI:unall égementdedette repose sur de nombreux paramètres de longterme(potentieldecroissance,réé- chelonnementdes échéances,réduction des taux) qui pourraient être aménagés pour trouver un compromis acceptable partous. Stéphane Cossé est ancien senior economist au FMI et membre du conseil d’administration d’EuropaNova. Le FMI fait « payer » à l’Europe le choix de ne pas laisser sortir la Grèce de la zone euro. L’Europe veut partager l’addition du plan de sauvetage avec les Etats- Unis et le reste du monde. LE POINT DE VUE de Valentine Ferréol et Luc Bretones Bienvenue dansl’èredel’impr é vu L ’histoire de l’humanit é est entrée dans une nouvelle phase de son développement, une phase mar- quée par une accélération mais aussi une complexité sans précédent, des changements auxquels nous devons nouspréparerdèsaujourd’hui. La troisième révolution industrielle remet en cause l’approche centralisée issuedelarévolutiondelavapeurpuisde l’ électricité. L’industrie de demain sera très profondément impactée par l’essor de l’Internet des objets. Les change- ments organisationnels qui vont en découler seront colossaux. Nous som- mes en train de vivre une accélération sans précédent des capacit és de disrup- tion et d’action à grande échelle, autre- ment dit la « surabondance d’opportuni- t és ». Que ce soit avec Internet, les réseaux sociaux, les mobiles, les plates- formes de « crowdsourcing » ou de « crowdfunding », les individus dispo- sent de capacit és de calcul et d’action en réseau jusque-là réservées aux grands groupes ou aux institutions publiques : endeuxcentsans,lavitessedetransmis- siondel’informationa ét é multipli éepar 100 milliards. Cela, ajoutéà la chute du prix des capteurs (accél éromètres, GPS, lecteursd’empreintes…)maintenantdis- ponibles à moins de 1 euro, fait que de plus en plus d’objets de notre quotidien vont disposer d’un processeur, de cap- teurs et surtout d’une connexion Inter- netviaBluetoothouwi-fi. Ce monde ultraconnecté appartient désormais aux ingénieurs et aux entre- preneursquivontpouvoirexploitercette formidablebaseinstall éeafind’inventer de nouvelles applications, de nouveaux « business models » à partir de ce parc d’objets connectés presque infini. C’est très précisément ce que Richard Buck- minster Fuller a décrit dès 1969 comme le phénomène d’«éphémérisation », process qui consiste à réaliser toujours plusavectoujoursmoins.FrancisHeyli- ghen, cybernéticien, complète en expli- quant que « désormais, plutôt que de compter sur une chance de découverte et de l’attendre, les nouvelles méthodes d’innovation développent des techniques de façon systématique en utilisant la modélisation et le test qui caract érisent la science. » Ainsi, les nouvelles idées sont exprimées, formalisées et testées à un rythmesanscesseplusrapide. Face à cettebrusqueaccél ération,face à ces changements radicaux de société quis’annoncent,touslesanalystes,toutes lesentreprisestraditionnellesont ét é pri- sesaudépourvu. Comme le soulignait Jack Welch, l’ancien patron de General Electric, « lorsque le rythme de change- ment à l’extérieur dépasse le rythme de changement interne, la fin (sous-entendu d’uneentreprise) estproche ». Nous devons innover ensemble, sachant que les start-up créent massive- ment l’innovation de rupture et les « gazelles », ou entreprises de crois- sance, massivement les nouveaux emplois. Plusieurs études menées aux Etats-Unis montrent que la création netted’emploissurunelonguepériodea ét é produiteenint égralit é pardesentre- prisesdemoinsdecinqans. Nous avons besoin en France et en Europe de plates-formes permettant d’accélérer l’« open innovation » entre grands groupes, start-up et gazelles. Le nouvel alphabet de l’innovation s’ écrit surlabasedetechnologiesetdeconcepts nouveaux (IP, « open source »», API, standards de fait, « crowdfunding »...) Pour les grands groupes, c’est un travail d’adaptationetdetransformationquoti- dien. Au-delà de la dimension innova- tion ou financière, la proximité des start-up permet d’accélérer la transfor- mationdanslesgroupesplusinstall és. Valentine Ferréol est la présidente de l’institut G9+ ; Luc Bretones en est le vice-président. Ce sont les start-up qui créent massivement l’innovation de rupture. Grands groupes et jeunes pousses doivent travailler ensemble.

Bienvenue dans l'ère de l'imprévu ! 150831 Les Echos Tribune Institut G9+ Valentine Ferreol & Luc Bretones

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Page 1: Bienvenue dans l'ère de l'imprévu ! 150831 Les Echos Tribune Institut G9+ Valentine Ferreol & Luc Bretones

Les EchosLundi 31 août 2015 IDEES&DEBATS//09

art&cultureLES ARTICLES LES PLUS LUS HIER SUR LESECHOS.FR

1. Soupçonnéde chantage contre le royaumeduMaroc, le journalisteEricLaurent admetun « accord financier »2. JacksonHole : les banquiers centraux face auxdangers de l’inflation zéro3. L’air est demoins enmoinspolluéauMoyen-Orient, et cen’estpasunebonnenouvelle4. Les travailleurs freelance vont-ils relancer l’économie ?5. Le train fantômenazi chargéd’or suscite curiosité et convoitises

Visapourl’image:l’œilsurlestourmentsdumondeMichè[email protected]

Rendez-vous unique aumonde, Visa pour l’image,est, depuis vingt-six ans,l’événement annuel incon-tournable du photojournalisme. QuandArnaudBaumannest venu le 6 janvier pré-senter à Jean-François Leroy, fondateur etdirecteur du festival, le livre de photos surl’aventure de « Hara-Kiri » et « CharlieHebdo », réalisé avec Xavier Lambours,rienne laissait présager la tragédiequi sur-viendrait le lendemain. L’accrochage desportraits a naturellement été intégré auprogrammedesvingt-sixexpositions.Maisledéfi dans l’arbitrage, parmi les4.500dos-siers reçus chaqueannée, « consisteà éviterde juste égrener les fléaux», pointe Jean-FrançoisLeroy.

Le festival rembobine l’actualité, drama-tique ounon,vueparleboîtierdephotogra-phes aguerris comme le Français PascalMaitre, le Turc Bulent Kilic ou le Britanni-que Marcus Bleasdale. Visa pour l’image,qui les a souvent révélés, porte aussi lesgénérationsmontantes avecdes signaturescommeViviane Dalles, Edouard Elias, Ser-gey Ponomarev. Son directeur regrettel’absence de sujets sur Daech, dont seulesfiltrent des – insoutenables – images souscontrôle. Les femmes soldats yézidies quil’affrontent, au nord-ouest de l’Irak sont,

elles, présentes à travers lereportage de l’iranienAlfredYaghobzadeh.

En Afrique de l’Ouest,c’est une drôle de guerrecontreunennemi invisible,le virus Ebola, qui se joue.

Daniel Berehulak est l’un des seuls photo-graphes à l’avoir affronté sur le terrain. Sesimages d’êtres foudroyés parmi les sca-phandres jaunes teintent laréalitéd’unfan-tastique inquiétant. Elles sont au palmarèsde deux catégories, News et Magazine,parmi les six visas d’or qui sont délivrés. Acesrécompensess’ajoutentseptautresprix,dont le tout premier qui sera cette annéeremis au nom de Camille Lepage, la jeunephotoreporter tuée enCentrafrique enmai2014.

Témoigner et non interpréterOnneverrapas, cetteannée, les lauréatsduWorld Press Photo. Jean-François Leroy arefusé tout net les cimaises du festival à laprestigieuse organisation qui est au cœurd’une vive polémique pour un reportageprimé dont il a été démontré qu’il était misen scène. « Le photojournalisme doit témoi-gnerdumondeetnon l’interpréter »martèlele directeurdu festival.

Alors, «Bienvenue dans lemonde réel »,comme le signe Jean-François Leroy dansl’éditorial de cette 27e édition. Perpignanvous inviteà le regarder en face. n

Près de Suruç, ville du sud-est de la province de Sanliurfa, en Turquie,le 2 octobre 2014 : une femme kurde et sa fille attendent après leur passagede Syrie en Turquie, sous les tirs demortier. Photo Bulent Kilic/AFP

PHOTO

Visa pour l’imageA Perpignan,jusqu’au 13 septembre.visapourlimage.com

XavierGallais,clochardterrestre

ThomasNgo-Hong-Roche

Un imposant sapin blancsedresse côté jardin surunlit duveteuxde fausse four-rure.Onsecroiraitdansunconte d’Andersen. Mais lafête à laquelle nous convieKnut Hamsun ne ressem-ble guère à une féerie. Dans « Faim », sonromanenpartie autobiographique, leNor-végien esquisse le portrait d’une généra-tion d’écrivains sans le sou et en panned’inspiration. Comment parvenir à unidéalesthétiquelorsquelesbesoinslesplusprimaires ne peuvent être comblés ?

Ce jeûne forcé engendre paradoxale-ment des bouffées délirantes propices àl’épanchement d’une sensibilité onirique.Tranchant sur l’âpreté du quotidien, lesdéambulations fantastiques du sans-logisdans des palais d’émeraude et d’améthysteoffrent un refuge rêvé face à un quotidienprécaire.

Touchant va-nu-piedsL’ironiedusort veutque la représentationde« Faim » se déroule dans la petite salle duParadis,authéâtreduLucernaire.Unparadisbien ingrat, alors,pourunartisteenquêtede

créativité. Créée avec succèsen 2011 au Théâtre de laMadeleine, l’adaptationd’ArthurNauzyciel fait fi defioritures. Presque austère,lamiseenscènedudirecteurduCDNd’Orléansseconcen-tre avec profit sur son rap-portavecXavierGallais.

L’acteur prodige (dirigé plusieurs fois parBenoît Lavigne, lenouveaupatronduLucer-naire)selivreàcorpsperdudanslabatailleententant de conserver sa dignitéd’hommedelettres.Ildélivreuneperformancesaisissantesans verser dans une quelconque emphase.L’entendre raconter sa lutte pour tenter dedénicher un os avec de la viande ou avoir leplaisir de savourer un simple bifteck provo-quedesfrissons.Gallaisdonnechairetâmeàce personnage émouvant de vagabondinquiétant. Avec de la détresse dans les yeuxmais une volonté inébranlable dans le cœur,l’acteur captive le public par l’incandescencerentréedesonjeumalgré,untexteardu.

« Faim » se termine sur l’illumination deguirlandes rouges : lumières vivifiantes ouenferàvenir ?Entoutcas,notreclodo-artistes’embarque à bord d’une galère. Littérale-ment. Peut-être l’aube d’un avenir plusradieux. n

THÉÂTRE

Faimde Knut Hamsun.Mise en scèned’Arthur Nauzyciel.A Paris, Le Lucernaire.(01 45 44 57 34). 1 h 20.

LEPOINT

DEVUE

de StéphaneCossé

LeFMIfaceauparadoxeallemand

Danslagestiondelacrisegrecque,toutlaisseàpenserquelefauconallemands’oppose auFMI, dont

les fonctionnaires seraient devenus enquelque sorte des colombes de la disci-pline financièremondiale. La situationest pour lemoins paradoxale. L’Allema-gneattendduFMIqu’ilparticipeausau-vetagede laGrèceaunomdesarigueur,quandleFMIluirépondqu’ilestprêtà lefaire si l’Allemagne assouplit sa propreposition, jugée trop rigoureuse. Com-mentpeut-onenarriver là ?

Le FMI a posé deux exigences pourparticiper au programme d’aides à laGrèce : un plan de réformes complet etun allégement de la dette. Depuisl’accord de lami-août avec Athènes, leFMIainsinuéquelapremièreconditionétait acquise, mais pas la seconde. Orl’Allemagne ne souhaite pas ouvrir laquestionde la réductionde la dette. Ellefait appel au FMI pour son expériencedanslesplansdesauvetageetpouréviterun face-à-face germano-grec dans lamiseenœuvredemesures« impopulai-res ».D’unpointdevue financier, leFMIfait clairement « payer » à l’Europe lechoixdenepas laisser sortir laGrècedelazoneeuro.L’institutionavait indiquéàl’Europe qu’il lui appartenait d’arbitrersur un choix qu’elle considérait denaturepolitique.LeFMIconsidèreainsique le budget annoncé de 85milliardsd’euros du plan d’aide est insuffisantpoursortir laGrèced’affaire.

La sortie de la zone euro aurait eu defacto pour conséquence une incapacitéde laGrèceà repayer ladettede l’Etat enmonnaie dévaluée. Ce schéma est bienconnuduFMI : lescréancierspublicsdelaGrèceauraientétécontraintsd’accep-ter une réduction du stock de la dettedans le cadre d’un accord au Club deParis, tout en exigeant que le gouverne-mentmette en place un programme de

réformes avec le FMI. Lemontant de laréduction de la dette, qui atteignait320milliards d’euros avant l’accordmi-août, aurait étéproportionnel auniveauestimé adéquat par le FMI pour que,compte tenu du programme de réfor-mesetdupotentieldecroissance,lebilanfinancierdupaysredevienneviable.

LeFMIanalyseleseffetsmacroécono-miques dumémorandumet de l’ajuste-ment interne, et conclutà l’insoutenabi-lité. La BCE semble àmots couvertspartager cette analyse (Mario Draghijuge« indiscutable »lanécessitéd’allégerla dette grecque). Mais ce positionne-

ment reflète aussi, et peut-être surtout,unjeud’acteursquiarrangenombredesEtatsmembres du FMI, sauf… l’Allema-gne. A commencer par le premieractionnaire du FMI, les Etats-Unis. Cesderniersconsidèrentque lecoûtdusau-vetage revient aux contribuables euro-péens. Le gouvernement et le Congrèsvoient enoutred’unbonœil la coalitiond’ungouvernementd’extrêmegaucheetdroite se scinder sur l’autel d’un trainderéformes complètes, auquel les Etats-Unis souscriventparailleurs.

Les autres actionnaires du FMI ontpourleurpart,àplusieursreprises,criti-qué la trop forte exposition du FMI en

Grèce. Lassés par leur manqued’influence au sein de l’institution àWashington, certains d’entre eux selancent dans des projets multilatérauxalternatifs de solidarité financière. Lespays asiatiques ont créé une Banqueasiatique d’investissement pour lesinfrastructures (AIIB) et les BRICS vien-nent d’abonder un fonds commun aveclemêmeobjectif.

Et l’Europe ? Il est certes important àses yeux de partager l’addition déjàlourde du plan de sauvetage avec lesEtats-Unis et le reste dumonde, et deréussir à élargir la base du soutien auxmesures courageuses. Mais, certains,comme la France, peuvent utiliser l’exi-gence du FMI d’une réduction de dettepour « raisonner » l’Allemagne. Et lesplus européistes peuventmême y voirune manière de bouter le FMI horsd’Europe :aide-toi, l’Europe t’aidera.

Autotal, l’Allemagnesemblebien iso-lée, écartelée entre sa responsabilité denepasfragiliserlasolidaritéeuropéenneet les coûts faramineux que constitue lesauvetage de la Grèce, notamment auxyeuxdesonopinionpublique.Sonappelàl’implicationduFMIresteenl’étatvain.Ellepeutàcestaderappelersonsuccès :l’inflexibilitéd’AngelaMerkel a fait plierAléxisTsípras.Sanspréjugerdurésultatdesélectionsgrecquesattenduesensep-tembre, la porte de sortie se trouverasansdoutepar lebiaisd’uncalcul finan-cier avec leFMI :unallégementdedetterepose surdenombreuxparamètres delong terme(potentieldecroissance, réé-chelonnementdeséchéances,réductiondes taux) qui pourraient être aménagéspour trouver un compromis acceptablepar tous.

Stéphane Cossé est ancien senior

economist au FMI et membre du

conseil d’administration d’EuropaNova.

Le FMI fait « payer »à l’Europe le choixde ne pas laisser sortirla Grèce de la zone euro.

L’Europe veut partagerl’addition du plan desauvetage avec les Etats-Unis et le reste dumonde.

LEPOINT

DEVUE

deValentine FerréoletLucBretones

Bienvenuedansl’èredel’imprévu

L’histoire de l’humanité est entréedans une nouvelle phase de sondéveloppement, une phasemar-

quée par une accélération mais aussiune complexité sans précédent, deschangements auxquels nous devonsnouspréparerdèsaujourd’hui.

La troisième révolution industrielleremet en cause l’approche centraliséeissuedelarévolutiondelavapeurpuisdel’électricité. L’industrie de demain seratrès profondément impactée par l’essorde l’Internet des objets. Les change-ments organisationnels qui vont endécouler seront colossaux. Nous som-mes en train de vivre une accélérationsans précédent des capacités de disrup-tion et d’action à grande échelle, autre-ment dit la « surabondance d’opportuni-tés ». Que ce soit avec Internet, lesréseaux sociaux, lesmobiles, les plates-formes de « crowdsourcing » ou de« crowdfunding », les individus dispo-sent de capacités de calcul et d’action enréseau jusque-là réservées aux grandsgroupes ou aux institutions publiques :endeuxcentsans, lavitessedetransmis-siondel’informationaétémultipliéepar100milliards. Cela, ajouté à la chute duprix des capteurs (accéléromètres, GPS,lecteursd’empreintes…)maintenantdis-ponibles àmoins de 1 euro, fait que deplus en plus d’objets de notre quotidienvont disposer d’un processeur, de cap-teurs et surtout d’une connexion Inter-netviaBluetoothouwi-fi.

Cemonde ultraconnecté appartientdésormais aux ingénieurs et aux entre-preneursquivontpouvoirexploitercetteformidablebase installéeafind’inventerde nouvelles applications, de nouveaux« businessmodels » à partir de ce parcd’objets connectés presque infini. C’esttrès précisément ce que Richard Buck-minster Fuller a décrit dès 1969 commele phénomène d’« éphémérisation »,process qui consiste à réaliser toujoursplusavec toujoursmoins. FrancisHeyli-ghen, cybernéticien, complète en expli-quant que « désormais, plutôt que de

compter sur une chance de découverte etde l’attendre, les nouvelles méthodesd’innovation développent des techniquesde façon systématique en utilisant lamodélisation et le test qui caractérisent lascience. »Ainsi, les nouvelles idées sontexprimées, formalisées et testées à unrythmesanscesseplusrapide.

Faceàcettebrusqueaccélération, faceà ces changements radicaux de société

quis’annoncent,touslesanalystes,touteslesentreprises traditionnellesontétépri-ses au dépourvu. Comme le soulignaitJackWelch, l’ancien patron deGeneralElectric, « lorsque le rythme de change-ment à l’extérieur dépasse le rythme dechangement interne, la fin (sous-entendud’uneentreprise)estproche».

Nous devons innover ensemble,sachant que les start-up créentmassive-ment l’innovation de rupture et les« gazelles », ou entreprises de crois-sance, massivement les nouveauxemplois. Plusieurs étudesmenées auxEtats-Unis montrent que la créationnetted’emploissurunelonguepériodeaétéproduiteen intégralitépardesentre-prisesdemoinsdecinqans.

Nous avons besoin en France et enEurope de plates-formes permettantd’accélérer l’« open innovation » entregrands groupes, start-up et gazelles. Lenouvel alphabet de l’innovation s’écritsurlabasedetechnologiesetdeconceptsnouveaux (IP, « open source » », API,standards de fait, « crowdfunding »...)Pour les grands groupes, c’est un travaild’adaptationetde transformationquoti-dien. Au-delà de la dimension innova-tion ou financière, la proximité desstart-up permet d’accélérer la transfor-mationdans lesgroupesplus installés.

Valentine Ferréol est la présidente

de l’institut G9+ ;

Luc Bretones en est le vice-président.

Ce sont les start-upqui créent massivementl’innovation de rupture.

Grands groupeset jeunes pousses doiventtravailler ensemble.