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Charles ROZAN-Petites ignorances de la conversation

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Page 1: Charles ROZAN-Petites ignorances de la conversation

TIRER LE DIABLE PAR LA QUEUE

"Tirer le diable par la queue, c'est se procurer péniblement le nécessaire pour vivre, c'est être réduit aux expédients. On a prétendu qu'il s'agissait "du diable d'argent que tout le monde voudrait attirer à soi", mais cette explication laisse beaucoup à désirer. Nous préférons prendre le diable plus au sérieux et le considérer ici comme une image représentant toutes les choses auxquelles on n'a recours qu'à la dernière extrémité, et qu'on s'estime encore heureux de trouver, d'obtenir même par la prière, quand on n'a plus d'autre moyen d'échapper à une situation misérable. Le mont-de-piété, par exemple, c'est le diable, et lorsque nous lui portons notre linge en le priant de nous prêter de l'argent à gros intérêts, nous tirons le diable par la queue. Pour expliquer l'image, on peut se figurer un homme qui, à bout de ressources et ne sachant plus à qui s'adresser, finit par recourir à l'assistance de ce diable, dont il avait d'abord refusé le secours. Le diable à son tour fait le difficile, il se souvient des rebuffades qu'il a essuyées, il tourne le dos à celui qui l'a d'abord méprisé, - et c'est alors qu'il faut, pour le ramener, le tirer par la queue. Les jeunes gens qui ont escompté leur avenir à de ruineuses conditions ont plus d'une fois ramené ainsi par le pan de l'habit cette monstruosité sociale qu'on appelle un usurier, et ils savent par expérience ce que veut dire : Tirer le diable par la queue."

Charles ROZAN

(Petites ignorances de la conversation. Paris, P. Ducrocq, 1881, pp. 371-372)

"Si l'on croit la légende du Dr Faust, vendre son âme au diable pouvait apporter jeunesse, beauté et richesse mais vous vouait aux flammes éternelles. N'osant courir pareil risque, ceux en manque chronique d'argent se contentent de lui tirer discrètement un petit coup sur la queue de temps en temps dans l'espoir de quelque secours pour vivre."

Bernard C. GALEY

(Du coq à l'âne. Paris, Taillandier, 1995, p. 106)

Page 2: Charles ROZAN-Petites ignorances de la conversation

ENTRE CHIEN ET LOUP

"Le loup ressemble beaucoup au chien ; il a la même forme, la même silhouette ; dans l'ombre, on ne les distinguerait pas. C'est pour cela que cette locution sert à désigner le moment du crépuscule, le moment où l'on n'aperçoit pas assez bien les objets pour pouvoir distinguer un chien d'un loup.

Il y a une autre explication : entre chien et loup désigne proprement l'intervalle qui sépare le moment où le chien est placé à la garde du bercail et le moment où le loup profite de l'obscurité qui commence pour venir rôder à l'entour."

Charles ROZAN

(Petites ignorances de la conversation. Paris, P. Ducrocq, 1881, p. 287)

TRAVAILLER POUR LE ROI DE PRUSSE

"Faire un travail qui ne rapporte rien, ou peu de chose.

Les premiers rois de Prusse n'étaient pas généreux. Le grand Frédéric ne payait à ses soldats leur solde que 30 jours par mois, bénéficiant ainsi de l'argent que représentait la paye du dernier jour, dans les sept mois de l'année qui ont 31 jours. Il rétribuait chichement les ouvriers français qu'il employait. On gagnait donc peu à travailler pour le roi de Prusse. Il est vraisemblable que cette expression familière a été introduite dans la langue par des gens du peuple, plutôt que par Voltaire à qui certains l'attribuent."

L. MARTEL

(Petit recueil des proverbes français. Paris, Librairie Garnier Frères, 1883, p. 83)

Page 3: Charles ROZAN-Petites ignorances de la conversation

La Morgue

Il y avait autrefois à l'entrée des prisons une salle où l'on retenait les prisonniers pendant quelques jours pour les laisser voir aux gardiens. On voulait par là familiariser ces derniers avec le visage des nouveaux venus, et les mettre à même de déjouer, au besoin, toute tentative d'évasion.

Plus tard, on exposa dans cette même salle les cadavres retirés de la rivière ou trouvés ailleurs, et l'on admit le public à venir les reconnaître par un guichet pratiqué à la porte. Jusqu'en 1804, cette exposition des cadavres eut lieu dans la basse geôle dépendant de la prison du Grand-Châtelet.

Elle fut transférée à cette époque sur le quai du Marché-Neuf, dans un petit bâtiment spécial qui disparaîtra bientôt sans doute, car la Cité est en voie de transformation.

Cet endroit, où les guichetiers examinaient les nouveaux écroués, et où l'on exposait les corps des personnes trouvées mortes hors de leur domicile, reçut le nom de Morgue. A ceux qui pourraient se demander pourquoi, Vaugelas répond : parce que morgue est un vieux mot français qui se disait pour visage.

Mais on a dit aussi que morgue servait à désigner autrefois un regard fixe, scrutateur, et la vérité sans doute est là, car on explique assez bien de cette manière le sens figuré du mot : suffisance mêlée d'orgueil, expression méprisante et hautaine

Charles ROZAN

(Petites ignorances de la conversation Morgue 83)

Page 4: Charles ROZAN-Petites ignorances de la conversation

Aller au diable Auvert

Faire une expédition dangereuse. Cette locution s'en tend particulièrement aujourd'hui dans le sens de aller loin. — Auvert est une corruption de Vauvert; on disait autrefois : Aller au diable Vauvert. Le V a été mangé dans la rapidité du discours, et il a fini par disparaître si bien qu'on a été amené à couper en deux, pour lui donner une sorte de sens, le reste du mot : auvert. — Le château de Vauvert ou Val-Vert situé près de Paris, du côté de la barrière d'Enfer, avait été habité par Philippe-Auguste après son excommunication ; il passait depuis cette époque pour être hanté par des revenants et des dé mons. Saint Louis, pour désensorceler ce château, le donna aux Chartreux en 1257.

C'est vraisemblablement le souvenir diabolique de ce lieu maudit qui a fait donner le nom d'Enfer à la rue qui y conduisait et qui s'était appelée auparavant chemin de Vauvert. Il y a cependant d'autres opinions sur l'origine du nom de cette rue. Huet prétend qu'elle a été ainsi nommée parce qu'elle fut longtemps un lieu de débauches et de voleries.

D'autres pensent que le mot enfer n'est autre chose ici qu'un tronçon de mot corrompu. La rue Saint-Jacques s'est nommée Via superior ; la rue d'Enfer, qui lui est parallèle, fut désignée, par opposition, sous le nom de Via inferior, Via infera ; c'est le mot infera altéré qui serait resté comme dernière dénomination à la rue d'Enfer.

Charles ROZAN

(Petites ignorances de la conversation Aller au diable Auvert)