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Article original Charophytes, indicateurs de paléobathymétrie du lac Tigalmamine (Moyen Atlas, Maroc) Charophytes, indicators of paleobathymetry of lake Tigalmamine (Middle Atlas, Morocco) Ingeborg Soulié-Märsche a, * , Abdelfattah Benkaddour b , Najat El Khiati c , Pierrette Gemayel a , Mohammed Ramdani d a UMR 5554, CNRS, institut des sciences de l’évolution, paléobotanique, université Montpellier-2, C.P. 062, place Eugène-Bataillon, 34095 Montpellier cedex 5, France b Faculté des sciences et techniques, université Cadi-Ayyad, boulevard A.K. Khattabi, B.P. 549, 40000 Marrakech, Maroc c Faculté des sciences Aïn-Chock, km 8 route d’El-Jadida, B.P. 5366, Casablanca, Maroc d Département zoologie et écologie animale, institut scientifique, B.P. 703, Rabat-Agdal, Maroc Reçu le 21 mars 2007 ; accepté le 30 octobre 2007 Disponible sur Internet le 7 mars 2008 Résumé Les études paléolimnologiques s’avèrent particulièrement pertinentes lorsque les espèces trouvées dans les sédiments sont toujours présentes à l’état vivant dans le milieu et que la végétation submergée peut fournir un analogue direct pour l’interprétation. Ainsi, le lac de Tigalmamine représente un cas exceptionnellement favorable, par rapport à la plupart des paléolacs en Afrique du Nord, puisque les restes fossiles des Characées peuvent ici être comparés à ceux produits par les plantes actuelles dans un contexte écologique connu. Tigalmamine est un hydrosystème composé de trois lacs d’origine karstique, situés à 1626 m d’altitude dans le Moyen Atlas marocain. Le site avait fait l’objet d’une carotte de 16 m de longueur prélevée dans le centre du lac central sous 16 m d’eau (core C 86 in Lamb and Kaars, 1995 [The Holocene 5 (1995) 400408]). Les sédiments représentent la totalité de l’Holocène depuis 10 200 BP jusqu’à l’Actuel (El Hamouti et al., 1991 [Comptes Rendus de l’Académie des Sciences de Paris 2 (1991) 259265] ; Lamb et al., 1995 [Nature 373 (1995) 134137]). De nombreuses gyrogonites de Charophytes, isolées de ce sondage, avaient été déterminées comme Chara hispida (Soulié-Märsche dans Benkaddour, 1993 [Changements hydrologiques et climatiques dans le Moyen-Atlas marocain : chronologie, minéralogie, géochimie isotopique et élémentaire des sédiments lacustres de Tigalmamine. PhD thesis, Université Paris-Sud, Orsay (inédit)]). Une prospection ultérieure à Tigalmamine par les auteurs du présent article en 2000, a montré que cette espèce est toujours présente dans le lac où elle forme une couronne de végétation submergée strictement limitée entre 2 et 9 m de profondeur. Le présent travail décrit les caractéristiques morphologiques et écologiques de Chara hispida comme référence pour l’interprétation des fossiles. Sur la base de ces données, les variations de fréquence des gyrogonites dans les sédiments de la carotte reçoivent une signification en termes de bathymétrie. L’étude détaillée des charophytes et de leur répartition dans le sondage, en complément aux travaux antérieurs, confirme l’existence de quatre phases de bas niveau lacustre au cours de l’Holocène. Le but du présent travail est de montrer que les charophytes peuvent fournir des informations complémentaires et utiles pour la reconstitution paléolimnologique. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract A paleolimnological study can be particularly accurate in situations where the species found in the sediments have persisted in the same lake and can provide a direct modern analogue for interpretation. Lake Tigalmamine, thus, represents an exceptionally favourable context, compared to most paleolakes in North Africa, as this site allows comparing the fossil remains of the Characeae to those produced by the living plants. Tigalmamine is a hydrosystem composed of three karstic lakes located at 1626 m above sea level in the Middle Atlas of Morocco. The site had been the subject of a 16 m long core taken in the center of the central lake under 16 m of water (core C 86 in Lamb and Kaars, 1995 [The Holocene 5 http://france.elsevier.com/direct/GEOBIO/ Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Geobios 41 (2008) 435444 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Soulié-Märsche). 0016-6995/$ see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.geobios.2007.10.004

Charophytes, indicateurs de paléobathymétrie du lac Tigalmamine (Moyen Atlas, Maroc)

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Article original

Charophytes, indicateurs de paléobathymétrie du lac Tigalmamine(Moyen Atlas, Maroc)

Charophytes, indicators of paleobathymetry of lake Tigalmamine

(Middle Atlas, Morocco)

Ingeborg Soulié-Märsche a,*, Abdelfattah Benkaddour b, Najat El Khiati c,Pierrette Gemayel a, Mohammed Ramdani d

a UMR 5554, CNRS, institut des sciences de l’évolution, paléobotanique, université Montpellier-2, C.P. 062, place Eugène-Bataillon,34095 Montpellier cedex 5, France

b Faculté des sciences et techniques, université Cadi-Ayyad, boulevard A.K. Khattabi, B.P. 549, 40000 Marrakech, Marocc Faculté des sciences Aïn-Chock, km 8 route d’El-Jadida, B.P. 5366, Casablanca, Maroc

d Département zoologie et écologie animale, institut scientifique, B.P. 703, Rabat-Agdal, Maroc

Reçu le 21 mars 2007 ; accepté le 30 octobre 2007

Disponible sur Internet le 7 mars 2008

http://france.elsevier.com/direct/GEOBIO/

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Geobios 41 (2008) 435–444

Résumé

Les études paléolimnologiques s’avèrent particulièrement pertinentes lorsque les espèces trouvées dans les sédiments sont toujours présentes àl’état vivant dans le milieu et que la végétation submergée peut fournir un analogue direct pour l’interprétation. Ainsi, le lac de Tigalmaminereprésente un cas exceptionnellement favorable, par rapport à la plupart des paléolacs en Afrique du Nord, puisque les restes fossiles des Characéespeuvent ici être comparés à ceux produits par les plantes actuelles dans un contexte écologique connu. Tigalmamine est un hydrosystème composéde trois lacs d’origine karstique, situés à 1626 m d’altitude dans le Moyen Atlas marocain. Le site avait fait l’objet d’une carotte de 16 m delongueur prélevée dans le centre du lac central sous 16 m d’eau (core C 86 in Lamb and Kaars, 1995 [The Holocene 5 (1995) 400–408]). Lessédiments représentent la totalité de l’Holocène depuis 10 200 BP jusqu’à l’Actuel (El Hamouti et al., 1991 [Comptes Rendus de l’Académie desSciences de Paris 2 (1991) 259–265] ; Lamb et al., 1995 [Nature 373 (1995) 134–137]). De nombreuses gyrogonites de Charophytes, isolées de cesondage, avaient été déterminées comme Chara hispida (Soulié-Märsche dans Benkaddour, 1993 [Changements hydrologiques et climatiques dansle Moyen-Atlas marocain : chronologie, minéralogie, géochimie isotopique et élémentaire des sédiments lacustres de Tigalmamine. PhD thesis,Université Paris-Sud, Orsay (inédit)]). Une prospection ultérieure à Tigalmamine par les auteurs du présent article en 2000, a montré que cetteespèce est toujours présente dans le lac où elle forme une couronne de végétation submergée strictement limitée entre 2 et 9 m de profondeur. Leprésent travail décrit les caractéristiques morphologiques et écologiques de Chara hispida comme référence pour l’interprétation des fossiles. Surla base de ces données, les variations de fréquence des gyrogonites dans les sédiments de la carotte reçoivent une signification en termes debathymétrie. L’étude détaillée des charophytes et de leur répartition dans le sondage, en complément aux travaux antérieurs, confirme l’existencede quatre phases de bas niveau lacustre au cours de l’Holocène. Le but du présent travail est de montrer que les charophytes peuvent fournir desinformations complémentaires et utiles pour la reconstitution paléolimnologique.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

A paleolimnological study can be particularly accurate in situations where the species found in the sediments have persisted in the same lakeand can provide a direct modern analogue for interpretation. Lake Tigalmamine, thus, represents an exceptionally favourable context, compared tomost paleolakes in North Africa, as this site allows comparing the fossil remains of the Characeae to those produced by the living plants.Tigalmamine is a hydrosystem composed of three karstic lakes located at 1626 m above sea level in the Middle Atlas of Morocco. The site had beenthe subject of a 16 m long core taken in the center of the central lake under 16 m of water (core C 86 in Lamb and Kaars, 1995 [The Holocene 5

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (I. Soulié-Märsche).

0016-6995/$ – see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.geobios.2007.10.004

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(1995) 400–408]). The section represents the total of the Holocene from 10,200 BP to Present (El Hamouti et al., 1991 [Comptes Rendus del’Académie des Sciences de Paris 2 (1991) 259–265]; Lamb et al., 1995 [Nature 373 (1995) 134–137]). The latter published a synthesis of thepluridisciplinary studies conducted on this core. Also, the numerous gyrogonites isolated from that core had been determined as Chara hispida(Soulié-Märsche in Benkaddour, 1993 [Changements hydrologiques et climatiques dans le Moyen-Atlas marocain : chronologie, minéralogie,géochimie isotopique et élémentaire des sédiments lacustres de Tigalmamine. PhD thesis, Université Paris-Sud, Orsay (inédit)]). Further fieldworkat Tigalmamine by the authors of the present paper in year 2000 showed that Chara hispida is still present in the lake where it forms a belt ofsubmerged vegetation restricted to the range of 2 to 9 m water depth. This paper describes the morphological and ecological characteristics of theextant Chara hispida as a reference for the interpretation of the fossil remains. Based on these data, the frequency changes of the gyrogonites in thecore sediments become significant in terms of bathymetry. The detailed analysis of the charophytes from the core, as a complement to the previousstudies, confirms the existence of four Holocene phases with lake level low stand at Tigalmamine. The aim of the present study is to enhance thevalue of the charophytes as a useful complementary tool for paleolimnological reconstruction.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Paléolimnologie ; Holocène ; Maroc ; Characeae ; Chara hispida ; Gyrogonites

Keywords: Paleolimnology; Holocene; Morocco; Characeae; Chara hispida; Gyrogonites

1. Introduction

Le contexte géographique du site de Tigalmamine a étéprésenté comme l’exemple d’un paléolimnigraphe du fait quec’est un écosystème aquatique avec un très petit bassin versantqui enregistre donc surtout les précipitations et les changementsclimatiques à l’échelle locale (Benkaddour, 1993). À cause decette position stratégique, le site de Tigalmamine a été le sujetde plusieurs sondages qui ont donné lieu à des études détailléesdes sédiments lacustres et de leur contenu biogénique. Cestravaux ont porté sur la succession pollinique (Lamb et al., 1989),les diatomées (El Hamouti, 1989 ; El Hamouti et al., 1991), laminéralogie et les isotopes stables des tests d’ostracodes(Benkaddour, 1993). Ces travaux antérieurs ont mené à unereconstitution détaillée des changements climatiques Holocènesdans le Moyen Atlas qui s’appuie sur une radiochronologieprécise et couvre les dix derniers millénaires (Lamb et al., 1989,1995 ; El Hamouti et al., 1991 ; Lamb et Kaars, 1995).

L’étude des Charophytes vient ici compléter l’inventaire desbiomarqueurs présents dans le sondage du lac central deTigalmamine. Les Charophytes fournissent des microfossilescaractéristiques sous la forme de leurs fructifications femellescalcifiées, les gyrogonites. Les gyrogonites trouvées dans cesondage avaient été déterminées précédemment comme Charahispida L. (Soulié-Märsche dans Benkaddour, 1993). Cettemême espèce a été trouvée à l’état vivant en 2000 lors denouvelles prospections de la végétation aquatique. Le but duprésent travail est d’apporter des précisions sur la significationécologique des charophytes, en termes de changementshydrologiques du lac. Tigalmamine présente un contexteexceptionnel en Afrique du Nord du fait que les charophytesvivant dans ce lac appartiennent à la même espèce que lematériel fossile. Les conditions écologiques actuelles de leurprésence peuvent, ainsi, servir de modèle pour l’interprétationpaléolimnologique.

2. Contexte géographique et écologique

Le site de Tigalmamine (328 540 N ; 58 210 W) comprend ungroupe de trois lacs situés à 1626 m d’altitude dans le MoyenAtlas marocain (Fig. 1). Le bassin versant d’environ 3,5 km2

reçoit des précipitations de 930 mm/an, la températuremoyenne de l’air est de 10 8C (2,5 8C en janvier ; 20 8C enjuillet). En période de basses eaux, les trois pièces d’eau sontclairement délimitées. En période de hautes eaux, les trois lacscommuniquent entre eux par des zones de marécages. Leszones d’inondation temporaire diffèrent d’une année à l’autreou peuvent même rester sèches pendant plusieurs annéesconsécutives. Le lac central, d’origine karstique, couvre unesuperficie de 6 ha. Sa plus grande profondeur est de 16 m, cequi semble le maximum possible puisque, lors de fortesprécipitations en hiver, il déborde et le trop plein se déversedans le lac adjacent au Sud (Lamb et Kaars, 1995). Il s’agit d’unlac stratifié avec une thermocline à 9 m. La température del’épilimnion avoisine 23 8C en septembre pour chuter à 8,2 8Cen dessous de 10 m de profondeur (Benkaddour, 1993). Le pHest fortement alcalin avec, par exemple, des valeurs de 8,8 enmai (Lamb et al., 1989) et de 8,3 en septembre 1991(Benkaddour, 1993).

3. Matériel et méthodes

La végétation actuelle a été prospectée et récoltée à l’aided’un grappin à partir d’une petite barque et à la main. Lesgyrogonites ont été détachées au laboratoire à partir des plantesqui portaient une majorité de fructifications mûres et calcifiéesà l’époque de la récolte (septembre 2000). Les prises de vuephotographiques ont été faites au service de microscopie del’université Montpellier-2 au microscope électronique marqueJEOL 6300, après métallisation au platine. Les caractéristiquesbiométriques ont été obtenues avec un micromètre à vismicrométrique (marque Leitz) permettant d’obtenir uneprécision expérimentale de 6,3 mm (Soulié-Märsche et Joseph,1991). Les gyrogonites fossiles proviennent du sondage deTigalmamine central. Il s’agit de la carotte C86, prélevée en1986 par H. Lamb sous 16 m d’eau dans le centre du lac (Lambet al., 1989 ; Benkaddour, 1993) (Fig. 1).

À l’exception d’un segment manquant entre 13 et 14 m deprofondeur qui a échappé lors du carottage, la sédimentation estcontinue et recouvre l’ensemble de l’Holocène. La chronologiede la succession s’appuie sur 11 datations au radiocarbone, dontquatre sur matière organique totale et sept sur carbonates,

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Fig. 1. Bassin versant des lacs de Tigalmamine (trait interrompu) et localisation du sondage C86 dans le lac central (d’après Lamb et Kaars, 1995).Fig. 1. Catchment area of the Tigalmamine lakes (dashed line) and location of core C86 in the central lake (adapted from Lamb et Kaars, 1995).

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effectuées sous la direction de J.C. Fontes au laboratoired’hydrologie et de géochimie isotopique, université de Paris-Sud, Orsay (El Hamouti et al., 1991 ; Benkaddour, 1993 ; Lambet Kaars, 1995). Les sédiments consistent essentiellement enmarnes et marno-calcaires dans lesquels s’intercalent desniveaux plus argileux (Lamb et Kaars, 1995).

L’ensemble des 16 m de la carotte a été échantillonné tousles 10 cm. Une quantité initiale de 5–10 g de sédiment brut a étéséchée à 60 8C et soumise ensuite à un lavage-tamisage avecune ouverture de maille de 125 mm. Les gyrogonites ont étécomptées et isolées sous la loupe binoculaire et leur nombreramené à la fréquence par gramme de sédiment. La présence defragments de l’appareil végétatif a été notée.

4. Résultats

4.1. Charophytes actuelles

4.1.1. DescriptionClasse CHAROPHYTA Migula, 1890Ordre CHARALES Lindley, 1836Famille CHARACEAE L.Cl. Richard, 1815Genre Chara Linnaeus, 1753Chara hispida Linnaeus, 1753

Description des plantes : Espèce monoïque ; plantes de 0,8à 1,2 m de hauteur, fortement ramifiées et incrustées ;cortication diplostique aulacanthée ; stipulodes bisériés, courtset pointus ; acicules fasciculés présents seulement sur les entre-nœuds supérieurs des plantes. Phylloïdes au nombre de dix parverticille, les plus anciens ayant plus de 6 cm de longueur, avecquatre à cinq segments cortiqués, un segment acortiqué et unepointe. Couronne de bractées bien développée jusqu’auxderniers nœuds des phylloïdes.

Caractérisation des gyrogonites (Figs. 2 et 3 ; Tableau 1) :Gyrogonites de grande taille ayant 900–1100 mm de long sur600–750 mm de large, de forme ovoïde à ellipsoïde avec unapex arrondi avec une base souvent étirée en colonne. Spires aunombre de neuf à 11 en vue latérale, bien calcifiées bien querestant planes. Extrémité apicale des spires à tendance concave.Extrémité basale légèrement étirée et tronquée, ce qui forme unpetit entonnoir autour du pore basal. Plaque basale en forme depyramide tronquée, de hauteur variable. Elle est typiquementenserrée dans une cage basale qui prolonge l’oospore àl’intérieur. Présence fréquente d’une tunique en calcitemicrocristalline moulant également la coronule de l’oogone.

Remarques: À la date de la récolte (18 Sept. 2000), lagrande majorité des fructifications était mûre et transformée engyrogonites par la calcification. Elles constituent l’échantillon

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Fig. 2. Chara hispida, histogrammes de la longueur (L), de la largeur (W) et de l’index d’isopolarité (ISI) mesurés sur 100 gyrogonites de plantes actuelles collectéesdans le lac de Tigalmamine en septembre 2000.Fig. 2. Chara hispida, histograms of length (L) width (W) and shape (isopolarity index, ISI) measured on 100 gyrogonites from living plants collected in the lakeTigalmamine in September 2000.

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de référence de l’espèce pour la comparaison avec lesgyrogonites du sondage.

Les gyrogonites des plantes récoltées entre 2–4 m deprofondeur se caractérisent par un grand nombre de spécimensprésentant une enveloppe supplémentaire calcitique, appeléetunique, autour de la gyrogonite (Fig. 3d). Cette enveloppeprovient de l’activité physiologique des parois des cellulesspiralées en réponse à une forte alcalinité des eaux (pH mesurésupérieur à huit). Comme pour d’autres espèces de Characées,cette incrustation externe est favorisée par une forte luminosité(Soulié-Märsche et Vautier, 2004). Elle était absente sur lesspécimens provenant des zones plus profondes du lac.

Tableau 1Chara hispida, valeurs biométriques des gyrogonites de la population actuelledu lac de Tigalmamine établies d’après les mesures de 100 spécimensTable 1Chara hispida, biometrical parameters of the gyrogonites from the modernpopulation of lake Tigalmamine, based on 100 measurements

Longueur(L) (mm)

largeur(w) (mm)

ISI :100 L/w

N 100 100 100MIN 856 578 129MAX 1120 773 170MOY 982 667 148VAR 2859 1626 85Écart-type 53,47 40,32 9,20COEF VAR 5,44 6,04 6,24Err std 5,37 4,05 0,92I de C 972–993 659–675 145–149

N : nombre de gyrogonites mesurées ; MIN : valeur minimale ; MAX : valeurmaximale ; MOY : moyenne statistique ; VAR : variance s2 ; COEF, VAR :coefficient de variation : 100 s/moy ; Err std : erreur standard ; I de C : intervallede confiance de la moyenne à 95 %.(L): length; (w): width; N: number of measurements; MIN: lowest value; MAX:highest value; MOY: mean; VAR: variance s2; COEF VAR: variation index asof 100 s/mean; Err std: standard error; I de C: confidence interval at 95%.

4.1.2. Répartition des charophytes dans le lacChara hispida formait un herbier très dense disposé en

couronne, entre 2 et 9 m de profondeur, dans le lac (Fig. 4). Lazone en dessous de 9 m et jusqu’à 16 m de profondeur étaitdépourvue de toute végétation. La zone végétalisée était pluslarge sur la rive Est grâce à une pente faible et progressive dusubstrat. La zone entre zéro et 2 m de profondeur montraitseulement des pieds épars de Chara vulgaris et de C.globularis.

4.2. Charophytes fossiles

4.2.1. DescriptionLes gyrogonites isolées dans les sédiments du sondage

possèdent la même morphologie que celles récoltées sur lesplantes actuelles et se rapportent toutes à Chara hispida. Ellessont très bien calcifiées, et gardent des spires planes, séparéespar des sutures simples. La variabilité morphologiquecorrespond à celle observée sur les plantes actuelles deTigalmamine et aussi à celle décrite pour une population deChara hispida major du Sud de la France, illustrée par Soulié-Märsche (1989 : Pl. 18 et 23). La comparaison avec le matérielactuel confirme la détermination faite à l’origine sur le seulmatériel de sondage (Soulié-Märsche in Benkaddour, 1993).Des gyrogonites provenant de différentes profondeurs sontillustrées sur la Fig. 3(e–i). Il est à noter que les oosporesorganiques, de couleur noire, sont préservées à l’intérieur desgyrogonites jusque dans les échantillons de la base du sondageà -15,95 m. Cela indique que le matériel, tout comme lariche séquence pollinique, n’a pas été sujet à oxydationni à assèchement et suggère la permanence de conditionsaquatiques lors de l’enfouissement. Cet état de conservationcontraste par rapport à celui de matériel provenant de lacstemporaires dans lesquels les gyrogonites sont rapidementvidées de leur contenu organique.

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Fig. 3. Gyrogonites de charophytes du lac de Tigalmamine. (a–d) : Gyrogonites actuelles de Chara hispida récoltées en septembre 2000 ; (d) : spécimen portant unetunique d’incrustation de calcite physiologique moulant la coronule de l’oogone ; (e–i) : Gyrogonites fossiles Chara hispida provenant de différentes profondeurs dusondage soit ; (e) : de -4,70 m ; (f) : de -5,10 m ; (g) : de -11,51 m, spécimen portant une tunique ; (h) : de -11,90 m ; (i) : de -14 m. Barres d’échelle : 250 mm.Fig. 3. Charophyte gyrogonites from lake Tigalmamine. (a–d): Extant gyrogonites of Chara hispida collected in September 2000; (d): specimen incrusted with outercoat of physiological calcite and moult of the coronula; (e–i): Fossil gyrogonites of Chara hispida from core samples of different depths as follows; (e): from -4,70 m;(f): from -5,10 m; (g): from -11,51 m, specimen with calcareous moult; (h): from -11,90 m; (i): from -14 m. Scale bars: 250 mm.

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4.2.2. Répartition dans le sondageLa fréquence des gyrogonites en fonction de la profondeur

du sondage marque plusieurs zones de forte abondance allantjusqu’à 100 individus par gramme de sédiment sec (Fig. 5). Lasuccession est présentée ici en corrélation avec sept zonesdéfinies précédemment par un ensemble d’analyses paléolim-nologiques, faisant appel aux diatomées, ostracodes et analysesgéochimiques (El Hamouti, 1989 ; Benkaddour, 1993). Lecadre chronologique de la succession se réfère aux travauxantérieurs et s’appuie sur 11 datations 14C établies aulaboratoire d’hydrologie et de géochimie isotopique del’université Paris-Sud, Orsay (El Hamouti et al., 1991 ;Benkaddour, 1993 ; Lamb et al., 1995 ; Lamb et Kaars, 1995).

La répartition verticale des charophytes dessine unealternance de zones avec et de zones sans gyrogonites quipermettront une interprétation significative des conditionshydrologiques du lac. De la base au sommet, la séquence seprésente comme suit :

Zone I (16,00–13,90 m) : marquée par des passagesprogressifs de niveaux avec et niveaux sans gyrogonites. Lateneur en gyrogonites est faible (< 6 individus) et irrégulière.Cette zone est suivie d’une lacune d’observation de 0,90 m desédiments due à un incident lors du carottage (Lamb et Kaars,1995).

Zone II (12,98–11,16 m) : sédiment composé à 90 % decarbonates biogéniques, essentiellement formés de fragments

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Fig. 4. Distribution bathymétrique et extension de l’herbier à Characées actuelles dans le lac de Tigalmamine central et emplacement du sondage à 16 m deprofondeur.Fig. 4. Present-day bathymetric range and distribution of the Charophyte meadow in lake Tigalmamine central and location of the core site at 16 m depth.

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de thalle de charophytes préservés grâce à leur incrustation pardes carbonates ; apparition de gyrogonites abondantes vers lehaut de cette zone entre -12 et -11 m.

Zone III (11,16–8,60 m) : sédiment essentiellement argilo-marneux, avec des passages de lamines argileuses, ne contenantpas de thalles de charophytes ; présence occasionnelle degyrogonites.

Zone IV (8,60–7,60 m) : présence continue de charophytes ;échantillons riches en thalles et en gyrogonites, avec desfréquences jusqu’à 40 individus par gramme.

Zone V (7,60–6,85 m) : sédiments laminés sans charo-phytes.

Zone VI (6,85–4,45 m) : marquée par une alternance deniveaux extrêmement riches en gyrogonites avec localementplus de 100 individus par gramme de sédiment sec et dequelques portions, de 20 cm environ, où ces fossiles sonttotalement absents.

Zone VII (4,45–0,00 m) : à l’exception de cinq spécimensisolés à la profondeur de -3,17 m, cette zone est dépourvueaussi bien de thalles que de gyrogonites.

Il est à noter que les sédiments les plus récents, entre 0 et -4 m de profondeur du sondage, et notamment aussi ceux del’actuel fond du lac, soit sous 16 m d’eau, ne contiennent doncpas de gyrogonites alors que ces plantes sont abondantes surtoute la frange du lac. En effet, du fait de la forte densité de lavégétation dans un herbier à Characées, les fructifications sesédimentent dans un rayon très étroit autour des plantes. Lesgyrogonites ne sont donc pas disséminées en dessous de la zone

de brassage de l’eau et leur présence dans le sédiment indiquebien l’emplacement de l’herbier d’origine.

5. Discussion

Par comparaison avec la situation actuelle, l’abondancedes gyrogonites dans les différents niveaux du sondage(Fig. 5) fournit des indications sur la profondeur de l’eau dansle centre du lac et permet de retracer les fluctuationsbathymétriques dans la cuvette de Tigalmamine central. Troispoints sont à prendre en considération pour l’interprétationdes fréquences :

� l’

herbier à Chara hispida forme actuellement une ceinture devégétation dense entre 2 et 9 m de profondeur et s’arrête à lathermocline qui se situe à 9 m de profondeur. Cela fournit uneréférence bathymétrique générale pour la profondeuroriginelle des échantillons du sondage ; � le s gyrogonites représentent des fossiles autochtones à

l’image de la végétation aquatique. En effet, lorsque lesfructifications se détachent des plantes, elles sont rempliesd’amidon et se sédimentent dans un rayon très étroit autourdes plantes. Leur dispersion est en plus empêchée par la fortedensité de l’herbier. L’absence de gyrogonites dans lessédiments superficiels du sondage montre bien que lesgyrogonites ne sont pas entraînées vers les zones profondes.En revanche, les débris de thalle représentent de simplestubes creux qui peuvent facilement être entraînés ;

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Fig. 5. Fréquence et répartition des gyrogonites de Chara hispida dans lesondage de Tigalmamine (C86) en corrélation avec le profil lithologiquesimplifié (d’après Benkaddour, 1993). 1 : marnes argileuses ; 2 : marnescalcaires ; 3 : argiles. Chronologie d’après Lamb et al. (1995). Zones I–VIIcorrespondent aux différentes phases de niveaux lacustres discutées dans letexte.Fig. 5. Frequency and distribution of Chara hispida gyrogonites in the core ofTigalmamine (C86), correlated with simplified lithological column (after

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� la

reproduction sexuée des charophytes en général, et deChara hispida en particulier, est favorisée par une forteluminosité et un stress hydrique alors que des conditionshydrologiques stables favorisent la reproduction végétative.Chara hispida possède la faculté de régénérer à partir debulbilles nodales qui sont des réserves sous forme d’amasd’amidon dans les cellules des nœuds à la base des plantes.Ainsi, les niveaux à forte concentration en gyrogonitescorrespondent à la partie supérieure de l’herbier, soit à desprofondeurs entre 2 et 5 m.

Sur cette base, l’interprétation de la présence/absence decharophytes fossiles sur les 16 m de sondage permet de définirtrois types de paléobathymétrie :

� le

Bechla

s zones avec une présence très abondante de gyrogonites,correspondant à des phases où la partie supérieure del’herbier, la plus fructifère, avait complètement migré vers lecentre du lac qui ne devait alors plus que avoir 2–5 m d’eau ;

� le s zones avec une présence faible à modérée de gyrogonites

(moins de 20 individus), représentant des stades de bas niveaulacustre par rapport à l’état actuel, lorsque la partie inférieurede l’herbier où la production de gyrogonites est faible,poussait jusque dans le centre du lac, ce qui suggère uneprofondeur maximale de 11 m ;

� le s zones sans charophytes, correspondant à des stades de

haut niveau lacustre. Compte tenu des 16 m de dépôtsaccumulés depuis le début du fonctionnement de cethydrosystème, la profondeur maximale possible au débutde l’Holocène était de 32 m et s’est donc réduite au fur et àmesure du comblement par les sédiments lacustres. Lasédimentation continue, comprenant notamment des portionsavec des lamines argileuses non perturbées, permet d’exclureun événement tectonique qui aurait pu provoquer unaffaissement du fond du lac.

Ce type d’interprétation a été utilisé pour le paléolac de ElHajad (Taoudenni, Mali) où l’on disposait d’une coupe centraleet une coupe littorale. Alors que les gyrogonites de Characées,en l’occurrence l’espèce tropicale Chara zeylanica, étaientprésentes tout au long de la coupe littorale, elles disparaissaientdans le centre du paléolac dans les niveaux qui correspondaientà une profondeur d’eau supérieure à la tolérance de l’espècepour réapparaître dans la phase finale d’assèchement du lac(Soulié-Märsche, 1993).

Chara hispida est un taxon de répartition essentiellementeuropéenne et n’est connu que de quelques rares localitésactuelles en Afrique du Nord. Au Maroc, l’espèce a été signaléedans un lac du Haut Atlas, à 2180 m d’altitude et dans le lacOuiouane à 1600 m dans le Moyen Atlas (Gayral, 1954). Le lacde Tigalmamine représente une nouvelle station pour cetteespèce et son identification dès la base du sondage suggèrequ’elle y persiste depuis le début de l’Holocène jusqu’à nos

nkaddour, 1993). 1: clay marls; 2: calcareous marls; 3: clay. Radiocarbonronology after Lamb et al. (1995). Zones I–VII correspond to the differentcustrine phases discussed in text.

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Fig. 6. Répartition spatiale de l’herbier à charophytes (en grisé) dans le lac de Tigalmamine à différentes périodes de l’Holocène : (a) : 10.220 et 8000 BP, période defortes variations de la profondeur ; (b) : 6800 à 6200 BP, phase de régression, l’herbier a migré jusqu’au centre du lac ; (c) : 6200 à 4400 BP, période de haut niveaulacustre avec connexion des trois lacs et évacuation du trop plein du lac central vers le lac inférieur. L’herbier à charophytes est supposé avoir persisté dans les zonesmoins profondes du lac ; (d) : 3000 à 1700 BP, période avec phases de très bas niveaux lacustres.Fig. 6. Spatial distribution of the Charophyte meadow (grey shadowed zone) in lake Tigalmamine at different Holocene time-slots: (a): 10,220 to 8000 BP, period witha wide range of water level changes; (b): 6800 to 6200 BP, regression phase, the meadow migrated down into the center of the lake; (c): 6200 to 4400 BP, period ofhigh lake level, with connection of the three lakes and outflow from the central lake to the lower lake. The charophyte meadow is supposed to have persisted in theshallow parts of the lake; (d): 3000 to 1700 BP, period with phases of very low lake level.

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jours. Par comparaison avec la situation actuelle, où elle poussejusqu’à la thermocline de 9 m, l’alternance des passages avec etsans gyrogonites dans le sondage indique, avec une forteprobabilité, que l’herbier à C. hispida avait suivi les oscillationsdu niveau lacustre, signifiant que, pendant les hauts niveauxlacustres, l’espèce avait non pas disparu, mais plutôt qu’elleavait migré vers les zones extérieures du lac, comme c’est le casaujourd’hui.

L’alternance de zones avec et sans Characées le long dusondage conduit à mettre en évidence quatre phases de basniveau lacustre au cours de l’Holocène. Insérés dans le cadrechronologique des travaux antérieurs, les changements du lac sedessinent comme décrits ci-dessous (Fig. 6).

La phase initiale du lac, de 10 220 à 8000 BP (Fig. 6a), paraîtmarquée par de fortes fluctuations du niveau. À la base dusondage, le nombre de gyrogonites relativement faible et

irrégulier peut être assimilé à une profondeur oscillant entre 8 et11 m. Les interruptions par des passages sans gyrogonites sontinterprétées comme étant de premiers hauts niveaux lacustres.La profondeur restait importante ensuite jusqu’à environ 6800BP.

Un bas niveau se dessine pendant la période de 6800 à 6200BP avec une nette augmentation du nombre de gyrogonites(Fig. 6b). Cette phase correspond à une régression du lac, dontla tranche d’eau au centre est estimée à 5–8 m.

La période de 6200 à 4400 BP a vu de nouveau l’installationd’un lac profond qui, à l’exception de trois apparitionssporadiques, se traduit par l’absence générale de gyrogonitesdans les sédiments. Néanmoins, on peut supposer que l’herbierà Characées avait migré vers les zones moins profondes etprotégées du lac. La présence d’éléments détritiques dans lessédiments suggère qu’à certains moments les trois lacs étaient

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en connexion et que le lac déchargeait son trop plein vers le lacinférieur au Sud (Benkaddour, 1993). Compte tenu de laprofondeur actuelle, 16 m, et de la position de cette zone dans lesondage (de -11 à -8,8 m), la profondeur totale du lac à cettepériode devait être de 26 à 24,8 m.

Une nouvelle phase de bas niveau lacustre entre 4400 et4000 BP était similaire à celle enregistrée entre 6800 et 6200BP. Elle est suivie d’une transgression du lac qui aura gardé unhaut niveau jusqu’à 3000 BP.

La période de 3000 à 1700 BP a globalement connu le niveaule plus bas. Avec des teneurs allant jusqu’à 100 gyrogonites pargramme, les conditions pour la reproduction sexuée de Charahispida étaient optimales. Cela signifie que l’herbier poussaitau centre du lac qui n’avait alors plus qu’entre 2 et 5 m d’eau.Cette zone montre, cependant, de grandes variations defréquence des gyrogonites et même de courts passages sansCharacées. Cette forte variation pourrait correspondre à unesuccession de changements climatiques rapides et de courtedurée comme cela a été suggéré dans la reconstitutionpaléoclimatique à partir de l’analyse pollinique (Cheddadiet al., 1998). Après 1700 BP ans environ, la « cuvette » deTigalmamine s’est de nouveau remplie pour atteindre le niveauactuel du lac.

Les différents stades, tracés à l’aide des Charophytes,dessinent une succession des changements hydrologiques aucours du temps et donnent une image, bien sûr simplifiée, del’évolution du lac. Cette alternance confirme dans les grandeslignes les résultats des analyses antérieures. Une différenceimportante cependant concerne le début de la zone II, entre 13et 12 m, juste après le segment manquant, qui n’a pas révélé degyrogonites de Characées et serait donc à considérer commeune période de haut niveau. Les diatomées de cette partiemontrent une large dominance de formes considérées commetypiques pour de faibles profondeurs, et suggèrent même unpossible assèchement du lac (El Hamouti et al., 1991). Lacomposition chimique des valves d’ostracodes indique unconfinement du milieu (Benkaddour, 1993). Dans ce cas,l’absence de Chara hispida dans ce tronçon serait due à uneprofondeur trop faible accompagnée d’une certaine eutrophi-sation du milieu. De telles conditions, en effet, sontdéfavorables au développement de cette espèce. Il est étonnant,néanmoins, qu’elle n’ait pas été remplacée par Chara vulgaris,beaucoup plus tolérante à une dégradation du milieu et querien dans la lithologie n’indique cette réduction sévère dela profondeur. Chara hispida n’aurait alors apparu denouveau seulement lors de la remontée du niveau d’eau àpartir de 6800 BP.

6. Conclusions

Le lac de Tigalmamine présente un cas rare en Afrique duNord où les données paléolimnologiques peuvent êtreconfrontées directement aux conditions actuelles qui serventainsi de base à l’interprétation des fossiles. Le lac possède àprésent une ceinture macrophytique de Chara hispida quis’arrête strictement à la thermocline à 9 m de profondeur.L’analyse qualitative et quantitative des gyrogonites dans le

sondage de 16 m dans le centre du lac met en lumièrel’existence de quatre stades majeurs de bas niveau lacustre aucours de l’Holocène.

D’après les charophytes, la plus faible profondeur, avec unelame d’eau de seulement cinq mètres, se situe entre 2800 et1700 BP. Cela suggère une période de sévère aridité encomparaison avec les précipitations actuelles de 930 mm/an quimaintiennent le niveau d’eau à 16 m. Par rapport aux donnéespluridisciplinaires antérieures, l’étude des charophytes fournitdes valeurs plus précises sur les phases de shallow-waterauparavant définies par la flore des diatomées. Les Characéess’avèrent ici être un indicateur de paléobathymétrie qui vientutilement compléter les données des organismes planctoniques.Les gyrogonites de charophytes, en tant que reflet desvégétations submergées benthiques, représentent des fossilesautochtones qui peuvent être de bons bio-indicateurs servant àcompléter la reconstitution paléoenvironnementale (Soulié-Märsche, 1991, 2002).

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier H. Lamb pour avoir permisle reéchantillonnage de la carotte de Tigalmamine, effectué parA. Benkaddour. Ce travail a bénéficié d’un soutien du CMIFMdans le cadre de l’action intégrée franco-marocaine no 00/220/STU. Publication ISE-M no 2007-051 de l’institut des sciencesde l’évolution de Montpellier.

Références

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