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Chikungunya, le risque existe aussi en métropole

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Actualités pharmaceutiques n° 513 Février 2012

Chikungunya, le risque existe aussi en métropoleQue ce soit par mutation du virus, manque d’efficacité des moyens de contrôle

des vecteurs, globalisation et émergence d’un hôte beaucoup plus résistant,

le chikungunya, après une période d’accalmie, est en progression partout dans

le monde. La maladie est même arrivée en France métropolitaine après les épidémies

qui ont touché certains territoires d’Outre-mer en 2005-2006. En l’absence

de traitement efficace et de vaccination, la seule stratégie d’éviction repose

sur la prévention individuelle et collective.

Le chikungunya est une arbovirose présente dans de nombreuses régions du monde, transmise par les moustiques du genre Aedes.

En France, le chikungunya a touché, depuis 2005, environ 266 000 personnes à La Réunion, 60 000 à Mayotte, et quelques dizaines en métropole où quel-ques cas autochtones ont également été décrits. Depuis 2006, le chikungunya est une pathologie à déclaration obligatoire en France.

Si les efforts doivent être dirigés vers l’Outre-mer, entité la plus touchée et la plus à risque, en compa rai son avec la situation rencontrée en métropole, il est essentiel de prévenir l’émergence de la maladie en France métropolitaine. Le phar-macien d’officine détient une place importante en se faisant le relais des campagnes d’éducation sanitaire et en jouant son rôle dans la veille sani-taire et le suivi des patients.

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Aedes aegypti.

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Le vecteur de la maladie, un moustiqueLe vecteur du chikungunya est un moustique, du genre Aedes.À la Réunion, les espèces mises en cause sont Aedes albopictus (le “moustique tigre”, majoritaire sur l’île) et Aedes aegypti, cependant plus présent à Mayotte.En France métropolitaine, Aedes albopictus est présent dans le sud-est de la France hexagonale (Alpes-Maritimes, Alpes-de-Haute-Provence, Var, Bouches-du-Rhône , Haute-Corse et Corse-du-Sud).

Le virus du chikungunyaLe virus du chikungunya (CHIKV) est un arbovirus appartenant à la famille des Togaviridae et au genre des alphavirus. C’est donc un virus à ARN monocaté-naire de polarité positive, à réplication cytoplasmique. Il n’est sensible à aucun médicament antiviral connu, mais il l’est à certains désinfectants : l’éthanol à 70 %, l’hypochlorite de sodium à 1 %, le glutaraldéhyde à 2 % et les solvants des lipides.Le CHIKV est inactivé par la chaleur (sèche ou humide) supérieure à 58 °C et il est sensible à la dessic ca tion. Sa capacité de survie à l’extérieur de l’hôte est infé-rieure à 24 heures in vitro.

Les modalités de transmission du virusLorsque le moustique femelle s’infecte lors du repas sanguin, le virus migre vers ses différents organes, dont les glandes salivaires et les organes reproducteurs. Il peut alors passer dans les gamètes de la femelle et se transmettre ainsi à la descendance du moustique. Une descendance femelle est alors à même d’infecter un hôte par piqûre. Un descendant mâle ne le peut pas mais, en revanche, ses gamètes peuvent être infectés, ce qui lui permet de transmettre à son tour le virus à sa descendance.

Dès que le virus se trouve dans les glandes salivaires, il passe dans la salive du moustique. Or, lors du repas sanguin, le moustique injecte un peu de salive dans la plaie. C’est à l’occasion du contact entre le sang de la victime et la salive d’Aedes que le CHIKV passe de l’un à l’autre pour infecter l’hôte.Chez l’homme, le virus migre vers de nombreux orga-nes, essentiellement les articulations, les muscles et la peau, mais aussi parfois le système nerveux central , le cœur ou les yeux.Le CHIKV est soupçonné de se loger dans les cellules immunitaires pour y rester à l’état latent, provoquant des rechutes.

La maladie “chikungunya”Le terme chikungunya désigne à la fois le virus et la pathologie qu’il provoque. Le chikungunya est une maladie pouvant s’expri-

mer sous des formes très diverses, bien que la forme typique se caractérise par une forte fièvre accompa-gnée d’intenses douleurs articulaires. Ces deux symp-tômes sont retrouvés dans 97 % des cas.Les signes cliniques sont divers et peu spécifiques, mais des arthralgies violentes (typiques de la mala-die), des douleurs musculaires et de la fièvre sont en général retrouvées.Les autres signes cliniques peuvent être des cépha-lées, des rachialgies, une conjonctivite, parfois une fièvre hémorragique ou des hémorragies bénignes, souvent un érythème (la plupart du temps non pruri-gineux) et une hépatite. Dans sa forme typique, le temps d’incubation est

de 4 à 7 jours, à l’issue duquel survient soudain un épisode fébrile accompagné d’arthralgies (touchant surtout les extrémités des membres tels que poignets , chevilles, phalanges, avec tuméfaction et raideur), de myalgies, de céphalées, d’une conjonctivite, d’un érythème maculopapuleux diffus ou non, géné-ralisé ou localisé (tronc, visage, membres), parfois d’hémor ragies (hémor ragies gingivales notamment, mais aussi fièvre hémorragique). Aucune adéno pathie n’est notée, mais des hépatites surviennent en phase aiguë. L’évolution clinique est en général rapide-

ment favorable (quelques jours), mais la maladie peut aussi devenir chronique, avec des arthralgies persis tan tes parfois incapacitantes, accompagnées ou non de fièvre, voire des pathologies articulaires dégénératives (les données ne permettent cependant pas d’impu ter ces pathologies au virus de manière certai ne). Lors de ces rechutes articulaires, le sujet n’est pas contagieux (en l’absence de virémie, le patient ne peut plus transmettre le virus à un mous-tique qui le piquerait).

À propos d’Aedes albopictusAedes albopictus est un moustique d’origine tropicale

qui se caractérise par sa forte plasticité écologique. Il est

capable de s’adapter à des milieux très différents et a été

notamment retrouvé jusqu’à plus de 1 500 mètres d’altitude.

Ses œufs résistent très bien au froid et à la dessiccation,

ce qui leur permet de voyager et de survivre aux hivers des

régions tempérées. Sa durée de vie est d’environ un mois,

avec un rayon d’action de 50 à 100 mètres.

Seule la femelle est hématophage, avec une activité diurne

et un pic d’agressivité à l’aube et au crépuscule.

Ce moustique est urbain et son hôte de prédilection

est l’homme, mais il s’accommode très bien d’une vie rurale

et d’hôtes animaux.

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La convalescence, après la phase aiguë, peut durer plusieurs semaines, avec une réapparition de l’éruption cutanée tous les 3 à 7 jours. Elle est, par ailleurs, marquée par une asthénie.Le chikungunya procure une immunité acquise aux personnes qui ont été infectées. En revanche, un sujet ayant été infecté par le CHIKV devra le signaler lors d’un don de sang, qui sera alors refusé. Quelques rares cas d’atteintes méningo-

encéphalitiques et de transmission materno-fœtale (lorsque la mère est en phase de virémie au moment de l’accouchement) ont été, pour la première fois, décrits lors de l’épidémie réunion-naise en 2005-2006. Le CHIKV n’étant pas retrouvé dans le lait maternel, l’allaitement n’est pas contre-indiqué. La maladie peut également s’exprimer sous

des formes atypiques, dans 3,6 ‰ des cas (chif-fres issus de l’épidémie réunionnaise en 2005-2006), parmi lesquels 30 % de formes graves. Ces formes atypiques sont représentées à 39 % par des manifes-tations digestives et à 34 % par des manifestations neuro logiques. Elles ont été retrouvées essentielle-ment chez des personnes fragilisées par ailleurs.

Un diagnostic clinique et biologiqueLe diagnostic clinique se réalise rapidement devant une association fièvre intense/arthralgies majeures en l’absence de tout point d’appel infectieux. Les trai-tements disponibles n’étant que symptomatiques, ils doivent être mis en place immédiatement.

Le chikungunya est une pathologie à déclaration obli-gatoire et, devant toute suspicion, une confirmation biologique doit être demandée. Celle-ci peut se faire par recherche de l’ARN viral dans le sang par Reverse transcriptase-Polymerase chain reaction (RT-PCR) entre J0 et J5 après le début de la phase sympto-matique, puis par recherche dans le sang des IgM à partir de J5 et des IgG à partir de J15.

Un traitement uniquement symptomatiqueLes seuls traitements disponibles sont symptomati-ques. Ils devront être mis en place le plus vite possi-ble, le patient devant faire l’objet d’une surveillance accrue (apparition de complications ou décompen-sation de comorbidités).En première intention, le paracétamol, associé à une réhydratation, doit être administré au patient. Les antalgiques de palier supérieur peuvent être utili-sés si besoin, mais les anti-inflammatoires non stéroï-diens (AINS) sont proscrits compte tenu du risque hémorragique lié à l’infection. Les éventuels traite-ments chroniques doivent être adaptés à la nouvel le situation sanitaire du patient.Une kinésithérapie à but antalgique peut être pres-crite en complément des médicaments.Toute forme atypique chez le jeune enfant doit être orientée vers les services d’urgences.Pour éviter une contamination des proches, il est primordial que le patient et l’entourage se protègent contre les piqûres de moustiques pendant au moins

À savoirLa mortalité

toucherait 0,3 ‰

personnes

atteintes,

avec le virus du

chikungunya porté

en comorbidité,

et non comme

cause primaire,

sur les certificats

de décès.

Elle concerne donc

des personnes

très âgées

et/ou affaiblies par

des pathologies

préexistantes.

Actualités pharmaceutiques : Que signifie le mot chikungunya ?Sylvie Rogez : Chikungunya signifie, en langue makondé (sud-est de la Tanzanie, nord-est du Mozambique), « marcher courbé », ce qui caractérise la posture des personnes infectées. Le terme désigne indistinctement la maladie et le virus (CHIKV).

AP : Le chikungunya est-il une maladie bactérienne ou virale ?S. R. : Le chikungunya est bien une maladie virale. Le virus, initialement isolé en 1953, est un arbovirus, c’est-à-dire un virus transmis par un arthropode. Le CHIKV appartient au genre alphavirus,

famille des Togaviridae. Les alphavirus sont nombreux, regroupés en trois groupes principaux et vingt-huit sous-groupes, chaque sous-groupe réunissant un nombre variable de souches ou de variants.Le CHIKV est proche d’autres virus causant des atteintes articulaires chez l’homme, comme le Ross River virus en Australie, le Mayaro virus en Amérique du Sud et en Guyane, ou encore le Semliki Forest virus en Afrique et en Eurasie. Ces virus sont très variables et peuvent donc s’adapter facilement. Il semble ainsi, qu’au cours de l’épidémie réunionnaise de 2005-2006, une mutation sur la protéine

d’enveloppe E1 ait permis au CHIKV de s’adapter à Aedes albopictus en s’y multipliant de manière efficace alors que ce moustique n’était initialement pas connu pour en être un vecteur.

AP : Est-il possible de contracter le chikungunya en France ?S. R. : Le CHIKV est surtout présent en Afrique et en Asie du Sud-Est. Cependant, les évolutions climatiques ont introduit A. albopictus dans le sud-est de la France, région qui est donc placée sous haute surveillance, l’objectif étant aujourd’hui de restreindre l’implantation et la diffusion de cette virose.

Un virus qui s’adapte facilementEntretien avec Sylvie Rogez, professeur des universités, praticien hospitalier, Service de microbiologie, Centre hospitalier universitaire, Limoges (87)

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sept jours après la date d’apparition des symptômes (période de virémie au cours de laquelle le patient est contagieux).Lors des phases de rechute, les traitements sont antalgiques et anti-inflammatoires, administrés éven-tuellement par voie locale.

Une double préventionAucun traitement spécifique n’étant disponible à ce jour, la prévention contre le chikungunya est primordiale.Il n’existe pas de vaccin (même si des recherches sont en cours), et l’évitement des piqûres ou le contrôle des populations de moustiques sont indispensables. Ces deux aspects sont imbriqués, et doivent être consi-dérés à la fois sous l’angle individuel et collectif. Sur le plan individuel

La protection contre les piqûres de moustiques se réali se grâce au port de vêtements longs, l’emploi de répulsifs et de moustiquaires de lit, mais aussi en proté-geant les habitations par l’utilisation de spirales impré-gnées d’insecticide, de diffuseurs électriques d’insecti-cide ou de moustiquaires au niveau des ouvertures.Le contrôle des populations de moustiques nécessite une implication individuelle en limitant les zones de pontes potentielles : pas d’eau stagnante, évacuation des eaux de gouttières, traitement des piscines, etc.

Sur le plan collectifLa lutte collective s’établit selon plusieurs axes :– la surveillance entomologique a pour but d’iden-tifier et d’évaluer les populations de vecteur afin de pouvoir définir des seuils d’alerte et des zones d’intervention ;– la lutte mécanique contre Aedes consiste en la destruc tion des lieux de pontes connus et potentiels du moustique ;– la lutte adulticide se réalise par l’épandage, par voie aérienne ou terrestre, de deltaméthrine, un pyréthri-noïde de synthèse peu toxique pour les mammifères, mais toxiques pour les organismes aquatiques ;– la lutte larvicide consiste en l’épandage de Bacillus thuringiensis israelensis (Bti), un insecticide biologique ;– l’éducation sanitaire vise à faire prendre conscience à la population de l’importance de la lutte contre le vecteur afin de limiter les foyers épidémiques. �

Arnaud Dufraisse

Docteur en pharmacie, Excideuil (24)

[email protected]

Gilles Dreyfuss

Professeur des universités, Faculté de pharmacie de Limoges (87)

[email protected]

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Rôle du pharmacien d’officine face au chikungunyaFace au chikungunya, le pharmacien d’officine a un rôle à jouer au niveau de l’éducation

sanitaire, mais aussi du dépistage dans les zones concernées par le moustique vecteur.

Il est tout d’abord essentiel de connaître le syndrome dit Dengue-like. Celui-ci est

caractérisé par une fièvre d’apparition brutale supérieure à 38,5 °C associée à un

ou plusieurs des symptômes non spécifiques suivants : douleurs musculo-articulaires,

manifestations hémorragiques, céphalées frontales, asthénie, signes digestifs, douleur

rétro-orbitaire, éruption maculo-papuleuse, en l’absence de tout autre point d’appel

infectieux.

Si ce syndrome est observé, le pharmacien doit questionner le patient sur une infection

ou un voyage récents, sur la date d’apparition des symptômes, etc., et le diriger vers

un médecin pour confirmation biologique, en insistant sur l’importance de se protéger

des piqûres de moustiques si Aedes est présent dans l’environnement.

Dans les départements métropolitains où A. albopictus a été détecté (Alpes-Maritimes,

Alpes-de-Haute-Provence, Var, Bouches-du-Rhône, Haute-Corse et Corse-du-Sud), le

pharmacien doit renforcer sa “vigilance chikungunya” de mai à décembre, pendant les mois

d’activité des moustiques. Dans ces départements, une procédure de signalement accéléré

des cas de chikungunya à l’Agence régionale de santé concernée a été mise en place

de mai à décembre.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.