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Chirurgie, RPC et EBM

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Page 1: Chirurgie, RPC et EBM

Journal de Chirurgie Viscérale (2013) 150, 167—170

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

CORRESPONDANCE

Chirurgie, RPC et EBM�

Recommended clinical practices and evidence-basedmedicine in surgery

Deux éditoriaux récents [1,2] ont évoqué le décalage entreles recommandations factuelles et les pratiques chirurgi-cales au quotidien. Dans le premier article, déclencheur dela riposte du second, l’auteur déplore un manque patentd’adhésion des chirurgiens aux recommandations de pra-tiques cliniques (RPC) fondées sur les meilleurs niveaux depreuve qui constituent la charpente de l’evidence-basedmedicine (EBM). En soi ce décalage, « ce fossé », est unfait. Toutefois, les raisons invoquées par l’auteur forment unensemble négatif que révèlent les termes utilisés : mécon-naissance, désaccords, convictions profondes, difficulté deremise en question, dogmes. . .

Tout au plus l’auteur concède-t-il, du bout de laplume, que l’aspect interprétatif des données factuelles et« l’adaptation des RPC au contexte des pratiques chirurgi-

cales et des patients ne doivent pas être négligés », pourobtenir le consensus général de la profession. Mais la posi-tion de l’auteur tout au long de l’article reste ferme : lapratique chirurgicale doit s’appuyer en permanence sur desdonnées factuelles obtenues à partir d’une méthodologierigoureuse.

Le second article, paru quelques mois plus tard, à l’instardu premier sous forme éditoriale, prend acte également dudécalage entre pratiques et recommandations. Mais, selonses auteurs, les causes sont à rechercher dans les limitesd’une démarche fondée sur la science de la méthodologie.Bien que convaincus, à juste titre, de l’importance des RPCfactuelles, les auteurs soulignent le double décalage tempo-rel, d’une part, entre la promotion d’une technique nouvelleet l’analyse qui en est faite et, d’autre part, entre des RPCfactuelles issues de l’analyse et l’évolution continue destechniques. Les auteurs posent par ailleurs la question dela validité même des analyses de données et du caractèrefiable des méta-analyses.

En réalité, le fond de ce débat est fort ancien et remonteau début du xixe siècle lorsque Cabanis [3], médecin phi-losophe, chef de file des idéologues, proclamait que lamédecine serait un jour l’égale de la science laplacienne quivenait de naître. Autrement dit, le chantier semblait ouvert

� Ne pas utiliser, pour citation, la référence francaise de cetarticle, mais celle de l’article original paru dans Journal of VisceralSurgery, en utilisant le DOI ci-dessus.

1878-786X/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

d’une production de connaissances médicales suivant descritères de prédictibilité, d’objectivité, de reproductibilitéet d’universalité.

La forme moderne de ce rêve d’une médecine scien-tifique est l’evidence-based medicine. D’emblée, il paraîtintéressant de noter que la confrontation permanente avecla pratique a favorisé la substitution, en langue francaise,de la locution « médecine factuelle » à la traduction ini-tiale « médecine basée sur la preuve ». Ce renversement estrévélateur ; c’est que le caractère absolutiste de la preuvedevenait trop encombrant et surtout inadapté, car jugé tropstatique dans un monde en perpétuelle transformation. Oncroyait surtout pouvoir retrouver une certaine objectivitéavec le mot « faits » pour désigner des évènements dontle traitement mathématique, statistique en l’occurrence,devait faire tendre vers zéro le degré d’incertitude et garan-tir la vérisimilitude des assertions. Or, le fait médical n’estpas neutre : le fait médical est construit à partir de lanosologie, de la thérapeutique, de la physiopathologie. . . etdu patient lui-même. À l’évidence, un fait médical n’estpas un fait naturel qui serait soumis à une loi généralevalable en toute circonstance et en tout lieu. En témoignentà contrario les limites actuellement assignées aux essaiscontrôlés randomisés (ECR) soumis à des critères d’exclusionqui obèrent l’extension des résultats à une population géné-

rale. De même les méta-analyses qui, dans les meilleurs descas, combinent les résultats de nombre d’ECR, augmententcertes la puissance statistique mais restent entachées par lasur- ou la sous-représentation de sous-groupes selon les cri-tères d’inclusion ou d’exclusion [4]. La tendance actuellequi repose sur des arguments solides est de considérerque les résultats d’études d’observation sont sensiblementéquivalents aux ECR [5,6]. De surcroît des variations plusimportantes de l’estimation de l’efficacité d’un traitementont été enregistrées pour les ECR en comparaison des étudesde cas. Enfin, et l’auteur du premier éditorial y fait allu-sion, les données factuelles sont parfaitement insensiblesaux données contextuelles.

Pour couronner cet ensemble de préventions vis-à-visd’une trop grande confiance accordée aux RPC factuelles, latransposition à la pratique chirurgicale des règles de l’EBM,édictées à l’origine pour des essais thérapeutiques médica-menteux, ne va pas de soi [7]. De nombreux obstacles certescontournables mais réels se dressent devant l’ambition légi-time et louable de réduire le degré d’incertitude qui estla finalité du traitement statistique des faits médicaux. Aunombre de ces difficultés figurent indéniablement le chi-rurgien, fort de son individualisme et de son expériencesouvent produit d’une école, l’acte chirurgical irréversiblepar nature, mais aussi le patient, dont Sackett et al. eux-

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mized controlled trials. Br Med J 2003;327:1459.[14] Popper K. Conjectures et réfutations. Paris: Payot; 2006.

A.-C. MasqueletService de chirurgie orthopédique et

traumatologique, hôpital Avicenne, AP—HP, 123,

68

êmes, dans sa deuxième version de la définition de l’EBM,vait dit qu’il fallait tenir compte [8].

En réalité, les plus grands succès historiques des ECRroprement chirurgicaux sont ceux qui ont comparé un trai-ement chirurgical à l’absence de traitement en réalisantne chirurgie simulacre dans la seconde situation, ce quist éthiquement discutable [9,10]. Dans les cas habituelse comparaison de deux traitements chirurgicaux [11,12],l y a toujours une surestimation du traitement innovantar rapport au traitement antérieur pour de multiples rai-ons, au rang desquelles il faut relever les transformationsui affectent les populations, la modification des indica-ions induites par l’expérience et le perfectionnement desechniques.

Au terme de ce rapide survol, il est permis d’aller plusoin encore. S’il nous paraît justifié d’émettre des réserves

l’application in extenso de la rationalité scientifique auait médical, on peut s’autoriser également quelques rete-ues à l’égard de la rationalité scientifique. Et ce n’est pase moindre des mérites de la médecine que de nous inci-er à questionner la science. Car la méthode scientifique,ite rigoureuse, procède avant tout par réduction des phé-omènes, par un processus analytique et décontextualisantui assure précisément sa validité universelle. Le fait scien-ifique est lui-même une construction du réel qui sépare unoyau dit objectif et donc manipulable, des significationsxistentielles.

Or, en médecine, le jugement clinique est une tota-ité qui pose la question du sens dans une perspective plusmple que la simple vérifiabilité. Autrement dit, dans le faitédical, les données contextuelles ou existentielles sont

nséparables du reste et la « gouvernance » des indicationshérapeutiques exclusivement par le nombre relève d’unedéologisation de la médecine [13].

On peut en quelques grands traits résumer ce qui pré-ède :

la prétention de l’EBM à énoncer une quelconque véritéest une imposture d’autant que la posture actuelle de lascience est en soi empreinte d’une grande modestie : onne peut pas prouver la validité d’une hypothèse, on nepeut qu’apporter la preuve de sa non-validité [14] ;

l’EBM ne se réduit pas aux ECR et aux méta-analyses, lapratique médicale ou chirurgicale ne se réduit à l’EBM,la connaissance médicale déborde la rationalité scienti-fique ;le problème pour nous, chirurgiens, est celui del’évaluation de l’innovation chirurgicale. En pratique, ilest nécessaire d’établir des comparaisons et, dans cetesprit, d’examiner les diverses options d’études. À cetitre, la tenue des registres à tous les niveaux et les étudesd’observation en toute rigueur autorisent des conclusionsfondées dont le caractère définitif n’est heureusementjamais acquis ;enfin, sans prétendre jouer avec les mots, les recom-mandations ne sont que des recommandations ; lesrecommandations ne sont pas des injonctions. Larecommandation recèle une dimension flexible, un espacede liberté, en un mot une indétermination qui expliqueet permet le salutaire écart de la pratique. Ce n’est quelorsque la recommandation devient opposable formelle-ment que la dérive dogmatique pointe le nez.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

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Correspondance

éférences

[1] Slim K. Gaps between evidence based guidelines and thedaily surgical practices. J Visc Surg 2010;147(6):e337—9,http://dx.doi.org/10.1016/j.jviscsurg.2010.10.007.

[2] Valverde A, Goasguen N, Houdart R, Mosnier H. Current sur-gical practice has rationales that are ignored by medicalguidelines. J Visc Surg 2011;148(2):e75—6, http://dx.doi.org/10.1016/j.jviscsurg.2011.04.003.

[3] Cabanis PJG. Du degré de certitude en médecine in œuvresphilosophiques de Cabanis. Paris: PUF; 1956.

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13] Smith GC. Parachute use to prevent death and major traumarelated to gravitational challenge: systematic review of rando-

route de Stalingrad, 93009 Bobigny, France

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 18 avril 2013

ttp://dx.doi.org/10.1016/j.jchirv.2012.01.017

eut-on toujours suturer une fistulerécoce de gastrectomie longitudinale enoute sécurité ?�

s primary fistula repair always a reasonable optionfter sleeve gastrectomy?

onsieur le Rédacteur en chef,

Nous avons lu avec intérêt le travail de Rebibo et al.,ntitulé « Fistule gastrique postopératoire précoce après gas-rectomie en manchon : stratégie chirurgicale » et paru dans

� Ne pas utiliser, pour citation, la référence francaise de cetrticle, mais celle de l’article original paru dans Journal of Visceralurgery, en utilisant le DOI ci-dessus.