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http://lire.ish-lyon.cnrs.fr/pagesperso/claude_retat.php [email protected] Les références de cet article sont : Claude RÉTAT, « Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis », Chroniques d’histoire maçonnique, n° 50, 1999, p. 5-68. Les notes occupent les pages 54-62 et le commentaire des illustrations (figures 1 à 9) occupe les pages 63-68. L’article a paru avec en encart la reproduction d’un planisphère dépliant de Lenoir : cette planche de grand format (figure 9), n’est pas reproduite ici. Les Chroniques d’histoire maçonnique sont publiées par l’IDERM (Institut d’études et de recherches maçonniques, 16 rue Cadet, F-75009 Paris). Crédit photographique de l’article : bibliothèque du Grand Orient de France, Paris. Reproduction soumise à accord préalable.

Chroniques Dupuis

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Dupuis, French writer, mythology

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Les références de cet article sont :

Claude RÉTAT, « Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis », Chroniques d’histoire maçonnique, n° 50, 1999, p. 5-68. Les notes occupent les pages 54-62 et le commentaire des illustrations

(figures 1 à 9) occupe les pages 63-68.

L’article a paru avec en encart la reproduction d’un planisphère dépliant de

Lenoir : cette planche de grand format (figure 9), n’est pas reproduite ici.

Les Chroniques d’histoire maçonnique sont publiées par l’IDERM (Institut

d’études et de recherches maçonniques, 16 rue Cadet, F-75009 Paris).

Crédit photographique de l’article : bibliothèque du Grand Orient de France,

Paris.

— Reproduction soumise à accord préalable.

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Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis

par Claude RÉTAT

S'étant pourvus d'une lampe et de ce qui était nécessaire pour l'allumer et la rallumer en cas de besoin, ils arrivèrent à la Pyramide lorsqu'il était déjà nuit. (Sethos, L. III)

A u temps où la gloire de Dupuis éclatait, les apologistes de la religion offensée lui

ont promis, en style biblique, un oubli aussi noir que sa méchanceté1.

Il reste de lui surtout le titre de son « grand ouvrage », l'Origine de tous les cultes,

une idée très générale du contenu (les religions expliquées par l'astronomie, par les

positions du soleil), et la date, l'an III de la République. Le premier exemplaire de

l'Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, par Dupuis, citoyen français, 3

volumes de texte, un volume de planches, in-4˚, a été offert à la Convention par l'éditeur,

le citoyen H. Agasse, le 21 fructidor an III (7 septembre 1795 vieux style)2. On connaît

surtout ce livre par son Abrégé (an VI, 1798), qui a assuré la diffusion la plus large du

système de Dupuis, tout au long du XIXe et jusqu'au début du XX

e siècle : on le trouve vers

1900 comme un classique de la libre-pensée. Destutt de Tracy en a fait également une

Analyse3, plus brève et d'une logique plus serrée que l'Abrégé, et qu'on lui oppose parfois,

polémiquement, pour insinuer que le savant Dupuis ne savait pas lui-même se résumer.

On verra notre objet en regardant trois frontispices, qui n'en font que deux, qui, à la

limite, n'en font qu'un : celui de l'Origine de tous les cultes, celui de l'Histoire générale et

particulière des religions, de Delaulnaye (1791), celui de La Franche-Maçonnerie rendue

à sa véritable origine, de Lenoir (1814). Lieu visible de rassemblement, ou de

concurrence, sous la roue du zodiaque (en haut, à gauche).

C'est un tissu autour de Dupuis dont nous voudrions faire apparaître quelques mailles. Il

faut d'abord accepter de faire vivre Dupuis avant son Origine, et même de faire vivre l'Origine

avant l'Origine : un pirate, Delaulnaye, la prend de vitesse en 1791, et lui donne une soeur avant

sa parution. Notre recherche se concentrera sur la question des Mystères : nous suivrons les

lumières de la raison, brandies par Dupuis contre tout ce qui cherche l'ombre, dans leur

circulation de Dupuis à Delaulnaye, et de Dupuis-et-Delaulnaye à Lenoir.

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1795. L'Origine avant l'Origine : Dupuis, Delaulnaye, Leblond.

La notoriété de Dupuis4, en son temps, ne lui est pas venue du « grand ouvrage »

en lui-même (presque dissuasif par son volume) : sa pensée, son travail ont reçu une large

publicité dès avant sa publication : il a simplement consacré et entériné une réputation, il

ne l'a pas faite. Dupuis est Dupuis avant 1795, une référence : sa clef pour interpréter

mythes et religions, connue de tous, commande l'admiration ou l'indignation.

« Charles-François Dupuis est né le 26 octobre 1742, à Try-le-Château, près de

Gisors. Lorsque, le 18 mai 1778, Dupuis vit dans un ancien, qu'Atlas épousa Hespéris, et

qu'il en naquit sept filles, il eut l'idée heureuse que les générations de la mythologie

étaient des levers et des couchers d'étoiles ; et cette idée est devenue pour lui une clef de

toute l'antiquité. » Cette notice est de Jérôme de Lalande5.

Les années 1780-1781 ont vu la consécration sociale, littéraire et scientifique de ce

professeur de rhétorique6, qui s'est fait l'élève de l'astronome Lalande pour mieux

comprendre l'antiquité. Le Recteur de l'Université de Paris le choisit en 1780 pour

prononcer l'oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche. Sa « latinité pure et élégante »

(Michaud) l'avait déjà fait remarquer, et mettre au rang des universitaires les plus

éloquents. Dupuis fait paraître en 1781, d'abord dans l'Astronomie de Lalande (tome IV),

et sous le couvert scientifique de ce dernier, puis en volume séparé, le très important

Mémoire sur l'origine des constellations et sur l'explication de la fable, par le moyen de

l'astronomie, qui constitue le premier corps du système, et fait déjà l'annonce du « grand

ouvrage ».

La première idée du « système » daterait de 17787, déclenchée notamment par une

citation de Chérémon. Lalande est plus précis : il le fait naître le 18 mai, à son cours

d'astronomie8. Plusieurs articles commencent à exposer cette découverte, dès juin 1779, dans le

Journal des Savants. En janvier déjà, Lalande, rendant compte de l'Histoire de l'astronomie de

Bailly, en avait profité pour annoncer les travaux de son élève, et faire leur publicité. Après le

Mémoire de 1781, les articles continuent à paraître assez régulièrement jusqu'en 1786. Il semble

qu'ensuite Dupuis ait surtout rassemblé son travail et préparé l'Origine.

1787 : chaire d'éloquence latine au Collège de France. Si Frédéric n'était pas mort,

Dupuis partait au Collège de Berlin occuper la chaire de littérature, obtenue grâce à Condorcet.

1788 : Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. Cette carrière se prolonge par

l'Institut, dès sa création, en 1795 (Classe de littérature et beaux-arts, section des Antiquités et

Monuments) : stabilité exemplaire dans le passage de l'Ancien Régime à la Révolution.

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Dupuis est député à la Convention de 1792 à 1795. Une carrière politique assez

active commence pour lui9.

Dès 1792, la volumineuse compilation de François Florentin Brunet, Parallèle des

religions10, fait à son système une place importante, cite copieusement. L'auteur,

remarquable du reste pour son esprit amorphe et son absence de sens critique, se

comporte en compilateur respectueux d'une réputation établie et régnante. La même

année, dans un format plus leste, le polémique abbé Lefranc s'excuse, en tête de sa

Conjuration contre la Religion catholique et les Souverains, de ne pouvoir, lui, l'auteur

du Voile levé11, lever le voile sur « l'indécence des réceptions des franches-maçonnes » ;

il entreprend par compensation de « dévoiler au public les projets généraux des

philosophes, des francs-maçons et des clubistes ; de réfuter les ouvrages de MM. Dupuis,

Lalande, Volney et Bonneville, et de donner un abrégé des Rosecroix et des Illuminés »12.

La réfutation de Dupuis est longue, attentive, minutieuse, ce qui donne une idée de

l'importance du réfuté et de son aire : « Pour avoir l'air de ne rappeler les citoyens qu'à la

religion primitive, à la religion universelle de tous les peuples, nos philosophes on élevé

fort haut les premiers essais de monsieur Dupuis sur l'institution du zodiaque et sur ses

rapports avec les dieux du paganisme ». Lefranc conteste la nouveauté du système (ce

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n'est dit-il qu'une reprise des anciens philosophes, païens et idolâtres), nie que l'Egypte ait

été le berceau de la Mythologie (cela « n'aurait pas échappé aux Pères de l'Eglise »), fait

donner par la Sagesse des leçons à « l'enthousiasme du sieur Dupuis sur l'astronomie »,

remet l'horloge de la Création et de la Chronologie à l'heure... Il propose une lecture

suivie et commentée de son adversaire : une affirmation de Dupuis, une réponse de

Lefranc ; cela compose une anthologie intéressante, documentée, de Dupuis à cette date.

La savante polémique des années 1780 entre Dupuis et Legentil est largement exploitée,

Lefranc trouvant en l'astronome et académicien Legentil de quoi donner à sa propre

réponse toute la respectabilité scientifique souhaitable13.

On dit couramment que Volney aurait eu accès aux travaux de Dupuis, au

manuscrit du « grand ouvrage » en train de se faire. La première édition des Ruines (août

1791) renvoie en note au Mémoire de 1781 ; elle montre, dans son interprétation des

religions, une grande proximité de pensée, et les éditions ultérieures manifesteront

l'attachement de leur auteur au système de Dupuis en mettant à jour la bibliographie de

ses ouvrages14. Dès la première édition des Ruines, non seulement la découverte de

Dupuis, celle à laquelle il tient tant, et qu'il lie à sa rencontre illuminante d'un passage de

Chérémon (au point qu'on reconnaît, me semble-t-il, les auteurs inspirés par Dupuis à leur

inclination pour Chérémon15), s'énonce dans des termes qui sont quasiment ceux du

Mémoire de 1781 ; non seulement Volney donne au système, en faisant le tour accéléré

de toutes les religions, christianisme compris, toute l'extension qu'il impliquait, mais que

son auteur n'avait pas encore développée (ce serait presque un Abrégé avant l'Origine !) ;

mais il applique la technique dont Dupuis va faire le plus grand usage, mettre sous les

yeux ce que c'est que les religions, avec des planisphères. La planche III des Ruines donne

le « Tableau du ciel astrologique des Anciens, Pour l'explication des Mystères de la

Religion des Perses des Juifs et des Chrétiens ».

La communication entre les Ruines et l'Origine encore inédite n'aurait rien

d'étonnant, quand on voit qu'en 1791 justement, le travail de Dupuis est presque une

chose publique : du moins engage-t-il un milieu philosophique où les idées, et, bien plus,

les documents circulent. À preuve l'ouvrage que François Henri Stanislas Delaulnaye

commence à faire paraître à cette date, par souscription, une énorme Histoire générale et

particulière de tous les cultes, énorme en intention, car, sur les douze volumes in-4˚ et

trois cents planches prévus16, moins d'un volume a paru, avec huit planches.

Il est stupéfiant de voir le grand ouvrage de Dupuis paraître quasiment avant le

grand ouvrage de Dupuis, et le prenant de court, sous la plume d'un autre. Cela montre

bien que la date de 1795 ne marque pas une naissance, et qu'il ne faudrait pas faire

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commencer Dupuis à son Origine. Le plus curieux est que cet autre n'est pas seulement

un plagiaire ou un compilateur : exploitant le système de Dupuis, comme s'il était fini,

définitif, établi et à disposition, je veux dire s'installant en exploitant dans ce système, et

l'habitant comme chose publique en ami philosophe, il le conteste de l'intérieur, l'annexe

finalement à son propre système, qui lui aussi est radicalement physique, mais d'une autre

nuance. C'est pire qu'une réfutation : une concurrence et un parasitisme.

Concurrence bien informée, parasitisme bien insinué : l'abbé Leblond, ami de

Dupuis (dont il a aidé la carrière en 1787 en lui faisant obtenir la chaire d'éloquence latine

au Collège de France17) et aussi de Delaulnaye, communique au second des documents

inédits du premier : « Passons maintenant à l'examen du planisphère qui occupe le centre

de la planche V. Ce planisphère est de la composition de M. Dupuis, et je le dois à

l'amitié de M. Leblond, qui a bien voulu me le communiquer18 ». Ce planisphère n'a pas

été livré. Mais le texte paru en donne l'explication et les tableaux explicatifs.

Ainsi, entre 1790 et 1795, deux grands ouvrages, liés à la fois par osmose et par

conflit, se hâtent ensemble vers la publication : celui de Dupuis paraît en bloc et au

complet en 1795, celui de Delaulnaye perce avant lui, mais se traîne de livraison en

livraison.

La date que tous les catalogues et bibliographies indiquent pour l'Histoire des

religions est trompeuse. 1791, qui figure, de fait, sur la page de titre, n'est que la date de

la première livraison, composée du Frontispice, de l'explication du Frontispice, et du

Discours préliminaire ; soit 4 cahiers de 8 pages de texte, livraison si maigre, qu'on

promet aux souscripteurs, en compensation, que la dernière livraison leur sera « donnée

gratis »19. Il est vrai que le Discours préliminaire, reproduit avec des variantes minimes

par les prospectus de l'ouvrage, est déjà éloquent20. La seconde livraison est alors

annoncée « dans quatre ou cinq mois au plus tard ; et les suivantes, de deux mois en deux

mois ». La seconde livraison paraît en 179321. Elle a été « considérablement retardée, tant

par les nombreuses crises politiques [...] que par la mort imprévue de l'Artiste qui s'était

chargé du superbe dessin de la procession d'Isis », mais « La troisième livraison paraîtra

irrévocablement quatre mois après la publication de celle-ci22. » La mise en vente de la

troisième livraison est annoncée dans le Bulletin de littérature, des sciences et des arts,

N˚ 19, fin avril 179523. Après quoi la machine s'immobilise. L'ouvrage, ce que nous en

avons, prend fin au milieu d'un développement. Le texte compte en tout 34 cahiers soit

272 pages. On voudrait en savoir plus sur ce naufrage.

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Avril 1795, septembre 1795 : Delaulnaye et Dupuis se tiennent de près. C'est une

course au monument de deux matérialismes encyclopédiques.

Le monument de Dupuis est au bout d'une série de travaux, qu'il intègre, tels quels,

ou presque, dans son texte, le plus souvent en rappelant la date de leur première

publication. La veuve de Dupuis, dans sa Notice, a raconté le bouleversement de la

découverte, en 1778 : « Pendant les deux premiers mois, sa tête était un véritable volcan

[...] Cependant il voulut prendre date de sa découverte, et il publia à cet effet plusieurs

parties de son système », en 1779 et 178024. Il importe, en 1795, que cela ne soit pas

oublié, que le système ne continue pas sa vie sans son auteur. « Après avoir expliqué cette

fiction, comme je fais ici, et cela il y a plus de seize ans, je dis, comme Enée dans Virgile,

et crimine ab uno disce omnes [...] Je crus, qu'ayant pris sur le fait le génie des

Mystagogues je ne devais pas en rester là25. » Autorité, ancienneté, spécialité, cohérence.

L'Origine est, en partie, un recueil des Oeuvres de Dupuis, montrant que le système tient,

non seulement par son dispositif logique, mais dans sa genèse, et comment il a, en

quelque sorte, continûment grandi et ramifié dans son savant.

Le monument inachevé de Delaulnaye se construit autrement, et par-dessus

Dupuis.

C'est un dithyrambe au grand homme (qui s'étale dès le prospectus). « Il était

réservé à M. Dupuis de déchirer le voile, qui, depuis tant de siècles »... depuis plus de

mille ans, dit-il ailleurs, ... « dérobait à notre esprit le vrai sens des fables anciennes »26.

« Macrobe, Kircher, Pluche, Jablonski, Gébelin, quoique avec des nuances différentes,

ont posé les premières bases du système astronomique qu'il était réservé à M. Dupuis de

développer dans toutes ses parties27. » Etc.

C'est une utilisation massive, dont quelque citations donneront une faible idée.

« Quant au système, ou plutôt à la découverte de M. Dupuis, le chapitre sur lequel le

lecteur a les yeux, en doit développer l'ensemble et les détails28 » ; « comme l'explication

de ces noms divers tient au système religieux des Égyptiens, je vais la rapporter telle que

nous la devons aux recherches de M. Dupuis29. » Et, dans un style de vulgarisation

accessible et commode, tout le discours de Dupuis défile. « Maintenant je déclare que,

dans le précis qui va suivre, je n'ai fait que développer le système dont M. Dupuis a posé

les bases parce qu'il est le seul vrai, le seul satisfaisant, le seul qui puisse aider à

débrouiller les anciennes mythologies. Celui qui découvre des vérités importantes mérite

nos hommages ; celui qui les adopte et les propage, dans la seule vue d'éclairer ses

semblables, ne saurait être un plagiaire30 ».

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Ainsi se justifie Delaulnaye. Mais aussi, il attaque. Le prospectus et le Discours

préliminaire contestaient déjà l'universalité du système : « En donnant au système de M.

Dupuis tous les éloges, les développements qu'il mérite, nous ne pouvons [...] vouloir

l'étendre à toutes les nations de la terre ». Les feuillets explicatifs qui accompagnent la

troisième livraison31 donnent l'exemple de l'agressivité dans l'emprunt même. « M.

Dupuis nous a fourni le mot de l'énigme [...] Cependant le système des hiérophantes ne

consistait pas seulement dans d'arides calculs, dans de stériles observations

astronomiques » : on se reportera donc aux compléments de Delaulnaye et notamment à

un Traité des Mystères qu'il promet (en septembre, l'Origine de Dupuis paraît avec un

Traité des Mystères). Il énumère les questions qu'il traitera :... « quelques notions

sommaires sur la Cabbale viendront ensuite, et seront terminées par l'explication du

planisphère de M. Dupuis, publié avec la livraison précédente ». Retour au point de

départ. Et indication précieuse : non seulement le planisphère de la planche V (qui n'a pas

été livré) vient de Dupuis32, mais aussi le planisphère paru avec la deuxième livraison,

soit une grande planche à déplier, « Système hiéro-astronomique, physique et

astrologique des peuples anciens, avec tous ses développements » (on lit en bas, à droite,

à l'envers, Pl. 4). Et l'attaque reprend aussitôt : le système de M. Dupuis « ne présente

souvent que des explications pénibles et peu naturelles. D'ailleurs ?33 quoi de plus

monotone que l'observation des paranatellons, et peut-on facilement se persuader que

cette vérité : telle étoile se lève ou se couche avec telle autre étoile ; vérité éternellement

la même, toujours passive [...] si peu propre aux fictions brillantes de l'imagination [...]

soit l'unique source des fictions innombrables, des tableaux variés, pleins de chaleur, de

mouvement et de vie, qui composent les annales savantes des peuples de tous les temps et

de tous les lieux. » L'ironie sur les « paranatellons », effectivement essentiels aux

démonstrations de Dupuis, est récurrente, comme si le mot lui-même sentait son savant

ridicule. « Ce n'est pas un livre de dissertation que j'entreprends34. » Le vrai fond de

l'énigme, « sujet si beau, si grand, caché depuis plus de deux mille ans sous le voile

impénétrable des allégories les plus obscures »35, reste réservé à Delaulnaye.

La deuxième livraison, où s'exprime parfaitement cette conjonction de la mise en

coupe réglée, de l'éloge outrancier, et d'un certain mépris, annonce la parution prochaine

d'« un ouvrage considérable de M. Dupuis », -l'Origine évidemment. Il en donne une

sorte de prospectus (qui n'est pas sans perfidie) : on y trouvera

les développements les plus détaillés du système qu'il a découvert. Cet

ouvrage, par son objet et par son exécution, diffère tellement de celui

que j'ai entrepris, que l'un ne saurait être substitué à l'autre.

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M. Dupuis, frappé de l'universalité des principes dont il a reconnu

l'existence, les étend, les applique, non seulement aux points

fondamentaux de la mythologie, mais même aux épisodes les plus

bizarres qu'elle renferme ; et l'on sera sans doute frappé d'étonnement

de voir avec quelle exactitude les particularités qui semblent le plus

indifférentes dans les fables anciennes, s'expliquent par le système

hiéro-astronomique des Egyptiens. Les voyages de Bacchus,

l'expédition des Argonautes, les travaux d'Hercule, les exploits de

Thésée, l'histoire d'Isis et d'Osiris, celle toute entière, de la naissance,

de la vie et de la mort du Jésus des chrétiens ; enfin, toutes les figures

décrites dans le livre de l'Apocalypse : tels sont les objets principaux

dont M. Dupuis entreprend l'explication par la seule méthode de

l'inspection des paranatellons, c'est-à-dire, des étoiles qui se lèvent ou

se couchent ensemble. Chacune de ces parties est accompagnée d'un

planisphère qui rend sensibles ces interprétations astronomiques, et

vous les fait, pour ainsi dire, toucher au doigt et à l'oeil. J'userai du

privilège commun aux historiens, de mettre à contribution cette

nouvelle production du génie36...

Delaulnaye nous donne ainsi des nouvelles de Dupuis, dans cette période à la fois

creuse et pleine (1787-1795), où, si l'on regarde les publications de Dupuis, on ne trouve

quasiment rien37, mais où justement le grand ouvrage se rassemble et se prépare. Plus que

des nouvelles : c'est une évasion de documents.

L'Histoire des religions permet de corriger notre vision d'un paysage intellectuel et

philosophique. Bien sûr, Dupuis a posé ses marques dès 1780, il existe avec sa méthode.

Mais toute l'Origine n'est pas contenue dans les articles ou le Mémoire déjà parus. Elle est

autre chose par son extension même, destinée à couvrir tous les pays et tous les peuples,

spectaculairement, dans la mesure où globes et planches et tableaux vont faire voir la

religion universelle. Mais tout cela est connu avant sa publication. Dupuis est l'auteur de

l'Origine ou Religion universelle avant 1795. La date de la chose écrite et finie n'est que

partiellement significative. Il y a un milieu où le Système s'expose, circule et vit. C'est ce

milieu que Lefranc, avec sa rage obsidionale, enveloppe d'un seul terme : maçonnerie.

Peu lui importe l'exactitude. Dupuis, en tant que protégé de Lalande et parce qu'en retour

il alimente le discours de Lalande38, peut figurer comme organe de la maçonnerie

(Volney, en tant qu'inspiré de Dupuis, de même...). Il y a une vraie contiguïté dont ce

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défaut de rigueur rend compte, et qu'il n'est pas facile d'analyser (comme tout ce qui

circule et communique). La notice, assez substantielle, que le dictionnaire de Daniel

Ligou39 consacre à Dupuis, le suggère.

On voudrait en savoir plus notamment sur l'abbé Leblond, dont le rôle de liant

semble essentiel et mystérieux. « On a prétendu qu'il eut une grande part à l'Origine des

Cultes de Dupuis40. » Les diverses notices biographiques le répètent, sans en dire

davantage, les unes lui attribuant une part à la publication, les autres la collaboration à

l'ouvrage même.

« Histoire générale et particulière des religions [...] par Fr.-H.-St. Delaulnaye [et

l'abbé G. Leblond] » : voilà ce qu'indique le catalogue de la B.N. Lefranc, abbé d'autre

couleur, écrit en 1792 : « On peut se faire une idée de ce que M. Dupuis, M. Lalande et

M. l'abbé Leblond se proposent de faire contre la religion chrétienne, par le discours

préliminaire qu'ils mettent à la tête de l'Histoire générale et particulière des religions »...

« Ce sont MM. de Lalande, Dupuis, Leblond, De Launnaye et société41 »... Lefranc cite

assez largement Delaulnaye, sans jamais lui rendre son bien (si l'on peut dire) : disent-ils,

et surtout, dit M. Leblond. Aussi, dans sa deuxième livraison (1793), Delaulnaye répond

au « frénétique auteur » de la Conjuration : « Cet ouvrage est de moi seul, je l'affirme, et

crois de mon devoir d'en signer la déclaration. DELAULNAYE42. »

Gaspard Michel Leblond (ou Le Blond), né un an avant Delaulnaye, en 1738, est

mort la même année que Dupuis (1809)43. Il aurait avant de mourir, dans un accès de

folie, détruit ses manuscrits44. La carrière de cet érudit, archéologue et philosophe,

spécialiste notamment des médailles, pierres gravées et monnaies, est surtout attachée à

l'Institut45, et au collège Mazarin, dont il fut nommé le bibliothécaire adjoint en 1772, et

le conservateur en 1791 (le conservateur en place, l'abbé Hooke, ayant refusé de prêter le

serment des fonctionnaires). Membre de la Commission des arts créée par l'Assemblée

constituante, chargé du dépouillement des bibliothèques supprimées et des archives

nationales, très actif, il a beaucoup accru le fonds de la Mazarine (ou de la bibliothèque

des Quatre Nations). « C'est, en outre, dans le Journal d'Alexandre Lenoir, où sont

consignées les prises de Le Blond, et dans les Archives du Musée des monuments

français, qu'on pourrait puiser afin de dresser un tableau de ses prospections

fructueuses46. »

Député au Corps législatif en l'an VIII ; élu par le Sénat Conservateur ; député au

nouveau Corps législatif, il démissionne le 16 frimaire an X ; quitte son poste de

bibliothécaire, vit retiré à Laigle de 1801 à sa mort, ayant passé plus facilement de

l'Ancien Régime à la Révolution que de la Révolution à l'Empire.

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Le flambeau de la Raison

Dupuis, homme des lumières, en accomplit l'ambition apocalyptique : l'Origine

appartient à ce grand Jugement dernier des religions qui marque la fin du XVIIIe siècle.

Quicquid latet apparebit. Ce que Dieu devait faire à l'homme, selon le Dies irae, l'homme

le fait à Dieu, ou à sa fable. « Je pénètre dans le sanctuaire des Prêtres, et j'écarte le voile

sous lequel ils cachaient leurs mystères. » « La raison et la philosophie jettent une lumière

qu'ils redoutent47. » La science du passé perce à jour ce passé toujours vivant, ce passé

présent du Prêtre (et de son complice, le Roi). Toute l'entreprise est d'éclairer et de faire

voir. L'énigme et l'ombre ensemble vaincues donnent lieu à une grande exposition, que le

lecteur suivra de ses yeux, sur une sphère et sur des planisphères : il verra le ciel, le fond

et le plafond, si l'on ose dire, de toutes les religions.

L'ombre du temple est mauvaise ; mystères, avec une minuscule, et Mystères, font

un : l'ombre est le temple, le temple est l'ombre. La position de Dupuis est radicale : le

Traité des Mystères, qui constitue un centre dans l'Origine, parce qu'en lui se rassemble

toute la confiance de Dupuis dans un peuple éclairé48, affirme que « la vérité n'a point de

Mystères ; ils n'appartiennent qu'à l'erreur et à l'imposture ». Cette phrase qui ouvre dans

l'Origine la IIe partie du Traité, l'Examen philosophique des Mystères, considérés dans

leurs rapports avec la Politique et la Morale, se retrouve dans l'Abrégé : c'est la première

du chapitre XI, Des Mystères. L'Abrégé fait ainsi l'économie de la partie descriptive de

l'antiquité, pour aller d'abord au message essentiel, actuel, prescriptif : un peuple libre n'a

pas d'ombre. L'Origine oppose aux Mystères, qui tirent leur justification des procédés de

la nature (elle se dérobe, elle est la grande voilée), la nature elle-même :

Entendons nos mystères : ce sont ceux de la nature [...] Fêtons, si nous

voulons, le moment où le soleil va nous rapporter le don précieux de

la lumière [...] mais point d'images, point de légendes, point de Prêtres

surtout, qui trafiquent de notre crédulité : que chacun soit à soi-même

son prêtre [...] ou si nous élevons des temples, gravons-y la fameuse

inscription de Saïs, qui est le résultat de la philosophie de tous les

siècles, et qu'on y lise : « Ici on adore l'Etre qui est la cause de tous les

autres, qui les comprend tous, et dont nul mortel n'a jamais percé le

voile » ; et plus bas, gravons l'histoire des malheurs qu'ont éprouvés

les hommes, pour avoir osé en dire davantage49.

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Claude Rétat, « Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis »

Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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Dupuis suit les Mystères de leur origine égyptienne à leur aggravation chrétienne

(et qui commence à Platon, spiritualiste). Ils étaient déjà mauvais, viciés au principe,

puisque les Sages Législateurs, pour mieux civiliser le peuple, l'ont empoisonné avec les

prestiges de la religion, quand il fallait « instruire les hommes »50. Il n'admet aucune

circonstance atténuante, au nom par exemple de la grossièreté du peuple dans ces âges

obscurs. Du moins les Égyptiens étaient-ils des savants et connaissaient-ils leur sphère :

ils savaient d'une part la vérité physique des fables (une science astronomique), d'autre

part leur vérité morale (un seul but : la cité, la société). Leur intention était bonne. On

leur pardonnerait presque. Le chrétien, qui pousse à son extrémité la catastrophe

spiritualiste, l'invention de l'au-delà et la chute en méta-physique, avec tous ses fantômes

et faux devoirs, est ignorant du système du monde comme de la morale sociale. Dupuis

voit dans l'Apocalypse un livre des Mystères, le seul que l'antiquité nous ait transmis

complet, et il l'interprète comme tel, en le rapportant à son origine égyptienne et perse ; il

lui consacre un livre de l'Origine, qui recommence en quelque sorte le Traité des

Mystères, mais il s'agit ici de régler leur compte à des Mystères modernes, le

christianisme faisant figure d'invention tardive, bâtarde, dénaturée, qui répète l'antique

sans le comprendre, bafouille Christ Soleil, rompt ce qui était lié, fait avec du sens, de

l'absurde, avec du nécessaire, de l'arbitraire.

Il semble que le chapitre Des Mystères de l'Abrégé ait choisi de réduire

relativement la part faite à l'antiquité des Sages Législateurs, au profit de la charge anti-

chrétienne. Cette démarche est conforme à l'esprit de l'Abrégé, où l'auteur, qui était, en

1795, aussi polémique mais plus serein sur l'état du peuple, s'inquiète d'un regain

obscurantiste : « leurs temples sont pleins, et les autels de la patrie sont déserts51. »

Il y avait cependant un autre type de Mystères modernes, que l'Origine, ni n'aborde

de front, ni n'évite. Dupuis écrit au début de la section consacrée au christianisme (ou

secte mithriaque), qu'il la sait la partie « la plus attendue » du public52. On peut penser

qu'au moment où paraît l'Origine, une attente existe aussi sur le rapport des Initiations

anciennes et modernes, ou maçonniques, sujet dont l'abbé Robin a fait un petit livre en

1779. On sait que l'Égypte a servi de référence à Cagliostro, dans les années 1780. J.

Baltrusaitis a rassemblé, en Europe, entre 1791 et 1801, les indices d'une rencontre du

décor initiatique égyptien (ou à l'égyptienne) et de certaines sensibilités franc-

maçonnes53.

L'abbé Robin, qui, d'après la recherche de Louis Amiable sur « l'Égypte ancienne

et la franc-maçonnerie » en France, offrirait la « première mention des initiations

égyptiennes »54, écarte la thèse d'une origine égyptienne, historique, des Mystères

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Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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modernes55, ce qui prouve l'existence de cette thèse. Mais, quelle que soit la réponse

apportée à ce type de question, et même si elle n'était pas posée, le livre manifeste une

entente a priori sur le principe même de juxtaposition : Mystères appellent Mystères,

l'Antique, l'Égypte de la « nuit des temps » est là sous la main, les symboles peuvent se

regarder en miroir (la question de l'origine n'est finalement posée qu'à moitié : l'origine

historique n'est pas tout, reste le problème de la source où l'on puise une symbolique). Il

semble tout simple, pour le Grand Orateur que Robin cite, de dérouler cette chaîne

accélérée des Mystères :

« Les prêtres d'Isis et d'Osiris ont admis leur femmes et leurs filles aux

mystères impénétrables et terribles de l'initiation... Les Grecs ont eu

leurs Sibylles ; les Romains leurs Vestales ; dans tous les ordres de la

vie civile, l'Europe entière a produit des héroïnes. Eh ! pourquoi les

MM. de France, qui sont pères, époux, fils, frères, ne les admettraient-

ils pas parmi eux56 ? »

Et Robin, qui ne partage pas ce point de vue (je veux parler de l'admission des

femmes), le réfute, mais d'accord avec son principe : même discours, inversé (les prêtres

d'Isis et d'Osiris n'ont pas... les MM. de France ne peuvent). Ainsi le jugement de L.

Amiable me semble, dans les termes, un peu ambigu : « il n'est nullement question [chez

Robin] de rattacher les initiations nouvelles aux mystères égyptiens » ; il n'est pas

question de les en faire descendre, sans doute, mais les mystères égyptiens ont une

évidence d'autorité et de modèle.

L. Amiable trouve en revanche en 1783, chez Guillemain de Saint-Victor,

« l'affirmation de l'origine égyptienne » (Recueil précieux de la Maçonnerie

Adonhiramite), réitérée dans les années suivantes.

Une espèce de connivence semble exister ainsi, un peu lâche, un nuage de

connivence, sur lequel se détachent les entreprises plus extrêmes. « En dehors du Rite de

Cagliostro, du Rite primitif de Narbonne et du Rite des Architectes Africains, il y eut

encore au XVIIIe siècle d'autres petits rites Égyptiens », écrit G. Galtier57, « mais ces Rites

sont mal connus car souvent leur intérêt essentiel résidait dans le secret qui les

entourait ». L. Amiable observe la transformation des épreuves de l'initiation de 1789 à

1803, les premières « très simples », les secondes, après l'expédition d'Égypte, d'influence

décisive, marquées d'« égyptianisme ».

L'Origine de tous les cultes, qui s'attaque par principe à tout mystère, et, dans le

mot lui-même, lit « ténèbres »58, englobe la franc-maçonnerie dans la condamnation. La

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méthode est à la fois allusive et insistante : « J'ai mangé du tambour ; j'ai bu de la

cymbale ; et j'ai porté le cernos. Ce sont de vraies phrases de Franc-maçonnerie, qu'il

n'était donné qu'aux Frères de cette Confrérie d'entendre : c'était l'argot des mystères59. »

Toujours dans le Traité des Mystères, quand Dupuis dénonce l'habileté psychologique des

Prêtres, qui « amusent » le peuple avec leur « baguette magique », et lui donnent un

« véritable opéra religieux, sous le nom d'initiation et de mystère », il la dénonce comme

l'art d'une « franc-maçonnerie religieuse ». « Nos sociétés de Francs-maçons (et les

initiations n'étaient qu'une véritable francmaçonnerie) n'attirent parmi elles de nouveaux

frères, que par le secret prétendu de la francmaçonnerie, que chacun veut connaître. C'est

la curiosité qui nous y conduit ; le serment et une petite vanité nous y lient » : suivent des

considération sur le truc du secret. On aime se croire du petit nombre : « on n'avait que

des concitoyens ; on voulait avoir des frères ». Les frères pauvres espèrent se placer grâce

aux frères riches, Dupuis l'écrit à la fois contre les francs-maçons et les chrétiens : « c'est

même cet espoir qui, parmi nous, a fait faire une assez grande fortune à la

Francmaçonnerie [...] On peut même dire que c'est une des principales sources de la

grande fortune, qu'à faite l'initiation des Chrétiens60. »

Dans le livre consacré à la religion chrétienne, les chrétiens, « société d'initiés »,

ont leur tessera (le nom de l'Agneau) comme les francs-maçons ont leur code61.

L'Examen de l'Apocalypse considère « l'initiation comme une véritable franc-

maçonnerie »62, avec sept « loges », chacune sous l'inspection d'une Planète. La

Jérusalem céleste, dévoilée au terme de l'initiation (c'est l'« autopsie »), pour donner une

« vue intuitive par avance de la cité sainte », une « vision de la paix », inspire à deux

reprises la même assimilation : « le Voyant s'appelait un Israëlite dans le style des francs-

maçons. Nos francs-maçons travaillent encore à rétablir par la vertu la céleste Jérusalem,

dont ils sont les architectes63 » Platon met le « véritable Ciel, la véritable lumière et la

véritable Terre » loin de la terre ténébreuse que nous habitons, et qui « serait dans le style

de l'Apocalypse, la grande Babylone [...] tandis que la première terre, une terre sublime,

que couvre le véritable Ciel, est la terre Céleste [...] la sainte Jérusalem [...] d'où nous

sommes exilés, et dans laquelle la vertu seule peut nous ramener. C'est un langage de

franc-maçonnerie religieuse, ou d'initiation, où tout est allégorique64. »

On voit ici comment, au fond, le jugement hésite, ou plutôt se partage : l'idéal de la

Cité à réaliser, et de son citoyen vertueux, est bon, c'était celui du Législateur qui a

composé les mystères. Mais il a cru accélérer les choses en faisant croire à un au-delà, en

promettant des récompenses, et en les plaçant après la mort pour ne pas être démenti :

mystique, métaphysique, cité céleste et véritable, etc. Un Israëlite, écrit Dupuis, cela se

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dit encore Heber, ce qui signifie : qui a passé au-delà65. L'initié des mystères du temple

est coupable d'outrepasser, de sortir du temple (le vrai), c'est-à-dire des bornes, d'ici :

« L'univers est un temple auguste, au-delà duquel il ne nous est pas permis, dit Pline, de

chercher la divinité66. » Cette citation de Pline est chère à Dupuis. Cela engage une

Physique et une Morale, qui se définissent ensemble par une clôture : cercle du visible, et

Cité (cercle du social ?), ou Loi.

La « vertu » de l'initié est dévoyée, dans son principe, parce qu'elle sort (du cercle)

et parce qu'elle rompt, en créant des séparations.

Dupuis condamne, mais admire les Égyptiens, pour leur science et leur sagesse. Il

condamne, mais il estime les Romains, qui ont su, dans leur adaptation des Mystères, tout

ordonner à la Patrie ; il condamne et condamne les chrétiens, – ignorants, anti-sociaux,

dénaturés.

Dupuis ne se préoccupe pas de placer les initiés de la franc-maçonnerie dans cette

échelle des blâmes. Mais il ne manque pas non plus de les incorporer à son grand

amalgame des Mystères. Il contribue ainsi, non seulement, comme on le signale

ordinairement, à l'égyptomanie de la fin du XVIIIe siècle, et cela par apport massif, mais il

participe, d'une façon moins voyante, au rapprochement des « initiations antiques » et des

« initiations modernes », à l'entretien d'une évidence de la continuité et de la similitude.

Peut-être autorise-t-il par là une lecture qui chercherait à se nourrir, dans son discours sur

l'Egypte, d'un discours indirect sur la maçonnerie.

Signalons enfin que l'Abrégé de l'Origine ne contient plus qu'une seule allusion à la

franc-maçonnerie, du moins me semble-t-il, au chapitre IX, Explication de la fable faite

sur le soleil, adoré sous le nom de Christ. Nous l'avons rencontrée plus haut dans

l'Origine : l'agneau était aux chrétiens « leur tessera et l'attribut symbolique auquel les

frères de cette franc-maçonnerie religieuse se reconnaissaient entre eux »67.

Mes lumières

L'entreprise de Dupuis réunit un jugement, c'est-à-dire une condamnation des

Mystères, et un exercice de connaissance des Mystères par la raison individuelle, qui

prouve en définitive qu'il n'y a pas de Mystères, qu'il n'y en a jamais eu, ou que rien dans

les Mystères ne tient spécifiquement à l'initiation, parce que tout en eux est raisonnable, à

l'origine.

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Le savant Dupuis est ainsi une espèce d'épopte par ses propres forces, tout seul et à

la force de l'esprit, l'autodidacte d'une sorte d'autopsie. Il a vu par lui-même. Et il voit

comme les Prêtres (les anciens, bien sûr, les savants), il est parvenu dans le « secret du

sanctuaire », Voyant non mystique, non heber, Voyant du visible qu'on avait voilé.

Ce n'est nullement un aspect accessoire de l'Origine qu'elle contienne une histoire

de la découverte, qui se mêle, par affleurements successifs, à l'exposé du système.

Ainsi, le récit des découvertes sur l'origine du zodiaque, auxquelles Dupuis

« n'attache pas la même importance qu'à [son] travail sur les Religions, attendu qu'ici ce

ne sont que des conjectures, et que [son] travail au contraire sur la Mythologie a pour

base la vérité », expose néanmoins la méthode qui commande l'un et l'autre travail, mais

d'une façon qui fait sentir l'ivresse de vue, ou de vision, et de conquête, qui l'anime. C'est

ici, quand la découverte se sait, ou se dit, plus hasardée, que la méthode montre plus

librement ce qu'elle a de passionné :

Le bouleversement que je faisais dans la Sphère, où tous les signes se

trouvaient placés, relativement aux points équinoxiaux et solsticiaux,

dans un ordre absolument inverse de celui qu'ils avaient environ trois

cents ans avant l'Ère chrétienne, changeait tous les aspects célestes, et

pouvait même donner à Sirius une déclinaison australe si prodigieuse,

qu'il fût invisible de la basse Égypte, ou que s'il y était visible, il n'eût

aucun lever qui dût annoncer le solstice d'Été [...] Mais pour voir si

mon hypothèse réunissait encore ce nouveau caractère de vérité, je

pris un Globe que je perçai, et [...] je fis descendre le Capricorne...68

Abrégeons la manipulation, pour arriver à la formule du couronnement : « Alors, je

vis »... Elle est, mais à l'état ardent et personnel, la même que celle qui revient de page en

page dans toute l'oeuvre comme un tic de l'expression, avec de menues variantes : qu'on

prenne un globe, « on verra évidemment que »..., « si on prend un globe, on verra », etc..

L'enthousiasme de la révélation habite ce tour, voire ce cliché didactique. On voit en

effet, après celui qui a vu en premier, courant l'aventure de l'homme lancé à toutes brides

« dans une carrière nouvelle, qu'on s'est ouverte soi-même, et où l'on n'a pas de guide » :

c'est par ces mots que se termine l'ouvrage.

La réaction de Boulage, dans les Mystères d'Isis et d'Osiris, publiés à titre

posthume en 1820, mais composés, si l'on en croit une note de l'éditeur, vers 1805 et « du

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vivant même de Dupuis »69, est à la fois celle d'un « spiritualiste »70 et d'un initié. Pour

défendre les Mystères égyptiens (évidemment il ne s'agit pas seulement de défendre

l'antiquité), Boulage joue l'initiation contre le savant de l'initiation. Dupuis, cette espèce

d'initié par soi-même qui nie l'initiation, est ici humilié dans sa science et dans sa

confiance en ses propres forces (en ce Je qui sait voir) : Boulage rapporte son système

astronomique aux opinions déjà décrites par Plutarque, comme celles que professaient

« quelques petits initiés » (initiés aux « petits mystères », restés aux premiers degrés) ou

« quelques philosophes qui n'avaient point été admis aux mystères »71. « Lucius, avant

d'être initié, se conforme à l'opinion commune et vulgaire. Il fait comme Dupuis, il prend

Isis pour la lune72. » Il a pris l'écran pour le fond, le voile pour le nu.

Cette attaque (qui appartient à un système où sont visés ensemble le matérialiste, le

conventionnel et l'homme des lumières) trouve un équivalent, plus complexe, chez

Delaulnaye. Dupuis, selon ce dernier, n'est pas allé au fond de l'emblème : il est tombé

dans le piège des mystères, ce jeu d'écrans escamotables, qui trompent l'éclairage.

Cas plus complexe, parce que Delaulnaye est plus proche de Dupuis, et pousse à

côté de lui son système parallèle et rival. Il est comme Dupuis matérialiste, il se consacre

comme lui à répandre les lumières de la raison, pour lui non plus la vérité n'a pas de

mystères. Mais de plus, l'un de ses buts affichés est de rattacher au sens caché des

Mystères égyptiens, le sens des Mystères maçonniques.

Ainsi l'annonce le Prospectus de l'Histoire des religions :

Dans les livraisons qui servent de prolégomènes à cet ouvrage, on a

pris soin de développer ce système admirable du plus sage des

Peuples, qui, sous l'emblème des Dieux qu'il adorait, a voulu peindre

en caractères ineffaçables la sublime harmonie du ciel, le cours et les

révolutions des astres. Celui des initiés et des anciens hiérophantes sur

la formation du monde et sur la génération des corps, système qui fait

la base des mystères des Francs-Maçons, qu'ils dérobent avec tant de

soin à la connaissance des profanes, y sera expliqué dans toutes ses

parties. En un mot, il n'existe aucune théographie des anciens peuples,

semblable à celle que nous annonçons.73

On aura reconnu, dans la première phrase, le système de Dupuis. L'enchaînement, ou

plutôt l'asyndète, est remarquable : car ce qui suit ce premier hommage aux découvertes

de Dupuis (aux dépens duquel Delaulnaye remplit les pages74), est précisément ce que

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Delaulnaye va leur opposer, ce qu'il va mettre au-delà d'elles, Dupuis ne tenant plus, dans

ce nouveau système, qu'un degré inférieur du sens, et l'ombre de la proie. Il sert d'échelle

à Delaulnaye : « M. Dupuis a combattu victorieusement cette erreur » (celle qui consiste à

ne prendre les pyramides que pour des tombeaux), il a conclu qu'elles

furent des monuments solaires ou Sabéiques. Mais ce n'était là, si je

puis m'exprimer ainsi, que l'emblème de l'emblème, puisqu'il est bien

prouvé que les peuples anciens n'adoraient le soleil matériel que

comme symbole du soleil invisible, de la lumière impalpable, du feu

incréé, qu'ils regardaient comme la cause première, la puissance

génératrice, le moteur et le conservateur de tous les corps75.

Tout le texte de Delaulnaye est pris dans un faux balancement des hypothèses, qui fait

mine de réserver l'énigme, pour mieux s'en approprier le mot :

Je lisais dernièrement cet office religieux que les chrétiens

célèbrent dans la semaine sainte, et qu'ils appellent TÉNÈBRES, parce

qu'il nous retrace la mort du Dieu-lumière ; soit que, avec M. Dupuis,

on ne considère ce dieu que comme le Soleil physique, mourant en

hiver pour ressusciter au printemps (à Pâques), et rendre la vie à la

nature ; soit que, comme les Philosophes76, on voie dans les rites dont

je parle une commémoration figurée, une peinture emblématique du

Chaos, du sein duquel jaillit la Lumière éternelle, ou, ce qui revient au

même, de la putréfaction, mort apparente des corps, mais source

intarissable de vie, par laquelle le germe, au printemps, reçoit son

développement77.

L'interprétation astronomique n'exclut point celle que nous

donnent les Philosophes Hermétiques. Cette dernière même paraît plus

vraie, plus satisfaisante ; et, lorsqu'on analyse les détails que les

anciens nous ont laissés sur la formation de la Croix double ou triple,

sur ses proportions [...] on ne peut s'empêcher de convenir que

l'explication astronomique de cette croix n'est elle-même qu'un

emblème, peu propre à nous dévoiler les mystères des religions

anciennes78.

Mais voici la page essentielle et décisive, me semble-t-il, pour l'espèce de roman

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qu'elle contient de la recherche herméneutique (un dédale d'épreuves où Dupuis s'est

perdu) :

Je montrerai dans la section suivante par quel ingénieux artifice les

hiérophantes combinèrent tellement les dogmes et les symboles de leur

religion, que ces symboles pussent être assez exactement expliqués par trois

systèmes différents (l'Allégorique, l'Historique et l'Astronomique), sans y

comprendre la véritable interprétation, la seule qu'ils eussent en vue dans la

formation de leur théogonie, je veux dire l'interprétation Physique qu'ils

voilaient avec un soin extrême, pour en conserver toujours la connaissance

exclusive. Leur but était que, si quelque esprit perspicace venait à

soupçonner que la religion Égyptienne fût emblématique, et qu'il fît, pour

en saisir le sens mystérieux, des efforts d'autant plus pénibles que l'écriture

sacrée n'était connue que des prêtres, il pût être facilement dévié de ses

recherches par une des trois routes qui s'offraient à lui de prime abord, et

que l'on semblait n'avoir tracée sous ses pas que pour le mieux égarer. La

quatrième, semée de ronces épineuses, formant à chaque pas des détours

inextricables, était presque impossible à découvrir.

Que si cependant, malgré toutes les précautions des hiérophantes,

quelques indiscret initié, ou quelque profane doué d'un sens pénétrant, eût

essayé de soulever le voile, l'initiation ou la mort les eût promptement

délivrés d'un ennemi dangereux. Tel fut en un mot le soin vigilant des

prêtres, qu'une longue série de siècles ne vit point trahir leur secret. Ce que

nous avons dit de ces hommes adroits, quiconque est parfaitement instruit

des mystères de la Maçonnerie, le retrouvera dans cette secte moderne.

Dans les degrés inférieurs, on ne présente aux nouveaux reçus que des

explications puériles des emblèmes maçonniques ; ce n'est qu'aux grades

les plus élevés, lorsque, par une multitude d'épreuves, on est parvenu à

s'assurer du dévouement et de la discrétion d'un Frère, ou plutôt lorsque l'on

craint son esprit inquiet et remuant, qu'on lui dévoile le but secret de la

Maçonnerie, la véritable et mystérieuse interprétation des symboles et des

cérémonies qui constituent l'Art Royal, l'Art par excellence. Encore peut-on

dire, pour parler avec plus d'exactitude, qu'il est de règle presque invariable

de n'initier jamais que ceux qui, par leurs propres recherches, sont parvenus

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à deviner à peu près ce qu'on leur a toujours caché avec un soin extrême.79

La forme même de l'expression est significative, et caractéristique de Delaulnaye. Il

dit moins qu'il ne dira ; il dit quelque chose de ce qu'il dira, au complet, plus tard. Le lecteur

qui l'a suivi depuis le prospectus et la première livraison de 1791 a pris l'habitude de se voir

promettre sans cesse de grandes lumières, dont il n'a sur le moment que l'extrait ou

l'amorce. La technique et le style du prospectus ne sont pas congédiés après le prospectus. Il

ne prend jamais fin en un sens. Delaulnaye ne se contente pas d'annoncer la matière des

onze volumes à venir. Plus on approche de l'agonie de l'Histoire des religions, plus les

renvois se multiplient à un Traité des Mystères et des Superstitions de tous les peuples du

monde, tant anciens que modernes, composé de quatre volumes in-4˚, qui

forme le complément nécessaire de [l'ouvrage] que le lecteur a sous les

yeux. Enrichi des planches les plus rares et les plus curieuses, il

embrasse dans ses divisions la multitude effrayante de pratiques

secrètes, de sciences occultes, de cérémonies magiques, qui, depuis tant

de siècles, rendent l'homme le plus misérable de tous les êtres, et

froissent de mille manière sa raison égarée. Tout ce que la cabbale, la

science hermétique, la franc-maçonnerie de tous les genres et les autres

associations répandues en Europe, ont de plus secret, de plus

soigneusement gardé, est dévoilé dans cet ouvrage : car la publicité peut

seule détruire les erreurs nées dans l'ombre du mystère.80

Cela tient du feuilletoniste ou du charlatan. Et pourtant l'ouvrage compose

effectivement un système, développe un discours déjà substantiel : il pourrait semble-t-il se

passer de ces procédés.

Ce projet permanent n'est pas sans rapport avec l'usage que Delaulnaye fait des notes

(elles dévorent la page, et se multiplient encore en notes de notes) : ce sont toujours des

renvois (dans le cas de la note, la promesse est tenue en bas de page), le texte ne cesse d'en

appeler à un autre texte, à un autre développement. La page s'écrit, pour ainsi dire, par

plusieurs bouts. Ou, elle a plusieurs bouches qui parlent à la fois. C'est un énorme

prospectus et un dédale (qui promet le « fil »). Celui qui « soulève le voile » a gardé de sa

descente aux profondeurs du temple un pas compliqué, qui convient aux « détours

inextricables ». Il n'éclaire pas seulement, mais il semble vouloir donner au lecteur le goût

de ce chemin qu'il a triomphalement suivi, la perception du tortueux, et même des hasards

de la route, des aventures du dévoilement81.

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Dans les feuillets explicatifs qui sont joints à la troisième livraison, Delaulnaye fait

observer que malgré les apparences il a suivi « l'ordre le plus clair » : et l'exposé qu'il fait

de son plan montre un texte qui s'est inventé au fur et à mesure. Parti de la fidélité au

système de Dupuis (« M. Dupuis nous a fourni le mot de l'énigme »), confronté en cours

d'ouvrage à son insuffisance82, il aurait trouvé le vrai système, « la Philosophie

Hermétique, c'est-à-dire la connaissance des voies de la Nature dans la génération des

corps », et changé d'orientation :

Il existe sur ce sujet, dans l'allégorie des monuments de tous les âges,

dans les récits symboliques des prêtres de toutes les nations, dans les

rituels de toute espèce, une série constante, une uniformité invariable

de principes qui présentent l'ensemble le plus vaste et le plus

imposant. Nous n'avons pas craint de revenir sur nos pas, et de relever

nos propres erreurs, afin de développer un sujet si beau, si grand,

caché depuis plus de deux mille ans sous le voile impénétrable des

allégories les plus obscures [...] Tel sera le sujet de la quatrième

livraison, qui, nous l'espérons, mettra fin aux prolégomènes, et nous

ouvrira le sanctuaire des prêtres égyptiens.

Dans quelle mesure cette description de la marche suivie est-elle exacte ? Il y a

sans doute du vrai hasard (dans ce texte qui va devant lui, et hésite souvent), et du faux

événement (le système de la génération des corps est déjà annoncé dans les prospectus).

L'ouvrage a bel et bien sombré après cette proclamation par l'auteur de sa « sincérité »

aventurière. Mais les circonstances de l'interruption sont obscures (on voudrait savoir

l'accueil fait au livre, vicieusement concurrent de Dupuis, et si des freins lui ont été mis).

Quoi qu'il en soit, la longue note que j'ai citée plus haut, sur les chausse-trapes des

mystères, retient l'attention par cette histoire romanesque qu'elle écrit du non-initié

parvenant au secret de l'initiation, de cet esprit perspicace qui déjoue les systèmes

trompe-l'oeil, et découvre le presque impossible à découvrir. L'image du carrefour semble

par ailleurs transposer le célèbre choix d'Hercule, dont le récit par Xénophon se prête

volontiers à ceux qui veulent tracer le « tableau de la réception d'un Initié »83. C'est,

comme pour Dupuis, l'histoire du « profane », aussi fort, par la raison, que le Prêtre, de

l'homme du dehors qui, du dehors et par lui-même, a trouvé le moyen d'être au coeur, –ou

à la tête.

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Delaulnaye figure dans le dictionnaire de D. Ligou comme « écrivain maçon français »,

auteur du Tuileur des trente-trois degrés de l'Écossisme ancien dit accepté (1813 pour la

première édition, 1821 pour l'autre), « le plus ancien Tuileur de ce Rite en langue française que

l'on connaisse », et de Mémoires sur la Franc-Maçonnerie (1806). Est-ce que ceci explique

cela, je veux dire, Delaulnaye est-il maçon parce que le titre de ces ouvrages implique un auteur

maçon ?

J.-M. Ragon, qui à la fois se sert de lui et le contredit dans son Cours philosophique et

interprétatif des Initiations anciennes et modernes, explique ainsi les erreurs d'interprétation

qu'il impute à Delaulnaye :

M. Delaulnaye n'était pas initié : sa pensée le prouve. Je lui ai souvent

reproché de n'avoir qu'une clé (la génération des corps), ce qui l'empêchait

de se rendre un compte vrai de la plupart des mystères anciens.84

Je connus, en 1808, chez le frère Fustier, vénérable de la loge le

Point-Parfait, tenant une agence maçonnique rue Jean-Jacques Rousseau à

Paris, M. Delaulnaye, homme fort érudit, employé chez le frère Fustier. Un

jour que je me plaignais, devant les officiers du Grand Orient, de la manière

plus qu'inexacte dont étaient copiés les cahiers de grades [...] et dans

lesquels les mots se trouvaient, pour la plupart, travestis au point d'être

indevinables, M. Delaulnaye, qui connaissait l'hébreu, s'écria : Quoique

profane, confiez-moi les cahiers, et je vous ferai un bon Tuileur avec les

mots rectifiés et leur signification. Je le pris au mot. Je lui remis la

collection, fort rare alors, des trente-trois grades, et deux ans après parut LE

TUILEUR qui effectivement était alors le meilleur des ouvrages de ce

genre.

Mais, en 1820, il fut surpassé, pour l'exécution, par le Manuel

Maçonnique, ou Tuileur de tous les rites, par le frère Willaume, Maçon fort

instruit, auteur de l'Orateur Francmaçon.85

Le Thuileur de Delaulnaye se relie doublement à l'ouvrage inachevé des années 1790. Il

est, comme l'indique son titre, « suivi de l'exposé du système de la génération universelle des

êtres, selon la doctrine symbolique des Anciens », où se trouve, sous forme brève et condensée,

la théorie de l'Histoire des religions (l'édition de 1813 le présente comme « extrait d'un ouvrage

encore manuscrit »86) :

L'Aspect de l'Univers offre aux yeux de l'observateur une rotation

perpétuelle de Créations (aggrégations), de Destructions (disgrégations), et

de Régénérations [...] le Mouvement, ou, si l'on veut, Dieu, l'Esprit, le Feu,

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les Atomes, la Matière subtile, l'un de ces principes, dis-je, est la cause

efficiente de ces divers états de la Nature [...] C'est le bienfaisant Osiris,

c'est le redoutable Typhon. Ces Dieux sont frères, ou plutôt ils ne font qu'un

seul Dieu.87

Les mythologies, sous une « immense variété de fables, de rites, de symboles » (quelques

catalogues chantent la litanie de l'identité et de ses variantes88), toutes également physiques,

mâchent et remâchent les « combinaisons » de figures qui expriment ce « système ». C'est par

lui que Delaulnaye explique les symboles du grade maçonnique de Maître89, pour instruire, dit-

il, des initiés ignorants d'eux-mêmes. Ainsi dans l'Histoire des religions, le système de la

génération des êtres expliquait la mythologie, les Mystères anciens comme modernes, c'est-à-

dire maçonniques : par exemple, « les préceptes des francs-maçons sur le nombre des lumières

qui doivent éclairer leurs loges », la lettre G, le « sénaire hiéroglyphique des francs-maçons »90,

etc.

Deuxième trait de proximité : l'auteur s'en prend au principe et à l'existence des Mystères.

Si le système physique des Anciens est beau, son occultation volontaire, cet accaparement de la

science, est un crime. Les pages préliminaires du Thuileur, dans son édition de 1821,

commencent par montrer le poing fermé de Fontenelle, rétenteur de la vérité. Verdict :

Théocratie,

les premiers Théocrates eurent pour objet, en instituant les Mystères,

1˚ De fixer des élémens des diverses connaissances acquises [...]

2˚ De mettre ce dépôt précieux à l'abri du ravage des siècles [...] et des

bouleversements

3˚ D'EN INTERDIRE FORMELLEMENT LA CONNAISSANCE AU

VULGAIRE.

4˚ D'ASSERVIR l'homme par un culte de latrie, dont eux seuls

connaîtraient l'allégorisme, en présentant à son adoration une suite

d'emblèmes matériels, susceptibles à dessein de plusieurs interprétations

afin de mettre en défaut la pénétration des profanes et de les tenir ainsi dans

une perpétuelle dépendance91.

Même effet de soulignement outrancier, un peu plus bas, pour dire « l'insatiable SOIF DE

DOMINER ».

En outre, écrit Delaulnaye, on n'a plus besoin d'emblèmes pour étudier la nature : « les

sociétés secrètes, de quelle nature qu'elles soient » sont donc « ou dangereuses, ou inutiles, et,

par conséquent, dangereuses encore ; car dans un sage gouvernement, tout ce qui n'est pas utile

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nuit92. » « Toute corporation partielle est un monstre »93 : c'est le ton même de Volney, dans les

Ruines, sur les « associations secrètes », les « corporations ennemies du reste de la société »94.

On peut s'étonner de trouver un Tuileur introduit par un tel réquisitoire !

Les Francs-Maçons, nous dit-on, étudient la Nature. Sont-ils donc les

seuls ? Et, depuis qu'ils l'étudient, ont-ils fait quelque découverte qui

appartienne exclusivement à l'Ordre ? Ils pratiquent les Vertus !... Faut-il

donc s'isoler de ses semblables pour les pratiquer ? faut-il surtout les

regarder comme profanes ? [...]

Il voit proliférer « toutes les folies, toutes les monstruosités »,

Mais, allez-vous vous écrier, ce sont les abus de la Maçonnerie que vous

signalez [...] De grâce, calmez-vous, cher Enfant de la Veuve.

Retranchons, j'y consens, toutes les folies que je viens d'entasser, et qui

figureraient mieux dans le roman de Cervantès que parmi des hommes

sensés. Que vous restera-t-il ? Une société de citoyens, honnêtes et

paisibles (je veux bien le supposer), jouant tristement à la chapelle autour

d'un cercueil, et déplorant la mort d'Hiram, comme madame Dacier

pleurait celle d'Homère95.

L'édition de 1813 n'arborait pas à son début ces pages virulentes (ni la même

épigraphe)96, quoique l'Avertissement semble faire sonner assez ironiquement les « secrets

ineffables97 ». Le texte même du Thuileur contient un certain nombre de pointes.

L'interprétation de Tubalcaïn, par exemple, possessio orbis :

On veut communément que ce nom ait été choisi pour mot de passe,

parce que Tubalcaïn fut, suivant l'Ecriture, le premier qui forgea les

métaux. Mais, si l'on réfléchit à la signification des deux mots hébreux,

on reconnaîtra facilement, dans leur assemblage, le voeu secret de

l'Hiérophante, du Templier, du Franc-Maçon, de tout sectaire mystérieux,

celui de gouverner le monde par ses principes et même par ses lois98...

L'érudition, qui fait la leçon sur la vraie origine, s'accompagne d'une dérision (toujours très

sensible chez Delaulnaye) du dégradé, de l'usuel, qu'il trouve absurde :

Benchorim, Akar, Iakinaï.

En loge, on traduit ces trois mots par Franc-Maçon, ô Dieu, tu es éternel !

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Cette traduction rappelle celle des mots turcs du Bourgeois-

Gentilhomme. Si, en ajoutant des liaisons qui n'existent point, on voulait

former un sens avec ces trois mots, cela signifierait99...

C'est une espèce de mordant érudit, qui dans l'exercice même de l'érudition, et se

consacrant à elle, découvre un arrière-rire typiquement voltairien,

Zizon

que l'on traduit par Balustrade.

Voici un exemple frappant d'une altération qui a fait perdre

jusqu'au sens du mot primitif.

Zizon n'est d'aucune langue ; à la place de cette parole

insignifiante, il faut dire :

Ziza +100 (Splendor) (Paral. I, 2, 33) C'est un fils de Jonathan,

d'où les Rabbins ont fait leur fameux oiseau Ziz, qui, lorsqu'il ouvrait

les ailes, dérobait à la terre les rayons de l'astre du jour. Mais Dieu le

sala prudemment au commencement des siècles, ensemble avec le

poisson Leviathan de Job, et ce mets exquis doit faire, pendant l'éternité

bienheureuse, la nourriture des Fidèles. Ils auront pour breuvage le vin

recueilli par Noé lui-même dans les celliers du Paradis.

L'effet caustique est propre à Delaulnaye. Ainsi le Tuileur concurrent de Vuillaume

(1820) donne Ziza sans sel101, et Benchorim, Achar, Jachinaï sans commentaire. Son

interprétation de Thubalkain par possessio mundana prend position contre Delaulnaye,

intention qu'explicite la note dans l'édition de 1830 : « L'auteur du Tuileur de l'écossisme

traduit Thubalkain par possessio orbis, pour arriver à imputer à la maçonnerie une

ambition qu'elle n'eut jamais, et qui ne peut entrer dans l'esprit tolérant de sa

constitution102. »

Si l'on compare les propos préliminaires de Delaulnaye et de Vuillaume, la

personnalité provocatrice du premier Thuileur se dessinera mieux encore, par contraste.

Mais il semble qu'elle reste le plus souvent invisible, comme transparente pour les

utilisateurs. Ragon dispute sur un point d'interprétation, tout en rendant hommage à la

science de l'auteur. Il ne relève pas, semble-t-il, sa prise de position agressive : il l'ignore.

Thory accorde une mention assez flatteuse au Thuileur de Delaulnaye103 ; J. Tourniac la

rappelle, dans sa préface à la réimpression de 1975 du Tuileur de Vuillaume. Paul Naudon,

dans Histoire, rituels et tuileurs des Hauts Grades Maçonniques, va droit au contenu savant

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et documentaire, traversant ce qui ne relève pas de lui. Il fait plus de cas de Delaulnaye que

de Vuillaume104. Sa lecture est celle d'un historien du rite plus encore que du « rituel » ou

du « tuileur » (pris comme des formes elles-mêmes historiques). Ainsi le souligne la

formule de la conclusion, « cette étude, que nous avons voulue essentiellement historique et

objective sur le plan de l'institution des hauts grades maçonniques et sur celui des idées

qu'ils représentent. » Dans l'utilisation instrumentale du Thuileur (P. Naudon renvoie à

l'édition de 1821), ce qui tient au renseignement sur le rite reste, ce qui tient à l'historicité

même du Thuileur disparaît.

Delaulnaye, s'il vit encore, vit ainsi par son Thuileur, et par le sérieux de son

engagement dans l'érudition maçonnique. Quel autre de ses ouvrages est pris en

considération ? Les Editions d'Aujourd'hui ont reproduit ce texte en 1979.

C'est un paradoxe que ce fracasseur de mystères, et de « sectaires », écrive

finalement pour un public bien spécialisé. L'Histoire des religions, et tous les énormes

projets, aboutissent ainsi à de petits ouvrages d'érudition maçonnique, le Thuileur, la

Récapitulation de toute la Maçonnerie, ou Description et explication du l'hiéroglyphe

universel du Maître des Maîtres105, nouvelle exposition du système de la génération

universelle et explication par les mystères antiques. On lui attribue encore des Mémoires

sur la Franc-Maçonnerie (« par une Société de Maçons », 5806, 16 p.), où s'expriment la

même théorie, et la plus grande admiration pour les cosmogonies antiques et primitives,

« ce corps imposant de doctrine, cette science universelle et secrète, partage des seuls

initiés, qui traversa les siècles sans éprouver d'altération sensible », la « description de la

force vitale, dans la formation, dans la reproduction du Monde », le « tableau figuré [...]

de l'opinion des premiers hommes sur le phénomène de la Génération universelle106. » On

reconnaît aussi un sens caractéristique de l'ironie107.

Voici la question, en un mot : Delaulnaye est-il un maçon, ou un savant de la

maçonnerie ? On serait tenté de croire que cet original suit une voie bizarre, s'installant

dans une espèce d'à-côté de la maçonnerie, initié en quelque sorte par l'érudition de

l'antiquité.

Pour lui, la maçonnerie a un Sens, le sens ancien, original, -le beau système, mais

périmé, des Cosmographes et Mythographes, système de la nature universelle, lui-même

universellement redit sous mille formes, système du Feu générateur, de la Vie circulante,

que Delaulnaye répète, de texte en texte, dans un style ardent, tout en rappelant que c'est

l'opinion des Anciens, non la sienne : on dirait que cette Science périmée, dont il

réinvente le système, lu entre les lignes des énigmes, est un bonheur pour la sensibilité

matérialiste ; qu'elle sert, sans qu'il y ait d'illusion sur sa valeur scientifique, de

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représentation comblante du monde, de son circulus, de son roulement de vie, de sa

« force expansive »...

Ce qui n'est pas ce sens appartient à la végétation de la folie humaine, entretenue

par le couple du sot et du fripon. « J'entreprends un long et pénible ouvrage » : ainsi

commençait l'Histoire des religions, affrontée à la « multitude d'absurdités religieuses » :

« C'est icy, vous eût dit Rabelais en son vieux langage, que sont

pourtraites au naturel toutes les mimes et momeries, qui, depuis tant et

si grand nombre d'années, fascinent les pauvres humains, et les

tiennent comme affolés de crainte vaine [...] Crois-moy, chasse au loin

ces pestes publiques [...] et si tu rencontres jamais des hommes se

querellant sur des points épineux de leur théologie [...] dis avec le

poète philosophe :

? Spectatum admissi risum teneatis, amici108 »

Ainsi la conclusion du Thuileur tranche entre un absurde et un antique (synonyme

de sens) :

Excepté les trois premiers grades de la Maçonnerie, qui, par eux-

mêmes, n'ont rien de bien dangereux,

Qui sont vraiment antiques,

Qui sont Éthiopiens, Égyptiens, Assyriens, Persans, Juifs,

Turcs, Chrétiens, qui sont UNIVERSELS, parce qu'ils ont pour objet

unique, immédiat, la connaissance de la nature, laquelle est une,

universelle, invariable,

Qu'excepté ces trois premiers grades,

Tout le reste n'est que chimère, extravagance, futilité,

mensonge, etc.109

Aucun n'est valable : l'absurde est absurde, l'antique, avec ses emblèmes, ses métaphores,

son système et le langage de son système, est dépassé.

Delaulnaye donne l'exemple, me semble-t-il, d'un matérialisme chaleureux et

intuitif : il voit la matière vivante, mais qui a peur de tomber au piège de ses images et de

ses mots :

C'est ce prétendu principe créateur, qui, chez les peuples de l'antiquité,

reçut les noms divers de Pan, d'Isis, de Cneph, de Jupiter ; qui fut le

Spiritus orbis, le Rouach des Hébreux, le Dieu tout-puissant des

chrétiens, et que plusieurs philosophes, quoique matérialistes, n'ont pu

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s'empêcher de personnifier, l'appelant à leur gré Nature, Ame de la

vie, Essence, Principe vivifiant : expressions plus poétiques

qu'exactes, et qui me sont échappées à moi-même au début de cet

ouvrage110.

Il reste à habiter le matérialisme au passé -la Science belle et morte-, celui qui

donnait des images, la Philosophie poétique et scientifique. La maçonnerie n'est-elle pas

pour Delaulnaye cette présence de l'Antique ? cela fait d'elle, telle qu'elle est, un objet à la

fois recherché et nié. Ses secrets sont au savant de l'origine, qui, seul, armé seulement de

ses lumières et de son courage, a parcouru les souterrains labyrinthiques de l'allégorie,

faisant un texte avec les débris.

« Quoique profane, je vous ferai un bon tuileur. » Ces mots, s'ils sont exacts,

entrent en écho avec l'Avertissement de 1813, où l'auteur, répondant aux Maçons qui

l'accuseraient de divulguer les secrets, prend position en face d'eux : « Vous seuls êtes

coupables »... Vous avez perdu, par « le désordre et l'ignorance », le « trésor précieux que

vous avaient transmis les anciens sages ». Delaulnaye a nettoyé « cette étable d'Augias » :

« vous devez applaudir à ses efforts, de même qu'il admire les leçons de sagesse et

d'humanité que peut offrir à ceux qui les savent connaître, les emblèmes et les

cérémonies maçonniques111. » Le Thuileur est un envoi aux Maçons de la part de celui

qui connaît la maçonnerie.

Cela rejoint le motif du savant qui connaît mieux que l'apôtre, le prêtre ou le fidèle,

la doctrine de ces derniers. Destutt de Tracy, analysant l'Origine de Dupuis, admirait le

sujet « unique en son genre » : dans les sciences physiques, on fait des expériences, il faut

bien voir et bien conclure ; en histoire, recueillir, comparer, etc. « Mais ici, il ne s'agit de

rien moins que de savoir mieux que ceux que l'on consulte, ce qu'ils ont voulu dire, et de

comprendre mieux qu'eux-mêmes le sens de leurs écrits112. » Excellente définition de

ceux qu'il ne faut certainement pas appeler des historiens, mais des savants de l'origine.

Delaulnaye113 est un auteur peu fréquenté. On sait peu de chose de lui. Voici

l'épitaphe par Michaud : « littérateur savant et laborieux, mais que sa bizarrerie et ses

goûts crapuleux ont empêché d'obtenir la réputation due à ses utiles travaux ». Français,

et bientôt ramené en France, il est né en 1739 à Madrid. D'où peut-être sa ponctuation

curieuse (inspirée de l'espagnol ?), qui met le point d'interrogation avant la question, et en

met parfois un autre, à l'envers, à la fin ; qui met de même le point d'exclamation au

début :

En effet ? qu'est-ce qu'une religion ¿ ; c'est l'institution d'une ou

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plusieurs divinités [...] Mais ? qu'a-t-on entendu par ce mot divinité ¿

(P. 35.)

! Combien le genre humain se fut épargné de maux114. (P. 34.)

Études brillantes et variées. Intérêt particulier pour la musique115. Connaissance

des langues anciennes et modernes. Récompensé par l'Académie des inscriptions et

belles-lettres en 1789 pour sa dissertation De la Saltation théâtrale, ou Recherches sur

l'origine, les progrès et les effets de la pantomime chez les anciens (imprimée en 1790).

Il se tient à l'écart pendant la Révolution, et reparaît à Paris en 1796. Partisan de la

douceur dans les réformes, il a lancé plusieurs pamphlets contre la Révolution. Il est

partisan des Bourbons en 1814.

Dissipateur de sa fortune, et forcé d'écrire pour vivre.

Bibliographie abondante, qui commence en 1786, par la Description et usage du

respirateur antiméphitique...

Activité d'édition considérable : Oeuvres de Rousseau (avec l'abbé Brizard, 1788) ;

Lettres d'Abailard, avec une Vie d'Abailard (1796) ; Apulée (Fable de Psyché, avec une

Dissertation, 1802). Édition et commentaire de Rabelais (1820-1823), traduction de

Cervantès (1821).

Erotica verba, Rabeloesiana, etc.116

Il a aussi beaucoup promis : un Essai de bibliographie encomiastique, une

Bibliothèque antiencomiastique, une Théologie des nombres, un Traité des Mystères...

Goût remarquable pour les éditions de luxe (typographie, gravures, papier).

« Il avait fait une étude spéciale des sciences occultes et s'était livré à des

recherches très étendues sur les mystères de l'antiquité, sur les sociétés secrètes du moyen

âge et sur les jeux et débauches des différents peuples » (Michaud).

Solitude, ivrognerie, misère. « Ses manuscrits furent vendus au poids par

l'administration de l'Assistance publique » (Grande Encyclopédie Berthelot), leur auteur

étant mort à l'hospice de Sainte-Périne de Chaillot en 1830.

Lenoir. La seconde vie de Dupuis-Delaulnaye

L'Origine de tous les cultes est d'autant plus une mise au jour que Dupuis,

arrachant le prêtre aux replis de son histoire sacrée, montre qu'elle a pour origine la

source de lumière, le soleil. Mais de plus, le savant du ciel trouve à l'origine le savant du

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Claude Rétat, « Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis »

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ciel. Il y a au départ, dans le conflit même qui jette le « philosophe » contre l'homme de

l'ombre, une connivence entre le savant et le premier prêtre, qui était un savant. Un savant

dévoile un savant qui voilait. On est entre confrères, du XVIIIe siècle éclairé à l'Égypte de

la « nuit des temps ». Ce qu'ils ont codé, on le décode, avec leur instrument, la sphère.

Dans l'intervalle, il y a l'affreux, ou l'infâme : le prêtre qui n'est pas savant, le prêtre sans

la sphère, occultant, et occulté à lui-même.

Eux aussi, les prêtres savants, savaient ce qu'est la religion, la fabriquant. Ils

fabriquent, je décompose (c'est le terme familier à Dupuis): forces égales. C'est au point

que « je » peux fabriquer ce qui manque, combler les lacunes, refaire le tout avec les

débris et les fragments qui sont conservés. Décomposer, revient à restaurer. Création

ambiguë, qui se défend de créer : « J'analyse les opinions des autres, et me garde bien

d'en créer une » (Préface de l'Origine), mais qui crée au passé. Dupuis est un champion de

la recomposition : ainsi, tous les grands poèmes mythologiques, si antiques qu'il n'en reste

que des traces, et auprès desquels Homère est très tardif, il nous les restitue au complet.

Le savant voit dans le miroir, au passé, son double créer le poème. Ils font les mêmes

gestes, avec leur sphère ; ils sont dans le même cercle du visible. Dupuis ne se demande

pas qui est l'image de qui.

Ainsi est-il toujours pris entre la réprobation et l'admiration. Quels imposteurs !

mais quel Génie !117 Cet élément est absent des Ruines de Volney, où l'« historien » parle

en quelque sorte sans l'astronome, un « historien » moins frère ou confrère, qui se sert des

conclusions du savant en astronomie, mais qui ne connaît pas les charmes de la

contemplation de son double, en miroir, dans le passé.

De là vient peut-être l'espèce de réversibilité de Dupuis. Il a pu servir aussi bien de

repoussoir à Boulage, pour une apologie des Mystères, que d'aliment à Lenoir, également

pour une apologie des Mystères. C'est contre lui que le premier défend l'Égypte, ses

Prêtres, l'Initiation, il est le grand ennemi des Mystères d'Isis et d'Osiris, « l'ennemi

déclaré des sages de l'Égypte par cela seul qu'ils étaient prêtres »118, l'auteur de l'injure :

« Théocratie » (ce mot est au début du Traité des Mystères). La vérité n'a pas de

mystères ; Boulage se venge en nous conservant cette épigramme sur le « profond

Dupuis » : « il semble », dit-il, « que le sort de ces sortes d'ouvrages soit de donner

naissance à des jeux de mots »,

Grâce aux recherches de Dupuis,

L'Antiquité pour nous a soulevé son voile ;

Des superstitions la fable se dévoile

Et la vérité sort du puits119.

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Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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Lenoir fait de Dupuis son autorité et son garant, s'imbibe de lui jusqu'à paraître son

singe, pour expliquer et justifier, par les Mystères antiques, les Mystères modernes,

« ennoblir »120 les seconds par les premiers, et montrer qu'au fond ils sont les mêmes. La

Franche-Maçonnerie rendue à sa véritable origine, ou l'antiquité de la Franche-

Maçonnerie prouvée par l'explication des Mystères anciens et modernes, avec dix

planches, a paru en octobre 1814. L'auteur du compte rendu dans le Journal des

Débats121, très hostile, commence par faire du livre un retardataire et par le renvoyer au

siècle passé. Il aurait « produit quelque sensation il y a trente ou quarante ans » : ses idées

sont « devenues vulgaires, depuis que la haute philosophie a été prêchée dans les

carrefours, les gens de bon ton l'ont dédaignée, et le peuple lui-même s'en est dégoûté,

parce qu'il voit qu'il n'y gagne rien ». « Philosophie » démodée, « système » connu : « un

grand ouvrage sur l'Origine des cultes nous l'a développé d'une manière plus

méthodique ». Les vieux lazzis sur l'obsession du soleil tombent à présent sur une victime

bien nommée : « M. Lenoir, qui a le bonheur de trouver le soleil partout », « un homme

qui regarde toujours le soleil doit mépriser ce qui n'a point d'éclat », etc.

Presque une génération sépare Lenoir (1762-1839) des Leblond, Dupuis, et

Delaulnaye, quoiqu'il ait été fort proche, par son activité pendant la révolution122, des

deux premiers.

C'est de ces trois hommes, liés autour de l'Origine, que la Franche-Maçonnerie se

nourrit. Le texte puise en Dupuis. Les planches viennent de Delaulnaye : ce sont celles de

l'Histoire inachevée des religions. D'après La France littéraire, leur propriétaire, l'éditeur

Fournier, accepta de publier Lenoir, qui avait prononcé une série de conférences sur

l'origine de la Maçonnerie, en 1812, dans un « convent philosophique » de la mère-loge

écossaise, à la condition qu'il « y fît entrer toutes les gravures » de l'Histoire des

religions, « et y joignît un texte explicatif. M. Lenoir y consentit, et ceux qui acquirent ce

dernier travail, y gagnèrent un très-grand planisphère céleste, gravé pour l'ouvrage de

Delaulnaye et qui n'avait point été livré123. » Il s'agit du « Planisphère iconologique des

signes et de leurs décans » (p. 52 de la Franche-Maçonnerie). Or nous savons par

Delaulnaye que ce document lui venait de Dupuis, par l'intermédiaire de Leblond124.

L'autre planisphère, qui avait été livré avec l'Histoire des religions, le « Système hiéro-

astronomique, physique et astrologique des peuples anciens, avec tous ses

développements », et qui a passé à Lenoir (p. 42), avait, comme nous l'avons vu, la même

provenance125.

Quant au frontispice de Delaulnaye, voici ce qu'il en avait dit en 1791, dans son

prospectus et dans son Discours préliminaire :

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Le frontispice de cet ouvrage, que nous devons, ainsi que l'explication

qui l'accompagne, à l'amitié d'un académicien aussi estimable par ses

moeurs douces que par son profond savoir, ce frontispice donne une

idée suffisante des rapprochements auxquels nous avons l'intention de

nous attacher. Les personnes qui voudront connaître à fond la théorie

hiéro-astronomique, pourront consulter le Mémoire sur l'origine des

constellations et sur l'explication de la fable, par M. Dupuis...

La périphrase désigne clairement, me semble-t-il, l'abbé Leblond. L'enchaînement des

phrases et des idées montre que quand on en appelle un, l'autre vient. Leblond, Dupuis.

On constatera facilement combien le frontispice de l'Origine, en 1795, dû à un autre

graveur, ressemble126 à celui de Delaulnaye-Lenoir, en 1791 et 1814, sans se confondre

avec lui.

Alors que l'Explication du Frontispice de Dupuis, de forme brève (car sa véritable

explication, son « déroulé », c'est l'ouvrage entier), se distingue de celle de Delaulnaye,

celle de Lenoir, avec quelques variantes, la restitue très fidèlement : il adopte ensemble le

frontispice et son explication. « La description que nous allons faire de la première

gravure ou du frontispice, annonce Lenoir, peut en quelque sorte se considérer comme la

Préface de l'ouvrage, puisque les symboles qui y sont dessinés appartiennent à toutes les

religions, et nous offrent une légère esquisse des mystères que nous avons à décrire. »

Ainsi Lenoir est préfacé par Leblond-Dupuis-Delaulnaye... Sans doute peut-il habiller son

livre du frontispice de Delaulnaye plus commodément que ne faisait ce dernier, qui était

en fait un dissident du système astronomique. Le frontispice dont l'« intention

philosophique » indispose l'anonyme « H » du Journal des Débats, en 1815, parce qu'il

met toutes les religions sur le même plan, avait déjà servi à indigner l'abbé Lefranc en

1792 : on y voit, écrivait-il, « les symboles de toutes les religions [...] Le soleil, en

parcourant le zodiaque, semble indiquer par les rayons qu'il répand sur tous les emblèmes

religieux, qu'il a donné naissance à tous les cultes, et qu'ils ne sont que les symboles de

ses stations dans chaque signe127. »

Il s'agit donc d'une double alimentation de Lenoir par Dupuis, par prise directe et

indirecte : il prend à Dupuis, et à Delaulnaye prenant à Dupuis. Ainsi Dupuis, dans

l'Origine, a évité Delaulnaye, tout en le côtoyant (comme le montrent son frontispice et le

texte qui l'explique) ; il n'a pas reproduit les mêmes tableaux qu'avait publiés ou annoncés

Delaulnaye. Vingt-trois ans après, Lenoir hérite de cette Origine avant l'Origine et qui

voulait la prendre de vitesse.

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Claude Rétat, « Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis »

Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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Le texte de Lenoir est suspendu à celui de Dupuis. Cela apparaît à travers les

nombreux renvois (« a dit un homme célèbre »128) ; nombreux surtout au début.

L'emprunt, voire la dépendance de Lenoir, apparaît plus encore quand il ne renvoie plus à

Dupuis, mais qu'il respire Dupuis. C'est le cas du chapitre De l'Apocalypse ; l'auteur copié

n'est pas nommé. « Il résulte de cet examen », que Lenoir s'est approprié,

que l'Apocalypse est un poème dont le Soleil est le héros [...] D'après

ce qu'on vient de lire, on voit que l'Apocalypse n'est qu'une imitation

des mystères anciens [...] Mais on ne trouve plus, dans ce livre, le

beau génie de ces illustres philosophes grecs, dont les ingénieuses

inventions plaisent encore à la lecture.129

Ce dernier motif était récurrent chez Dupuis ; il est secondaire chez Lenoir, c'est sa seule

apparition, il est, si l'on peut dire, ramassé avec le reste.

Les Notes et observations sur la Mythologie indienne qui suivent, en appendice de

la première partie, sont curieuses : où l'auteur commence-t-il et finit-il, dans ces pages ?

« Ces extraits, que j'explique, sont tirés d'un manuscrit », indique mystérieusement une

note130. Aucune marque ne distingue l'« extrait » du texte explicatif qui l'absorbe.

L'explication, entièrement imitée de Dupuis, fait passer la fable par le système

astronomique avec une fidélité qui confine à la servilité. A partir du moment où l'on

considère que le système donne la « clé », dit la vérité des choses, il est normal sans doute

que l'invention appartienne à tous. Chérémon est bien assimilé, ainsi que le maniement de

la sphère.

L'ouvrage de Lenoir compose ainsi, avec Dupuis, une sorte de traité de la Sainteté

des Mystères vengée contre Dupuis131 : les Mystères, leurs Prêtres, moralisent et

civilisent. Tout est bienfait dans cette institution : « A ces premiers instituteurs nous

sommes redevables de la morale qui éclaire le monde132. » Lenoir défend les Mystères

contre Hérodote, qui a préféré le merveilleux à la vérité133. Il répond en une occasion au

« savant critique » pour qui « la superstition parut à Éleusis dans toute sa force, et

l'esprit humain dans toute sa faiblesse134. » Mais il fait mieux que répondre à Dupuis, il

l'utilise contre lui-même. Il admire que les prêtres, « grands politiques », aient attiré le

peuple en agissant sur les sens : cela scandalisait Dupuis, fidèle à Condorcet dans son

rejet des manipulations émotives ; mais Dupuis est cité à l'appui de Lenoir, à contresens

de lui-même135.

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Quant à Delaulnaye, Lenoir, qui n'indique jamais la provenance des planches, ne

fait qu'une fois référence à lui, et cela concerne un élément qui avait été emprunté à

Dupuis : la précession des équinoxes et son importance dans l'interprétation de la

mythologie136. Quand Lenoir commente le « planisphère iconologique », qui lui vient de

Delaulnaye, à qui il venait de Dupuis, il rend habilement grâces à celui qu'il appelle son

« savant auteur »137. Rien du système physique de Delaulnaye et de sa génération

universelle n'est conservé. Ainsi, pour l'explication de la croix138, Lenoir se range avec

évidence à l'interprétation de Dupuis ; la contestation de Delaulnaye n'est évoquée en

aucune occasion.

Parmi les gravures que Lenoir reçoit de Delaulnaye (Isis myrionyme, Isis en couleurs

d'après une momie, pompe isiaque, Typhon, etc.), une en particulier commande un sens et une

interprétation des Mystères : la planche numérotée 12-13 dans l'Histoire des religions, parue

avec la troisième livraison, comme « planche d'un effet très pittoresque »139, sous le titre

« Epreuves par les quatre éléments, qui se pratiquaient dans la réception des initiés à

Memphis », avec cette légende en gros caractères : « La seule inspection de cette Planche, dont

le sujet est tiré de Sethos, suffit pour montrer la conformité des Cérémonies de l'initiation

ancienne avec les épreuves que pratiquent encore aujourd'hui les Francs-maçons dans

l'admission d'un Récipiendaire140. » L'image, et le discours qu'elle tient, se glissent parfaitement

dans le projet de Lenoir : on ne se douterait pas qu'ils viennent d'ailleurs, et qu'ils appartenaient à

un ensemble autrement orienté, hostile, comme celui de Dupuis, aux Mystères. Ainsi la

Franche-Maçonnerie absorbe deux anti-Mystères : l'un donne l'interprétation astronomique des

religions, l'autre illustre le rapprochement systématique et détaillé de l'initiation antique et de

l'initiation maçonnique.

L. Amiable a montré que la purification par les quatre éléments apparaît pour la première

fois, dans un discours maçonnique en quête de ses origines, et les trouvant en Egypte, dans

l'Origine de la Maçonnerie adonhiramite (1787) de Guillemain de Saint-Victor ; et que cela agit

peu à peu, en s'accélérant après l'expédition d'Egypte, sur les épreuves de l'initiation141.

Le chapitre VI de Guillemain de Saint-Victor, « Réception et initiation aux Mystères »,

décrit le parcours de l'aspirant à l'initiation antique, dans les souterrains de Memphis. Il tire

essentiellement sa matière de Sethos142. Le récit est entièrement au passé. La planche de

Delaulnaye, elle, énonce la similitude de l'ancien et du moderne. Elle n'est pas datée (à la

différence des autres), elle a été livrée en 1795, annoncée en 1793. L. Amiable veut montrer

qu'en 1789 les épreuves de l'initiation ne sont pas encore influencées ; son terme de comparaison

est 1803. La planche de Delaulnaye supposerait, dès les années 1790, une « égyptianisation »

des épreuves, à moins qu'en la rêvant, elle n'ait contribué à accélérer le mouvement.

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Il faudrait avoir le texte des conférences de Lenoir, au Convent de 1812, pour

mieux se rendre compte des accroissements de l'ouvrage paru en 1814. Dans tous les cas,

on imagine mal qu'à un texte clos se seraient ajoutées, par raccroc, dix planches avec leur

explication. L'artifice à sa part dans cette rencontre, très commerciale, d'un livre en train

de se faire avec les planches, réutilisables, d'un livre qui fit faillite. Mais aussi, la greffe a

pris. La planche dont nous venons de parler a-t-elle été plaquée sur le texte en fin de

manoeuvre, alors qu'elle l'accompagne de façon essentielle ? Car elle reçoit bien plus

qu'une « explication ». Plusieurs pages du début (« Considérations générales »), et un

long passage de la IIe partie, construit en écho (« Suite des Épreuves que l'on faisait subir

à ceux qui se présentaient à l'initiation »), se rattachent à elle. D'un autre côté, Sethos et la

purification par les quatre éléments ont eu sans doute d'autres voies d'influence sur

Lenoir : rejoindrait-elle simplement, pour s'y fondre, un discours déjà très articulé ?

Comment trancher dans cette circulation ? (-Dans quelle mesure aussi l'héritage de

Delaulnaye, avec ses deux planisphères et le frontispice, a-t-il seulement rencontré ou a-t-

il aggravé la couleur astronomique et l'emprunt à Dupuis ?)

L'épisode de Sethos est central dans la Franche-Maçonnerie. La description que

fait Terrasson de l'initiation de Memphis vient en renfort du projet de Lenoir, prouver que

la franc-maçonnerie est une « imitation » ou « répétition » des Mystères anciens (à un

moment où l'initiation maçonnique s'est mise à imiter Sethos). Mais en outre il soutient

une espèce de roman personnel de la révélation. Remarquable à cet égard est le dernier

morceau des « Considérations générales » (c'est la fin d'une introduction assez

éclatée143) : texte entre guillemets, sans indication d'auteur, de forme romanesque et

narrative, portant avec évidence toutes les marques de Terrasson. Mais il est à la première

personne, ce qui l'éloigne de son modèle (jamais Sethos n'aurait révélé son trajet : il fallait

pour cela un romancier omniscient) :

« Armé seulement de mon courage et d'une lampe, je me trouvai seul

sous une voûte immense uniquement décorée de caractères

emblématiques ; de niches carrées, sans nombre déterminé, mais

régulièrement dessinées, dans lesquelles je voyais, à la lueur de la

clarté qui s'échappait de ma lampe, des statues colossales en basalte et

en granit [...] je vis d'abord [...] l'antre de Mithra, l'image symbolique

du monde céleste et terrestre. Je remarquai ensuite les inscriptions

sentencieuses des mystères de la grande déesse Isis ; et la première qui

s'offrit à mes regards, gravée sur un morceau de basalte noire, était

ainsi conçue, selon la traduction que l'on avait eu la précaution d'écrire

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au bas : Quiconque fera cette route seul et sans regarder derrière lui,

sera purifié par le feu, par l'eau et par l'air ; et s'il peut vaincre la

frayeur de la mort, il sortira du sein de la terre, il reverra la lumière,

et il aura droit de préparer son âme à la révélation des mystères de la

grande déesse Isis144. »

Souterrain syncrétique (Mithra, Isis). Tout le décor est recomposé, peuplé de statues

monumentales. Peu importe sans doute que, dans Sethos, l'inscription, soit sur un

« marbre très blanc » ; mais surtout, le héros n'avait pas besoin d'une traduction en note,

en bas de monument.

Cet imitateur de Sethos refait le même chemin, mais sous la forme d'une

promenade archéologique et onirique parmi les vestiges de l'initiation,

« Pensif et réfléchissant à l'antique splendeur de la terre que je foulais

sous mes pieds [...] je trouvai le foyer du Volcan factice à l'usage de

l'épreuve du feu ; puis, je traversai à pied sec le canal dans lequel

l'aspirant devait se jeter à la nage [...] Je vis les instruments

nécessaires aux initiations [...] jetés çà et là [...] Cependant les leçons

que j'avais reçues dans les loges maçonniques me furent d'un grand

secours, j'en tirai un grand avantage pour tout ce qui s'offrait à mes

regards, et j'eus bientôt la conviction intime que la Franche-

Maçonnerie était une imitation des grands mystères que l'on enseignait

au collège de Memphis. »

Lenoir a renvoyé au passé le décor de Terrasson, l'a vidé pour mieux le réinvestir :

Memphis existe toujours !

Dupuis intégrait à son oeuvre le récit des grandes étapes de sa découverte.

Delaulnaye racontait, par ses méandres, l'aventure de son système. Lenoir écrit (en

récrivant Sethos) le roman de son accès à la certitude, sur la question savante de l'origine

de la franc-maçonnerie. J. Baltrusaitis a vu dans la Franche-Maçonnerie le livre d'« un

croyant »145. Elle repose en effet, pour une grande part, sur la pétition de principe et sur

l'affirmation personnelle :

Avant d'arriver à cette explication nouvelle de la Franche-Maçonnerie,

j'ai dû remonter à la source des initiations ; j'ai dû étudier les théories

savantes que l'on enseignait dans les mystères des Egyptiens et des

Grecs ; et j'ai dû faire connaître le véritable sens des allégories

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Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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sacrées, présentées aux profanes comme des histoires, ou comme des

faits héroïques. J'ai eu d'autant plus de raison d'agir ainsi, que je ne

vois, dans les mystères de la Franche-Maçonnerie, qu'une répétition de

ceux de l'antiquité146.

Ce type de vice logique est récurrent (ainsi que l'expression « j'ai raison de » dire ce que

je dis). Lenoir présente comme l'aboutissement de ses recherches ce qu'il révèle aussitôt

comme son a priori, non sans complaisance : sa conviction le justifie.

La fantaisie à la manière de Terrasson, sur laquelle s'ouvre le livre, n'est pas une

fantaisie. Sous l'apparence d'un écart, elle touche au nerf de l'entreprise :

........ Laissons un moment les dieux, suspendons nos idées

mythologiques, rapportons ce qui nous a été révélé lorsque, transporté

par la pensée dans les immenses tombeaux des rois d'Égypte, nous

errâmes dans les souterrains de Memphis, où Sethos lui-même reçut

les premiers éléments de la sagesse et de l'art de régner, avant de

monter au trône de ses pères.

Rêve et témoignage : les guillemets de la narration qui suit marquent bien qu'il s'agit

d'une sorte de déposition de l'auteur, à la tête de son propre ouvrage, d'une mise en scène

essentielle du Moi. Déposition tout ensemble romanesque, véridique, et savante :

« La voûte, étoilée de toute part, me présenta un zodiaque bien

dessiné, qui montrait le solstice d'été sous le signe du capricorne.

Cette peinture du ciel me donna la mesure de la science des

Égyptiens ; elle me fit connaître la haute antiquité de cette grande et

illustre nation, que, d'après cette position astronomique, on peut

reporter à près de douze mille ans, en admettant le système de la

précession des équinoxes. »

Le second Sethos, archéologue de l'initiation antique, auquel elle se révèle par l'initiation

moderne, possède son Dupuis. Armé d'une lampe et de son courage, il lui reste au moins

une main147 pour l'instrument de l'ancien Mage et du Savant moderne :

« J'examinais ces chefs-d'oeuvres de l'art et de la science avec une

attention toute particulière ; je les étudiais, et dans mon admiration,

inspiré moi-même de l'esprit philosophique des anciens Mages, mes

yeux s'ouvrirent au milieu des monuments des arts que les siècles de

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Sésostris, de Mendès et de Ramessès avaient fait naître ; et une sphère

à la main, je reconnus bientôt que les hiéroglyphes, ou l'écriture sacrée

des Égyptiens, aussi bien que leurs figures emblématiques, n'étaient

qu'une peinture mystérieuse des révolutions célestes ou des différents

aspects des planètes auxquelles on supposait le pouvoir de gouverner

le monde. »

Ici se ferment les guillemets, et s'achève ce récit d'une initiation transposée, où l'auteur,

au seuil du livre, avant de parler, reçoit l'esprit (mais philosophique), ou reçoit des

lumières (« mes yeux s'ouvrirent ») dont on ne sait si elles sont celles de la science du

passé ou celles de la maçonnerie148.

La Franche-Maçonnerie est construite, au fond, comme le livre de l'abbé Robin

(mutatis mutandis) : deux parties, l'une pour les Mystères anciens, la seconde pour les

modernes. Dans la IIe partie, Lenoir recommence l'épisode de l'exploration de Memphis.

Les « Considérations générales » du début ont fait visiter un musée imaginaire de

l'Initiation antique, un Temple à la fois mort et reconstitué, en l'orientant vers l'Initiation

maçonnique. De même, par un effet croisé, la description du premier grade de la

Maçonnerie, dans la IIe partie, renvoie aux « épreuves que l'on faisait subir à ceux qui se

présentaient à l'initiation ». Les éléments rencontrés dans le rêve de l'archéologue

reparaissent et s'intègrent au récit de l'initiation moderne (antre de Mithra, zodiaque,

voûte étoilée...) : les paroles du vénérable sont « une imitation exacte de l'inscription qui

se présentait aux yeux de l'initié aux mystères d'Isis, lors qu'abandonné dans des

souterrains immenses, il voyageait seul, ayant une lampe à la main ». Nouvelle citation de

l'inscription149. Récit de la purification par les quatre éléments, « suivant l'abbé

Terrasson ». Et renvoi à la gravure de Moreau-le-Jeune150.

La distance est grande du « flambeau de la raison », armé duquel le citoyen Dupuis

devait dissoudre les fantômes et les ombres du sanctuaire, à la lampe de Lenoir, prise

chez Terrasson, -mais allumée aussi à Dupuis et à Delaulnaye, et promenée dans les

souterrains du Temple.

Cette lampe initiatique sert cependant l'entreprise de publicité par laquelle un

Delaulnaye voulait découvrir les mystères de la maçonnerie, du moins elle la sert mieux

que Delaulnaye lui-même. Lenoir fait visiter, dans un style facilement vulgarisateur, ou

agréablement pittoresque (cela tient peut-être à la forme première du discours, une série

de conférences). Ce qui justement devait servir d'amorce, d'attraction, d'argument de

vente pour l'Histoire des religions, les trois cents gravures par Moreau-le-Jeune ou sous

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Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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sa direction, dont une dizaine ont été faites, cela s'est retiré de Delaulnaye pour passer à

Lenoir.

Elles entrent, chez ce dernier, dans un système renouvelé de l'illustration ; ou

plutôt, il s'agit d'une construction de décor, puissamment liée par la reconstitution

imaginaire (à la Sethos), et servie par trois ensembles de supports : les planches de

Delaulnaye ; le grand ouvrage de la Commission d'Égypte, auquel Lenoir renvoie très

souvent, et qui doit faire sentir notamment le caractère colossal de l'art sacré égyptien151 ;

enfin la collection de musée, quoiqu'elle n'appartienne pas tout à fait à un musée :

Je borne là mes recherches sur la mythologie indienne ; elles suffisent,

sans doute, pour faire connaître ses rapports avec les autres

mythologies : d'ailleurs, j'inviterai ceux de mes lecteurs qui voudraient

la mieux connaître encore, à consulter la belle suite d'idoles réunies

aux archives de la Loge Saint-Alexandre d'Écosse, par les soins du F...

Thory, archiviste perpétuel. En voici la description152.

Suit le catalogue des 15 pièces de cette collection en bronze, ayant appartenu au baron

Van Hoorn153, avec leur description et leur explication (qui engage d'ailleurs tout le texte,

comme le montrent les nombreux renvois). Un peu plus loin, quand Lenoir analyse un

symbole indien de la « grande année », une vache qui perd un pied à chacun de ses quatre

âges, il s'approprie une démonstration de Dupuis, faite depuis longtemps (elle date d'avant

l'Origine), mais il la réactualise et surtout la recadre en renvoyant à la Loge Saint-

Alexandre d'Écosse, qui « possède dans ses archives une de ces idoles de l'Inde »154. La

Franche-Maçonnerie constitue un guide de ce musée, et s'intègre ainsi parfaitement à

l'oeuvre de Lenoir.

NOTA. La Loge Saint-Alexandre d'Écosse, outre les figures

précieuses de la mythologie de l'Inde, possède encore un nombre

considérable d'idoles, de petites figures égyptiennes, grecques et

romaines, d'amulettes, et beaucoup d'autres petits monuments

antiques, dont l'hommage lui a été fait par plusieurs frères de la Loge,

membres de la commission d'Égypte. Les archives de cette Loge, dont

la réunion est due au frère Thory, sont assez considérables ; elles se

composent de livres rares et de manuscrits précieux sur la Franche-

Maçonnerie, que l'on peut consulter au besoin, attendu que l'archiviste

est très communicatif155.

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D'après Quérard, le cours de 1812 a eu lieu dans la galerie des archives, « au milieu

de la riche et nombreuse collection de monuments de toutes les époques, tant religieux

que maçonniques, qui composaient cette galerie »156. On voit encore combien est

essentiel le morceau inspiré du début (désignons-le par son incipit, comme un poème,

« Armé de mon seul courage et d'une lampe »...) : il crée un lieu qui n'est ni temple, ni

absolument musée, qui déplace l'un par l'autre en quelque sorte : un décor de mystères, à

la fois vivants et morts.

Certainement, il n'est pas question pour Lenoir de dater le phénomène récent de

l'imitation, de cette « égyptianisation » dont Louis Amiable, en 1887, dans un but de

critique et d'amendement des rituels, montre le caractère très tardif. Il le porte à l'absolu :

un objet Mystères existe, a toujours existé ; il est toujours le même sous sa double face,

antique et actuelle. La franc-maçonnerie imite, elle ressemble, elle est la chose même.

« Je parlerai seulement de la ressemblance de ses mystères [de la franc-maçonnerie] avec

ceux des initiations usitées dans l'antiquité, et par conséquent de la comparaison que l'on

peut en faire avec les mythes sacrés ou avec la mythologie des anciens peuples ».

Néanmoins, la question de l'origine est à double niveau. Lenoir rapporte la franc-

maçonnerie à l'Égypte et à une sorte d'égyptianisation, à l'origine et à une réfection de

l'origine.

Son analyse des grades révèle l'attitude d'une espèce d'artisan d'antiquités, il ne

s'agit pas de critique historique, mais d'un regard sur le maniement de l'ancien, sur la

façon de composer l'originel :

L'examen de ce grade peut fournir à lui seul les moyens de bien

connaître l'origine de la Franche-Maçonnerie. D'abord, je vois que les

fondateurs de l'ordre, pour l'organisation du premier grade, ont puisé

dans les mystères d'Isis, et qu'ensuite n'y trouvant rien sur le troisième

grade, puisque les prêtres égyptiens ne le communiquaient point aux

étrangers, ils ont tiré le fonds du sujet dont ils avaient besoin, de

l'Ancien Testament ; et, en se reportant au temps de Salomon, ils ont

fondu le tout ensemble sous une forme nouvelle, sans cependant

altérer les allégories qui peignent les révolutions du soleil et celles des

astres en général, telles enfin qu'elles sont observées dans les

initiations anciennes, comme on a pu le remarquer jusqu'à présent157.

Qu'est-ce que « connaître l'origine », ici ? à la fois rapporter la maçonnerie à

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l'Égypte (prise comme synonyme de l'origine), et à une fondation, c'est-à-dire à une

manipulation qui a fabriqué, autant qu'elle pouvait, de l'égyptien, de l'origine ; et qui

coule et combine les matériaux mythologiques. L'origine est posée à la fois comme un

fait et comme une volonté, comme un donné et comme un travail. On voit à l'oeuvre un

atelier de la fable antique, -ou à l'antique. Le résultat est bon, puisque tout se tient : la

franc-maçonnerie, observe Lenoir quand il arrive au grade de Grand Élu Écossais,

a cela de remarquable, qu'elle est toute symbolique, et que la chaîne

entière des idées, des épreuves et des mystères dont elle se compose,

se forme du grade le plus simple comme du grade le plus élevé. En

effet, le premier grade une fois expliqué, on aura bientôt la clef des

autres. Je dirai donc que pour bien entendre les mystères de la

Franche-Maçonnerie, il suffira d'en connaître l'origine, d'en déterminer

le but, et de faire une application convenable des symboles qu'elle

présente. Il en est ainsi des poëmes et des romans mythologiques ; car

si on ouvre le livre des mystères de l'antiquité ; si on s'arrête au

premier passage qui se présente à la vue ; si on en saisit l'esprit et si on

l'explique, on connaîtra bientôt le sens caché de toutes les fables

sacrées ; car il y a entre elles une parfaite liaison dans le principe

comme dans l'action.

J'ai avancé que les mystères maçonniques n'étaient que la

représentation des phénomènes de la nature. Plus je les examine, plus

mon opinion s'affermit dans ma première proposition, et plus je vois

qu'ils coïncident avec les travaux qui se pratiquaient dans les mystères

d'Isis et de Cérès158.

Cela tient dans le cercle du Sens et de la Nature, comme les grands poèmes que

décompose Dupuis, ou qu'il recompose : puisqu'ils ont du sens et tiennent dans le cercle

des saisons, il répare les lacunes, rassemble l'épars et le réorganise en corps, en tournant

la Sphère.

Le terme de l'initiation, écrit Lenoir, est le symbole de la fin d'un cycle solaire, et

son point de départ, celui du commencement de l'année159. Cela tient sous le soleil. C'est

d'origine, ou plutôt, c'est refait et d'origine. Le secret perdu, que les Égyptiens ne

communiquaient pas, n'est pas perdu : il est dans l'ordre et dans la nature (deux mots pour

une seule chose). L'enchaînement des mystères étant naturel, celui qui tient un grade et

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regarde le soleil, connaît la suite : il n'y a plus qu'à la coder. On tient, comme dirait

Dupuis, le « fond » éternel, ou le « canevas » de toutes les « broderies ». Un soleil, une

religion universelle. Ce qui scelle l'entente profonde de Lenoir et de Dupuis, c'est leur

commune conception du mythe et de la religion comme objets d'une fabrication :

compositions sensées, faites par des hommes éclairés. Un savant les a faites, un savant les

défait, un savant les refait. « Voyez la sphère ». Il n'y a pas plus de mystère pour Lenoir

que pour Dupuis. Il n'est pas plus un « croyant » que lui (pour reprendre le mot de

Baltrusaitis, qui conduit peut-être trop vite à un Lenoir « mystique »160). Ils ont puisé...,

ils ont tiré..., ils avaient besoin..., ils ont fondu... : quel plus beau triomphe du sujet, de sa

science et de sa volonté ? Lenoir est absolument du côté des lumières de Dupuis, d'une

direction du mythe par la pensée consciente et maîtresse d'elle-même. Il connaît et

parcourt en pensée les souterrains de Memphis ; mais il ne nous chantera aucune sorte de

tréfonds. Sa pensée, comme celle de Dupuis, se construit sur une espèce de double

bonheur du Visible et de la Volonté ; le Ciel et Moi.

Mais qui sont les « fondateurs » dont parle Lenoir ? Dans l'Orateur Franc-Maçon,

un discours daté de 1805, et qui donne à la franc-maçonnerie une origine indienne et

égyptienne, fait sortir sa fable de la forge des Hébreux :

On ne peut douter que la Maç... ne nous soit venue par le canal des

Hébreux ; la fable sur laquelle ses mystères sont construits en est une

preuve trop évidente [...] Mais cette fable n'est elle-même qu'une

allégorie qui nous révèle [...] la véritable doctrine de ceux qui les ont

précédés [...] Les Hébreux n'ont connu que les deux degrés de

l'initiation égyptienne ; mais comme ils auront bien su qu'il y en avait

un dernier dans lequel tous les mystères étaient révélés, ils ont

introduit l'histoire du meurtre prétendu de Hiram, histoire qui est

évidemment controuvée, mais qui s'adapte très bien à l'allégorie

astronomique qu'ils avaient reconnue dans les premiers degrés161.

L'explication d'Hiram qui suit (de son nom et de son histoire), et qui fait de lui un

Osiris, est également celle de Lenoir. Mais ce dernier ne cherche guère à préciser

l'identité des « fondateurs » (ceux qui ont fondé, ou fondu). Ils sont remontés à l'origine,

ils ont disposé les éléments. Tout se passe comme s'ils disparaissaient, ayant trouvé

l'origine et composé en conformité avec elle. Restent seuls à seuls les deux semblables,

Mystères anciens, Mystères modernes, occupant tout l'espace de l'ouvrage, dont la

composition même, en deux parties, évacue l'intermédiaire.

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Claude Rétat, « Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis »

Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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Une équivoque est au fond de la démonstration de Lenoir. Il est clair qu'il ne s'agit

pas en fait de suivre une filiation, que la question n'est pas, en fait, de savoir comment la

franc-maçonnerie descendrait des Mystères égyptiens162 ; parce qu'elle descend en

remontant, si l'on ose dire : imiter la rebranche sur l'origine, imiter la fait venir de

l'origine. Aussi le titre indique clairement le sens de l'opération : la Franche-Maçonnerie

rendue à... Il ne s'agit pas des contingences et des accidents de l'histoire, mais d'une sorte

d'abouchement au principe. Qu'est-ce que l'Égypte ? la vérité de la religion (avant toutes

les méprises) ; la religion sans croyance, faite de main d'homme en toute science, sur la

sphère, disant l'universel, ce soleil visible à tous et qui éclaire tous ; non particulière, non

historique, non révélée.

« La Franche-maçonnerie ne saurait être une simple confrérie établie sur des

formules qui lui seraient uniquement consacrées », avec des rites tenus cachés

seulement pour faciliter la réunion de quelques hommes à certaines

époques de l'année [...] j'élèverai mes idées à la hauteur nécessaire,

avec reconnaissance de cause, et je dirai : la Franche-maçonnerie est

une véritable religion, dont le principe et le but moral se rattachent à

toutes les autres163.

En « rendant » la maçonnerie à son antiquité, à l'Egypte, Lenoir la place non comme une

religion parmi les autres, et leur ressemblant parce qu'elles se ressemblent toutes, au fond,

sous l'unique soleil qui les éclaire, mais à la matrice des religions, à la source savante ; il

la donne à la pleine conscience de l'universel.

Hiram solaire est beaucoup plus qu'une fable du soleil164. Il porte avec lui et

suppose l'immense discours de la ressemblance des religions165 sous le soleil ; il

allégorise l'universel166.

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Chroniques d’histoire maçonnique n° 50 / Année 1999

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NOTES

1 Annales religieuses, politiques et littéraires, Le Clere, 1796, t. 1, p. 481-502. « Un homme d'esprit

a comparé cette attaque livrée à nos dogmes sacrés par M. Dupuis, à l'audace avec laquelle Goliath

provoquait les armées d'Israël », que Dieu daigne abattre ce géant d'orgueil. 2 Gazette nationale, ou le Moniteur universel, N˚ 354, Quartidi 24 fructidor, an III, p. 1425. 3 Analyse de l'Origine de tous les cultes...Paris, Agasse, an VII-1799. 2è éd. : Analyse raisonnée de

l'Origine..., Paris, Courcier, an XII-1804 (les deux publications sont anonymes). 4 « M. Dupuis auteur de la Dissertation sur le Zodiaque et l'origine de la Religion chez les

Egyptiens, n'est pas M. Dupuys, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,

connu par ses moeurs, ses talents, et son attachement à la religion catholique », avertissent les « notes

importantes » que l'abbé Lefranc met à la fin de sa Conjuration contre la Religion catholique et les

Souverains (1792). Néanmoins, ou à cause de cela, le catalogue des manuscrits de la bibliothèque

nationale offre au lecteur, sous le nom et les titres de « Charles-François Dupuis », celui de l'Origine,

dix-huit in-folios des moeurs, des talents, etc. de l'autre, qui du reste n'est pas Dupuys mais Dupuy.

L'hésitation orthographique est constante. Le catalogue de la B.N. ne commet pas de confusion inverse.

On ne sait pas où sont passés les manuscrits de Dupuis. 5 Elle a une sorte de beauté. Bibliographie astronomique ; avec l'histoire de l'astronomie depuis

1781 jusqu'à 1802, Paris, 1803, p. 573, année 1779, janvier. 6 Il est nommé professeur au Collège de Lisieux, à Paris, en 1766. Ses études d'enfant pauvre et

brillant ont été protégées par le duc de la Rochefoucault. 7 D'après Dupuis, et la Notice historique sur la vie littéraire et politique de M. Dupuis, par Madame

sa veuve, Paris, Brasseur, 1813. 8 Bibliographie astronomique..., p. 760 (année 1795). Lalande rend scrupuleusement compte des

publications de Dupuis, et mentionne même, dans la bibliographie de l'année 1779, le numéro de

janvier du Journal des Savants, où il avait annoncé la découverte de son élève, ami et protégé. 9 Il sera membre du Conseil des Cinq-Cents (1795-1797), et du Corps législatif après le 18 brumaire

(1799-1802). 10 Paris, Knapen, 3 t. en 5 vol. 11 Le Voile levé pour les curieux, ou le secret de la révolution révélé à l'aide de la Franc-

maçonnerie, Paris, Veuve Valade et Fils, 1791. 12 Avertissement, p. 5-6. 13 Sur le débat Dupuis-Legentil, voir J. Baltrusaitis, La Quête d'Isis, Flammarion, 1985, p. 28-34. 14 Les Ruines, Oeuvres complètes de Volney, Paris, Firmin Didot, 1860, p. 76, note de la p. 53, col.

1, lig. 42 : « voy. aussi l'Origine des constellations, par Dupuis, 1781 ; l'Origine des cultes, en 3 vol. in-

4˚, 1794, et le Zodiaque chronologique, in-4˚, 1806 ». 15 Dupuis ne cesse de renvoyer à cet auteur en termes hyperboliques. De l'égyptien Chérémon, on

n'a que des titres d'ouvrages. Il aurait été un précepteur de Néron, et stoïcien. D'après Porphyre qui le lui

reproche, il donnait aux légendes égyptiennes une interprétation physique : c'est un trait banal du

stoïcisme, mais Dupuis trouve à ce personnage une aura égyptienne et une science des origines

exceptionnelles. Il y a autour de Dupuis une vraie contagion de Chérémon. Boulage, ennemi de Dupuis,

va droit à cette autorité douteuse, mise à la base de l'édifice : voir Les Mystères d'Isis et d'Osiris (1820),

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chap. VII, p. 18 et suiv. Il rappelle que ce qui nous reste de Chérémon est « cité par Porphyre dans une

lettre écrite à Annebon, et où il est traité des mystères ; mais cette lettre nous manque aussi : nous ne la

connaissons que par un écrit où Jamblique la réfute. Jamblique a-t-il cité de bonne foi ? », etc. 16 Histoire générale et particulière des religions et du culte de tous les peuples du monde, tant

anciens que modernes, Ouvrage philosophique proposé par souscription libre, et orné de plus de trois-

cents figures gravées sur les dessins de Moreau le jeune, et sous sa direction, par les meilleurs artistes

de Paris, 12 vol. in-4˚ grand papier, à Paris, chez Fournier le jeune, 1791. Exécution typographique

confiée à Didot le jeune. Tirage particulier de cent exemplaires sur Nom-de-Jésus superfin vélin, avec

figures avant la lettre. 17 Notice historique sur la vie littéraire et politique de M. Dupuis, par Madame sa Veuve, Paris,

Brasseur, 1813, p. 17. 18 Histoire générale et particulière des religions, p. 117. 19 L'exemplaire de la bibliothèque de l'Institut, qui n'a pas été relié, est conservé dans deux cartons

d'origine qui contenaient les deux premières livraisons ; les étiquettes explicatives qu'ils portent

(contenu, justification des délais, etc.) aident à reconstituer en partie l'historique de la publication, les

échéances prévues et les échéances tenues. 20 Ainsi l'abbé Lefranc, en 1792, juge et analyse l'ouvrage par là. Il semble qu'en 1796 l'auteur du

compte rendu qui paraît dans les Annales religieuses fasse de même (t. 1, p. 8-12 et 60-68), et que cela

lui suffise tout à fait pour prier Dieu de « nous préserver d'une telle morale ». 21 La bibliothèque de l'Institut conserve une affiche publicitaire qui engage à aller la retirer. On la

trouve annoncée dans le Journal de Paris national, le 11 septembre 1793, suppl. N˚ 50, à la suite du N˚

254. Il me semble qu'elle se compose des cahiers 5 à 25 (p. 33-200), d'après la description du carton de

l'Institut, et d'après les errata que la 3e livraison donne pour la 2e. Elle contient quatre planches : un

tableau du « système hiéro-astronomique des Égyptiens », la « Déesse universelle » d'après la

description d'Apulée, Isis sous diverses figures, « enfin une planche quadruple, représentant une fête

pompeuse en l'honneur d'Isis, d'après la description que nous en a donnée Apulée ». 22 Etiquette de la 2e livraison. 23 Ou Floréal an III, si le Bulletin a bien paru, comme l'annonçait son premier numéro, tous les dix

jours à partir du 10 brumaire an III. 24 Notice..., p. 15. 25 Origine..., t. III, De la sphère et de ses parties, p. 161 (je cite d'après l'édition in-4˚ de 1795). 26 Prospectus et Discours préliminaire. Voir p. 72, n. 1. 27 P. 86, n. 1. 28 Ibid. 29 P. 71-72. 30 P. 67. 31 Il sont reliés en tête de l'exemplaire de la B.N. Rés-G-580. Également conservés par la

bibliothèque de l'Institut. 32 Voir plus haut, p. 11. 33 Ponctuation propre à l'auteur. Il place le point d'interrogation au début de la proposition

interrogative. Voir plus bas, p. 37.

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34 P. 66. 35 Feuillets joints à la 3e livraison. 36 p. 66, n. 1. 37 Avec la date hypothétique de 1792, un opuscule « Du style allégorique de la haute antiquité et de

son influence sur l'histoire » (est-il détaché d'autre chose ?), conservé au British Museum. 38 « En rendant compte au mois de Juillet 1788 dans le journal des Savants, du mémoire de M.

Dupuis sur l'origine des constellations et sur l'explication de la fable, il [Lalande] osa bien avancer, que

le signe de la vierge, qui représente dans la sphère persique et non ailleurs la déesse Isis avec le petit

Horus, était l'emblème de la sainte vierge mère de Jésus-Christ », Conjuration..., p. 61. 39 Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Puf, 1987. 40 F. Boisard, Notices biographiques, littéraires et critiques sur les hommes du Calvados qui se sont

fait remarquer par leurs actions ou par leur courage, Caen, 1848 (la notice sur Leblond est

parfaitement décevante). 41 Conjuration, p. 37, 59. 42 P. 108, n. 1. 43 Dupuis a eu le temps de composer l'inscription du tombeau de Leblond, à Laigle (Orne). 44 On éprouve de la réticence devant ce genre d'explication, quand l'auteur était mal vu. 45 Dont il fait partie dès 1795 (Littérature et Beaux-Arts, Antiquité et monuments), après avoir été

membre associé de l'Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres en 1772. 46 S. Brunet, « A propos des captations de livres et d'objets d'art durant la Révolution. Le rôle de

l'Abbé Le Blond », Archives de l'Art français, t. XXII, 1959, p. 247-256, p. 256. 47 Préface, xxvii, et t. II (Traité des Mystères), p. 128. 48 « Pour nous qui vivons dans un siècle où les Français ne peuvent et ne veulent plus être trompés,

c'est dans les sources de la justice et de la raison éternelle, que nous devons puiser nos lois », Traité des

Mystères, p. 121. 49 T.III, p. 153. Dupuis s'en réfère au Dieu reconnu agnôstos par tous ces philosophes (note tt, p.

338). 50 Alors « le flambeau de la raison, en parcourant les siècles, ne se serait plus jamais éteint » (Traité

des Mystères, p. 124). 51 Abrégé de l'Origine de tous les cultes... avec une notice et des notes critiques par B. Saint-Marc,

Paris, Garnier frères, sd. (1895), chap. X, p. 305. 52 Origine, t. III, Avant-propos, p. i. 53 La Quête d'Isis, p. 43-46. La Flûte enchantée est jouée à Vienne en 1791, à Paris en 1801, sous la

forme de Mystères d'Isis. 54 Discours, suivi d'une conférence de P. Guieysse, 1887, Extrait du Bulletin du Grand Orient de

France, p. 10-11. L. Amiable, passant les textes français en revue, observe d'abord que l'Egypte n'est

mentionnée ni en 1757 dans l'Encyclopédie, ni en 1766 dans l'Étoile flamboyante de Tschoudy, ni en

1777 dans le supplément de l'Encyclopédie (article de Lalande), p. 14 et suiv. 55 « Si je ne cherchais que le merveilleux [...] J'irais la prendre [l'origine de la maçonnerie] chez les

prêtres égyptiens ; je montrerais dans l'étoile mystérieuse, dans l'équerre, le compas, le niveau, etc., des

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symboles qui leur appartiennent ; je trouverais dans la mort du M.H., cet homme si savant dans les arts,

dans le deuil qu'on en porte, dans la recherche de son corps, dans les enfants de la V..., dans l'arbre

mystérieux, dans la vengeance du meurtre, -la mort d'Osiris, inventeur des arts ; les courses, les

recherches d'Isis, sa veuve, l'arbre où il fut trouvé [...] et la vengeance qu'en tire ensuite Horus » (Les

Initiations antiques, Recherches sur les initiations anciennes et modernes, Amsterdam, Valleyre, 1779,

retirage des Ed. du Prieuré, p. 73-74). Robin trouve l'origine dans la chevalerie (p. 80). 56 P. 102. 57 Maçonnerie égyptienne Rose Croix et Néo-Chevalerie, Les Fils de Cagliostro, éd. du Rocher,

1989, p. 37. 58 « Le nom même de mystère, suivant Démétrius de Phalère, était une expression métaphorique,

qui désignait l'horreur secrète que les ténèbres inspirent », Traité des Mystères, p. 128. 59 Traité des Mystères, p. 88. 60 Traité des Mystères, p. 127, 129, 131. 61 Origine, t. III, De la Réparation, p. 61. 62 T. III, Examen d'un ouvrage Phrygien connu sous le nom d'Apocalypse, p. 224-225. 63 Examen..., note (b) de la p. 295 (à l'occasion d'une citation de saint Augustin), à la fin du t. III, p.

350. 64 Examen..., p. 301. 65 Origine, t. II, Traité des Mystères, p. 239. 66 T. I, p. 302. 67 Abrégé, p. 224. 68 Origine, t. III, Mémoire sur l'origine des constellations, p. 347. 69 Thomas-Pascal Boulage, Les Mystères d'Isis et d'Osiris, initiation égyptienne, Paris, librairie

générale des Sciences occultes, Bibliothèque Chacornac, 1912, reproduit par C. Lacour, Nîmes,

« Rediviva », 1993, p. 66. Cet avocat et professeur de droit (1769-1820), chevalier de la Croix, de la

loge Templière, fut d'après la biographie Michaud au nombre des otages qui s'offrirent pour obtenir la

liberté de Louis XVI. 70 Le « noble but » de la « belle institution égyptienne » était, pour Boulage, de faire connaître le

Dieu unique (Isis, nom de Jehovah). Les « plus grands philosophes » des premiers siècles chrétiens

n'ont pas eu besoin des lumières du christianisme. Il étaient déjà les initiés (ch. XIX, Epilogue, p. 92). 71 Chap. III, Système de Dupuis, p. 54. 72 Chap. VI, Preuves tirées d'Apulée, p. 61. 73 Prospectus de 1792, p. 15-16. 74 Il y a du feuilletoniste en lui. Il va falloir tenir 12 vol. in-4˚. 75 P. 122. 76 Et, sous-entendu, avec moi (qui ai compris les Philosophes). 77 N. 6, p. 223. 78 N. 5, p. 256-257. 79 N. 4, p. 243-244. 80 P. 125.

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81 Il n'y a pas de table des matières, ni, dans le texte, de système de titres auquel se rattacher. Le

discours ne méprise aucun lieu pour exprimer les points les plus essentiels : ni les notes, ni les notes de

notes, ni les stupéfiants et interminables tableaux, dont certaines colonnes sont vides, dont d'autres

dressent en colonne étroite, pleine à craquer de minuscules caractères, les démonstrations les plus

centrales. 82 « Cependant le système des hiérophantes ne consistait pas seulement dans d'arides calculs, dans

de stériles observations astronomiques », et autres traits mordants : voir plus haut, p. 13. 83 Essai sur l'ancienne initiation, 1785, brochure anonyme, signée D. L. N. L'éditeur de l'Histoire

critique des Mystères de l'antiquité, de Gaminville (alias Guillemain de Saint-Victor : il s'agit d'un

doublon de l'Origine de la Maçonnerie Adonhyramite, 1787), Hispahan, 1788, s'en empare et la

réimprime, sans aucune indication d'auteur, à la fin du volume (ch. VII, « Idée de l'ancienne

Initiation »). Voir Quérard, Supercheries littéraires dévoilées, t. II, col. 131-132. 84 La suite d'idées que ce paragraphe suppose est remarquable. On respire la continuité de l'ancien

au moderne. 85 Cours philosophique et interprétatif..., Berlandier, 1841, p. 159, n. 1. Voici ce que Ragon reprend

dans Delaulnaye (outre le grief général de n'avoir qu'une clé) : il met « la mort, ce grand hiéroglyphe de

la nature, avant la vie », il fait de la mort « le type des initiations ». Ragon cite à partir du Manuscrit de

Delaulnaye, 1810, comme l'indique la note (a) de la note 1 que nous avons citée. 86 Thuileur des trente-trois degrés de l'Écossisme du Rit ancien, dit accepté ; auquel on a joint la

Rectification, l'Interprétation et l'Étymologie des Mots sacrés, de Passe, d'Attouchement, de

Reconnaissance, etc., qui, pour la plupart, empruntés de la Langue hébraïque, ont été tellement altérés,

soit dans la tradition orale, soit dans les instructions manuscrites, qu'ils ne présentent plus aucune

signification, Avec 14 planches [...] Suivi de l'exposé du système de la génération des êtres, selon la

doctrine symbolique des Anciens, Paris, Delaunay, 1813, p. 242. 87 Thuileur des trente-trois degrés [...] Avec 21 planches, [...], nouvelle éd. corrigée et augmentée,

Paris, Delaunay, 1821 [en offset, « Les introuvables », éd. d'Aujourd'hui, 1979], p. 317. 88 Ainsi la n. 1, p. 321-323 (je cite d'après l'éd. de 1821) : c'est bien une sorte de charme. 89 P. 316-318. 90 P. 224, 213, et n. 5 p. 214. 91 P. xj. 92 P. xvj. 93 Ibid., n. 1. 94 OC, Firmin Didot, 1860, p. 68. Volney, en 1791, inclut en note la franc-maçonnerie dans la liste

de ces dangers publics : après avoir retracé le régime d'oppression et d'imposture des prêtres d'Egypte, il

ajoute : « tel était, celui des Jésuites qui marchaient à grands pas dans la même carrière [...] En général,

toute association qui a pour base le mystère, ou le serment quelconque d'un secret, est une ligue de

brigands contre la société [...] C'est sur ce principe que l'on doit juger ces coteries modernes, qui, sous le

nom d'illuminés, de martinistes, de cagliotéristes, même de francs-mâçons et de mesméristes, infectent

l'Europe » (Les Ruines, Desenne..., août 1791, p. 407). Ce texte a disparu de l'édition définitive, on lit à

la place une formule très conciliatrice : « Sans doute il serait dangereux d'attaquer de front la croyance

erronée d'une nation ; mais il est un art philanthropique et médical de préparer les yeux à la lumière,

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comme les bras à la liberté. Si jamais il se forme une corporation dans ce sens, elle étonnera le monde

par ses succès » (p. 82). 95 P. xvij-xx. En 1821 précisément, paraît L'ingénieux chevalier Don Quixotte de la Manche, Paris,

Th. Desoer, traduit et précédé d'un avant-propos par Delaulnaye (« D. L »), 4 vol. in-18, avec gravures.

Cette traduction a été longtemps rééditée par les éditions Garnier (j'en trouve une édition en 1923). 96 « Nihil extra Numerum Modumque. Horat. » (1813) ; « Libentius obscura creduntur. Tacit.

Hist. » (1821) : on passe de « Rien hors du nombre et de la mesure » à « On croit plus volontiers les

choses obscures ». 97 « Que si quelque Maçon irascible [...] nous accusait de retirer la lumière de dessous le boisseau,

de divulguer des secrets ineffables, nous leur répondrions, 1) que ce livre, n'étant fait que pour les

Maçons ne sera distribué qu'à eux seuls ; 2˚ que l'expérience a prouvé que le meilleur Thuileur ne

saurait tenir lieu de pratique » (p. vi). 98 Mot de passe du 3e degré, p. 18-19 (éd. de 1821 ; même texte dans l'éd. de 1813, p. 17). 99 8e degré, p. 57 (ou, éd. de 1813, p. 56). 100 J'indique le terme hébreu par +. Mot de passe du 4e degré, p. 35-36 (ou, éd. de 1813, p. 34-35). 101 Manuel maçonnique, ou Tuileur des divers rites de maçonnerie pratiqués en France [...] par un

vétéran de la maçonnerie, Paris, chez Hubert et Brun, 1820 ; 2e édition, 1830, reproduite par Dervy-

livres, Paris, 1975, avec une préface de J. Tourniac. « ZIZA. (héb. + ou + resplendens). C'est le nom du

fils de Jonathan, fils de Juda, fils d'Onan (Paralip. liv. Ier, chap. 2, vers. 33.) », et en note : « Quelques-

uns disent Zizon, mais c'est une faute. On traduit aussi ce mot par balustrade, ce qui paraît sans

fondement, à moins que l'on ne considère les rayons de la gloire de Dieu, auxquels pourrait être

appliquée la signification vraie, resplendens, comme une balustrade qui en garantit l'approche. » (p. 77-

78, mêmes texte et pages dans les deux éd.). 102 P. 55, note 1. 103 Acta Latomorum, Nouzou, 1815, t. II, table des noms. 104 « Les meilleurs sont ceux de L'Aulnaye (2è éd., Paris, 1821) et de Bazot (Paris, 1828) [...] Le

tuileur de L'Aulnaye a été plus ou moins recopié avec quelques utiles précisions, mais aussi avec de

malencontreuses adjonctions syncrétiques, par Vuillaume », p. 287, n. 3 (Paris, Dervy, 1993, 5è

édition). 105 Impr. de Nouzou, Orient de Memphis, XXXVIIIMDCLXXXXII (1812), in-8˚, 47 p. 106 P. 6-7. 107 A travers l'invention d'un récit cosmographique-type, à la fois parodique et significatif.

« IGLIPHALLAH régnait dans l'Espace, disent les mythographes Hyperboréens. Ce nom signifie

l'Indéfini, ou celui qui sommeille. [...] Il avait pour femme ASTAPOURDOU, la Matière informe, le

Chaos, le Tohubohu des Hébreux. Leur cohabitation dura mille millions de Panhus (un espace de temps

indéterminé) » etc. C'est la traduction prétendue d'un « ancien fragment mythologique qui, présentant

réunis dans un même gryphe les élémens des diverses Cosmogonies, en rendra plus sensible la parfaite

concordance » (p. 12 et suiv.) 108 Cité p. 43-44. Pour la ponctuation, voir plus bas, p. 37. 109 Éd. de 1821, p. 255-256 (cette conclusion n'est pas dans l'éd. de 1813). 110 N. 1, p. 35.

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111 P. vij-viij. Je souligne. 112 Analyse raisonnée de l'origine de tous les cultes ou Religion universelle..., Paris, chez Courcier,

An XII, 1804, p. 153. 113 Ou : De l'Aulnaye, Delaunaye, Delaunay, De Launnaye, De l'Aunaie... 114 P. 35 et 34. Voir passim. Cette pratique se remarque dès l'essai de 1789, De la Saltation... Mais

je ne l'ai pas remarquée dans le Thuileur, ni dans les autres ouvrages cités plus haut. 115 Mémoire sur la nouvelle harpe de Cousineau (1782), Lettre sur un nouveau Stabat au concert

spirituel (1782), Lettre à Dupuis, de l'académie des Inscriptions, sur les nouvelles échelles musicales

(1783, -il s'agit de Dupuy), Mémoire sur un nouveau système de notation musicale (1785), De la

Saltation théâtrale (1789), Notice sur Gluck dans la Biographie universelle... 116 Pour la bibliographie, consulter surtout la Biographie Michaud (« Aulnaye, Fr.-H.-St. de L' »), et

la France littéraire de Quérard (« De l'Aulnaye ») 117 « On reconnaît [dans les Mystères] l'ouvrage du Génie, quand on y remarque l'emploi de toutes

les sciences, et une connaissance profonde du coeur humain, et des moyens de se l'assujettir. Il n'a

échappé aux auteurs qu'une seule chose ; c'est que si la raison conduit plus lentement au même but, elle

y mène plus sûrement [...] La vérité est un bien qui appartient à tous [...] C'est un forfait que de la ravir à

son semblable » (Traité des Mystères, p. 122). 118 Ch. II, p. 8. 119 P. 54, n. 1. 120 Dédicace du livre « Aux Frères du Souverain chapitre métropolitain du Rit Écossais, constitués

en Convent philosophique ». 121 13, 15 et 19 février 1815 (p. 3-4, 3-4, 2-4), signé « H. » (Hoffmann selon Quérard). 122 Il fonde en 1790 le « dépôt des Monuments » qui devient le Musée des Monuments français.

Anthony Vidler a analysé le couple révolutionnaire du destructeur et du conservateur, et décrit la

technique du restaurateur Lenoir (l'art de recomposer des ensembles fictifs avec des fragments) : voir

« Grégoire, Lenoir et les monuments parlants », dans La Carmagnole des Muses, sous la dir. de J.-Cl.

Bonnet, A. Colin, 1988, p. 131-154. 123 Quérard, La France littéraire, t. V, p. 167 et suiv. 124 Voir plus haut, p. 11. 125 Voir plus haut, p. 13. 126 Cette dernière remarque a été faite plusieurs fois. Caillet se trompe, quand il indique le

frontispice de Lenoir comme le même que celui de Dupuis (art. « Lenoir », Manuel bibliographique des

sciences psychiques ou occultes, 1912). Pinard de la Boullaye, citant un érudit qui, en 1859, croit avoir

reconnu en Delaulnaye la provenance du frontispice de Dupuis, conclut des différences de détail que les

deux gravures n'ont pu « dériver du même cliché »(L'Étude comparée des religions, 1929, t. I, p. 547.

Pinard de la Boullaye a repris pour son propre ouvrage le frontispice de Dupuis, parce qu'il est, dit-il,

« un exemple typique des rêveries auxquelles peuvent conduire l'esprit de système et l'abus de

l'allégorie »...). E. Bocher, dans son catalogue des gravures de Moreau-le-Jeune, avait déjà indiqué aussi

bien la reprise des gravures par Lenoir, qu'une copie du frontispice faite « en contrepartie, et avec de

nombreux changements » pour l'ouvrage de Dupuis : il l'intègre à son catalogue parce qu'elle lui semble

évidemment inspirée par le dessin de Moreau (Les gravures françaises du XVIIIe s., 6e fascicule, 1882,

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art. « Delaulnaye », p. 156). 127 Conjuration..., p. 38-39. 128 P. 31. Voir p. 41, p. 42, n.1, p. 48, p. 49, n. 1 et 2, p. 49, 114, 140, 228... Jamais Lenoir ne donne

de références précises. 129 P. 175-176. 130 P. 179, n. 1. De même p. 192 : « Selon le manuscrit que j'ai eu dans les mains »... 131 Vengée doucement, de l'intérieur, ce qui n'était pas la méthode de Bernard Lambert (La Vérité et

sa Sainteté du christianisme vengée contre les blasphèmes et les folles erreurs d'un livre intitulé :

Origine de tous les cultes, 1796). 132 P. 73. 133 P. 82-83 : il a accrédité la fable des sacrifices humains. 134 P. 86 et suiv. « Nous répondrons, l'abus [...] ne prouve nullement contre les mystères », longue

réponse, qui s'en prend aux « calomnies ». 135 P. 73-74, p. 114. 136 P. 47, n. 1. 137 P. 52, n. 1. 138 P. 228. Voir plus haut, le texte cité p. 19. 139 Étiquette du carton de la deuxième livraison. 140 Dans les deux exemplaires de la B.N., les légendes manquent à toutes les gravures. Les

exemplaires de la Bibliothèque de l'Institut et de celle du Grand Orient de France sont complets.

Rendons à Delaulnaye, et à sa date plus ancienne, cette gravure que J. Baltrusaitis attache à Lenoir-1814

(La Quête d'Isis, p. 50), ainsi que les autres planches qu'il extrait de la Franche-Maçonnerie (p. 48-49,

p. 65). E. Bocher (déjà cité) a décrit toutes ces planches, et A. Monglond a reproduit sa description (La

France révolutionnaire et impériale, t. II, col. 427-429) 141 L. Amiable, p. 20 et suiv. La Flûte enchantée, très inspirée par Sethos, met en scène la

purification par les éléments, en 1791 (à Vienne). 142 Ainsi, la n. 1, p. 138, présente une sorte de drôlerie : « L'abbé Terrasson, qui rapporte presque

mot pour mot ce qu'on vient de lire »... (Origine de la Maçonnerie..., à Hélyopolis, 1787). 143 « Discours préliminaire », « Explication du Frontispice », « Considérations générales ». On

passe ensuite à la première Partie. 144 P. 18-19. Sethos (1731), Livre III (Desaint, 1767, t. I, p. 182) 145 La Quête d'Isis, p. 47. 146 Dédicace de la Franche-Maçonnerie, « Aux Frères du Souverain chapitre » etc. 147 La lampe peut se porter sur la tête. Voir Sethos, L. III (t. I, p. 171). 148 L'appartenance maçonnique de Lenoir, pourtant désigné comme « Frère Lenoir » par Chemin-

Dupontès, Clavel, etc., a été niée par Ragon : il « ne fut jamais reçu francmaçon. Voici à quelle

occasion il devint [...] auteur de [...] la Franche-Maçonnerie rendue à sa véritable origine [...] Le

libraire Fournier [...] s'entendit avec M. Lenoir qui avait assisté en 1812, aux séances du convent

maçonnique, à l'aide de cet étrange laisser-aller qui n'existe qu'à Paris ; persuadé que ce qu'il avait

recueilli au convent, joint à ses connaissances archéologiques, suppléerait à ce que donne seule la

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régularité de l'initiation, il fit paraître sa Franche-Maçonnerie, qui servit à utiliser dix planches du bel

ouvrage de de l'Aulnaye » (Orthodoxie maçonnique, Dentu, 1853, p. 159, n. 1). Une note, au Fichier

des Auteurs de la bibliothèque du Grand Orient, affirme qu'il n'était pas maçon. L'enquête faite par

A. Lantoine semble pourtant dissiper les doutes (Bulletin mensuel des Ateliers supérieurs, juin 1935 et

mai 1937). J'ai pu vérifier pour ma part l'inscription de Lenoir sur l'Annuaire de la Mère Loge du Rit

Ecossais philosophique en 1813, et trouver sa signature maçonnique dans les manuscrits. Mais la

carrière maçonnique de Lenoir reste pleine d'obscurité. 149 P. 241 (même texte que p. 19). 150 P. 244. 151 Par exemple, p. 112 (Thèbes), ou 204-205 (Notes et observations sur la mythologie indienne) :

« Quichena ouvrit la bouche et lui fit voir le monde entier. Cette idée colossale de la suprême divinité,

est beaucoup mieux exprimée dans la figure gigantesque d'Isis, qui se trouve au nombre des peintures

de Thèbes, gravées par la commission d'Égypte, et par M. le baron Denon. » 152 P. 207. 153 Pierre-Nicolas Hoorn Van Vlooswick (1742-1809), né à Amsterdam, fixé à Paris après des

séjours en Italie, a consacré sa vaste fortune à sa passion des oeuvres d'art, et à réunir des collections

précieuses. 154 P. 251, n. 1. 155 P. 217-218. 156 France littéraire, t. V, p. 167. 157 P. 264 (répété p. 279). Suit l'explication d'Hiram (explication du 3e grade). 158 P. 278-279. Lenoir a prévenu plus haut qu'il opérait la fusion d'Isis et de Cérès, et de leurs

mystères. 159 P. 289, 274. 160 La Quête d'Isis, p. 47. 161 L'Orateur Franc-Maçon, ou choix de discours prononcés à l'occasion des solennités de la

Maçonnerie [...] recueillis par l'auteur du Manuel maçonnique [Vuillaume], O... de Paris, 1823, p. 71 et

73. 162 On voit en 1820 les Essais sur la Franc-maçonnerie de Vuillaume (au début du Tuileur), pris

dans la même contradiction (également pour affirmer l'origine égyptienne). Ils prennent position dans la

ressemblance, et prétendent l'exprimer en termes de suite. 163 P. 6 et 7, Discours préliminaire. 164 Voir par exemple Les Francs-Maçons de Mgr de Ségur (1867), chap. XXIII, « Comme quoi la

Maçonnerie se console de ses peines dans le culte du soleil » (réédition par E. Poulat et J.-P. Laurant,

L'Antimaçonnisme catholique..., Berg International, Paris, 1994). 165 « La révélation s'évanouit [...] que reste-t-il ? la ressemblance », Origine de tous les cultes, t. III,

p. 137, « Sur l'unité et la Trinité de Dieu ». 166 Voir notamment dans l'Orateur Franc-Maçon les trois discours pour la réception aux trois

premiers degrés, p. 236 à 277.

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LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

– Figure 1. Frontispice de l'Histoire générale et particulière des religions de Delaulnaye, publié avec la première livraison de l'ouvrage, en 1791. Réutilisé en 1814 par Alexandre Lenoir, c'est aussi le frontispice de La Franche-Maçonnerie rendue à sa véritable origine. La gravure, faite sur le dessin de Moreau-le-Jeune par « De Longueil graveur du Roy », est datée de 1790. On pourrait croire, d’après certains exemplaires de La Franche-Maçonnerie, que la date a été effacée. Mais elle apparaît très clairement sur d’autres exemplaires. Dimensions : 13,9 x 19 (Delaulnaye), 14 x 19,5 (Lenoir). Parfaitement identiques, les gravures de l’Histoire des religions et de La Franche-Maçonnerie présentent de légères différences de format. Effet sans doute de la qualité du papier et de sa réaction à l’impression.

Delaulnaye n'est pas lui-même à l'origine de ce frontispice, ni de l'explication qui l'accompagne. L'abbé Leblond, qui travaillait dans le cercle immédiat de Dupuis, communiquait à Delaulnaye les documents de ce dernier (voir ci-dessus p. 40). Cela complique l'ordre des emprunts.

Pour le détail de la gravure, voir fig. 2. Le frontispice de Delaulnaye obéit à l'intention savante (faire voir d'un coup le système

dans son ensemble, et dans le rassemblement du monde qu'il opère), et à la recherche de la perfection dans l'exécution matérielle du livre : excellence de la typographie, excellence des gravures, Didot le Jeune et Moreau le Jeune. Delaulnaye entend remplacer les Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, représentées par des figures dessinées de la main de Bernard Picard, avec une explication historique (1723 pour la première édition), dont la science, écrit-il, est nulle, et dont tout l'intérêt est pour les yeux : « le titre seul de ce livre prouve qu'on en regardait les planches comme la partie principale ». Delaulnaye promet la science, et de ne le céder en rien à Bernard Picard pour la richesse des figures (voir fig. 7 et 8).

– Figure 2. Frontispice de l'Origine de tous les cultes de Dupuis (1795). Dessiné par Ducoudray, gravé à l'eau forte par L. Pauquet, terminé au burin par P. H. Trière. Dimensions : 13,8 x 19,9 cm. Placé, avec son Explication, en tête du volume de planches. « Ce frontispice, écrit Dupuis, est un Tableau raccourci de l'Origine de tous les cultes, et il sert à en fixer les bases générales, d'une manière aussi ingénieuse que piquante. »

L'effet de recomposition du même, d'un frontispice à l'autre, est frappant. L'Explication du frontispice de Delaulnaye emprunte à Dupuis son interprétation des religions, mais c'est le frontispice de Dupuis qui arbore (pour plus d'évidence encore ?) un soleil et une lune : « Le Soleil, objet de tous les cultes, occupe le haut du Tableau ; à la gauche brille la Lune, qui a partagé la vénération des Mortels » (ainsi commence l'Explication du frontispice de l'Origine. La lune à gauche : Dupuis voit sa gravure en négatif).

Dupuis inscrit dans la roue qui occupe le coin gauche du ciel les deux signes qui comptent pour lui, le Taureau et le Bélier (ou l'Agneau) : ils marquent deux ères et conditionnent les deux séries des symboles religieux, que réunit la gravure. Première série :

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Veau d'or des Hébreux (prêtre en robe, autel, chandelier), boeuf Apis des Egyptiens (avec la statue du Dieu Nil), oeuf orphique ouvert par le Taureau (retrouvé au Japon par Dupuis), immolation du Taureau par Mithra : cela correspond au temps où le soleil, au commencement de l'année c'est-à-dire à l'équinoxe de printemps, entrait dans le signe du Taureau (4500-2500 avant J.-C, ou, dans la langue de Dupuis et Delaulnaye, avant le siècle d'Auguste). La précession des équinoxes amène ensuite le soleil à se lever dans le signe du Bélier ; d'où ces représentations renouvelées : Jupiter-Ammon à cornes de bélier (il les élève de la main droite), Mystères de l'Agneau (qu'on voit entouré des quatre figures de l'Apocalypse, expliquées par le ciel : Lion, Boeuf ou Taureau, Ange ou Verseau, Aigle ou Vautour de la Lyre).

En haut la « Vierge céleste », « qui brillait à l'Orient le 25 décembre à minuit, lorsque les calendriers romains annonçaient la naissance du Soleil invincible ». A droite, Sérapis (enveloppé d'un serpent), ou le soleil d'automne. Les Pyramides : Isis et Osiris, lune et soleil. Au centre : sacrifice à Vesta (culte romain du feu solaire). En bas à droite : corbeille des Mystères de Bacchus (le serpent représente le trajet annuel du soleil).

Différences assez minimes : la tranche de zodiaque de Delaulnaye, en haut à gauche, porte trois signes, Taureau, Bélier, Poissons. Ainsi l'image est moins strictement ajustée à l'Explication, qui emprunte à Dupuis sa lecture par le Taureau et le Bélier. Sérapis est absent du frontispice de Delaulnaye (mais on le trouve, à l'identique, dans une gravure de l'ouvrage).

La différence vraiment remarquable entre les deux frontispices, et qui semble avoir passé inaperçue, consiste dans la représentation de la religion de Mahomet, sur le bord gauche chez Delaulnaye (et, ipso facto, chez Lenoir) : homme en turban, armé d'un sabre et d'un livre, foulant un buste. Mahomet est totalement absent du frontispice de Dupuis. S'il figure chez Delaulnaye, c'est comme un élément inassimilable, hors-soleil, hors-Antiquité, hors-système. Delaulnaye, le réservant pour la fin de son Explication, réserve aussi une violence particulière à cette religion qui, écrit-il, « n'est fondée que sur la violence et l'imposture ; elle n'a aucun rapport avec les religions anciennes, aucune liaison avec les siècles passés. On a donc isolé ici le prophète des Arabes. Il tient l'Alcoran comme s'il voulait faire croire qu'il l'a reçu du ciel ; et il est armé d'un sabre ». Fanatisme, iconoclasme : « On est même surpris de voir couronné d'un tel succès un projet aussi absurde. On est indigné de voir un peuple sans culture dans l'esprit, sans lettres, sans aucun goût pour les sciences, occuper la plus belle place du globe. On est indigné surtout de voir les restes les plus précieux de l'antiquité en la possession de Barbares, qui ne cherchent à les soustraire aux yeux des Savans et des Artistes, que pour se réserver le droit de les profaner ou de les détruire. »

Il semble ainsi que tombe sur Mahomet, tout à coup, tout le péché de l'absurde, du moderne et du laid. Il y a là un réel décalage avec Dupuis, dont le frontispice est pure image du système et du lié ; qui, quand il évoque l'Islam (peu à vrai dire), le fait pour noter des ressemblances et des identités ; qui réserve massivement l'absurde, le moderne et le laid aux chrétiens, à ces ignorants qui vivent sur le culte de Mithra, qui n'est que le culte du soleil, sans le savoir et en brouillant tout.

Lenoir est embarqué dans le frontispice de Delaulnaye. A moins qu'il ne s'y retrouve très bien. C'est bien Lenoir, sauveur d'antiquités, qui écrit dans l'Explication de son frontispice, en réhabitant, pour ainsi dire, Delaulnaye, que « la destruction des livres écrits, la

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dévastation des monuments des arts, exercées par des sectateurs ignorants, sont l'une et l'autre fort ingénieusement exprimées par une statue brisée et par des manuscrits que le pontife-roi foule lui-même sous les pieds ». Et peut-être Delaulnaye avait-il lui aussi en vue, au nom des Savants et des Artistes, d'autres iconoclasmes que celui de l'Islam.

– Figure 3. Place Charles-François Dupuis, philosophe français (Dijon).

En octobre 1904, le Conseil municipal décida de rebaptiser les rues et places de Dijon qui portaient un nom de saint. La rue Saint-Bernard reliait la place Saint-Bernard à la petite place Saint-Bernard : la rue Claude-Bernard relia la place E.-Dolet à la place Dupuis. Aujourd'hui, la rue restée rue Claude-Bernard relie la place redevenue place Saint-Bernard à la place restée place Dupuis.

Dupuis avait acquis une maison en Bourgogne (la métairie du Fossé, à Echevannes, canton d'Is-sur-Tille) : il y mourut et fut enterré à Echevannes. Les philosophes de la Côte d'Or ont pu s'enorgueillir, et les dévots enrager, de posséder l'auteur de l'Origine de tous les cultes, ouvrage mis à forte contribution dans les luttes religieuses/anti-religieuses du début du XX

e siècle. En 1903, la tombe de Dupuis s’est ornée d'une petite pyramide.

– Figures 4 à 6. Quelques exemples représentatifs des tableaux de l'Histoire des religions de Delaulnaye :

Fig. 4. « Noms (en quatre lettres) de la Divinité suprême »... Le tableau occupe les pages 209 à 212 (3e livraison, 1795), et déploie l'érudition linguistique de l'auteur.

« Les hiérophantes distinguèrent quatre mondes principaux, l'archétype, l'intellectuel, le sidéré et l'élémentaire », écrit plus haut Delaulnaye (p. 200), avant de traiter une à une ces rubriques. Le texte de la première débouche sur un tableau (« Application des Nombres, depuis l'unité jusqu'à la Décade, au monde Archétype », p. 204-207) que suivent les notes du tableau (p. 208-224) : la note 3, selon laquelle « une des plus fortes preuves que l'on puisse donner de l'identité des religions anciennes, se tire de la formation même des mots qu'elles ont consacrés », est illustrée à son tour par le tableau dont nous reproduisons ici une page.

Fig. 5. Histoire des religions, p. 258 (3e livraison, 1795). Ce tableau est contenu dans la note 7 du 2e tableau de la 3e rubrique, « Le monde sidéré » (voir fig. 4). Delaulnaye réhabilite la semaine contre « l'ignorance et l'envie de détruire » : « On a affecté de la regarder comme un monument de la superstition, et l'on ne s'est pas même douté qu'elle pût avoir quelque rapport à l'ensemble du système des anciens sur les opérations de la Nature. On l'a ridiculisée en la faisant remonter à la création du monde, et ceux qui plaisantent avec tant de grâces ne seraient peut-être pas en état d'expliquer un seul chapitre de Moyse. » On voit ici se rassembler le passionné de musique, le passionné de cabalistique, le passionné de sens et d'antiquité, et l'homme hostile aux nouveautés de la Révolution, au calendrier révolutionnaire.

Fig. 6. Extrait (début de la partie qui concerne le soleil) du « TABLEAU général de la Concordance du Microcosme et des trois règnes de la Nature, avec les Planètes, suivant les

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doctrines Astrologique, Cabalistique, Magique, Iatrique, Hermétique, Alchymique, Spagirique et Maçonique [sic] des Egyptiens et autres Peuples anciens », en 10 colonnes et 43 pages (pp. 156-198). Avec le tableau dont il prend la suite (« Condordance du Microcosme et des trois règnes de la Nature avec les signes du Zodiaque suivant les doctrines Iatrique et Astrologique des Egyptiens », en 12 colonnes, pp. 148-155), il procède du « principe commun aux Cabalistes, aux disciples d'Hermès, à tous les instituteurs de symboles religieux », celui du « lien unique » et de la « chaîne non interrompue » entre tous les corps de l'univers (p. 199).

Si l'on regarde vite, ce tableau ne donne qu'une impression de catalogue et de déversement. Par exemple, p. 170, 6e colonne (« Plantes correspondant aux planètes », ici le soleil, et vertus de ces plantes d'après les cabalistes) :

Les matières de saveur acidule [sic] sans âcreté.

Les plantes suaves et aromatiques.

Celles qui chassent la foudre et guérissent les venins. [...]

Menthe, safran, baume, aloes, calamus aromaticus, poivre, thymiane solaire, canelle,

marjolaine, romarin, gérofle [sic], zédoaire, laurier, cèdre, palmier, frêne, hêtre,

vigne, chêne vert, chelidoine, gingembre, gentiane, dictame, verveine [...]

Millepertuis, sudorifique carminatif, guérit toutes les plaies internes et externes.

Enula campana infusée dans du vin, fortifie la vue et guérit l'asthme. Laurier, guérit

les morsures venimeuses ; ses feuilles rétablissent l'eau corrompue. Citron, ses

pépins infusés dans du vin, bons pour les maladies pestilentielles, etc.

Pourtant ce tableau contient aussi un discours, qui est sur le même plan que le texte principal, mais tassé en colonne, et qui ne rejette aucune de ses longueurs rhétoriques : « il suffit d'avoir la plus légère teinture du système des anciens sur la formation de l'univers pour saisir avec facilité »..., « cette matière néanmoins est assez importante pour que je m'y arrête quelques instants », « je prie le lecteur de ne point oublier que »..., « je le répète »..., et (comble d'ironie) : « Je ne m'arrêterai point à rapporter ici les diverses fables solaires et leur interprêtation par les Philosophes. Les détails me mèneraient trop loin ; je me résume et je dis », etc. (Toutes ces citations viennent de la col. 8, pp. 170-178).

Mais surtout, ce texte qui arrive à l'aveuglant et au contraste de la colonne trop blanche et de la colonne trop noire (cette espèce de poème graphique au Soleil, par un savant compilateur !), recèle l'expression du système cher à Delaulnaye : sa critique et son refus de Dupuis, son matérialisme animé par une autre inspiration, suspendu à un autre soleil, son interprétation des religions par le « FEU GENERATEUR » : « Ce n'est point seulement à l'astre qui brille dans les cieux que l'on doit rapporter tout ce que les anciens nous ont dit du soleil. Par ce mot, les Hiérophantes et les Philosophes entendaient la cause latente de toute création, de toute végétation, de tout mouvement. Leur soleil est ce feu vivifiant, ce principe igné, répandu dans toute la nature » (col. 8, p. 171). Suit, dans la même colonne, une longue et essentielle analyse de la Genèse, comme livre de la génération des corps (« ISTAE SUNT GENERATIONES »). La colonne 10 tient aussi discours :

Soleil est l'OR.

Soleil est le Souffre des Sages [...]

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ANUBIS, TITAN, ISIS, MEROTA, MONUPHTA.

Enfin, et pour récapituler tout ce que je viens de dire, le Soleil est et fut dans tous les

tems le DIEU de L'UNIVERS. Mais, par ce mot, les peuples entendirent rarement

l'astre qui brille dans les cieux, et qui n'était pour eux qu'une image de la divinité

suprême. Sous le nom de Soleil, toutes les nations policées ont adoré l'élément ou

plutôt le principe du FEU, qu'ils regardaient comme la source de la vie, la cause

première de toute existence (p. 172).

– Figure 7. « Epreuves par les quatre éléments »..., planche numérotée 12-13 dans l'Histoire générale et particulière des religions de Delaulnaye. Dimensions du cadre : 19,2 x 34,2 cm. Dessinée par Moreau le Jeune, gravée par L. Petit. Annoncée en 1793 comme « planche d'un effet très pittoresque », et parue dans la 3e livraison (1795).

Cette planche passe à Lenoir en 1814 (La Franche-Maçonnerie, p. 244 ; dimensions du cadre : 19,5 x 35). Cas exemplaire d'un transfert et d'un déplacement non seulement de l'image, mais de texte et de sens (voir ci-dessus, p. 43).

– Figure 8. « La déesse myrionime, Isis, Ou la Nature Personnifiée », planche numérotée 16 de l'Histoire des religions. Dessinée par Moreau le Jeune, gravée par J. B. Simonet, datée de 1792. Publiée dans la seconde livraison (1793) et désignée comme « une représentation de la Déesse universelle, telle que l'a dépeinte Apulée » (carton de la livraison). Elle se trouve dans la Franche-Maçonnerie de Lenoir, p. 76, avec une longue explication. Dimensions : 13,8 x 19,2 (Delaulnaye), 14 x 19,5 (Lenoir).

– Figure 9. « Planisphère iconologique des signes et de leurs décans, ou Sphères à Figures des Egyptiens, des Perses, des Indiens et des Barbares », dans La Franche-Maçonnerie, p. 52. Ecrit par J. J. Pachoux. Dimensions : 91 x 61,3 cm. (document reproduit en supplément détaché de ce numéro)

Lenoir réutilise ici un planisphère de Delaulnaye (prévu et désigné comme la planche 5), mais qui manque dans l'ouvrage de ce dernier (il était annoncé en 1793 pour la 3e livraison, et son commentaire remplit les pages 101 à 125 de l'Histoire des religions). Delaulnaye lui-même empruntait à Dupuis, par l'intermédiaire de l'abbé Leblond (voir ci-dessus p. 39 et 43).

Il y a quelque chose de très matériel dans le remplissage du support : on manoeuvre avec l'espace que laisse un planisphère, rond, sur une feuille, rectangulaire. Ainsi, en bas, de

part et d'autre du planisphère central, se trouve disposée la suite de la planche précédente (un peu plus petite, elle était composée de même : un schéma circulaire, encadré de tableaux), deux tableaux de « Septénaires relatifs au système hiéro-astronomique, physique, cabalistique, astrologique, iatrique, alchimique et magique des peuples anciens rapporté Pl. 4 ».

De part et d'autre, en haut : deux planisphères composés de figures (hémisphères austral et boréal). Delaulnaye emprunte à Kircher, indique-t-il, ce « monument égyptien » appelé « Planisphère des Génies, parce qu'il offre la peinture de ces êtres composés et fantastiques sous l'emblême desquels les anciens hiérophantes représentèrent les quarante-huit constellations qui leur étaient connues » (p. 101).

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De part et d'autre, dans la bande du milieu : deux tableaux des 48 constellations (les 12 signes du zodiaque, les 36 constellations extra-zodiacales). « A côté du nom vulgaire de chaque constellation, et de ses noms latin, grec, arabe, hébreu, etc. j'ai placé la liste exacte des dénominations symboliques que les anciens lui ont données. Ainsi sont renfermées dans un très court espace les élémens complets de la mythologie ancienne, qui portent, pour ainsi dire, avec eux leur démonstration. Car si, d'une part, on trouve ici réunies toutes les divinités, tous les génies symboliques de l'Egypte et de la Grèce, de l'autre, les constellations correspondantes à ces symboles en font voir l'origine, et découvrent à nos yeux la cause des applications diverses que les anciens en ont faites dans la construction de leurs théogonies. »

Application : on fera fonctionner ces tableaux avec les tableaux du lever et coucher des constellations (donnés par Delaulnaye p. 97-98). Par exemple, Epaphus, qui, selon la fable, est à l'origine du malheur de Phaëton, est le Taureau : c'est indiqué dans le tableau des signes du zodiaque de la planche 5. On se reporte alors au tableau des levers et couchers (p. 98), et l'on voit « coïncider avec le lever [du Scorpion] le coucher cosmique du Taureau, des Hyades, du Cocher, de l'Eridan, et le lever cosmique du Cygne. Ainsi, la dispute d'Epaphus et de Phaéton, est une allégorie du voisinage des deux constellations du Cocher et du Taureau » (p. 111).

Grand planisphère central. C'est lui qui est attribué à Dupuis par Delaulnaye, et qui commande le titre général de la planche. « Il est dit iconologique des signes et des décans, parce qu'il contient une description exacte des figures variées sous lesquelles les anciens se plurent à représenter les différents aspects des étoiles ».

Nous compterons les cercles en partant du centre (la terre) : -les trois premiers : divisions de l'année en 2, 4 et 12 parties. Ce sont les « premiers

fondements de toutes les mythologies anciennes ». Entre le 2e et le 3e cercle : noms des mois : « par le moyen de rayons duodénaires prolongés indéfiniment, chaque nom se trouve vis-à-vis du signe du zodiaque auquel il correspond ».

-Entre le 3e et le 4e cercle : le symbole d'une planète et un chiffre. « Par exemple, dans la case duodécimale correspondante au Bélier, on voit le caractère du soleil avec le chiffre 19 », ce qui veut dire : « le soleil arrive dans son exaltation au 19è degré du Bélier. »

-Entre le 4e et le 5e cercle : catalogue des paranatellons (levers et couchers concomitants : cela permet d'expliquer les épisodes et les divers personnages des fables ; par exemple, si x tue y, on découvrira que x représente telle constellation, qui se lève quand telle autre, représentée par y, se couche). Delaulnaye l'a « tiré des écrits des meilleurs astronomes anciens et modernes ; tels que Hipparque, Eudoxe, Hygin, Eratosthène, Aratus, Aben Ezra, Manilius, Scaliger, etc. »

-Entre le 5e et le 6e cercle : noms des signes du zodiaque, et, en dessous, « de la planète qui a son domicile dans ce signe » (explication et discussion des termes domicile et exaltation p. 123, en rivalité avec Dupuis).

-Les figures que comportent les quatre sphères (celles des Egyptiens, des Perses, des Indiens, des Barbares, comme le promet le titre de la planche) sont énumérées entre les cercles 6 et 7, 7 et 8, 8 et 9, 9 et 10 : cela est indiqué sur l'axe horizontal médian, à droite.

-Après le 10e cercle : « Enfin, pour ne rien laisser à désirer sur le génie astrographique des anciens, j'ai cru devoir faire graver la grande sphère des degrés que nous a transmise Scaliger », divisée en 360 parties, une partie par degré d'un signe du zodiaque. « Cette sphère

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Claude Rétat, « Lumières et ténèbres du citoyen Dupuis »

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est partie astronomique, partie astrologique ; car, vis-à-vis de chacune des peintures qui la composent, est placé un horoscope qui lui correspond ». Delaulnaye n'a pas eu la place d'ajouter ces horoscopes au planisphère : il les donne donc, dans le texte, sous forme de tableau en colonnes (p. 119-122).

-« La distribution des planètes en décans est rapportée dans l'espace compris entre les deux derniers cercles du planisphère » (de tracé plus épais).

Le commentaire de Lenoir (La Franche-Maçonnerie, « Observations », p. 52) contraste avec celui de Delaulnaye par sa brièveté. Peut-être cette grande chose savante est-elle devenue, simplement par son impact visuel, une chose garante (du sérieux, de l'autorité du système astronomique) : on voit, on croit, et on ne s'attarde pas. Le texte savant qui l'accompagnait est évacué. Notons aussi que la page de Lenoir choisit de faire ressortir la division de la nuit et du jour, des ténèbres et de la lumière (au centre du planisphère, la terre avec un hémisphère clair, l'autre noir).

L'Origine de tous les cultes repose sur l'idée du visible et sur une mise en oeuvre du visuel, mais on n'y trouvera pas le même type de grande planche composée, et presque trop remplie (alors que le « planisphère égyptien » de Kircher, ou le « planisphère des génies » donné en haut à gauche et à droite par Delaulnaye, est bien, par exemple, dans l'atlas de Dupuis, planches 5 et 6). La grande supériorité du savant Dupuis est qu'il propose et fait mettre en vente autre chose que des tracés plans :

Le citoyen Loysel, Ingénieur pour les Globes et Sphères, a construit, sous la

direction du Citoyen Dupuis, un Globe destiné à faciliter l'intelligence de cet

Ouvrage. Les Pôles de ce Globe sont mobiles, et s'adaptent à la précession des

Equinoxes. De plus, les figures des Constellations sont accompagnées de tous les

différens noms, et de toutes les diverses dénominations, par lesquels on les a jamais

désignées.

Cet Artiste demeure rue du Plâtre-Jacques, N˚ 9, au premier sur le devant.

(Atlas de l'Origine, p. 4.)

Mais le dernier ouvrage publié par Dupuis, sorte de testament d'un philosophe qui n'est plus à l'heure du triomphe, le Mémoire explicatif du Zodiaque chronologique et mythologique (1806), lègue à l'héritier spirituel inconnu un grand tableau savant (un planisphère), une grande carte pliée et serrée, dont tout le livre (148 pages in-4˚) n'est que le commentaire explicatif : « Il se trouvera tôt ou tard un homme d'esprit qui fera usage de ce Tableau, et c'est à lui que je le dédie. »