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Éditorial Combien de Dermatologues faut-il en France ?J.-C. ROUJEAU (1), Ph. BERNARD (2), Ph. BEAULIEU (3), G. ROUSSELET (4), B. DRÉNO (5)
ombien sommes-nous en 2005 ? Aussi étrange que cela paraisse, il n’y a pas
de donnée consensuelle. En janvier 2003 selon le Ministère de la Santé (ADE
LI), il y avait en France 3 963 Dermatologues dont 424 hospitaliers, soit 3 539
d’exercice libéral exclusif ou prédominant. La CNAMTS, en décembre 1999, n’en
décomptait que 3 262. Dans son annuaire 2004 le Syndicat National des Dermato-
Vénéréologues (SNDV) recensait département par département
3 600 dermatologues en exercice, incluant les hospitaliers. Le Conseil National de
l’Ordre recensait, au 1er janvier 2004, 3 754 Dermatologues ayant une activité
régulière (site web : www.ordremedecin.fr ).
L’analyse de ces différentes sources nous conduit à retenir comme les plus plausibles
les nombres de 3 200-3 300 dermatologues d’exercice libéral prédominant ou
exclusif et 350 à 400 hospitaliers. Ceci correspond à une « densité médicale » de
6 pour 100 000 au total et de 5,3 pour les libéraux.
Selon des sources variables, avec des modes de calculs probablement hétérogènes,
la densité des dermatologues serait de 1,2 en Grande Bretagne, 3,3 aux USA, 4 en
Espagne, 5,9 en Italie, 5,9 en Allemagne et 8,2 en Grèce [1, 2], [communications
personnelles de responsables des Sociétés Nationales]. La France a donc une des
densités les plus élevées en Europe, à un niveau équivalent à celui de l’Italie et de
l’Allemagne.
Les chiffres en France résultent d’un accroissement important des installations entre
1979 et 1989. Dans cette décennie 1 442 Dermatologues se sont installés, soit
144 chaque année en moyenne [3]. Dès la fin du Certificat d’Etudes Spéciales (CES)
le nombre des dermatologues formés annuellement a diminué à moins de 100 et n’a
pas cessé depuis de se réduire. En 1996 un travail du Pr Philippe Lauret montrait que
l’on formait alors 74 dermatologues chaque année par le DES.
Il faut garder en mémoire que le nombre de spécialistes formés a toujours dépassé
de 10 p. 100 à 20 p. 100 le nombre des installations effectives (exercice hospitalier,
changement d’orientation, etc.). Depuis 1996, le nombre de postes de DES a été
réduit par les DRASS de plus de 40 p. 100.
Les données les plus récentes, colligées par le Collège des Enseignants de
Dermatologie (CEDEF) auprès des coordonnateurs de l’enseignement dans chaque
inter région, montrent qu’en 2004 c’est seulement 43 nouveaux collègues qui ont
obtenu le diplôme de spécialité. Au moins dix d’entre eux ne s’installeront
probablement jamais. Une dizaine chaque année est en effet le nombre minimal de
celles et ceux qui devraient rester à l’hôpital pour maintenir un nombre de
350 hospitaliers… Au rythme actuel de formation on attend donc au maximum
33 installations par an.
Ces chiffres rendent évident l’avenir démographique de la spécialité. Dès
maintenant il y a plus de dermatologues qui cessent leur activité que d’installations.
Au delà de 2010, quand les collègues du « boom » des années 1980 commenceront
(1) Service de Dermatologie, Hôpital Henri Mondor, Université Paris XII, Créteil.(2) Président du Collège des Enseignants de Dermatologie de France, Paris.(3) Président de la Fédération Française de Formation Continue en Dermatologie-Vénéréologie, Paris.(4) Président du Syndicat National Français des Dermato-Vénéréologues, Paris.(5) Présidente de la Société Française de Dermatologie, Paris.
Tirés à part : J.-C. ROUJEAU, Hôpital
Henri Mondor, 51, avenue de Lattre de
Tassigny, 94010 Créteil.
C
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à partir, le déficit annuel dépassera 110. Un cabinet disparaîtra alors dans chaque
département chaque année en moyenne.
Si on reste au niveau de formation actuel la courbe de l’évolution démographique
annonce un nombre maximum de 1 500 Dermatologues installés en 2030 (fig. 1).
Compte tenu de l’accroissement attendu de la population [4], la densité serait alors
de 2,3/100 000, soit 43 p. 100 de la densité actuelle.
Pourquoi cette évolution ? Il y a d’abord la volonté politique clairement affichée
depuis plusieurs années de réduire le nombre de spécialistes «au profit des
généralistes ». Parmi les spécialités médicales la dermatologie n’a pas été la plus
durement frappée, la forte demande des Internes ayant contribué à limiter les dégâts.
Cependant notre spécialité dans sa globalité n’a pas suffisamment anticipé les
évolutions prévisibles et a tardé à écouter les alarmes qu’ont fait entendre le SNDV
dès 1999 puis les syndicats d’Internes.
Pouvons nous en accepter les évolutions annoncées ? Réduire de 57 p. 100 le nombre de dermatologues par habitant ne peut se justifier que par la conviction que 57 p. 100 des 13 millions de consultations actuelles sont inutiles ou pourraient être assurées par d’autres.
Concernant l’utilité de la pratique des dermatologues, la demande croissante et la satisfaction exprimée par les patients dans l’enquête Sofres de 2002 [5] ne suffiront pas à convaincre les « tutelles » qui ont tendance à présenter notre discipline comme une médecine de l’apparence ou du superflu qui n’aurait pas vocation à être une priorité de Santé Publique. D’assez nombreuses études ont cependant montré que la prise en charge de problèmes cutanés courants par un dermatologue était de meilleure qualité et moins coûteuse. Mais la plupart de ces études viennent d’outre-atlantique. Il faut donc nous attacher d’urgence à vérifier que cela est vrai aussi en France et à mieux évaluer le service médical rendu par les consultations dermatologiques. Faute de telles études nous ne pourrions que continuer à raisonner sur un mode quantitatif. Cela ne suffit pas.
1000
1500
2000
2500
3000
3500
50027002 20
9020
112
103
2105
2107
2109
2201
2203
2205
2207
2209
Maintien du nombre actuel de DES
Doublement en 3 ans du nombre de DES
Fig. 1. Evolution prévisible du nombre de Dermatologues installés en France selon deux hypothèses : maintien du nombre de DES au niveau actuel ou doublement en 3 ans du nombre de DES.
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L’argument que d’autres pourraient faire une partie du travail actuel des
dermatologues a un bon sens apparent. Un médecin généraliste pourrait traiter des verrues à l’azote, une infirmière faire des soins locaux, des actes simples de laser etc…
Mais où les trouvera-t-on ?. L’élargissement actuel du numerus clausus n’empêchera
pas la diminution du nombre total de médecins dans les 15 ans [6]. La diminution
drastique des spécialistes s’accompagnera certes d’une élévation du pourcentage des
généralistes, mais leur nombre absolu n’augmentera que peu ou pas du tout.
Comment pourraient-ils prendre en charge les pathologies courantes de chaque spécialité en plus de leur rôle de « filtre » qui devrait à lui seul presque doubler leur
nombre total de consultations ? Seraient-ils prêts à gérer les équipements techniques
même simples, que supposent les gestes thérapeutiques locaux qui accompagnent
30 à 40 p. 100 des consultations chez le dermatologue [7, 8] ?
Quant aux infirmières, on en manque aussi bien en secteur libéral que dans les
hôpitaux. Est-il bien réaliste de croire qu’elles pourront élargir leurs champs
d’activité ?
La réalité des chiffres suggère qu’à vouloir faire prendre en charge par d’autres ce que les dermatologues ne pourront plus faire, on aboutira de facto à ce que cela ne
soit plus traité par des professionnels de santé.
En 2002, environ 40 p. 100 des malades ayant consulté un autre médecin pour leur
problème cutané avaient également recours au dermatologue, spontanément ou sur
conseil de leur généraliste (enquête Sofres-5). Avec la loi instaurant un passage obligatoire par le « Médecin traitant », ce taux de recours ne peut qu’augmenter.
En effet il est peu plausible que les généralistes puissent assumer la majorité des
demandes, à priori plus spécifiques, qui conduisaient jusqu’à maintenant à
consulter d’emblée un dermatologue. Il restera enfin un flux persistant d’accès direct
malgré les pénalisations financières prévues par la Loi.
En prenant en compte ces éléments, ainsi que le vieillissement de la population et
l’incidence croissante de nombreuses maladies cutanées chroniques, nous avons
calculé que les demandes annuelles de consultations en dermatologie ne devraient
pas diminuer de plus de 25 p. 100 par rapport au nombre actuel, à population
constante.
Nous estimons donc que la densité médicale en dermatologues libéraux ne doit pas
descendre à moins de 4/100 000, soit 2 600 pour une population attendue de
64 millions en 2020. Ainsi, le nombre optimal de Dermatologues dans quinze ans
en France devrait être d’environ 3 000 (2 600 libéraux, et 350 à 400 hospitaliers)
pour pouvoir prendre en charge la demande que l’on peut raisonnablement attendre à cette date.
Sans inflexion rapide des évolutions démographiques actuelles on arriverait dans
15 ans très en deçà du nombre optimal, avec une pénurie grave, tant en secteur libéral
qu’à l’Hôpital. C’est l’existence même de la spécialité qui serait alors en cause. Comment assurer une recherche fondamentale ou appliquée dynamique, un
enseignement de haut niveau, une formation continue de qualité quand il faudrait
gérer au quotidien la pénurie des soignants.
Pour qu’il y ait 3 000 dermatologues en France dans 15 ans il faut augmenter dans les années qui viennent le nombre annuel de DES formés à 90 (fig. 1).
Cela ne va pas manquer de heurter frontalement les idées dominantes des
« décideurs ». Nous ne les convaincrons pas facilement. Il faudra une mobilisation
cohérente de toute la discipline avec l’appui des patients, de leurs associations et de
la population.
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Références
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3. Vadot J, Fiaux M, Lauret P, Feldmann L. Enquête démo-graphique sur les dermatologistes français. SNFDV Ed,Paris, 1992.
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6. Chatin B. La démographie médicale française au1er janvier 2004. In: Démographie Médicale, en lignewww.ordremedecin.fr
7. Lukasiewicz E, Martel J, Roujeau JC, Flahault A. La der-matologie libérale en France métropolitaine en 2000. AnnDermatol Venereol 2002; 129:1261-5.
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