Comment le djihad est arrivé en Europe

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Comment le Djihad est arriv en Europe

Titre original : Wie der Dschihad nach Europa kam, NP Verlag, 2005 2006 ditions Xenia, CP 395, 1800 Vevey, Suisse pour ldition franaise www.xeditions.com

Jrgen Elssser

Comment le Djihad est arriv en EuropeEssai Traduit de lallemand par Fred Hissim

Prface de Jean-Pierre Chevnement

Xenia

Prface

L

a traduction franaise du livre de Jrgen Elssser Comment le Djihad est arriv en Europe constitue une mine de rvlations pour quiconque cherche comprendre les enjeux gostratgiques mondiaux. Que les services spciaux amricains aient prt la main subrepticement ds 1992 en violation de lembargo sur les armes , puis officiellement partir de 1994, larmement des milices islamistes de Bosnie, est un fait bien connu. De mme les liens tisss avec Oussama ben Laden et son organisation en Afghanistan ds les annes quatre-vingt mais maintenus longtemps aprs. Ce que montre, en revanche, avec un grand luxe de dtails Jrgen Elssser, cest le vritable chaudron du terrorisme islamiste quont constitu les guerres yougoslaves tout au long des annes quatre-vingt-dix. Les attentats du 11 septembre 2001 New-York, de Madrid le 11 mars 2003, et du 7 juillet 2005 Londres font tous merger des personnages qui, des titres divers, ont t des vtrans des guerres de Bosnie. Il semble quil sagisse l de connexions si gnantes quil faille absolument les taire ou les dissimuler. Certes il faut viter la vision bosno-centre bien que quelques clairages a posteriori sur la division SS Hanjar, les exploits des djihadistes et les frquentations douteuses dAlija Izetbegovi mriteraient coup sr dbranler la bonne conscience de lopinion occidentale, tellement manipule travers des grilles de lecture fausses. Ainsi voit-on apparatre el Zawahiri, considr comme lactuel numro deux dAl Quada, dans lapprovisionnement en armes des milices islamistes bosniaques au milieu des annes quatre-vingt-dix.Prface

Pourquoi ce soutien apparemment aveugle de la politique amricaine, travers services spciaux et entreprises mercenaires, la cration dun Etat musulman au cur de lancienne Yougoslavie ? Les Etats-Unis taient-ils pousss par le noble idal de lautodtermination des peuples ? Ou bien poursuivaient-ils un but plus obscur dont le monde musulman, en dfinitive, aurait t le jouet ? Car ce qui intresse lAdministration amricaine cest quand mme avant tout le contrle des gisements de ptrole et des voies dacheminement de celui-ci par la voie maritime ou par oloducs (en Afghanistan et dans le Caucase notamment). Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter pour les affaires extrieures, a clair dune lumire crue, dans un matre livre paru en 1998, Le grand chiquier, les enjeux centraux de la diplomatie amricaine : contrler lEurasie et les rgions ptrolifres du Golfe et de la Caspienne, rduire linfluence de la Russie et asseoir la domination des Etats-Unis sur le monde musulman. La mise en uvre ultrieure de ce grand dessein par les noconservateurs laisse sans doute quelque peu dsirer La grande guerre dclare au terrorisme rompt-elle vraiment avec la volont dinstrumenter le monde musulman travers le soutien des milices fondamentalistes en Afghanistan, dans lex-Yougoslavie, voire dans le Caucase ? Elle exacerbe les contradictions qui sy manifestent et entrane non seulement le monde musulman mais le monde tout entier dans une rgression sans prcdent. Le livre de Jrgen Elssser est fort instructif sur le rle des services spciaux dans la manipulation des conflits (et des opinions publiques drogues aux idologies identitaires). Il est vrai que les services se prennent souvent les pieds dans leurs propres intrigues. Dans la socit hypermdiatique o nous vivons, leurs manigances finissent toujours par tre ventes. Cest lun des grands mrites du livre de Jrgen Elssser de nous faire voir par leur petit ct (mais les trous de serrure ne font-ils pas dcouvrir bien des choses ?) les projets mgalomaniaques ourdis par les matres de lheure (qui cesseront souvent de ltre dans lheure qui suit). Mme si Jrgen Elssser nous tourdit parfois sous la multiplicit de ses sources et labondance de ses rfrences, rendons hommage son rudition : son livre contribuera utilement

Comment le Djihad est arriv en Europe

un sain pluralisme et lclosion de vrits pas toujours bonnes dire. Saluons son immense travail et la contribution salubre que son livre apporte un dbat dmocratique dbarrass des a priori trompeurs qui obscurcissent la comprhension des enjeux et retardent lheure dune paix juste dans les Balkans et ailleurs. Je souhaite que ce livre fasse rflchir au-del des passions souvent instrumentes des fins pas toujours avouables. Je ne doute pas quil sera utile au retour de relations pacifies entre les EtatsUnis, lEurope et le monde musulman. Jean-Pierre Chevnement

Prface

Introduction

Un spectre hante lEuropeujourdhui, plus de gens savent de quoi il sagit lorsquon leur parle du 11 septembre que lorsquon voque le 11 novembre, voire le 14 juillet. Quatre-vingt-treize1 est-ce que les jeunes daujourdhui savent mme de quoi il sagit ? Tandis que 9/11 est un sigle omniprsent. Leffondrement des gratte-ciel du World Trade Center : nos rtines en sont encore tout imprgnes Une image de cinma, une image irrelle, de la science-fiction. Et soudain cette image passe en boucle lheure du journal tlvis et reste marque dans la mmoire collective, comme au fer rouge. La copie relle a dpass loriginal virtuel. King Kong na fait que grimper sur lEmpire State Building, mais notre nouvel Ennemi public numro 1 a t capable, lui, de raser les Twin Towers en moins dune heure. La science-fiction, ctait hier. Aujourdhui, lhorreur a atteint les mtropoles. Et demain, aprs leffondrement de notre civilisation, les survivants considreront les vnements du 11 septembre comme nous, aujourdhui, voyons lanantissement de Pompi. Comme un signe. Mme en Europe, aujourdhui, on ne se sent plus vraiment en scurit : les touristes kidnapps de Djerba, les bombes des synagogues dIstanbul, les massacres de Madrid et de Londres enfin jalonnent la voie de la terreur vers le cur de notre continent. Athnes, on a trembl pendant les Jeux1. Exemples transposs dans la mmoire historique franaise. (N.d.T.)Introduction : Un spectre hante lEurope

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Olympiques de 2004, chaque messe publique du pape, Rome, les indicateurs de scurit sont au rouge. Bien entendu, ces craintes sont justifies. Le sang-froid avec lequel ces criminels ont perptr leurs assassinats de masse, leur absence de piti mme envers les femmes et les enfants, ne peuvent que rappeler aux Europens les brigades tte de mort des SS et leurs admirateurs no-nazis, les poseurs de bombes dans les trains italiens, Action Directe ou la Fraction Arme Rouge. Pourtant, avant de sacrifier lun aprs lautre, dans nos accs de panique scuritaire, nos droits fondamentaux, il convient dexaminer le danger dun peu plus prs. Les terroristes viennent-ils dun autre monde, est-il juste de dire que musulman gale extraterrestre ? Nmanent-ils pas du mme terreau que celui qui a nourri notre civilisation ? Avant tout : quelle relation y a-t-il entre ces guerriers insaisissables et notre docteur Frankenstein, celui qui a donn naissance tant de monstres par le pass, je veux parler des services secrets, tout particulirement amricains ? Cette question est le fil rouge de ce livre. Le lecteur y trouvera lui-mme la rponse, en accompagnant les principaux coupables du 11 septembre l o personne ne les a encore accompagns. Une nue de journalistes a dj dpeint leurs dernires annes Hambourg, leurs dernires semaines en Floride, leurs dernires minutes dans les appareils dtourns ou en tout cas, ils ont dcrit ce que les autorits voulaient voir et entendre. Mais personne ne les a suivis dans cette terra incognita qui se trouve juste notre porte, une heure davion de Vienne ou de Paris, l o on leur a enseign la haine de tous les Infidles . L, tout prs, o on leur a appris les mettre mort. Il y a bien longtemps vivaient dans un pays Il tait une fois, il y a bien longtemps, un pays, la Yougoslavie. Dans ce pays, il y avait un peu de tout : les contreforts des Alpes et les montagnes noires du Montngro, o lon skie ; les plages de rve de lAdriatique, qui invitent la baignade de12Comment le Djihad est arriv en Europe

mai octobre ; les vertes rives du lac dOhrid ; et puis il y avait des villes trpidantes comme Belgrade, Zagreb ou Ljubljana. Politiquement aussi, au fil des annes, un heureux mlange avait t mis au point, une troisime voie entre socialisme et conomie de march. Ltat tablissait certes des plans de dveloppement, il contrlait certes le secteur financier, mais les travailleurs bnficiaient dune sorte dautogestion dans leur entreprise, notamment en lisant leur directeur. Une classe moyenne solide et une paysannerie indpendante se dvelopprent. La passion mditerranenne et la tradition commerciale de lOrient sunissaient pour que dans chaque recoin du systme la fantaisie fleurisse et quen somme lhumain prenne en toute chose la premire place. La phrase clef, dans les Balkans de lpoque, ctait nema problema : pas de problmes ! Cependant que les besoins fondamentaux de la population taient mieux garantis par le socialisme que par le systme concurrentiel, comme sous ce dernier, les dsirs individuels ntaient pas oublis. Sy ctoyaient Karl Marx et Coca-Cola, les universits du Parti et les discothques, ljivovica et whisky. Tout le monde pouvait voyager o bon lui semblait, lire ce qui lui plaisait. En un mot : la Yougoslavie tait un mlange de Sude et de Hongrie, le plus social des pays de lOuest et la moins triste des casernes du bloc de lEst. Les hommes aussi, dans ce pays, taient un heureux mlange dingrdients divers. motifs, ils pouvaient pleurer comme Russes et rire comme Italiens, et se montraient travailleurs acharns leur heure. Et pourtant ils taient tout sauf semblables : lhistoire a souvent dress les peuples des Balkans les uns contre les autres. Au milieu courait la frontire entre les Empires romains dOrient et dOccident, puis celle qui spara la chrtient des Habsbourg et les Ottomans. Pendant la Seconde guerre mondiale, les Allemands exploitrent ces oppositions en dressant les catholiques de Croatie et les musulmans de Bosnie contre les Serbes orthodoxes et les Juifs. Il va de soi que les blessures du pass taient encore prsenIntroduction : Un spectre hante lEurope

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tes lesprit et au cur des gnrations suivantes, mais le souvenir se faisait plus lointain, de mme que les blessures que Franais et Allemands se sont infliges ont cicatris avec le temps sans tre nies pour autant. Les motifs de cette amnsie bienvenue taient les mmes lest et louest : Allemands et Franais ont construit ds 1945 une maison commune, la Communaut europenne, et cest ce quont fait les Serbes, les Croates, les Slovnes, les Bosniaques et les Macdoniens avec la Yougoslavie. On pourrait mme bon droit poursuivre lanalogie en disant que la Yougoslavie a ralis ce quAllemands et Franais essaient de faire en unifiant lEurope : lgalit de traitement des hommes sans distinction dorigine ethnique ni de religion au sein dun tat qui comprenait six grands peuples et trois grandes religions, des minorits sans nombre qui avaient le droit leur propre langue, leurs propres mdias, leur propre culture. Tito, dont les partisans avaient libr le pays des occupants nazis, a rgn sur le pays pendant plus de quatre dcennies en monarque dbonnaire. Comme tout monarque, il tait coutumier des erreurs. Parmi elles, celle qui a eu les consquences les plus funestes a t de prendre des crdits en Occident lpoque o ils taient avantageux. Lorsque Washington a relev radicalement les taux dintrt la fin des annes 1970, le coup a t terrible pour la Yougoslavie comme pour beaucoup dautres pays. Anmi par le service de la dette extrieure, le niveau baissa brutalement, le taux de chmage grimpa, le dinar fut dvalu. En priode de rcession conomique, il se trouve toujours un ambitieux pour dsigner un bouc missaire pour les dmagogues, cest videmment toujours la faute des autres dont il faut se dmarquer sans retard. Cest ce qui sest pass en Yougoslavie. Et voici quont fleuri des ides de Slovnie indpendante et dun nouvel tat nomm Croatie, ce qui tait aussi inimaginable auparavant quune scession de la Bavire, de la Lombardie, ou que le duch de Bretagne renaisse de ses cendres. Et pourtant les dmagogues ont reu le soutien de lOuest, avant tout de Bonn, et ils ont acquis de plus en plus daplomb au cours des14Comment le Djihad est arriv en Europe

annes 1980. Les erreurs commises par Belgrade ont ensuite attis lincendie qui couvait. En Bosnie, quelques illumins rvaient de restaurer lordre islamique celui sous lequel les musulmans taient la race des seigneurs, rgnant sur des chrtiens ravals au statut de sujets. Mais ces fondamentalistes navaient, au dbut, aucune chance de lemporter, car Sarajevo ntait pas Thran : les musulmans bosniaques taient, dans leur grande majorit, des Balkaniques heureux de vivre qui apprciaient autant leau-de-vie maison, le rakija2, que le caf turc. Les hommes ddaignaient les longues barbes, les femmes ne regrettaient gure les chles traditionnels que Tito avait interdits, et on se saluait plutt avec un Dobar dan quavec le Marhaba , considr comme un peu ringard. Dans les villes surtout, les mariages mixtes taient courants, et dans les recensements beaucoup de Musulmans3 sinscrivaient simplement comme Yougoslaves . Jamais, au grand jamais, les fanatiques nauraient pu prendre le pouvoir dans cette rpublique moderne sans tre aids de lextrieur. Cet eldorado multiethnique sest mu en rserve dIndiens avant de sombrer dans le Djihad4. Cest l-bas quon a form les enfants du terrorisme, qui ont port la terreur New York et Madrid plus tard. Cest aussi de cela que parle ce livre.2. En serbo-croate, le J se prononce comme notre Y et le R est roul (ici donc : rrrakiya ). Le franais J est transcrit par . Le C se prononce ts sans accent, tch sinon ( ou ). U se prononce ou et le accentu ch . Karadi se prononce ainsi karrradjitch , Srebrenica Srrrebrenitsa , Miloevi Milochevitch , etc. (N.d.T.) 3. Compte tenu du fait que, sous Tito, la religion musulmane a pris force de nationalit en Yougoslavie, nous conserverons la majuscule initiale ce qualificatif religieux lorsquil sera pris dans le contexte national yougoslave moderne. (N.d.T.) 4. En arabe, le substantif ad-djihd se rapporte autant une guerre contre soi-mme, contre ses passions, qu une guerre militaire. On pourrait ainsi le traduire par ascse au sens de celle des moines-soldats. Dans le contexte de ce livre, en suivant lusage occidental, nous comprendrons Djihad dans le sens de guerre sainte visant llimination ou la conversion des Infidles. (N.d.T.)Introduction : Un spectre hante lEurope

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Afghanistan, le diable sur la muraille Cest en 1985 quOussama ben Laden apparat pour la premire fois dans les Balkans. Tito tait bien sr dj mort, mais sa Yougoslavie existait encore et elle jouait un rle important dans le mouvement des non-aligns, dont faisaient partie beaucoup de pays musulmans. Cest pourquoi ben Laden esprait pouvoir y acheter des armes pour la guerre sainte en Afghanistan. Le Saoudien sest rendu en personne au sige de la socit dconomie mixte Jugoimport Belgrade, avec une Soudanaise au bnfice dun passeport US. Cest ce qua confirm le gnral Jovan ekovi, ancien directeur de la socit5. Jugoimport aurait alors refus dentrer en matire. Lentre des Sovitiques au pays de lHindou-Kouch en 1979 avait lectris le jeune ben Laden, 22 ans cette poque. En tant que fils dun entrepreneur millionnaire dans la construction son pre avait restaur, entre autres, les mosques de La Mecque, Mdine et Jrusalem, soit les lieux saints les plus importants de lIslam il a ds lors utilis les ressources de lentreprise familiale pour livrer des centaines de tonnes de bulldozers, dexcavatrices et dautres vhicules spciaux en Afghanistan. Ces derniers ont t utiliss pour construire des routes, mais aussi des logements et des bunkers pour les combattants. En 1984, il a pris langue avec le prince Turki, chef des services secrets saoudiens, propos du recrutement de volontaires arabes pour lAfghanistan. Il a fait construire pour eux un cantonnement Peshawar, au Pakistan, sest charg des frais de voyage et dentretien et il a achet des armes pour quiper les nouvelles units. Cest dans ce contexte quon la vu apparatre Belgrade. En 1987 il a combattu personnellement et courageusement contre les Sovitiques6.5. Beta, Bin Laden bio u Beogradu , in : Kurir (Belgrade), 24.10.2004. 6. Toutes ces citations proviennent de : Peter Bergen, Heiliger Krieg Inc., Osama bin Ladens Terrornetz, Berlin 2003, p. 69 ss. Bergen cite danciens compagnons de route et des connaissances de ben Laden. 16Comment le Djihad est arriv en Europe

Ce nest un secret pour personne que les gurilleros afghans ont t massivement soutenus par le gouvernement amricain. La CIA, elle seule, a parrain les soldats de la guerre sainte hauteur de trois milliards de dollars pendant les dix ans peine qua dur la guerre. Ds 1986, la livraison de roquettes antiariennes de type Stinger a largement pes dans les oprations militaires en permettant aux moudjahiddin de dcimer les escadrilles hliportes des Sovitiques7. Ce qui est davantage sujet controverse, cest de savoir si les tats-Unis ont donn de largent pour ces oprations par lentremise du service secret pakistanais, lISI, ou sils ont collabor directement avec les hommes de ben Laden et avec les autres moudjahiddin. Peter Bergen, reporter de CNN, a ni lexistence dune telle collaboration dans un ouvrage de rfrence sur al Qaida. Il se base entre autres sur le tmoignage dun haut fonctionnaire US, qui a dclar sans quivoque que ben Laden navait jamais eu de contact avec la CIA8 . Bergen ne nous dit pas en quoi cette dclaration tait sans quivoque . Rien quau Pakistan, six agents de la CIA ont t engags, selon lex-agent secret Vince Cannistraro. Bergen affirme sans rplique que des reprsentants des tats-Unis ne se sont pas risqus en Afghanistan. Sils avaient t pincs, les communistes auraient trop facilement pu les utiliser pour leur propagande . Cest peu probable. Jrgen Todenhfer, charg de mission du Bundestag pour la CDU9, a visit plusieurs reprises les guerriers de Dieu dans lHindou-Kouch. Dans son livre, lagent secret britannique Tom Carew, du SAS, a dcrit par le menu ses expriences de combattant aux cts des moudjahiddin10. Et les tats-Unis qui se sont bien davantage engags en Afghanistan que les Europens seraient rests les regarder ?7. Peter Bergen, op. cit., p. 89. 8. Peter Bergen, op. cit., p. 86. 9. Le parti dmocrate-chrtien allemand. Le Bundestag est lune des deux chambres du Parlement. (N.d.T.) 10. Tom Carew, In den Schluchten der Taliban. Erfahrungen eines britischen Elitesoldaten in geheimer Mission, Bern/Munich/Wien 2000.Introduction : Un spectre hante lEurope

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Carew raconte galement ce quil a vu de lentranement militaire des guerriers de Dieu en cosse11. Michael Springman, chef du bureau des visas de lambassade amricaine Djedda entre 1987 et 1989, a rapport sur la BBC lexistence de camps dentranement des moudjahiddin aux USA : En Arabie Saoudite, lordre ma t donn plusieurs reprises en haut lieu de dlivrer des visas des candidats qui ne prsentaient pas les garanties suffisantes Des gens qui navaient pas de relations avec lArabie Saoudite ou avec leur pays dorigine. Je me suis plaint ici et l, je me suis plaint ici Washington auprs de ltat, auprs de linspecteur gnral et auprs de la scurit diplomatique. On ma ignor . Springman encore : ce que jai fait, ce ntait rien dautre que de donner un visa des terroristes qui ont t recruts par la CIA et par Oussama ben Laden et qui venaient sentraner aux tats-Unis afin de pouvoir combattre les Sovitiques en Afghanistan12. La parole est Machiavel Question : Lex-directeur de la CIA, Robert Gates, rapporte dans ses mmoires (From the Shadows) que les services secrets amricains ont commenc soutenir les moudjahiddin afghans six mois dj avant linvasion sovitique le 24 dcembre 1979. cette poque, vous tiez conseiller pour la scurit nationale du prsident Carter. Vous avez donc jou un rle dans cette affaire. Est-ce bien exact ? Zbigniew Brzezinski : Oui. Lhistoire officielle raconte que la CIA a commenc daider les moudjahiddin en 1980, cest-dire aprs que larme Rouge est entre en Afghanistan le 24 dcembre 1979 Mais la vrit, tenue secrte jusqu maintenant, est tout autre : en fait, cest le 3 juillet 1979 que le prsident Carter a sign la premire directive ouvrant la voie au soutien des adversaires du gouvernement prosovitique de11. Tom Carew, op. cit., p. 250. 12. BBC Newsnight, 7.11.2001, www.ananova.com/news/story/sm_ 443114.html, in : Wolfgang Eggert, Angriff der Falken, Munich 2002, p. 64. 1Comment le Djihad est arriv en Europe

Kaboul. Et le mme jour, jai crit une note de service au Prsident dans laquelle je lui ai expliqu qu mon avis, ce soutien allait dclencher une intervention militaire sovitique. Question : Malgr les risques, vous tiez favorables cette faon dagir en sous-main. Peut-tre avez-vous mme souhait lentre en guerre des Sovitiques ou essay de la provoquer. Brzezinski : Ce nest pas tout fait a. Nous navons pas pouss les Russes intervenir, mais nous avons sciemment fait monter la probabilit quils le fassent. Question : Les Sovitiques justifiaient leur intervention en disant quils combattaient une infiltration secrte des tatsUnis en Afghanistan. Personne ne les a crus. Nanmoins, cette version avait un fond de vrit. Ne regrettez-vous rien ? Brzezinski : Regretter ? Cette opration secrte tait une excellente ide ! Ce quelle a dclench, cest que les Russes sont tombs dans le pige afghan et sy sont trouvs enferms. Et vous voudriez que je regrette ? Le jour o les Sovitiques ont officiellement franchi la frontire, jai crit au prsident Carter : Et voil, lURSS a son Vietnam. Et de fait, Moscou a d mener une guerre insoutenable et dmoralisante pendant presque dix ans. Cette guerre a fini par mener leffondrement de lempire sovitique. Question : Et vous ne regrettez pas non plus davoir aid des fondamentalistes musulmans armer et instruire de futurs terroristes ? Brzezinski : Quest-ce qui est le plus important, aux yeux de lhistoire ? Les talibans ou leffondrement de lempire sovitique ? Quelques musulmans chauffs ou la libration de lEurope orientale et la fin de la guerre froide13 ?

13. Interview de Brzezinski dans Le Nouvel Observateur (Paris), 15-21 janvier 1998.Introduction : Un spectre hante lEurope

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Quapprendrez-vous dans ce livre ? Lalliance afghane entre les tats-Unis et les moudjahiddin a crit une nouvelle page de son histoire dans les Balkans, et il ny a rien dtonnant ce que les plus importants suspects du 11 septembre y aient vcu leur baptme du feu (chapitre I). La Bosnie-Herzgovine, en particulier, runissait de bonnes conditions, de par son histoire, pour louverture dun front du Djihad (chapitre II). Mais ce nest que grce aux influences occidentales que les courants musulmans modrs, qui y dtenaient le pouvoir, ont pu tre carts au profit des partisans de la Guerre sainte (chapitre III). Dans cette volution, Vienne a jou le rle central de plaque tournante du trafic darmes ; cest dans cette ville que ben Laden a obtenu le passeport bosniaque en 1993 (chapitre V). Les djihadistes ont perptr deffroyables actes de barbarie au cours de cette guerre qui a dur trois ans (1992-1995) dont quelques-uns des massacres qui ont t attribus aux Serbes (chapitre VI). Et pourtant, le poids militaire des guerriers de Dieu tait faible jusqu llection de William ( Bill ) Clinton la prsidence des tats-Unis en 1993, cependant que leur quipement sorganisait grce lIran, lennemi de toujours (chapitre VII). Les services secrets amricains ont vigoureusement billonn les officiers des Nations Unies qui critiquaient ces entorses lembargo international sur les armes (chapitre VIII). Lentreprise mercenaire MPRI y a jou un rle prpondrant sur mandat du Pentagone (chapitre IX) avant de prendre le contrle de larme bosniaque ds lentre en vigueur du cessez-le-feu de Dayton en 1995 (chapitre X). Au lieu dcarter les guerriers de Dieu, comme lexpliquent les lgendes dores de Washington, la MPRI a engag les combattants les plus capables et les a forms en Albanie, qui tait lpoque sous la coupe des hommes de confiance de ben Laden (chapitres XI & XII) et les a envoys en renfort du mouvement terroriste albanais UK au Kosovo et en Macdoine (chapitre XIII). Une bonne partie de ces activits ont t finances par le20Comment le Djihad est arriv en Europe

truchement dorganisations humanitaires amricano-saoudiennes dans lesquelles ben Laden ne jouait quun rle secondaire (chapitre XIV). Plus gnralement, on peut se poser la question de savoir si al Qaida existe bel et bien ou si ce nest pas un concept de propagande de la politique trangre amricaine, puisque plusieurs des terroristes en chef sont fortement souponns de travailler aussi pour les services secrets occidentaux (chapitre XVII). Cela concerne aussi les principaux suspects des attentats du 11 septembre (chapitre XVIII), et en particulier les deux cerveaux prsums de laffaire (chapitre XIX). En tout tat de cause, une tte de pont terroriste a t tablie en Bosnie-Herzgovine grce aux protections occidentales, ce qui constitue une menace majeure pour ce pays (chapitre XV) et pour le continent (chapitre XVI). Depuis un certain temps, un mouvement de combattants du djihad se dessine entre les Balkans et la Tchtchnie (chapitre XX). Cela nest toutefois pas considr, en Europe, comme un danger puisque le lobby amricain du ptrole lorgne sur les rserves nergtiques russes depuis longtemps (pilogue). Un spectre ? Quel spectre ?14 Il y a un intrt public certain rpondre la question : une grande puissance est-elle derrire tout cela, et si cest le cas, laquelle ? (Henry J. DePippo, procureur gnral des tats-Unis, qui a men le procs de lattentat de 1993 contre le World Trade Center).15

14. On aura reconnu dans le titre de ce chapitre le clbre incipit du Manifeste du Parti communiste. (N.d.T.) 15. New York Times (ci-aprs : NYT), 4.8.1997, cit par Wolfgang Eggert, Angriff der Falken, Munich 2002, p. 15.Introduction : Un spectre hante lEurope

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Et vous connatrez la vrit, et la vrit fera de vous des hommes libres (Jn 8:32 au mur du hall dentre de la CIA)

chaPitre Premier

Sarajevo 9/11comment les PrinciPaux susPects du 11 sePtembre ont aPPris les rudiments du terrorisme dans les balkans, Pendant les annes 1990.

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ussama ben Laden est partout, pas seulement dans les Balkans. Le public du monde entier a t inond de faits (noy dans un ocan de rumeurs serait plus exact) propos des rseaux du milliardaire saoudien, commanditaire prsum des attentats du 11 septembre. En gypte, en Algrie, en Indonsie, aux Philippines, en Italie, en Espagne, presque partout, nous dit-on, al Qaida a multipli ses cellules. Deux affirmations en particulier ont cr ce climat : le multimilliardaire saoudien aurait planifi les attaques contre les tats-Unis avec laide du ras irakien Saddam Hussein, et Hambourg aurait t, selon le ministre de la Justice amricain, la base arrire des terroristes du 11 septembre1. Sur la base de cette seule affirmation, lopinion publique mondiale tait prie dapprouver linvasion de lIrak, cependant que le ministre allemand de lIntrieur, Otto Schily, rognait progres1. In : Stefan Aust/Cordt Schnibben, 11. September Geschichte eines Terrorangriffs, Hambourg 2002, p. 189.Sarajevo 9/11

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sivement, en toute bonne conscience, les droits fondamentaux des citoyens. Il apparat aussi que les prvenus du 11 septembre en gnral, et ceux de la cellule de Hambourg en particulier, ont appris leur sanglant mtier dans les Balkans. Curieusement, cela napparat pas dans la littrature courante sur al Qaida. Dans la grande presse, ces lments sont mentionns comme en passant, dans le meilleur des cas. Dans Le 11 septembre histoire dune attaque terroriste, le best-seller de Stefan Aust, rdacteur en chef du Spiegel (en collaboration avec Cordt Schnibben), tout est racont dans le menu dtail depuis le dbut des annes 1990. Et pourtant, en trois cents pages, le mot Bosnie napparat que quatre fois. Le spcialiste s terrorisme de CNN, Peter Bergen,2 pourchasse Oussama ben Laden travers ses prgrinations : dans les annes 1980, son rle fdrateur auprs des moudjahiddin afghans ; son installation au Soudan au dbut des annes 1990 ; son soutien aux mouvements de rsistance antiamricains en Somalie ; ses liens avec les attaques perptres contre les ambassades amricaines de Nairobi et Dar es Salaam. Et pourtant, une fois encore, on ny trouve que deux ou trois remarques en passant sur les Balkans. Le chef du service dinformations de la ZDF, Elmar Thevessen,3 et lauteur succs Oliver Schrm4 embarquent leur lecteur aux quatre coins du globe, de Kaboul New York, de Djerba Bali, avant de dcouvrir des cellules dal Qaida Hambourg et dans la Ruhr. Encore et encore, on se casse les dents sur les bobards dappel du Pentagone, telle lhistoire des rencontres rptes entre ben Laden et Koussa5, fils de Saddam Hussein. Aust et Schnibben, par exemple, sont tombs dans le panneau. On cherche en vain, par contre, les mentions de Tirana et Sarajevo, o ben Laden2. Peter Bergen, op. cit. 3. Elmar Thevessen, Schlfer mitten unter uns. Das Netzwerk des Terrors in Deutschland, Munich 2004. 4. Oliver Schrm, Al Qaida Akteure, Strukturen, Attentate, Berlin 2003. 5. Stefan Aust/Cordt Schnibben, op. cit., p. 186. 24Comment le Djihad est arriv en Europe

a laiss de profondes empreintes de pas LEurope du sudest est une sorte de terra incognita do les chasseurs de terroristes rentrent bredouilles. Sept figures clefs La version officielle amricaine des attentats, on peut la lire dans le Rapport final de la commission du Congrs amricain sur le 11 septembre, rapport qui a t remis fin juillet 20046. Les attaques ariennes contre le World Trade Center (WTC) et le Pentagone seraient une ide de Khaled cheikh Mohammed, dont on trouve dj la trace lors de lattaque de 1993 contre le WTC. Ce Kowetien radical a convaincu Oussama ben Laden au printemps 1999, et ils ont parl de cibles potentielles. Cest ben Laden lui-mme qui a choisi les pilotes7. Le rapport cite en premier Mohammed ben Atta, le Hambourgeois , Hani Hanjour, Ramzi Binalshibh et Ziad Jarrah ainsi que le Saoudien Khaled al Midhar (un cousin de Binalshibh) et Nawaf al Hazmi. Ces six-l ont t invits en Afghanistan en novembre-dcembre 1999 et instruits par ltat-major dal Qaida8. La sance de planification de lopration Mardi-Saint (le nom de code prsum du 11 septembre) sest tenue du 5 au 8 janvier 2000 Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie. Al Midhar et al Hazmi ont pris part cette runion. A la suite de problmes de visa, Binalshibh na pas pu voler le 11 septembre, mais lui et Khaled cheikh Mohammed sont toujours selon la version officielle des autorits amricaines censs tre les cerveaux de lopration, et avoir dirig lopration par dlgation de ben Laden. Les cinq autres terroristes cits taient aux commandes de trois des quatre appareils qui ont rpandu la mort le 11 septembre.

6. The 9/11 Commission Report, Die offizielle Untersuchung zu den Terrorattacken vom 11.September 2001, d. allemande, Potsdam 2004. 7. The 9/11 Commission Report, op. cit., p. 155. 8. The 9/11 Commission Report, op. cit., p. 155 et p. 166.Sarajevo 9/11

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dont au moins quatre vtrans de Bosnie Parmi les sept personnages clefs du complot du 11 septembre, au moins quatre ont combattu en Bosnie dans les annes quatre-vingt-dix. Le rapport du Congrs amricain en parle9 au passage, propos dal Hazmi, dal Midhar et de Khaled cheikh Mohammed. La prsence de Binalshibh dans la zone de conflit balkanique a t atteste par lpouse dun moudjahid bosniaque, Regina Kreis alias Doris Glck, interroge par les services de scurit allemands10 mais la Commission du 11 septembre nen souffle mot. En cherchant, on retrouve le pass balkanique dautres artisans du 11 septembre. Lun des 19 suspects rpertoris par les autorits amricaines un certain Amir aurait mme eu la nationalit bosniaque. Cest lhebdomadaire croate Nacional, qui dispose dordinaire de sources fiables au sein des services secrets, qui laffirmait fin septembre 200111. Par ailleurs, il ny a personne de ce nom dans les listes officielles du FBI. On peut partir du principe quun moudjahid tranger sest fait tablir un passeport en Bosnie sous un faux nom (voir la procdure suivre au chapitre X), mais cela semble trs fantaisiste. Atta lui-mme aurait pu passer par la Bosnie. Cest ce quaffirme Patrick Barriot, mdecin militaire franais, qui comparaissait comme tmoin au procs de Miloevi en janvier 2005, en se basant sur des lments fournis par les services secrets franais12. Plus exactement, il sagit dun dossier du gouvernement bosniaque de Banja Luka. De plus, le 18 septembre 2001, le bureau dInterpol Wiesbaden a adress une demande aux autorits bosniaques pour que celles-ci vrifient lidentit dun certain Atta, qui habiterait,9. The 9/11 Commission Report, op. cit., p. 147 & p. 155. 10. Dominik Cziesche et al., Ihr msst lernen, mit uns zu leben , Spiegel 13/2004. 11. eljko Rogoi, Velika istraga u BiH , Nacional, 27.9.2001. 12. Dclarations de tmoins le 12.1.2005, cf. Tanjug, Atentator iz Njujorka bio u Bosni , Blic (Belgrade), 13.01.2005. 26Comment le Djihad est arriv en Europe

selon leurs informations, un petit village du nom de Bakoti, huit kilomtres de Maglaj, en Bosnie centrale. La demande tait accompagne dune photo et du conseil de sadresser un certain Mehmed Hasani, citoyen de Bakoti13. Wiesbaden, on ntait pas prt mouiller sa chemise. Le rapport final de la Commission du 11 septembre reste dans le flou artistique quant au passage dAtta par la Bosnie : il y a, cest indniable, des lacunes quant aux lieux de rsidence dAtta durant les annes qui ont prcd14 [le 11 septembre.] Dautre part, beaucoup dlments donnent penser quAtta est devenu un djihadiste fanatique dinoffensif musulman quil tait au contact de combattants bosniaques. Pour Atta, comme pour la plupart des autres, il y a deux points dinflexion dcisifs : en 1995, il a commenc se radicaliser ; quatre ans plus tard, fin 1999, cest devenu un terroriste , analysent Aust et Schnibben. Lors dun voyage dtudes en gypte encore, en aot 1995, ctait un joyeux luron qui sortait en bonne compagnie. Pendant quelques semaines, pour tout dire, ctait un vrai clown rapporte un camarade15. Mais un mois plus tard, Binalshibh arrive Hambourg et Atta se mtamorphose. Au sein de la socit Islam AG, que les terroristes prsums ont lance au sein de lUniversit polytechnique de Hambourg-Harburg, ctait Binalshibh qui tait le matre penser16 . Au sein dIslam AG, on comprend que Binalshibh sengage massivement pour prner les ides dal Qaida , selon Schrm. Binalshibh aurait ainsi prt des cassettes vidos de prches et de sermons dOussama ben Laden. Un actionnaire de la socit a rapport que cest Binalshibh qui laurait pouss passer de la parole13. Republic Secretariat for the Relations with the international Criminal Tribunal in The Hague, Terrorism Global Network of Islamic Fundamentalists Part II Modus operandi Model Bosnia, Banja Luka, 2004, p. 21. 14. The 9/11 Commission Report, op. cit., p. 167. 15. In : Aust/Schnibben, op. cit., p. 173. 16. Oliver Schrm, op. cit., p. 129.Sarajevo 9/11

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aux actes. Trs concrtement, il exigeait quon fasse quelque chose en Amrique, la fin . 17 Un certain Marwan al Shehhi habitait aussi lappartement dAtta Hambourg, Marienstrasse 54. Cest lui qui, croit-on, pilotait le second appareil qui sest cras contre le World Trade Center. Il sest pass la mme chose dans sa vie que dans celle dAtta : Il a crois le chemin de Ramzi Binalshibh, ce Ymnite furtif, et entre la vie et le massacre, son choix tait fait . 18 Un autre ancien combattant de Bosnie tait peut-tre tout aussi important que Binalshibh dans linstruction spirituelle et pratique des pilotes suicides : Mohammed al Zammar. En Bosnie centrale, il avait mme command une unit de moudjahiddin nord-africains (probablement algriens) sous le nom de guerre dAbou Zoubeir19. Thevessen affirme que Zammar serait le personnage central, voire le personnage clef dans la transformation de Mohammed Atta en terroriste sans scrupules [] Zammar [] a recommand Atta et ses amis ltat-major dal Qaida en Afghanistan20. Sad Bahadj, qui doit combattre aujourdhui quelque part en Afghanistan, et Mamoun Darkanzali, un bailleur de fonds pour terroristes, sont aussi cens avoir habit avec Atta et Binalshibh Marienstrasse 54 et avoir t mis en contact les uns avec les autres par Zammar Hambourg21. En rsum, selon Aust et Schnibben : Ces dernires annes, chaque fois que des moudjahiddin ont t arrts quelque part en Europe, leurs traces remontaient immanquablement jusqu Zammar22. A part les cinq suspects du 11 septembre, il y avait encore en Allemagne au moins deux fondamentalistes avoir fait17. Dclaration du tmoin Shahid Nickels, 6 november 2001, dans la procdure intente contre Sad Bahaj et al. 18. Aust/Schnibben, op. cit., p. 193. 19. The Center for Peace in the Balkans (www.balkanpeace.org), Bosnia, 1 degree of separation from Al-Qaida, Toronto, July 2003. 20. Elmar Thevessen, op. cit., p. 82. 21. Peter Finn, Hamburgs Cauldron of Terror , New York Times (ciaprs : NYT), 11.9.2002. 22. Aust/Schnibben, op. cit., p. 196. 2Comment le Djihad est arriv en Europe

le dtour par les Balkans : Darkanzali, mentionn plus haut, avec ses affaires douteuses, et Reda Seyam, qui produisait et distribuait des bandes vidos o les moudjahiddin dcapitaient des prisonniers serbes et jouaient au football avec leur tte (tt p. 87). La tache aveugle Dans les 567 pages du rapport final de la commission du 11 septembre, la connexion balkanique des djihadistes napparat que trois ou quatre fois : page 58, on mentionne que le rseau de ben Laden avait des bureaux Zagreb et Sarajevo ; page 127 on parle incidemment dune cellule dal Qaida Tirana ; page 147, le lecteur apprend que le cerveau prsum du 11 septembre a combattu quelque temps avec les moudjahiddin en Bosnie ; page 155 on parle dal Hazmi et dal Midhar, pirates de lair sans scrupules, et lon apprend page 222 qual Hazmi, avant darriver aux USA, diffusait des nouvelles de Tchtchnie et de Bosnie sur internet. Pour ce volumineux rapport, les Balkans sont donc une terre exempte de presque toute forme de terrorisme Fin 2004, Evan F. Kohlmann, collaborateur de la Commission, a effectu une tude qui permet de remplir partiellement cette lacune. Al Qaedas Jihad in Europe The Afghan Bosnian Network relate nombre de faits sur les crimes commis par les combattants islamistes dans les Balkans. Mais, dans luvre de Kohlmann, les islamistes paraissent une sorte dextraterrestres qui complotent contre lOuest , et on ne dit nulle part quils taient, et restent encore pour une bonne part, ses allis.23 Cette ignorance sexplique : les guerriers de Dieu ont combattu avec le soutien des tats-Unis et dautres tats de lOTAN, aussi bien sur territoire ex-yougoslave quen Afghanistan dans les annes 80. Dans la guerre civile bosniaque,23. Evan F. Kohlmann, Al-Qaidas Jihad in Europe The Afghan-Bosnian Network, Oxford/New York 2004, 239 p.Sarajevo 9/11

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comme en Afghanistan, les musulmans taient dans le rle des gentils. Cest aux seuls Serbes que lon a rserv des termes comme bain de sang (Wirtschaftswoche), une perfidie diabolique, une cruaut qui mprise lhumanit (KronenZeitung), fascisme ( Joschka Fischer) ou Auschwitz (Freimut Duve)24. Alors que bien des analystes occidentaux reconnaissaient, bien quun peu tard, la patte du fondamentalisme musulman dans lHindou-Kouch, on nen a pas tir les leons pour reconnatre le mme processus luvre dans les Balkans : tout tait permis lOccident guerroyant contre le nationalisme grand-serbe mme de sallier avec lennemi mortel, avec al Qaida. Cest ce qui permet Richard A. Clarke, conseiller antiterroriste la prsidence de George W. Bush (et des trois prsidents qui lont prcd) daffirmer quen somme, pour les tats-Unis, la Bosnie tait un succs25. Regardons ce succs dun peu plus prs.

24. Cette course au superlatif et aux comparaisons douteuses a aussi eu lieu dans le monde francophone, comme en tmoigne la fameuse campagne de Mdecins du Monde. (N.d.T.) 25. Richard A. Clarke, Against All Enemies. Der Insiderbericht ber Amerikas Krieg gegen den Terror, Hambourg 2004, p. 189. 30Comment le Djihad est arriv en Europe

Himmler, votre librateur (Titre dune srie parue en automne 1997 dans les colonnes de Svijet, un hebdomadaire musulman de Sarajevo, propos de la division SS Handjar1)

chaPitre ii

DHimmler ben Ladenune Petite histoire des balkans au xxe sicle

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entr bredouille de sa visite clair Belgrade en 1985 (v. p. 16), ben Laden nest revenu dans les Balkans quen 1992. Mais plus comme acheteur darmes. Comme livreur. En septembre 1992, quatre avions en provenance de Khartoum, la capitale du Soudan, atterrissent sur laroport slovne de Maribor. Leur cargaison ? Des colis humanitaires, selon les dclarations douanires. Mais un contrle de scurit y trouva 130 tonnes de matriel militaire destin lquipement des troupes musulmanes de Bosnie-Herzgovine, l o la guerre civile faisait rage depuis le mois davril de la mme anne. La livraison tait une violation flagrante de lembargo sur les armes que le Conseil de scurit des Nations Unies avait instaur en septembre 1991 lgard de toutes les rpubliques yougoslaves2. Le commanditaire de ce transport darmes, ctait Hassan al Tourabi, chef du Front national islamique du Soudan et ex-homme fort de Khartoum. Il avait accueilli ben Laden en1. Svijet (Sarajevo), 26.10., 2.11., 9.11., 16.11.1997. 2. Center for Peace in the Balkans, Bosnia, 1 degree from Al Qaeda, 5.7.2003 (www.libertyforum.org).DHimmler ben Laden

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1990, lorsque ses dmls avec la famille royale saoudienne lavait chass de son pays. La transaction avait t finance par une organisation humanitaire bidon, la Third World Relief Agency (TWRA), une joint-venture djihadiste fonde entre autres par ben Laden et par Alija Izetbegovi, au pouvoir depuis peine un an en Bosnie (ce sujet est trait plus en profondeur au chapitre IV). Plus tard, Izetbegovi a reu le milliardaire saoudien au palais prsidentiel. Le lien entre les deux hommes est au premier abord nigmatique et il jette une lumire diffuse sur toute lhistoire de la pntration islamiste dans les Balkans, qui est loin dtre suffisamment connue en Occident. Izetbegovi ne ressemble pas ben Laden premire vue, car il est prsent par nos mdias, jusqu sa mort lautomne 2003, comme pro-occidental, et comme un musulman ouvert sur le monde tout le contraire dun fanatique. Ctait un homme qui stait toujours attach dfendre une socit multiethnique3 put ainsi crire le magazine amricain Newsweek. Il avait toujours promu un modus vivendi amical entre musulmans, Croates et Serbes en Bosnie , avait ajout le Berliner Tageszeitung4. Voici la vision de Warren Zimmermann, ancien ambassadeur US Belgrade : Izetbegovi tait un musulman convaincu. Ce ntait pas un extrmiste. Il sest toujours engag pour le maintien dune Bosnie multiethnique5. Izetbegovi [] a promu le pacifisme travers des manifestations pacifiques6 , affirme, de son ct, Roy Gutman, prix Pulitzer. Si les dcideurs et les commentateurs staient penchs plus attentivement sur la biographie de ce politicien, ils se seraient mfis davantage. Izetbegovi, n en 1925, a pris part3. Russel Watson/Rod Nordland, Sarajevo On the Spot , Newsweek, 18.12.1995. 4. Roland Hofwiler, Serbisches Sandak gegen Belgrad , in : Tageszeitung (Berlin ci-aprs Taz), 26.10.1991. 5. Warren Zimmermann, The Last Ambassador : a Memoir of the Collapse of Yugoslavia , Foreign Affairs mars-avril 1995. 6. Roy Gutman, Augenzeuge des Vlkermords. Reportagen aus Bosnien, Gttingen 1994. 32Comment le Djihad est arriv en Europe

des actions de musulmans bosniaques contre les maquis partisans7 dans les annes quarante8 , Dailleurs, il a rejoint en 1941 une socit secrte de jeunes musulmans, claireurs de la division SS musulmane Handjar (v. p. 29 ss.). Les Musul-germains Une division SS musulmane ? Voil quelque chose quon ne rencontre pas tous les jours. Est-ce quHitler et ses sbires ntaient pas convaincus de la supriorit de la race dite nordique, destine soumettre, voire liminer toutes les autres ? Et pourtant, au cours de la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont appliqu cette idologie de faon trs pragmatique. LAllemagne nazie a envahi la Yougoslavie le 6 avril 1941 sans dclaration de guerre. Le 10 avril, dj, Berlin et Rome ont reconnu le nouvel tat croate indpendant, sous la coupe du mouvement catholique croate des Oustachis et du Poglavnik (Fhrer) Ante Paveli. Le premier camp de concentration a vu le jour le 29 avril de la mme anne.9 Une grande part de la Bosnie a t annexe par le nouvel tat croate. Pour Ante Paveli, les musulmans y taient les Croates les plus authentiques , puisquils avaient maintenu leur population racialement pure aprs leur conversion lIslam 500 ans auparavant.10 Pour le Reichsfhrer SS Heinrich Himmler, ils7. Comme dans dautres pays dEurope centrale, les rsistants dobdience communiste lenvahisseur nazi taient nomms simplement Partisans , sans quon doive mentionner de quel parti il sagissait. Lautre mouvement de rsistance antinazie, dune taille quivalente, tait form des royalistes du gnral Mihailovi. Ces maquisards ont t dcims par Tito et son gouvernement ds sa prise du pouvoir la fin de la guerre. (N.d.T.) 8. Achim Beinsen, Die bosnischen Muslime im Zerfallsprozess Jugoslawiens. Dispositive ethnischer und ethnonationaler Differenzierung, Leipzig 2002, p. 186. 9. Klaus Gensicke, Der Mufti von Jerusalem, Amin el-Husseini, und die Nationalsozialisten, Francfort/Berne/New York/Paris 1988, p. 168. 10. Cf. Michael W. Weithmann, Krisenherd Balkan, Munich 1992, p. 104.DHimmler ben Laden

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taient mettre au nombre des peuples les plus valables racialement parlant en Europe 11 avec qui il partageait une communaut de vues sur le monde . Au fond, ctaient des Musul-germains12 . Le rapprochement sest fait : le 10 aot 1941, lorganisation yougoslave musulmane (JMO) sinfoda au nouvel tat croate, et reut en rcompense de nombreux postes de responsabilit : Osmal Kulenovi est devenu ministre-prsident dlgu de ltat oustachi (jusquen novembre 1941, quand son frre Dafer lui a succd), Adem Aga Mesi prsident dlgu, Mehmed Alajbegovi ministre des Affaires trangres et Alija Suljag gouverneur oustachi dHerzgovine pour ne mentionner que les plus importants dentre eux.13 Voici ce qui ressort dun rapport sur les atrocits commises par les musulmans oustachis rdig par un administrateur allemand le 17 aot 1941. On y lit que les musulmans se conduisaient en bourreaux si sanguinaires que mme les nazis se sentaient mal laise, dans la mesure o de tels agissements poussaient la population des campagnes, traditionnellement apolitique ou mme anticommuniste, dans les bras des partisans. En voici un extrait : Ce ne sont en aucune faon des Serbes qui combattent ltat croate, ni des francstireurs, ni des communistes qui sont rafls, mais des citoyens lambda [] Les Oustachis ont organis des provocations qui ont abouti au soulvement de Krupa, dont les 6 000 habitants sont 60 % serbes et 40 % musulmans avec quelques Croates. En manire de reprsailles pour ce soulvement, les musulmans ont massacr, littralement sans reprendre leur souffle, tous les Serbes de sexe masculin gs de plus de 1411. In : Klaus Gensicke, op. cit., p. 170. 12. In : Ladislaus Hory/Martin Broszat, Der Kroatische Ustascha-Staat 1941 1945, Stuttgart 1965, p. 158 13. Institut dHistoire militaire, Belgrade, registres darchives numros 61, 67, 84, 85, 87, 153a, 162, 202, 312, in : Serbisch-deutsches Komitee fr Gerechtigkeit, Wrde und Achtung des Internationalen Humanitren Rechts, Actes dposs prs le Tribunal Pnal International pour lexYougoslavie contre les criminels de guerre et criminels contre lhumanit, Alija Izetbegovi, Belgrade/Cologne 1997/98. 34Comment le Djihad est arriv en Europe

ans [] Les musulmans gnrent plus de rancur en Krajina bosniaque que nen ont jamais suscit les Turcs, qui ont toujours, et sans rpit, oppress les Infidles14. La Bosnie, province ottomane La phrase suivante du rapport allemand dgage le motif fondamental qui poussait les musulmans se comporter dune manire aussi sanguinaire vis--vis des Serbes : La population musulmane de Krajina bosniaque compte reprendre la haute main sur toute la Bosnie et rtablir les privilges qui taient les siens du temps des Turcs, notamment en matire foncire : la fin du XIIIe sicle, la Bosnie a t annexe par lEmpire ottoman. La population, majoritairement des chrtiens de la secte des Bogomiles15, sest alors majoritairement convertie lislam. Les convertis pouvaient en effet conserver leurs possessions et leurs privilges. Les autres, par contre, taient traits en subordonns sans droits. Personne ntait oblig de se convertir. Mais ceux qui ne le voulaient pas taient mis dans la catgorie des Raya ( tributaires ). Cela signifiait en pratique ntre rien ct de la population musulmane toute-puissante, ne pas pouvoir porter darmes, ne pas pouvoir citer un musulman en justice, ne pas pouvoir porter ni la couleur rouge (le pouvoir) ni la couleur verte (lislam). Selon le Coran, leur vie ne comptait pas, et les Raya taient tolrs, avant tout, pour payer limpt. 16 Le pire de ces impts tait le prix du sang ou prlvement des jeunes gens (en turc, devirme) : tous les trois, cinq ou sept ans, des garonnets ou des jeunes gens chrtiens taient arrachs leur parents et envoys Constantinople,

14. Une copie certifie par les Archives militaires fdales de Freiburg est en mains de Kurt Wolff, Waghusel. 15. Secte chrtienne de tendance gnostique (manichenne) qui rappelle les Cathares du midi de la France. (N.d.T.) 16. Karlheinz Deschner/Milan Petrovi, op. cit., p. 57.DHimmler ben Laden

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o ils taient islamiss et instruits pour faire partie des janissaires17 ou pour entrer au service de la Sublime Porte. 18 La province turque de Bosnie est passe sous administration austro-hongroise aprs la confrence de Berlin en 1878, puis elle a t formellement annexe en 1908. Mais les Habsbourg nont pas retir aux musulmans leurs privilges, afin de les utiliser comme pare-chocs contre les vellits dindpendance croissantes manifestes par les Serbes les Yougoslaves qui menaaient la stabilit de la Double Couronne dans les Balkans. Logiquement, la majorit des musulmans bosniaques a soutenu les empires centraux, Allemagne, Autriche-Hongrie et Turquie, lors de la Premire Guerre mondiale, cependant que les Serbes taient du ct de lEntente franco-russo-britannique. Peu aprs la fondation du nouvel tat yougoslave en 1919, une rforme agraire en profondeur fut entreprise. Son objectif : remplacer les liens de dpendance fodaux qui liaient les populations agraires par une possession des terres par ceux qui les travaillaient, en bonne et due forme. En Bosnie, o ils taient bailleurs de la presque totalit (plus de 80 %) des terres et monopolisaient ainsi les richesses agricoles de la rgion les musulmans se sont retrouvs du jour au lendemain plus pauvres que leurs anciens valets19. Avec lcrasement de la Yougoslavie par lAllemagne nazie au dbut de la Seconde Guerre mondiale, les anciens matres de la Bosnie se sont vu offrir loccasion de renverser le cours de lhistoire. Le degr dinfluence du fascisme et du nazisme sur les musulmans est sujet controverse. Cest ainsi quun journal musulman de Sarajevo, Ljiljan, crira rtrospectivement : Ds le dbut des exactions commises par la junte oustachi envers la population serbe20, la communaut bosniaque a pris ses distances vis--vis de la politique sanglante et17. 18. 19. 20. 36 Soldats dlite. (N.d.A.) Karlheinz Deschner/Milan Petrovi, op. cit., p. 59. Cf. Achim Beinsen, op. cit., p. 148. En 1941. (N.d.A.)Comment le Djihad est arriv en Europe

criminelle du NDH (ltat croate fasciste)21. Le politicien croate Jadranko Prli prendra cependant le contre-pied de cette affirmation en disant : Selon les statistiques en ma possession, 52 % des formations oustachi en Bosnie-Herzgovine taient composes de Bosniaques, cest--dire de musulmans, comme on disait lpoque. 22 Il nest en revanche pas douteux que les musulmans de Bosnie ont tent dobtenir une autonomie substantielle dans le cadre de ltat satellite croate et quils ont compt, pour cela, sur laide de Berlin. En novembre 1942, un Comit populaire bosniaque a adress un mmorandum Hitler dans ce sens, et sest plaint que les oustachis taient trop indulgents vis--vis des Juifs. Afin de soutenir votre souverainet gothique , les musulmans ont propos la cration dune unit bosno-musulmane sous le commandement de ltatmajor gnral de la Wehrmacht23. Aprs la dfaite de Stalingrad, les Allemands ont accept cette offre : une division SS musulmane devait voir le jour aux cts de la division SS Prinz Eugen , compose dAllemands de souche. Le fil du sabre recourb Le recrutement de la division SS Handjar (daprs le mot turc qui signifie sabre recourb24) a commenc en mars 1943. Une aide dcisive vint dAmin al Husseini, grand mufti de Jrusalem. Dcrit par Winston Churchill comme une tonne de dynamite sur pattes , ce dignitaire religieux ne rpugnait pas se mler des affaires dici-bas : pendant la Premire21. Die Bosnijaken waren die ersten Befreier Frankreichs , Ljiljan, 17.09.1997, traduit in : Balkan Press n 43, 22.09.1997. 22. Prli tait le ministre des Affaires trangres (croate) de BosnieHerzgovine en 1997. Son interview a t publie dans Ljiljan, le 25.05.1998, traduite in : Balkan Press 65, 1.6.1998. 23. Enver Redi, Mislimansko autonomatvo i 13. SS divizija, Sarajevo 1987, p. 231. 24. Le premier nom officiel en tait 15e Division de volontaires de montagne croates puis, ds le mois de mai 1944, Division SS Handschar (selon la translittration allemande du serbo-croate Handar).DHimmler ben Laden

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Guerre mondiale, officier ottoman, il a pris part lassaut (malheureux) des puissances centrales contre le canal de Suez. En 1921, les Britanniques, puissance mandataire de Palestine depuis 1918, ont tolr, malgr les irrgularits dont elles taient entaches, les lections qui lui avaient permis daccder au titre de grand mufti de Jrusalem, le nommant mme, un an plus tard, prsident du Conseil suprieur musulman. s qualits, il portait une responsabilit importante dans lorganisation des pogroms de 1929 Jrusalem. Le grand mufti a eu des contacts prcoces avec Hitler : au nom des musulmans et en particulier des Palestiniens, je salue le nouveau rgime allemand et jespre que le rgime fasciste [] stendra dautres pays , crivait al Husseini au consul gnral allemand, Heinrich Wolff, au printemps 1933.25 Ce jugement de valeur ne se traduisit dans les faits politiques quau dbut de la Seconde Guerre mondiale. Le grand mufti avait d fuir Jrusalem, dclar persona non grata par la puissance mandataire pour avoir dirig le soulvement antijuif et antibritannique de 1936-1939. Aprs tre pass par Bagdad et dautres escales, il arrive en novembre 1941 Berlin. Cest depuis l qual Husseini lance des appels et tient des discours radiophoniques pour rallier la cause de lAxe les musulmans nord-africains, du Caucase sovitique et des Indes anglaises. En 1942 souvre lInstitut musulman central Berlin, fins de coordonner ce travail de propagande. Lors de linauguration, le grand mufti dclare : Nous sommes fermement convaincus quune troite collaboration entre les millions de Mahomtans dans le monde et lAllemagne et ses allis de lAxe contre lennemi commun Juifs, Bolcheviks, Anglo-Saxons se mettra en place afin, avec laide de Dieu, datteindre la victoire finale dans cette guerre pour les puissances de lAxe . Le discours tait maill de tirades diriges contre les Juifs, ennemis inextirpables des musulmans ,

25. Klaus Gensicke, op. cit., p. 46. 3Comment le Djihad est arriv en Europe

qui auraient dress les peuples de cette guerre les uns contre les autres. 26 Lorsqual Husseini lui offre de mettre sur pied des units de combat musulmanes, lAxe commence par dcliner. En Afrique du nord, la mise sur pied dun Afrika-Hilfskorps une ide de Mussolini tourna court aprs la dfaite de Rommel. Mais dans les Balkans, le projet finira par aboutir. Pendant tout le mois davril 1943, al Husseini sillonne la Bosnie et la Croatie et prend langue avec les responsables musulmans locaux. Il reoit un soutien sans faille de Hafid Muhamed Panda, un membre influent de lOulma Mezlis, le plus haut organisme dauto-administration des bosno-musulmans.27 Jusquau milieu du mois davril 1943, 20 25 000 volontaires se sont annoncs pour grossir les rangs de la division SS,28 dont les effectifs se monteront plus tard 6 500 hommes.29 Ce nest pas tant le poids militaire de cette division SS qui avait de limportance, pour ltat-major SS, que son impact sur la propagande. Pour la premire fois, grce la cration dune division SS musulmane, le lien entre Islam et national-socialisme se fonde sur une base solide et visible de tous, car la division est oriente spirituellement et intellectuellement vers lorient bien qutant nordique quant au sang et la race. 30 Himmler sest donn beaucoup de peine pour que la division soit dirige selon les principes du Coran. Il avait toutefois refus plusieurs fois ce traitement de faveur aux units chrtiennes. Cest le gnral Edmund Glaise-Horstenau qui, lors dun entretien avec le Reichsfhrer SS, a mis au jour les motivations profondes de ce comportement : Himmler approuva sans rserve ma suggestion, que javais amene avec prcaution et timidit, que lesprit de corps des SS devait26. Klaus Gensicke, op. cit., p. 137. 27. Ladislaus Hory/Martin Broszat, op. cit., p. 157. 28. Klaus Gensicke, op. cit., p. 179. 29. Fabian Schmidt, Im Griff der grossen Mchte , in : Thomas Schmid (d.), Krieg im Kosovo, Reinbek 1999, p. 96. 30. Actes du commandement SS, 19.05.1943, in : Ladislaus Hory/ Martin Broszat, op. cit., p. 159.DHimmler ben Laden

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tre transmis aux recrues par le truchement de muftis de terrain. Il rejetait le christianisme en raison de son caractre trop doux. Par contre, lespoir du paradis de Mahomet tait propice aux vocations de hros, et donc promouvoir avec la dernire nergie devant les Bosniaques31. En accord avec le grand mufti, Himmler organise donc lincorporation dimams dans les units de combat. Le ravitaillement correspondait au ravitaillement allemand standard, lexception du porc et de lalcool. Luniforme est islamis : les soldats portaient linsigne tte de mort sur un fez.32 Lors de linstruction de la division, un rat lourd de consquences se produisit. La division est envoye dans le sud de la France pour son baptme du feu, en t 1943. Dans le mme temps, les partisans de Tito dclenchent une offensive majeure en Bosnie et des dizaine de milliers de musulmans prennent la fuite : les hommes voulaient rentrer chez eux pour faire rendre gorge ces communistes sans foi ni loi. Miseptembre, une mutinerie implique mille recrues musulmanes et fait quelques victimes parmi les officiers allemands en plus de quinze musulmans33. Ce nest que fin fvrier 1944 que la division Handjar regagne les Balkans. Elle est engage dans les grandes manuvres de nettoyage connues sous le nom de Kugelblitz , en Bosnie centrale et orientale. cette poque la troupe na aucune misricorde vis--vis des partisans de Tito et se signale par sa cruaut . 34 6 000 km2 de territoire finirent par tre mis en coupe rgle par la division Handjar et ainsi en quelque sorte arraches au rgime de Paveli35 . la grande fureur de Zagreb, les musulmans sautrent sur loccasion pour faire

31. Correspondance de Glaise-Horstenau, 02.03.1943, in : Ladislaus Hory/Martin Broszat, op. cit., p. 155. 32. Klaus Gensicke op. cit., p. 180 ss. 33. Klaus Gensicke, op. cit., p. 190. 34. Georg H. Stein, Die Geschichte der Waffen-SS, Dsseldorf 1967, in : Gensicke, op. cit., p. 199. 35. Klaus Gensicke, op. cit., p. 200. 40Comment le Djihad est arriv en Europe

ouvertement de la propagande en faveur de lautonomie de la Bosnie et de lHerzgovine. 36 Courant 1944, Himmler organise deux autres units SS musulmanes sur le modle de la division Handjar, la division Kama en Croatie et la division Skanderbeg en Albanie. Cette dernire se composait essentiellement dAlbanais du Kosovo37. Skanderbeg et les gurilleros nationalistes albanais du mouvement Balli Kombetar perscutrent sans piti les populations serbes qui avaient le malheur de vivre au Kosovo. Selon diverses estimations, 70 000 120 000 Serbes furent dports et 10 000 20 000 massacrs entre 1941 et 194538. En 1943, Hermann Neubacher, reprsentant dHitler pour lEurope du sud-est, crivit que lorsque les dirigeants oustachis prtendent avoir tu un million de serbes orthodoxes, je ny crois pas, cest une exagration. Daprs les rapports que jai lus, le nombre de Serbes sans dfense massacrs se monte trois quarts de million. 39 Aprs la guerre, les musulmans SS (comme dailleurs tous les fascistes) ont t dports par le gouvernement yougoslave. Lpuration a donn lieu bien des reprsailles spontanes et extrajudiciaires. Plus de 7 000 de ces collabos sont tombs dans les geles des Allis qui les ont extrads vers lUnion Sovitique, o ils ont trouv la mort, ce quon rapporte.40 Le gouvernement de Tito monta un procs en crimes de guerre contre le grand mufti al Husseini et exigea son extradition. Les puissances occidentales (sur le territoire desquelles le suspect se trouvait) se sont toutefois refuses collaborer avec Belgrade pour ne pas mettre en pril leurs intrts ptroliers dans les pays arabes.4136. Klaus Gensicke, op. cit., p. 205. 37. Cf. Peter Bartl, Albanien, Regensburg 1995, p. 232. 38. Vojin Joksimovich, Kosovo Crisis. A Study in Foreign Policy Mismanagement, Los Angeles 1999, p. 33. 39. In : Arnold Sherman, Die Zerschlagung Jugoslawiens. Brgerkrieg und auslndische Intervention, Freiburg 1993, p. 25. 40. Mohammed p. Abdullah, Islam in der Bundesrepublik Deutschland, unter Vorbehalt zitiert bei Gensicke, op. cit., p. 210. 41. Gensicke, op. cit., p. 211.DHimmler ben Laden

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Izetbegovi et les Frres musulmans Izetbegovi sest-il enrl dans la division SS Handjar pendant la guerre ? La question reste ouverte. On laffirme souvent en Serbie, mais malgr des enqutes assidues auprs des historiens et des commentateurs politiques, nous navons pu en tablir la preuve formelle. Lindice le plus srieux lappui de cette assertion se trouve dans les mmoires dElie Wiesel : Est-ce dans un reportage publi par Yedioth Ahronoth que jai vu une photo le montrant avec des membres des divisions SS sous le rgne des Oustachis?, se demande le survivant dAuschwitz. Troubl, il ajoute : Etait-ce un faux?42 Malheureusement, Elie Wiesel ne mentionne pas la date de publication du journal, ce qui rend la vrification difficile. Ce doit tre durant la premire phase de la guerre civile en Bosnie, lorsque lopinion publique isralienne tait encore trs hostile aux continuateurs de la politique nazie Sarajevo (et Zagreb). Cependant que Wiesel et dautres notables juifs amricains de premier plan uvraient dj, avec les faucons interventionnistes de Washington, la cration dun mouvement dhumeur favorable une intervention militaire pour sauver les musulmans en Bosnie. Revenons Izetbegovi. En 1946, il est jet en prison. Mais pas pour stre enrl dans la division SS Hanjar. Non, cest dincitation la haine raciale et religieuse quon la trouv coupable. Et juste titre. Depuis 1941 (il avait 16 ans), il appartenait aux Jeunes Musulmans (JM en serbo-croate, Mladi Muslimani), une organisation fonde en 1928 en gypte par Hassan al Benna en mme temps que les Frres musulmans (FM).43 Al Benna voyait dans les organisations juives dIsral et dailleurs un modle pour les Frres musulmans, dj frapps dinterdiction lpoque cause de la radicalit de leurs prises de position. Les deux organisations stendirent, au42. Elie Wiesel, Et la mer nest pas remplie (Mmoires, tome 2), Ed. du Seuil, Paris, 1996, p. 520. 43. Adnan Buturovi, Ko je bio Alija Izetbegovi, Sarajevo 2004, p. 5-6. 42Comment le Djihad est arriv en Europe

cours des annes qui ont suivi, plusieurs pays et rgions musulmanes, mais en Bosnie seuls les Mladi Muslimani se maintinrent. Dans ses contacts ultrieurs avec les FM, Izetbegovi dclara que les deux organisations partagent la mme vision du monde. 44 Cette identit idologique est lourde de signification, car les FM sont aujourdhui bon droit considrs comme le germe de lensemble du terrorisme islamiste. Aprs la prise de pouvoir de Gamal abd el Nasser en gypte, cette organisation extrmiste a t interdite plusieurs fois et son thoricien le plus minent, Seyyid Qutb, emprisonn au Caire en 1966. Son frre a fui en Arabie Saoudite et enseign luniversit de Djedda, o il a particip la diffusion de textes interdits entre autres devant un jeune tudiant nomm Oussama ben Laden. Embastill, Qutb tait le hros intellectuel de tous ces groupes qui se sont joints al Qaida par la suite, leur Karl Marx, leur Fhrer , rsume Paul Berman dans le New York Times45. En tous les cas cest des FM que sont nes des organisations comme le Hamas en Palestine et le Djihad islamique en gypte. Lhomme fort de ces djihadistes gyptiens, Ayman al Zawahiri, a envoy des combattants dans les Balkans dans les annes 90 (v. p. 81) et il sest acoquin avec ben Laden plus tard (v. pp. 215 ss.). Les Frres musulmans ont form le milieu intellectuel qui a inspir nombre de jeunes musulmans dont le jeune Izetbegovi. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la majorit des JM se sont rallis la milice du dirigeant musulman Muhamed Panda, qui recrutait aussi des soldats pour la division Handjar (v. p. 39). La milice Panda sengageait, comme la division Handjar, pour une Bosnie indpendante et combattait, pour cette raison, non seulement les partisans mais aussi les oustachis. Izetbegovi a prtendu navoir pris part qu des activits subversives Sarajevo, mais a44. Selon le concurrent dIzetbegovi, Ismet Kasumagi, in : Adnan Buturovi, op. cit., p. 22. 45. Cf. Paul Berman, The Philosopher of Islamic Terror , New York Times (Magazine), 23.03.2003.DHimmler ben Laden

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affirm ensuite quil tait devenu le membre le plus connu des Jeunes Musulmans . 46 Aprs la victoire des partisans de Tito, des condamnations mort furent prononces contre les membres des JM. Avec trois ans de prison, Izetbegovi sen tirait plutt bien. Sa condamnation ne se fondait pas sur ses activits davant 1945, mais sur celles qui avaient suivi : il tait fondateur et rdacteur en chef dun journal, El Mudahid, o avait paru un pome qui ntait pas sign nommment et qui appelait la guerre sainte. On y lit entre autres : La fraternit musulmane nous unit, nous mprisons la mort et nous nous jetons dans la mle. Le temps est venu, en avant, les hros, au djihad ! Nous partons au djihad ! 47 La Dclaration islamique Aprs son largissement, Izetbegovi fait le tour de ses partisans. Dans les annes cinquante, il runit clandestinement de jeunes musulmans, communique avec des tudiants arabes, tablit des contacts ltranger, rdige des articles, organise des discussions et des exposs crira Ismet Kasumagi, membre des JM, et qui hbergeait ces runions.48 Cest probablement la fin des annes soixante que ce cercle se met travailler une dclaration programmatique, qui sera finalement publie sous la signature dIzetbegovi, mais qui est en fait un travail commun avec Omer Behmen (v. p. 155 ss.) : Islamska Deklaracija la Dclaration islamique.49 Izetbegovi lui-mme affirme que le premier brouillon tait dj prt en 1969. Du ct serbe, la premire publication retenue, en samizdat en Bosnie, remonte 197050. Adnan Buturovi, biographe et critique dIzetbegovi, prtend avoir46. 47. 48. 49. 50. 44 Adnan Buturovi, op. cit., p. 12 In : Serbisch-deutsches Komitee fr Gerechtigkeit, op. cit., p. X. Adnan Buturovi, op. cit., p. 21. Adnan Buturovi, op. cit., p. 18. In : Serbisch-deutsches Komitee fr Gerechtigkeit, op. cit., p. XIII.Comment le Djihad est arriv en Europe

mis au jour que le document na paru quen 1989 Belgrade, ce qui ne tient pas la route, puisque le magazine londonien South Slav Journal la publi in extenso en 1983.51 Plus tard, Izetbegovi a dit avoir crit sa part de la Dclaration en se basant sur Dileme oko islama (Les Dilemmes de lislam) du thoricien le plus radical des Frres musulmans, Seyyid Qutb, quil a fait connatre Belgrade en 1973. Il savra que le fondamentalisme traduit par les uvres de Qutb correspondait la vision quen avaient ses admirateurs balkaniques. Au milieu de la Dclaration islamique, on parle ainsi du principe de lordre musulman, cest--dire de lunit de la religion et de la politique [] Cet intgrisme aboutit lintolrance au sein mme de la communaut musulmane : la dfinition globale de lordre musulman, cest : lunit de la religion et de la loi, de lducation et de la force, des idaux et des intrts, de la socit spirituelle et de ltat [] en somme, le musulman nexiste pas en tant quindividu (p. 19). Il y a aussi une dclaration de guerre lintention des autres communauts : il ne saurait y avoir ni paix ni coexistence avec les communauts ou les organisations internationales non musulmanes (p. 22). Izetbegovi prche le combat visant la cration dune grande Fdration islamique, du Maroc lIndonsie, dAfrique noire en Asie centrale (p. 46). Les socits mixtes entre musulmans et non-musulmans sont bannir, aussi bien : le mouvement islamiste devrait doit non seulement prendre le pouvoir sur le gouvernement non musulman ds que son poids moral et numrique le permet, mais aussi crer un nouveau pouvoir islamiste (p. 43) Un tat ou une union dtats de ce genre ne saurait tre lacs, mais sorienter vigoureusement vers la religion : Cest un fait tabli que tout ce qui sest fait de grand et digne de mmoire dans lhistoire des peuples musulmans la t sous la bannire de lIslam [] La Turquie islamique dominait le monde, la Turquie daujourdhui est un tat de troi51. Alija Izetbegovi, The Islamic Declaration , in : The South Slav Journal, vol. 3-15, Londres 1983 ; la pagination des citations mentionnes ci-aprs suit celle de ldition de 1990 (d. Bosna, Sarajevo).DHimmler ben Laden

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sime classe, une contrefaon de pays europen. Izetbegovi voit dans le Pakistan le modle suivre (p. 45). Pour contrer linfluence mortifre de lOccident, Izetbegovi recommande une mise au pas fondamentaliste de la vie publique : Lducation du peuple et en particulier les mass media, presse, radio, tlvision, cinma devraient tre dans les mains de gens dont la moralit islamique et lautorit intellectuelle ne fasse pas de doute. Les mdias ne doivent pas, comme si souvent, tomber entre les mains de gens pourris et dgnrs qui imposent dautres leur propre anomie et le vide de leur vie. (p. 32) Il nest pas tonnant quIzetbegovi en arrive rapidement des tirades dincitation la haine contre Isral : Nous ferions volontiers la diffrence entre Juifs et sionistes si eux-mmes la faisaient [] Mais tant quils resteront sur leur pidestal (ce qui parat probable vues humaines) il ny a quune solution pour le mouvement islamiste et pour tous les musulmans du monde : continuer le combat, llargir et le faire durer jour aprs jour, anne aprs anne, tant quil y a aura des victimes et aussi longtemps que cela devra durer, jusqu ce quils soient forcs de rendre chaque pouce de la terre quils ont vole. Chaque ngociation, chaque compromis qui met en jeu les droits lmentaires de nos frres palestiniens est une trahison, et cette trahison menace de jeter bas le systme moral sur lequel repose notre monde (pp. 53-54). Quiconque aurait crit ces lignes et instantanment et bon droit t tax dantismitisme. Izetbegovi a dailleurs t condamn en 1983 en Yougoslavie 14 ans de prison en relation avec la Dclaration islamique (il nen a purg que cinq). Mais cela na pas entach sa rputation en Occident. Ceci est dautant plus tonnant que la Dclaration a reparu en 1990, Sarajevo, aux ditions Bosna. Et mme en version anglaise. Mais aucun envoy spcial na paru sy intresser.

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Comment le Djihad est arriv en Europe

La reconnaissance dun tat bosniaque indpendant et souverain en 1992 par lOTAN na pas permis la naissance dun nouvel tat, mais celle de la guerre civile. (Henry Kissinger1)

chaPitre iii

Un terrorisme dune ampleur effroyable comment les fanatiques musulmans ont fond un tat en bosnie, en 1992, grce laide des occidentaux

E

n 1984, les Jeux Olympiques de Sarajevo ont marqu lapoge du modle yougoslave : une ville o les musulmans appels la prire par le muezzin croisaient des Juifs dans la rue, quelques pas dune glise chrtienne ; une mtropole qui scintillait dans la splendeur blanche des montagnes avoisinantes et o, le soir, des rumeurs dignes des Mille et Une nuits sortaient des cafs et des tavernes de la vieille ville, la Baarija ; le mlange de lOrient et de lOccident, de dsinvolture polyglotte et de conscience historique cheville au corps o ailleurs, dans le monde, lidal olympique se serait-il trouv mieux sa place que dans ce temple du multiculturalisme ? On ne connaissait pas ce concept encore, mais

1. Henry Kissinger, Ein multiethnisches Bosnien kann nur mit Gewalt erzwungen werden , Welt am Sonntag (ci-aprs : WamS), 08.09.1996. Un terrorisme dune ampleur effroyable

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cest ce que voulait dire, au fond, le slogan de Tito, Bratstvo i Jedinstvo (Fraternit et Unit). Lhritier des Mlada Bosna Un courant moderne de lislam, loin du fondamentalisme, a fleuri Sarajevo. Un mouvement qui faisait dj concurrence lIslam orthodoxe au dbut du XXe sicle. Cest ainsi que parmi les conjurs du groupe Mlada Bosna (la Jeune Bosnie2) qui ont prpar lattentat de Sarajevo le 28 juin 1914 contre Franois-Ferdinand, hritier du trne austro-hongrois, se trouvait un jeune musulman, Muhamed Mehmedbai. Ce groupuscule ne poursuivait en aucune faon des objectifs grand-serbes, comme on le lit souvent, mais yougoslaves lautodtermination des peuples balkaniques. Devant les juges, Gavrilo Princip, lassassin du prince, dira : je suis un nationaliste yougoslave, je mengage pour lunit des Yougoslaves. 3 Pendant la Seconde Guerre mondiale, les partisans communistes ont eux aussi russi recruter des combattants issus de tous les groupes ethniques. La premire unit musulmane de la rsistance titiste a atteint la taille dun bataillon en 1941.4 Bien que lorientation proyougoslave ait t dabord minoritaire parmi les musulmans, il y avait aussi des rgions o il avaient le dessus, comme dans le district occidental de Biha. Il sagit dune enclave musulmane au milieu de territoires majoritairement peupls de Croates et de Serbes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les musulmans y ont particip

2. Ce nom rappelle celui des Jeunes Turcs, le mouvement de Mustafa Kemal, qui a donn naissance la Turquie moderne. Lattentat du 28 juin 1914, on le sait, est le dtonateur de la Premire Guerre mondiale. (N.d.T.) 3. In : Adriano Sofri, Das Jahrhundert von Sarajevo, Bchner (Francfort/M.), janvier 2000. 4. Achim Beinsen, op. cit., p. 156. 4Comment le Djihad est arriv en Europe

bien plus activement la rsistance contre les fascistes, avec les Serbes, que partout ailleurs en Bosnie. 5 Aprs la Seconde Guerre mondiale, les musulmans favorables lide yougoslave crrent en nombre. Ils considraient la religion comme relative la sphre prive et ne considraient pas condamnable de se mlanger dautres peuples culturellement parlant ou par le mariage. La croissance conomique qui sest poursuivie jusquau milieu des annes 70 ntait sans doute pas pour rien dans leur loyaut ltat multiethnique. La faiblesse du fondamentalisme musulman dans les mentalits ressort du comportement matrimonial : dans les annes quatre-vingt, un enfant bosniaque sur cinq naissait dun mariage mixte et se dfinissait plus tard, dans les recensements, comme Yougoslave . Lors du recensement de 1991, 8 % des habitants de la Rpublique fdre de Bosnie lont fait, avec des pics dans les grandes villes comme Tuzla (21 %), Sarajevo (18 %) et Banja Luka (16 %).6 Lorsque Tito a fait de Musulman une nationalit (en 1968 en Bosnie, en 1971 dans le pays tout entier7) a-t-il voulu acclrer la yougoslavisation des musulmans ou la rgression du fondamentalisme est encore sujet controverse. Tout dabord, le prsident (au titre largement honorifique) Moa Pijade stait oppos cette mesure, peut-tre parce quen tant que Juif il avait eu lexprience de la duret que les musulmans avaient manifeste lgard des Juifs et des Serbes pendant la Seconde Guerre mondiale.8 Lrosion du modle yougoslave a commenc, au plus tard, en 1980, la mort du flamboyant fondateur de ltat. Cela ne sest pas tout de suite vu en Bosnie ; Au Kosovo, par contre, un soulvement albanais clata en 1981, que Belgrade dut5. Misha Glenny, Jugoslawien. Der Krieg, der nach Europa kam, Munich 1993, p. 232. 6. Malte Olschewski, Von den Karawanken bis zum Kosovo. Die geheime Geschichte der Kriege in Jugoslawien, Vienne, 2000, pp. 95-96. 7. Cf. Achim Beinsen, op. cit., p. 160. 8. daprs Peter Scholl-Latour, Im Fadenkreuz der Mchte. Gespenster am Balkan, Munich 1994, p. 136. Un terrorisme dune ampleur effroyable

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rprimer avec des blinds. Des tendances scessionnistes commencrent se manifester, surtout dans les Rpubliques les plus riches, cause de la dette extrieure en croissance continue. La Croatie et la Slovnie, avantages par la gographie, disposaient de devises en abondance grce un secteur touristique florissant. Elles ont manifest leur volont de quitter ltat fdral pour chapper aux cranciers de ce dernier et la pression croissante des intrts. Les tendances centrifuges taient dj difficilement matrisables de lintrieur. Mais elles ont chapp tout contrle ds que le soutien extrieur disparut. LAllemagne runifie a jou un rle fatal en soutenant, dans cet effondrement, toutes les forces politiques qui avaient jadis collabor avec lAllemagne nazie : les nationalismes croates et grand-albanais de mme que le fondamentalisme musulman. La dissidence allemande Lors des premires lections multipartites dans les Rpubliques yougoslaves, en avril 1989, les partis scessionnistes ont pris le pouvoir en Slovnie et en Croatie. En Occident, on a commenc par ne voir que les dangers de lclatement de la Fdration. Lindpendance, proclame par les deux Rpubliques le 25 juin 1991, na t reconnue ni par la Communaut (lUnion ds 1992) europenne ni par les USA. Le Premier ministre britannique, John Major, dclare alors : Le but premier est de maintenir la Fdration en Yougoslavie. 9 LAllemagne, soutenue par lAutriche et par le Vatican, entra en dissidence par la voix du ministres des Affaires trangres, Hans-Dietrich Genscher, et proclama quelle ne transigerait pas avec le droit des peuples disposer deux-mmes et avec les droits des minorits . En aot 1991, Bonn bloque tous les crdits consentis la Yougoslavie, en napprouvant plus que les crdits Hermes pour la Slovnie et la Croatie10 Le service9. Laura Silber/Allan Little, Bruderkrieg. Der Kampf um Titos Erbe, Vienne 1995, p. 183. 10. Bonn schrnkt Ausfuhr nach Jugoslawien ein , FAZ, 27.8.1991. 50Comment le Djihad est arriv en Europe

de renseignements fdral allemand sengage massivement dans la contrebande darmes destination des sparatistes, et lescalade des escarmouches et des combats commence pendant lt 1991, surtout en Croatie.11 En automne 1991, un nouveau duo se propose de sauver ce qui pouvait encore ltre dans les Balkans : lAmricain Cyrus Vance et le Britannique Lord Carrington se sont proccups de la situation militaire en Bosnie, dj instable mais pas encore menaante. Vance et Carrington ont refus les demandes allemandes. Les deux mont rapport plus tard quils ont averti sans quivoque leur vieil ami et collgue Hans-Dietrich Genscher quavec la reconnaissance de la Croatie, il dclencherait une raction en chane qui aboutirait tt ou tard la guerre en Bosnie. Une reconnaissance de la Croatie forcerait la Bosnie suivre lexemple et se dclarer indpendante dclare rtrospectivement lenvoy amricain dans les Balkans, Richard Holbrooke12. Le secrtaire gnral des Nations Unies, Javier Perez de Cuellar, sest engag, lui aussi, en crivant Genscher le 14 dcembre 1991. Je pars du principe que [] vous avez entendu parler de notre proccupation majeure : ce quont dit les prsidents de Bosnie-Herzgovine et de Macdoine, et beaucoup dautres aprs eux, cest--dire quune reconnaissance prcipite des nouvelles Rpubliques pourrait dclencher llargissement dun conflit lensemble de la rgion. Un tel dveloppement aurait des consquences tragiques pour lensemble des Balkans et mettrait en pril mes efforts et ceux de mes envoys qui tentent de runir les conditions dun rglement pacifique en Yougoslavie. La proccupation de de Cuellar tait pleinement justifie en Bosnie, puisque cette petite rpublique multicolore tait une sorte de Yougoslavie en miniature, de par son mlange de populations. Les Musulmans reprsentaient une majorit relative mais pas absolue de sa population ( peine 44 % de11. Tous les dtails l-dessus in : Jrgen Elssser, Der deutsche Sonderweg. Historische Last und politische Herausforderung, Munich/Zurich 2003. 12. Richard Holbrooke, Meine Mission. Vom Krieg zum Frieden in Bosnien, Munich 1999, p. 52. Un terrorisme dune ampleur effroyable

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4,3 millions dhabitants). Les Serbes suivaient avec plus de 31 %, puis les Croates avec plus de 17 %. La situation se compliquait encore par le fait que le tiers de Serbes que comptait la Bosnie taient propritaires denviron 60 % des terres13, alors que les Musulmans plus nombreux se concentraient dans les villes, dans un espace plus restreint en tant que descendants de llite administrative ottomane. Comment est-ce que cette petite Yougoslavie aurait pu se maintenir aprs leffondrement de la grande ? Le retour des Jeunes Musulmans Les Musulmans bosniaques fondent en 1991 leur premire association denvergure qui prend la forme dun parti national. Les Serbes et les Croates suivent. Le nom du parti (SDA pour Stranka Demokratske Akcije parti de laction dmocratique) ne fait pas immdiatement penser lextrmisme nationaliste, tout comme le programme : lun des objectifs proclams du parti tait le maintien de la Yougoslavie en tant que libre communaut de peuples, respectivement comme une union dtats maintenant les frontires actuelles14. Mais il faut encore considrer que le Parlement bosniaque avait dabord interdit la formation de partis bass sur la nationalit, lorsque le multipartisme a t introduit en janvier 1990, afin dviter une polarisation ethnique dans la Rpublique15. Ce papier faisait donc montre de patience, et, si on ne se laisse pas berner par les belles paroles, il y a des choses qui font rflchir lorsquon regarde dun peu plus prs les forces en prsence au sein du parti. Les Musulmans lacs du parti ont tout de suite t mis sous la pression dune13. Cf. lannexe (cartes) in Arnold Sherman, op. cit., et in : Srpska Akademija Nauka i Umetnosti, Bosna i Hercegovina od srednjeg veka do novijeg vremena, Belgrade 1995. 14. In : Mira aki-Jovanovi, Die politischen Parteien in Bosnien-Herzegowina 1989-2002, Magisterarbeit M.A. an der Universitt, Bonn 2003. 15. Cf. Viktor Meier, Wie Jugoslawien verspielt wurde, Munich 1995, p. 351. 52Comment le Djihad est arriv en Europe

fraction de durs , qui staient choisi Izetbegovi comme chef. Ctaient les mmes personnes qui avaient fond laile bosniaque des Jeunes Musulmans pendant la Seconde Guerre mondiale, lavaient fait fonctionner dans lillgalit partir de 1945 et avaient rdig la Dclaration islamique (v. pp. 44 ss.). Cinq camarades dIzetbegovi, condamns avec lui pour incitation la haine en 1983, ont tout de suite fait partie du Comit excutif, la plus haute instance du SDA16. Izetbegovi ne faisait pas mystre de ses vues. Voici ce quil en disait en 1991 : ce nest pas parce quil ny a pas de fondamentalisme aujourdhui quil ny en aura jamais. Dans une Bosnie libre et souveraine, il ny en aurait pas, mais si quelquun tente de nous enlever ce pays, alors il ne sagira plus de fondamentalisme, mais de terrorisme qui naura pas de fin. Ils sont des dizaines de milliers, ces jeunes Musulmans qui naccepteront pas quon leur prenne leur foyer et qui sont prt rendre les coups avec un terrorisme dune ampleur effroyable.17 Adil Zulfikarpai, reprsentant dIzetbegovi au comit du SDA, a commenc par tre le porte-parole de laile laque du mouvement. Zulfikarpai venait dune vieille famille noble et influente de Foa, il avait combattu en 1941-1945 parmi les partisans et, 27 ans, il tait devenu reprsentant du ministre du Commerce au sein de la Rpublique fdre. migr en 1950 en Suisse, il y avait suivi une brillante carrire dans le commerce et ntait rentr dans son pays quen 1990. Il se rendit compte avec effroi que parmi la majorit des 300 000 membres du SDA, les discours et les symboles de lIslam radical dominaient. Quand les gens retenaient leur respiration, cela faisait comme un bruit de char dassaut, ctait incroyable. Il y avait des churs, des drapeaux verts, des appels, on16. Omer Behmen, Edhem Biaki, Hassan engi, Demaludin Lati et Husein ivalj ; selon aki-Jovanovi, op. cit., p. 35. 17. Alija Izetbegovi, Mi u krvi postajemo narod i stvaramo svoju dravu , Bent 1/1995, p. 4 in : Mira Beham, Kriegstrommeln. Medien, Krieg und Politik, Munich 1996, p. 224. Un terrorisme dune ampleur effroyable

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criait mort Vuk !18 , longue vie Saddam Hussein ! , il y avait des portraits de Saddam Hussein, des gens vtus de costumes arabes, de centaines de drapeaux verts19. Lpuration du parti Le politicien musulman le plus populaire ntait de toute faon ni Zulfikarpai ni Izetbegovi, mais Fikret Abdi, originaire de la rgion de Biha o les musulmans avaient soutenu les Partisans pendant la Seconde Guerre mondiale (voir ci-dessus). Non loin, Velika Kladua, Abdi fonde la socit dtat Agrokomerc dans les annes 1980. Bien que sa rputation dhomme daffaires ait eu souffrir de quelques gratignures (sa socit souffrant dun passif de 500 millions de dollars, Abdi avait fini en prison) il tait rest populaire dans la rgion. Lors des lections la prsidence bosniaque en novembre 1990, il avait obtenu 250 000 voix de plus que son camarade de parti Izetbegovi un exemple qui montre bien qu lpoque, le fondamentalisme ntait pas majoritaire.20 On voyait les choses autrement, au Parti. En septembre 1990, un congrs extraordinaire a exclu Zulfikarpai et ses partisans par 272 voix contre onze. Le parti tait ds lors aux mains des extrmistes : lors de la premire assemble du parti en dcembre 1991, les reprsentants de lidologie jeunemusulmane taient les plus forts 21. A la mi-1991 on se battait dj en Croatie, mais lordre rgnait encore en Bosnie les forces musulmanes cherchrent sallier aux Serbes. Couvert par Izetbegovi, Zulfikarpai (bien que dj exclu du SDA) rencontra Radovan Karadi et Momilo Krajinik, qui taient dj les dirigeants du nouveau parti bosno-serbe SDS. Zulfikarpai se18. Rfrence Vuk Drakovi, un politicien serbe favorable la monarchie. (N.d.A.) 19. Adil Zulfikarpai, In Dialogue with Milovan Djilas and Nadeda Gace , The Bosniak, Londres 1988, p. 140, in : Beinsen, op. cit., p. 304. 20. Abdi 4 %, Izetbegovi 40 % cf. Viktor Meier, op. cit., p. 351. 21. Mira aki-Jovanovi, op. cit., p. 35. 54Comment le Djihad est arriv en Europe

souvient : Je voulais une certaine indpendance pour la Bosnie, mais une Confdration avec dautres tats tait une option acceptable, dans mon esprit. Mme une union avec la Serbie, le Montngro et la Macdoine seuls. Nous nous sommes mis daccord l-dessus aprs de longues discussions. Le reprsentant serbe et moi-mme sommes alls dans le bureau dIzetbegovi, car nous tions tous dans la maison du prsident. Il accepta aussi quon mette notre accord sur papier sous le titre Convention historique et quon le signe. Il a t voir Miloevi, et Izetbegovi aprs son voyage aux USA. La situation se dtendait. La majorit du SDA tait pour une solution pacifique du conflit avec les Serbes, mais voulait pouvoir le prsenter comme un succs. La nervosit du groupe islamiste qui tait autour dIzetbegovi et dIzetbegovi lui-mme a grandi. Alors que jexpliquais cet accord la tlvision, jai reu un fax qui disait Izetbegovi dnonce laccord .22 Grce au compromis ngoci par Zulfikarpai, la guerre, les dportations et la misres auraient t vites. Pourquoi Izetbegovi a-t-il trahi sa parole et a-t-il chang davis ? A-t-il reu des assurances du Congrs, lors de son voyage aux tats-Unis, lorsquil a parl des membres du lgislatif, pour une reconnaissance de droit public ou mme pour une aide militaire en Bosnie-Herzgovine en cas de dclaration dindpendance ? 23 En tous les cas, le SDA, sous la prsidence dIzetbegovi, a exclu tout accord avec les Serbes. Afin de maintenir le fragile quilibre entre communauts en Bosnie-Herzgovine, la Constitution prvoyait que toute dcision importante ne se prenait pas la majorit simple, mais ncessitait laccord des trois communauts. Cette disposition a t viole lors de la scession de la Bosnie (octobre 1991) : les dputs musulmans et croates ont runi une courte majorit sur les Serbes22. Adil Zulfikarpai, Izetbegovi hat die letzte Chance vergeben, in : Marina Achenbach, Auf dem Weg nach Sarajevo, Berlin 1994, p. 98. 23. Achim Beinsen, op. cit., p. 210. Un terrorisme dune ampleur effroyable

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et ceux-ci ont quitt la session du Parlement.24 Par la suite, les