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LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT I/ L’organisation de la section du contentieux du CE A/ les organes d’instruction Il s’agit de la vérification matérielle des faits pour constituer un dossier permettant de trancher le recours : préparation des projets de décision. 10 sous sections le composent, chacune remplit le rôle d’organe d’instruction. L’instruction est confiée à un faible nombre de membres : président, 2 assesseurs, quelques rapporteurs. B/ Les organes de jugement Ils sont hiérarchisés en fonction de l’importance des affaires. Les affaires les plus simples, d’intérêt mineur, sont jugées par une sous section jugeant seule ou par 2 sous sections réunies. Quand une sous section juge une affaire seule, l’arrêt est rendu par 3 membres du CE seulement (président, 1 assesseur, 1 rapporteur). Pour les affaires un peu plus importantes, la sous section réuni entre 3 et 9 membres. La formation est plus solennelle car elle est présidée par le président de section au contentieux. Depuis la réforme des années 1980, les sous sections seules traitent + de 50% des affaires. 1/ La section du contentieux Elle désigne à la fois la section contentieuse (ensemble des membres du CE qui appartiennent à la fonction contentieuse), mais aussi une formation particulière de jugement au sein de la section du contentieux. Dans ce cas, la section est composée de 17 membres (président de la section du contentieux, ses 3 adjoints, 10 présidents de sous sections, 2 conseillers représentant les sections administratives, le rapporteur). C’est la 2 e formation la + solennelle du CE statuant en contentieux. C’est la + nombreuse. 2/ Assemblée du contentieux Elle règle les litiges qui ont un enjeu politique majeur ou trancher des affaires qui présentent des difficultés juridiques importantes. Ex : 1954 « Barel », 1989 : « Nicolo », « Arcelor », « Gardedieu », « société tropic travaux signalisation ». C’est la formation la plus éminente. 12 membres du CE, présidée par le vice président du CE, 5 présidents des sections administratives, président de la section du contentieux, ses 3 adjoints, président de la sous section qui instruit l’affaire, rapporteur.

commissaire du gouvernement

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M. Coutron

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Page 1: commissaire du gouvernement

LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

I/ L’organisation de la section du contentieux du CE

A/ les organes d’instructionIl s’agit de la vérification matérielle des faits pour constituer un dossier permettant de trancher

le recours : préparation des projets de décision.10 sous sections le composent, chacune remplit le rôle d’organe d’instruction.L’instruction est confiée à un faible nombre de membres : président, 2 assesseurs, quelques

rapporteurs.

B/ Les organes de jugementIls sont hiérarchisés en fonction de l’importance des affaires. Les affaires les plus simples,

d’intérêt mineur, sont jugées par une sous section jugeant seule ou par 2 sous sections réunies. Quand une sous section juge une affaire seule, l’arrêt est rendu par 3 membres du CE seulement (président, 1 assesseur, 1 rapporteur). Pour les affaires un peu plus importantes, la sous section réuni entre 3 et 9 membres. La formation est plus solennelle car elle est présidée par le président de section au contentieux. Depuis la réforme des années 1980, les sous sections seules traitent + de 50% des affaires.

1/ La section du contentieuxElle désigne à la fois la section contentieuse (ensemble des membres du CE qui

appartiennent à la fonction contentieuse), mais aussi une formation particulière de jugement au sein de la section du contentieux. Dans ce cas, la section est composée de 17 membres (président de la section du contentieux, ses 3 adjoints, 10 présidents de sous sections, 2 conseillers représentant les sections administratives, le rapporteur).

C’est la 2e formation la + solennelle du CE statuant en contentieux. C’est la + nombreuse.

2/ Assemblée du contentieux Elle règle les litiges qui ont un enjeu politique majeur ou trancher des affaires qui

présentent des difficultés juridiques importantes.Ex : 1954 « Barel », 1989 : « Nicolo », « Arcelor », « Gardedieu », « société tropic travaux signalisation ».

C’est la formation la plus éminente. 12 membres du CE, présidée par le vice président du CE, 5 présidents des sections administratives, président de la section du contentieux, ses 3 adjoints, président de la sous section qui instruit l’affaire, rapporteur.

En cas d’égalité, la voix du vice président emporte la décision. En France, on n’indique pas à quelle majorité la solution a été adoptée ce qui renforce l’autorité des arrêts.

C/ le commissaire du gouvernementGénéralement, c’est le maître des requêtes (3 principaux grades du CE : auditeur, maître des

requêtes, conseiller d’Etat : avancement à l’ancienneté). Par exception, il peut s’agir d’auditeurs ou de conseilleurs d’Etat, mas c’est rare. Ils sont nommés par le vice président du CE (par décret puis sur proposition du garde des Sceaux, sur proposition du président de section du contentieux).

L’ensemble des commissaires du gouvernement constituent un ministère public. Cependant, ils ne reçoivent aucune instruction de quelque ministre que ce soit. C’est à nuancer car le commissaire du gouvernement reçoit des instructions du ministre devant les formations consultatives du CE, mais à ce titre, il n’est qu’un fonctionnaire qui siège ponctuellement (subordonné). Devant le contentieux, c’est un juge indépendant et impartial.

L’expression « commissaire du gouvernement » est très décriée. On y est attaché et on l’utilise depuis les années 1830 (poids historique). Mais ce choix est calamiteux car il paraît être le représentant ou le défenseur des intérêts de l’Etat (fait douter de son impartialité et indépendance). Régulièrement, devant la presse ou l’Assemblée nationale, il y a une incompréhension quant à son rôle.

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II/ le rapport de complémentarité entre les conclusions et l’arrêt

A/ l’indéniable apport des conclusions au droit administratifLes conclusions s’achèvent par la formule « par ces motifs, nous concluons à … » Derrière cette

formule, les motifs reconnus par le commissaire du gouvernement apparaissent et constituent de réels fondements de l’arrêt chaque fois que le CE suit le commissaire du gouvernement.

Il remplit une fonction originale. Ses conclusions jouent un rôle essentiel (omniprésentes dans les commentaires d’arrêts).

1/ Fonctions des conclusions présente le litige de manière innovante rend le droit administratif intelligible (compense le peu de motivation de certains

arrêts du CE) : « au silence du juge répond l’éloquence de son commissaire » RAINAUD.

Dans ses conclusions de l’arrêt BOUSSU en 1912, Léon BLUM montre le rôle apparent du commissaire du gouvernement. Il est le seul membre du CE à s’exprimer publiquement, donc on surestime son importance. Tout comme le président ODENT : « cette publicité vaut à la fonction d’être réputée à l’origine de toutes les évolutions jurisprudentielles. »

2/ RemarquesEn doctrine, jusqu’à la monarchie de Juillet, la présence du commissaire du

gouvernement donnait un élan à la jurisprudence.Le rôle du commissaire du gouvernement a été dégagé dans l’arrêt « Gervaise » de 1957 :

« le commissaire du gouvernement n’est pas le représentant de l’administration. En ce qui concerne le fonctionnement interne de la juridiction, il ne relève que de la seule autorité du président de celle ci ». « il a pour mission d’exposer au conseil les questions qui se posent à juger de chaque recours contentieux en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicable, ainsi que son opinion sur les solutions qui appellent suivent sa conscience le litige soumis à la juridiction. »

B/ Esquisses de systématisation du comportement du commissaire du gouvernement commissaire du gouvernement « juge de paix » : il est l’arbitre entre les intérêts

antagonistes et doit les concilier. Ses conclusions n’ont pas d’intérêt majeur, portée limitée.

Commissaire du gouvernement « technicien du droit » : savoir si la règle de droit est correctement appliquée ou non

Commissaire du gouvernement qui fait œuvre de doctrine : le moindre litige est l’occasion de repenser toutes les théories du droit administratif.

Commissaire du gouvernement qui innove (// 3e catégorie)

III/ Le commissaire du gouvernement menacé par la jurisprudence européenneDepuis 12 ans, la CEDH s’est intéressée à la question : remise en cause de l’institution au nom d’une théorie des apparences. La menace indirecte est apparue à l’occasion d’affaires concernant d’autres institutions, puis est devenue directe.

A/ la menace indirecteCEDH 1996 : « VERMEULEN C/ Belgique » juge qu’il est impossible pour un justiciable de

répondre aux conclusions du ministère public avant la clôture de l’audience d’une part, et d’autre part, que la participation du magistrat avec une voie consultative aux délibérés violent le droit à une procédure contradictoire.

Théorie des apparences : concept anglo-saxon selon lequel la justice ne doit pas seulement être rendue mais doit donner l’impression d’être rendue de manière équitable.

Problème : recours à cette théorie. Personne n’a compris l’attitude de la CEDH. Le juge CEDH a estimé que la cour a attribué des défauts apparents à un système judiciaire dont elle sait

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pertinemment que ses défaut n’existent pas en réalité. Dans le désir de céder aux apparents, on remet en cause les équilibres de systèmes qui ont fait leurs preuves. Le ministère public se retire avec les juges du siège au moment du délibéré (il connaît le dossier).

A l’issue de cet arrêt, on pouvait considérer que ce n’est que l’avocat général belge mis en cause et non le commissaire du gouvernement. Mais non, car même si elle ne visait pas le commissaire du gouvernement, quand elle aurait l’occasion, elle transposerait sa décision à ce dernier (menace indirecte, mais sérieuse).

Le CE se braque dans l’arrêt « Mme Esclatine » en 1998, où il réaffirme l’arrêt « Gervaise » et précise que le commissaire du gouvernement a fonction de juger dévolue à la juridiction dont il est membre (principe du contradictoire ne s’applique que pendant l’instruction). Si l’une des parties présente un mémoire, l’autre doit obligatoirement avoir possibilité d’y répondre, chaque partie doit pouvoir discuter les arguments de l’autre.

Le raisonnement est que l’avocat général (judiciaire) et le commissaire du gouvernement (administratif) sont assimilés à une partie ce qui permet aux parties de répondre à ses conclusions. Le commissaire du gouvernement n’est pas une partie, il participe à la fonction de jugement et ses conclusions ont pour effet de clôturer la phase d’instruction et d’engager la phase de jugement. Dans ce cas, le principe du contradictoire ne s’applique plus, les parties ne peuvent pas répondre à ses conclusions.

Le CE autorise les parties à lui présenter une note en délibéré (document écrit sur lequel les parties attirent la formation de jugement sur une erreur qui aurait été commise par le commissaire du gouvernement dans ses conclusions : omission d’un fait, erreur de droit).

Il a reçu le soutien de la CJCE dans son ordonnance « Emesa Sugar » de 2000. La procédure ayant cours devant la cour de justice ne respectait pas le principe du contradictoire selon la société Emesa. La cour de justice a pris le contre-pied de la CEDH. La pratique de la note en délibéré n’existe pas devant la CJCE (aucun moyen de réponse aux conclusions du commissaire du gouvernement sans que l’on considère qu’il y ait atteinte au principe du contradictoire).

B/ la menace directe

1/ Une condamnation visant précisément le commissaire du gouvernement« KREISS C/ France » 2001 : Mme KREISS reprochait de ne as avoir pu discuter les

conclusions du commissaire du gouvernement, d’autant plus qu’elles lui étaient défavorables. Pour elle, l’intégralité du système lui était défavorable. Pour la CEDH, il n’y a pas de violation au droit à un procès équitable. Les parties peuvent discuter toute pièce ou observation soumise au juge (y compris les conclusions du commissaire du gouvernement). La cour estime que ce droit n’est pas méconnu, car il est possible de soumettre au CE une note en délibéré. En 2002 « Leniau », le CE formalise le régime de la note en délibéré (CJA).

Le 2nd grief était tiré de la participation du commissaire du gouvernement aux délibérés, et sur ce point la CEDH suit. En France, le commissaire du gouvernement est un membre à part entière de la juridiction, à ce titre, il a vocation à assister au débat sachant qu’il n’y prend pas part et qu’il est là en tant qu’observateur. La CEDH rejette cette argumentation et indique au nom de la théorie de l’apparence qu’un justiciable non rompu aux cadres de la justice administrative est naturellement porté à considéré comme une adversaire, le commissaire du gouvernement qui a conclu au rejet de cette prétention. Ce justiciable peut éprouver un sentiment d’inégalité en voyant le commissaire du gouvernement se retirer avec les juges afin d’assister au délibéré.

2/ L’incompréhension du CE et la tentative d’explicationLes membres du CE, eux même commissaires du gouvernement, ont écrit un article dans

l’AJDA pour mettre en évidence l’enjeu de leur présence au délibéré. La CEDH s’est trompée dans l’arrêt « Kreiss » quand elle dit que le justiciable peut éprouver le sentiment d’inégalité, car en pratique, on ne le voit pas suivre les juges. Lors du délibéré, la jurisprudence se forme, en y assistant, le commissaire du gouvernement commente les raisons qui ont finalement emporté sa conviction, prend la mesure des solutions retenues.

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3/ Le temps des réformesLe président de la section du contentieux indique que « Kreiss » condamnait seulement la

participation du commissaire du gouvernement au délibéré, il joue sur la sémantique qui condamne seulement la participation, mais n’interdit pas l’assistance.

Décret du 19 décembre 2005 : le commissaire assiste aux délibérés sans y prendre part (obligation textuelle)

CEDH 12 avril 2006 « Martinie c/ France » reprend l’arrêt « Kreiss » en évoquant le décret de 2005 : participer sans prendre part demeure une violation du procès équitable.

Décret du 1e août 2006 : interdiction pour le commissaire d’assister au délibéré. Pour le CE, le commissaire du gouvernement assiste aux délibérés sauf si l’un des parties s’y oppose par demande écrite. (1 seule application en mai 2007). Demande aux avocats d’expliquer à leurs clients le rôle du commissaire du gouvernement.

Le commissaire du gouvernement devrait changer de nom « commissaire du droit » ou « commissaire à la loi ». Il apparaît inévitable de respecter la théorie des apparences comme l’énonce le CC° dans sa décision du 30 novembre 2006 (a L 7 CJA)