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1/17 Synthèse du séminaire sur le « stress au travail » du 16 avril 2010 « Les DRH en question ? La formation et la prévention des risques psychosociaux » Par Laurence Carlinet AGEFOS PME et Pierre Vinot Mayor Formation Cette synthèse de la journée du 16 avril au Conseil Économique Social et Environnemental sur « La formation et la prévention des risques psychosociaux » ou « stress au travail », n’a pas la volonté de retranscrire fidèlement les verbatim des intervenants mais d’être au plus près de leurs pensées. Ceci, et le fait que la structure du verbal et celle de l’écrit ne sont pas identiques, nous a amenés à reformuler les interventions pour en extraire les idées et concepts clés dans le respect du plan de chaque intervention. L’objectif est de vous proposer un document de réflexion clair permettant une appropriation facile, y compris pour une personne n’ayant pas participé à la journée. Nous espérons ne pas avoir trahi le sens des analyses des intervenants, qui voudront bien être indulgents avec la liberté que nous avons parfois prise. Ouverture Par Philippe ROSAY, Président d’AGEFOS PME, Jean-Philippe LEROY, Vice-président d’AGEFOS PME et par Jean-Baptiste OBENICHE, Directeur général de l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) Jean-Philippe Leroy, Vice-président d’AGEFOS PME Les risques psychosociaux (RPS) sont des risques professionnels qui mettent en jeu la santé physique et psychologique du salarié. Ils sont à l’interface de la dimension psychique individuelle et de la dimension organisationnelle du travail. L’objet de ce séminaire est l’étude de ces risques ainsi que le positionnement RH sur ces risques. Les RPS appellent des connaissances et des compétences nouvelles et induisent l’émergence d’un outillage conceptuel innovant. En vous proposant un regard croisé sur ces problématiques, nous avons souhaité contribuer à enrichir la réflexion de manière positive et sereine.

Compte rendu Symposium sur les risques psycho-sociaux

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Synthèse du séminaire sur le « stress au travail »

du 16 avril 2010

« Les DRH en question ?

La formation et la prévention des risques psychosociaux »

Par Laurence Carlinet AGEFOS PME et Pierre Vinot Mayor Formation

Cette synthèse de la journée du 16 avril au Conseil Économique Social et Environnemental sur « La formation et la prévention des risques psychosociaux » ou « stress au travail », n’a pas la volonté de retranscrire fidèlement les verbatim des intervenants mais d’être au plus près de leurs pensées. Ceci, et le fait que la structure du verbal et celle de l’écrit ne sont pas identiques, nous a amenés à reformuler les interventions pour en extraire les idées et concepts clés dans le respect du plan de chaque intervention. L’objectif est de vous proposer un document de réflexion clair permettant une appropriation facile, y compris pour une personne n’ayant pas participé à la journée. Nous espérons ne pas avoir trahi le sens des analyses des intervenants, qui voudront bien être indulgents avec la liberté que nous avons parfois prise.

Ouverture

Par Philippe ROSAY, Président d’AGEFOS PME, Jean-Philippe LEROY, Vice-président d’AGEFOS PME et par Jean-Baptiste OBENICHE, Directeur général de l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail)

Jean-Philippe Leroy, Vice-président d’AGEFOS PME

Les risques psychosociaux (RPS) sont des risques professionnels qui mettent en jeu la santé physique et psychologique du salarié. Ils sont à l’interface de la dimension psychique individuelle et de la dimension organisationnelle du travail. L’objet de ce séminaire est l’étude de ces risques ainsi que le positionnement RH sur ces risques. Les RPS appellent des connaissances et des compétences nouvelles et induisent l’émergence d’un outillage conceptuel innovant.

En vous proposant un regard croisé sur ces problématiques, nous avons souhaité contribuer à enrichir la réflexion de manière positive et sereine.

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Philippe Rosay, Président d’AGEFOS PME

Selon le code du travail (L412-11), l’employeur est garant de la santé physique et mentale de ses salariés. Or, il apparaît que ce devoir est difficile à tenir. Au-delà d’une problématique de santé, il s’agit également d’une question de management qui doit être traitée au plus haut niveau :

Comment faire évoluer la relation d’un manager avec ses collaborateurs au quotidien ?

Comment exercer un autre management ?

Comment réguler les pressions extérieures, parfois très fortes, pour les rendre supportables en interne ?

Les entreprises, qui ne prendront pas en compte cette dimension managériale dans les RPS, ne peuvent prétendre résoudre durablement ce risque qui réduit considérablement leur rentabilité et leur développement économique.

Les RPS sont parfois vécus comme une nouvelle contrainte voire un handicap supplémentaire pour la compétitivité. Pourtant, la prévention et le traitement des RPS peuvent aussi être appréhendés comme une opportunité de progrès économique et social. Et, pour les entreprises qui maîtriseront durablement ces RPS, cette opportunité leur offrira un réel avantage concurrentiel.

Jean-Baptiste Obeniche, Directeur général de l’ANACT

Ce séminaire est une journée de réflexion avec des apports croisés car notre thème d’aujourd’hui met en interaction l’ensemble des acteurs de l’entreprise, d’où la difficulté de définir le périmètre de chacun. Il faut prendre en compte l’évolution du regard du salarié sur son travail, regard individuel mais aussi regard collectif.

Lorsque l’ANACT intervient sur les questions de stress et de risques psychosociaux, d'autres questions concernant l’organisation, les relations sociales, la conduite du changement... surviennent la plupart du temps. Il est alors important de définir la légitimité du questionnement de chacun.

Parler de ces phénomènes interpelle souvent le registre de la subjectivité. Le danger consiste alors à ne diagnostiquer la cause du problème que selon une perspective exclusivement managériale ou individuelle.

La formation constitue un levier essentiel qui doit cependant être mobilisé suivant certaines conditions. En effet, pour que la formation contribue à la prévention des risques psychosociaux, il est essentiel de sortir du registre strictement individuel pour adopter une approche de groupe. En d’autres termes, il s'agit de passer d’une gestion du stress par la formation individuelle à un accompagnement structurel collectif.

 1 Article L4121-1 : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »  

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« La problématique des Risques Psychosociaux (RPS) »

1ère conférence animée par Isabelle Burens, chargée de mission ANACT

Notre approche sur les risques psychosociaux

L’approche de l’ANACT est centrée sur l’organisation et les processus au travail avec une posture paritaire.

Les risques psychosociaux sont au cœur de l’actualité et font l’objet d’une forte mobilisation. Cela implique que les acteurs tant institutionnels que politiques ou entrepreneuriaux aient dépassé le déni sur ces problématiques.

Les enjeux des entreprises sont principalement d’ordre :

Economique : le plus souvent, les entreprises réagissent tardivement lorsque que le contexte est déjà très dégradé et que la production en est altérée,

Juridique : l’employeur a une obligation de moyens (via la prise en compte des risques psychosociaux dans le document unique) et de résultats (comme par exemple ne pas enclencher une réorganisation quand elle risque de provoquer des risques psychosociaux).

Pour autant, cette mobilisation sur la problématique des risques psychosociaux reste essentiellement conceptuelle et de l’ordre du « verbal ». Il est difficile de la part des entreprises et des différents acteurs concernés de s’engager et de passer à l’action. Pour le moment, lorsque des actes sont mis en œuvre, ils se situent plus dans le curatif que dans le préventif - peut-être parce que les acteurs n’ont pas les moyens (outils et méthodes) de travailler sur les causes ?

De quoi parle-t-on quand on parle des risques psychosociaux ?

Les risques psychosociaux englobent plusieurs notions :

Stress Violences verbales et physiques Harcèlement physique et moral Facteurs de risques (pressions, urgence, injonctions contradictoires, perte de sens,

charge mentale et de travail) Effets physiques et mentaux (souffrance, dépression, maladie cardio-vasculaire,

suicide)

Ce terme générique de risques psychosociaux ne doit pas nous faire oublier que les RPS ont des effets pluriels souvent différés. Nous ne sommes pas dans le schéma : un effet = une cause. De multiples causes engendrent la possibilité d’apparition de multiples effets différents et plus ou moins différés dans le temps selon les individus. Les RPS nous renvoient également à la dichotomie individu et collectif.

Dans l’Accord National Interprofessionnel sur le stress au travail (2008), les partenaires sociaux ont choisi de « se focaliser » sur le stress.

Le stress est le déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose l’environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face.

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Cette approche comportementaliste du stress et des RPS présente l’intérêt de prendre en compte et de reconnaître la dimension perceptive c'est-à-dire le ressenti des salariés. Elle soulève également la question du moyen de recueillir et d’accéder à ces perceptions mais risque d’occulter les causes organisationnelles. Le danger de cette définition est de n’être directement centré que sur l’individu. Il est alors tentant de vouloir changer la représentation que l’individu a de son travail, plutôt que modifier les fondements de la représentation en question.

Les autres approches de la santé psychique au travail

L’approche sociologique va plus loin et introduit une combinatoire de paramètres qui enrichissent l’approche conceptuelle.

Le modèle du sociologue américain Karasec introduit la notion de job strain (tension au travail), lorsque les trois conditions suivantes coexistent :

1. la demande psychologique est forte (beaucoup de contraintes, pression temporelle importante…),

2. la latitude décisionnelle est faible, 3. le soutien relationnel de la hiérarchie ou des collègues est faible.

Alors la situation devient pathogène. Selon cette approche, la dégradation d’un seul facteur ne déclenche pas à lui seul de situation pathogène. Ainsi, la demande psychologique forte peut être vécue positivement, si les deux autres facteurs sont en soutien (forte liberté décisionnelle et fort soutien collectif) (R. Karasek)

Siegrist complète cette approche : le déséquilibre entre les efforts fournis, qu’ils soient demandés ou volontaires, (auto-surinvestissement dans le travail) et les récompenses reçues, crée une situation pathogène.

Il est également important de mentionner :

L’approche psychodynamique du travail : elle porte sur le sens du travail et la reconnaissance. Il faut se sentir utile dans son travail, au risque que ce travail devienne source de souffrance. (Travaux de Christophe Dejours)

L’approche clinique de l’activité : elle concerne le pouvoir d’agir du salarié et sa capacité à développer de la compétence : il est en effet pathogène pour l’individu de réaliser un travail dont la qualité ne lui semble pas à la hauteur. (Travaux d’Yves Clot)

Ce bref rappel théorique prouve que la recherche est très active dans ce domaine.

Facteurs de risques

Le rapport Gollac, à partir d’enquêtes réalisées entre 2002 et 2007, situe six familles de facteurs de risques psychosociaux :

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Enjeux clefs des démarches

1. Dépasser le déni et les idées reçues telles que la fragilité individuelle, les problèmes personnels, le bon stress et le mauvais stress

2. Aller au-delà de la reconnaissance et des traitements de la souffrance pour agir sur les causes de l’organisation et transformer le travail (prévention primaire)

3. Agir sur tous les niveaux de décisions (du stratégique à la régulation concrète et locale du travail)

4. Faire débat sur la santé au travail, le sens, les relations et faire dialoguer des disciplines différentes

L’ANACT défend un modèle centré sur les facteurs de tension et de régulation. L’enjeu consiste alors à trouver le moyen de passer du « rien ne va » à la valorisation des points positifs et de ce qui fonctionne déjà c'est-à-dire les bonnes pratiques. Cette approche s'appuie sur l’analyse de situations concrètes de travail et la mise en réflexion en groupe avec les différents acteurs pour déboucher sur une dimension organisationnelle.

En synthèse, les éléments clés d’une démarche de prévention sont de diverses natures :

L’engagement durable de la Direction : en fonction de la taille de l’entreprise et le niveau où se situe l’engagement est variable,

La signature d’accord social : il faut que tout le monde soit d’accord ou au moins se sente impliqué pour agir,

La formation préalable des acteurs : une étape incontournable d’échanges pour savoir de quoi on parle et pour créer un cadre de référence et d’analyse commun,

La prise en compte de l’importance de l’histoire de l’entreprise et de l’évolution de ses métiers,

La combinaison de méthodes subjectives et objectives (représentations et indicateurs),

L’implication de l’encadrement sans le culpabiliser, Au-delà d’une cartographie de l’existant, l’importance de l’anticipation par rapport aux

grandes évolutions de l’entreprise : structure capitalistique, évolution technologique…

Questions :

A partir de quel moment y a-t-il eu un changement de regard sur les risques psychosociaux ? (animatrice)

Il y a eu un effet électrochoc avec les suicides de France Télécom et une impulsion de l’Etat avec le plan d’urgence de Xavier Darcos. Malheureusement, on reste encore la plupart du temps dans la résolution de problèmes à chaud.

Est-ce qu’il y a eu une période charnière ? (animatrice)

Il y a eu un phénomène d’intensification du travail et d’augmentation de la pression dans les années 1990. Aujourd’hui, on est sur un plateau mais ce sont plutôt des questions de conflits d’éthique, de sens perçus du travail ou de sécurité de l’emploi à court et à long terme qui se posent.

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Y-a-t-il des secteurs plus porteurs de risques psychosociaux ? Quels sont les risques pour une TPE - PME (par rapport à une grosse structure comme France Télécom) ? Y-a-t-il des catégories socioprofessionnelles plus touchées que d’autres ? (N. B., AGEFOS PME Siège national)

De manière générale, toutes les catégories socioprofessionnelles sont touchées par les risques psychosociaux (il n’y a pas que les cadres qui soient stressés). Cependant, on note quelques différences selon les secteurs. Les secteurs de services à la personne, de la banque et de la finance sont particulièrement touchés. En revanche, les secteurs où le salarié voit le résultat de son travail et son utilité, comme ceux de l’artisanat ou de l’industrie, sont moins affectés par les risques psychosociaux. Concernant la taille de l’entreprise, une étude en PACA sur les TPE démontre qu’elles sont plus protégées que les grosses entreprises. En revanche, lorsqu’il y a des tensions, il y existe peu de possibilités de reclassement.

Il est enfin important de souligner que plusieurs facteurs de risques peuvent se cumuler. Une population qui cumule des contraintes physiques et mentales est une population risquant d’être touchée par les risques psychosociaux.

Y-a-t-il une méthode pour sensibiliser sur ce qui marche bien ?

(D. M., Psychologue du travail)

Il peut y avoir une culture de la plainte, c'est-à-dire que nous pouvons rencontrer des personnes qui ne sont pas en état de parler d’autre chose que de leurs souffrances et qui ne sont plus capables de prendre le recul nécessaire pour décrire leur travail et parler des causes de la souffrance plutôt que de la souffrance elle-même. En revanche, si la souffrance n’est pas trop importante, les salariés peuvent décrire concrètement la situation qui les met mal à l’aise. Et, quand on leur demande de trouver un point de satisfaction dans le travail (avec une méthodologie d’entretiens guidés), ils jouent aussi le jeu.

Où positionne-t-on l’impact de la dégradation des conditions de travail sur la performance de l’organisation, comment s’objective le lien « santé/performance » (intérêt du dirigeant) ? (D. L., Responsable RPS, ARACT)

La dégradation des conditions de travail sur la performance de l’organisation est un enjeu central. Il est nécessaire d’adopter une double approche :

1/ construction et préservation de la santé des salariés

2/ construction et maintien de la performance de l’entreprise

Il convient ainsi de chercher à mettre en regard les indicateurs de performance avec les indicateurs de santé.

Il y a également la problématique de l’évaluation de la démarche : sur quels indicateurs va-t-on mesurer l’impact de l’intervention ? En effet, concernant la performance mais encore plus s'agissant de la santé, les effets des actions menées ne sont pas forcément visibles et mesurables à court terme. Le bénéfice, voire l’amélioration de la performance de l’entreprise, associé à la diminution des RPS après la démarche enclenchée, n'est parfois appréhendable qu'à long terme.

 

 

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« Les RPS, réactions et pratiques des entreprises » et point sur la directive ministérielle

2de conférence animée par Hervé Lanouzière, Direction Générale du Travail (DGT)

En préambule, il est important de noter que si France Télécom est la société la plus exposée médiatiquement, il y a des risques psychosociaux dans beaucoup d’autres entreprises et nous suivons depuis dix ans cette évolution. C’est la raison pour laquelle le plan d’urgence a été initié. Il y a eu des remontées provenant de tous les acteurs sociaux et en particulier de nombreux DRH qui avaient le sentiment qu’on était arrivé au bout de ce que l’on pouvait demander aux salariés : « on est arrivé au taquet ». On récupère aujourd’hui la facture d’une « intensification organisationnelle » et ce que nous vivons dans les entreprises aujourd’hui est le fruit de 30 ans d’un certain mode de management et d’organisation du travail. Il nous faut trouver d’autres modèles ! C’est pour cela qu’il faut être modeste et ne pas penser qu’en quelques mois nous pouvons résoudre le problème des RPS.

Alors comment avancer ? A la DGT, nous pensons que l’arsenal juridique est globalement suffisant et que la formation initiale et continue est un levier essentiel pour la santé au travail, notamment les formations pour le management. Il faut néanmoins veiller à ce que la formation soit un volet d’une politique d’ensemble et non une solution miracle, au risque de se retrouver devant des injonctions paradoxales : managers formés à la santé au travail et devant faire face à des contraintes et à des objectifs irréalistes. Il faut noter qu’il n’y aura pas, a priori, de nouvelle législation sur cette problématique.

La santé au travail est montée d’un cran dans les préoccupations de l’entreprise. Aujourd’hui, il n’y a plus de décisions de l’employeur, notamment dans le domaine du management, qui n’impactent la santé au travail. Cela représente un enjeu clef pour les RH : chaque fois qu’une décision doit être prise (modification du système d’évaluation, de rémunération…), l’employeur doit s’interroger sur l’impact en matière de santé au travail. Ainsi, quand une entreprise répond à un appel d’offres et accepte une charge de travail supplémentaire, elle doit intégrer les répercussions de cette décision sur la charge mentale et physique de ses salariés. Elle doit en fait intégrer la dimension de la santé au travail dans le calcul de son devis.

Vers une approche positive ? Le modèle français est plutôt axé sur la souffrance au travail. On sort maintenant de ce modèle avec la notion de « bien-être au travail ». Il faut se prémunir cependant de la confusion entre ce qui relève de la responsabilité de l’employeur et ce sur quoi il a prise. Attention aussi à ce qui, pris isolément, peut apparaître comme « des gadgets ».

S'intéresser aux risques psychosociaux revient à s’intéresser à ce qui, dans l’entreprise, produit des risques… L’employeur ayant l’obligation de se soucier de la santé physique et mentale de ses salariés, doit le faire sur ce qu’il peut évaluer c'est-à-dire son organisation du travail. Il est important d’attirer l’attention des employeurs sur leur réel champ d’intervention : « ne vous trompez pas de cible ! ». Les employeurs doivent travailler sur les facteurs de risque qui impactent la santé des salariés. La participation au bien-être personnel et individuel des salariés avec la mise en place de cours de yoga, de sauna ou même de coaching psychologique relève d'un autre champ, intéressant certes mais qui est second dans les responsabilités de l’employeur, même si la frontière entre les deux champs est poreuse.

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Depuis 2002, avec l’obligation de l’employeur de prendre en compte la santé physique et mentale, rien n’a été mis en place concernant la santé mentale. L’accord professionnel de Juillet 2008 a marqué la sortie du déni et a permis un consensus sur une définition des RPS comme étant multifactoriels. Néanmoins, cet accord ne s’est pas traduit par des accords d’entreprises et encore moins par des évaluations et des actes. Ce constat, ainsi que celui de la « surchauffe » de tous les clignotants sociaux dans de nombreuses entreprises, a mené Xavier Darcos à initier le plan d’urgence RPS qui, rappelons-le, s’inscrit lui-même dans un plan quinquennal.

Bien entendu, il n’a jamais été question de régler tous les problèmes en quatre mois mais plutôt d’initier une dynamique devant se traiter dans la durée. Le plan d’urgence est en premier lieu une obligation d’entamer une négociation et correspond aussi à un deuxième volet qui consiste à outiller les entreprises en les faisant réfléchir à la manière d’aborder ce risque et sa prise en compte.

Le modèle de la DGT se présente comme global et paritaire.

1. Global, car intégrant l’ensemble des facteurs de risque à évaluer, c'est-à-dire quatre facteurs :

‐ La charge de travail physique mais aussi psychique et cognitive : est-ce que les flux dans mon organisation sont en mesure d’impacter la santé de mes salariés ?

‐ Les relations au travail : elles recouvrent aussi bien la reconnaissance et les relations hiérarchiques que les relations entre collègues, les relations non hiérarchiques ainsi que les relations avec les usagers, les clients…

‐ Les tensions de valeurs et de sens, les tensions entre vie privée et vie professionnelle, les insatisfactions entre ce qu’on est obligé de faire et ce qu’on pense qu’on devrait faire.

‐ Les changements et les restructurations, structurels bien sûr, mais aussi les perpétuels « petits changements » : déménagements, changements de chef ou d’équipe, changements d’objectifs ou de système d’évaluation… Tous ces changements sont créateurs d’incertitudes.

Une politique de prévention doit prendre en charges ces quatre facteurs. Une « vraie » politique de prévention ne s’inscrit pas dans le court terme mais dans une temporalité longue. Les entreprises agissent lorsqu’elles rencontrent un état de crise ; ce qui entraîne des solutions à court terme : cellule d’écoute, accompagnement ou formation individualisée… qui évidemment ne constituent pas une politique durable de prévention.

2. Paritaire, car devant faire l’objet de concertation :

« Le bonheur ne se décrète pas » : on ne peut pas légiférer pour construire du bonheur !

Il ne s’impose pas non plus. La santé au travail et plus encore, la santé morale et psychique ne peut s’établir sans l’avis ni l’implication des intéressés.

Avec nos modèles d’organisation, il n’est plus possible aujourd’hui de construire de progrès dans la performance. Quand les DRH nous disent : « on est arrivé au taquet », ils ne nous disent pas « on est arrivé au taquet de la performance » mais « on est arrivé au taquet de la performance dans le système d’organisation et de management qui est le nôtre ». Certains vont encore plus loin en disant que l’on aurait pu peut-être obtenir les mêmes performances avec un peu moins de dégâts humains…

Les plans non concertés sont des échecs.

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Pourtant, il est apparu tout récemment que toutes les solutions ne se traduisaient pas forcément par le biais de négociation classique et la conclusion d’un accord. Il y a de très nombreux autres espaces et processus de concertation qui se sont formés dans les entreprises. Cela ne s’intègre ni dans une démarche de consultation ou de négociation mais dans une démarche de concertation. En effet, beaucoup d’entreprises, pour traiter le problème des RPS, ont vu la nécessité de sortir des instances en place. Dans ces espaces de concertation, la façon dont les risques psychosociaux vont être abordés est débattue. Ces espaces sont constitués de DRH, de managers, de membres du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), de représentants des organisations syndicales, de médecins du travail, etc. Il apparaît généralement un point de consensus sur la nécessité de définir les RPS et de former les acteurs. Certaines entreprises concluent des plans d’actions concertés avec les Institutions Représentatives du Personnel (IRP) et les Organisations Syndicales (OS) qui s’impliquent fortement dans la réflexion et le processus. Pour la DGT, le cas d’une entreprise qui préférerait la proposition « plan d’actions concerté » à une négociation finalisée par un accord, est tout aussi recevable.

Questions :

Y a-t-il des chiffres disponibles sur l’éducation nationale, l’armée, les agriculteurs ? (P.B., Mayor Formation)

Si nous avons des signaux d’alerte, il n’y a pas ou peu d’indicateurs et de manière générale, peu de visibilité sur les suicides. C’est un domaine où l’affectif et l’émotion dominent et où il est d’autant plus nécessaire de construire des indicateurs solides. Les RPS traversent tous les secteurs, public ou privé, et nous avons tous à prendre en compte ce problème y compris au sein de notre propre Ministère.

Quels moyens sont accordés aux médecins du travail par le gouvernement et quels risques pour l’employeur d’intégrer les RPS dans le document unique ? (M-P. P., RH, association de chercheurs)

Le médecin du travail est un acteur essentiel mais la santé au travail doit être un sujet pluridisciplinaire qu’il faut développer davantage. (Réforme en cours)

Concernant le risque d’inclure les RPS dans le document unique, la justice n’attend pas ce document pour se retourner contre les entreprises qui ne prennent pas en compte les recommandations du document unique. En outre, renseigner ce document équivaut à un acte d’engagement face au plan d’action et ne pas le renseigner ne protège en rien l’entreprise, bien au contraire !

Un participant ne comprend pas pourquoi sa société est passé de liste rouge à liste verte sans qu’il y ait eu à sa connaissance d’accord ni de plan d’action concerté. Question de la motivation médiatique des dirigeants en liste rouge ? La concertation n’est-elle pas une limite au pouvoir des élus ? Et peut être que les élus ont une possibilité d’expression plus libre qu’un salarié « ordinaire » ?

L’engagement de l’entreprise est primordial. L’établissement des listes et de leur code couleur (rouge, orange, vert) ont prêté à confusion : certains pouvaient penser que les entreprises en vert était des entreprises où il faisait « bon vivre » et les autres non, d’où le retrait des listes orange et rouge. Les couleurs indiquent un état d’avancement de la négociation d’un accord ou d’un plan concerté : les entreprises vertes sont celles qui ont signé un accord ou un plan d’action ; la liste orange indique que c’est en cours et la liste rouge indique que rien n’a encore démarré.

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Que les organisations syndicales protestent sur le fait que leur entreprise figure sur la liste verte s'avère constructif : elles s’emparent du sujet permettant ainsi d’ouvrir le débat. Le CHSCT ne perd pas de poids avec l’apparition des nouveaux espaces de concertation car il est toujours dans le processus. Il a au contraire, une parole différente et une posture moins « instituée » ; ce qui peut enrichir le dialogue.

Table ronde « Aujourd’hui, comment les entreprises réagissent-elles ? »

Avec les réactions de Laurent Mahieu pour la CFDT, Jean-François Naton pour la CGT et Bernard Salengro pour la CGC. Avec le témoignage de Jean-Jacques Bled, Médecin du travail, coordonnateur santé du groupe Thales et celui d’Yves Garcier, Directeur délégué qualité de vie au travail DPI, EDF SA

Jean-Jacques Bled, Médecin du travail, coordonnateur santé du groupe Thales :

La démarche de Thales, sur ces questions de salariés en détresse et des RPS, est une démarche globale et traitée avec tous les partenaires de l’entreprise. Cela a nécessité un engagement de l’entreprise en amont. Je partage la position de M. Lanouzière, sur le fait qu’il n’y a pas besoin de nouveau texte de loi pour légiférer sur ces problématiques. C’est la négociation et la concertation qui, en permettant de s’approprier une réglementation dense, rendent plus facile pour les salariés qui se sentent en difficultés de venir nous voir, en s’appuyant dans leur démarche, sur l’accord Thales et sur la qualité de vie au travail. Il y a pour le salarié création d’une légitimité de sa plainte, une autorisation qui facilite et rend plus confortable sa démarche et ce pour deux raisons essentielles. En premier lieu parce que cet accord est un levier plus efficace que l’Accord National Interprofessionnel (ANI) puisque venant de l’entreprise, ensuite, parce qu’au-delà d’un simple accord, il y a eu une adhésion collective au sein de l’entreprise. Le sujet est maintenant « verbalisé ».

Il est prévu un volet formation dans cet accord - peut-être ce volet est-il trop restrictif car trop centré sur une formation au « repérage » du risque et pas assez au management et aux pratiques managériales des ingénieurs et des techniciens. Il nous faut aussi nous interroger sur l’organisation du travail. Nous avons un important travail d’organisation, qui dépasse, sans le nier, le travail de formation.

Rôle du médecin du travail :

Lors des visites médicales, le médecin essaie de repérer le stress mais il n’est pas forcément bien outillé pour cela. Il existe des questionnaires qui lui permettent d’accéder à une échelle de stress perçu mais il s’interroge sur cet outillage. Lorsqu’un stress fort est décelé, le médecin du travail peut suivre et accompagner le salarié. Cependant, il ne peut pas assurer, seul, cette prise en charge d’où l’importance d’une équipe pluridisciplinaire.

Yves Garcier, Directeur délégué qualité de vie et santé au travail DPI, EDF SA

Si le poste de « directeur délégué à la qualité de vie au travail » est récent (1 an et demi), la réflexion sur la qualité de vie au travail était déjà amorcée avant « un peu sans le savoir ».

EDF a engagé sa démarche à partir du document unique pour d’abord lister les risques et établir un diagnostic mais surtout pour dégager des plans d’actions. Il est vrai que par rapport à 2002, date d’obligation du document unique, nous sommes en retard sur l’intégration des risques psychosociaux dans ce document. En revanche, EDF est en cours de négociation (pas d’accord signé à ce jour) et a entamé un travail de formation important sur ces problématiques : formation des acteurs que sont le CHSCT, les médecins et les équipes de direction ainsi que des autres acteurs du groupe de concertation. Pour nous, il est important que tous les acteurs aient un niveau minimum de connaissance pour

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que la négociation et la concertation s’inscrivent dans une dynamique positive. Dans ce domaine particulier des RPS, c'était un préalable indispensable.

Yves Garcier a en responsabilité 43 unités soit 33 500 personnes, il constate que les deux unités les plus performantes sont celles qui ont mis en place des démarches qualité de vie au travail : « être mieux pour mieux travailler ».

La Direction générale est convaincue, mais pas forcément engagée ni consciente de tout ce qui est impliqué par ce lien entre performance et qualité de vie au travail.

Sur le terrain, le directeur d’une unité, qui veut s’engager sur les RPS, peut demander un appui sur la méthodologie avec une formation préalable puis, il doit constituer un groupe pluridisciplinaire. Ensuite, les causes sont analysées c'est-à-dire le pourquoi du mal-être (ou du bien-être !) et des actions sont proposées pour y remédier.

Il nous faut constater que les médecins ne sont pas suffisamment formés sur ces questions et une démarche de formation des médecins EDF SA a donc été mise en place. Cette formation n’est pas centrée sur les pathologies liées à la santé au travail mais plus sur des thèmes comme « comment interagir avec le management ». Aujourd’hui, il est important de souligner qu’EDF SA est arrivée à deux constats : il faut travailler sur son organisation et les RPS relèvent davantage du domaine structurel qu’individuel.

Jean-Jacques Bled

Le rôle traditionnel du médecin se cantonne souvent dans un rôle de prévention tertiaire (traiter les gens en souffrance). Il doit évoluer vers un rôle de prévention primaire (agir sur les causes de la souffrance) voire secondaire (comment la personne peut s’adapter pour diminuer la souffrance). Il faut que les spécialistes de la santé sortent de leur cabinet pour jouer un rôle d’acteur dans l’organisation. En tant que médecin du travail, le slogan « être mieux pour mieux travailler » ne me convient pas tout à fait et je préférerais « être mieux pour mieux vivre au travail ». Je vais même plus loin en disant que la vie au travail correspond certes au « vécu » du travail mais est aussi le « vécu » de la conciliation possible ou impossible de toutes les contraintes personnelles ou collectives qui constituent la vie tout court, au-delà de la vie au travail.

Jean-François Naton pour la CGT

Il est évident que nous sommes en situation de crise au travail mais il faut souligner que la crise au travail est d’abord une crise du travail et de la conception même de ce qu’est et doit être le travail. Il faut sortir de son déterminisme étymologique et concevoir qu’il puisse être un élément du bien-être voire comme cela a été évoqué du bonheur (est-ce aussi une utopie ?). Le débat du mal-être est un enjeu de société et un débat public. Le travail doit être élément de bien-être et, pour ce faire, il faut s’écouter, parler et accepter la controverse. C’est la fin d’une utopie d’un mode d’organisation du travail qui a poussé à bout les salariés. Nous sommes dans une période exaltante car la crise, en tout cas cette période ressentie comme telle, nous amène à changer et à nous interroger. Le diagnostic n’est pas seulement comportemental ; il doit être structurel et sociétal. La culture exacerbée du chiffre, de l’évaluation individuelle et du juste à temps nous interpelle : qu’est-ce que ces logiques, poussées à bout, portent comme « mal-être » potentiel pour les individus ?

Il existe des formes d’organisation du travail qui sont pathogènes (comme la culture du résultat, que je viens de citer, entendue dans sa seule dimension quantitative). Comme l’efficacité dépend du bien-être, il est de l’intérêt de tous de travailler sur cette problématique, notamment en redonnant du sens dans la conduite des hommes. C’est là où nous avons à opérer un renversement formidable. Quand un grand dirigeant (PDG de Schneider-Electric) pose la question de savoir en quoi la logique financière dominante pousse à une création induite de mal être au travail, nous pouvons oser poser le problème de l’alternative à un capitalisme séparateur qui pousse à distancier les Hommes.

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Ce débat sur le travail ou plutôt sur le « mal travail » est devenu un débat de société loin de tout corporatisme. Il pose le problème d’un rêve perdu : celui de pouvoir « gérer les Hommes comme on gère les choses », il nous oblige à vouloir retrouver du sens et du bon sens dans la conduite des Hommes.

Laurent Mahieu pour la CFDT

Comment passe-t-on d’un accord global, emblématique d’une volonté de changement, à une modification des situations de travail ? Il faut se mettre à l’échelle des unités avec les acteurs concernés pour créer du changement et pour reprendre le rapport Légeron-Nasse : « c’est dans les réalités concrètes de l’entreprise, de l’établissement, voire de collectifs de travail étroits, que l’action préventive, limitative des risques ou réparatrice se développera, sur la base d’une analyse des causes, elles aussi spécifiques à l’entreprise, à l’établissement ou au collectif concerné. »

Concernant la formation, il n’est pas possible de se satisfaire d’une formation en rupture avec la vraie situation de travail, et en particulier une formation première dans les écoles d’ingénieurs ou de management, qui ne sera qu’un leurre si elle n’est pas relayée dans les entreprises par :

‐ des actions complémentaires de formation continue mettant l’accent sur l’impact psychologique et les effets sur la santé non seulement des organisations du travail mais aussi des méthodes de management des hommes

‐ des actions pour réduire le stress au travail qui doivent être prioritairement orientées vers des changements organisationnels

Dans ces processus de changement, il est nécessaire de veiller à bien définir le cadre où se fait le dialogue social et comment il se déroule.

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Intervention de Luc Ferry, membre du Conseil Économique, Social et Environnemental, philosophe et ancien Ministre

Je vous propose de nous pencher sur une vision historique des Représentations morales cachées derrière la notion de travail et de nous poser la question de savoir pourquoi dans le monde contemporain nous sommes devenus stressés au travail.

Cinq grands moments de l’histoire, cinq temps forts éclairent ce phénomène :

1. Le monde aristocrate ancien : depuis l’Antiquité grecque, l’aristocrate est celui qui ne travaille pas. Il médite ; il fait la guerre ; il contemple mais il ne travaille pas. Pour cela, il a des esclaves, des serfs… Le travail est une activité « servile ». La vision morale du monde ou l’éthique aristocrate, qui va se poursuivre jusqu'à la révolution française, repose sur :

a. La hiérarchie naturelle des êtres : il y a des êtres bons par nature, des êtres moyens par nature et des êtres mauvais toujours par nature. Ainsi, il y a un ordre juste et la cité est bonne quand elle imite l’ordre juste.

b. La vertu : c’est «l'excellence dans son genre », le juste milieu. A cette époque, la vertu n’est pas une lutte contre la nature et ses instincts mais c’est une actualisation de cette nature. L’aristocrate est bon par nature parce qu’il est bien né et donc bien doté par cette nature. Un homme vertueux, c’est un homme qui est parfait dès le départ et c’est donc un homme qui ne travaille pas.

c. L’absence de travail : le travail, c’est lutter contre la nature et c’est la transformer. L’aristocrate, parfait de naissance, n’a pas besoin de travail. Au mieux, il s’exerce, c’est-à-dire qu’il actualise ses dispositions naturelles. Il n’a pas besoin de lutter contre une nature rétive comme la paresse ou l’égoïsme ; il lui suffit d’actualiser sa nature.

2. La rupture du Christianisme : la dignité morale d’un être ne dépend pas de ce qu’il a reçu au départ mais de ce qu’il en fait (Cf. la parabole des talents). Tous les êtres se valent au départ même s’ils sont différents et ce qui compte c’est ce qu’ils deviennent. C’est l’entrée dans un monde de l’égalité où elle devient justement possible puisque indépendante des inégalités de base (rupture avec l’aristocratie). La vertu n’est plus dans le prolongement de la nature mais dans la lutte contre la nature en nous (caractérisée par la paresse et l’égoïsme). L’homme vertueux est l’homme qui a su lutter contre sa nature. Et c’est par cette lutte, que l’homme devient altruiste et travailleur. On ne naît pas « citoyen », on le devient. Ce sont les moines qui commencent à travailler en premier pour ne pas rester dans la « paresse », et sortant ainsi de l’aristocratie. La dignité d’un homme se mesure à son travail. L’homme qui ne travaille pas ne devient pas un « homme pauvre » mais un « pauvre homme » qui ne se discipline pas et qui ne se cultive pas (rupture avec l’aristocratie).

3. L’âge républicain : le message moral est conservé mais pas le message théologique. La république n’est qu’une sécularisation du christianisme. L’élève travailleur est préféré à l’élève doué de nature. La célèbre formule canonique « peut mieux faire »

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des bulletins de notes, illustre le passage de l’éthique aristocrate à l’école de la république. La morale républicaine devient méritocratique plutôt qu’aristocratique. Selon cet idéal méritocratique, l’enfant s’appellera un « élève », c'est-à-dire l’enfant que le hussard de la république doit « élever » (au sens d’une élévation, d’un passage d’un niveau « n » à un niveau « n+1 »). Le but de l’école est alors étymologiquement l’aliénation (devenir autre) et la mobilité sociale (élévation par le travail). Les enfants sont élevés vers des normes collectives qui sont le ciment social. Dans le monde républicain, le travail est valorisé à l’extrême car il permet à l’individu d’accéder à des normes transcendantes à lui-même.

4. Post ’68 ou l’éthique de l’authenticité : un nouveau paradigme éthique et scolaire, un nouveau rapport au travail apparaît. Il s'agit de l’éthique de l’authenticité, idéal anti-méritocratique et anti-aristocratique. Tout se vaut sur le plan culturel comme sur le plan sexuel (toutes les pratiques se valent tant que l’on « s’éclate » et que l’on est authentique). À cette époque apparaît la libération des femmes, la déculpabilisation homosexuelle et de la différence : c’est l’égalitarisme et le refus de tout manichéisme. À l’école, la rupture avec l’âge républicain et sa méritocratie est consommée : il ne s’agit plus d’élever l’enfant mais de lui permettre de devenir ce qu’il est. Le rôle de l’école n’est alors plus l’aliénation : ne deviens pas un « bon élève » selon des normes qui ne t’appartiennent pas mais deviens toi-même avec tes différences. Dans la société apparaissent des techniques pour accéder à soi (jogging, diététique, etc.) et c’est la recherche de l’authenticité et de l’épanouissement hédonique. On entre dans une société de loisir et d’hédonisme où le mot d’ordre est « être bien dans son corps et dans sa tête ». Le travail devient l’ennemi ; l’idéal est sa réduction ; le rêve sa disparition (apparition des 35h).

5. Mondialisation : c’est avec la généralisation d’Internet que les marchés financiers

deviennent instantanés (l’ère de la nanoseconde modifie complètement les règles de la compétition économique) et la mondialisation devient effective. On assiste également à la naissance d’un paradoxe : on travaille beaucoup moins qu’avant mais on est beaucoup plus stressé. Pour un économiste, la mondialisation correspond aujourd’hui à l’entrée dans le commerce mondial de l’Inde, de la Chine et des autres nouveaux entrants comme le Brésil et demain l’Afrique. Mais « ce n’est pas le fond du problème ! ». La mondialisation implique deux grands moments dans l’évolution de l’Europe :

a. C’est la révolution scientifique des XVIème et XVIIème siècles : la science moderne va être le premier discours « mondial » avec des principes universels comme le principe d’inertie et celui de la gravitation qui valent pour les riches et les pauvres, pour les aristocrates et les roturiers, les Européens et les Chinois. La science est mondiale, universelle, démocratique alors que les idéologies, les religions, les arts… sont locaux ! Et ce discours est porté par une politique, un projet de civilisation grandiose qui vise à :

- émanciper l’humanité de la tyrannie de la nature - rendre l'humanité plus libre et plus heureuse

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C’est l’ère des « Lumières » où la lumière symbolise la lutte contre l’obscurantisme du Moyen-âge.

b. Ce projet de civilisation chute (au sens platonicien) dans une infrastructure comme dirait Marx, celle de la compétition universelle c’est-à-dire la mondialisation libérale. Compétition entre les entreprises, entre les peuples et entre les universités… nous sommes tous ouverts sur le grand large ! Nous sommes dans une logique de benchmarking généralisé qui change en profondeur notre rapport à l’histoire. Jusqu’au Général de Gaulle et depuis les « Lumières », on pouvait s’imaginer que l’histoire progressait et avançait par rapport au projet grandiose de l’émancipation et du bonheur de l’humanité. Aujourd’hui, l’histoire avance mais poussée par l’obligation mécanique d’innover ou de « crever ». Nous ne sommes plus dans la recherche d’un idéal de bonheur mais dans la survie, selon un impératif absolu d'innovation, mécanique, anonyme et aveugle. Nous sommes obligés d’avancer comme un gyroscope est obligé de tourner et qui, s’il ne tourne pas assez vite, tombe. Le gyroscope ne sait pas pourquoi il tourne. Nous ne sommes pas dans Teilhard de Chardin mais dans Darwin. Or, la logique puissante et irrépressible de l’innovation pour l’innovation est vide de sens et engendre de nouvelles contradictions du capitalisme qui vont peser sur le monde du travail et créer une nouvelle forme d’addiction : la consommation. La consommation et l’addiction ont la même structure : un drogué est une personne qui, passé un certain seuil, ne peut pas s’empêcher d’augmenter les doses et les prises. Cette définition est aussi la définition du consommateur idéal. Pour créer le consommateur idéal et addictif, il faut :

d’abord casser les valeurs traditionnelles : c'était la condition préalable pour l’entrée de nos enfants dans ce qu’on appelle la société de consommation et les « Bobos » (bourgeois/bohèmes) s’en sont chargés,

ensuite, il faut « remplir les cerveaux vides » c'est-à-dire faire de grandes campagnes de publicité, d’influence et de manipulation sociale.

Nous vivons dans une contradiction majeure entre d’une part la valorisation du loisir, du ludique et du plaisir individuel et, d’autre part, l’hégémonie de la compétition et de la mondialisation qui presse le travail comme jamais. C’est là que réside la contradiction structurelle du capitalisme moderne pour laquelle je n’ai aucune solution à vous proposer ! Merci à vous.

Questions

On n'a jamais eu autant d’informations à gérer en même temps et le problème, c’est la charge mentale et affective du travail qui est de plus en plus importante (B.S, CFE-CGC)

La quantité importante d’informations à disposition ne peut pas être considérée comme une charge de travail. On travaille aujourd’hui moins que nos aînés mais le vécu du travail est différent. Nos enfants travaillent moins que nous et c’est logique : nous ne pouvons pas avoir des enfants « zappeurs-consommateurs » qu’appellent de leurs vœux vitaux les entreprises et des enfants bosseurs et « sérieux-studieux » qu’appelle notre atavisme parental.

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Il faudrait transformer la société et pas seulement les organisations du travail. On travaille moins qu’avant mais le travail, ou le contexte du travail, est plus stressant. Il y des facteurs de stress comme la mobilité ou l’insécurité à court et à long terme qui ne sont pas incompatibles avec le fait que l’on travaille moins qu’avant.

Le modèle de l’éducation du travail est de type répétition au lieu de réflexion et épanouissement personnel, quels seraient les modèles d’éducation alternatifs ? (Journaliste, quotidien de l’information)

Pour nous, parents, ce qui importe c’est d’équiper et d’armer nos enfants pour qu’ils soient capables de résister à l’addiction consumériste. Dans les cours d’éducation civique, on veut apprendre l’esprit critique, or c’est là plus le problème que la solution car les enfants ont l’esprit critique. Tout le monde en définitive a l’esprit critique et nous vivons dans une société où l’esprit critique domine.

La solution pour prendre de la distance par rapport au consumérisme n'est pas l’interdiction mais il s'agit de donner à nos enfants les moyens par la culture et par les grandes œuvres de la littérature classique ou des arts de mettre à distance l’univers addictif de la consommation. Et c’est ainsi que l’on garde la distance critique. Et pour cela, il faut travailler…

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Conclusion

Par Joël Ruiz, Directeur général d’AGEFOS PME

Cette journée de séminaire, sur ce thème difficile de la souffrance, du stress et des RPS, a eu pour ambition d’éveiller la curiosité et de dédramatiser ce sujet. Nous avons essayé de vous permettre d’accéder à quelques connaissances et comme le dit Pierre Morin : « pour avancer dans l’océan des incertitudes, il faut naviguer d’archipels de connaissances en archipel de connaissances ».

Ainsi, au cours de la journée quatre types de paroles de connaissance ont pu être entendus :

La parole de l’émotion avec le théâtre à la carte qui nous a plongés dans le réel et le vécu,

La parole de l’éloquence avec l’intervention de Luc Ferry qui, avec la magie des mots, nous a permis de prendre du champ pour comprendre les processus profonds qui transforment notre monde,

La parole d’intention et de volonté avec l’intervention d’Hervé Lanouzière qui nous a immergés au cœur de la pensée politique,

Les paroles de témoignage avec Isabelle Burens, les tables rondes et les ateliers pour un regard méthodologique et un partage d’expériences et de pratiques.

Cette diversité de parole nous a permis de maintenir une capacité d’écoute tout au long de cette journée. Synthétiser ce séminaire m’est difficile tant sa richesse et sa diversité sont grandes. C’est pourquoi, je choisis de vous faire part des quelques mots ou concepts qui ont raisonné en moi au cours du travail de pensée et d’analyse que nous avons effectué ensemble : vitesse, temps, 10 ans de mutation sociale, passage d’une culture de la plainte à une culture de l’engagement, plaisir et travail, ingénierie sociale, contradiction de l’affirmation de l’ego et de la compétition sauvage… et enfin, éviter l’alibi de la formation managériale. Je souhaiterais à partir de là, évoquer rapidement la place de la formation professionnelle positionnée lors de ce séminaire comme un axe de la réflexion sur les RPS.

La formation dépend des objectifs qu’on lui assigne ; elle peut être bien entendu source d’avancées dans un domaine aussi sensible que les RPS. Au-delà du geste professionnel, il faut accompagner les compétences. Les RPS et cette journée en ont été l’illustration : il s'agit de mobiliser de nouvelles compétences transversales. Aussi, je crois qu’en référence à notre thème, il est possible de citer cinq situations où la formation professionnelle a aujourd’hui un potentiel de valeur ajoutée très important :

1. Le changement et la conduite du changement 2. Les temps sociaux et les temps de travail 3. L’individualisation et le besoin de sécuriser sa vie professionnelle 4. Le management et la gestion de la reconnaissance 5. L’outillage et le partage de « bonnes pratiques »

Notre rôle sera bien sûr d’accompagner les entreprises dans le domaine des RPS. AGEFOS PME est ici dans son cœur de métier, dans son rôle d’écoute, de conseil et d'ingénierie des entreprises et des partenaires sociaux.

Merci aux partenaires sociaux, à l’Anact et à Mayor Formation pour leur précieuse contribution et un grand merci vous tous pour votre participation.