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immunologie | pratique 23 OptionBio | Lundi 10 novembre 2008 | n° 408 L e nucléole comporte un centre fibrillaire où s’effectue la transcription de l’ADN riboso- mal, composé de trois antigènes (Ag) prin- cipaux : ARN polymérase 1, topo-isomérase 1 et NOR 90 ; un composant fibrillaire où a lieu la maturation des précurseurs de l’ARN ribosomal avec 2 Ag principaux (la fibrillarine et une ribonu- cléoprotéine correspondant aux Ag To/Th ou Twa) et un composant glandulaire où s’effectue l’as- semblage des protéines ribosomales (principaux Ag : protéines B23, C23 et PM Scl). Parmi les sérums testés en routine pour recherche d’Ac anti-nucléaires (AAN), 2 à 5 % donnent des images de fluorescence nucléolaire : nucléolaire pure ou associée à d’autres aspects de fluores- cence du noyau ou du cytoplasme. Images de fluorescence nucléolaire pure L’aspect de fluorescence homogène peut cor- respondre à des Ac dirigés contre les protéines B23, C23 ou les endoribonucléases To/Th/Twa (identification non effectuée en routine). Leur signification clinique n’est pas univoque : ils sont retrouvés dans les sclérodermies systémiques ou autres maladies auto-immunes (MAI) (lupus érythémateux systémique ou LES, syndrome de Sjögren), cancers, en particulier pulmonaires et gynécologiques ; ces images peuvent aussi être induites par des médicaments (notamment des bêtabloquants). Les titres faibles (< 1/320 e ) obser- vés avec une recrudescence printanière pourraient correspondre à des infections transitoires. (petits grains dis- crets au centre du nucléole) correspond à la présence d’Ac anti-ARN polymérase I dans le sérum (enzyme qui transcrit les gènes d’ARN ribosomaux). Ils sont retrouvés dans 4 % des sclérodermies systémiques. Le pronostic de ces sclérodermies (par rapport aux sclérodermies avec Ac anti-Scl 70) est plus sévère : les lésions cutanées sont plus importantes, les complications cardiaques et rénales plus fréquentes. En revan- che, ces patients ont moins souvent de fibrose pulmonaire. “clumpy” (gros grains fluorescents à l’intérieur du nucléole et fin liséré fluorescent de part et d’autre de la région chromosomique des cellules en mitose) correspond à des Ac dirigés contre la fibrillarine, protéine de 34 kDa associée à l’U3-RNP jouant un rôle dans la maturation des précurseurs des ARNr. Ils sont retrouvés dans 5 % des sclérodermies diffuses et 13 % des CREST syndromes (calcinose, phénomène de Raynaud, atteinte œsophagienne, sclérodactylie et télan- giectasies) avec souvent une hypertension pul- monaire et une atteinte cardiaque. (2 à 5 gros spots fluorescents dans le nucléole et la région chromosomique) cor- respond à des Ac anti-protéine NOR 90 (protéine qui augmente l’activité transcriptionnelle), retrou- vés dans 2 % des sclérodermies diffuses systé- miques, 5 % des syndromes de Raynaud isolés et d’autres maladies auto-immunes (lupus érythé- mateux systémique, polyarthrite rhumatoïde). Images de fluorescence nucléolaire associées à d’autres aspects de fluorescence (cible : ADN topo-isomérase 1, enzyme qui décom- pacte l’ADN et empêche son enchevêtrement lors de la réplication), l’aspect en fluorescence est une image homogène floue dans tout le noyau avec une fluorescence du nucléole (petits grains fins et denses) et de la région chromosomique des cellules en mitose. L’identification de la cible se fait par immunodiffusion, dot, Elisa ou Luminex ® . Ces Ac sont retrouvés dans 17 à 48 % des sclé- rodermies diffuses et constituent un facteur de mauvais pronostic (survenue plus fréquente d’une fibrose pulmonaire ou d’un cancer). , la fluorescence nucléolaire est homogène tandis que le reste du noyau est moucheté. Les anti-PM Scl reconnaissent un complexe multipro- téique d’exonucléases dégradant l’ARN dans le noyau. L’identification de la cible se fait par immu- nodiffusion, dot ou Elisa. Ces Ac sont un marqueur du syndrome de chevauchement polymyosite- sclérodermie, au cours duquel ils sont retrouvés dans 25 % des cas. Ils sont aussi présents dans 5 % des sclérodermies systémiques et 8 % des polymyosites. Ces Ac constituent également un facteur de risque de survenue de fibrose pulmo- naire, mais aussi d’arthrite et de calcinose. Autres images nucléolaires Si le sérum contient des Ac anti-ADN double brin, est observé un marquage périphérique du nucléole ; s’il contient des Ac anti-ribosomes, la fluorescence est cytoplasmique et nucléolaire. En présence d’Ac anti-Ro/SS-A et La/SS-B, l’image nucléolaire homogène est faible, cernée d’une zone sombre. Conduite à tenir devant une image nucléolaire Si la fluorescence nucléolaire est isolée, la cible des Ac n’est pas identifiée en routine. Dans une étude menée sur 145 sérums, la pathologie asso- ciée était une sclérodermie dans 2,7 % des cas (sensibilité faible). Si la clinique n’est pas évo- catrice de sclérodermie, il convient d’évoquer d’autres maladies auto-immunes, un cancer ou une prise médicamenteuse (bêtabloquants en particulier). Si les images nucléolaires sont associées à un autre aspect de fluorescence, il faut surtout ne pas méconnaître la présence d’Ac anti-Scl 70 et anti-PM Scl, du fait de leur intérêt diagnostique. Enfin, certains aspects peuvent être le témoin indirect de la présence d’Ac anti-ADN, d’Ac anti- ribosomes ou d’Ac anti-LA/SSB. | CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93) [email protected] Conduite à tenir devant une fluorescence nucléolaire Parmi les sérums testés en routine pour recherche d’anticorps antinucléaires (AAN), 2 à 5 % donnent des images de fluorescence nucléolaire. Lorsque la fluorescence nucléolaire est isolée, il peut s’agir d’une sclérodermie, d’une autre maladie auto-immune ou encore de certains cancers. Si les images nucléolaires sont associées à un autre aspect de fluorescence, la présence d’autres anticorps comme les anti-Scl 70 ou les anti-PM Scl orientera le diagnostic. Source Communication de J. Goetz, 5 e colloque GEAI, Paris, juin 2008.

Conduite à tenir devant une fluorescence nucléolaire

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immunologie | pratique

23OptionBio | Lundi 10 novembre 2008 | n° 408

Le nucléole comporte un centre fibrillaire où s’effectue la transcription de l’ADN riboso-mal, composé de trois antigènes (Ag) prin-

cipaux : ARN polymérase 1, topo-isomérase 1 et NOR 90 ; un composant fibrillaire où a lieu la maturation des précurseurs de l’ARN ribosomal avec 2 Ag principaux (la fibrillarine et une ribonu-cléoprotéine correspondant aux Ag To/Th ou Twa) et un composant glandulaire où s’effectue l’as-semblage des protéines ribosomales (principaux Ag : protéines B23, C23 et PM Scl).Parmi les sérums testés en routine pour recherche d’Ac anti-nucléaires (AAN), 2 à 5 % donnent des images de fluorescence nucléolaire : nucléolaire pure ou associée à d’autres aspects de fluores-cence du noyau ou du cytoplasme.

Images de fluorescence nucléolaire pure

L’aspect de fluorescence homogène peut cor-respondre à des Ac dirigés contre les protéines B23, C23 ou les endoribonucléases To/Th/Twa (identification non effectuée en routine). Leur signification clinique n’est pas univoque : ils sont retrouvés dans les sclérodermies systémiques ou autres maladies auto-immunes (MAI) (lupus érythémateux systémique ou LES, syndrome de Sjögren), cancers, en particulier pulmonaires et gynécologiques ; ces images peuvent aussi être induites par des médicaments (notamment des bêtabloquants). Les titres faibles (< 1/320e) obser-vés avec une recrudescence printanière pourraient correspondre à des infections transitoires.

(petits grains dis-crets au centre du nucléole) correspond à la présence d’Ac anti-ARN polymérase I dans le sérum (enzyme qui transcrit les gènes d’ARN ribosomaux). Ils sont retrouvés dans 4 % des sclérodermies systémiques. Le pronostic de ces sclérodermies (par rapport aux sclérodermies avec Ac anti-Scl 70) est plus sévère : les lésions cutanées sont plus importantes, les complications cardiaques et rénales plus fréquentes. En revan-

che, ces patients ont moins souvent de fibrose pulmonaire.

“clumpy” (gros grains fluorescents à l’intérieur du nucléole et fin liséré fluorescent de part et d’autre de la région chromosomique des cellules en mitose) correspond à des Ac dirigés contre la fibrillarine, protéine de 34 kDa associée à l’U3-RNP jouant un rôle dans la maturation des précurseurs des ARNr. Ils sont retrouvés dans 5 % des sclérodermies diffuses et 13 % des CREST syndromes (calcinose, phénomène de Raynaud, atteinte œsophagienne, sclérodactylie et télan-giectasies) avec souvent une hypertension pul-monaire et une atteinte cardiaque.

(2 à 5 gros spots fluorescents dans le nucléole et la région chromosomique) cor-respond à des Ac anti-protéine NOR 90 (protéine qui augmente l’activité transcriptionnelle), retrou-vés dans 2 % des sclérodermies diffuses systé-miques, 5 % des syndromes de Raynaud isolés et d’autres maladies auto-immunes (lupus érythé-mateux systémique, polyarthrite rhumatoïde).

Images de fluorescence nucléolaire associées à d’autres aspects de fluorescence

(cible : ADN topo-isomérase 1, enzyme qui décom-pacte l’ADN et empêche son enchevêtrement lors de la réplication), l’aspect en fluorescence est une image homogène floue dans tout le noyau avec une fluorescence du nucléole (petits grains fins et denses) et de la région chromosomique des cellules en mitose. L’identification de la cible se fait par immunodiffusion, dot, Elisa ou Luminex®. Ces Ac sont retrouvés dans 17 à 48 % des sclé-rodermies diffuses et constituent un facteur de mauvais pronostic (survenue plus fréquente d’une fibrose pulmonaire ou d’un cancer).

, la fluorescence nucléolaire est homogène tandis que le reste du noyau est moucheté. Les anti-PM Scl reconnaissent un complexe multipro-

téique d’exonucléases dégradant l’ARN dans le noyau. L’identification de la cible se fait par immu-nodiffusion, dot ou Elisa. Ces Ac sont un marqueur du syndrome de chevauchement polymyosite-sclérodermie, au cours duquel ils sont retrouvés dans 25 % des cas. Ils sont aussi présents dans 5 % des sclérodermies systémiques et 8 % des polymyosites. Ces Ac constituent également un facteur de risque de survenue de fibrose pulmo-naire, mais aussi d’arthrite et de calcinose.

Autres images nucléolairesSi le sérum contient des Ac anti-ADN double brin, est observé un marquage périphérique du nucléole ; s’il contient des Ac anti-ribosomes, la fluorescence est cytoplasmique et nucléolaire. En présence d’Ac anti-Ro/SS-A et La/SS-B, l’image nucléolaire homogène est faible, cernée d’une zone sombre.

Conduite à tenir devant une image nucléolaireSi la fluorescence nucléolaire est isolée, la cible des Ac n’est pas identifiée en routine. Dans une étude menée sur 145 sérums, la pathologie asso-ciée était une sclérodermie dans 2,7 % des cas (sensibilité faible). Si la clinique n’est pas évo-catrice de sclérodermie, il convient d’évoquer d’autres maladies auto-immunes, un cancer ou une prise médicamenteuse (bêtabloquants en particulier).Si les images nucléolaires sont associées à un autre aspect de fluorescence, il faut surtout ne pas méconnaître la présence d’Ac anti-Scl 70 et anti-PM Scl, du fait de leur intérêt diagnostique.Enfin, certains aspects peuvent être le témoin indirect de la présence d’Ac anti-ADN, d’Ac anti-ribosomes ou d’Ac anti-LA/SSB. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

Conduite à tenir devant une fluorescence nucléolaire

Parmi les sérums testés en routine pour recherche d’anticorps antinucléaires (AAN), 2 à 5 % donnent des images de fluorescence nucléolaire. Lorsque la fluorescence nucléolaire est isolée, il peut s’agir d’une sclérodermie, d’une autre maladie auto-immune ou encore de certains cancers. Si les images nucléolaires sont associées à un autre aspect de fluorescence, la présence d’autres anticorps comme les anti-Scl 70 ou les anti-PM Scl orientera le diagnostic.

SourceCommunication de J. Goetz, 5e colloque GEAI, Paris, juin 2008.