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REV. INT. PSYCHOL. APP. VOL. 19, NO. 2 CONSTRUCTION D’UN TEST DE CONNAISSANCE EN PEINTURE Y. BERNARD Znstitut CfEsthatigUa st &s stimcar & PA??, Pmir Dans le cadre d‘une etude sur les dtterminants psycho-sociaux du goat pictural, nous avons retenu, entre autres hypothbes, la vraisemblance d’une relation entre la culture picturale des sujets et certains comportements de choix. La ncCdtC oh nous Ctions d’ttablir une mesure de la culture picturale nous a amen6 A construire un test de reconnaiSSance dc tableaux. Ce test a ttt construit en tenant compte de dew variables : - le degd de difFicult6; - la poasibilitt d‘isoler deux sortes de culture dif€&entes, l’une concernant la Aprb une enquete au couls de laquelle nous avions propos6 A quelques sujcts l’identification d‘une cinquantaine de tableaux, nous avo- silectionn6 12 tableaux de peinture fransaise et &ranghe qui pouvaient &tre rang& A la faveur des rkultats obtenus en quatre classes de difficult6 intgale. I1 s’agit d’oeuvrcs de: Renoir (Nu au soled), Van Gogh (Champ de ble, Rembrandt (Portrait de l’artiSte),-Vlaminck (Village sous la neige), Cbanne (Montagne Ste Victoire), Grtco (St. Christophe),-Matisse (Inttkieur B la foughre noire), Rubens (Le jardin d’amour), Comt (Le fagot attend),-Botticelli (Vierge A l’Eucharistie), Poussin (Paysage), Klee (Sur terre ancicnne). Les oeuvres, p r k n t t e s sou9 forme de reproduction format carte postale, avaient Ctt choisies de pr&rence peu connues, mais trb significatives de la maniere d‘un peintre. I1 ne s’agissaitpas en fait de r e c o d t r e le tableau lui-mtme, mais l’auteur de celui-ci. Le test a ttC prtstnte A 480 sujets au cours d’entretiens individuels, effectub dans le cadre d’une enquete sur les comportements spontank de choix esthttiques. Cew-ci Ctaient apprhendb A travers les achats d e c t u b par la clients d’une importante galerie de reproductions de tableaux situte dans le centre de Paris. L’entrctien comportait la prthntation d’un questionnaire dont les riponses permettaient, d’une part de dC&& le profil socio-culturel des sujets-gge, niveau d’instruction, tducation rewe, participation A la vie culturelle, accb A I’oeuvrc d’art-d’autre part d’analyser les processus de choix et de juganent esthttiquc. La passation du test qui intervenait la fin de l’entretien a 6th parfaitanent accept& et vicue c o m e un jeu. Tr4s peu de refus ont CtC enregistrh. peinture fransaise, l’autre la peinture Ctranghre. L’kchantiUon L’analyse de l’tchantillon met en Mdence lc maintien des bani8res sociales dCjA obaervc dam d’autres domaines d’accts A l’oeuvre d’art. I1 est important de signaler en effet que 58 pour cent de notre Cchantillon poddaient un diplame

CONSTRUCTION D'UN TEST DE CONNAISSANCE EN PEINTURE

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REV. INT. PSYCHOL. APP. VOL. 19, NO. 2

C O N S T R U C T I O N D’UN T E S T DE CONNAISSANCE E N P E I N T U R E

Y. BERNARD Znstitut CfEsthatigUa st &s stimcar & PA??, Pmir

Dans le cadre d‘une etude sur les dtterminants psycho-sociaux du goat pictural, nous avons retenu, entre autres hypothbes, la vraisemblance d’une relation entre la culture picturale des sujets et certains comportements de choix. La ncCdtC oh nous Ctions d’ttablir une mesure de la culture picturale nous a amen6 A construire un test de reconnaiSSance dc tableaux.

Ce test a ttt construit en tenant compte de dew variables : - le degd de difFicult6; - la poasibilitt d‘isoler deux sortes de culture dif€&entes, l’une concernant la

Aprb une enquete au couls de laquelle nous avions propos6 A quelques sujcts l’identification d‘une cinquantaine de tableaux, nous avo- silectionn6 12 tableaux de peinture fransaise et &ranghe qui pouvaient &tre rang& A la faveur des rkultats obtenus en quatre classes de difficult6 intgale. I1 s’agit d’oeuvrcs de: Renoir (Nu au soled), Van Gogh (Champ de ble, Rembrandt (Portrait de l’artiSte),-Vlaminck (Village sous la neige), Cbanne (Montagne Ste Victoire), Grtco (St. Christophe),-Matisse (Inttkieur B la foughre noire), Rubens (Le jardin d’amour), Comt (Le fagot attend),-Botticelli (Vierge A l’Eucharistie), Poussin (Paysage), Klee (Sur terre ancicnne).

Les oeuvres, prknttes sou9 forme de reproduction format carte postale, avaient Ctt choisies de pr&rence peu connues, mais trb significatives de la maniere d‘un peintre. I1 ne s’agissait pas en fait de r e c o d t r e le tableau lui-mtme, mais l’auteur de celui-ci. Le test a ttC prtstnte A 480 sujets au cours d’entretiens individuels, effectub

dans le cadre d’une enquete sur les comportements spontank de choix esthttiques. Cew-ci Ctaient apprhendb A travers les achats dec tub par la clients d’une importante galerie de reproductions de tableaux situte dans le centre de Paris. L’entrctien comportait la prthntation d’un questionnaire dont les riponses permettaient, d’une part de dC&& le profil socio-culturel des sujets-gge, niveau d’instruction, tducation rewe, participation A la vie culturelle, accb A I’oeuvrc d’art-d’autre part d’analyser les processus de choix et de juganent esthttiquc. La passation du test qui intervenait la fin de l’entretien a 6th parfaitanent accept& et vicue c o m e un jeu. Tr4s peu de refus ont CtC enregistrh.

peinture fransaise, l’autre la peinture Ctranghre.

L’kchantiUon L’analyse de l’tchantillon met en Mdence lc maintien des bani8res sociales dCjA obaervc dam d’autres domaines d’accts A l’oeuvre d’art. I1 est important de signaler en effet que 58 pour cent de notre Cchantillon poddaient un diplame

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Cquivalent ou supCrieur au baccalaudat, 36 pour cent avaient fait des ttudes sup&ieures, 7 pour cent n'avaient que le certificat d'ttude.

L'analyse des catCgories socio-professionnelles c o n h a i t le caract&re relative- ment ((aristocratique)) de l'Cchantillon: 30 pour cent des sujets Ctaient cadres sup6rieurs ou exeqaient une profession libthle, 28 pour cent Ctaient cadres moyens ou instituteurn, 29 pour cent employ&, 4 pour cent artisans au com- meqants, 2 pour cent seulement ounien. Cette &partition restait B peu p r b constante quel que soit 1'Gge des sujets interrogb. D'une m a d r e g t n h l e ceux-ci ktaient jeunes, 56 pour cent des sujets avaient entre 20 et 40 ans, 19 pour cent entre 40 et 50,22 pour cent plus de 50 ans. Une variable importante caract&ait cet Cchantillon: l'intCSt certain pour la peinture que manifestaient les sujets en achetant une reproduction.

MNhode L'histogramme de fr6quence des dponses permet dkji de constater l'efficience gtnCrale du test. Bien que ICgtrement dissymitrique, la courbe est normale. La moyenne des riponses justes s'ttablit B 5. ce qui explique la dissyrnCtrie et indique que le test etait legtrement trop difficile. 5 pour cent des sujets n'ont reconnu aucun tableau ou ont ref& de rbpondre, 1 pour cent a reconnu les 12 tableaux.

Fig. 1. Histogamme da fr6qucnces de dponsu jut,

L'andyre stat ist ip des rh l t a t s a CtC conduite selon une mCthode mathematique d'analyse des correspondances, mise au point par J. P. Benz&ri. L'analyse des correspondances s'applique au cas oh, dans un proces~us UrpCrimcntal, d e u ou plusimrs enscmbles sc tmuvent mis en relation. L'application de la technique pennet de d6gager une structure de chacun d u ensembles consid6rC uniquement du point de vue de ses relations avec l'autre. Dans le cas qui nous intircsse nous avions B asocier i's un t l h e n t i appartenant B l'ensemble I (ensemble des individus ayant rCpondu au test), un 6 lben t t appartenant A l'ensemble T (enscmbIe des tableaux devant &re nconnus).

L a correspondance entre l a deux ensembles dtfinissait sur chacun une notion de pmximite : si 2 4Cments i et i' de I s'associent de la msme fasoon am t lhen t s

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de T ils sont proches et symttriquement d e n tltments de T seront d’autant plus proches que leur association avec les tltments de I se fera dam les m t m a proportions. Autrement dit, deux tableaux seront proches s’ils attirent les mtmes rtponses dans des proportions semblables, deux individus seront proches s’ils identifient les mtmes stimuli. L’ensemble des donntes est reprknt t par un nuage de points. Chaque point tableau est dCtenninC par 480 coordonnt-le nombre de sujets ayant ripondu au test-chaque point sujet est dtterminC par 12 coordonntes correspondant A sa situation vis-A-vis des 12 points A reconndtre.

Avant de proctder h l’analyse factorielle du nuage il convient de choisir une distance entre les points. Celle-ci peut etre obtenue de la manihre suivante: si Yon considkre deux Tableaux t l et t2eT on aura :

P (i tl) la rCponse du sujet i au tableau tl P (i t2) la rCponse du sujet i au tableau t2 NR (i) nombre de riponses justes du sujet I NS (tl) nombre de r6ponses justes pour le tableau tl (c’est-A-dire le nombre

NS (t2) nombre de rtponses justes pour le tableau t2 de sujets ayant reconnu tl)

1‘ P (i’t2) N R (i) N S(t2)

- I; N R (i) [ P (i,tl) i e I N R (i) N S(t1) d2 ( t l , t2) =

P (i, tl) P (i, t2)]2 N S (tl) - N S (t2)

z =

Ces calculs sont effect& sur machine IBM 7094. I1 est intiresant de noter que le calcul introduit une pondtration calculCe A

partir de la performance de chaque sujet. Far exemple, la reconnaissance d‘un tableau difKcile n’aura pas le mtme poi& si elle est isolCe,-et donc due h des cir- constances fortuites-, ou si elle est l’aboutissement logique de reconnaissances prtalables. De m h e la reconnaissance d’un tableau facile n’aura pas la mtme valeur quand elle est isolte que dans le cas contraire. Comme dam l’analyse factorielle classique il s’agit ensuite d’ajuster A un espace de dimension tlev6 (ici le plus petit des deux ensembles N- 1 = 11) un sous-espace de faible dimension, sur lequel on projette les proximitb dCfinies par les distances entre l a points du nuage. Le plan choisi sera celui des deux axes factoriels que l’on dtgage du nuage (les deux vecteurs propres de la matrice de covariance entre tableaux correspon- dant aux deux plus grandes valeuls propres). Ce sous-espace posMe la proprittt de ((dtfonnation minimale)). La reprkntation gbmCtriques des rhltats sur lc plan des deux premiers axes pennet par simple visualisation l’adyse des rhltats.

Rksultats: Le test Si deux tableaux sont trb pmches Tun de l’autre c’est A dire &dement distants de tous les autres on peut considtrer qu’ils sont tquivalents du point de vue de la difficult6 et du rale qu’ils jouent dans le test; l’un des deux peut &re supprimt Nous avons constate par exemple que Renoir et Van Gogh Ctaient parfaitement Cquivalents ainsi que Grtco et Rubens bien que celuiti puke etre considtd

128 CONSTRUCTION D'UN TEST DE CONNAISSANCE EN PEINTURE

Klee (41)

Poussin (48)

Botticelli ( I 12)

Corot (149)

Rubens (151)

Matisse (181)

Vlaminck ( I gg)

Cizanne (205)

I

Rcnoir (387)

Fig. 2. FrCquence de reconnaissance des peintres

\ Klee h 2 longueurs

de feuilla

I"

Mat*

Greco

Poussin Rembrandt

Rubens

Botticelli

0 Vlaminck

I . axe

Rcnoir Van Gogh

Fig. 3. Projection d a peintru r C C O M u S s u r l a deux preden axes d'inertie

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comme ltggtrement plus difiicile B r e c o d t r e . I1 se peut aussi que l’on constate la non-pertinence d‘un item; par exemple, un tableau peut Ctre B la fois asez proche des tableaux faciles et Wciles c’est A dire impossible B introduire dans une h ikch ie . I1 est prtfirable alors de le supprimer. Ce sera par exemple, le cas de Vlaminck dont la reconnaissance apparait comme contingente et peu li6

un niveau culture1 prtcis. L’analyse ainsi conduite nous a permis de comger le test par 1’6liimination des items redondants ou non pertinents. Nous avons pu constater que la projection sur le premier axe respectait approximativement la hitrarchie de difficult6 fixCe au d6part. Mais la reconnaissance de la peinture moderne (Nee) n’apparait pas comme un aboutissement de cette hitrarchie. Son existence qui dttermine un deuxihe axe factoriel, asxz fort, n’est pas forchent li6e une culture des sikcles p d . Le peintre dont la connaknce lui est le moins associCe est Corot. Un autre test permettrait peut4tre de distinguer, plut8t qu’une culture fransaise et une culture ttranghe, une culture moderne et une culture ancienne.

Les sujets A chaque point sujet correspond un chiffre de code. Celui-ci peut Ctre remplad B tout moment de l’analyse par une des variables d’identification sociologique (Sge, niveau d’instruction etc . . .). I1 est ensuite facile de dCchif€rer et d‘inter- prtter les regroupements.

N3 &c2

Nq.

CIX

N9

.CIO

S6 D ‘5 . N2’

Fig. 4. Projection de la corrolpondance entre I’indice de notorittt des peintra et le niveau de connaissance des sujets

130 CONSTRUCTION D’UN TEST DE CONNAISSANCE EN PEINTURE

Niveau de connaissance et dkterminants sociaux I1 est fdquent de constater dans une population une relation inversement crois- sante entre l’hge et le niveau culture1 des sujets, ceci en raison de I’extension continue de l’enseignement, et de l’effet plus ou moins pexsistant de I’apprentis- sage scolaire sur les sujets jeunes. Nous ne retrouvons pas cette relation dam cette analyse. L’tducation artjstique dans le cadre de l’enseignement secondaire restant t rh sous-dtveloppCe en France, I’acquisition des connaissances plut6t lite B la curiositt personelle des sujets tend B Ctre cumulative et par consequent augmente avec l’exptrience, donc aves l’age. De ce fait nous n’avons pas non plus de liaison significative entre le niveau d‘instruction et le niveau de connaissance en pein- ture. Ce r h l t a t est d‘autant plus normal si l’on se &*re au caracdre marginal de notre khantillon. La sujets qui viennent acheter une reproduction, manifest- ant de cette manihre un intCr2t certain pour la peinture, 6chappent au dtter- minisme habitue1 de I’instruction. Si l’on s’inttresse A une variable-l’tducation reipe-caracttriste par le niveau d‘instruction des parents du sujet-on constate en outre un phCnom8ne inttressant : I’influence de I’tducation se traduit par une supCrioritC du niveau de connaissance chez l a sujets instruits mais kus de milieu peu cultivt. Tout se passe comme s’ils avaient chercht B corriger ce manque d’kducation prialable, par un effort personnel.

Niveau de connaissance et choix esthktiques Comme nous l’avons signalt, le but essentiel de l’utilisation de ce test etait la mise en correspondance du niveau de connaiSSance en peinture et des choix esthttiques, mattrialids par l’achat de reproductions. D m une premihre ana lp sur les op- tions ginkrales en faveur des sikles ou des tcoles de peinture-peintres regroup& -la culture picturale des sujets n’appadt pas comme un facteur dtterminant du goQt; l’ige et I’tducation recue jouent B cet tgard un file beaucoup plus important. Si par contre on f i n e l’analyse en individualisant les peintres choisii, on constate une disparitt de comportement entre les sujets cultivQ et ceux qui ne le sont pas. Cette disparitt apparait en particulier liCe au caracthe plus ou moins confoIlniste du choix. En effet si l’on affecte A chaque peintre un indice de popularit6 calcult d’aprb le score qu’il a obtenu dans les choix de I’tchantillon, on constate une relation quasi linCaire entre I’augmentation du niveau dc con- naissance et l’originalitt des peintres choisis (x’ < *OOl). Ce sont les sujets qui obtiennent le plus de rCponsa justes au test qui choisissent les peintres les moins populaires, c’est A dire les moins souvent choisis par I’ensemble de I’tchantillon.

REFERENCES

BERNARD, Y . (1968). Contribution mdthodotogique ii une ktude experimentale

BENZECRI (1965). Analyse des Prtftrences, PolycopiC, Facultt des Sciences de

CORDIER, B. (1965). ‘L’Analyse factorielle des correspondances’, Thbe de

des comportements de choix esthktiques, Sciences de l’Art, tome v.

Paris.

Doctorat.