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Cour de cassation, arrêt Levert En matière de droit de la responsabilité, il a longtemps été question de savoir si la constatation d’un fait quelconque de l’enfant permettait à elle seule de faire jouer la responsabilité pesant sur les parents. C’est à cela que s’intéresse la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt « Levert » du 10 mai 2001. En l’espèce, lors d’une partie de rugby organisée par des élèves lors d’une récréation, Arnaud X est blessé à l’œil après avoir subi un plaquage de la part de Laurent Y. Ses parents, dont il a repris l’action à sa majorité, ont exercé une action en responsabilité délictuelle contre les parents de Laurent Y, leur assureur (GMF), l’OGEC et son assureur (la Mutuelle) ainsi que l’Etat. Après un jugement en première instance, la Cour d’appel d’Orléans, le 26 octobre 1998, exonère de toute responsabilité l’Etat et l’établissement privé. Arnaud X, devenu majeur, forme un pourvoi en cassation contre la décision. Il fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses demandes contre l’OGEC, son assureur et l’Etat français. Arnaud X fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses demandes contre l’OGEC, son assureur et Etat français, alors que la responsabilité de l’Etat est substituée à celle des membres de l’enseignement pour les dommages causés par les élèves pendant que ceux-ci sont sous leur surveillance, et alors que l’OGEC a commis une faute dans l’organisation de son service de surveillance. En déboutant Arnaud X de son action, la cour d’appel a donc violé les alinéas 6 et 8 de l’article 1384 du Code civil. Le 10 mai 2001, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est donc amenée à répondre à la question suivante : la responsabilité des parents du fait de leurs enfants peut-elle être mise en jeu en absence de faute de l’enfant ? Selon la Haute juridiction, la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant. La cour d’appel a donc violé le texte susvisé. En conséquence, la Cour de cassation casse et annule arrêt rendu par la Cour d’appel d’Orléans e 26 octobre 1998. Si cette décision consacre l’abandon de la condition de faute de l’enfant pour mettre en jeu la responsabilité de ses parents (I), elle consacre avant tout l’objectivation de cette responsabilité (II).

Cour de Cassation Levert 2001

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Cour de cassation, arrêt Levert

En matière de droit de la responsabilité, il a longtemps été question de savoir si la constatation d’un fait quelconque de l’enfant permettait à elle seule de faire jouer la responsabilité pesant sur les parents. C’est à cela que s’intéresse la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt « Levert » du 10 mai 2001. En l’espèce, lors d’une partie de rugby organisée par des élèves lors d’une récréation, Arnaud X est blessé à l’œil après avoir subi un plaquage de la part de Laurent Y. Ses parents, dont il a repris l’action à sa majorité, ont exercé une action en responsabilité délictuelle contre les parents de Laurent Y, leur assureur (GMF), l’OGEC et son assureur (la Mutuelle) ainsi que l’Etat. Après un jugement en première instance, la Cour d’appel d’Orléans, le 26 octobre 1998, exonère de toute responsabilité l’Etat et l’établissement privé. Arnaud X, devenu majeur, forme un pourvoi en cassation contre la décision. Il fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses demandes contre l’OGEC, son assureur et l’Etat français. Arnaud X fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses demandes contre l’OGEC, son assureur et Etat français, alors que la responsabilité de l’Etat est substituée à celle des membres de l’enseignement pour les dommages causés par les élèves pendant que ceux-ci sont sous leur surveillance, et alors que l’OGEC a commis une faute dans l’organisation de son service de surveillance. En déboutant Arnaud X de son action, la cour d’appel a donc violé les alinéas 6 et 8 de l’article 1384 du Code civil. Le 10 mai 2001, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est donc amenée à répondre à la question suivante : la responsabilité des parents du fait de leurs enfants peut-elle être mise en jeu en absence de faute de l’enfant ? Selon la Haute juridiction, la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant. La cour d’appel a donc violé le texte susvisé. En conséquence, la Cour de cassation casse et annule arrêt rendu par la Cour d’appel d’Orléans e 26 octobre 1998. Si cette décision consacre l’abandon de la condition de faute de l’enfant pour mettre en jeu la responsabilité de ses parents (I), elle consacre avant tout l’objectivation de cette responsabilité (II).

I) L’abandon de la condition de faute de l’enfant :

La Haute juridiction, en abandonnant la condition de faute de l’enfant, suit une évolution jurisprudentielle logique (A), ce qui n’en fait pas moins une exception en matière de droit de la responsabilité du fait d’autrui (B).

A) Une évolution jurisprudentielle logique :

Dans l’arrêt Levert, la solution d’abandon de la condition de faute de l’enfant pour engager la responsabilité des parents n’est pas surprenante. En effet, la jurisprudence allait dans ce sens jusqu’alors. Au départ, la responsabilité des parents supposait une faute de l’enfant, comme en témoigne un arrêt de la deuxième chambre civile de cassation du 13 juin 1974. Mais depuis l’arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984, la jurisprudence semble plutôt aller dans le sens inverse de manière constante. Ainsi, dans cette décision, il n’y avait plus besoin, pour engager la responsabilité des parents, que l’enfant ait eu un comportement de nature à engager sa propre responsabilité puisque la Cour de cassation avait décidé que « pour que soit présumée la responsabilité des père et mère […] il suffit que l’enfant ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ». L’arrêt Levert ne fait donc

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que confirmer cette décision en énonçant que « la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant ». Cette décision a d’ailleurs elle-même été reconfirmée par l’assemblée plénière dans deux arrêts le 13 décembre 2002, ou plus récemment dans une décision du 17 février 2011 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

B) Une solution en contraste avec les autres régimes de responsabilité pour autrui :

L’abandon de la condition de faute de l’enfant confirmé par l’arrêt Levert semble opposé aux autres régimes de responsabilité pour autrui. En effet, pour que joue le principe général de responsabilité du fait d’autrui, un simple fait causal de la personne gardée ne suffit pas, et une faute est nécessaire, à l’inverse des solutions retenues pour la responsabilité des père et mère. Ainsi, dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 20 novembre 2003, la responsabilité d’une association sportive est écartée lorsqu’aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur n’est établie, sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil. Pour ce qui est des régimes spéciaux de responsabilité du fait d’autrui, là encore, la plupart des responsabilités sont subordonnées à un fait illicite de l’auteur du dommage. C’est le cas de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. En effet, le commettant n’est responsable que si le préposé a commis un fait dommageable, qu’il l’ait commis en toute connaissance de cause ou sans discernement. Une faute du préposé est donc nécessaire, comme en témoigne un arrêt de la deuxième chambre civile de la Haute juridiction du 8 avril 2004. Ainsi, le régime de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants semble en quelque sorte inédit.

II) L’objectivation de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants :

Avec l’arrêt Levert, il semblerait que la responsabilité des parents du fait de leurs enfants soit objectivée. Cette décision va dans le sens d’une consécration jurisprudentielle de l’objectivation de la responsabilité (A), mais également dans le sens d’un rapprochement de la responsabilité avec la théorie du risque (B).

A) Une consécration jurisprudentielle de la responsabilité objective :

L’arrêt Levert consacre l’objectivation de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants. En effet, la responsabilité des parents n’a pas toujours été une responsabilité objective. Au départ, elle était subjective. Plus précisément, elle était fondée sur une faute présumée, qu’il s’agisse d’une faute d’éducation ou de surveillance. Mais à partir de 1984, la Cour de cassation, dans l’arrêt Fullenwarth, laissait entrevoir l’abandon de cette nature subjective en remplaçant les termes de « présomption de faute » par ceux de « responsabilité présumée ». Quelques années plus tard, en 1991, la Haute juridiction renouvelait cette consécration par l’arrêt Blieck, en prônant le principe de responsabilité du fait d’autrui. Cette responsabilité, explicitée dans l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil, a été détachée de l’idée de faute. Ainsi, selon les trois arrêts « Foyer Notre Dame des Flots » de la chambre criminelle de la Cour de cassation, en 1997, « les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles

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n’ont commis aucune faute ». Enfin, la même année, par l’arrêt Bertrand, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation énonce que seule la force majeure ou la faute de la victime peuvent exonérer le père de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui. Cette notion de responsabilité de plein droit est reprise dans l’arrêt Levert.

B) Une responsabilité liée à l’idée de risque :

D’après les auteurs Saleilles et Josserand qui ont développé la théorie du risque, toute activité faisait naître un risque pour autrui doit entraîner pour son auteur une responsabilité du fait du préjudice causé. Ainsi, on peut dire que la responsabilité des parents du fait de leurs enfants est liée à l’idée de risque. En effet, les enfants ayant un comportement moins prévisible et moins contrôlé que celui des adultes, ils sont générateurs de plus de risques que ces derniers. Etant insolvables, ce n’est pas aux enfants de supporter les conséquences de ces risques mais aux parents, qui sont obligés d’être solidaires. On est donc passé d’une faute présumée des parents (de surveillance ou d’éducation) une responsabilité de plein droit sans faute des parents avec les arrêts Fullenwarth et Bertrand, puis à une responsabilité de plein droit sans faut des parents et sans faute de l’enfant vers, en quelque sorte, une responsabilité aujourd’hui pour risque. La responsabilité est alors objective, dans la mesure où le juge ne recherche pas si l’acte reproché à l’enfant ou aux parents de l’enfant est illicite ou non.