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DE SURINAM. 37 CHAPITRE VII. Du Diftillatoire. C OMME l'écume de la premiere & fe- conde chaudiere eft deftinée aux bes- tiaux, celle qu'on retire de la troifieme, de la quatrieme & de la cinquieme, eft Jettée dans l'auget du Laboratoire, qui la conduit dans un réfervoir du Diftillatoire ; &, lorsqu'il en eft plein, on la transvafe dans d'autres vaiffeaux, qu'on couvre avec des feuillages, afin de la faire bien fermen- ter : ce qui ne manque jamais de fe faire au bout de deux ou trois jours; elle bout, alors, fe clarifie, au fond, & jet- te , au-deffus, toutes les immondices dont elle étoit chargée. Huit ou neuf jours après, fa fermentation ceffe ; on en enleve toutes les faletés, & on jette la liqueur, ainfi purifiée, dans un alambic, monté fur un fourneau de maçonnerie : on n'y adap- te point le chapiteau, qu'on n'y ait, pre- miérement, fait bouillir cette liqueur pour l'écumer de nouveau; mais, enfuite, C 3

Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam

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Auteur : Phillipe Fermin / Partie 2 d'un ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Ville de Pointe-à-Pitre

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C H A P I T R E VII.

Du Diftillatoire.

COMME l 'écume de la premiere & fe­conde chaudiere eft deftinée aux bes­

t i aux , celle qu'on retire de la troif ieme, de la quatrieme & de la cinquieme, eft Jettée dans l'auget du Labora to i re , qui la conduit dans un réfervoir du Diftillatoire ; & , lorsqu'il en eft p le in , on la transvafe dans d'autres vaiffeaux, qu'on couvre avec des feuillages, afin de la faire bien fermen­ter : ce qui ne manque jamais de fe faire au bout de deux ou trois j ou r s ; elle b o u t , a lors , fe clarifie, au fond , & jet­te , au-deffus, toutes les immondices dont elle é to i t chargée. Hui t ou neuf jours après , fa fermentation ceffe ; on en enleve toutes les faletés, & on jet te la l i q u e u r , ainfi purifiée, dans un alambic, monté fur un fourneau de maçonnerie : on n 'y adap-te point le chapiteau, qu'on n 'y a i t , pre-m i é r e m e n t , fait bouillir cette liqueur pour l 'écumer de nouveau ; mais , enfuite,

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on le f e rme , on le lute avec de la terre graffe, & l'on fait entrer l 'extrêmité du conduit du chapiteau, qui peut avoir feize à dix-huit pouces de longueur , dans l'em­bouchure du ferpentin, lequel eft pofé dans un grand tonneau , cerclé de fer , & placé tou t proche de l'alambic. Cette feconde adaptation doit être auffi bien lutée que la premiere; le tonneau où eft le ferpentin, doit toujours être rempli d 'eau; & l 'on doit avoir foin d 'ent re teni r , tou jours , un feu modéré au fourneau. ; Par cet te opération on a une l iqueur , qui n'eft pas des p lus - fo r tes , mais agréa­b l e , que l'on met enfuite dans des Pulles ou cruches.

Si l'on en veut avoir une plus fpifitueu-f ô , on la rectifie, en remettant cette pre­miere diflillation dans le même alambic, après en avoir retiré le Caput m o r t u u m ; & l'on recommence la même opéra t ion , dont on retire une véritable eau-de-vie, qu'on appel le , dans le pays , K e l d u i v e l , & dont les Matelots Hollandois & Anglois font un grand ufage, tant pour faire du Punch-, que pour la boire en nature. C'eft auffi la liqueur la plus ordinaire des N e g r e s , & qu'ils aiment te l lement , q u e , pour peu qu'un Plantage foit bien dir igé, le Proprié­taire eft obligé d'en avo i r , pour en don-

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n e r , de temps en t e m p s , à fes Efclaves, furtout dans les mauvais temps où ils font de pénibles ouvrages. On en v e n d , com­munémen t , la cruche cinq florins de Hol­lande. .

Pour p r o u v e r , maintenant , que ce n'eft pas peu de chofe que de commencer une nouvelle Plantation à Sucre, voici le dé­ta i l , à peu de chofe p r è s , d'une qui four­nit deux à trois cents barriques de Sucre par a n ; même avant que de l' avoir por tée à ce degré.

Je fuppofe, dans une pareille P lanta t ion , quatre-vingts Efclaves, au moins , que j ' é ­value au plus bas à quatre cents florins, l'un dans f a u t r e . On verra que la totali­té s'en monte à trente-deux mille florins de Hollande. Ajoutez à cette fomme cinquante mille autres florins pour le Moulin, le La­boratoire , & le Diftillatoire ; cela formera une fomme de quatre-vingt-deux mille flo­r i n s , qui font cent foixante-quatre mille livres , argent de France. Qu 'on a jou te , e n c o r e , à cette fomme, les autres bâti­ments que j 'ai décr i t s , & calculés aux en­virons de t rente mille florins, on ne pour­ra disconvenir que toutes ces fommes ré­unies , ne foient plus que fuffifantes, pour faire une brillante fortune à beaucoup d 'honnêtes gens , qui n 'en defireroient pas

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plus pour paffer la vie gracieufement. Voilà, cependan t , les fraix auxquels do i t , pour le moins , s'attendre un nouveau Planteur à Sucre; fans y comprendre l 'entretien de tous fes Efclaves, ni les Domeftiques b l ancs , dont il a befoin, pour veiller à tous les travaux qu'exige un pareil établiffement.

Ma i s , ce que je ne fçaurois t rop recom­mander à un Propriétaire , c'eft de voir t ou t par lui-même, autant qu'il lui eft pos-fible, & de ne pas s'en rapporter toujours à fes Directeurs.

Il ne doit pas , non p lus , entreprendre t rop de travail à la fois; mais faire cha­que chofe en fon t emps , & ne point en abandonner un pour en commencer ou finir un autre ; ce qui n'arrive que trop f o u v e n t : parce q u e , pendant ce temps-l à , le premier p é r i t , & c'eft toujours à recommencer. Ces pertes de temps font presque toujours i r réparables , & entraînent après elles de mauvaifes fuites; pendan t , qu'au cont ra i re , s'il t ient un bon ordre parmi fes Efclaves, il ne peut manquer , à la fin de l ' a n n é e , de recueillir le produit de fes t ravaux, & de voir régner l'union dans fon Domeft ique , qui eft la principale fource de fa For tune .

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C H A P I T R E V I I I .

Defcription de l'Arbre à Caffé.

QUOIQUE le Caffé n'exige p a s , à beau­coup p rè s , les mêmes fraix, ni une

culture auffi laborieufe que le S u c r e ; je ne crois pas, moins néceffaire d'en donner la Defcr ipt ion, tant pour fatisfaire les cu­r i e u x , & éviter leurs reproches , que pour inftruire ceux qui voudront entreprendre d'en faire commerce;

L ' a r b r e , qui le p o r t e , peut croître jus­qu'à la hauteur de quinze à vingt pieds; mais comme il feroit t rop difficile d'en re­cueillir le f ru i t , on ne lui laiffe que celle de fix à fept p ieds , par le foin qu'on a de lui couper la couronne , dès qu'il monte au -de là de la grandeur qu'on lui a defti­née .

Les branches , que cet arbre fourn i t , font fort fouples, & couvertes d'une écor­ce blanchâtre , fort fine ; & le diametre de fon tronc n'excede pas cinq à fix pou­ces : ce qui prouve la bonté de la méthode qu'on a de borner fa hauteur,, fans quoi

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on risquerait de détruire l ' a rbre , en voulant en recueillir le fruit. Ses feuilles font oppo­fées , & rangées deux à d e u x , de maniere que les. deux d'un côté forment une croix avec les deux de faut re : elles reffemblent à celles du Laurier ordinaire ; & font tou­jours ve r t e s , liffes & luifantes en-deffus, pâles en-deffous, & n 'ont point d 'odeur. Elles n 'on t qu 'une c ô t e , faillante des deux c ô t é s , qui s'étend dans toute leur lon­gueur , & de laquelle partent plufieurs pe­tites n e r v u r e s , qui fe répandent fur les côtés.

Ses, fleurs fortent des aiffelles. des feuil­l e s , au nombre de quatre ou :cinq , foute­n u e s , chacune , par un pédicule cour t . Elles font blanches , quelquefois d'un rouge-pâle , odorantes , & d'une feule p ie-'Ce, en forme d 'en tonnoi r ; par tagées, le plus fouvent, en cinq découpures , com-me le Jasmin d'Efpagne, mais plus cour tes ; Leurs étamines font b l anches , & au nom­bre de cinq : en quoi elles different d e la fleur du Jasmin, qui n'en a que deux. Leur calice eft v e r d , découpé inégalement en quatre par t ies ; d'où s'éleve un piftil , auffi verd , fourchu , placé dans le fond , & dont la partie infér ieure , ou l ' embryon , qui foutient la fleur, fe change en un fruit ou baye mol le , ver te d 'abord , enfuite rouge,

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& , enfin, d'un rouge obfcur ou f o n c é , dans fa parfaite maturi té . Ce fruit eft de la grofleur d'un bigarreau, & a , à fon ex­t r é m i t é , une foffette ou efpece de nom­bril , ou plutôt un mamelon tendre. Sa chair eft mucilagineufe, pâ l e , & d'un goût fade ; mais en féchant elle devient un peu ac ide , & d'un goût défagréable. Cette chair fer t d 'enveloppe commune aux deux feves , qui font les grains fi connus fous le nom de Caffé. Ce f ru i t , comme on vient de le v o i r , ne peut gueres être mieux comparé qu'à une cerife fort adhérente à la bran­che.

On prétend qu'un Arbre à Caffé produit., à l'âge de cinq à fix a n s , dix livres de f ru i t , que l'on réduit à la moi t i é , lorsque la chair & les enveloppes en font féparées, & que les feves font en état d'être mifes dans les barriques. Ce qui ne paroît pas d'un grand r appo r t : mais il faut ajouter qu'il por té deux fois l ' année , & qu'on recueille fon fruit au mois de Mai ou J u i n , pour la pre­miere fois , & pour la feconde, au mois d'Octobre ou de Novembre .

Cet Arbre n'eft d'ailleurs nullement déli­ca t ; les, terres maigres lui font même fort b o n n e s , & il fe cultive fans peine. Quand il eft une fois, parvenu à la hauteur de fix à fept p ieds , fi forme une efpece de руrа,-

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m i d e , d'un coup d'œil fort agréable ; ma i s , quoique fes fleurs , dont il eft fouvent tout chargé , annoncent une bonne r éco l t e , elle n 'en eft pas plus fû re , parce que les fruits m ê m e , étant n o u é s , fe fechent , ou ne vien­nent point à maturi té .

C H A P I T R E I X ,

De la Culture du Caffé.

QU E L Q U E S vieux Colons m'ont affu-ré que dans les premieres années , où

l 'on avoit commencé à cultiver le Caffé, il é toi t défendu, fous peine de la v i e , à tous les habitants de la Colonie de Surinam, d'en vendre un feul grain aux E t rangers , ni même de leur en faire préfent , avant que de l'avoir mis dans un fou r , pour en faire mourir le g e r m e , & empêcher qu'il ne fe multipliât ailleurs. L 'on m'a même ajou­t é , que c'eft le pere de feu Monfieur le Comte de Néale, qui l'a cultivé le p remie r , & que c'eft à lui qu'on eft redevable de ce f r u i t , qui fai t , aujourd 'hui , en par t ie , la richeffe de la Colonie , par la quantité pro­digieufe qu'elle en fourn i t , pour la con-

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fommation d'une bonne partie de l 'Eu­rope .

Dans les douze ou quinze premieres an­n é e s , on a commencé par femer les grai­nes , pour en faire des pépinieres de plan­tes , & les transplanter enfuite : voici comme on s'y prenoit . On faifoit, premié­r e m e n t , t remper les feves dans l'eau , pen­dant vingt-quatre heu re s , puis on les fe-moit dans des caiffes remplies de bonne ter­r e , ou dans de petites planches prépa­rées , c'eft-à-dire, dont la terre devoit ê t re bien net toyée : on les y couchoit fur leur p l a t , & on les couvro i t , enfuite, légére­ment de t e r r e , afin que le germe eût moins de peine à la percer. On pofoit ces fe­ves à la diftance, les unes des au t r e s , d 'environ deux pouces , & on avoit foin de les arrofer au défaut de pluie. A u bout de quinze jours le germe paroiffoit, & produifoit une t ige , comme on peut bien le l ' imaginer, très-délicate. Quand ces ti­ges étoient parvenues à la hauteur de huit à dix pouces , & qu'elles commençoient à avoir des feuilles, on choififfoit un temps pluvieux pour les transplanter dans le ter., rein qu'on leur avoit p réparé , en le bê­chant affez profondément , & en le ne t to­yant de toutes fortes de racines & de mau­vaifes herbes.

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L 'on fuivroit, fans d o u t e , encore au-jourd'hui cette m é t h o d e , comme dans ces premiers t e m s , s'il en étoit befoin; mais chaque Plantage eft toujours affez bien pourvu de Pançons, (a) pour en fournir même à ceux qui en ont befoin : de f o r t e , q u e , quand on veut planter un terrein de Caffé, il eft aifé de s'en procurer fuffifam. men t de jeunes tiges.

Quand on les t ransplante , il fau t , pour bien faire , obferver une diftance de dix à onze pieds , entre chaque, en quarré.

Cet arbre croît fort v î t e , pourvu qu'on ait un foin tout particulier d'empêcher qu'il ne foit fuffoqué par les mauvaifes her­b e s , que la terre produit abondamment dans les pays chauds & marécageux. Pour les ex t i rper , il faut planter dans les efpa-ces de nouveaux a rb res , des pa ta tes , qui les empêchent de pouffer; d'où il réfulte un fecond avantage, qui eft de recueillir un légume qui fert de nourr i ture aux Ef­claves.

Il fau t , néanmoins , trois ans de croiffan-ce à un Arbre à Caffé, avant qu'il rapporte affez de f ru i t , pour récompenfer des fraix an-

(a) N o m qu 'on donne en général aux jeunes p lan tes ,

qu 'on tire des rejettons des vieux arbres , que l'on plan­

te en pépinieres, pour en avoir quand on en a befoin.

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nuels ; mais après ce temps il p o r t e , d'année en a n n é e , en augmentan t , du moins jusqu'à fix a n s , qu'il r e f te , a l o r s , dans fon même état de produftion ; & , à l'âge de t rente ou quarante a n s , il dépérit de lui-même.

Lorsque ces arbres font encore j e u n e s , & qu'il en meurt quelques-uns, on a foin de les remplacer par de nouveaux , pour ne point perdre de terre in . Mais fi une Piè­ce à Caffé, de mille ou deux mille a r b r e s , portant f rui t , vient à fe deffécher, ( comme cela s 'eft v u ) il n 'y a point d'autre reffour-c e , que d'en arracher les arbres m o r t s , pour être brûlés. On laiffe enfuite repofer tou te la P i ece , pendant d i x , douze & mô­me quinze a n s , & elle devient une efpece de Savanne, propre à nourrir des beftiaux. Ce qui la n o u r r i t , pendant ce temps-là, & la rend bonne à être bêchée de n o u v e a u , & très-propre à y planter du Cacao ou du Coton.

Paffons, maintenant , à la Defcription du Bâtiment où le Caffé fe doit prépa­rer , pour être mis en barr iques , & envo­yé en E u r o p e .

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CHAPITRE X.

Defcription de la Loge à préparer le Caffé,

L A Loge à Caffé eft un bâtiment de foi-xante & dix à quatre-vingts pieds de

l o n g , fur t rente ou quarante de la rge , élevé fur un pied de br iques, avec deux greniers de toute la longueur de la bâtiffe. Il y a , de chaque c ô t é , dans le bas de cet-te Loge, des efpeces de t i ro i rs , de cinq à fix pieds de l o n g , pour y fécher le Caffé. Ces t i ro i rs , ou Scbuyff-bakken, comme on les appelle dans le pays , font pofés fur des couliffes, de manie re , qu'on peut les faire fortir de la Loge, quand il fait beau t e m p s , & les faire r e n t r e r , tou t de fu i te , quand il pleut.

Il y a dans chaque grenier , & de chaque c ô t é , quinze ou vingt fenêt res , afin que l'air y puiffe affez péné t r e r , pour que le Caffé ne s'échauffe ou ne germe point .

Chaque Loge doit être munie de deux rangées de mortiers faits avec deux gran­des pieces de bo i s , de vingt-cinq à tren­te pieds de l o n g , dans lesquelles on creu-

fe

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fe des trous affez larges & affez profonds , pour y piler le Caffé. Elle doit avoir auffi tous les uftenciles néceffaires pour le pré-parer : comme Moul ins , pour le vanner ; Pelles de b o i s , pour le remuer , pendant qu'il eft dans les greniers ; différentes efpe­ces de Paniers , & , enfin, des Pilons de bo i s , pour les fusdits Mortiers.

Il doit y avoir auffi une grande balance & différents po ids , pour prendre la tare des barr iques, & enfuite les pefer quand elles font pleines. E t , par devant cet te L o g e , il faut un ou deux grands Séchoirs, ( a ) afin de profiter du beau temps dans la récolte .

Il y a encore un autre petit bâ t iment , à côté de la L o g e , où l'on t ient un M o u l i n , par lequel on fai t , p remiérement , paffer le Caffé , nouvellement cueilli des arbres , pour l'écrafer & en féparer la pulpe & la peau rouge,

La L o g e , & tout ce qui lui eft relatif, pour la préparation du Caffé, peut coûter aux environs de cinquante raille florins de Hollande.

(a) L e Séchoir eft un grand carré de quarante ou

cinquante pieds, maçonné de car reaux, afin d'y é ten­

dre le Caffé pour le fécher.

Tome II. D

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C H A P I T R E X I .

De la Préparation du Caffé.

POUR avoir une jufte idée de la prépa­ration de ce grain fi connu mainte­

nant en Europe , il faut fçavoir qu'après qu'on en a ôté l 'écorce rouge par la voie du Moul in , que j 'ai d é c r i t , & qu'on ap­pelle dans le pays Breek-Molen, on le met t remper , toute une n u i t , dans l'eau. Le lendemain, on l'en r e t i r e , pour l 'étendre fur les féchoirs, où il refte jusqu'à ce que Pair ou le vent l'ait féché. S i , pendant qu'i l eft ainfi é t e n d u , il venoit à p l euvo i r , o n fe h â t e , a lo r s , de le ramaffer en mon­ceau , & on le couvre avec une toile c i r ée , pour le garantir de l 'humidité.

Lorsque le Caffé eft bien fec , ou du moins qu'il le p a r o î t , on le t r anspor te de nouveau dans les t i ro i r s , afin qu'il s'y feche encore plus ; & quand il eft en état d'être mis dans les greniers , on l 'y dépofe , & on l'y laiffe jusqu'à l 'entiere ré­colte , qui dure bien deux m o i s , & même plus.

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On a foin, pendant tout ce t e m p s , de le remuer tous les jou r s , de peur qu'il ne s'échauffe ; & , quand la récolte eft fur fa fin, on le remet encore une fois , du gre­nier dans les t i roi rs , pendant deux ou trois j o u r s , afin qu'il foit parfaitement fec. On le p i l e , enfuite, dans les mor t i e r s , que j 'ai décrits , pour lui ôter la derniere pel­licule blanche, qui enveloppe les deux fe­v e s , qu'on en fépare enfuite, tout-à-fai t , en le vannant par le moulin.

Il y a de chaque côté du mor t i e r , quand on pile le Caffé, un Negre ou une Négres-f e , qui donnent leurs coups avec tant d'égalité, d'un bout à l 'autre du Bâtiment, qu'il eft impoffible d'entendre rien de plus mefuré , de forte q u e , pour peu que les pileurs s'amufent à chan te r , cela forme un harmonieux charivari , qui n'eft pas moins plaifant que le coup d'œil de tous ces ouvriers.

Quand le Caffé pilé a été v a n n é , on fé­pare toutes les feves rompues d'avec les en t i e res ; parce qu'il s'en t rouve toujours quelques-unes de brifées par le pilon. Ce­la fait , on remet les feves entieres dans les t i ro i r s , pendant un j o u r , & pour la dernie­re fois ; puis on les met dans des facs de canevas , ou des barr iques, pour être envo-yées en Europe.

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Chaque barrique pefe netto, depuis trois jusqu'à trois cents cinquante l ivres , & les facs, depuis cent jusqu'à cent cinquante. - Ce qu'il faut obferver , en dernier l i eu , c'eft qu'il n'eft permis à aucun Planteur de vendre fon Caffé entier, dans le pays , mais feulement les feves rompues , tant qu'il a quelque hypotheque fur fon Plantage ; car il doit livrer cette graine en nature aux Cor­respondants , avec lesquels il a contracté en Hollande.- A l'égard du Sucre , en pareil cas, il n'en peut nullement délivrer dans le pays .

L 'on voit par tout ce que je viens de d i r e , que je n'en ai point impofé, plus h a u t , tou­chant la différence des fraix d'un Plantage en Sucre ou en Caffé. Auffi, depuis que le Sucre a fi fort baiffé de p r i x , la meilleure partie dos gens fenfés, préferent aujourd'hui de former des Plantages de Caffé,& y t rouvent beau­coup mieux leur compte.

On prétend que le Caffé, par les princi­pes falins , volatils & fulphureux, qu'il con t ien t , caufe, dans le f a n g , une fer­mentation Utile aux perfonnes rep le tes , pi-tUiteufes, & à celles qui font fujettes aux migraines.

Son ufage eft falutaire, quand on a fait quelque excès dans le boire & le manger. On s 'en fert auffi, avec fuccès, dans la foi-

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bleffe d'eftomac, le dégoût , les coliques venteufes , la fuppreffion des menf t rues , l'affoupiffement, & les maladies foporeu-fes , par la vertu qu'il a de fortifier l'efto­m a c , d'aider à la digeftion, & de réveiller les efprits animaux.

Il aiguife l'efprit & le ranime lorsqu'il eft aba t tu , il attenue & diffout les humeurs épaiffes & visqueufes, & eft b o n , en u n m o t , à tous ceux dont les humeurs t rop gluantes croupiffent ou circulent difficile­ment . Mais a u f f i il eft très-nuifible aux perfonnes maigres ou bilieufes , dont les humeurs font t rop liquides & pleines de fels , auffi bien qu'aux mélancoliques, dont le fang trop épais eft deftitué de par­ties actives & fpiritueufes, & rempl i , par conféquent , de fels âc res , fixes & gros-fiers: car le Caffé diffout, plus qu'il ne conv ien t , les parties fulphureufes du fang, & caufe, inconteftablement, la diffipation des parties fpiritueufes; de fo r t e , que , les fels acres du fang étant en liberté & en m o u v e m e n t , peuvent exciter plufieurs dé­rangements , tels qu'une t rop grande diffo­l u t i o n , & une grande acr imonie, qui f on t , ord ina i rement , fuivies d'hémorragies, d'hé-morrho ïdes , d'infomnies, d'éréfypeles, ou d'autres maladies de la p e a u , de palpita-

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tions de c œ u r , de fpasmes & de maladies hypocondriaques, &c.

D 'où s'enfuit que les perfonnes bilieufes, chez qui les visceres font extrêmement chauds, doivent abfolument s'abftenir d'en prendre , de même que ceux qui font attaqués des hémorrhoïdes , & fujets à des hémorragies , ou autres maladies chro­niques.

Le t rop grand ufage du Caffé eft auffi très-nuifible aux femmes enceintes , parce qu'i l eft capable de procurer l ' avor tement , d'où je conclus qu'il eft pernicieux à tous ceux qui font d'un tempérament fenfible, a rden t , f ec , bi l ieux, & , qu'en généra l , m ê m e , fon t rop grand ou trop fréquent ufage eft dangereux, fur-tout lorsqu'on le prend fans lait. ,

C H A P I T R E XII .

Defcription du Cacao.

LE Cacao eft le fruit d'un arbre, appel-lé , c o m m u n é m e n t , Cacaoyer , qui eft

auffi commun en Amérique, que le Caffé

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l'eft en Arabie. L 'on p ré tend , m ê m e , qu'il croît naturellement & fans cu l t u r e , dans certaines parties de l 'Amérique , qu'on en t rouve des forêts entieres.

Cet a r b r e , qui eft , à-peu-près de la hauteur d'un Cerifier, differe , quelquefois , en grandeur & en groffeur, felon la quali­té du fol où il a été planté. Il fe par­tage en rameaux de la groffeur du b ras , les­quels fe fubdivifent en d 'aut res , toujours de plus petits en plus petits. Ses feuilles font a l te rnes , membraneufes, liffes, pendantes , terminées en po in tes , de neuf ou dix pou­ces, de l ong , & affez femblables à celles du Citronnier : elles font d'un verd-clair en-deffous, & d'un verd-foncé en-deffus, ren­flées , ou épaiffes des deux cô tés , & foute­nues par une queue longue d'un pouce. L 'arbre n 'en eft jamais dépouil lé; parce q u e , dès qu'il en tombe quelques-unes, il en revient d'autres. Il eft auffi chargé , en tou t t emps , d'une multitude de fleurs, ex­t rêmement pe t i t e s , tant fur les gros ra­meaux que fur le t ronc même ; mais beau­coup plus vers les deux folftices, qu 'en tou te autre faifon: ce qui pourroi t me fai-re dire , qu'il produit toute l'année du f ru i t , quoiqu'on n 'en faffe que deux récol­tes en différents temps.

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Ces fleurs ont le pédicule g rê le , un peu velu , & long d'un demi-pouce, même plus. Avant que de s 'épanouïr , elles ont la forme d'un bouton à cinq angles, qui eft long d'environ trois l ignes, & pâ le : elles fon t , en s 'ouvrant , compofées de cinq pe­tites peta les , dispofées en rofe , d'un jau­n e - p â l e , presque de la figure d'un c œ u r , & à peine larges d'une ligne. La baie de chaque petale eft cou rbée , extér ieurement , creufe, à fa naiffance, cii forme d'une pe­tite coquil le , & marquée de petites poin­tes d'un rouge-brun. Leur calice eft com­pofé de cinq petites feuilles é t ro i tes , poin­t u e s , duquel s'éleve un piftil enfermé dans une efpece de t uyau , découpé en plufieurs lanieres , & accompagné de plufieurs éta­mines réfléchies, pâles , & garnies de fom-mités de la même couleur. Beaucoup de ces piftils avortent & tomben t ; & ceux qui reftent fe changent en un f ru i t , de la forme d'un concombre , long de fept à huit pouces , pointu par le b o u t , & par tagé , dans toute fa longueur , comme les canta-loupes , o u , pour mieux d i r e , ayant cinq ou fix côtes faillantes, comme de certaines efpeces de melons. Ce frui t , qui eft par-femé de ve r rues , eft d'un verd blanchâtre , d 'abord, j aunâ t re , lorsqu'il commence à en-

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trer en matur i t é , & d'une couleur d'écar-late foncée, lorsqu'il eft entiérement m û r , mais parfemé, cependant , de petits po in t s -jaunâtres : ce qui fe doit entendre de l'é-corce,

Il eft attaché à un pédicule , long d'un p o u c e , qui n'eft pas plus gros qu'une plu-me d'oie. D e forte q u e , pour peu que l'on confidere la groffeur de ce f ru i t , il y a lieu d'être furpris qu'il provienne d'une fi petite fleur, puisqu'il y en a qui ont huit pouces de longueur , fur quatre de diame-t re . Auffi, la Nature toujours fage, par la direction du Souverain E t r e , les a-t-elle pla-ces fur le t ronc & fur les groffes branches , parce q u e , s'ils venoient fur les petits ra-meaux , ceux-ci romproient infailliblement, & les trois quarts du fruit feroient per-dus.

Lorsqu'on le coupe transverfalement, on y remarque deux écorces , dont la pre-m i e r e , ou l ' extér ieure , eft épaiffe de trois quarts de p o u c e , & j aunâ t r e , & l'intérieu-re b lanchâtre , mais extrêmement mince & plus tendre.

Ce fruit contient- une trentaine d'aman- . d e s , un peu plus groffes , chacune , qu'u-ne o l ive , & qui o n t , à-peu-près, la figure ; d'une moitié de cœur.

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Elles font luifantes, un i e s , d'un violet très-clair, &; fe partagent en plufieurs lo­bu les , lorsqu'on les p r e f f e entre les doigts. Chacune de ces amandes eft couver te d'une fubftance mince , ou plutôt d'une pul­pe b lanche , fucculente & douceâtre , & d'une petite peau membraneufe & rouffe.

Ces amandes font huileufes & un peu ameres ; & l'on en diftingue, dans le Com­merce , de deux principales fortes : la premiere , le gros & le petit Caraque, & la feconde, le gros & petit Cacao des I l e s , ou de Surinam. Le Caraque eft celui qui croît à Nicaragua, dont le goût eft plus agréable, à ce qu'on p r é t end , que celui des I les , qui eft plus huileux & plus gras. Ce qui les peut faire diftinguer, l 'un de l ' au t re , c'eft que le Caraque eft p la t , g rand , & reffemble aux feves de marais ; & que ce­lui de Surinam eft pe t i t , compacte & pefant. Paffons, maintenant , à fa cu l tu re , & à fa préparation.

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C H A P I T R E X I I I

De la Culture du Cacao.

COMME le Cacao a fai t , & fait encore un objet confidérable de Commerce ,

dans diverfes Colonies de l 'Amérique, auffi apporte-t-on beaucoup de foin à fa C u l t u r e , comme on le verra par la defcription fui-vante .

Pour former une Cacaoyere (a), il faut choifir un t e r re in , non feulement qui n'ait jamais ferv i , mais qui foit encore à l'abri des v e n t s , afin que les a rbres , jeunes ou v i e u x , ne foient point expofés à ê t re dé­racinés par la violence des ouragans; ce qui a r r ivero i t , indubitablement, parce qu'ils n 'on t que quelques racines foibles & fuper-ficielles.

Les Cacaoyers fe plaifent dans les lieux plats & humides , & au milieu des bois qu'on a b rû lés , pour défricher l'emplace­m e n t : & fi je dis qu'il leur faut un terrein

(a) Nom qu 'on donne à un terrein , qui ne pro­

duit que des arbres à Cacao,

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qui n'ait jamais fervi , c'eft que ces arbres demandent tout l e fuc & toute la graiffe du fol ; ca r , fi on les place dans une terre qui a déja produit d'autres p lantes , il eft in­conteftable qu'ils ne deviendront jamais fi beaux , ne dureront pas fi long-temps, & ne produiront jamais de fi beaux frui ts , ni en fi grande abondance, que fi on les plante dans une terre - vierge , l égere , profonde, graffe, ,& même un peu graveleufe : ce qui eft encore fondé fur ce qu'ils ne pous-fen t , comme je l'ai d i t , que de t rès - fo i ­bles rac ines , dont la principale n'eft gue­res plus groffe que les au t res , & qu'elles ne pénetrent toutes en t e r r e , qu'autant qu'elles t rouvent de facilité à y e n t r e r , pour en tirer la fubftance qui leur eft né­ceffaire pour leur nourr i ture .

Dans les premiers temps de la culture de ce fruit à Surinam, on a dû en ufer com­me avec le Caffé, c'eft-à-dire, fe fervir des amandes, ce qui retardoit le p rodu i t ; ma is , aujourd'hui , qu'on eft parvenu à en avoir en affez grande abondance dans la Colonie , il n 'y a point de Planteur en Cacao, qui n'en conferve des Pépinieres ,

Toit pour l u i , ou pour faire plaifir à fes amis , qui veulent former une Cacao­yere. -

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Après que le t e r re in , deftiné pour ces a rbres , eft bien net toyé & préparé , c'eft-à-dire, que toutes les racines des bois abat­tus en font t i rées , & la terre bêchée & rendue un i e , on tend une co rde , de la lon­gueur du t e r re in , pour y former une l igne, fur laquelle on met les jeunes plantes en t e r r e , à une diftance de hu i t , à neuf ou dix pieds, l 'une de l 'autre ; & l'on releve le cordeau, pour en faire une pareille, ob­fervant qu'elle lui foit parfaitement paral­le le , & que les a rbres , ou jeunes plantes , y foient plantés en quinconce, c'eft-à-dire, en échiquier ; ce qui eft , à ce qu'on p ré t end , la meilleure maniere de former des Cacaoye-res, pour que les arbres profitent davantage.

Premièrement , ils demandent une terre abondante en fuc , parce qu'ils produifent deux fois l 'année; & fecondement, il leur faut un terrein fpacieux, tant pour étendre librement leurs branches, que pour y trou­ver fuffifamment de nourr i ture . On a foin de faire les rangées les plus droites qu'il eft poffible, & à la diftance que j'ai d i t e , afin de voir avec plus de facilité le t r ava i l des Efclaves, & pour q u e , dans les récol tes , on foit moins expofé à laiffer du fruit aux ar­bres ; parce qu'en le cueillant on peut fui­v r e , d'allée en a l lée , fans fe tromper.

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Si les Cacaoyers, comme je l'ai fait re­marquer plus h a u t , font fort délicats, les jeunes plantes , comme on doit le préfu­mer , le font encore plus ; c'eft pourquoi il faut avoir un foin tou t particulier de les met t re à l'abri du foleil, parce qu'il leur eft pernicieux, en ce qu'il les brûleroit . Pour cet effet, il faut p lan te r , dans chaque a l lée , de la racine de manioc , ou caffave ; parce que cette p lante , s'élevant elle-même en arbriffeau, leur por te affez d ' ombre , pour les préferver de l 'ardeur du foleil. Ce qui p r o c u r e , en même t emps , le dou­ble avantage de tirer parti du terrein vui­d e , qu'on a laiffé dans les al lées, pour re­cueillir une rac ine , dont il eft impoffible ni de fe paffer ni d'avoir t rop ; o u t r e , qu'el­le empêche les mauvaifes herbes de c r o î t r e , & celles-ci font nuifibles à ces jeunes ar­bres , tant pour les racines que pour les feuilles ; je dis pour les feuilles, parce qu'elles font remplies d'infectes, qui mon­ten t aux a rbres , les rongent & les font mou­rir en peu de jours. Malgré cette précau­t i o n , cela n 'empêche pas qu'on ne doive avoir celle de farder cont inuel lement , jus­qu'à ce que la caffave, étant devenue affez g rande , couvre entiérement la t e r r e , & étouffe les mauvaifes herbes qui vou-droient encore pouffer.

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Quand la caffave eft m û r e , on l'arra­che , parce qu'alors les Cacaoyers peuvent avo i r , en v i r on , quatre pieds de hau t eu r , en fuppofant qu'ils euffent aux environs de deux p ieds , quand on les a plantés; car il faut près de quatorze mois à une aman­d e , mife en t e r r e , avant qu'elle produife un arbriffeau de vingt pouces de haut. A-près la caffave on peut encore planter des teyes ou ignames, & de cette maniere on profite toujours des intervalles.

Comme cet arbre a la propriété de croî­t re naturellement en forme de c o u r o n n e , on prétend que fi l'on n'y touchoit p o i n t , il en formeroit plufieurs r angs , les uns au deffus des autres ; mais , comme elles nui-roient à la p remie re , qui eft la principale, on a foin de c o u p e r , à mefure , les bran­ches fuperflues, pour réduire l 'arbre à une feule, qui fait fa beau té , comme fon uti­lité. Ceux qui ne veulent cependant pas fe donner cette pe ine , at tendent que l'ar­bre porte du f ru i t , pour les ébrancher ; mais il eft à craindre que cela ne por te pré­judice au premier.

Ces arbres commencent à fleurir à deux ans & demi , &; l'on prétend qu'ils font dans leur pleine fo rce , ou dans tout leur r a p p o r t , à la cinquieme ou fixieme année ;

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C H A -

mais ils font fujets à tant d ' événements , qu'on ne fçauroit bien fixer leur produit . A- l'âge de trois ans leurs branches font fi chargées de feuilles, qu'elles couvrent tout l'efpace qui eft entre elles ; & celles qui t o m b e n t , pour faire p lace , tout de fu i t e , à d 'aut res , font en affez grande quan­tité pour occuper & couvrir toute la ter­r e , & , par conféquent , empêcher les mau-vaifes herbes de pouffer. Il y a de ces arbres qui p o r t e n t , depuis deux jusqu'à deux cents cinquante coffes, dont cha­cune renferme entre les vingt & t rente amandes : o r , comme il faut aux environs de trois cents amandes, bien feches, pour le poids d'une l iv re , il eft aifé de fa i re , à - p e u - p r è s , le calcul du produit d'un feul arbre. ., ,,

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C H A P I T R E X I V .

De la Récolte du Cacao, et de fa Pré­paration.

L ORSQUE les coffes, dans lesquelles les graines de Cacao font renfe rmées ,

deviennent jaunes ou d'un rouge foncé , c'eft un figne affuré qu'il eft m û r , ou du moins qu'il eft prêt à le deveni r , ce qui arrive ordinairement quatre mois après la chûte des fleurs. On envoie alors les Ne­gres les plus capables cueillir toutes les coffes qui font mûres , parce qu'ils ne doi­vent point toucher à celles qui ne le font pas e n c o r e , non plus qu'aux fleurs. Ces Negres p rennen t , pour cet effet, des gau-

l e s , o u , pour mieux fa i re , ils tordent la queue du fruit pour la r o m p r e ; & quand ils en ont des paniers pleins , ils les met tent en pile fur la p lace , & les y laiffent ainfi. pendant quelques j o u r s : enfuite on fend les coffes, par le mi l ieu , dans leur lon­gueur , pour en tirer les amandes, qui font environnées d'une pu lpe , qu'on en détache fans beaucoup de peine ; après quoi on les

Tome II. E

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remet dans les pan ie rs , pour les transpor­ter à la maifon. Auffitôt qu'elles y font arri­v é e s , on les vuide dans les t i ro i rs , ou Schuyff-Bakk, de la Loge à Caffé, & on les couvre de feuilles de Bananes, ou de Bali-fiers, ( a ) & de quelques nattes , ou , ce qui eft encore mieux, avec des p lanches , pour leur faire éprouver une efpece de fer­mentat ion.

On laiffe, en cet é t a t , ces amandes , pendant trois ou quatre j o u r s , obfervant , pendant ce t emps , de les faire remuer & re tourner une fois par j o u r , afin qu'elles puiffent mieux reffuer également : opéra­tion qui leur fait perdre la couleur blan­châtre qu'elles avoient en fortant de la coffe, & les fait devenir d'un rouge obfcur , couleur à laquelle on reconnoî t qu'elles ont affez reffué. Plus le Cacao reffue , plus il perd de fa pefan teur , en perdant de fon amertume ; mais auffi, s'il n e reffue pas as-fez , il en eft plus amer , fent le v e r d , & germe quelquefois.

Lorsque le Cacao a bien reffué, on le

(a) Les feuilles des Balifiers o n t , env i ron , quatre pieds de l o n g , fur vingt pouces de large. Elles font d'un verd fa t iné , & fe tortillent en forme de cor­n e t , mais fe développent & s'étendent facilement.

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fait fécher au folei l , fur des claies, ou bien dans les mêmes t i ro i rs , où on fa-voit ci-devant mis; & l 'on a foin de le re­tourner également tous les j o u r s , & de le garantir de la moindre humidi té , qui le gâ-teroi t infailliblement. Trois ou quatre jours de foleil, ou de v e n t , fuffifent pour le fécher entiérement. Après quoi on le met dans des facs de t o i l e , ou bien dans des barriques.

Ce font ces mêmes graines de Cacao, ain-fi p réparées , qu'on envoie en E u r o p e , & que les Epic ie rs , ou Droguif tes , qui les v e n d e n t , diftinguent, comme je l'ai dit dans le Chapitre p récéden t , en gros & pe-tit Caraque, ou gros & petit Cacao des I l e s ; diftinction qui ne réfulte que de la diffé­ren te prépara t ion , comme de la différente groffeur de ces amandes; .car il n'exifte p a s , rée l lement , deux efpeces d'arbres de Cacao.

On préfere en Efpagne & en France ce­lui qu'on nomme Caraque; mais en Alle­magne & dans tout le N o r d , on eft d'un goût tout oppofé: on y préfere celui des Iles , quelque peu de différence qu'il y ait entre e u x , puisqu'elle n'oblige qu'à aug­menter ou diminuer la dofe du S u c r e , pour en corriger le plus ou le moins d'a-

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mer tume. Quant aux différences de gros-feur , elles ne p rov iennen t , comme je crois l 'avoir d i t , que de la nature du fo l , & du plus ou moins de foin qu'on prend à le cult iver.

Ce qui peut néanmoins donner quelque primauté au Caraque fur le Cacao, petit ou g r o s , c'eft la méthode qu 'ont prife quel­ques P lanteurs , depuis quelques années , de le t e r r e r , c'eft-à-dire,- de le couvrir de quelques pouces de t e r r e , pendant qu'on le fait reffuer ; nouvel le préparation qui lui donne toute la bonne qualité qu'on peut exiger , & que j 'a i cru devoir rappor­ter .

Ce qu'il y a d'avantageux dans la cultu­re du Cacao, c'eft qu'il y faut employer beaucoup moins d'Efclaves que pour le Sucre ou pour le Caffé , & que les autres fraix en font proport ionnément bien plus modiques ; de forte q u e , pour peu que le Cacao foit à un prix h o n n ê t e , il eft certain qu'un Plantage de ce feul fruit eft une vé­ritable mine d ' o r , en comparaifon de ceux des deux autres.

Mais ce n'eft pas affez d'avoir parlé de la préparation d'un fruit tant eftimé par­t o u t ; il me ref te , pour remplir mon ob­j e t , d'inftruire de fes propriétés un nom-

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bre infini de perfonnes , à qui elles font inconnues.

Il eft confiant que le Cacao contient beaucoup d'huile épaiffe, ou de graiffe unie à beaucoup de t e r r e , avec une port ion médiocre de fels, foit acides ou âcres ; d'où il réfulte un compofé gommeux-hui leux, gras & épais , duquel dépend la ver tu de cette amande.

Par cette analyfe il eft facile de con­clure que le Cacao procure une nourri­tu re groffiere, fi on le mange crud ; qu'il épaiffit, par-là, le fang & les h u m e u r s , & q u e , de p lus , comme il contient beaucoup de graiffe , il charge , na ture l lement , l'es­t o m a c , & produi t , indubitablement, des obftructions par fon grand ufage. C'eft pourquoi les Mexiquains , chez qui il étoit fi fort en v o g u e , l 'ont corrigé par l'addition de divers aromates ; d'où nous eft venu la compofition qu'on appelle au­jourd'hui chocola t , dans le détail de laquel­le je n'entrerai p o i n t , parce qu'elle eft pres­que univerfellement c o n n u e ; je ne m'arrê­terai fimplement qu'à fa vertu.

Quoiqu'en puiffent dire les A u t e u r s , qui ne font pas partifans de cette boiffon, je ne fçaurois disconvenir , fans l 'être plus q u ' e u x , q u e , lorsqu'on a convert i le Cacao

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en chocola t , il eft moins nuifible que fi l'on en faifoit ufage tout pur. La raifon en ef t , que l'huile que le Cacao con t i en t , fe t rouvant at ténuée par le f eu , à la maniere des huiles empyreumatiques , elle réfout puiffamment les humeurs du corps , & en augmente le mouvemen t ; effet que ne pro­duit point la boiffon en queftion : ca r , quoi­que plus le Cacao eft b rû lé , plus il doive exciter le bouillonnement des liqueurs du corps humain ; plus auffi eft-il a t ténué par la torréfaction, & tempéré par les aroma­t e s , dont il ne faut pas néanmoins que la dofe foit des plus grandes, & plus falubre do i t - i l être dans les cas fuivants.

On ne pourra pas me d i spu te r , par ex­emple , que le chocolat fait avec le lait ne foit très-bon à ceux qui font attaqués de phthifie, ou confomption, parce qu'il fournit un fuc nour r i c i e r , g r a s , d o u x , & qui peut émouffer l 'acrimonie des humeurs : mais les hypocondriaques , au con t r a i r e , doivent s'en abftenir, parce que leurs visceres font presque toujours en cha­leur.

Il eft b o n , en un m o t , pour fortifier l 'ef tomac, aider à la digeftion, & pour la poitr ine ; il calme la t o u x , & provoque auffi les urines.

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Pour ne rien omet t re des vertus du Ca-cao, je dirai qu'on en tire une graiffe, qui eft recommandée pour faire la bafe des pommades cosmétiques, & qu'elle eft très-bonne pour les crévaffes des levres & des mammelles. On prétend qu'elle eft bon­ne a u f f i pour les hémorroïdes ; mais c'eft ce que j ' ignore entiérement.

C H A P I T R E X V .

Du Coton, & de l'Arbre qui le porte.

I L eft é tonnant qu 'on ait commencé fi t a rd , à Surinam, à cultiver une plan­

te que l'induftrie humaine travaille avec tant d 'a r t , & dont elle retire un fi grand avantage. Je parle du Cotonnier, que quel­ques particuliers fe font avifés d 'é lever , de­puis vingt ans au plus. Auffi, depuis que le Coton a augmenté en E u r o p e , les Culti­vateurs fe font- i ls multipliés de plus en p l u s , & plufieurs habitants s'en font mê-l é s , par l'appas du gain qu'ils y ont en­trevu. Mais de tous ceux qui l 'ont en-

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t repr i s , il n 'y en a point qui y ait fait plus de progrès , ni qui en ait retiré un profit plus confidérable, que , Monfieur Jean Fe­lix, ancien Confeiller de la Cour de Civile Juf t ice , lequel , par un travail affidu, a fçu tirer un parti confidérable de toutes les mauvaifes terres qu'il avoit fur fon habita­t i o n ; parce que cet arbriffeau croît dans les terreins même les plus maigres & les plus ingrats.

Il y a de plufieurs efpeces de Cotonniers, dont les deux principales fon t , premiére­m e n t , celle qui s'éleve en a rb re , ( a ) dont le Pere du Tertre rapporte qu'il croît à la hauteur de dix à douze pieds, & que l 'on ne connoît à Surinam que fous le nom de Cotonnier Sauvage ; la feconde eft herba­cée (b).

Ma i s , fans entrer dans le détail de toutes les autres efpeces, que plufieurs Natura-liftes décr ivent , je m'en tiendrai à la des­cription de celui que l'on cultive à Surir nam.

Le Cotonnier, dont il eft ici queftion, ne s'éleve qu'à quatre ou cinq pieds de t e r r e , & ne devient jamais gros. Son écorce eft

(a) Xylon arboreum, (b) Xylon herbaceum,

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fort mince & grife ; & le bois en eft blanc tendre & fpongieux. Ses branches vien-nent allez droi tes , & chargées de beau­coup de feuilles, qui font un peu moins grandes que celles du Sycomore , formées comme celles de la v igne , ve lues , & at­tachées à des queues longues & garnies de po i l s : elles font d'un v e r d - g a i , quand elles font nouvel les , & que l'arbriffeau eft Jeune ; mais leur couleur fe charge à me­fure que l'arbriffeau vieillit, Il porte des fleurs en quant i té , belles, grandes , & qui ont la figure d'une c loche , fendues jusqu'à la bafe, en cinq ou fix quartiers ; de cou­leur j aune , mêlée de rouge ou de pourpre . Il fleurit deux fois l ' année , & p o r t e , de m ê m e , un fruit gros comme un œuf de p igeon , lequel étant en maturité s 'ouvre en trois ou quatre por t ions , ou loges , & laiffe voir un flocon de Coton, blanc com­me ne ige , qui fe gonfle, par la chaleur, Jusqu'à la groffeur d'un petit œuf de pou l e : il renferme des femences oblongues, noi­r e s , & groffes comme de petits pois.

C'eft proprement dans l'emploi de cet te ma t i e r e , reçue toute brute des mains de la Na ture , que brille l'induftrie humaine. Car fous combien de formes différentes ne la voit-on pas paroître ? E n mouffeline

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en t ap i s , en c o u v e r t u r e s , en ve lou r s , &c. diverfité qui dépend du choix de la matie­re-, & de la maniere de l 'employer.

Les femmes Créoles , & les Négres-fes , après avoir filé ce Coton, en bro­chent ou tr icotent des b a s , des bonnets & des gan t s , qui font d 'une beauté ache­vée , mais à la vérité fort chers ; car on paye pour une paire de bas , depuis dou­ze jusqu'à quinze florins de Hollande , pour un b o n n e t , depuis deux jusqu'à h u i t , & pour une paire de gants , jusqu'à fept florins.

Les Indiens ou Naturels du pays f o n t , avec ce même Coton , les hangmacs ou b ran les , qu'ils vendent aux Blancs , comme je l'ai dit dans l'article de leur Com­merce.

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C H A P I T R E X V I .

De la culture du Coton, des Moulins pour l'éplucher, et de la maniere dont on l'em­balle.

PO U R V U QUE les Cotonniers foient dans un terrein fec , ils n 'on t pas befoin de

beaucoup de foins ni de dépenfes. On tire ces arbriffeaux de leurs femences, que l 'on plante à une peti te diftance, l 'une de l'au­t re , ob fe rvan t , f e u l e m e n t , qu'elles foient mifes en terre , dans un temps p luv ieux , afin qu'elles puiffent germer d'autant plus v î t e ; & , au bout de neuf mois , l'arbrifieau eft déja parvenu à tou te fa grandeur , & chargé de fruit. On prétend qu'en le cou­pant r a i z - t e r r e , tous les trois a n s , il en por te davantage, & que le Coton en devient plus beau ; mais c'eft ce que j e ne puis affirmer, parce qu'on n'a pas encore fait affez d'expériences fur la culture de ce fruit.

Quand le Coton eft m û r , c'eft-à-dire,

quand toutes les gouffes font bien ouver-

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t e s , on le cuei l le , & on le por t e enfuite à la maifon pour l 'éplucher. Le Moulin, qui fert à cette opéra t ion , eft un chaffis, quarré l ong , compofé de quatre m o n t a n t s , d 'environ quatre pieds de h a u t , qui font joints enfemble par huit entre toifes , qua­t re en hau t , & autant en bas. Il eft tra-verfé par deux fufeaux , ou quenouil les , qui ont des rayures dans tou te leur lon­g u e u r , & qui fe mettent à l 'oppofite, l'u­ne de l ' au t re , par des manivelles, qui font deffous & à côté du chaffis. A ces ma­nivelles font attachées des cordes , qui ré­pondent à des marches , fur lesquelles ce­lui qui travaille met les pieds, p o u r , en les hauffant & baiffant , fucceffivement , l 'une après l 'autre , imprimer le mouve­ment aux quenouilles. L ' o u v r i e r , pour cet effet, eft affis devant le chaffis, & a de­vant lui une peti te planche où il met le Coton, laquelle a fept à huit pouces de large. Elle eft de la longueur du chaffis, & a t tachée , mobi lement , aux montants de celui c i , vis-à-vis & tout proche des deux quenouilles. L 'ouvrier prend le Coton dans un panier , qui eft à fa gauche , l 'étend fur la p lanche , & le pouffe avec la main droi­t e , tout au long des quenouilles, qui l'at­t i rent par leur mouvemen t , & qui font fuffifamment éloignées, pour le la i ffer pas-

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fer ; mais t rop p roches , & t rop fe r rées , pour en faire autant des graines, q u i , étant forcées , par cet obftacle, de fe détacher dur Coton qui les enve loppoi t , & dans lequel elles étoient engagées par l'inégalité de leur fuperficie , tombent à terre entre les jambes de l 'ouvr ier ; pendant que le Coton pris dans les quenouilles paffe de l 'autre c ô t é , & tombe dans un fac o u v e r t , & at-taché à une petite planche , parallele à la p remie re , mais pofée un peu en pente pour en diriger la chute.

Pour l 'emballer, on le foule dans de grands facs de toile fo r t e , que l'on mouil­l e , à mefure que l'on y foule le Coton, pour qu'il ne s'attache pas à la to i le , & que cet te humidité le faffe mieux gliffer. C'eft ainfi qu'on fait des bal lots , depuis trois jusqu'à trois cents cinquante livres : & vo i là , à peu de chofe p r è s , en quoi con­fifte la culture & la préparation du Coton, qui fe font avec tant de facilité, & à fi peu de fraix, qu'avec une trentaine d'Es-claves on peut entretenir un terrein des plus confidérables, planté en Cotonniers, en recueillir une marchandife qui ne le ce­de ni en b o n t é , ni en fineffe, ni en blancheur , à celle du Levan t , & en retirer un produit certain & honnête .

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CHAPITRE XVI I .

De l'Indigo, et de fa Préparation.

CO M M E l'Indigo n'eft guere cultivé à Surinam, il faut croire qu'il n 'y a

pas eu le même fuccès que dans les Colo-

nies Franço i fes , où l'on fait grand cas de

cet te fabr ique, quelque délicate que foit

la culture de cet te plante. Auffi n 'en par-

le ro i s - je pas i c i , fi ce n'eft que je ne veux

rien omettre de ce qui peut avoir rapport

au Plan que je me fuis propofé.

Ce qu 'on appelle Indigo, n'eft propre­

ment qu'un compofé de fécules , qu 'on tire

d'une plante que je vais déc r i r e , parce

qu'elle n'eft pas extrêmement connue .

La p lan te , qui fournit l'Indigo, ou les

fécules en queftion, croît jusqu'à la hau­

teur de deux p ieds , & croîtroit plus

h a u t , fi l 'on n'avoit foin de la couper à ce

degré de hauteur. Elle fe divife, pour

l 'ordinaire, en plufieurs tiges noueufes , &

garnies de beaucoup de petites branches ou

fcions, qui o n t , chacune , depuis huit jus­

qu'à dix couples de feu i l l es , terminées

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par une feule qui fait l 'extrêmité. Ces feuilles font ova les , tant foit peu poin­t u e s , un ies , & fo r t e s , d'un verd-brun par deffus, plus pâ les , & comme argentées par deffous ; elles font c h a r n u e s , & douces au toucher. Les branches fe chargent de fleurs rougeâ t res , de la f igure, à-peu-près , de celles du G e n ê t , mais plus petites ; aux­quelles fuccedent des filiques de trois quarts de pouce de longueur , & de très-petite gros-feur ; lesquelles renferment des graines d'u­ne couleur b r u n e , approchantes , en gros-f eu r , de celles des Raves.

Cette plante demande une bonne ter re graffe, u n i e , & point feche, parce qu'el­le dégraiffe beaucoup le terrein où elle c r o î t , & demande même à être toute feu­le. El le r e q u i e r t , en o u t r e , un foin tou t part icul ier , pour détruire toutes les mau­vaifes herbes qui croiffent à l 'entour.

Il eft à remarquer , qu'avant de femer cette p lan te , il faut bien net toyer le ter­rein ; puis on fait des trous de trois pou­ces de p ro fondeur , éloignés en tout fens , les uns des au t r e s , d'environ dix p o u c e s , obfervant de faire chaque rangée en ligne droite. On m e t , dans chaque t r o u , une douzaine de graines , que l 'on recouvre avec la même ter re . Cette façon de femer

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80 D E S C R I P T I O N

eft ce qu'il y a de plus pénible dans tou te

la Manufacture de l'Indigo ; parce qu'il faut

être toujours courbé.

On doit femer quelques jours avant la

p l u i e , à moins que le terrein ne foit humi­

de , parce qu'alors on eft fur de voir fortir

la p l an t e , hors de t e r r e , dans quatre ou

cinq jours ; après quoi il ne lui faut , tou t

au p lus , que deux mois , pour qu'elle ait

at teint fon degré de ma tu r i t é , & qu'elle

foit en état d'être coupée , avant que les

fleurs paroiffent; parce qu'après la premiere

c o u p e , on peut cont inuer , de fept en fept

femaines , à couper les nouvelles branches

que la plante produit ; ce qui fe doit fai­

re dans un temps pluvieux: car il faut bien

fe donner de garde que ce ne foit dans un

t emps de féchéreffe, parce qu'alors on per-

droit indubitablement la p l a n t e , qui peut

durer quelques années ; après lesquel-,

les on l ' a r rache, & on feme de nou­

veau.

La plante étant parvenue à deux pieds

de hau t eu r , on la coupe à quelques pou­

ces hors de t e r r e , ce qui fe fait avec des

coûteaux courbes , ou ferpet tes , comme

ont les jardiniers; & f o n met cet te herbe

en un monceau dans une toile ou dans un

fac, que l'on l i e , pour être enfuite trans­

por tée au T r e m p o i r , & l'y préparer .

Le

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Le Trempoi r eft une grande cuve quar­r é e , faite d'un bois fort d u r , & le plus épais qu'il eft poffible. Au fond de cette cuve il y a une o u v e r t u r e , contigue à une feconde, à peu près de la même gran­deur que la p remiere , laquelle répond de la même maniere à une troifieme ; de fo r t e , qu'à mefure que l'on débouche les o u v e r t u r e s , la liqueur contenue dans la premiere paffe dans la feconde, & de celle-ci dans la troi­fieme.

La premiere de ces cuves eft fort gran­d e , la feconde eft d'un tiers plus p e t i t e , & la troifieme à proport ion de celle-ci.

C'eft par la premiere qu'on commence à tirer de la p lan te , ces fécules qui for­ment l'Indigo. Pour cet effet , on fait de gros paquets de l 'herbe qu'on a cou­pée , on les met dans la c u v e , on la rem­plit d 'eau, & l'on pofe enfuite des pie-ces de bois fur les paquets , pour les em­pêcher de s'élever au-deffus de l'eau , à peu près comme on fait fur le raifin que l'on met au preffoir; puis on laiffe fermen­ter le tout . La fermentation fe fait en douze ou quinze h e u r e s , plus ou moins , felon que la chaleur eft plus ou moins gran­d e ; & alors on voit bouillonner feau de

Tome II. E

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tous côtés ; de plus elle eft devenue épais f e , & toute b l eue , tirant fur le violet.

Quand l'eau a acquis cet te cou l eu r , on juge qu'elle eft fuffifamment chargée des fels & de la fubftance de la plante , ou des fécules , dont j 'a i parlé , que la fermenta­tion a détachées; p o u r - l o r s on ouvre le robinet de la c u v e , pour la laiffer décou­ler dans la feconde, fans toucher aux her­bes , que l'on j e t t e , enfui te , & qui ren­dent une odeur des plus fétides.

Dès que feau eft dans la feconde c u v e , on l'agite avec des palettes de b o i s , ou on la remue avec des feaux, jusqu'à ce que les fels fe réuniffent & foient comme fuffi­famment coagulés pour former un corps. C'eft dans ce moment où gît tou te la fcien­ce de donner à l'Indigo le grain qu'il lui faut ; mais il n 'y a qu'une longue expérien­ce qui en puiffe inftruire: & quelques principes qu 'on en donnâ t , on n 'y réuffi-roi t jamais fans .joindre la pratique à la théorie .

Quand on a donné le grain à l'Indigo. Von discontinue de le b a t t r e , & on le laiffe fe précipiter au fond de la c u v e , où il s'a-maffe en forme de boue ; & l'eau qui s'eft déchargée de tous les fels dont elle étoit imprégnée , à force de l ' ag i ter , furnage &

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s'éclaircit; p o u r - l o r s on la j e t t e , à pleins feaux. : mais quand on eft parvenu à la fuperficie de l'Indigo, on ouvre le r o b i n e t , pour que le refte s'en écoule dans la troi­fieme c u v e , où on la laiffe repofer encore un peu de t emps ; après quoi l'on met l'In­digo dans des fachets, où il acheve de per-. dre fon humidité.

Quand l'eau en eft ent iérement écou­l é e , on l'étend dans de petites caiffes pour le deffécher ent iérement ; mais il faut obferver de ne point l'expofer au fo­le i l , qui mangeroit fa couleur en le fé­chant ; & il faut auffi le préferver de l'hu­midité , qui le feroit diffoudre.

, On prétend que le meilleur Indigo, & le plus eft imé, doit ê t re l ége r , n e t , Un peu d u r , nageant fur l 'eau, inflammable, & fe confumant presque entiérement. Sa couleur doit être d'un beau bleu foncé , t i rant fur le v io l e t , br i l lant , vif , écla­tant , & q u e , lorsqu'on le frotte fur l'on­gle , il y refte une t r a c e , qui imite le co­loris de l'ancien bronze.

Voilà tou t ce que j 'ai pu recueillir de plus intéreffant, comme de plus néceffaire fur l 'agr icul ture , tant par mes propres ob­fervations , que fur des Mémoires qu'on m'a bien voulu procurer , & que je crois fideles. Si j 'a i omis quelque chofe , ou

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que je me fois t r o m p é , comme nul hom­me n'eft infaillible, je fupplie ceux qui fe croiront mieux informés que m o i , de me faire part de leurs lumieres ; je me fe­rai toujours un vrai plaifir d'en profi ter , & de rendre en tout temps juftice à ceux qui le méri teront .

Paffons maintenant à la defcription des animaux.

C H A P I T R E X V I I I .

Divifion Générale du Regne Animal.

QU O I Q U ' I L fe t rouve un affez grand nombre d'animaux, de toutes les

Efpeces , dans la Colonie de Surinam , & même de plus finguliers que dans beau­coup d'autres pays ; je ne puis m'engager à fatisfaire entiérement les Naturaliftes à ce fujet, quelque envie que j ' en a y e , à caufe des difficultés presque infurmonta-bles qui fe rencontrent dans les recher­ches qu'il faudroit faire , pour les pou-

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voir tous défigner, avec leurs quali tés , propriétés & conformations.

Premiérement , il ell impoflible à un Blanc , foit Créole ou E u r o p é e n , de par cour i r , non feulement toutes les Planta-tioiis de chaque riviere ou c r ique , mais encore l'immenfité des forêts les plus éloi­gnées , pour y découvrir tous les animaux qu'elles r en fe rmen t , dans un pays où l'in­tempérie de l'air caufe de fi prodigieux dé-fordres fur le corps humain. Perfonne ne fçauroit fe figurer les peines & les fatigues que l'on effuyeroit dans l 'exécution d'une telle ent repr i fe , ni les obftacles que l'on y t rouveroi t . Il n 'y a d o n c , en fecond l i eu , que les N e g r e s , ou les naturels du paye, qui foient en état de foutenir toutes les fatigues inféparables de pareilles courfes ; parce que tous temps leur font égaux , foit pluie ou beau t emps , & que la t rop grande ardeur du foleil ne les incommode pas plus que les grandes fraîcheurs des n u i t s ; mais il leur manque l ' intelligence, que produit le goût de ces fortes de recher­ches. Ainfi il faudroit commencer par les bien inftruire de ce qu'on exigeroit d'eux ; ce qui ne feroit pas une petite difficulté; & enfuite les y encourager par des récom­penfes proportionnées à l ' in térê t , qui les domine tous naturel lement: car je ne CON-

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nois pas de peuple qui y foit plus fenfi­ble. T o u t cela prouve le peu de facilité qu'il y a à être parfaitement inftruit. Quant à m o i , je me contenterai de décrire ce qui m'en eft c o n n u , en y ajoutant ce que j 'ai pu recueil l i r , par le fecours de mes amis , depuis le premier Ouvrage que j 'ai publié fur le même fujet.

E t pour t ra i te r , avec o r d r e , une ma­tiere qui eft aujourd'hui fi répandue dans le monde fçavant, je diviferai le Regne Ani­mal en fix Claffes.

Dans la p r emie re , je parlerai des Ani­maux qui ont du po i l , au moins à quel­ques parties du co rps , quatre p ieds , & auxquels les Naturaliftes ont donné le nom de Quadrupedes , nom qui dérive du Latin Quadrupes.

Dans la feconde,je. traiterai de l'Ornitho­logie, nom qui dérive du G r e c , & qui ca-raftérife tous ceux qui ont tout le corps couver t de p l u m e s , avec un bec analogue à la c o r n e , & qui ont deux aîles & deux pieds ; connus fous le nom d'Oifeaux.

La troifieme renfermera ceux qui vivent tantôt fur terre & tantôt dans l 'eau, & ceux qui fe traînent fur le v e n t r e , dont le corps eft ordinairement nud , & qui ont quatre pieds , ou dont le corps eft couver t d'écailles, & qui n'ont point de pieds; Ani-

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maux connus fous le nom d'Amphibies & de Reptiles.

Dans la quatrieme il fera queftion de l'Icthyologie, (nom qui dérive auffi du Grec ) ou de ceux qui ont des nageoires cartila-gineufes, qui ne respirent que par des o u ï e s , vis-à-vis desquelles font placés des trous ; ou bien qui ont des nageoires com­pofées d'offelets, & respirent de même que les précédents , par des ou ïes , fur lesquel­les font des couvercles compofés de parties offeufes: Efpeces connues fous le nom de Poiffons, dont l 'élément eft l 'eau.

La cinquieme fera celle des Infectes, dont le fort eft de fubir plufieurs méta-morphofes , avant que d'être parve­nus à leur accroiffement parfait. Ce fon t , p r o p r e m e n t , tous les animaux qui n ' o n t , avant leur derniere métamorphofe , que quelques ftigmates, ou organes de la res­piration , mais qui enfuite ont des antennes à la t ê t e , toujours fix p ieds , & jamais plus.

Dans la fixieme & derniere claffe , je parlerai des V e r s , lesquels font fusceptibles de mouvemen t , de contraction & d'cxten-0.on.

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C H A P I T R E XIX.

Des Quadrupedes.

L E Bœuf, (a) animal domeft ique, eft une bête à co rnes , d'une grande uti­

l i t é , foit pour la nourr i ture de l ' homme, ou pour la culture des terres. On lui don­ne le nom de v e a u , jusqu'à l'âge de deux ans : s'il vieill i t , fans qu'on le c h â t r e , il prend celui de taureau ; mais après cet te opé ra t ion , on ne le nomme plus que Bœuf.

Les Bœufs de Surinam ne font pas , à

beaucoup p r è s , fi gros ni fi gras que les

n ô t r e s , quoique la chair en foit très-bon­

ne . Ils pefent , tout au p lus , depuis cinq

jusqu'à fept cents livres. Ce fon t , com­

me je l'ai déja fait remarquer plus h a u t , les

Plantages qui en fourniffent aux Boucheries

de la Vi l le , par la quantité de ces animaux

qu'on y éleve : ce qui fait encore une par­

(a) Bos domefticus: en Hollandois Os; en Allemand

Ocbs,

Du Bœuf.

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tie de Commerce pour le Planteur. On s'en fert auffi pour les Moulins à Su­cre.

Les Vaches (b) domeftiques y font auffi en affez grande abondance ; mais elles ne fourniffent pas la même quantité de lait que celles de Hollande, parce que les pâ­turages y étant plus maigres , ne leur four­niffent pas la nourr i ture qui leur convien-droit à ce t effet; d'où l'on peut s'imagi­ner que le lait eft fort cher dans la Co­lonie , & qu'on n'y fait guere de beurre .

Les Veaux y font affez ra res , parce qu'on a foin de les châtrer de bonne h e u r e , pour en avoir plus d 'argent , en les vendant com­me bœufs aux bouchers .

Il y a auffi des Buffles ( c ) , qui ne font pas plus gros que des veaux d'un an. Leur peau eft toute tachetée dé noir & de brun. Leurs cuiffes & leurs jambes font fort cour­t e s , & leur tête très-large , de même que la poitrine ; & la partie poftérieure de leur corps eft étroite. Leur queue , qui n'eft pas fort l ongue , n'a pour tout poil qu'une

Des Vaches.

Des Veaux,

Des Buffles.

(b) Vacca domeftica: en Hollandois Коc: en Alle­mand Kub.

(c) Buffelus: en Hollandois Buffel: en Allemand, de même.

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touffe de longs crins à fon extrêmité . Leur chair eft infiniment meilleure que celle du veau. Il y en a qui pefent jusqu'à fix cents livres.

Ce qu'il y a de remarquable dans cet animal , c'eft q u e , lorsqu'il eft pourfuivi par quelques gros chiens , il n'a point d'au-t re retraite que de fourrer fa tête dans quelque t r o u , ou de s'élancer dans quelque riviere ou cr ique; de forte qu'il eft bien­tô t at trapé.

L 'on éleve auf f i beaucoup de Boucs do­meftiques (d ) fur plufieurs Plantages ; mais ils ne font pas fi grands que les nô­t r e s : je n 'en connois , d 'ai l leurs , point de fauvages.

Il ne manque p o i n t , dans le pays , de Brebis (e) domeftiques; mais elles ne font ni fi grandes ni fi graffes que les n ô t r e s , quoique la chair en foit très-bonne.

Comme par-tout où il y a des Brebis , il doit néceffairement y avoir des Bel iers , je ne ferai point de defcription de ceux-ci , qui ne different en r i en , en mâles , de ce que les autres font en femelles.

(d) Hircus domefticus : en Hollandois Bok : en Alle-

niand Bock.

(e) Ovis domeftica : en Hollandois Scbaap : en Alle-

jnand Scbaff-,

Des Boucs.

Des Bre-bis.

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DE S U R I N A M . 91

Les ChEvres ( f ) , qu'on n o m m e , dans

le pays , Cabrits, y font fort abondantes ,

parce qu'elles font très-bonnes à manger.

Elles fon t , à peu p r è s , de la grandeur des

brebis ; leurs cornes font rondes , d ro i t es ,

& cannelées en fpirale, du haut en bas.

Il y a de plufieurs Efpeces de Cochons à

Surinam. La premiere eft le Cochon dome-

Jiique, ( g ) qu'on éleve dans toutes les Plan­

ta t ions , pour en faire commerce avec les

Bouchers. L'Efpece en eft petite ; mais la

chair en eft d'autant mei l leure , qu'ils font

nourris avec des teies ou ignames, ce qui

la rend plus f e r m e , & moins odorante que

celle des n ô t r e s , qui ne fe nourriffent pres­

que que d'immondices. Leur couleur eft

femblable à celle des nôtres .

La feconde Efpece eft le Cochon Maron,

(b) lequel eft lui-même a u f f i de deux Efpe­

ces. Ceux de la premiere font fort c o u r t s ,

& ont la tête groffe, & les jambes de de­

vant plus courtes que celles dé derriere ; ce

qui fait que ces animaux font fujets à cul­

buter en courant. Ils font armés de lon-

(f) Capra: en Hollandois Geyt: en Allemand

Geiff. (g) Sus domefticus : en Hollandois Vark: en Alle-

snand Schwein.

(h) Sus major niger,

Des Che­vres.

Des dif-férentes Efpeces de Co­chons.

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gues défenfes, qui les rendent très-dange­reux pour les chaffeurs. Ceux-ci font tous noirs.

La feconde Efpece de Cochons Marons dif­fere très-peu des Cochons domeftiques; & la chair de toutes les deux ef t , non feule­m e n t , fort blanche , mais très-déhcate.

La troifieme Efpece de Cochons (i) eft celle qui approche le plus du Sanglier. On regarde ceux-là , dans le pays , comme fauvages ; au f f i po r t en t - i l s le nom de Pingo. Ils ont le nombril fur le d o s , près de la ré­gion lombaire. C'eft une peti te poche ou efpece de foupirail, d'environ un pouce ou deux de profondeur , entre le cuir & les mus­cles , lequel fert d'égoût à une mat ie re , ou humeur onctueufe , d'une odeur affez dés­agréable.

Mais ce qu'il y a de plus remarquable , dans cette Efpece de Cochons Sauvages, c'eft qu'ils s 'at troupent ordinairement , & vont toujours dans les bois , par bandes , quelquefois de trois cen t s ; & q u e , quand ils font la rencontre de que lqu 'un , ils font craquer leurs d e n t s , d'une maniere à faire trembler l 'homme le plus in t r ép ide , & fe je t tent incontinent fur lu i : ce qui les rend très redoutables. Il n 'y a que deux mo­yens pour s'en garant ir , dont le premier

(i) Sus maximus, umbilico in dorfo,

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eft de grimper fur un arbre ; mais le plus fûr eft de les attendre de pied f e rme , en lâchant fon u r i n e , parce qu'ils en redouten t extrêmement l 'odeur.

S'il arrive qu 'on en tue un de la b a n d e , ils fe rejoignent tout de fuite , pour ne pas laiffer vuide la place du mort . Cette Efpe­ce a la même chair , que celle du Cochon domeftique, mais plus délicate. Les Negres font affez adroits à les t u e r ; & , même à fe faifir de leurs j eunes , qu'on éleve com­me le Sanglier.

La quatrieme Efpece de Cochons eft celui d'eau (k). C'eft un animal amphibie , qui eft plus fouvent dans l'eau que fur la ter­r e , où il va , de temps en t emps , brou­te r l 'herbe la plus tendre. Il a le poil fort c o u r t , mêlé de noir & de blanc , en forme de bandes , qui s 'étendent en l ong , depuis la tête jusqu'à la queue. Ses pattes n 'on t que trois ongles , & reffemblent, par­fa i tement , à celles du Canard. Il ne gro­gne po in t , mais fiffle comme un Yfard : fa chair eft très-bonne.

La cinquieme Efpece eft le Cabiaï, (l) qu'on nomme ainfi parce q u ' i l eft auf f i am­phibie. Il eft , à peu p r è s , de la grandeur

(k) Sus aquaticus mufticulus.

(l) Porcus fluviatilis, ou Sus maximus paluftris.

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d'un Cochon de deux ans ; fa tête a près de

huit pouces de longueur , fon mufeau eft

gros & o b t u s , & fa mâchoire inférieure eft

plus courte que la fupérieure; fes yeux

font grands & noirs ; fes oreilles petites &

pointues : il a des mouftaches, comme cel­

les du Cha t , & n'a presque point de queue.

T o u t fon corps eft couver t d'un poil noi­

râ t re , rude & fort cour t : il eft délicieux

à manger.

Quelque peti t que foit le Porc-épic, ( m )

comme il n'en eft pas moins du genre des

Cochons, c'eft pour cela que je le place ici.

Celui qu'on t rouve dans les b o i s , à Suri­

nam , a le mufeau femblable à celui du Co­

chon; fes oreilles font fort pe t i t e s , & pres­

que cachées fous les p iquants ; fes yeux

font grands & bri l lants; toute fa longueur

eft d'environ deux pieds & d e m i , c'eft-

à-dire , depuis l 'extrêmité du mufeau jus­

qu'à celle de fa queue ; fes jambes font

fort c o u r t e s , & fes pieds reffemblent à

ceux du finge.

T o u t fon co rps , excepté fes p i e d s , eft

couver t de p iquants , de deux pouces &

demi de l o n g ; j aunes , depuis leur origi-

(m) Hyftrix longus caudatus, brevioribus aculeis : en Hollandois Steekel-Varken : en Allemand Stachel-Schwein.

Du Porc-épic.

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ne jusqu'à peu près la moi t i é , & l 'autre eft noire ou d'un brun r o u x , terminée par une pointe blanche & fort aiguë : ceux qui lui couvrent la tê te , font moins longs.

Ses narines font environnées de longs po i l s , qui forment une ba rbe , femblable à celle du chat; fa queue n'eft couverte de piquants que jusqu'à la mo i t i é , & l 'autre a des poils femblables aux foies de Cochon. Il femble que la peau de cet animal foit mob i l e , tant il a de vivacité à faire mou­voir les dards dont elle eft garnie. Il n'eft point méchan t , & ne mord perfonne; mais fitôt qu'on le harcel le , il fe met en colere & dreffe fes p iquants , pour fe met t re à l'a­bri de toute infulte.

La Loutre (n) eft un animal amphibie & te r re f t re ; g r o s , à peu p rè s , comme un Re­nard. On lui d o n n e , dans le pays , le nom de Tovous. Cet animal , qu'on peut appeller vo race , e f t , néanmoins , plus a-vide de poiffon que de chair; auffi fe tient-i l , le plus fouvent , aux rivages de la mer ou des r iv ieres , pour faire la chaffe aux poiffons : fa peau eft grifâtre , tachetée

De la Loutre.

(n) Lutra: en Hollandois Otter: en Allemand Fisch-otter.

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de blanc. La longueur de fon co rps , de­

puis la tête jusqu'à la queue , n ' a , tou t

au plus , que deux pieds; fes yeux font

t rès-pet i ts ; fes oreilles courtes & rondes ,

& placées plus bas que les yeux. Il a les

jambes très-courtes, & fes doigts t iennent

les uns aux autres par une - forte mem­

brane , pareille à celle des Canards : il

en a cinq à chaque p ied , garnis de pe­

tits ongles fourchus. Comme cet animal

habite presque toujours les e a u x , on

n'a jamais entendu qu'il ait attaqué per­

fonne.

Les Chevaux, (o) qui font nés dans le

pays , ne font gueres plus grands que des

A n e s ; ils font ronds & fort ramaffés, &

néanmoins parfaitement bien proport ion­

n é s : ce qui les rend le plus recommandables,

c'eft qu'ils font extrêmement vifs & infati­

gables pour toutes fortes de travaux. On

s'en fert pour les Moulins à Sucre ; mais

ils font fort chers ; car on les vend depuis

deux jusqu'à trois cent cinquante florins

de Hol lande , la piece. E t l'on a très-grand

foin d'en multiplier l 'Efpece; parce que

cela fait encore une branche de commerce

pour un Planteur.

Les

(o) Equus Surinamenfis : en Hollandois Paard: en Allemand Pferd ou Rofs.

Des Chevaux.

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D E S U R I N A M . 97

Les Anes (p ) & les Mulets (q) fönt as-fez rares dans la Colonie; encore font-ce les Anglois qui fourniffent le peu qu'il y en a pour les Moulins à S u c r e .

Les Tigres-(r) font tellement répandus dans toute l 'Amérique, qu'il ne faut pas s 'étonner fi l'on en t rouve auffi à Surinam. C'eft un animal carnaffier, c rue l , f é roce , fauvage, difficile à apprivoifer, & dont il faut fe défier, parce qu'il eft toujours prêt à mal faire : il tient beaucoup du cha t ; mais il eft bien plus grand & plus fort.

Le Tigre eft , peu t -ê t re , le feul de tous les animaux dont on ne puiffe amollir le naturel : ni contrainte ni violence ne le peuvent dompte r , la douceur encore moins ; car il s'irrite des bons comme des mauvais t ra i tements : r i e n , enf in , ne peut fléchir cette nature de fer. La faim, qui appri-voife les animaux les plus féroces , à la vue des al iments , ne fait qu'aigrir le fiel de fa rage : il déchire la main , qui le nour­r i t , comme celle qui le frappe ; il rugit à

Des Anes, et des Mu­lets.

Des Ti­gres.

(p) Afinus vel Equus, auriculis longis fiaccidis : en

Hollandois Ezel: en Allemand Esel.

(q) Mulus vel Equus, auriculis erectis : en Hollan­

dois Muil-Ezel: en Allemand Maul-Esel,

(r) Tigris Americana : en Hollandois Tiger ; en Al­

lemand Tiger-thier.

Tome II, G

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98 D E S C R I P T I O N

l'afpect de tout être vivant ; chaque objet lui paroît une nouvelle p r o i e , qu'il dévô-re d 'avance, de fes regards avides , qu'il menace par des frémiffements affreux, ac­compagnés de grincements . de d e n t s , & vers lequel il s'élance fouvent , malgré les chaînes & les grilles qui mettent obftacle à fa fu reur , fans pouvoir la calmer. T e l eft le caractere de ces animaux, de la peau desquels on fait tant de cas en Europe , mais de la chair desquels on n'a jamais é té friand : fi ce n'eft les Ind iens , qui la mangent & ne la t rouvent pas mau­vaife.

Les Tigres, fo i -di fant , que l'on voit à Surinam, ne font pas plus grands que des lévr ie rs , & en ont toute la taille. On en t r o u v e , néanmoins , qui ont trois p i e d s , depuis le bout du mufeau jusqu'à l'origine de la queue. Ils ont la tête comme cel­le des cha t s , la gueule fort la rge , des poils en mouftaches, les dents fo r t e s , aiguës , longues , les yeux jaunâtres & étince-lan ts , les pieds larges, partagés en cinq doigts , & armés d'ongles longs & a igus , qu'ils cachent quand ils veulent. Ils o n t , comme les cha ts , une queue affez l o n g u e , bien fournie de poil. Il y en a qui font jaunât res , avec des taches no i res ; ceux-

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D E S U R I N A M . 99

là font de la grande Efpece: ceux de la peti te font tachetés de noir & de blanc.

Il y a une troifieme Efpece , qui eft pro­prement le Chat-Tigre (s); lequel eft auffi tacheté de noir & de b lanc , & qui fe laiffe quelquefois apprivoifer , quand on le prend âgé de huit jours.

Tou tes ces trois Efpeces, quelque bel­les qu'elles foient , ne laiffent pas que d 'être très-fouvent le fléau des Plantages ; fur-tout les deux premieres , parce qu'elles at­taquent les chevaux & les bœufs ; & s'ils parviennent à en met t re à m o r t , ils les entraînent avec eux dans les b o i s , quel­que gros qu'ils foient , pour les y éven-trer & les dépecer à leur aife. S'ils peu­ven t pénétrer dans la baf fe -cour , ils en font de même : de forte que ces animaux font à redouter de toute maniere. Mais comme les Negres font excellents Chas-feurs , auffi-tôt qu'ils s 'apperçoivent de leurs traces , ils les veillent tel lement qu'il ne leur en échappe gueres : à quoi les engage leur propre in t é rê t ; les N e ­gres, des Plantages ayant en leur particu­lier des volailles à eux , indépendantes de celles de leurs Maîtres.

(s) Feles fera Tigrina : en Hollandois Tyger-Kat :

en Allemand, Tiger-Katz.

G a

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1 0 0 D E S C R I P T I O N

On donne le nom de Mange-fourmis (t) à un animal, qui a un peu la figure du renard. Il y en a de trois Efpeces à Suri­nam.

Le premier de ces animaux (u), a de­puis l 'extrêmité du mufeau, jusqu'au bout de la queue , au moins fept pieds. Ses jambes de derriere font longues d'un p ied , & cel­les de devant font un peu plus cour tes ; il a quatre doigts aux pieds de devant , & cinq à ceux de derr iere , tous armés d'ongles très-forts : fon mufeau eft extrêmement al­longé ; mais l 'ouverture de fa bouche n'eft certainement pas proport ionnée à la gran­deur de l 'animal, car elle eft fort pe t i te : fes orei l les, en revanche , font fort lon­gues. Il a les yeux grands : fa queue , qui reffemble à celle d'un cheval , eft toute garnie d'un poil tout no i r , de la longueur de fept pouces , & tout plat. Son corps eft couvert d'un long poil no i r , mêlé de blanc ; & fa langue a près de dix-huit pou­ces de longueur. De toutes les trois Efpe­ces , celui-ci eft le plus grand man­geur de fourmis. On le voit r a r e m e n t ,

(f) Tamandua, vel Myrmecophaga : en Hollandois Miere-Eeter : en Allemand Ameifen-Freffer.

(u) Tamandua-Guacu, five major. Pifon Hift: Natur :

figur: p: 320.

Des Man­geurs de fourmis.

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D E S U R I N A M . 101

parce qu'il habite les bois les plus éloignés. J'ai eu cependant la peau d'un , dont un Garde-Côte m'avoit fait préfent avec la langue ; mais je n'ai pu la conferver , par­ce qu'elle n'étoit pas bien préparée. Il m'avoit affuré l'avoir tué lui-même, dans les bo is , du côté de la mer.

Le fecond eft de la moitié plus pe t i t ; mais il eft , en toutes fes par t ies , confor­me au précédent. Sa couleur eft d'un roux-brun. Son corps eft couvert d'un poil fort doux , & fa queue eft presque rafe.

Le troifieme eft encore d'une plus peti­te Efpece; il n ' a , tou t au p lus , depuis l 'extrêmité du mufeau, jusqu'à celle de fa q u e u e , que dix-huit pouces. T o u t fon corps eft couvert d'un poil j aunâ t re , mê­lé de gr is , auffi d o u x , au toucher , que de la foie: fon mufeau eft t rès -cour t ; fes oreilles auffi ; & fes yeux extrêmement pe­tits.

Ces trois Efpeces d'animaux ne vivent que de fourmis. Lorsqu'un d'eux a dé­couvert quelqu'une de leurs re t ra i tes , il fouille avec fes ongles , pour en élargir l ' en t rée , & arriver au centre de la four-miiUere; pu is , il y fourre auffi-tôt fa lan­gue , laquelle y pénetre dans toute fa lon­g u e u r ; & comme elle eft naturellement

G 3

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102 D E S C R I P T I O N

onctueufe , les fourmis , qui font toutes en

défordre, s'y a t tachent , de forte qu'en la

ret irant il les avale : il réitere ce manege ,

tant qu'il fent des fourmis dans un endro i t ;

après quo i , s'il a encore faim, il en va

chercher d'autres. Cette nou r r i t u r e , qui

paroît fort l égere , fuffit néanmoins à la

fubfiftance de ces animaux, qui ne vont ja-,

mais que la n u i t , & fe retirent de jour

dans leurs tanieres. Ils marchent fort len-

tement . Les femelles, à ce qu'on m'a as-

furé , met tent bas autant de petits qu'elles

ont de t e t t e s ; ce qui pourroit les faire re­

garder comme des truies.

Je ferois porté à croire qu'il y a des

Cerfs (v) dans presque toutes les parties

de l 'ancien, comme du nouveau Cont inent ,

mais qui different dans leur grandeur , com­

me dans la forme de leurs b o i s , & de leurs

Efpeces.

Ceux qu'on a à Surinam, y font abon­

dan t s , de deux Efpeces , & different, de

ceux d 'Europe.

La premiere Efpece (w) eft la Biche de

Bois, qui eft originaire du pays , du moins ,

(v) Cervus; la femelle Cerva : en Hollandois Hart, & la femelle Hinde : en Allemand Hirfch, & la femel-]p Hinde.

(w) Çervus major, corniculis breviffimis.

Des Cerfs.

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D E S U R I N A M . 1 0 3

depuis bien des fiecles; & qu'on appelle, indifféremment, de ce n o m , foit mâle ou femelle; quoique le Cerf ait un bois fur la tête , & que la femelle n 'en ait pas.

Cet animal eft fort v i f , & très-léger à la courfe ; il eft couver t d'un poil fauve-rougeâ t re , affez court & épais. Sa tê te eft petite & décharnée: il a les oreilles min­c e s , le col long & a rqué , & la vue per­çante. Sa chair eft fort délicate, quoi­qu'elle ne foit pas fort graffe. Son bois n'eft pas fort grand ; i l eft même rare qu'il ait deux ou trois fourchures ou andouil-1ers".

La feconde Efpece eft le Chevrotin (x), qui eft plus petit que la Biche. Ses oreil­les font pe t i t e s , & fa queue eft courte & obtufe. Son poil eft d'un j aune- roux , parfemé de taches blanches, femblables à celles du tigre. Ceux-ci fe t i ennen t , or­dinairement , dans les marais , ce qui rend leur chaffe très-pénible pour les Blancs ; mais les Negres Chaffeurs les at tendent à l'affût, dans les fentiers où ils ont remar­qué leurs, traces. Ces fentiers conduifent ordinairement à quelques criques ou ruis-•feaux, ou à certaines favannes naturel les ,

(x) Cervus minor, paluftris; vel Cervula fubrubra, albis maculis.

G 4

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104 D E S C R I P T I O N

où ils von t paître. Dès que ces animaux approchent de ces lieux, qui font ordinai­rement découver ts , ils s 'arrêtent , prêtent l 'orei l le , regardent de tous cô tés ; & la moindre chofe qu'ils en tendent , les fait relancer dans les bois. C'eft dans ces oc-cafions que les Negres & les Indiens font fort pa t ients , pour faifir le moment de ti­rer deffus ; & qu'un Blanc ne pourroit l 'être autant , tant par rapport à la cha­leur du climat, qu'à cause des autres incommodités qu'il lui faudroit effuyer.

La chair de celui-ci eft infiniment meilleu­re que celle du précédent. Les Indiens , ou Naturels du pays, font auffi fort adroits à fe faifir de petits. Chevrotins, qui te t tent encore leurs meres ; ils épient le moment que la mere va pa î t r e , les p rennen t , & les é levent , bien fouvent , jusqu'à ce que leur bois commence à pa ro î t r e , après quoi ils les t u e n t , pour les manger.

Le Renard (y), dit Mr . de Buffon, eft fameux par fes rufes, et mérite la réputa­tion qu'il a d'être le plus fin de tous les ani­maux. Ce que le loup ne fait que par la for­ce, il le fait par adreffe, réuffit plus fou-yent. Sans chercher à combattre, ni les chiens,

(y) Vulpes : en Hollandois Vos : en Allemand Fucbs.

Du Re­nard.

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DE S U R I N A M . 105

ni les Bergers, fans attaquer les troupeaux, fans traîner des cadavres, il eft plus fur de vivre; il emploie plus d'efprit que de mouve­ment ; fes reffources femblent être en lui mê­me ; et ce font, comme on le fçait, ce qui lui manque le moins. Fin autant que circon-fpe£t, ingénieux et prudent, même jusqu'à la derniere patience, il varie fa conduite, il a des moyens de réferve, qu'il fçait employer à propos : il veille de prés à fa confervation, et quoiqu'infatigable , et même plus léger que le loup, il ne fe fie pas entiérement à la vîtes-fe de fa courfe. Il fçait fe mettre en fûreté en fe pratiquant des afyles, où il fe retire dans les dangers preffants, où il s'établit, et où il éleve fes petits; car il n'eft point animal va­gabond , mais domicilié.

Les Renards, qu'on a à Surinam, y font connus fous le nom de Quaffi. Il y en a de plufieurs Efpeces, qui different de ceux d 'Eu rope , par rapport à leur grandeur. Leur figure approche affez de celle d'un ch ien , excepté que leur mufeau eft plus allongé. Il y en a qui font capables d'en­lever un coq d'Inde de douze à quinze li­vres.

Ceux de la feconde Efpece reffemblent parfaitement à un ch ien , tant parce que leur queue eft remplie de po i l , que parce qu'ils aboient comme lui.

G 5

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106 D E S C R I P T I O N

Ceux de la troifieme Efpece ont les jam­bes fort courtes.

La couleur des premiers eft gr i fâtre , cel­le des feconds j aunâ t re , & celle des troi­fiemes b r u n â t r e , dans le commencement ; mais ils deviennent , par la fui te , presque tou t n o i r s , ayant alors un collier tout blanc à l 'entour du col.

Ces animaux fe logent , ordinairement , aux bords ou à l 'entrée des bo i s , où ils écoutent le chant des coqs , & le cri de la volail le; ils les favourent de lo in , pren­nent habilement leur t e m p s , cachent leurs deffeins, déguifent leur marche , fe gliffent, fe t ra înen t , ent rent dans les baffe-cours, & font rarement des tentatives inutiles pour les ravager , & y met t re tout à m o r t : ils fe ret irent enfuite lentement , en em­portant avec eux une partie de leur p r o i e , qu'ils cachent foigneufement; puis ils rev iennent , quelques moments après , en chercher d ' au t re , & continuent ainfi cet te manœuvre , jusqu'à ce qu'ils fe foient emparés de tout leur bu t in , ou que le j o u r , ou quelques mouvements dans les mai­fons voifines, les avertiffent de fe reti­rer .

Les N e g r e s , ennemis jurés de ces ani­m a u x , ont foin de les pourfuivre, dès qu'ils t rouvent le moindre dégât dans leurs

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baffe - cou r s , ou qu'ils en apperçoivent qui viennent pour en faire , & ils ne man­quent guere de les a t t raper , ou de les tuer .

I l y a encore un animal , qui reffemble affez au renard , c'eft l'Agouti (z). Il eft de la groffeur d'un lievre , & fort agile. Sa tê te approche un peu de celle du blai­reau ; fes oreilles font courtes & arron­dies: il eft couvert d'un poil rouffâtre, mais r u d e ; fa queue eft courte & fans poil : ce qui me feroit croire que c'eft véritable­ment une efpece de blaireau , parce qu'il a le mufeau pointu. Sa mâchoire inférieu­re eft plus courte que la fupérieure: il a les yeux no i r s : fes jambes de devant font plus courtes que celles de derr iere , & il a quatre doigts aux pieds de devan t , & trois à ceux de der r ie re , armés d'ongles aigus.

On prétend que cet animal a l 'ouïe fort fubti le , & qu'il eft extrêmement craintif. Lorsqu'il eft i r r i t é , il hériffe le poil de fon d o s ; il frappe la terre avec fes pattes de devan t ; il grogne, comme un cochon , & mord : on p e u t , cependant l'apprivoifer. Il habite ordinairement le creux des arbres

De l'A-gouti-

(z) Cuniculus omnium vulgatiffimus, Agouti vul-go.

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ou des fouches pourries. Ceux qui fe t iennent dans lés Plantages, fe nourris-fent de frui ts , de pa ta tes , & de caffaves ; & ceux des bois , de feuilles & de raci­nes.

La chair de ceux qui font gras & bien nour r i s , n'eft pas mauvaife à manger , quoi qu'elle ait un petit goût fauvage , & qu'elle foit un peu dure. Les Indiens la regardent comme un mets délicieux

L e nom qu'on donne au Pareffeux (aa), lui convient tellement qu'il ne faut point de lévriers pour le prendre à la courfe. Il y en a de deux Efpeces dans le pays ; un grand & un petit . Le premier eft de la grandeur d'un renard, tout couvert d'un poil fort épais, varié de gris & de blanc. Le fecond eft de la moitié plus pe t i t ; mais fon poil efl tout gris. La tête de cet ani­mal a quelque chofe de celle du finge. Sa gueule eft affez grande & armée de dents ; il a les yeux triftes & abat tus; fes jambes de devant font plus longues que celles de der r ie re ; fes pieds font fort p la ts , armés de trois ongles longs & pointus : il n'a presque point de queue. Il vit fur les ar­bres , dont il mange les f e u i l l e , les bour-

(aa) Ignavus: en Hollandois Luiaart: en Allemand

der Faule.

Des Pa-reffeux.

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geons & les fruits. Il lui faut un temps infini pour , y mon te r ; chaque mouve­ment qu'il eft obligé de faire , lui coûte bien des cr is , & il fe repofe à tout moment. Quand il eft une fois grimpé fur un a rb re , il n 'en descend que quand il n 'y a plus de feuilles; alors la faim le preffant, il fonge à paffer à un a u t r e ; mais il emploie tant de temps à descendre, & à chercher celui où il veut fe loger , qu'il devient extrême­ment maigre, avant que d'avoir t rouvé de quoi fe nourrir. 11 lui faut pour le moins deux j o u r s , pour monter fur un grand arbre , & autant pour en descendre. A peine fait-il cinquante pas fur t e r r e , par jour. La rofée des feuilles lui fuffit pour fa boiffon. Il a une voix auffi claire que celle d'un jeune chat.

On prétend que fa chair eft bonnet à manger , & qu'elle eft tendre & d'un bon goût. On le tue aifément, à caufe de fa lenteur à marcher ; de forte que la chaffe de cet animal ne demande pas de fort habi-les tireurs : mais il eft certain , q u e , lorsqu'il t ient entre fes griffes une branche d 'a rbre , il faut le t u e r , pour lui faire lâcher pri­f e ; & s'il fur t e r r e , il faut lui cou­per la p a t t e , pour on débarraffer le doigt ou la main de quelqu'un qui auroit eu le mal­heur de s'en laiffer faifir.

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Les Armadilles, (bb) ou Tatou, Sont as-

fez communs dans le pays. Il y en a de deux Efpeces, un grand & un petit .

Le premier eft le grand Tatou à tê te de chien (cc); fecond, le petit Tatou

(dd).

Le premier eft de la grandeur d'un co­chon de lai t , d'environ fix femaines. Sa t ê t e , qui eft affez groffe, reffemble par­faitement à celle d'un chien l évr ie r ; fa gueule eft bien armée de dents ; il a les yeux pe t i t s ; mais des oreilles grandes; la queue longue , & fans poil ; les jambes courtes. & groffes : il a quatre griffes à cha­que p ied , affez longues & fortes. Il eft couvert d'un teft offeux, en forme de deux boucl iers , l'un antér ieur , & l 'autre poftérieur, convexe en deffus, & concave en deffous, entre lesquels font plufieurs bandes é t ro i t es , jointes enfemble par u n e peau membraneufe, qui leur laiffe la liber­té de fe m o u v o i r , & de gliffer les unes fur les au t res ; ce qui lui donne la facilité de fe mettre en bou le , comme le hériffon. Ces boucliers font couverts d'écailles, de même que fa queue. La peau qu'il a fous

(bb) Armadillo : en Hollandois Scbild-Verken.

(cc) Tatus caninus major. (dd) Tatus minor.

De l'Ar-madille.

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D E S U R I N A M . 111

le ventre eft grife, fans p o i l , & paroît même affez délicate. Dès qu'il a p e u r , il ret ire fa tête entre fes boucl iers , & ne laiffe voir que le bout de fon grouin ; il ploie enfuite fes pieds fous fon v e n t r e , & fa queue par deffus ; fes écailles fe refer­m e n t , & le cachent en t i é r emen t : de for­te q u e , les deux extrêmités de l'animal fe rapprochant , il devient , p réc i fément , comme une boule applatie fur fes deux poles.

Il fe nourr i t de feuilles, de fruits & de racines , qu'il découvre avec fes griffes , & qu'il coupe avec fes dents. Il ne monte ni ne grimpe jamais fur les arbres ; il n'eft pas non plus fort habile à la courfe. Sa chair , qui eft blanche & graffe, eft fort délicate, mais un peu fade. Le nom de Tatou, qu'il p o r t e , lui a été donné par les naturels du pays.

Le fecond n'a guere plus d'un pied & demi de longueur , en comptant depuis l 'extrêmité du mufeau, jusqu'à celui de fa queue. Le mufeau de celui-ci eft fort pointu ; mais fa tête eft petite ; fes oreilles font courtes & couvertes de très-fines écail­l e s ; fa queue , qui eft affez groffe à fon or ig ine , & qui diminue peu à p e u , eft compofée d'anneaux écailleux.

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La chair de celui-ci eft toute auffi bon­ne que celle du précédent ; mais elle doit être bien affaifonnée d 'épiceries, pour la rendre agréable.

Quoiqu'il y ait plufieurs Efpeces de Rats, on les comprend toutes cependant fous un même g e n r e , & on ne les diftingue que par la longueur de leur q u e u e , leur cou­l eu r , ou leur différente groffeur. T o u s o n t , en général , les pieds de derriere plus longs que ceux de devant.

Le Rat, dit Mr . de Buffon, eft carnas-fier et même omnivore; il femble, feulement, préférer les chofes dures aux plus tendres; il ronge la laine, les étoffes, les meubles, perce le bois, fait des trous dans les murs , fe loge dans l'épaiffeur des planchers, d'où il ne fort que pour aller chercher fa fubfiftance, fou­vent il y transporte tout ce qu'il y peut traî­ner : il y fait même quelquefois magafin, fur-tout lorsqu'il a des petits. Ils produifent plu­fieurs fois par an, et leurs portées ordinaires font de cinq ou fix. Ils fe plaifent beaucoup plus dans les pays chauds, que par-tout ail-leurs ; et malgré les chats , le poifon, les pie­ges, et les appâts, ces animaux pullulent fi fort , qu'ils caufent fouvent de grands dom­mages.

Il y en a dans les habi ta t ions , comme dans les maifons des par t icu l ie rs , & dans

les

Des dif­férentes Efpeces de Rats.

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D E S U R I N A M . 113

les bois , un affez grand nombre de diffé-rentes Efpeces.

Le premier , qui eft le Rat domeftique (ee), eft t rop c o n n u , pour qu'il foit néceffaire que j ' en faffe ici la defcription.

Le fecond eft un Rat de Bois (ff), qui a une tête fort grande , de très-belles oreil­l e s , droites & fans po i l , & une petite ba rbe , comme celle du chat. Son poil eft d'une couleur b runâ t re , mêlée d'un peu de blanc: je c ro is , m o i , que c'eft une efpece de Loir.

Le troifieme eft un Rat de Marais ( g g ) , qui fe tient auffi dans les bois. Touce la partie fupérieure de fon corps , & l'exté­rieur de fes jambes , font d'un fauve clair; & la partie inférieure & l 'intérieur des jam­bes font blanches. Sa queue eft fort lon­gue , couverte de quelques poils fort clair-femés ; & fes oreilles font comme celles du Rat domeftique.

Le quatrieme eft encore un autre Rat fauvage (bb) , dont le mâle por te les tefti-

(ee) Mus domefticus major, five Rattus : en Hollan­

dois Rot: en Allemand Ratz.

(ff ) Mus major agreftis.

(gg) Mus paluftris bispidus, caudâ longiffimâ, fupra

dilute fulvus, infrâ albicans.

(bb) Mus fcalopes.

Tome II. H

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1 1 4 D E S C R I P T I O N

cilles fous la peau de l 'abdomen. Sa tê te reffemble à celle d'un cochon. Il eft ex­t rêmement velu ; & fes po i l s , qui font fort longs , font d'une couleur rouffâtre; mais fes p ieds , ni fa q u e u e , n 'en ont point du tout .

Le cinquieme eft un Rat d'Eau ( i i ) , dont tout le corps eft couvert de poils noirs & r o u x , à la partie fupérieure; le refte de fon corps eft d'une couleur cendrée , & mêlée d'un peu de jaune.

Le fixieme eft le Rat blanc ( k k ) ; il n'eft guere plus grand que la plus groffe fou-ris. Il a la tête un peu ob longue , & une mouftache de quelques poils noirs. Tou t , le corps de cet animal, qui n'eft pas fort commun dans le pays , eft couvert d'un beau p o i l blanc & court .

Le feptieme eft le Philandre (ll) , que les Naturels du pays appellent Avari. La femelle de cet animal eft avantagée par la Nature d'une poche ou bour­f e , qu'elle a fous le v e n t r e , pour foi-gner fes p e t i t s , qui naiffent les yeux clos.

A peine a-t-elle mis bas fes p e t i t s , q u i

(ii) Mus aquaticus. (kk) Mus albus. (ll) Mus marfupialis.

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D E S U R I N A M . 1 1 5

f o n t , quelquefois, au nombre de cinq ou

fix, qu'elle les m e t , tout de fui te , dans

fa bour fe , pour les réchauffer. Elle les

t ransporte partout dans cette bour fe , qui

eft garnie d'autant de mamelons qu'elle

peut faire de pe t i t s , & elle les y allaite.

Lorsqu'il fait chaud, ou que le foleil eft

fort ardent", cette tendre mere di la te ,

avec une grande fubtili té, fa bourfe , afin

que fes petits en fo r t en t , & qu'ils puis-

fent jouir du même degré de chaleur , qu'ils

y a v o i e n t ; ce qui n 'ef t , bien fouven t ,

que momentané , parce qu'au moindre bruit

qu'elle en t end , elle court après e u x , &

les remet tout de fuite dans leur domici­

l e , pour les transporter dans un endroit

plus tranquille. On prétend qu'elle ne

fouffre l 'approche d'aucun mâ le , jusqu'à

ce qu'elle ait fevré fes petits : ce qui prou­

ve l 'amour tout particulier qu'elle a pour

fa progéni ture .

Comme les Souris (mm) font du gen­

re des Rats, je les place à leur fuite.

La Souris, dit M r . de Buffon, eft beau­

coup plus petite que le Rat, et beaucoup

plus nombreufe auffi, plus commune, et plus

(mm) Mus: en Hollandois Muis: en Allemand Maus.

H 2

Des Sou-ris.

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généralement répandue.- Elle a le même in-ftinît, le même tempérament, le même na-turel, et n'en differe guere, que par la foibleffe , et les habitudes qui raccompa­gnent.

L'Efpece en eft généralement répandue en Europe, en Afie, en Afrique, et dans toute l'Amérique.

La Souris domeftique eft fi c o n n u e , par elle-même, & par les défordres qu'elle fa i t , que je dirai feulement que cel le , qu'on a à Surinam, ne differe en rien de la nôt re . Mais les Souris de Bois (nn) ont le mu­feau fort pointu , les oreilles grandes & affez larges, le corps couvert de poils d'un ba i - rouge clair. Les yeux leur fortent de l 'o rb i te ; ils font b leus , & extrême­ment vifs & perçants. Elles m e t t e n t , or­dinairement , bas , jusqu'à huit p e t i t s , lesquels, au bout de cinq ou fix j o u r s , s 'accrochent tellement fur le dos de leur m e r e , qu'elle les y p o r t e , p a r t o u t , avec elle.

Il y a encore une autre Efpece de Sou­ris (oo) de Bois, qui ne differe de la pré­céden te , qu'en ce que fa queue eft une

(nn) Sorex fylveftris.

(oo) Mus, caudâ longiffimâ.

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fois plus l o n g u e , & fon mufeau moins pointu.

Le Chat (pp) eft fi néceffaire pour dé­truire les deux Efpeces que je viens de dé­crire , qu'on ne fçauroit presque s'en pas-fer. Ce qui n'empêche p a s , cependant , qu'on ne doive le regarder comme un do­meftique infidele, parce qu'il a une malice i n n é e , un саracterе faux, & un naturel pervers . La forme du corps , & le tem­pérament , font d'accord avec le naturel de cet animal; ca r il eft jo l i , fouple , lé­g e r , vif , adroi t , vo lup tueux , & propre ее qui eft très-rare dans les animaux. L à femelle paroît être plus ardente que le mâ le ; elle le c h e r c h e , elle l 'appelle, elle l ' inv i te , elle annonce par de hauts c r i s , appellés miaulements, la fureur de fes dé-firs; elle le pourfui t , le m o r d , & le for­c e , pour ainfi d i r e , à la fatisfaire; quoi­que les approches du mâle lui p r o c u r e n t , fuivant les apparences, ,de vives douleurs; ce qui fe reconnoit aux cris furieux qu'elle je t te .

Ce t animal, fans ê t re dreffé, devient de l u i - m ê m e un très-habile chaffeur ; mais

Du Chat.

(pp) Felis domefticus : en Hollandois Kat : en Alle-

mand Katze.

H 3

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fon na tu re l , ennemi de tou te con t ra in te , le rend incapable d'être discipliné. Son grand a r t , dans la chaffe , confifte dans l'adreffe & dans la pat ience; tout vif qu'il ef t , il peut relier un temps infini, com­me immobile , à épier les animaux à qui il en veut , & manque rarement fon coup.

Le Chat qui ne vit que de r a t s , de fou-r i s , & d'autre chair , doit être regardé comme abfolument néceffaire, tant dans les maifons que dans les habitations ; auffi n 'en manque-t-il point à Surinam; & l'on a foin d'en faire venir d 'Eu rope , quand on en a befoin. Mais ce qu'il y a de plus furprenant , c 'eft, que ces animaux s'y res-fentent de la douceur du cl imat, qui les por te à l'indolence & à la fainéantife, & qu'ils n 'y ont pas cette même vivacité qu'en E u r o p e .

Pour ce qui eft des Chats fauvages, je n 'y en connois point.

Le Hériffon (qq) eft un petit animal, gros comme un lapin , qui fréquente ordi­nairement les bois. Il a , depuis le bout du mufeau, jusqu'à l'origine de fa q u e u e , environ huit pouces de long. Sa tête eft

(qq) Erinaceus Surinamenfis : en Hollandois Egel: en Allemand Igel,

Du Hé-riffon.

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groffe & c o u r t e , auffi-bien que fon col ; fa queue n'eft pas non plus fort l ongue , ni couverte de beaucoup de poils. I l n'a point d 'oreil les, mais fimplement des t r o u s , par lesquels il entend. Ses pieds ont cha­cun cinq doigts , armés d'ongles longs , aigus & crochus. T o u t e la partie fupé­rieure de fon corps eft couverte de pi­quants c o u r t s , g r o s , d u r s , & d'un cen­dré tirant fur le jaune pâle : le devant de fa t ê t e , fon v e n t r e , & fes pieds, font couverts de poils foyeux & blanchâtres. Ceux qui lui couvrent le v e n t r e , font plus longs , & moins, rudes au f f i que ceux qui couvren t le ventre de nos hériffons or­dinaires. Il a , au deffus des y e u x , des poils c o u r t s , d'un brun foncé , & aux cô t é s , vers les t empes , de longs.& noirâ-tres.

Quand il a p e u r , il fe met en r o n d , ca­chant , par ce m o y e n , fa tête & fes pieds , & n'offre, de toutes pa r t s , qu'une boule épineufe: mais il ne faut pas pour cela confondre cette Efpece avec le Porc-épic, qui en differe par la grandeur & la for­me de fes aiguillons.

La chair de cet animal eft fort b lanche ,

& l'on prétend que les Indiens la mangent

avec appétit ; ce qui ne m'étonneroit

H 4 .

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pas , parce que cet animal ne fe nourr i t que de frui ts , d'œufs de fourmis , d'herbes & de racines.

Le Chien ( r r ) , dit Monfieur de Buffon, indépendamment de la beauté de fa forme, de fa vivacité, de fa force,et de fa légéreté, a, par excellence, toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l'hom­me. Il poffede un fentiment. délicat, exquis, que l'éducation perfectionne encore. Ce qui rend cet animal digne d'entrer en fociété avec l'homme, c'eft, qu'il fçait concourir à fes deffeins, veiller à fa fûreté, l'aider, le défendre , et le flatter. Il fçait, enfin, par des fervices affidus, et par des careffes réitérées , fe conci­lier fon maître, le captiver, et de fon tyran fe faire un protecteur.

Il y a trois fortes de Chiens à Suri­nam..

Le premier eft le Chien domeftique, dont l'Efpece eft plus petite que celle d'Eu­rope .

Le fecond eft le Chien fauvage (ss), qui féjourne dans les bois. Il a environ trois pieds de long. Sa queue eft fort

(rr) Canis: en Hollandois Hond ; en Allemand Hund.

(ss) Canis Americanus Sylveftris, caudâ longiffi-

Des Chiens.

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D E SURINAM. 1 2 1

longue: fon poil eft d'une couleur cen­

drée. On le conno î t , dans le pays , fous

le nom de Crahedago, ce qui fignifie man-

geur de volailles ; parce qu'il en eft en effet

très-friand, & que c 'e f t un vrai deftructeur

de baffe-cour. Mais les N e g r e s , qui font

intéreffés à fa p e r t e , ne lui font guere de

quartier.

Le troifieme eft le Chien d'eau (tt).

Celui-ci eft plus petit que le précédent , &

ne fait pas le même dégât. C'eft un ani­

mal amphibie , c'eft-à-dire , terreftre &

aquat ique, qui eft presque tout noir. Il a la queue c o u r t e , & la tête fort groffe &

fort large.

Ecureuil (uu) eft un joli petit animal,

qui n'eft qu'à demi-fauvage, & qu'on ap-

privoife facilement. Il n'eft ni carnaffier ,

ni nuifible, quoiqu'il faffe, quelquefois ,

la chaffe aux oifeaux. Il fe nou r r i t , or­

dinairement , des fruits qu'il t rouve, tou­

te l ' année, fur les arbres. Il eft fort

p r o p r e , le f te , vif, t rès -a le r te à fauter

d'un arbre à l 'autre ; il a les yeux pleins

de feu , la phyfionomie fine, le corps ner­

veux , les membres très-dispos ; & fa jo-

(tt) Canis Aquaticus. (UU) Sciurus : en Hollandois Eick-boorn : en Allemand

Eycborn.

H 5

De l'E-cureuil.

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lie figure eft encore rehauffée par une bel-le queue , en forme de panache, qu'il re­l e v e , jusques par-deffus fa t ê t e , & fous la-quelle il fe met à l 'ombre.

Il y en a de deux Efpeces à Surinam: le p remie r , qui eft plus peti t que l'Ecu­reuil d 'Eu rope , eft d'un gris obfcur , dans la partie fupérieure du co rps , & d'un gris b lanc , dans la partie inférieure. Les poils de fa queue font c o u r t s , & un peu rouffâ-tres .

Le fecond eft presque de la couleur du caffé b rû lé , & affez garni de poils. Il eft d'un tiers plus petit que le p récédent , & fa queue eft affez cour te ,

Le Veau marin, (vv) ou Phocas, eft un animal amphibie , dont la femelle dépofe à te r re fes pe t i t s , au nombre de deux ou t r o i s , tou t au p lus ; mais elle ne fçauroit y refier cependant fort long- temps, fans re tourner dans l ' eau , pour y prendre fa nourr i ture . Elle allaite fes petits fur ter­r e , pendant douze j o u r s ; après quoi elle les mene dans l 'eau, pour les a c c o u t u m e r , peu-à-peu, à y chercher la nourr i ture qui leur eft propre . Cet animal vient fouvent

Du Veau marin.

(vv) Pboca feu Vitulus marinus : en Hollandois Zee-Kalf ou Zee-Hundt: en Allemand Meer-Wolf ou Meer-Hundt.

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dormir à t e r r e , & il ronfle fi hau t , qu'il fait un bruit pareil à celui du veau ter­ref t re , quand il beugle. Il a , depuis le bout du mufeau , jusqu'à l'origine de fa q u e u e , quatre pieds de long. Son mufeau eft oblong; fes yeux font grands & en­foncés profondément dans l 'orbite. Il n'a point d 'oreil les, ex tér ieurement ; ma is , à leur p lace , il a des t r o u s , par lesquels il entend. Son col eft ob long , & fa poitri­ne large. Ses jambes font tout-à-fait ca­chées fous la peau : il n 'y a que les pieds qui paroiffent; ceux de devant ont quatre ou cinq pouces de long , & ceux de derrie­re en ont huit à neuf. Tous leurs doigts font joints enfemble, par de fortes mem­branes , & armés d'ongles forts. Sa queue a aux environs de deux pouces & demi de l o n g , & eft platte horifontalement. T o u t fon corps eft couvert de poils t rès -cour t s , ro ides , d'un gris t r è s - lu i f an t , & marqué de quelques taches noirâtres en deffus, & d'un blanc fale & jaunâtre en deffous. Te l eft le Veau Marin, qu'on appelle im­proprement , dans le pays , Zee-Hond ou Zee-Kou.

On t rouve cet animal dans les gran­des cr iques, & très-fouvent à terre , quand la femelle y vient met t re bas fes petits.

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Lorsqu'il va dans l 'eau, & qu'il s'y excite à des mouvements d'impulfion avec fes jambes de der r ie re , on peut remarquer qu'il réunit longitudinairement fes mem-b r e s , de maniere à ne leur donner que la figure d'une queue de poiffon fourchue , mais perpendiculaire. Cet animal eft d'ail­leurs fi g r o s , & fes jambes, comme je l'ai d i t , font fi cou r t e s , que lorsqu'il eft c o u c h é , la rondeur de fon ventre les empêche pres­que de toucher à terre : ce qui ne l 'empê-che pas de s'en fervir , non pas à miarcher, ni à cour i r , mais à fe traîner plus vîte qu'on ne le croiroit . Ses griffes font très-dangereufes, parce qu'elles font extrême­ment pointues.

Le Paca ( w w ) , connu dans le pays , fous le nom de Pakiri, eft une efpece de lapin , d'une grandeur peu commune. Il y en a , depuis un jusqu'à trois pieds de long. La tête de cet animal eft très-groflfe ; fa mâchoire inférieure eft plus courte que la fupérieure. II a une barbe femblable à celle du l i ev re ; des oreilles pointues & cou r t e s , auffi bien que fa queue. Il a les jambes de devant un peu plus

(WW) Cuniculus major, fasciis albis notatus : en Hol­

landois Konyn: en Allemand Künigle.

Du Paca.

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courtes que celles de der r ie re , & il a cinq doigts à chaque pied. Son corps eft couvert d'un poil t r è s -cour t , rude au t o u c h e r , d'un fauve foncé en deffus, avec des bandes é t ro i t es , longitudinales, de chaque c ô t é , lesquelles font d'un blanc jaunâ t re ; & le refte du corps , en deffous, eft de la même couleur.

Cet animal hab i te , ordinairement , les bois les plus éloignés de la Vi l l e , & fouil­le la t e r r e , comme le cochon , pour trou­ver fa fubfiftance. Sa chair eft très-bonne à manger. Les Indiens lui font continuelle­ment la guerre : mais ils ont de la peine à le prendre v ivan t ; ca r , quand on le fur-prend dans fon terrier , qu'on découvre par devant comme par derr iere , il fe dé­fend alors avec autant d'acharnement que de vivaci té , & cherche à mordre ceux qui veulent s'en faifir. Sa peau , qui eft fu­p e r b e , à caufe des taches blanches qu'elle a , pourroit bien fervir à faire une belle fourrure.

Les Lievres ( x x ) , & les Lapins (yy), de

(xx) Lepus : en Hollandois Haas : en Allemand

Hafe.

(yy) Coniculus: en Hollandois Konyn : en Allemand

Kaninchen.

Des Lie­vres et des La-pins.

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toutes les Efpeces, abondent dans le pays. La chair des uns & des autres eft très-bon­ne ; elle a m ê m e , dans les faifons feches, un fumet qui ne le cede en rien à ceux d ' E u r o p e ; parce q u e , dans ce temps-là , les feuilles & les f rui ts , dont ils fe nour-riffent, font bien meilleurs que dans les temps pluvieux. Ces animaux peuplent beaucoup.

Les Lievres de ce pays font d'une Efpe­ce différente des nôtres. Le plus grand n ' a , tout au p lus , depuis l 'extrêmité du mufeau, jusqu'à celle de la q u e u e , qu'en­viron vingt pouces. Son corps eft cou­ver t d'un poil long , rouffâtre & r u d e , m ê l é , quelquefois, de quelques poils gris. Ses oreilles font fort longues. Sa chair eft très-délicate.

Il y a des Lapins de bois & de marais ; mais plus petits que les nôtres. Leurs o-reilles font courtes & rondes ; leur tête eft fort groffe, leur col l ong , & leur queue très-courte. Leur corps eft couvert d'un poil d o u x , couleur d e cend re , mêlé d'un peu de blanc.

D e tous les a n i m a u x , qui font ré­pandus fur la furface de la t e r r e , il n 'y en a point qui approche tant de l 'hom­m e , par la conformation de fes par t i es ,

Des dif­férentes Efpeces de Singes.

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que le Singe, de quelque Efpece qu'il foit.

Il a dans la face quelque chofe de res-femblant à l 'homme ; il a des poils aux deux paupieres , comme l u i ; ce qui fe t rouve rarement dans les autres animaux ; il fe fert de fes quatre pieds aux mêmes ufages que l 'homme fait de fes deux pieds & de fes deux mains ; & ces quatre membres font conformés comme ceux de l ' homme, jusqu'au doigt du milieu de fes deux pattes de devan t , qui eft plus long que les au­t r e s , de forte que ce font véritablement des mains ; il fe fert même avec plus de dextérité de fes pieds de derriere que l 'homme ne le pourroi t faire ; & n'a point de poil aux feffes, ni dans l 'organe de l 'o­reille.

Ce que le Singe a de p lus , que tout au­tre animal, font deux poches , une de chaque c ô t é , entre la joue & la mâchoi­r e , où il met en dépôt ce qu'il veut ca­cher ou conferver: les Naturaliftes appel­lent ces poches , Salles.

Les mêmes Naturaliftes diftinguent deux fortes de Singes ; ils appellent Cercopithe­ques ceux qui ont une longue queue , & Cynocéphales ceux qui n 'en ont p o i n t , & qui ont une tête allongée : mais ces deux

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fortes en comprennent une quantité pro­digieufe d'Efpeces, qui different entre el les, en grandeur , en couleur , & en beaucoup d'autres manieres.

Pour peu qu'on veuille amplement s'en inf truire , on peut avoir recours à la divi­fion qu'en donne Mr. de Buffon: quant à m o i , je n 'entreprends de décrire que ceux qu'on t rouve dans la Colonie de Surinam , tant ceux qui en font originaires, que ceux qui y ont été apportes d 'Afr ique; dont voici la lifte.

Le premier eft le Babouin (zz), qui ef t , à peu p r è s , de la grandeur d'un gros chien de boucher. Son mufeau eft a l longé, & obtus vers le b o u t ; fa queue eft très-c o u r t e , & il la por te toujours é l evée ; fes feffes font fans po i l s , & de couleur de fang, comme fi on les avoit écorchées : fes jambes font courtes , & fes ongles très-aigus & un peu recourbés ; fes oreil­les font n u e s , & de couleur b r u n e ; elles forment une petite pointe dans leur par­tie fupérieure; elles ne font pas bordées , & n 'ont point de petit lobe. T o u t fon

corps

(zz) Papio: en Hollandois Baviaan: en Allemand

Pavyon.

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corps eft couver t d'un fort long p o i l , d'u­ne couleur b r u n e , noirâtre & rouffâtre, parfaitement mêlangé de ces trois cou-leurs.

Quoiqu'il foit féroce & méchant , il n'eft cependant pas du nombre des ani­maux carnaffiers ; car il ne fe nourr i t que de f rui ts , de racines & de mil.

Le fecond eft le Cercopitheque d'Ango­la (aaa). Celui-ci a des abajoues & des callofités fur les feffes : il a la queue auffi longue que tout le co rps , la tête y com-pr i fe , ce qui peut aller environ à dix-huit à vingt pouces ; la tête groffe , & le mufeau de même ; la face n u e , livide & r idée ; les oreilles velues ; le corps cour t & ramaffé; les jambes courtes & groffes. Le poil des parties fupérieures eft d 'un cendré ve rdâ t r e , & fur la poitrine & le ventre d'un gris jaunâtre. Il porte une pe­t i te crête de poils au deffus de fa tête, C'eft , de tous les finges, celui qui s'apprivoife le plus.

Le troifieme eft le Singe gris, à tête noire ( b b b ) , connu dans le pays , fous le nom

(aaa) Cercopithecus Angolenfis, major, (bbb) Cercopithecus cinereus cirratus , capite ni-

gro.

Tome II. I

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de Meekoe. Il a , pareillement , des abajoues & des callofités fur les feffes ; fa queue eft plus longue que fon c o r p s : il a le mufeau large & r e l e v é , la face tou­te n o i r e , & les oreilles petites & de la même couleur. T o u t le poil de fon corps eft d'un gris f o n c é , tirant un peu fur le roux . Il a environ un pied & demi de l ongueu r , depuis l 'extrêmité du mufeau jusqu'à l'origine de fa queue.

Voici ce qu'il y a de plus remarqua­ble dans cette Efpece. P r e m i é r e m e n t , c'eft qu'ils dérobent les f ru i t s , & furtout les cannes de fucre ; & , qu'en fecond l i eu , pour y parven i r , avec plus de fû­re té , l 'un d'eux fait toujours fentinelle fur un a r b r e , pendant que les autres fe chargent du b u t i n : s'il apperçoit quel­q u ' u n , il crie d'une force fuffifante à le faire entendre des autres , qui jet tent alors les cannes qu'ils t iennent d'une main ; & , s'ils font vivement pourfuivis, ils je t tent encore ce qu'ils peuvent avoir dans l ' au t re , pour être plus agiles à fe fauver , & pouvoir grimper plus facile­ment fur les a rbres , où ils font leur de­meure ordinaire. Les femel les , m ê m e , chargées de leurs petits , qui les tien­nent étroi tement embraffées, fautent auffi

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comme les au t r e s , mais tombent quelque­fois.

Cet te Efpece ne s'apprivoife qu'impar-faitement ; il faut toujours les tenir à la cha îne , & dans cet état ils ne produifent jamais leur femblable: il faut pour ce­la qu'ils foient en liberté , & dans les bois.

Le quatrieme eft un Cercopitheque va­rié (ccc). Il a , depuis le fommet de la t ê t e , jusqu'à l 'origine de la queue , douze pouces ; & fa queue en a bien feize de longueur. La bour fe , ou p o c h e , qu'il a de chaque côté de la mâchoire infé­rieure , eft affez grande pour contenir une groffe noix. Ses oreilles font rondes. L a couleur de fa face eft bafanée. Il a un bandeau de poils gris für le f r o n t , & u n e bande de poils no i r s , qui lui prend de­puis les yeux jusqu'aux oreilles ,& depuis les oreilles jusqu'aux épaules & aux b r a s , une efpece de barbe grife , formée par les poils de fa gorge & du deffous du c o l , lesquels font plus longs que les autres. Son poil eft d 'une couleur rouffâtre fur le c o r p s , & blanchâtre fous le ven­t re .

(ccc) Cercopithecus variatus.

I 2

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Le cinquieme eft le Mouftac de la Cote d'Or. On l'appelle auffi blanc-nez; parce qu'il a le deffous du nez & la levre fupé-r ieure d'une blancheur éc la t an te , tandis que le refte de fa face eft d'un bleu noirâ­t r e . Il a des abajoues & des callofités fur les feffes, comme ceux dont j 'ai déja parlé. Son corps eft court & ramaffé ; il po r t e deux gros toupets de poil d'un jau­ne vif, au deffous des orei l les, & un au­t re de poil hériffé fur le fommet de la tê­te . Le poil du corps eft d'un cendré ver-dâtre ; & celui de la poitrine & du ven­t r e , d'un cendré blanchâtre, Il a, tout au p l u s , un pied de longueur , depuis le mu­feau jusqu'à l'origine de fa queue.

Le fixieme eft un Cercopitheque (ddd), qui reffemble plus que tous les autres à la créature humaine. Il eft c o n n u , dans le p a y s , fous le nom de Ouata. Il e f t , à peu p rè s , de la grandeur d'un renard. Il a la face é levée , les yeux noirs & pleins de f eu , les oreilles rondes & fort c o u r t e s , la queue longue , nue vers fon ex t rêmi té , & roulée en fpirale, au moyen de quoi elle lui fert à s'attacher fortement à tout ça

(ddd) Cercopithecus major, niger, faciam humanam

referens.

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qu'il peut joindre. T o u t fon corps (ex-cepcé la moitié poftérieure de fa q u e u e , & fes pieds , qui font b runâ t re s , ) eft cou­vert de longs poils noirs & luifants, com­me du ja is , mais fi bien couchés les uns fur les au t r e s , que l'animal en paroît tou t brillant. Il a fous la gorge & le menton de plus longs poils , qui lui forment une efpece de barbe ronde.

Il n'a que quatre doigts aux pieds de d e v a n t , le pouce lui manquant , fans qu 'on en voye le moindre veft ige, ni qu'on fen­te r i en , fous la p e a u , qui en indique le principe. Ses pieds de derriere ont cha­cun cinq doigts , & font formés comme ceux des autres animaux de ce gen re ; il a la plante des quatre pieds n o i r e , les on­gles plats & de la même couleur ; fa q u e u e , qui eft un peu cyl indr ique, a , pour le mo ins , vingt pouces de longueur. Ce t te Efpece ne p r o d u i t , ordinairement , qu'un ou deux pe t i t s , chaque fois. Ils font leur nourr i ture principale de toutes les efpeces de f rui ts ; & deviennent fi g ras , dans le temps de leur r eco l t e , & furtout quand il y en a en abondance , que l'on prétend qu'alors leur chair eft très-bonne à man-ger.

Le feptieme eft le Sapajou brun (eee),

(eee) Cercopitbecus fuscus capitis vertice nigro.

I 3

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Il n'a ni abajoues, ni callofités fur les fes-fes. Sa grandeur eft d'un p ied , depuis l'ex-t rêmité du mufeau jusqu'à l'origine de fa queue. Il a la face & les oreilles couleur de chai r , avec un peu de duvet par-des-fus ; la cloifon des narines épaiffe, & les narines ouvertes aux cô t é s , & non pas au deffous du nez. Ses yeux font b r u n s , & fes oreilles reffemblent à celles de l 'hom­me ; fa queue eft nue par deffous, à l'ex­t r ê m i t é , & fort touffue fur tout le refte de fa longueur. Les uns ont le poil noir & b r u n , tant autour de la face , que fur toutes les parties fupérieures du corps; les autres l 'ont gr i s , autour de la face , & d'un fauve brun fur le corps : ils ont égale­ment les mains noires & nues.

Le huitieme eft le Sapajou jaune (fff). Il a huit pouces depuis le fommet de la tête jusqu'à l'origine de la queue ; & fa queue en a dix. Il a les oreilles grandes & cou­vertes de poils affez longs , & d'un blanc fale; les ongles longs & o b t u s , excepté ceux des pouces , qui font plus courts & arrondis ; fon poil eft très fin, doux au toucher , blanchâtre dans la partie infé­rieure du corps , & mêlé de b r u n , de jau­ne & de b lanc , dans la partie fupérieure.

(fff), Cercopitbecus luteus,.

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Ses quatre pieds font d'un jaune rouffâtre ; fa queue eft de la même couleur que le deffus. du co rps , dans tou te fa longueur , excepté le b o u t , qui en eft un peu noir.

Le neuvieme eft le Cercopitheque à tête, de mort ( g g g ) , qu'on conno î t , dans le pays , fous le nom de Monkie. Il a le nez très-court , les yeux enfoncés dans leurs orbi­t e s , la têce r o n d e , en devant , & couver­te d'un poil rouffâtre. Sa face eft blan­c h â t r e ; le bout de fon n e z , & le tour do fa bouche font no i r s ; fes oreilles font dé­nuées de poils , affez grandes, & femblables à celles de l 'homme. Il eft fort ridé; fes ongles font courts & applatis; fa queue eft l ongue , affez groffe, & reffemble à celle d'un rat . Les poi ls , qui lui cou­vrent le d o s , font d'un roux moins foncé que celui de la tê te . Il a la peau entiére­ment chauve , depuis le menton jusqu'au v e n t r e , & à la partie intérieure des cuis-fes. La partie extérieure des cuiffes, fes pieds & fes re ins , font couverts de très-peu de poi ls , d'un jaune clair.

Le dixieme eft le Sagouin noir (bbb). I l a , depuis l 'extrêmité du mufeau, jusqu'à

(ggg) Cebus, caput mortuum.

(bbb) Cercopitbecus minimus, totus niger; Leontoce-

f h a l u s , auribus élepbantinis,

I 4

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l'origine de fa queue , huit p o u c e s ; & Ca queue en a environ douze. Ses oreilles font longues & dénuées de poi ls , & elles reffemblent à celles d'un Eléphant. T o u t fon corps eft couvert d'une efpece de laine noire frifée.

Le onzieme eft le Sagouin noir à pattes jau-nes. Celui-ci eft de la même Efpece que le Singe c i -deffus , excepté que les extrê­mités de fes quatre pattes font d'un jaune couleur d'orange.

Le douzieme & dernier eft le Cercopithe­que à mufeau de chien (iii). Celui-ci a non-feulement le vrai mufeau d'un chien; mais il lui reffemble, d'ailleurs, en tout . Son poil eft fort c o u r t , & d'une couleur rouffâtre , mêlée d'un peu de noir.

On ne fçauroit d isconvenir , qu'en géné­ral les Singes ne foient fort laids. Peu d'a­nimaux ont les membres auffi forts qu ' eux : leur tempérament eft fort lubr ique; & il n 'y en a point qui ne foient extrêmement enclins à v o l e r , à déchirer & à caffer ; mais en revanche ils font très-ingénieux, & adroits dans toutes leurs actions; fenfibles au b ien-ê t re , à la décreffe, & témoignan t , en tout t e m p s , leurs paffions d'une manie­re très-expreffive, par leurs trépignements.

(iii) Cercopitbecus roftro canino.

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DE S U R I N A M . 137

Si on les ba t , ils ont l'art de foupirer , de

gémir , de p leurer , & de pouffer, fuivant

les c a s , des c r i s , qui expriment parfaite­

ment l 'épouvante ou la dou leur , la co­

lere ou le mépris. Ils fçavent faire des

grimaces & des poftures fi plaifantes & fi

r idicules, que l 'homme le plus phlegmati-

que n'y peut t en i r , & fe t rouve forcé

d'en rire.

Ces animaux ont un inftinct tout parti­

cul ier , pour connoître ceux qui leur font

la g u e r r e , & pour chercher les m o y e n s ,

quand ils font a t taqués , de fe fecourir , &

de fe défendre mutuellement. Leurs ar­

m e s , furtout parmi les plus grands, font

des branches d'arbres , qu'ils caffent &

qu'ils lancent à leurs ennemis de tou te

leur force ; ou bien leurs excréments ,

qu'ils reçoivent dans leurs ma ins , & qu'ils

leur jet tent à la tête , avec une adreffe ad­

mirable. Point de défer teurs , ni de traîneurs

parmi eux ; ils fautent d'arbres en a rbres , très-

habilement ; & fi quelqu'un d'entre eux eft

bleffé, ils en paroiffent triftes. S'il s'agit

de traverfer une r iv ie re , ils s'affemblent

en certain n o m b r e , pour s'y élancer au

premier coup de fignal.

On leur apprend facilement à danfer, à

embraffer, & à faire toutes fortes de t o u r s ,

même à laver la vaiffelle, à pouffer la

I 5

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138 D E S C R I P T I O N

b r o u e t t e , à jouer du t ambour , à rincer les v e r r e s , à donner à bo i re , à tourner la b r o c h e ; & c . d'où l'on peut inférer qu'ils comprennen t le langage de l ' homme, fans pouvo i r le répéter : mais ils font excellents pan tomimes , & portés à imiter tou t ce qui fe préfente à leurs yeux. Ils r éponden t , par fignes, avec intelligence ; demandent , ou g ronden t ; affectent un gefte ou une con tenance , qui imite beaucoup les atti tu­des humaines ; & apprennent , en un m o t , tout ce qu'on leur enfeigne. Ces animaux aiment beaucoup toutes fortes de f ru i t s , & fe nourriffent , communémen t , de mil ou mahis , & de racines ; ce qui rend leur chair fi bonne & fi dél icate, que les Ne­gres & les Indiens la mangent t r è s -vo lon­tiers.

Quoique les Chauve-Souris (kkk) aient quelque chofe de commun avec les oifeaux, par rapport à leur v o l , elles fon t , néan­moins , de vrais Quadrupedes , par différents caracteres , tant intérieurs qu'extérieurs. Leurs poumons , le cœur , les organes de la générat ion, & tous les autres visceres, font femblables à ceux des Quadrupedes , à l'ex­ception de la v e r g e , qui eft pendante &

(kkk) Vefpertilio: en Hollandois Vleder-Muys: en

Allemand Fleder-Maus.

Des Chauve-Souris,

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D E S U R I N A M . 139

dé tachée , fuivant la remarque de Mr . de Buffon : ce qui eft particulier à l ' h o m m e , au f inge, & à cet te Efpece. Ces animaux produifent , comme les Quadrupedes , leurs petits vivants. Les femelles ont deux ma­melles , & n ' o n t , o rd ina i rement , que deux p e t i t s , q u i , dès qu'ils font nés, s'y attachent : on dit qu'elles les allaitent, même en vo­lant , & en les t ransportant d'un endroit à. l 'autre.

Les Chauves-Souris fe t rouvent répandues pa r tou t : il y en a même de monftrueufes à Surinam. , Les domeftiques y font auffi plus grandes que les nôtres ; & elles o n t , pres­que t o u t e s , la tê te tou te r o n d e , & le mu­feau d'un lievre. Leur corps eft couver t d'un long poil rouffâtre; & l'on en voit en abondance.

Les grandes Chauve-Souris habitent les bois.. Il y en a d'une grandeur prodigieu­fe : celles qu 'on nomme à téte de chien y (lll) font de la plus grande Efpece.

Lorsque les aîles de cet animal font éten­d u e s , elles ont chacune d ix-hu i t à vingt pouces. Son c o r p s , qui eft couver t d'un long poil rouffâtre , eft de la grandeur d'un médiocre rat. La forme de fon nez eft

(lll) Vefpertilio cynocepbalus, maximus auritus, facie

canind.

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finguliere ; il reffemble à un fer de l ance , qui a deux branches à fa bafe. Son mufeau eft fort large; fes oreilles font t rès-grandes, & il a fur le côté e x t e r n e , une affez longue échancru re , qui commence auprès de la pointe . Il a un petit oreillon po in tu ; fes yeux font enfoncés dans leurs orbites.

Cet te Efpece eft très - dangereufe, par le dégât qu'elle peut faire : car elle fuce le fang des chevaux , & même celui des hom­mes , fi elle les t rouve endormis. El le ne quitte guere les bois.

C H A -

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C H A P I T R E X X .

De l'Ornithologie, ou Defcription des Oifeaux.

TOUS les Oifeaux viennent d'oeufs. Leur manière de vivre, la variété de leurs

Efpeces, leurs différentes grandeurs, com­me leurs couleurs multipliées à l'infini, mé­ritent l'attention du Philofophe, & piquent la curiofité de l'homme qui cherche à s'in-ftruire.

Tous ceux qui, depuis Ariftote & Pline, jufqu'à Mrs. Linneus, Klein, & Briffon, ont écrit fur la nature des oifeaux, les ont di­vifés en terreftres & en aquatiques, puis en oifeaux domeftiques & paffagers, en oifeaux de bois & de rivieres, & enfin en oifeaux de proie, dont je vais faire connoî­tre une partie.

On trouve , à Surinam , le long de la côte, & dans les bois , des Aigles, qui ne different qu'en très-peu de chofe, de celles que nous voyons en Europe.

L'Aigle d'Eau (a) cornu, eft un oifeau de rapine, qui fait, continuellement, la guer-re à presque tous les animaux, &; fans d is -

Des Al­gles.

De l 'Ai gle d'Eau.

(a) Aquila aquatica cornuta: en Hollandois Arend:

en Allemand Waffer-Adler.

Tome II. K

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142 DESCRIPTION

tinction ; mais il eft inouï qu'il ait jamais attaqué les hommes. Celle-ci eft toute no i ­re , & a fur la tête une petite corne fort m i n c e , dél iée, & longue de trois ou qua-t re pouces. La partie fupérieure de fes aî-l e s , eft auffi armée de deux cornes , à cha­que c ô t é , très-petites & très-dures.

Ces oifeaux voraces font leur nourr i ture , non feulement de crabes , mais encore d'oi-f eaux , tels que pigeons , canards & pou­les ; ils enlevent auffi les lievres & autres animaux de bo is , pour s'en repaître : ils at­t aquen t , déchirent , & dévorent les brebis , les b i ches , les chevres , & même les ba­bouins. Ils font leurs nids fur les arbres les plus élevés.

L'Autruche (b) eft un oifeau dé proie, qui eft monté fur de t r è s -hau te s jambes. Celle de Surinam a le col fort l o n g , com­me toutes les au t res , & la tête peti te. Sä hauteur eft de quatre à cinq pieds : elle n'a que deux doigts à chaque pied ou p a t t e , liés par une membrane. Son corps eft ovale , & fa queue très-courte. Elle a à l 'extrêmité de chaque a î le , deux petits e rgo ts , à peu près, femblables aux aiguillons des p o r c - é p i c s : quelques - uns prétendent qu'ils lui fervent de défenfes, & d 'aut res , d 'éperons , pour

(b) Strutbio notbus Americanus, cauda fere nullâ: en

Hollandois Struis Vogel : en Allemand Straufs.

De l'Au­truche.

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s'aiguillonner dans fa courfe. Les plumes du dos font n o i r e s , & reffemblent, par leur molleffe, à de la laine : les pennes des aîles font de la même couleur ; mais t rès-blan-ches à la partie fupérieure.

Comme je n'ai jamais vu cet oifeau, je n 'en puis parler que d'après ceux qui me Vont décr i t , & qui m'ont affuré qu'il étoit fort r a r e ; mais fuivant ce qu'ils m'en on t d i t , ce n 'ef t , à mon fent iment , qu'une ef­pece d'Autruche, & non pas la véritable qu 'on t rouve en Afrique.

Le Vautour ( c ) eft un grand oifeau de p r o i e , dont quelques - uns furpaffent l 'ai­gle en grandeur. On les diftingue, l 'un de l ' au t r e , en ce que le Vautour a le t ronc du corps plus horizontal vers la terre qu 'é­levé , au lieu que l'aigle porte le col & la tê te hau te , de façon, q u e , depuis le doigt de der r ie re , jufqu'au fommet de la t ê t e , on peut tirer une ligne verticale.

Cet oifeau a lès jambes & les pieds fort courts, l i eft couvert de beaucoup de plu-înes, excepté aux ailes & à la queue. Sous les grandes plumes il en a de plus pe t i t e s , en forme de duve t , qui reffemblent à de la laine : celles du dos & du ventre font cou-

(c) Vultur: en Hollandois Gier ou Koning der Wou-

wouwen : en Allemand Geyer.

Du Vau-teur.

K 2

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144 D E S C R I P T I O N

leur de chair. Celles qui forment proprement les a î les , font toutes no i res , de même que celles de fa queue. Sa tête eft tou te chau­ve , de même qu'une partie du c o l , les-quelles font d'un beau vermillon. Il lui pend au col un magnifique jabot de couleur d'o­range , en forme de p o c h e , qui lui fert de magafin pour fa nourr i ture .

Cet animal , fier & hard i , ne fe nourr i t que de chair crue & putréfiée. Ce font les Naturels du p a y s , qui les débitent à Suri-nam, & les vendent jufqu'à cinquante florins de Hol lande , la couple. Je crois qu'il eft o r i ­ginaire du pays des Amazones , ou du Bréfil.

Le Pbœnicoptbere ( d ) eft un grand oifeau, célebre chez les anciens, & connu pa rmi les modernes , fous le nom de Flammant o u Bécbaru, qui differe, néanmoins , de ce­lui qu'on connoît dans le pays fous le nom de Flammant. Son corps , qui n'eft pas extrê­mement g ros , eft monté fur de très-hautes pattes , affez grêles; & fa tê te eft por tée fur un col très-long & très-délié, comme celui d'une cigogne : ce qui lui donne bien quatre pieds de hauteur. Il a les cuiffes & les pieds de couleur de chair; & les plumes des aî les, du dos & du ventre , de même. Sa tê te n ' e f t pas fort grande; mais elle eft armée d'un bec affez g r o s , a rqué , & fort

(d) Phœnicoptherus,

Du Phœ-nicop-there.

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dur:, qui a , environ , fix pouces de lon­gueur : il lui fert à chercher , dans le fable & dans les marécages, les v e r s , les petits c r a b e s , les poiffons & les infectes qui s'y t rouvent .

Cet oifeau s'apprivoiferoit aifément, s'il n 'é toi t pas li difficile à é lever ; mais , pour l 'ordinaire, il languit quelque temps & meur t enfuite. Celui que j ' a i eu pendant trois m o i s , & que j ' a i cru pouvoir é l eve r , n'a v é c u , t ou t ce t emps , que d'eau de puits. Je l'ai empaillé, après fa m o r t , & il occu­p e , actuel lement , une place dans le fa­meux Cabinet de M . Sloan.

L e véritable Flammant (e) du pays-differe, en f o r m e , grandeur & couleur , du Phœ-nicoptherey que les Naturaliftes prétendent être le vrai. Je ne fçais ce qui les en a per-fuadés; & je ne prétends pas décider s'ils on t tor t ou raifon ; je me contente de r ap ­por ter la définition qu'en donne le fçavant

Gesner.

"Arquatam, dit-il, banc avem latine vc-"care volui, quod roftrum ejus inftectatur in-

„ ftar arcus. " Gefn. de Avibus , Lib. III. p . 196.

Quoique cet oifeau foit également monté fur deux hautes jambes , elles font de la

DES Fla mans ou Flam-mants.

(e) Arquata: en Hollandois Flamingo: en Allemand

eine Art Reiger, mit rothen füffen und Flaminigen federn.

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moitié plus petites que celles du Phœ-cupthere. I l a un long c o l , & une peti te t ê ­t e , qui eft armée d'un fort long b e c , en forme d'archet , & long d'environ dix à douce pouces. Son corps n'eft guere plus grand que celui d'une peti te poule. Il peut avo i r , à peu p r è s , deux pieds & demi de hauteur. Mais cé qu'il y a de plus remar­quable dans cet o i feau , c'eft q u e , dès le commencement de fa naiffance, il eft tout n o i r , que peu de temps après il devient blanc, & par la fuite rouge comme du fang. Ses Jambes deviennent de la même couleur ; il n'y a que le b e c , qui conferve la couleur de corne. Les dents , dont il eft garni, font femblables à celles d'un peigne; & c'eft par leur moyen qu'il retient tout ce qu'il Veut manger , & rejette ce qu'il ne veut pas.

Ces animaux vivent dans une parfaite fo-eiété. Lorfqu'ils font aux bords des rivages, pour chercher leur nour r i tu re , ils fe rangent de file, & il y en a toujours un qui fait le g u e t , & qui ave r t i t , par un mouvement , fes camarades, dès qu'il apperçoit la moin­dre chofe qui lui donne de l 'ombrage, s'en-fole auffi-tôt, & tous les autres le fuivent.

Ces oifeaux ne fe laiffent approcher que très-difficilement, & il faut fe cacher dans des brouffailles, pour les t i r e r , quand ils

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D E S U R I N A M . 147

viennent à terre. Ils font leurs nids dans des mares ou des marécages, & leur donnent la forme d'un cône t r o n q u é , élevés d'un pied & demi. Ces cônes font folides, ju s ­qu'à la hauteur de l 'eau, & enfuite vu ides , comme un p o t , avec un trou en hau t , dans lequel la femelle dépofe fes œufs , qui ne paffent pas le nombre de deux ; & lorsqu'el­le les c o u v e , elle fe pofe de forte qu'elle n'a que le croupion fur le nid. Leur chair eft t rès-bonne à manger, furtout quand ils font jeunes.

Les jeunes Flammants s'apprivoifent t rès-facilement, & l'on en tranfporte fort fou­vent en Europe. C'eft auffi avec leur pluma­ge que les Indiens fe font des colliers, des bonne t s , & autres a tours , dont ils fe pa­rent fouvent.

L ' E p e r v i e r ( f ) eft un oifeau de p r o i e , de la longueur d'un p ied , que l'on connoît dans le pays , fous le nom de Faucon. 11 a la tè­te ronde , le bec courbe en deffous, les yeux fort luifants, les pieds armés d'ongles longs & forts: fon col eft longuet ; fon plu­mage fupérieur, d'un brun fombre , marque­t é de quelques taches noires ; la poitrine & les flancs, d'un brun clair; les cuiffes fort charnues , & les jambes menues , longues & un peu jaunâtres.

De l'E-pervier.

(f) Fringillarius, five Falco : en Hollandois Valk: en Allemand Sperber.

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Cet oifeau, qui eft affez friand, né vit que de lapins , de r a t s , de grenouil les , & de petits oifeaux. Il fait fon nid fur les ar­bres les plus élevés. On prétend que fa chair eft bonne à manger ; mais comme je n'en ai jamais goûté , puisque je n'ai pas même vu foifeau, je ne fais que rapporter ici ce qui m'en a été dit.

Les Naturalilles diftinguent nombre dé fortes de Corbeaux ; mais je ne ferai connoî­t re que ceux qu'on nomme ainfi dans lé. pays.

Le premier eft un Corbeau aquatique, ( g ) dont le plumage eft d'un bleu no i r â t r e , & qui eft de la même figure des n ô t r e s , mais plus peti t .

Le fecond eft le Corbeau des f a v a n n e s , (h) lequel a un cri défagréable, & qui eft tou t noir.

Le troifieme eft la Corneille, (i) qui eft auffi toute no i r e , & plus peti te que le pré­cédent.

Ces deux derniers s 'attroupent dans les fa­vannes ou prairies; & il eft défendu de les t u e r , parce qu'ils mangent les charognes), qui pourroient infecter l'air.

(g) Corvus aquaticus : en Hollandois Rave : en Al-leraand Rabe.

(b) Corvus fylvaticus. (i) Cornix nigra.

Des Cor­beaux.

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Les Faifans ne font pas for t abondants

dans la Colonie , à moins que de les aller

chercher dans les bois les plus éloignés. Il

y en a cependant de deux Efpeces.

L a premiere eft le Faifan noir (k) huppé. Il eft de la grandeur d'un coq d'Inde médi-

òcre : tout fon corps eft couver t des plus

belles plumes que l 'on puiffe voir . Il p o r ­

te , fur la t ê t e , une très-belle h u p p e , qui

forme une aigrette tou te frifée , laquelle

augmente l'air grave qu'il a , quand il mar­

che. Son b e c , qui eft affez g r o s , eft de

couleur de c i t ron , de même que fes jambes,

qui ne font pas mal groffes non plus.

Les Naturels du pays , qui les von t cher-

èhé r , foit dans la profondeur des bo i s , ou

für les côtes voif ines, les connoiffent fous

le nom de Pauwiffen. Ils les vendent jus­

qu'à douze florins, la paire.

L e fecond eft plus petit que le précédent ;

& la huppe qu'il a , de même que l u i , fur la

t ê t e , eft formée de plumes noires & blan-

clies", é tàgées , qui fe baiffent ou fe dreffent à

la volonté de l 'oifeau: fa marche eft noble &

fiere. Son plumage tire un peu, fur le n o i r ,

& eft mêlé de quelque peu de blanc. On le

connoî t dans le pays , fous le nom de Maray,

La chair de l'un, comme de l ' au t re , eft

Des Faifans,

(k) Phafianus niger: en Hollandois Faifan : en Al­lemand Phafan.

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très-bonne à manger. Mais, comme on re­garde ces deux oifeaux comme des animaux fort rares, on fe fait un plaifir de les confer­ver; outre que cela feroit un mets fort cher,

Voici un oifeau, dont je rifque de don­ner la defcription, fous le nom de Grue, (l) parce qu'il eft paffager,& qu'il lui reffemble beaucoup : dans le pays on le connoît fous le nom de Tête de Negre ou Neger-Kop. Je

n'en ai jamais vu qu'un, dont j 'ai la tête dans mon Mufœum.

Cet oifeau eft monté fur des jambes, qui ont près de deux pieds de hauteur, mais très-menues ; car elles ne font formées que d'un os fort mince, recouvert d'une fimple peau noirâtre, fans plume ni duvet ; fes pieds font divifés en quatre doigts longs & menus; fon col eft long & courbé, comme celui d'u-ne cigogne, & a près de deux pieds de lon-gueur. Il a de petits yeux noirs & ronds ; la tê te , qui eft un peu plate des deux côtés, eft munie d'un bec fort gros, fort long, & tout noir, qui fe termine en pointe ; aux deux côtés duquel, il a une grande poche, où il réferve fa nourriture, comme les finges. Tout fon corps eft couvert de plumes noi­res.

Cet oifeau eft vorace, & tout lui eft bon.

la Grue.

(l) Grus: en Hollandois Krann-Vogd : en Allemmand Kranich.

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Le Héron ( m ) eft un oifeau aquatique, qui ne vit que de poiffon, & dont il y a plufieurs Efpeces.

Le premier eft le Héron cendré (n). Il eft plus petit qu'une cigogne; & fon bec, qui a un demi-pied de long, eft fort droit, pyra­midal, & d'une couleur brunâtre. Le des­fous du bec, le gofier, la poitrine, le ven­tre & le dedans des cuiffes font blanchâ­tres. Sesongles font noirs, & ceux du mi­lieu dentelés, en dehors.

Le fecond eft le Héron blanc, (O) nommé Aigrette, parce qu'il lui pend, derriere la tê te , une efpece de petite aigrette blanche. Cet oifeau a tout le corps blanc, & a, au­près des yeux, un efpace dégarni de plumes. Son bec eft noirâtre , & long d'environ quatre pouces ; fes pattes de couleur verte, fönt garnies d'efpace en efpace, d'une cor­ne noirâtre, qu'on peut lever en écailles.

Le troifieme eft le Héron tigre (p). Celui-ci a près de trois pieds de longueur, depuis le bout du bec jufqu'à l'extrêmité des ongles. Sa tête eft petite & étroite, le fommet en eft noir : la gorge & les côtés du col font rouffâtres, avec des taches noires & réguli-

Des Hé-rons.

(m) Ardea : en Hollandois Rygers: en Allemand Reiger.

(n) Ardea cinerea. (o) Ardea alba maxima. (p) Ardea tigrina : en Hollandois Tygee-Vogel.

il

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eres ; le col eft couvert de longues plu­mes : ce qui fain paroître l'oifeau plus pe­t i t qu'il ne l'eft en effet. T o u t le refte de fon plumage eft f a u v e , ou d'un roux foncé , tacheté de n o i r , de la même ma­niere que la peau du t ig re : fa queue eft cour te & petite ; le bec eft fort droit & p o i n t u , tranchant des deux cô tés , & de cou­leur verdâtre ; fa mâchoire fupérieure en t re dans l ' inférieure; l'iris de fes yeux eft jaunâ-t r e ; i l a l 'ouverture du bec fort grande, elle s 'é tend, m ê m e , jufqu'au-pelà des y e u x , de forte qu'on diroit qu'ils font dans le bec : fes .jambes font fans plumes , au-deffous de l 'articulation. 11 a les pieds ve rds , les doigts for t allongés, les ongles longs & forts ; & le doigt extér ieur , qui tient à celui du mi­l i e u , a le-côté intérieur dente lé , comme dans tous les autres oifeaux de ce genre. Ils fe fervent de ces dents ou poin tes , pour retenir les poiffons gliffants.

On m'a affuré que cet oifeau fai t , ou pond, fept à huit œ u f s , a r rondis , blanchâtres, & tiquetés de verd. II fait fon nid en t e r r e ,

& fe cache dans les joncs des marais., Comme tous les Hérons ont les jambes

fort longues , leur habitude , pendant le j o u r , eft de fe tenir dans l ' e au , où ils font une grande deftruction de menus poiffons. Leur grandeur, & celle de leur b e c , leur

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font très-utiles pour pourfuivre & atteindre leur proie, & même les bêtes à quatre pieds, fur lefquelles ils courent quelquefois. Leurs grandes aîles, qui paroiffent devoir les in­commoder , par rapport à la petiteffe de leur corps, leur font, au contraire, d'un très, grand fecours , pour faire de grands mou-vements dans l'air , & pour avoir la fa­cilité d'emporter fouvent de lourds far­deaux dans leurs nids, qui font, quelque­fois, fort éloignés de l'endroit où ils ont pêché.

Voici encore un oifeau, que l'on a vou-lu mettre au nombre des Hérons, mais qui n'en a nullement la forme. Le nom qu'on lui a donné, à caufe de la ligure de fon bec, lui convient mieux que tout autre.

Cet oifeau eft, préfentement, connu fous le nom de Bec à Cuiller ou Palette; (q) quel­ques-uns le nomment encore Efpatule, par­ce que fon bec eft arrondi, large & appla-t i vers le bout , & que la partie voifine de la tête eft étroite & faite comme le manche d'une efpatule, dont les Apothicaires fe fer­vent pour remuer leurs drogues. Cet oi­feau, qui eft monté fur de courtes jambes, a un plumage qui change de couleur, en vieilliffant, comme celui du Flammant, &

Du Sec à Cuil-ler.

(q) Platea fanguinea tota : en Hollandois Lepel-Beck.

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154 D E S C R I P T I O N

devient d'Un rouge éclatant. Il ne fe nour. rît que de menus poiffons.

L'oifeau, appelle Diablotin, eft aquati-que. Les Uns lui ont donné le nom de Plon­geon , d'autres celui de Foulque chauve, ou

Poule d'Eau. ( r ) Il e f t , à peu près, de la

groffeur d'un canard ordinaire. Son pluma­ge eft noir, mêlé d'un peu de blanc; fes jambes font courtes; fes pieds palmés, mais garnis de fortes & longues griffes. Son bec reffemble à celui du corbeau. Il a des yeux à fleur de tête , avec lefquels il voit admira­blement bien la nuit; : mais qui, pendant le j o u r , lui font inutiles.

Ces oifeaux vivent de poiffons , qu'ils vont pêcher à la mer ; après quoi ils s'en retournent, toujours deux à deux, com-me font les perroquets. Ils fe tiennent, or­dinairement, fur de grands arbres ,& crient, en y volant, comme s'ils s'appelloient les Uns les autres.

Le Plongeon (s) eft un oifeau aquatique , dont il y à plufieurs Efpeces.

Celui de mer, que l'on connoît dans lé pays, n'eft guere plus grand qu'un demi-ca­nard ; fon bec eft noir & aigu, comme ce­lui d'une grive. Il a le col fort mince, &

pu Dia-blotin.

Des Plon-geons.

(r) Mergus longiroftrus, cervice longiori; Fulica; en Hollandois Duykelaar of Waatsr-Hoen: en Alle­mand Waffer-Hubn.

(s) Mergus aquatkus.

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DE S U R I N A M .

n'a point de queue. Ses jambes font plutôt faites pour nâger, que pour marcher. Il a la plante des pieds noire, & fes doigts font palmés, ou unis enfemble, par de doubles membranes. Le plumage du corps eft co-tonneux & fort mollet; celui de la tête eft brunâtre; celui du ventre eft fombre: fa poitrine eft comme argentée ; fes aîles font noirâtres, à pointes blanches; & fes ferres noirâtres , & larges, comme les ongles dé l'homme.

Dès que cet oifeau s'eft plongé dans l 'eau, & qu'il s'éleve au-deffus, il hauffe la tête, puis regarde autour de lui, & fe plonge de nouveau, avec une vîteffe étonnante. Quoi qu'il ne puiffe pas s'élever beaucoup au-des-fus de l'eau, dès qu'il prend l'effor, il peut Voler long-temps.

Le fecond eft celui des favannes, qui eft plus petit que celui de mer. Tout fon corps eft couvert de plumes cotonneufes, blan­ches; fon bec eft petit & jaune ; & les jambes font courtes. 11 fe tient dans les favannes , parce qu'il y a toujours de petits étangs, remplis de petits poiffons, qui lui fervent de nourriture.

Les Canards domeftiques font fort abon­dants dans la Colonie, & l 'on y en diftin-gue de trois Efpeces,

Des dif­férentes Efpeces de Ca­nards.

155

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156 D E S C R I P T I O N .

Le premier, ( t ) qui eft de la plus grande, à le corps couvert, de toutes parts, de plumes noires, tachetées de blanc : les jam­bes, le haut du bec & la tubercule font d'un très-beau rouge.

L e fecond (u) eft; moins grand que le pré­cédent. Il a la tête blanchâtre, & le refte du corps brunâtre.

L e troifieme ( x ) eft de la même gran­deur; mais il a le corps tout couvert de plu­mes blanches. Sa tête eft rouge, dénuée de plumes, jusqu'au milieu du col ; fes yeux , qui font jaunes, font environnés d'un petit cercle noir.

On fait fi grand cas de ceux-ci, qu'on les envoyé en Europe , en préfent aux ama-teurs.

Il y en a d'autres, en outre, qui ne font point domeftiques.

Le premier ( y ) eft un Canard de paffage. Il eft remarquable par fon plumage, orné de taches luifantes, affez femblables aux mi­roirs de la queue du paon.

L e fecond ( 2 ) eft un Canard fauvage, qui res-

(t) Anas domeflica major : en Hollandois End-Vogel : en Allemand Endte.

(u) Anas minor fufca. (x ) Anas minor alba. (y) Anas fera. (z) Anas fylveftris fera.

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D E S U R I N A M . 1 5 7

(a) Anas criftata. (h) Anas fera fitfca.

Tome II L

reffemble affez au domeflique. Il traverfe les rivières & les criques, en petite compagnie. Son bec eft un peu jaunâtre; fes pieds font de couleur d'orange, & fes ongles bruns. Il a un demi-collier blanc; fa poitrine eft bru­nâtre, ou couleur de châtaigne. Le mâle à la tête & le haut du col d'un beauverd: cette couleur eft encore plus belle au mi­lieu des aîles , parce qu'elle tire un peu fur le pourpre. La femelle eft privée de tous ces ornements.

Le troifleme (a) eft un Canard qui n'ha­bite que les rivages de la mer ; on le re­garde comme une efpece de petit Plongeon ; fon corps ell court, épais, large & un peu applati. Son bec eft large & d'un bleu pâ­le ; la pointe en eft noirâtre : le fommet de fa tête eft d'une couleur mêlangée de pourpre & de noir : il a derriere la tête une efpece de crête , qui pend de la lon­gueur d'un pouce. Tout le relie de la partie fupérieure de fon corpus eft d'un brun foncé.

Le quatrieme (b) eft un Canard brun,

fauvage. Il eft de la grandeur du Canard

domeflique ; mais plutôt moins gros que plus. Il a le bec gros, large, & de cou­leur plombée, auffi bien que les jambes & les pattes. Son plumage eft diverfifié par

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158 D E S C R I P T I O N

des taches noires & blanches: il fréquente

beaucoup les rivieres & les rivages de ,la

mer.

L e cinquieme ( c ) eft la Sarcelle, o u Cer-

celle, dont la chair eft d'un goût e x q u i s ,

& d'une grande délicateffe. El le eft de

beaucoup plus petite que le Canard; & le

m â l e , qui eft plus petit que la f e m e l l e , a

le bec long d'un p o u c e , un peu c o u r b é ,

& noir par la pointe. Cet oifeau a le co l

long & affilé; il a la prunelle extrêmement

n o i r e , & le refte de l'œil j a u n e , de mê­

me que les paupieres, & les plumes qui

font autour des y e u x ; le fommet de fa t ê ­

te eft un peu applat i , & de couleur cen­

d r é e ; fa g o r g e , fa poitrine , & fon ventre

font jaunâtres , : & femés de taches noires.

L e refte du corps ; eft rempli de plumes

de couleur de r o u i l l e , tiquetée de n o i r ;

les plumes- de la queue f o n t , pour la plus,

grande p a r t i e , c e n d r é e s , & comme divi-

fées en d e u x , à caufe de leur tuyau qui

eft noir. Ses jambes font jaunes ; fes pieds

font garnis de grands doigts , & d'ongles ro-

buftes & aigus, qui font noirs & jaunes.

T o u s les Canards font gourmands, infa-

tiables , mangent de t o u t , & détrui fent ,

heureufement , les mauvaifes p lantes , & la

plupart des infectes nuifibles ; ils cherchent,

( 0 Querquedula: en Hollandois Tcling.

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D E S U R I N A M .

en barbotant, leur nourriture dans la boue, où ils trouvent des vers, des araignées, des poiffons pourris, de petites grenouil-les: ils mangent, en un mot, toutes les immondices des baffe-cours. Les femelles, de même que celles des oies, pondent de très-gros œufs.

L'Oie ( d ) eft auffi un oifeau de baffe-cour, allez- connu de tout le monde. Il y en a qui pefent jufqu'à douze livres, étant engraiffées; mais celles qu'on a dans la Colonie , & dont le nombre n'eft pas même fort grand, ne font pas fi greffes. Ce font les Anglois qui les y fourniffent ; & les Oies fauvages n'y font, pas connues.

La Poule domeftique ( e ) eft encore un oifeau de baffe - cour , auffi connu que le précédent ; c'eft pourquoi je n'en fais aucune defeription. Je dirai feulement qu'elles font plus petites, à Surinam, que celles d'Europe; mais qu'elles font,en re­vendiez infiniment plus délicates , parce qu'on les nourrit avec du bled de Tur­quie; ce qui rend leur chair plus ferme & plus graffe.

La Poule d'eau ( f ) eft plus petite que la

( d ) Anfer vulgaris: en Hollandois Gans: en Alle­mand de même.

( e ) Gallina domeflica : en Hollandois Hen ; en Al­lemand Henne ou Huhn.

(f) Gallina aquatiqua.

L 2

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De l'Oie,

Des dif. férentes Efpeces de Fou­les.

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De la-Poule Pintade.

Poule domeftique. Elle a, à peu près, la fi­gure d'un petit râle d'eau : fon bec eft applati, étroit & pointu. Le plumage de fa tète eft d'un, brun nuancé de rouge; le deffus du dos , du col & des aîles, eft de la même couleur , avec des diftances de raies blanches, déchiquetées en travers: les plumes de fa poitrine font d'un blanc jaunâtre; le bas du ventre eft rougeâtre & fale; fa queue eft courte: mais ce qu'il y a de remarquable , c'eft, qu'étant réunie elle forme un creux fingulier.

La chair de cet oifeau eft auffi délicate que celle de la farcelle.

Il y en a encore une autre, qui ne dif­fere de la précédente , que par fa gran­deur; & qu'on nomme, par cette raifon, groffe Poule d'eau.

La Poule Pintade (g) eft un oifeau du gen­re des Poules , & qui eft originaire d'A-

'frique, d'où on l'a tranfporté dans la Co­lonie. On ne fcauroit mieux nommer cet pifeau, puisqu'il eft peint de taches blan­ches & noires, qui forment une madrure des plus charmantes & des plus régulieres. Elle eft de la grandeur d'une Poule domeftique; mais elle a la queue baillée , comme la perdrix. Elle a deux appendices membra-neufes, de couleur de chair, aux deux cô-

(g) Gallina Africana, Jonston Hiftoire Naturelle

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D E S U R I N A M .

tés des joues. Tout fon plumage n'eft que de deux couleur , blanc & noir:les taches, dont il eft rempli, font prefque par-tout d'une même forme , rondes & régulieres, comme lenticulaires, excepté aux aîles, où elles font allongées, & comme par bandes : fes jambes font couvertes de petites plu­mes marquetées. Sa tête eft fans plumes ; fes paupieres fupérieures ont de longs poils noirs , qui fe relevent par en haut. Elle a , au-deffus de la tête, une crête, qui tient de la nature d'une peau feche & ridée , d'un fauve brun. Son bec eft femblable à celui d'une Poule ordinaire. Les mâles ont la peau des paupieres bleue , & les femelles l'ont rouge. Ses pieds font brunâtres ; & le tiers de la longueur des doigts eft uni par une efpece de membrane. Le mâle n'a point d'ergot au derriere du pied.

On prétend que la chair de cet oifeau eft auffi délicate que celle du faifan. On peut auffi les apprivoifer facilement; & ils deviennent même très-familiers. Mais ils font extrêmement jaloux , & ne peu­vent fouffrir les autres Poules , de quel­que Efpece qu'elles foient. Elles les atta­quent à grands coups de bec , & veu­lent être feules. Les œufs, que la femel­le pond, font de la même couleur que fon plumage.

L 3

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L'Oifeau Trompette (b) eft encore un oi-feau du genre des Poules, qui eft originai­re des Amazones. Il eft, à peu près, de la figure d'un coq d'Inde, & tout noir. Les plumes du col font nuancées de couleur d'or. Ce qu'il a de particulier, c'eft fon bec, qui eft double, ou plutôt qu'il a deux becs, l'un fur l'autre , dont celui de deffus res-femble à un nez creux, qui contribue, peut-être, au fon que cet oifeau forme. Je dis peut-être, car on n'eft pas d'accord d'où il part, j ' a i cru d'abord que c'étoit de l'anus ; mais j'ai reconnu mon erreur ; & je ne dou­te point non plus, que ce ne foit d'un or­gane différent de celui de la gorge. Quel­ques-uns prennent ce fon pour un chant; mais je fuis d'avis, comme le dit Mr. de là Condamine , que c'eft fort mal à propos. Quoi qu'il en foit, les plus fçavants Natura-liftes ignorent encore l'organe d'où fort ce fon ; mais je ne défefpere pas , qu'un jour ou l'autre , on ne parvienne à le décou­vrir.

Cet oifeau fe rend fi familier, qu'il té­moigne une tendreffe toute particuliere à, celui qui l'a élevé. J'en ai nourri un fort jeune, qui me fuivoit par - tout où j'allois dans la maifon ; mais ce qu'il y avoit de

(b) Gallina fylvatica, crepitans, pectore columbino: en Hollandois Trompeîter,

De l'Oi feau Trompet­te.

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Du Coq d'Inde.

Des Pi­geons.

plus remarquable c'eft , que , lorfque je me levois le matin, & que je lui ouvrois fa cage pour le faire fortir, il fautoit alors , tout de fuite, fur moi , en fonnant de la trompette; car, à la vérité, le fon qu'il donne, approche beaucoup de celui d'une trompette fendue; & chaque fois qu'il me voyoit il faifoit la même manœuvre.

L e Coq d'Inde ( i ) eft encore un oifeau domeftique, du genre des Poules. Celui-ci eft originaire du pays. 11 y en a en abon­dance, & ils font beaucoup plus gros & plus gras que ceux d'Europe ; car il y en a qui pefent jufqu'à vingt-cinq livres.

Les Coqs d'Inde varient pour la couleur. 11 y en a dont les plumes font noires, a-yec un peu de blanc, à l'extrêmité; d'au­tres font grifâtres ; & d'autres d'un gris un peu rougeâtre.

Le Pigeon ( k ) eft un oifeau fi connu, que quantité de perfonnes fe font une af­faire férieufe de fa multiplication , fans même y rien épargner. 11 y en a , fur cha­que Plantation, une quantité prodigieufe, qui s'y multiplient fans qu'on foit obligé de fe donner beaucoup de peine; parce qu'ils fe plaifent à la chaleur du pays : ce

(i) Gallus Indicus : en Hollandois Kalkkoen : en Al­lemand Calecutifcber Habn ou Paber-Habn.

(k) Columba : en Hollandois Duive : en Allemand Taube.

L 4

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qui les rend encore plus portés à l'amour. On ne les y nourrie que de bled de Tur­quie ; ce qui rend leur chair plus fine & plus délicate que celle des Pigeons d'Eu­rope.

Les Pigeons fauvages (l) font de trois Efpeces.

Le premier eft celui qu'on nomme Ra­mier , ( ni) parce qu'il fe perche fur les ar­bres. Ils volent, ordinairement, en trou­pes, ou en compagnies, comme font les perdrix , & fe tiennent toujours dans les bois. Le plumage de leur col a le luftré de la foie; celui de la poitrine, des épau­l e s , & des aîles eft vineux; le milieu du dos de couleur de frêne fombre ; & le refte eil femblable à celui des Pigeons ordi­naires.

Le fecond (n ) eft une autre Efpece de Ramier plus pet i t , qui eft d'une couleur cendrée.

Le troifieme eft un petit Pigeon fauvage, dont la couleur eft d'un brun clair.

Ces trois Efpeces de Pigeons fauvages, ont la chair extrêmement délicate; parce qu'ils fe nourriffent uniquement de toutes fortes de fruits : ce qui les rend fort gras & fort bons.

(l) Columla fylveftris. (m) Columba l iv ïa . (n) Columba fylveftris cirenea.

Des fi­geons fauva-ges.

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D E S U R I N A M . 165

La Tourterelle, (o) qui eft un oifeau du genre des Pigeons, fe trouve auffi à Surinant. Elle a, peut-être, dix pouces de long, fur dix-huit à vingt d'envergure. Son bec eft délié & long, d'un bleu fombre en dehors, & rouge en dedans ; fes pattes font de la même couleur ; mais elle a les griffes noires: fa tête & fon dos font d'une couleur cen­drée ; la poitrine & le ventre blanchâtres; fa gorge eft entre-mêlée de verd & de noir. Les plumes extérieures des aîles font bru­nes,^& celles du milieu font cendrées.

La Tourterelle eft plus petite que le Pi­geon de la plus petite Efpece : fon jabot eft grand, & la voix gémiffante. Ses aîles font fi longues que cela lui donne un vol d'une rapidité étonnante , qu'elle foutient longtemps. On prétend que le mâle ne s'at­tache qu'à une femelle ; ce qui pourroit le faire regarder comme le fymbole de la fidé­lité conjugale.

Cet oifeau fe tient toujours fur le haut des arbres, & il y fait fon nid. Sa chair eft infiniment meilleure que celle des Pigeons fauvages, parce qu'elle a plus de fuc; ce qui la rend un manger délicieux.

On prétend que la Tourterelle pond deux fois par an, & qu'elle fe tient, pour l'or­dinaire , dans les bois les plus éloignés.

( o ) Turtus fyhaticus: en Hol landois Tortel-Duif en Allemand Turtel-Taube.

De la Tourte­relle.

L 5

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La Pie (p ) eft un oifeau, qui approche du corbeau, dans toutes fes parties, & dont on diftingue plufieurs Efpeces,

La premiere (q) eft connue , dans le pays, fous le nom de Coyakee, qui fignifie Toucan.

Cet oifeau, qui eft un peu plus grand que la Pie ordinaire, a la tête, le co l , le deffus du dos, & les aîles, d'un blanc cendré. Sa poitrine eft d'un jaune luifant, ou fafrané; fon ventre & les cuiffes font d'un beau rou-ge vermeil , ou de couleur écarlate, qui s'étend prefque jufqu'à la moitié de la queue, & eft enfuite intercepté par une bande noire & large, qui finit par le même rouge : fes jambes, fes pieds & fes griffes font noirs, auffi bien que le refte de fes plumes.

Cet oifeau eft très-remarquable, par la groffeur de fon bec, qui a près de huit pou­ces de long, & deux pouces & demi de lar­ge , à fa racine. Sa mâchoire fupérieure eft large , & un peu recourbée , & a une cavité exactement égale à la mâchoire infé­rieure: l'une & l'autre font dentées, & cou­vertes d'une peau gluante. Ces deux mâ­choires font d'une fubftance mince & offeu-fe , & couvertes d'une écaille jaune & rouge, tirant fur la corne. Les narines font fituées

(p) Pica: en Hollandois Exter: en Allemand Ael-fler, Atzel & Hetze.

(q) Nafutus fimpliciter., five Tucana,

Des dif férentes Efpeces de Pics,

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DE S U R I N A M .

au deffus de cette fubftance , fur le bec, & tout près de la tête , laquelle eft grande & fort groffe ; ce qui lui donne la force de pouvoir porter un bec fi monftrueux. La langue qu'il renferme, eft, non feulement, de la même longueur; mais elle reffemble parfaitement à une plume bien déliée.

On trouve cet oifeau dans les bois, où il fait fon nid fur les arbres.

La feconde (V) eft la Pie de mer, qui a un pied de long. Son bec eft-court, large & applati de côté, d'une maniere oppofée à celui des canards ; il eft triangulaire & pointu. Son plumage eft noir , excepté à la poitrine, qui eft tachetée de blanc. Ses jambes & fes pieds font d'un rouge jaunâ­tre , & placés en arriere, comme dans les plongeons ordinaires ; de forte que cet oifeau femble marcher, en s'appuyant, perpendi­culairement , fur la queue. Il lui manque le doigt de derriere.

La troifieme ( s ) eft une petite Pie, dont les couleurs font très-joliment diverfifiées : fon plumage inférieur eft comme coton­neux ; & elle a du jaune, depuis le milieu du dos, jufqu'au croupion.

La Pie eft connue pour un oifeau, qui apprend facilement à articuler nombre de mots. Elle fait, ordinairement, fon nid à

(r) Pica, marina, (s) Pica minor.

167

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Des dif­férentes Efpeces de Pics.

la cime des grands arbres, où elle pond, à chaque couvée, fix ou huit œufs marqués de taches noires. Elle vit d'infectes, & de la chair de toutes les fortes de petits oifeaux qu'elle peut attraper : elle en mange même les œufs. Lorsqu'elle marche , elle ne fait que fauter, en remuant, perpétuellement, la queue. Elle eft affez hardie pour atta­quer quelques oifeaux de proie, même des levrauts & autre gibier femblable.

Le Pic eft un oifeau, dont il y a plufieurs. Efpeces, qui ont tous le bec propre à per­cer l'écorce des arbres, même les plus dures. C'eft, d'ailleurs, un oifeau fauvage, habi­tant les bois ; qui eft de moyenne taille, fauvage, carnacier & fédentaire. Il a, de. puis le bout du bec jufqu'à celui de la queue, douze à quatorze pouces. Il vit de fourmis, & de vers qui fe trouvent dans l'intérieur des arbres. Pour cet effet, il fe place contre l'arbre, & à coups redoublés, il fait des trous exactement ronds & pro­fonds, p o u r , en allongeant fa langue, at­traper les vers , qui fe nourriffent dans le bois. Il étend, de même, fa langue fur-les fourmillieres , & la retire remplie de fourmis, comme font les mangeurs de four­mis. Voyez ce mot.

La femelle ne fait point de nid , parce, qu'elle dépofe fes œufs , qui font, ordinai-

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rement , au nombre de fix ou fept, dans des trous d'arbre , fur le bois vermoulu.

Voici les Efpeces qu'on trouve à Surinam. • Le premier eft le Pic verd ( t ) , qui a le bec dur, triangulaire, terminé, au bout, en pointe coupée, noire & dure. Il a l'iris, en partie, blanche, & , en partie, rougeâ-tre ; le deffus de la tête d'un beau vermil­lon , femé de taches noires ; l'oeil enfermé dans une plaque noire , en triangle, qui va jufqu'au bec , & fous laquelle eft une bande rougeâtre ; le derriere du col , le dos, & le deffus des aîles, verdâtres ; la gorge, le col , la poitrine & le ventre pâles; le fouet de l'aîle parfemé de taches blanchâtres; le croupion jaune paille ; les plumes de la queue font par deffus d'un verd foncé, rayé de quel­ques lignes transverfles, & femblent comme fourchues à leurs pointes, qui font noirâ­tres: fes pattes & fes-doigts font de couleur de plomb ; fes ferres grifes, brunâtres ; & il a les jambes très-courtes.

La langue de cet oifeau eft remarquable, en ce qu'elle eft groffe comme une ficelle ordinaire , ronde, égale d'un bout à l'autre, dure, offeufe, éçailleufe , pointue, gluan-t e , longue de trois ou quatre pouces hors du bec, quand il l'allonge; la tenant, or-

(t) Ficus viridis : en Hollandois Specbt : en Alle-niand Grünfpecbt.

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dinairement ployce en rond , dans fon go-

fier. Le fecond (u) eft le Pic noir, ou Char­

pentier , qui fe diltingue affez par fa couleur, laquelle eft un peu teinte, uniquement, au-deffus de la tê te , d'une couleur rouge de cinabre.

Le troifieme eft le Pic varié, (x) Celui-ci eft égal au merle, en grandeur; & fon plumage , qui eft noir , comme celui du précédent, eft néanmoins picoté par-ci par-là, de quelques taches blanches.

L e quatrieme (y) eft un autre Pic varié, qui eft de la grandeur d'une tourterelle. Sa tête eft ornée de plumes rougeâtres, & crêtée ; fon c o l , deffus & deffous, eft noir , avec quelque peu de blanc. Il a les aîles noires en deffus, & blanches en deffous ; la queue noire ; le ventre & lès cuiffes noires & blanches.

Le cinquieme eft un petit Pic, de la gros-feur d'un moineau franc. Il eft de couleur d'olive pâle. Toutes fes plumes font tache­tées de blanc & de noir, depuis la gorge jufqu'à l'anus ; celles qui recouvrent les aîles font légerement jafpées, Vers le bout, d'un blanc jaunâtre : les grandes de la queue

(u) Picus niger. (x) Ficus varius minor. (y) Picus varius major.

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D E S U R I N A M .

le font de noir. Sa tête & le deffus du col font d'une couleur de cinabre.

Le fixieme ( Z ) eft le Charpentier jaune,

qui eft de la plus grande Efpece. Auffi fe diftingue-t-il des autres, par les coups de bec qu'il donne dans les arbres, & qu'on peut entendre de fort loin. Il a, en outre, une fort belle huppe rouge fur la tête: les plu­mes du deffus de fes aîles font bleuâtres ; celles du c o l , de la poitrine, & du ventre, font de couleur de citron.

Le feptieme (a) eft un Pic, qui a beau­coup d'affinité avec la pie. Il a la tête pe­t i te , le bec droit, pointu, noir ,long d'un doigt; les pieds correfpondants, par la fi-tuation des doigts, aux pieds des autres oi-feaux; la tête & la partie fupérieure d'un bleu célefte , jufqu'au commencement du dos ; toute la queue noire ; les aîles de mê­me , mais elles ont dans lé milieu & dans toute leur longueur , une tache blanche: le refte du corps eft d'un bleu célefte ; & les jambes font bleuâtres.

Ce qui rend cet oifeau remarquable, c'eft l'art avec lequel il conftruit fon nid, en le fufpendant aux extrêmités des branches d'un arbre.

( z ) Picus citrimts. (a) Picus nidunt fitfpendens,

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Du Hi­bou.

Des dif­férentes Efpeces de Fer-roquets.

Le Hibou (b) ou Cbat-buant, eft un oi-

feau nocturne, dont je connois deux Efpe­ces à Surinam.

Le premier, qui eft de la grandeur d'u­ne poule, a une efpece de huppe, ou touf­fe de plumes, au deffus des yeux, qui lui defcend autour du col. Ses yeux font noirs & enfoncés; fon ventre eft blanc, marque­té de taches noires; fon bec blanc; fes on­gles font crochus; & fes jambes couvertes de plumes.

Le fecond eft la Huette, ou Hulotte, qui eft auffi un oifeau nocturne, mais plus pe­tit que le précédent: fon plumage eft cen­dré & noir. Ses jambes font velues, jus-ques fur les ongles , qui font cendrés & crochus. Son bec eft courbé & fort luifant. Il ne ferme l'œil qu'avec la paupière d'en haut. Ses yeux font noirs, environnés de petites plumes blanches: fa tête eft mon-ftrueufe, & fort bien garnie de plumes.

Ces animaux pouffent, la nuit, des cris ter­ribles , qui font peur aux femmes & auxen-fants ; & le jour ils fe retirent dans le creux des arbres, où'ils font leurs œufs. Ils ne fe nourriffent que de rats & de fouris.

Les Perroquets, qui font d'un genre d'oi-

feaux

( b ) Ulula ftrix major : en Hollandois Nagt-Uyl : en Allemand braune Eule.

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DE S U R I N A M .

feaux Indiens, ont la tête grande, le bec & le crâne durs, un très-beau plumage, les ongles extrêmement crochus. Ils ont qua­tre doigts aux pieds, deux devant, & deux derriere. Ils le fervent , en grimpant, de leur bec , comme d'un crochet, pour fou-lever leur corps. Leur langue efl large, & ronde par le bout.

On peut faire trois divifions de Perro­quets, fçavoir: des grands, des moyens, & des petits.

L'Aras ( c ) , que je mets dans la premiè­r e efpece ou divifion, ef l , affurément , le plus gros des Perroquets. Il eft de la gros-feur d'une poule, qui n'a pas encor pon­du , ou bien d'une farcelle : il y en a de deux fortes.

Le premier a les plumes de la tête, du c o l , & du ventre, couleur de feu ; les aîles mêlées de bleu, de rouge & de jaune; & la queue , qui eft longue de quinze à vingt pouces , du plus beau rouge. 11 a la tête fort greffe , & le bec à proportion ; la mâ­choire fupérieure blanche, & l'inférieure noire ; la région des yeux & les tempes blanches; les jambes courtes, & les pieds bruns. Il marche gravement, & parle très diftinctement, quand il eft inftruit de jeunes-fe ; mais il eft naturellement grand criard.

(c) Pfittacus maximus: en Hollandois groote Fafe-gay : en Allemand Papagay.

Tome IL M

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Le fecond eft l 'Aras bleu. Il a le bec noir , & un peu plus long que celui du pré­cédent; il a auffi une peau autour des yeux, bariolée de plumes noires, Le fommet de fa tête eft plat , & verd. Il a tout autour de la gorge un collier noir ; tout le deffous de fon corps eft fafrané, & le deffus eft d'un beau bleu. Sa queue eft de la même longueur que celle de l 'Aras rouge. Il a les jambes & les pieds bruns , & les ongles noirs.

Les Perroquets, de la féconde divifion, le distinguent par la diverfité de leur pluma­ge , ou fou vent , par la dénomination des différentes Iles d'où ils viennent; car il ne faut pas s'imaginer que tous ceux qu'on trouve à Surinam, en foient originaires. Ce font les Indiens, qui les y apportent, pour en faire commerce ; ils f o n t , d'ailleurs, d'un tiers plus petits que les Aras.

Le premier de cette Efpece ( d ) , eft un Perroquet qui vient de l'Orenoc. Il eft grand & verd. Il a les aîles rougeâtres ; la partie fupérieure du bec, noire au bout,puis bleu­âtre , & le refte rouge ; l'inférieure eft blan­che. Il a l'iris des yeux fafranée, le fom-. met de la tête jaune, & le refte du corps verdâtre, plus foncé en deffus, & plus clair en deffous. La partie fupérieure de fes

(d) P fittacus viridis.

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D E SURINAM. 175

aîles eft rouge; fa queue un peu courte; & fes jambes & fes pieds font cendrés.

Le fecond eft le Perroquet gris de Guinée,

(e) Il a le bec noir; tout le corps cendré obfcur ; la queue rouge, de couleur de ci­nabre, mais fort courte, excédant, à pei­ne , le bout des aîles; les yeux entourés d'une peau nue & blanche. Ce font les vais-féaux Négréiers, ( f ) qui les apportent dans le pays, en revenant de la Guinée.

On les vend, depuis dix jufqu'à quinze florins de Hollande, la picce.

Le troifieme eft un Perroquet verd ( g )

des Amazones; Son plumage , qui eft d'un verd éblouiffant, eft d'une beauté accom­plie. 11 eft fort grand, & a quelques plu-mes jaunes fer le front.

Le quatrieme eft un Perroquet violet, (b)

qui a la tête & tout le déffus du corps d'un beau rouge cramoifi; & toute la poitrine & le ventre d'un fort beau violet. Sa tête paroît comme feparée du dos par une ligne violette , qui vient, latéralement, fe join­dre au violet de la poitrine, & femble for­mer le collier d'un tablier de cordonnier.

(e) Pfittacus cinereus.

( f ) Terme ufité dans le pays, pour défigner les vaiffeaux qui tranfportent les Negres de Guinée à Surinam. :

(g) Pfittacus viridis major. (h) Pfittacus major violaveus,

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Ses plumes fcapulaires font d'un beau bleu ; fes aîles & fa queue vertes & rouges. Il a le bec noir & très-fort, & l'iris de fes yeux eft de couleur d'or.

On trouve ce Perroquet du côté des A -mazones.

Le cinquieme eft un Perroquet varié, (i)

Il a la poitrine & le col d'un plumage bi­garré, de couleur rougeâtre foncé, & fur la fin, d'un bleu très-élégant : il a les plu­mes du ventre presque de la même couleur, mais, cependant, parfemées de brun ; cel­les du dos vertes ; les grandes plumes des aîles bleuâtres, & la queue toute verte.

Il eft à remarquer que , lorsqu'on met cet oifeau en colere , il dreffe les plumes de fa tête, de maniere, qu'elles paroiffent former une fort belle crête.

Le fixieme eft le Perroquet verd, ( k ) qui

a le dos jaunâtre, & le refte de fon pluma­ge d'un verd pâle.

Le feptieme ( l ) eft un Perroquet, qui a la tête, les épaules & les cuiffes jaunes; & le refte de fon plumage d'un très-beau verd.

Le huitieme (m) eft un Perroquet à plu­

mage du plus beau verd ; mais qui a la tête

(i) Pfittacus elegans, clufii exoticorum. (k) Pfittacus viridis, dorfo flavefcente.

(l) Pfittacus viridis, capite, humeris femoribits luteis.

(m) Pfittacus capite cyaneo, collari luteo.

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d'un bleu célefte, ou azur, avec un col­lier jaune.

Le neuvieme (n) eft un petit Perroquet verd, à longue queue, qui a le bec un peu rouge, les jambes & les pieds de même, & le refte de fon plumage d'un très-beau verd.

Tous les Perroquets, de la troifieme Efpe-ce , font appelles Perruches ou Perriques, parce qu'ils font fort petits; & c'eft, en partie , cette petiteffe qui fait" leur beauté. Celles que le pays fournit, font , à peu près, de la groffeur d'un merle, & toutes vertes. Elles ont ; par-ci par-là, quelques plumes rouges fur la tête ; & leur bec eft blanc. Elles vont toujours en troupes , & fui vent les fruits & les graines de mil, à mefure qu'ils mûriffent. On a toutes les peines du monde à les diftinguer fur les arbres où elles fe perchent ; mais l'on n'en a point à connoître qu'elles y font fouvent en grand nombre, par leur ramage, qui flatte l'oreille , & charme ceux qui les écou­tent. Elles ne font cependant bonnes qu'à manger, parce qu'on ne les peut pas appri-voifer, comme les fuivantes.

La feconde forte de Perruche (o) eft de la groffeur des précédentes. Leur bec eft noir ; l'iris de leurs yeux aurore ; le des-

(n) Pfittacus totus viridis.

( o ) Pfittacus minor, prolixâ caudâ,maculis flammets

confperfus.

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DesPer-rucbes, ou Per-riques.

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fans du bec bleu célefte, & le deffus bleu ardoifé ; le refte de leur tête eft brun, & le bas du col bleu ardoifé : tout le deffus du corps & de la queue, flammé, d'un verd éclatant, Toute la gorge eft brune , avec un bord aurore à chaque plume : ce qui forme un total écaillé. Elles ont le pli de l'aîle cou­leur de feu, & le refte bleu; tout le des­fous du corps d'un verd éclatant ; & le mi­lieu du ventre lilas, veiné de brun: fur le milieu de la queue, une ligne longitudina­le lilas , & le deffous de la queue, (qui eft plus courte que celle des autres Perru­ches) d'un rouge brun, tirant fur le mar­ron ; les pieds & les ongles font noirs.

La troifieme ( p ) eft une Perruche de la Guinée, d'une aflez grande Efpece. Elle a le. deffus de la tête gris-brun; tout le deffus du corps & des aîles verd-brun de pré, & les plumes de la queue verd - brun ; le pli de l'aîle citron clair; le col de même; la poi­trine , le ventre, & les cuiffes d'un bel o-rangé.

La quatrieme (q) eft une autre Perruche de Guinée, de la groffeur d'une alouette. Son bec, fon front, fes j o u e s , & le haut de fa gorge font d'un orangé vif, dans le mâle , & pâle dans la femelle. Tout fon

(p) Pfittacus major. (g) Pftttacus minor.

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D E S U R I N A M .

corps eft, en deffous, d'un beau verd clair, & en deffus d'un verd plus foncé. Son croupion eft d'un bleu éclatant; les plumes de fa queue, qui n'eft pas fort longue, font mêlées de rouge & de noir. Le pli de l'aîle eft noir, mêlé de violet; les plumes de fes ailes font d'un beau verd en dehors, & d'un brun minime en dedans. Ses yeux font noirs, & fes pieds gris.

Presque tous les Ornithologiftes font men­tion d'un bien plus grand nombre de Perro­quets; mais comme il ne s'agit , i c i , que de ceux qu'on peut fe procurer dans la Colonie, j'ajouterai feulement que cha­que contrée de la terre-ferme produit de ces animaux, que l'on diftingue uniquement par leur plumage.

Le Pere Labat dit , d'ailleurs, que tous les petits Perroquets de la Guadeloupe font de la groffeur d'un merle , entièrement verds, à la réferve de quelques petites plu­mes rouges , qu'ils ont fur la tête, & que leur bec eft blanc. Ils font doux, cares-iants, & ils apprennent facilement à parler.

Ceux du Bréfil font totalement verds : leurs plumes femblent couvertes d'un petit duvet blanc & très-fin, qui les fait paroître argen­tées. Ils font d'ailleurs fort v i fs , très-pri­vés , & femblent aimer à s'entretenir avec les hommes; car quand ils entendent parler,

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foit de jour , foit de nuit, ils fe mettent de la partie, & crient toujours plus fort, que qui que ce foit.

Tous les Perroquets, tant de la premiere, que de la feconde Efpece, ont beaucoup de difpoiition à apprendre à parler , pour peu qu'on les inftruife étant encore jeunes. Ils ont auffi beaucoup d'adreffe à faire leurs nids ; car ils ramaffent quantité de joncs &, de petites branches d'arbres , avec lesquels ils forment un tiffu, qu'ils ont l'art d'attacher à l'extrêmité des branches les plus foibles des arbres les plus élevés.

Ces animaux ne voyagent jamais, qu'en troupe, & toujours deux à deux. Dans de certaines faifons. de l'année, & fur-tout dans la cueillette, ou récolte du Caffé, ils. vien­nent par milliers, faire ravage fur les arbres qui le portent. Ce qui me rappelle une avan-ture, que voici.

Un j o u r , me trouvant en très-bonne & nombreufe compagnie, fur le Plantage de feu Monfieur Tourton , ancien Confeiller de la Cour de Criminelle Juftice , on propofa une partie de chaffe aux Perroquets, de la­quelle je me trouvai, moi feptieme.

Nous fûmes, une heure avant le coucher du foleil, les attendre au bord de la rivie­r e ; parce que c'eft ordinairement vers, le foir que chaque croupe fe raffemble, pour venir fe jetter fur les arbres à Caffé, A peine

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D E S U R I N A M .

y furent-ils, que nous commençâmes à tirer deffus, d'une telle maniere , qu'en moins d'une heure nous en tuâmes ou bleffâmes plus d'une centaine. Contents d'une pareille chas-fe , pour le petit nombre que nous étions, nous nous en retournâmes ; & l'on agita, au fouper, de quelle maniere on les apprêterait pour le lendemain : le réfultat fut qu'on commenceroit. par couper toutes les lan­gues, pour en faire un pâté, qui ne fe trou­va pas, à la vérité, des meilleurs; mais du moins pûmes-nous nous vanter d'en avoir mangé un- de langues de Perroquets, : fantai-iie qu'il feroit fort difficile de fatisfaire en Europe, fans y employer des fommes exor­bitantes ; encore ne fçais-je fi l'on y par­viendrait. L'on en mit une vingtaine dans une marmite, lesquels firent une foupe des plus exquifes : l'on en fit étuver une quantité d'autres, qui fe trouverent tendres, délicats & parfaitement bons : mais pour ceux que l'on fit rôtir, ils devinrent fi fecs qu'ils n'a-voient aucun goût. Cela n'empêche pas que je ne puiffe certifier avoir mangé,une fois en ma-vie , des Perroquets accommodés de quatre manieres différentes.

Le Martin Pêcheur (r) , qui fréquente les

eaux, eft plus petit qu'un merle. Il a le bec

( r ) Alcedo , muta cirrata fubviridis: en Hollan­dais Alkyon: en Allemand Eis-Vogel.

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Dû Martin Pê­cheur.

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Du Merle,

noir & gros, fort droit, pointu, & long de deux pouces ; la bouche fafranée, en dedans ; le menton, & le milieu du ventre blancs, avec quelque mêlange de rouge;le bas du ventre, & le deffous des aîles, rouffâtres. Sa poitri­ne eft auffi rouffe ; avec les extrêmités des plumes d'un bleu clair argenté & éblouis-fant , fur-tout celles du dos : on y remarque cependant des lignes noires, nuancées. Le fommet de fa tête eft. d'un noir verdâtre , avec quelques taches bleues en travers. L e grand pennage eft auffi d'une couleur bleue verdâtre ; la queue courte & d'un bleu ob-fcur : fes jambes font petites, & il a les pieds d'une ftru&ure finguliere ; car le doigt exté­rieur s'attache à celui du milieu, par trois jointures, & l'intérieur, par une feule : or le doigt intérieur eft plus petit , & plus court de moitié que celui du milieu ; l'extérieur eft presque égal à celui du milieu; & le pos­térieur , un peu plus grand que l'intérieur.

Il fe perche, & fait fon nid dans des trous, près de l'eau, dans lesquels il pond cinq ou fix œufs. On le trouve, ordinairement, le long des eaux vives, comme rivieres, cri­ques; &c. & quoiqu'il fe nourriffe de bons poiffons, fa chair n'eft cependant pas bonne à manger.

L e Merle (s) eft un oifeau fauvage de

(s) Merula: en Hollandois Meerle; en Allemand Amfel.

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Du He-cbe-queue.

bois. Il eft du genre des étourneaux; & l'on en. diftingue de plufieurs fortes. Celui qui fe trouve à Surinam ,eft d'une taille médio­cre. Il a, depuis la pointe du bec, jufqu'au bout de la queue, une douzaine de pouces. Le mâle eft totalement noir ; mais il a le bec d'un jaune orangé : celui de la femelle eft noirâtre; & fon plumage eft d'un noir mal teint, tirant fur le brun.

Cet oifeau fe nourrit de tout ce qu'il trou­ve dans les bois, infectes, fruits ; &c. fon nid, qu'il fait dans les brouffailles, eft , ex­térieurement, compofé de mouffe, de ra­meaux déliés, & de menues racines, liés enfemble avec de la boue, qui tient lieu de colle.

L e Hoche-queue ( t ) eft un oifeau de paffa-g e , qui fe fait reconnoître au branlement continuel de fa queue : ce qui l'a fait nom­mer par Gesner (Hift. animal.) Motacillœ cau-

dam irrequietè motitant.

Il y en a de deux Efpeces, qui fréquentent les rivieres ; l 'une, noire & blanche, l'autre, jaune & cendrée. Cet oifeau a , depuis la pointe du bec jufqu'au bout de fa queue, huit pouces, & ne fe nourrit que de petits vers & autres infectes.

(t) Motacilla: en Hollandois Quikftaart: en Alle-mand Bacbfteltze.

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L e Guêpier ( U ) eft , à peu près , de la grandeur du merle , mais il reffemble, de, figure, au maitin pêcheur.

L'iris de fes yeux eft d'un brun rouge : fon plumage eft varié,de couleur rougeâtre der­rière la tête, d'un jaune verdâtre au col ; les plumes des aîles font verdâtres, mêlées de noir & de bleu; fes griffes font noires. Il y en a de deux fortes ; l'un grand, & l'an-, tre plus petit.

Ces oifeaux ne fe nourriffent que d'abeil­les & d'autres infectes volants.

La Mefange ( x ) eft un oifeau de favanes & de bois. Il y en a de plufieurs fortes: quel­ques-unes font un peu plus grandes qu'un pinfon ; d'autres n'ont , depuis le bout du bec jyfqu'à celui de leur queue, que quatre

, pouces.

Toutes les Efpeces, que je vais décrire, ont les plumes fi avant fur le bec, qu'elles: en paroiffent huppées.

La premiere (y) eft de la grandeur d'un gros pinfon. Elle a la tête & le menton noir ; le refte du deffus du corps d'un verd jaunâtre, excepté le croupion qui eft bleuâ-

( M ) Merops major & minor, five Apiaftre: en Hol­landais Specht : en Allemand de même.

(x) Parus : en Hollandois Mees of Meeze ; en Al­lemand Meife,

(y) Parus major.

Des Me-fanges.

Du Guê­pier.

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tre ; le deffous du corps jaune, & les pieds plombés.

La feconde (z) eft de la même groffeur que la précédente. Elle eft connue fous le nom de Mefange charbonnière, parce qu'elle a des bandes & des taches noires fur le corps. On prétend que celle-ci eft un oifeau de proie, parce qu'elle mange de la viande, & qu'elle s'attache aux cadavres.

La troifieme (a) a la tête noire, & la poi-trine toute blanche.

La quatrieme (b) a auffi la tête noire; mais les mâchoires blanches, le dos verdâtre, & les pieds plombés.

La cinquieme (c) eft celle qui a la couleur d'olive, & le ventre jaunâtre.

Toutes ces cinq Efpeces de Mefanges ont le bec noir, droit, court & fort pointu. El­les habitent, ordinairement, autour des ar­bres , & dans les favannes, & fe nourriffent, principalement, d'infectes & de chair mor­te. Elles font leurs nids dans les trous des arbres, où elles pondent leurs œufs , au nombre de fept à huit, qui font d'un blanc-cendré , pointillés de rouge.

(z) Parus nigricans, feu Carbonarius. (a) Parus ater, pectore albo. (V) Parus capite nigro, temporibus albis, dorfo ci-

nereo. (c) Parus olivarius, ventre flavefcente.

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L'Hirondelle a la tête grande; le bec court, & extrêmement fendu, pour attrapper, plus facilement, les infectes en volant ; les aîles fort longues, & le vol rapide ; les pieds courts & petits: auffi ne marche-t-elle gueres: la queue longue & fourchue, pour fléchir, & retourner le corps plus promptement.

Les Hirondelles de l'Amérique (d) res-femblent beaucoup à notre hirondelle de muraille, qui fait peu d'ufage de fes pieds. Elle a le bec grand, & le peut ouvrir jus­qu'aux yeux. Ce font des oifeaux paffagers, qui font, ordinairement, leurs nids dans les creux des arbres.

Celles que l 'on voit dans la Colonie, ont le haut du gofier d'un brun blanc, & la queue divifée en fix : tout le refte de leur plu­mage eft de couleur de pourpre.

L'Hirondelle de Mer ( e ) eft un oifeau bien différent de celui dont je viens de parler. Il y en a de deux Efpeces,- la grande & la pe­tite. Le plumage de cette derniere eft d'un cendré obfcur ; le deffous du ventre blan­châtre , & le bord des aîles noirâtre. Son bec eft long, droit, & de couleur rouge: fes pieds font auffi rouges.

(d) Hirundo Americana, feu Hirundo caudâ vel fe-

xies divifd ; en Hollandois Zevaluw : en Allemand Scbwalbe.

( e ) Hirundo marina major.

Des Hi­rondel­les.

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DE SURINAM. 187

Le mâle de la grande Efpece a le bec, la tête, le col , & la poitrine noirs; les plumes du dos, des aîles & de la queue, de couleur de frêne ; celles du ventre & des cuiffes, d'un blanc fale; les jambes & les pieds rou­ges , & dégarnis de plumes ; les griffes noires.

Cet oifeau va fi avant en mer, qu'on pré-tend qu'il s'écarte à plus de deux cents lieues des côtes. Il fe nourrit, ordinairement, de poiffons, & pourfuit plufieurs autres petits oifeaux aquatiques, pour leur faire dégorger le poiffon qu'ils ont pris, & en faire fa proie.

L'Etourneau ( f ) eft un oifeau fort connu, par la beauté de fon plumage, qui eft bleu, jaune & rougeâtre : il eft de la groffeur d'un merle. Son bec eft femblable à celui de la pie : il porte, fur la tête, une efpece de petite crête jaune, revêtue de plumes noires, & mollettes comme du velours.

On diftingue plufieurs Efpeces de Grives; mais je n'en connois, à Surinam, que deux, qui approchent le plus de celles d'Europe.

La premiere ( g ) eft de la grandeur d'une alouette : fon plumage eft mêlé de jaune &

(f) Stumus: en Hollandois Spreeuw: en Allemand Staar.

(g) Turdus fluviatilis, ex grifeo purpurafcens, pinnâ.

dorfali flavefcente: en Hollandois Krams-Vogel: en Allemand Droffel.

De l'E-tour-neau.

Des Gri-ves.

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de gris, excepté qu'elle a fur l'échine du dos une efpece de raie jaune.

La feconde (b) eft , à peu près, de la même grandeur, & a le deffous du corps blanchâ­tre , le deffus brun, & le tout entre-mêlé de plumes noires & blanchâtres, fur-tout vers la tête & la queue.

L'une & l'autre fe nourriffent de vers & d'infectes, & font bonnes à manger.

Il en eft de même dans ce pays, des Perdrix, tomme des grives : on n'en connoît que de deux fortes.

La premiere (i) eft d'une grande Efpece. Elle fe perche fur les arbres, & pond des œufs d'un bleu célefte : fon bec , qui eft fort long, eft noirâtre; & toutes fes plumes font d'un olive foncé.

La feconde ( k ) eft plus petite que là précédente; fon plumage eft d'un fauve fon­c é , par tout le corps, & tacheté de brun.

Le Pivoine, (l) ou Gros-Bec , eft de la

grandeur d'une alouette : il a le bec brun en deffus, blanc en deffous. Le deffous du col & le dos font de couleur cendrée, très-légerement teinte de roux. Sa gorge, & la

par-

(6) Turdus minor. ( i ) Perdrix major olivaria: en Hollandois Patrys:

en Allemand Rebbun. (k) Perdrix minor.

(l) Rubicilla Amencana.

Du Pi­voine.

Des Per­drix.

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partie inférieure & moyenne de fon col font d'une couleur fanguine ; toute la poitrine & le bas ventre, blancs, &la queue eft noire.

Le Pluvier (m) eft de la grandeur d'un pigeon. Il a le bec noir, long de deux doigts & demi ; le deffus du corps, varié de brun & de grifâtre ; tout le deffous du corps blan­châtre , de même que le bas du dos ; la queue bigarrée de lignes blanches & brunes, al­ternativement ondées ; les jambes très-lon­gues , & d'une couleur livide.

Il y a des faifons où les favannes des Plantages en font remplies, fur-tout quand elles font un peu marécageufes ; parce que cet oifeau fe plaît dans le voilinage des rivie­res. Il eft toujours en mouvement, & fe nourrit de vers & de mouches. Il vole ra­pidement, & fait un affez grand bruit en vo­lant : fa chair eft délicate, & d'un goût ex­quis , mais quelquefois trop graffe.

La Becaffe ( n ) eft un oifeau, qui eft un peu plus petit que la perdrix. Elle a le des-fus du corps varié de roux, de noir & de cendré; la poitrine & le ventre cendrés. El­le a le bec droit , cylindrique, & un peu allongé. Ses pieds font auffi cendrés. Elle fréquente les favannes marécageufes, & les

(m) Pluvialis cinereus. (n) Scolopax : en Hollandois Snip : en Allemand

Schnepffe.

Tome II N

De la Becaffe.

Du Plu­vier,

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( o ) Gallinago minor.

Des Be­caffines.

petits ruiffeaux , où elle trouve fa nour­riture. Autant le vol de cet oifeau eft pe-fant , autant trotte-t-il, à terre, avec une vîteffe extraordinaire. Sa chair eft très-dé­licate.

Les Becaffines (o) font affez remarqua­bles par la longueur de leur bec, qui a près de trois pouces. Cet oifeau, qui n'eft que paffager, eft un peu plus petit qu'une a-louette. Ses plumes f o n t , à peu près,com­me celles de la becaffe, mais plus agréable­ment colorées fur le dos ; le plumage des épaules étant varié de noir & de rouffâtre, avec un peu de verd. Sa poitrine & fon ventre font presque tout blancs. Elles fe tien­nent , ordinairement, enfemble, par mil­liers, au bord de la mer, particuliérement dans les grandes chaleurs. Il ne faut pas être fort habile chaffeur , pour en tuer, alors, cinquante ou foixante à la fois, avec de la plus fine dragée ; car elles fe tiennent fi fer­rées, que je me fouviens d'en avoir mis bas, une fois, quatre-vingt-cinq d'un feul coup de fufil Il ne faut pour cela que lâ-cher fon coup dans le gravier, parce qu'el­les en font tout de fuite fi aveuglées,qu'on en peut prendre même une grande quantité toutes vivantes, fans la moindre difficulté.

Leur chair eft fort délicate ; mais elles

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DE S U R I N A M . 191

font fi petites, qu'on en peut manger faci­lement une vingtaine fans craindre d'indi-geftion.

La Mouette (p) eft un oifeau aquatique, qui a les aîles longues, les pieds fort courts & palmés. Elle a le bec d'un blanc fale, le bout jaune ; la tête & le col tachetés de noir; le dos, jusqu'à la queue , cendré; les plumes , qui couvrent le corps, blan­ches ; les aîles variées de noir & de blanc , & les pieds verds.

Cet oifeau eft peu charnu. Toujours vo­lant, toujours affamé, & ne fe nourriffant que de petits poiffons, il habite le plus fou-vent les rivages de la mer ; & fon cri res-femble à celui d'un Choucas. Il eft de la grandeur d'une pie,; & il y en a de deux Efpeces.

Celui de la feconde Efpece (q) eft appel-l é , par quelques uns, Coupeur d'eau; parce qu'il a le bec très-applati par les côtés, & fait, àpeu-près , comme une paire de cifeaux ; ce qui a donné lieu de l'appeller ainfi. Il a les yeux noirs, & l'iris blanche; la tête , le c o l , la poitrine , & le ventre, d'un blanc jaune ; le dos , & les plumes de la queue, par écailles; & les aîles noires, avec un peu de blanc au bout.

(p) Larus pifcator cinereus.

(q) Larus major, rojor inœquali, Hift. Natur. Carol.

N 2

De la Mouet-te.

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L'Oifeau, qu'on nomme dans le pays Oi­feau de Soleil, eft fi remarquable par là beauté, comme par la diverfité de fes cou­leurs , qu'il mérite bien d'être décrit. Il eft de la grandeur du pluvier doré. Sa tête , qui eft petite, eft ornée de deux petites raies noires ; fon bec eft femblable à celui de la becaffe blanche ; l'iris de fes yeux eft rouge; fon col eft Un peu long , & fort mince , à proportion du corps ; fes aîles font aifez grandes, & ont les plumes de des-fus longues, & celles de deffous courtes. Il a la queue longue , & comme divifée en deux ; de forte , que, lorsqu'il l'étend , en même temps que fes aîles, elle forme véri­tablement la figure du foleil ; ce qui lui a fait donner le nom qu'il porte : fes jambes font courtes.

Cet admirable oifeau eft couvert de beau-coup de plumes rouges, noires, blanches & jaunes , mêlangées, & toutes des plus v ives , & fi bien difpofées les unes fur les autres, qu'elles forment une tapifferie des plus brillantes.

Il habite ordinairement les bords des ri­vieres & des criques, parce qu'il fe nour­rit de petits poiffons, & de toutes fortes d'infectes. Mais il eft, fur-tout, fort habi­le à attraper les mouches ; & il fçait fi bien les guetter, qu'au premier coup de fon bec ,

De l'Oi-feau de Soleil.

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qu'il a fort pointu, elles font prifes. Car on ne fçauroit décocher une fleche avec au-tant de dextérité, que cet oifeau en a pour fe faifir de tout ce qu'il veut prendre.

Le Chevalier ( r ) eft un oifeau aquatique, ou efpece de pluvier, de la groffeur d'un pigeon. Il eft monté fur de hautes jambes : fon bec, qui eft jaune, a près de deux pou­ces de longueur. Le deffus de fon corps eft couvert de plumes de couleur canelle, ou d'un rouge très - foncé. Son col & fa poitrine font noirâtres ; fes aîles jaunes, & armées, à chaque extrêmité, d'une défen-fe en forme d'ergot, qui lui fert à fatisfai-re la fureur qu'il a de fe battre contre fes camarades. Il habite les favannes maréca-geufes, les rivieres & les criques, & en­tre , même, dans l'eau jufqu'aux cuiffes.

Le Vanneau (s) eft encore un oifeau a-quatique, qui eft de la grandeur d'un petit pigeon. Il a le bec court, droit, & noir ; la tête ornée d'une petite crête ; le corps couvert de belles plumes. Sa tête, fon c o l , fon dos , & fes aîles font noirs , le tout changeant en verd-foncé; tout le ventre, le deffous du corps, & les cuiffes, font blancs. Il a quelques taches d'un blanc r o u x ,

(r) Callydris : en Hollandois Kem-Haantjes : en Al-lemand Roth-Beinlein.

(s) Gavia : en Hollandois Meeuw : en Allemand Kiebitz.

Du Pan­neau.

Du Che-valier.

N 3

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Du Se­rin.

De la Caille.

Du Rou­ge-Gor­ge-

à l'origine des grandes plumes de l'aîle; fes jambes & fes pieds font plus longs que ceux de notre Vanneau d'Europe.

On le trouve, ordinairement , dans les favannes marécageufes , où il vit de toutes fortes d'infectes.

Le Serin de Surinam (t), OU du moins

l'oifeau qu'on y nomme ainfi, eft une efpe­ee de pinfon, qui n'a rien d'agréable dans fon chant, mais qui eft remarquable par la beauté de fon plumage, qui eft d'un vio­let , approchant de la couleur d'améthyfte ; aux plumes de la tête près, qui font d'un jaune doré.

La Caille du pays (u) n'en eft qu'une ef­peee, qui n'eft que paffagere, Elle a un fort beau plumage gris, femé de plufieurs ta­ches jaunes , blanches , brunes , & d'au­tres couleurs.

Le Rouge - Gorge ( x ) eft un oifeau fort commun dans les favannes. Il a le dos d'un brun obfeur, tirant fur le noir. Son col (, fa poitrine, & fon ventre font d'un rouge incarnat ; ce qui a donné lieu au nom qu'il porte. De maniere qu'il fe diftingue facile-

(t) Acantbis : en Hollandois Dieftel-Vink : en Alle­mand Zeislein.

(w) Cortunix , en Hollandois Quatel: en Allemand Wacbtel.

(x) Erithacus: en Hollandois Rood-Borfie: en Al­lemand Roth-Bruft.

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ment, par cette belle couleur, qui eft plus pâle dans la femelle que dans le mâle.

Cet oifeau eft d'un goût auffi exquis que l'ortolan.

On peut bien dire, avec vérité, que le Colibri eft un oifeau, qui peut paffer pour un chef-d'œuvre de la Nature, tant pour fa beauté, que pour la petiteffe de fon corps, & pour fa façon de vivre ; car il ne fe nour­rit que du fuc des fleurs, qu'il fuce avec fa langue, qui eft conformée pour cela : ce qu'il fait en fe tenant longtemps fufpendu en l'air , par le balancement de fes aîles, dont le mouvement eft fi vif & fi prompt, qu'on a peine à le difcerner, & que ce petit animal paroît comme immobile.

Cet oifeau ne paroît quelque chofe, que lorsqu'il eft couvert de plumes ; car quand il en eft dépourvu, il n'eft guere plus gros qu'une très-petite noix.

Il y en a cependant de plufieurs Efpeces, plus ou moins g r o s , & que l'on diftingue encore, les uns des autres, parla différente figure de leur bec , ou par la diverfité de leurs couleurs, qui font toutes fi vives, que l'art entreprendrait en vain d'en faire un tableau, qui approchât de la réalité,

Le premier ( y ) eft le grand Colibri, qui

(y) Mellifuga major, coccineus, roftello longiori & arcuato : en Hollandois Lonkerkie.

Des dif. férentes Efpeces de Coli­bris.

N 4

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eft de la grofleur du roitelet. Sa gorge eft d'un verd glacé d'or , approchant de l'émé-raude & de la topaze réunies ; fa poitrine & fon ventre font d'un rouge & or vif, glacé; fon dos eft rougeâtre; les plumes du milieu de fa queue font longues, étroites, & d'une efpece de violet glacé. Son bec eft courbe, & long d'environ deux pouces ; fa langue eft divifée en deux, vers le b o u t , & eft très-déliée & très-longue, pour puifer, au fond du calice des fleurs, le fuc qui lui fert de nourriture. Ses jambes font courtes, & armées d'ergots très-pointus.

Le fecond (Y) eft d'un tiers plus petit que le précédent: il a tout le deffus du corps verd & or; la gorge d'un verd d'éméraude; fa poitrine d'un bleu glacé d'or, très-éclatant; le bec droit, de la longueur d'un pouce.

Quelques Auteurs ont appellé celui-ci, oifeau-moucbe, pour le diftinguer, par-là,de l'autre ; mais ils fe font lourdement trompés.

Le troifieme (o) eft encore plus petit que le fecond; ce qui me porteroit à croire, que l'on pourroit le regarder comme le vérita­ble oifeau-moucbe. Il porte fur fa tête une efpece de petite huppe , de la couleur du plus beau rubis : fon bec eft très-petit & droit. Les plumes de fon col font d'or vif

( z ) Mellifuga, minor ,fubviridis,

(a) Mellifuga,omnium minima.

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glacé; celles du ventre,du dos & des aîles, d'un rouge très-foncé , & fa queue eft de couleur d'orange.

C'eft, felon moi, le plus magnifique, ou le plus beau, de tous les oifeaux que la Natu­re ait produits, comme il en eft le plus pe­tit ; car il n'eft pas plus gros qu'une noifette.

Leurs nids f o n t , fur-tout, dignes d'ad­miration : ils font fuspendus en l'air, à quel­ques petites branches, un peu à couvert de la pluie ; ils font, environ, de la groffeur de la moitié d'un œuf de poule, compofés de petits brins de bois , entrelacés, comme un panier, & garnis de coton & de moufle , d'une propreté & d'une délicateffe merveil-leufe. Ils ne font jamais que deux œufs , gros comme des pois gris ou communs, blancs, avec quelques petits points jaunes. L e mâle & la femelle les couvent , l'un a-près l'autre; mais la derniere refte, cepen­dant , plus long-temps deffus. Les petits, étant éclos, ne doivent pas être fort gros, comme on peut facilement fe l'imaginer. Ces oifeaux, même defféchés , font, avec leurs nids , l'ornement d'un Cabinet en Hiftoire Naturelle.

Leur chant n'eft qu'une efpece de petit bourdonnement fort agréable clair, foible, & proportionné à l'organe qui le produit. • Quelques Naturaliftes prétendent, qu'a-

N 5

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(b) Ficedula.

Des Bec-figues.

près la faifon des fleurs, ces oifeaux relient engourdis; mais ils ignorent, fans doute, que dans les pays chauds , il y a, pendant toute l'année des fleurs, tantôt fur un arbre, & tantôt fur un autre ; ce qui détruit leur opinion : car je puis leur certifier qu'on ne ceffe point de v o i r , en tout temps, de ces petits animaux, en abondance , dans les bois & fur les arbres fruitiers des jardins , foit dans la ville, ou fur les Plantations.

Le Bec figue (f) eft un oifeau, à peu près, de la grandeur d'une linotte: il a le corps un peu court; la tête, le dos, les aîles, & la queue, de couleur cendrée ; tout le des­fous du corps blanc, ou argenté ; la poitrine feulement plus obfcure, avec quelques tein­tes de jaune ; le bec noir, & les pieds bleu­âtres.

Ce petit oifeau n'eft remarquable , par aucune diverfité de couleurs ; auffi n'a-t-on point donné d'autre nom à tous ceux de fon Efpece, que celui de Bec figue.

Il y en a qui reffemblent affez à la fauvet­te , & d'autres à notre roffignol ; mais il n'y a point d'apparence qu'ils foient ni l'un ni l'autre.

Tout ce que je puis ajouter à leur defcrip-tion, c'eft qu'ils font les deftructeurs, pour ainfi dire , des papayes, des guyaves, des

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De l'A-fouette.

De la Linotte.

DuChari donneret.

bacoves , des bananes , des raifins, & des figues , dont ils fe nourriffent; & qu'ils ne paroiffent, que lorfque tous ces fruits com­mencent à mûrir.

L'Alouette (c) de l'Amérique eft plus gran­de que celle d'Europe ; elle a le bec plus grand & plus long, la tête un peu crêtée. La couleur de fon plumage eft moins belle & moins tachetée que celle de nos alouettes communes d'Europe ; car elle eft toute gri-fe : mais, en revanche, elle a un beau col­lier , qui la diftingue de celles de fon Efpece. Les rivages de la mer font les endroits qu'el­le fréquente le plus volontiers.

La Linotte,, (d) qu'on trouve à Surinam, eft un oifeau de favannes qui eft plus grand que le moineau. Elle a la gorge jaunâtre, & le bec de même; le refte de fon pluma­ge eft d'un gris cendré : elle n'a pas un chant qui mérite qu'on la mette en cage ; mais, en récompenfe, on la regarde comme une ef­pece d'ortolan, parce qu'elle eft très-bonne à manger.

L'oifeau, qu'on appelle en ce pays Char­donneret , (e) n'en eft qu'une efpece : il a le front & les environs des yeux noirs ; les

( c ) Alauda riparia major: en Hollandois Leeuwerk: en Allemand Lercbe.

(d) Linaria,pectore fubluteo, roftro flavicante. ( e ) Fringilla carduelis Americana : en Hollandois

Diftel-Vink : en Allemand Diftel-Finck ou Stieglitz.

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aîles de couleur de terre ; les extrêmités des plumes un peu jaunâtres, & conftruites en maniere de franges : fa queue eft noire, & le refte jaune.

On le trouve auffi dans les favannes. Les Pinfons , (f) ou du moins les oifeaux

qu'on peut regarder comme de cette Efpece, font de plufieurs fortes.

11 ,y en a dont le corps eft brun, & qui ont le haut du gofier , le bas du col, jus­qu'aux cuiffes, & les épaules des aîles, rou-geâtres ; le bec blanchâtre, & les pieds bruns.

D'autres ont le bec gros , brun, & blan­châtre en deffous ; le deffus de la tête, la gor­g e , & le bas du col , fanguins dans le mâle, & jaunes dans la femelle ; & ils ont égale­ment le refte du deffus du corps cendré, & les plumes des aîles & de la queue brunes.

Ces deux Efpeces fréquentent auffi les fa­vannes, & ne font bonnes qu'à être mangées; car leur chant eft très-peu de chofe.

L e Pruyer (g) eft un oifeau plus grand qu'une alouette; mais qui en approche beau­coup par la couleur : il a le menton, la poitrine, & le ventre d'un jaune blanchâtre; il a, en outre, des taches noires & oblon-gues à la gorge. 11 a le bec un peu gros,

(f) Fringilla.

(g) Fringilla grifea, nigro maculata.

Du Pruyer.

Des Pin-fons.

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C E S U R I N A M . 201

avec un tubercule à là mâchoire fupérieure; les. côtés de fa mâchoire inférieure font plus hauts, qu'ils n'ont coutume de l'être dans les volatiles, & en forme d'angles. Je mets cet oifeau dans la claffe des pinfons, parce qu'il a beaucoup d'affinité avec eux.

Le Roitelet, (b) qu'on regarde à Surinam, comme le roffignol, n'a, depuis la pointe du bec jufqu'au bout de la queue, que cinq pouces : il a le bec noir en deflus, & plus pâle en deffous ; la tête , le c o l , & le dos d'un bai-brun ; les aîles , la queue , & le dos bariolés de noir, & la poitrine blanche. Cet oifeau varie tellement fon chant, qu'il le rend fort agréable.

C H A P I T R E X X I .

Des Amphibies & Reptiles.

LE mot d'Amphibie lignifie, proprement, tout animal qui vit indifféremment ,

dans l'eau ou fur la terre; & celui de Rep­tile eft applicable à tous les animaux qui rampent fur le ventre, ou qui fe repofent fur une partie du ventre, tandis qu'ils fe meuvent de l'autre en avant; tels que la plupart des ferpents, &c.

(b) Regulus, feu Paffer troglodities.

Du Roi­telet.

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2 0 2 D E S C R I P T I O N

DesCro-: codiles.

Dans la premiere Claffe, on regarde le Crocodile, & le Cayman, comme les deux plus monftrueux des animaux de cette Efpe­c e , & des plus dangereux, par leur vora­cité , attendu leur énorme grandeur, & le nombre de leurs dents.

Le Crocodile,(a) qui eft le plus gros d'en­tre tous les léfards, a des dents très-lon-

. gues , pointues, & rangées, exactement, comme celles d'un peigne; celles de la mâ­choire fupérieure s'emboîtant dans les intervalles de celles d'en-bas, & celles-ci, par conféquent, entre celles d'en-haut : fa langue eft, néanmoins, plus petite, à pro­portion, de celle des autres léfards. Il eft couvert d'une peau fort dure, écailleufe, & couleur de bronze, ou d'un brun jaunâ-tre , marquetée de blanc & de verd. Sa tê­te eft large : il a un mufeau de cochon ; fa gueule s'ouvre jufqu'aux oreilles , & fon gofier eft fort ample. Il n'a que la mâchoire fupérieure de mobile ; & elle s'articule à la nuque du col. Il a deux petits trous , en forme de croiffant, qui forment les nari­nes. Les ouvertures de fes oreilles font au deffus de fes yeux, qui reffemblent à ceux du- cochon ; lesquels lui fortent hors de la t ê t e , quoique placés en toute fûreté dans

(a) Crocodilus: en Hollandois Krocodil: en Alle mand Crocodil.

Page 167: Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam

D E S U R I N A M . 203 leur orbite offeux , mais immobiles. Ses pieds de devant font armés de cinq griffes, fort crochues , & aiguës ; ceux de derriere le font de quatre : fa queue eft ronde , & auffi longue que tout fon corps , même quelquefois plus.

On trouve beaucoup de Crocodiles tant grands que petits, dans presque toutes les rivieres de la Colonie ; parce qu'ils fe nourriffent volontiers de poiffons & de limaçons : ce qui ne les empêche pas d'ê­tre extrêmement friands de chair humaine. 11 s'en t rouve , depuis trois, jufqu'à quin­ze pieds de long, y compris leur, queue.

La plus grande force du Crocodile confifle dans fa gueule , fes griffes , & fa queue ; & c'eft avec ces terribles ar­mes , qu'il faifit facilement, renverfe & déchire fa proie. Il eft encore plus dan­gereux dans l 'eau, que fur terre.

Les Negres font affez habiles à le fur-prendre , quand il eft fur terre ; & c'eft à eux qu'on eft redevable de l'acquifîtion qu'on fait fouvent de cet Antropopha-g e , pour en faire l'ornement des Cabi­nets des Naturaliftes.

Le Cayman, (b) qui eft mis au nombre des Crocodiles, differe beaucoup de celui que je viens de décrire ; & l'on prétend qu'il eft beaucoup plus redoutable aux hom-

(b) Crocodilus catapbractus : en Hollandois Kayman.

Du Cay­man.

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204 D E S C R I P T I O N .

mes, que le précédent, non-feulement par­ce qu'il eft. plus gros, mais auffi parce qu'il a plus de force ; outre qu'il fe tient presque toujours dans l'eau.

Ce qui le diftingue du Crocodile , c'eft qu'il eft plus ramaflé. Sa tête, & le deffus de tout fon corps, font couverts de fortes écailles, qui le rendent comme invulnérable. Mais il a, cependant, la peau fi délicate , fous le ventre , qu'en le frappant à cette partie , avec une fleche de fer, on le tue facilement. La violente force de cet animal confifte, particuliérement, dans un double rang de dents, qui croifent les unes fur les autres, de maniere , qu'il peut brifer aifé-ment, moudre & broyer, jusqu'aux os des animaux, fur lesquels il fe jette: heureufe-ment qu'il n'eft pas fort habile à la courfe ; car il en feroit encore plus dangereux, & l'on auroit peine à s'en garantir. Il a une odeur de mufe fi pénétrante, que fa chair & fes œufs en font totalement imprégnés : fa chair, outre cette odeur, eft d'ailleurs fi dure & coriace, qu'elle n'eft pas mangeable, à moins que ce ne fût dans une néceffité pres-fante. Il a deux veffres au bas du ventre, & une fous chaque jointure des cuiffes.

Malgré la férocité gloutonne de cet animal redoutable, les Negres font affez hardis pour Fattaquer, & s'en rendre maîtres.

Il

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S U R I N A M . 205

• Il eft étonnant que le Crocodile , & le Caj-man, qui fortent d'un œuf, lequel n'eu: pas plus gros que celui d'une oie, puiffent deve­nir des animaux fi redoutables, & fi grands, qu'il y en a depuis quatre jufqu'à dix-huit pieds de long: leur grandeur differe , ce­pendant , fuivant les différentes contrées. On peut voir leurs diverfes fepréfentations dans Seba, Tab. 1 0 4 , 1 6 5 & 1 0 6 ;

Le Léfard ( с ) eft un animal qui a beau­coup de reffemblance avec le Crocodile, & dont il y a plufieurs Efpeces, que je vais décrire, chacune féparément;

Le premier , qui eft le plus grand des Lèfards, qui fe trouvent à Surinam, eft le

Sauve-garde (d) de Seba ; page 1 5 4 , Tab. 99,

N. I. On peut encore en voir la figure dans

l'Hiftoire des Infettes.de Mile. Mérian , figure

6 9 , o u elle dit: qu'elle, a vu dévorer, par cet animal, les œufs de différentes fortes doifeaux ; mais qu'il n'attaque jamais les hommes, comme le Crocodile ; & que , lors­que la femelle veut pondre fes œufs , elle creufe auparavant le fable , fur lé bord de quelque riviere, où elle les dépofe, pour les laiffer éclorre au foleil. Les Indiens man-

(c) Lacertus: en Hollandois Rageais: en Al lemand Eidecbs.

(d) Lacerta Tujtiguacu, Americana maxima.

Tome II, О

Des dif­férentes Efpeces de Lé­

fards:

DE

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gent ces œufs, qui font de la groffeur de ceux d'une poule d'Inde, mais un peu plus longs.

Cet animal, qui eft de la claffe des amphi­bies , vit également fur terre & dans l'eau ; de forte, que, lorsqu'il ne trouve point de charognes, il fait la guerre aux poiffons. Sa couleur,qui eft noirâtre & blanchâtre, res-femble, par fon mêlange, au plus beau mar­bre; fes écailles font, d'ailleurs, fort min­ces , mais bien polies. On le trouve dans toutes les rivieres, & les favannes maréca-geufes. Il y en a depuis deux jufqu'à dix pieds de long.

Le fecond (e) eft le Lêfard bleu de Seba,

p. 136, Tab.. 85, N. 2. qu'il nomme Ar-gus , nom, qui lui vient de ce qu'il a les yeux femblables à ceux àe l'Argus. Tout fon corps eft magnifiquement tiqueté de bleu & de noir, avec quelque peu de blanc fale.

Le troifieme (f) eft celui que l'on voit, dans Je même Seba, pag. 139, Tab. 88. Fig. 1. Celui-ci eft fuperbement marqueté : il a, de chaque côté du dos, une bande brune , bordée de blanc, & pointillée; tout le refte du dos eft d'un bleu clair, de même que la tête & la poitrine : fa queue, qui eft fort

(e) Lacerta Americana minor, cœrulea, Argus dicta. (f) Lacerta Surinamenfis, dorfo dilutè cœruleo, eau-

dâ tenui longiore.

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D E S U R I N A M . 2 0 7

l o n g u e , eft toute marbrée de petites écail­

les rondes & noires.

L e quatrieme ( g ) eft celui que le même

A u t e u r nomme Ameira,pag. 1 4 0 , à la même

Table, N. 2. L a marbrure de celui-ci furpaffe-

tellement celle des a u t r e s , qu'il eft pres-

qu'impoffible d ' e n faire le jufte tableau.

T o u t e fa tête eft couverte de petites écail­

les mêlées , de noires , de rouges & de blan­

ches , arrangées d'une maniere inimitable.

T o u t fon corps porte un fond d'un bleu

c la i r , marbré dé noir & de b l a n c , où, par

interval les , il y a , par-ci par- là , quelque

peu-de rouge : fes jambes font jaunes , & mu­

nies de griffes noires ; fa queue , qui eft

b leuâtre , eft auffi marbrée , jufqu'à l 'extré­

mité , de petites taches noires & blanches.

L e cinquieme (h) eft celui que le même

repréfente à la page 1 3 6 , Tab. 85. N. 2 . L e deffus de fon corps eft couvert de fines

écailles , tirant fur le bleu , pointillées de

petites taches n o i r e s , qui donnent au fond,

fur lequel elles font, ' la forme de petites

perles fort luifantes. Sa l a n g u e , qui eft

affez l o n g u e , lui fort toujours hors de la

g u e u l e , & eft fendue comme celle du fer-

pent.

L e fixieme ( i ) eft un très-beau Léfard

(g) Lacerta ejufdem major, Ameira dicta. (h) Lacerta Americana mandata. ( i ) Lacerta Americana , Tujuguacu dicta.

O 2

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D E S C R I P T I O N

à queue fort longue. Il a , depuis la tête jufqu'à l'extrêmité de fa queue, des bandes transverfales , d'un cendré clair, rouffes & brunes, qui le rendent d'une beauté ac­complie.

Le feptieme ( k ) eft un Léfard nommé Legouana, que Seba repréfente à la page 149,

Tab. 95. N. 2.

Ce grand Léfard eft de toute beauté. Il eft dentelé depuis la nuque du col jufqu'à l'extrêmité de fa queue, qui eft fort longue; ces dentelures reffemblent affez aux dents d'un peigne, & regnent, en diminuant, jufqu'au bout de la queue. Le goitre, qui lui pend à la mâchoire inférieure , eft auffi dentelé, en partie, fe termine en pointe, & eft d'un jaune bleuâtre . garni de très-fi-lies écailles, comme marbrées. Sa tête eft couverte d'écailles d'un gris clair, de même que fa mâchoire inférieure, excepté que la premiere eft parfemée de quelques grandes taches blanches. Sa gueule eft fournie de petites dents, mais très-fortes, & extrême­ment aiguës; fon mufeau fe termine un peu en pointe; fa langue, qui eft large, eft fen­due , fourchue , ou partagée en deux par­ties , comme celle du ferpent ; fes yeux font grands, & l'iris en eft rougeâtre. Il a tout le deffus du corps & les côtés du ventre,

(k) Lacerta,feu Legouana pectinat & ftrumofa, ca-ruleafemina: en Hollandois Krop-Leguaan.

208

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d'un bleu foncé , mêlé de quelque peu de brun. Son col eft comme pointillé de ta­ches noires : fon ventre eft d'un verd clair; & toutes ces couleurs ne font formées que par de très-fines écailles. Celles dont fa queue eft couverte, font très-petites, mais bleuâ­tres , de même que fon ventre. Ses cuiffes, fes jambes & fes pieds font d'un bleu pâle ; les doigts des pieds font de couleur de châ­taigne, & armés d'ongles aigus & crochus.

On trouve, en abondonce , des Léfards de cette Efpece, dans les bois; & il y en a qui ont jufqu'à fix pieds de long. Les Ne­gres les mangent comme un mets fort déli-cat. La femelle de cet animal pond, quel­quefois, jusqu'à fix douzaines d'œufs, pour une feule couvée , de la grolfeur de ceux de pigeon, mais un peu plus longs, dont les coques font blanches, & auffi fouples que du parchemin mouillé. Le dedans de ces œufs eft blanchâtre, fans glaire ni ger­me , & ils ne fe durciffent jamais par la cuis-fon. Les Créoles, ou habitants du pays, les mangent comme quelque chofe de fort délicat.

Le huitieme (l) eft un petit Léfard de brouffailles, dont tout le corps eft d'un verd luifant, agréable à la vue.

Le neuvieme (m) eft auffi un petit Léfard

(l) Lacertus viridis. (m) Lacertus minor, Agama dicta,

O 3

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210 D E S C R I P T I O N

très-beau, & tacheté d'un roux f o n c é , fur.

un fond blanchâtre, qui fait l 'effet du plus

beau marbre

L e dixième (n) eft un des plus beaux Lé-fards qu'on ait peut-être jamais v u . Ce pe­

tit animal, qui n'a environ que fix pou­

ces de l o n g , eft de toute b e a u t é , tant par

fa figure , que par les bandes transverfales

qu'il a autour de fon corps.

Il a la fête groffe & large , & femblable

à celle de la falamandre; fa langue eft fort

courte & fort épaiffe; fa tête eft garnie de

très-fines écailles pointillées de noir & de

v e r d ; fes yeux font à fleur de t ê t e , & for-

tent même un peu au dehors de leur orbite .

T o u t le deffus de fon corps , à commencer

à la nuque du c o l , ne forme que de petites

bandes transverfales, d'un t r è s - b e a u noir,

fur un fond verdâtre , & chacune à une ins­

tance de quatre lignes ou environ. Il a cinq

doigts à chaque patte , garnis , chacun, de

leurs ongles courbés. Son ventre eft d'une

couleur verdâtre , parfemée de quelques ta­

ches grifes. Mais ce qui contr ibue , particu­

l iérement , à fa b e a u t é , c'eft fa q u e u e , qui

forme une pyramide, par des c o u c h e s , l 'une

fur l 'autre, en forme d'épics , mêlées de

noir & de verd.

L e onzieme (V) eft un très-beau Léfard,

(n) Lacertus, caudâ fpinofd.

(V) Lacertus, caudâ longiffimd.

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D E S U R I N A M . 211

qui a la queue fort longue, & la peau gri-f e , tirant fur le rouge. Sa tête eft groffe & large, & fon fommet eft couvert de très-grandes écailles mêlées de noir & de brun » artiftement rangées ,fur un fond d'un blanc fale. Ses yeux font étincelants, & fes oreil­les un peu rougeâtres. Toute fa poitrine, fon ventre, & fes jambes font d'un cendré clair ; & il a le deffus du corps & de la queue couvert de petites écailles, d'une couleur grifâtre foncée.

L e douzieme ( p ) eft un. autre Léfard très-petit & fort commun, qui n'a tout au plus qu'un pied de long. Sa peau eft jau­nâtre , & marquetée de quelques raies bleues & vertes. Il court , pendant toute la journée, pour chercher fa nourriture, & la nuit il fe cache dans la terre. Il eft bon à manger,. & l'on trouve fa chair tendre & délicate.

Toutes ces Efpeces de Léfards font affez communes dans le pays, & y font même utiles , pour détruire tous les infectes qui fe multiplieroient en trop grand nombre. Les femelles dépofent toutes, leurs œufs, dans des endroits où la chaleur du foleil les puiffe faire éclorre. La langue de ces ani­maux eft, ordinairement, fourchue, & ils la. lancent avec une vîteffe furprenante;

(p)) Lacertus minimus, Anolis dicta.

O 4.

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212 D E S C R I P T I O N

lorsqu'on l'examine attentivement, au mi-crofcope, on voit qu'elle eft dentelée com­me une fcie ; ce qui leur fert à retenir leur proie, qui, étant ordinairement aîlée, leur, échapperait facilement fans cela.

Presque tous les Naturaliftes admettent différentes fortes de Salamandres, qui va­rient entre elles, tant en forme qu'en cou­leur & en grandeur ; mais je n'en connois que deux qui fe trouvent à Surinam.

La premiere (q) eft la Salamandre terres-ire , qui eft une ëfpece de Léfard non écail-Ieux, qui croît jufqu'à cinq ou fix pouces en longueur, en y comprenant fi queue.

Cet animal a la tête large & applacie, les yeux faillants comme le crapaud, & noirs, & le corps groffier , ainfi que la queue. Il a les doigts des pattes larges, & arrondis par­le bout, quatre à celles de devant, & cinq à celles de derriere ; & fes griffes reifem-blentà l'aiguillon d'une guêpe. 11 eft cou­vert d'une peau brune foncée , tirant un peu fur le noir , & parfemée de taches d'un brun plus clair que le fond, mais non jau­nâtres comme celles que l'on voit fur la Salamandre d'Europe. Sa peau eft d'ailleurs fort luifante , au. moyen de l'humeur vis-queufe qui l'enduit. Cet animal, qui mar­che, fort lentement, n'eft nullement à crain­dre. On m'a fort affuré qu'il fe plaît fur les.

(q) Salamandra terreftris : en Hollandois Salaman-der: en Allemand de m ê m e , ou encore Molcb,

De la Sala-mandre.

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branches d'arbres, & dans les lieux mare-, cageux, où le foleil ne donne pas.

La feconde Efpece de Salamandre ( r ) eft celle que Seba repéfente à la Tab. 1 0 7 . fig. 3 , pag. 1 2 0 .

Celle - ci reffemble parfaitement au lé-fard , & fa tête à celle du caméléon ; à la­quelle elle a, de chaque côté, jufqu'au bout du mufeau , des épines, en forme d'étoi-les, fans compter qu'elle eft couverte d'é-cailles, pareillement épineufes.

Tout fon corps eft; couvert d'écailles d'u­ne couleur jaunâtre cendrée, & auffi épi­neufes ; la poitrine & tout le ventre de même , mais d'une couleur cendrée clair ; les cuiffes , & les jambes de même, ainfi que la queue, qui eft affez longue.

S'il en faut croire certains auteurs, la Sa-lamandre eft fi f o i d e , qu'elle peut paffer, fans rifque, à travers le feu, & éteindre les charbons les plus ardents, comme feroit la glace ; mais on a plus d'une fois éprouvé le contraire. Je veux bien croire que cet ani­mal peut réprimer, peut être, un petit f e u , pendant quelques inftants, par le moyen de 1 humeur vifqueufe dont elle eft enduite; mais comme il n'eft rien que le feu ne con-fume , ces animaux n'en fçauroient être exempts.

(r) Salamandra Amerkana, Lacerta amula altera.

0 5

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La premiere expérience qu'a faite M. de Mau pertuis fur cet animal, & qu'il n'a point eu honte de répéter, prouve la fauffeté, com­me le ridicule, de la propriété qu'on lui attribue.

Il voulut, s'affurer de l'opinion confacrée, par le rapport des Anciens, & ,pour cet ef­f e t , il jetta plufieurs Salamandres au feu; la plupart y périrent fur le champ, quelques-unes en fortirent à demi-brûlées, & péri-rent de môme à une feconde épreuve. Ain-fi, quoique ce foit une tradition reçue par les Anciens, qui nous l'ont tranfmife, quel­que appuyée qu'elle foit fur un grand nom­bre de témoignages, il n'eft pas moins faux que la Salamandre vive dans le feu.

Le célebre Sçavant, qui a fait l'expérien­ce précédente, en a fait d'autres, pour dé­couvrir le venin qu'on attribue à cet animal, & qu'on prétend qu'il contient.

Il s'en propofa deux, qui avoient cha­cune leur difficulté,& que ceux qui redou­tent tant la Salamandre, ne foupçohneroient gueres.

La premiere fut de faire manger la Sala­mandre à quelque animal, & la feconde de faire mordre quelqu'un par elle. Premiére­ment , les animaux qui en mangerent, n'en furent nullement incommodés ; & en fecond lieu, quoique l'on en irritât plufieurs. de

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Du Ca méléon.

pille manieres, aucune d'elles n'ouvrit la gueule pour mordre les animaux qu'on leur préfentoit; & , en la leur ouvrant foi-mê­me , on s'apperçut qu'elles n'avoient que de très-petites dents égales & ferrées , plu­tôt capables de couper que de percer , fi la Salamandre en avoit la force ; mais elle lui manque. On chercha, alors,, des animaux dont la peau fût affez fine, pour qu'elle pût être aifément entamée, & l'on ouvrit la gueule à une Salamandre, qu'on appliqua fur la cuiffe écorchée d'un poulet, & on lui preffa les mâchoires pour l'obliger à y mordre ; on lui fit faire auffi de force plu-lieurs morfures à la langue & aux levres d'un chien, & à d'autres animaux; & quoiqu'en-fin la Salamandre fût irritée, aucuns ne fe felfentirent du prétendu venin.

Toutes ces expériences bien conftatées doivent détruire l'opinion qu'on s'eft for­mée , fur le rapport des Anciens, & rendre futiles leurs differtations à ce fujet, comme leurs devifes & leurs emblêmes , & faire renoncer aux préjugés que bien des perfon-nes ont contre cet animal, comme à la croyance, qu'en jettant des Salamandres dans les maifons où le feu auroit pris, el­les feroient capables de le faire ceffer.

Le Caméléon. (s) n'a pas moins de célébri­té , dans l'hiftoire , que la Salamandre; &

(s) Cameleo : en Hollandois Kameleon.

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n'exerce pas moins aujourd'hui les Natura-liftes de notre fiecle.

Celui, qu'on voit à Surinam, a , à peu près, l a même figure que le Caméléon Orien­tal de Seba, Tab. 82 , N. 2 , p. 1 3 3 . Il a

beaucoup de conformité avec, les léfards; mais fa figure eft affez irréguliere & fort hideufe: fon dos eft même un peu courbé. Sa tête , qui eft groffe, à proportion de fon corps, eft ornée d'une crête, & fou-tenue par une couronne triangulaire, offeu-f e , dont tes angles font bordés, dans leur contour de petits boutons perlés, qui s'é­tendent auffr fur le nez & fur le front. Ses yeux font très-beaux, bordés d'un anneau, & placés de maniere que l'un peut regarder en haut & l'autre en bas, c'eft - à dire , de différents côtés. Son mufeau eft formé en pointe obtufe , avec deux petites ouver­tures , qui lui fervent de narine. Sa gueur le eft ample , & fes mâchoires font gar­nies de très-petites derits ; fa langue eft longue & vifqueufe ; fon, ventre eft fort gros; fa gorge. & la longueur de fon corps, tant en deffus qu'en deffous , font garnis d'une rangée de petites dents, en forme de fc ie , qui regnent, en diminuant, infenfi-blement, jufqu'au bout de fa queue, qui eft un peu recourbée. Tout fon corps eft couvert de petites écailles , d'une couleur cendrée obfcure; l'épine du. dos & la queue

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D E S U R I N A M . 2 1 7

avancent en arcade. Ses pieds ont cinq "doigts, munis, chacun, de petits ongles poin­tus & crochus, qui ne font pas joints, mais féparés & libres dans leur jeu, afin que cet animal puiffe mieux fe cramponner, quand il le faut.

On prétend qu'il ne fe nourrit que de mouches, de moucherons, de fauterelles & de fourmis; & qu'il peut même vivre quatre ou cinq mois fans prendre aucune nourriture apparente. A l'égard dû change­ment de couleur qu'on lui attribue , je croi-rois volontiers qu'il provient plutôt du gré de l'animal, que de la communication des objets qu'on lui préfente , comme quelques-uns l'ont avancé ; mais, comme je n'ai ja­mais eu occafion d'en faire aucune épreu­v e , je laiffe à mes Lecteurs la liberté de s'en rapporter au jugement qui leur paroî-tra le plus probable.

Le Lecteur, Naturalifte ou non, ne doit point s'attendre à trouver dans la defcrip-tion que je vais donner des différentes Ef-peces de Serpents, un ordre méthodique, femblable à celui de Mr. Linneus , qui a fçu ranger ces reptiles en fix différents gen­res; parce que mes occupations ne m'ont jamais permis de les différencier par gen­res, comme ce fçavant Naturalifte, dont le génie eft fi fertile. De forte, que je me bornerai à décrire fimplement tous ceux qui

Des dif­férentes Efpeces. de Ser­pents,

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2 1 8 D E S C R I P T I O N

me font connus dans le pays, afin de fatis-faire la curiofité du Public. Mais, cependant, pour donner quelque ordre à cette defcrip-tion, il eft bon d'obferver que les Natu-faliftes font une différence fenfible entre les genres de ces reptiles, & que voici.

Le vulgaire applique indifféremment le nom de Serpent à tout reptile ; mais il ignore que les Efpeces fe diftinguent par des noms propres à chacune ; & qu'ainfi on fait une différence entre le Serpent & la Couleuvre,

•quoique tous deux reptiles. Le Serpent a , ordinairement , la tête

fort groffe, plate & prefque triangulaire, fans compter fa grandeur, ni fa monftrueufe groffeur.

La Couleuvre, au contraire, a la tête al­longée , & prefque ronde, comme celle d'u-ne anguille, & n'en pas , non plus, ni fi grande ni fi groffe.

Il eft certain, que, parmi les Serpents, ce-lui à Sonnette (t) doit tenir le premier rangs puifqu'il fe diftingue, affurément, de tous fes femblables, par fa Sonnette, compofée d'autant de pieces ou de grelots , fuivant Margrave, que le Serpent a d'années. Quot annorum Serpens, tot partes babet crepitaculum hoc.

Cette Sonnette fe renforce tous les ans d'un

(t) Boiciningua : en Hollandois Ratel-Slang.

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D E S U R I N A M .

anneau; c'eft pourquoi l'on connoît l'âge de ce dangereux reptile, au nombre d'an­neaux qu'il a à la queue.

Il y en a , depuis deux jufqu'â quinze pieds de long, & de la grofleur de la plus groffe cuiffe d'un homme. Sa Sonnette eft placée à l'extrêmité de fa queue; c'eft proprement un affemblage d'anneaux contigus, creux & fonores, lequel fe termine par de peti­tes vertebres, appellées, dans le pays, gre-lots, qui vont en diminuant; dont l'articu­lation eft lâche, & dont le frottement fait un bruit qu'on entend de fort loin, pour avertir, fans doute, de fe tenir fur fes gar­des ; comme l'a très - bien remarqué Pifon , qui dit : » Que la Nature a pris foin de ceux s, qui pourroient faire fa rencontre, & a

» voulu prévenir, par le fignal qu'il donne, » de la malice d'un fi dangereux Serpent»

Ce reptile eft rapporté fous le nom de Vi­pera , caudifona, Americana , dans les Effais

fur l'Hifloire naturelle de la Caroline, & de

l'Ile Bahama. 11 eft très-bien repréfenté dans Fonfton; mais la figure, qu'on voit dans Margrave, ne répond pas beaucoup à la description qu'il en a donnée.

On affure qu'auffi - tôt que cet animal en­tend le moindre bruit, il avertit trois fois de fuite, par le râlement de fes grelots fo-iiores, qui font le même bruit que celui.

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d'un petit carillon; S i , à la troifieme & der­nière fois, le bruit ne disparoît point, pour-lors il court vers l'endroit où il s'eft fait en­tendre , & s'il rencontre en fon chemin quel­qu'un , il s'élance fur lui, le mord, & s'en retourne bien vîte;

Perfonne au monde ne fçauroit s'imagi­ner combien il eft dangereux d'être mordu par ce reptile ; car fon venin eft fi actif & fi violent, que fi, malheureufement, il s'in-finue dans un des grands vaiffeaux du corps, ou qu'il déchire, par fa morfure , un tendon ou un nerf, le cas eft tout-à-fait déféfpéré, & le mal incurable. Mais s'il a fait la mor­fure dans une partie charnue ; le venin fait moins de progrès, & le mal peut être aifé-ment guéri. Ecoutons là-deffus le Docteur Kearjly, (*) dans fa Relation de Philadelphie ;

du 10 Novembre 1765 , au fujet de ce Ser­pent , lorsqu'il dit :

» Un enfant de cinq ans étant , avec fon » pere , dans un champ rempli de groffes

pierres , fut mordu par un Serpent à fin. » nette, au genou, un peu au-deffous de la » rotule. Ce malheur arriva dans le mois » de Juin , c'eft-à-dire , pendant le plus » chaud de l'année, & lorfque ces reptiles

» ont

(*) Voyez dans te journal Encyclopédique, Tom: IV,pag. 118, l'Extrait d'une Lettre du 1er Juin 1766.

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D E S U R I N A M ;

» ont plus de fureur, de force & de venin. » Le pere transporta dans fa maifon, fon » fils qui ne ceffoit de fe plaindre d'une dou-» leur infoutenable à la partie mordue. En » très-peu de temps la jambe mordue & la » cuiffe devinrent prodigieufement enflées, » & cette enflure gagna , rapidement, le » fcrotum & le prépuce; il furvint, dans » toute cette partie, une étonnante quanti-» té de boutons enflammés, remplis de ma-» tiere, & d'une couleur de pourpre très-» vive. Cet enfant s'endormit ; mais il eut » un fommeil très-laborieux & interrompu ;» ;» & , toutes les fois qu'il fe réveilloit,il pa-» roiffoit être faifi de terreur; fa poitrine é-» toit altérée; il touffoit violemment, & » s'agitait avec force; mais il ne déraifon-» noit , que quand la violence de la douleug » l'éveilloit en furfaut. Tous les fecours » furent inutiles, & l'enfant expira peu da » temps après avoir été mordu.

» Les Indiens, (continue le Narrateur) » fort incommodés par les Serpents de tou-» tes les Efpeces , ont auffi, ou prétendent a-» voir beaucoup de fpécifiques, & furtout » contre la morfure des Serpents à fonnette. » Les uns font ufage du Dictame, les autres » de la Verge d'or, quelques uns de la Ser-» pentaire, plufieurs de plantes échauffan-, tes & aromatiques ; & le plus grand nom-w bre n'employé à cet ufage que les plantes

Tome II P

221

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d'un goût vi f , pénétrant & piquant, quoi-“ que de fuc léger & volatil.

„ Il y a quelques années qu'un Serpent à

w fonnette mordit une jeune fille au mollet, „ (dit toujours le même Docteur) & voici „ le détail circonftancié , que le pere de „ cette fille m'a donné des fuites de cet „ accident.

„ Elle fe plaignoit d'un engourdiffement „ total de la jambe mordue, à l'exception „ du fiege du mal, qui lui caufoit de très-„ vives douleurs : fort peu de moments après „ cet engourdiffement, la jambe & la cuis-s, fe s'enflerent beaucoup, tout le corps „ devint pareillement engourdi , & cette „ jeune fille ne fentit plus qu'un froid in-„ fupportable, qui lui gagnoit le cœur ; elle „ commença à refpirer péniblement ; peu „ d'inftants après elle perdit la parole & „ refta cinq jours dans cet état, malgré „ tous les remedes qu'on eut foin de lui „ donner. On n'en efpéroit rien, quand „ une Indienne paffant, par hafard, devant „ cette maifon, on lui demanda fi elle ne „ fçavoit pas quelque remede capable de „ fauver cet enfant; l'Indienne alla cueil-„ lir dans le champ voifin une plante, qu'el-„ le écrafa entre deux pierres, & qu'elle „ mit enfuite en infufion , avec un peu „ d'eau, dans une marmite. Elle fit avaler, „ de temps, en temps, & à intervalles é-

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„ gaux, de cette infufion à la malade, & fe „ fer vit de l'herbe, qui étoit reftée au fond „ du pot , pour fomenter la jambe mordue, „ évitant foigneufement de frotter fur la „ morfure môme. Ce remede eut le plus „ grand fuccès, & la jeune fille fut parfai-„ tement guérie en très-peu de jours. Elle » dit ; , enfuite , qu'à mefure qu'on lui fai-„ foit prendre de cette liqueur, elle fe fen-„ toit la refpiration plus libre & le corps „ plus réchauffé.

„ Un jeune homme, du même canton, „ fut mordu, pendant la moiffon, par un „ Serpent à fonnette , près de la premiere „ jointure du doigt du milieu, & fi cruel-„ lement, que le Serpent refta accroché & „ fufpendu au doigt, jufqu'à ce qu'à force „ de fecouer la main, le jeune homme le „ fît tomber à terre; les gens, qui étoient „ dans le même champ, s'approcherent a-„ lors , lierent fortement la main de ce „ jeune homme , afin que le venin ne fe „ communiquât point au refte du corps. Le „ pere de la jeune fille, qui venoit d'être „ guérie par l'Indienne, accourut, & don-„ na de la même infufion à ce jeune hom-„ me , qui guérit , & n'éprouva presque „ point de douleur." J'ai examiné cette herbe, que je crois être , fans toutefois l'affurer, une efpece de verge d'or.

Mais, quelque admirable que foit l'effet

P 2

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de ce remede, employé avec tant de fuccès, contre les morfures de ce reptile , je ne doute nullement que l'ufage du fer rouge, comme le propofe notre Docteur de Phila­delphie, ne foit infiniment fupérieur à toutes les méthodes, dont on s'eft. jusqu'à préfent fervi; fur-tout fi l'on y a recours, immé­diatement après la morfure, & avant que le venin ait eu le temps d'attaquer les par­ties voifines, puisque , p a r l a , l'on évite infailliblement la communication du venin dans le fang ; ce qui doit prouver l'efficaci­té du confeil de notre Anglois.

Le Serpent à fonnette , que j'ai actuelle­

ment dans mon Cabinet, âgé de onze ans, parce qu'il a onze anneaux, me fut appor­té tout vivant, dans une petite barrique, où je l'ai confervé près de quatre mois : el­le étoit bien couverte, pour qu'il n'en pût fortir, & trouée tout autour, pour lui don­ner fuffifamment d'air ; mais il ne voulut rien manger de tout ce que je pus lui donner, pendant tout ce temps ; ce qui le rendit fi maigre, qu'il étoit à la fin diminué de plus des deux tiers de fia groffeur : quand on me l'apporta, il étoit auffi gros que ma cuiffe. Comme il commençoit à devenir languiffant, je pris le parti de le mettre dans l'efprit de v i n , pour l'étouffer, parce que je craignois qu'il ne vînt à crever. Car il eft, bon de re­marquer, que tout animal, foit quadrupe-

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D E S U R I N A M . 225

d e , amphibie, ou reptile, qui meurt de fa mort naturelle, ne fe conferve jamais long­temps dans l'efprit de vin : ce que j'ai éprou­vé nombre de fois. De forte, qu'il faut les mettre, tout vivants, dans l'efprit de v in, pour les étouffer, & les y laiffer une huitaine de jours, avant que de les bien nettoyer, pour les mettre , enfuite, dans une autre liqueur bien claire. Ce que j'avance eft fi vrai , qu'on n'a qu'à mettre un animal, mort naturellement, dans une liqueur forte, on verra qu'il fur nagera; pendant que celui qu'on aura étouffé dans la liqueur , fe précipitera au fond de celle où on le remettra enfuite, & fe confervera des fiecles, parce qu'il aura eu le temps de fe purger de toutes fes impu­retés pendant les tourments de la mort, au lieu que celui qui fera mort naturellement les aura toutes confervées.

Dans les huit premiers jours que j'eus ce reptile, qui étoit alors fain & vigoureux, je fus tenté de faire quelques expériences de fon venin. Je l'agaçois de temps en temps avec un petit bâton, pour l'irriter, ce qui le faifoit élancer de forte, que, fi la barrique eût été ouverte, je me ferois répenti de ma témérité. Il ne manquoit pas non plus de me donner l'avertiffement ordinaire, par le moyen de fes grelots ; & j'avoue que je m'a-mufois à ce jeu, qui m'auroit pu devenir

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funefte, fi la couverture de la barrique n'eut pas été auffi forte qu'elle l'étoit.

Un jour que je l'avois cruellement irrité, je m'avifai d'attacher un jeune chat, par le milieu du corps, avec une corde; j'ouvris doucement la barrique, où je le fis gliffer lentement : mais à peine y fut-il, qu'il com­mença à miauler; & le reptile enfermé ne tarda pas à s'élancer fur lu i , & à le mordre de maniere que le pauvre animal en cria en­core plus fort. Je le tirai tout de fuite de­hors pour l'examiner, & je trouvai qu'il a-voit été mordu à la cuiffe gauche, n'ayant cependant qu'une légere playe, de laquelle fortirent quelques geuttes de fang ; je vou­lus lui emporter le poi l , pour la mieux ex­aminer ; mais l'animal entra dans de furieufes convulfions, & dans moins d'un quart d'heu­re il expira. J'aurois fort fouhaité de réitérer quelque expérience plus inftructive fur d'au­tres animaux,& j'aurois certainement réuffi à trouver le véritable antidote contre le dan­gereux poifon d é cet animal, fi l'on ne m'eût

Tait. envifager le rifque que je courois moi-même , en m'expofant à un danger auffi évi­dent, fans être f û r d'avoir le temps ni la préfence d'efprit d ' y apporter remede. Ce qui me fit défifter de mon entreprife, con-fidérant qu'on ne vit pas pour foi feul en ce monde, & qu'on eft obligé d'adhérer aux

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follicitations de ceux avec qui on eft étroi. tement Hé.

Cette feule expérience fuffit, néanmoins, pour prouver la violence du venin de cet animal. Mais s'il eft le plus dangereux de fon Efpece , il ne laiffe pas d'avoir auffi quelque chofe d'utile dans fes grelots, dont on fait une poudre, après les avoir fait fé-cher au foleil, laquelle eft un fouverain re­mede pour faciliter l'accouchement aux Né-greffes. On en donne un fcrupule dans du vin blanc, & elle procure, en très-peu de temps, un effet des plus rapides. Ce qui rend actuellement ces animaux affez rares dans la Colonie, parce que les Negres les tuent pour en avoir les grelots.

L e fecond (x) efl un Serpent monflrueux, connu, dans le pays , fous le nom d'Aboma. II a près de vingt-cinq pieds de long, & eft gros comme la cuiffe. Tout fon corps eft couvert de greffes écailles, agréablement marquetées. Tout le long de fon dos regne une chaîne de taches noires, de la gran­deur d'un écu de fix francs chacune , & de chaque côté de ces taches, diflantes les u-nes des autres de la paume de la main, & au milieu, une tache blanche. Son ventre eft couvert d'écailles grifâtres, jufqu'à l'ex­trémité de fa queue , qui eft affez pointue.

(x) Serpens, omnium maximum, Cynocephalus five

Boiguacu,

P 4

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Sa tête eft fort grande , & fa gueule, qui ne l'eft guere moins, eft garnie de fortes dents. J'ai écorché, tout vivant, un de ces reptiles, que quatre Negres m'apporterent, & ils en avoient même toute leur charge ; & j'en conferve encore la peau dans mon Cabinet. A l'ouverture de l'eftomac de cet animal, j ' y trouvai un pareffeux tout en­tier, c'eft - à - dire, fans être endommagé, lequel avoit deux pieds & demi de long; un légouane ou léfard , d'un pied & trois quarts de long ; & enfin un mangeur de four­mis , de deux pieds & huit pouces de long ; tous ces trois animaux dans le même état , que fi on venoit de les tuer à coups de fufil : ce qui prouve qu'il n'y avoit pas long-temps que ce prodigieux reptile en avoit fait fa proie. Auffi fon eftomac avoit - il près de vingt-deux pouces de largeur;il étoit, d'ail­leurs , fi chargé de lard, que j'en ai tiré fix livres & demie de graiffe , laquelle eft un fouverain remede contre les rhumatismes.

On m'a affuré que ce Serpent n'eft ni ve­nimeux ni à craindre, en aucune façon, pour les hommes; ce que prouve la manie­re dont les Negres le prennent ; mais qu'il n'en eft pas de même pour toutes les Efpeces d'animaux , dont il peut fe rendre maître, & dont il eft l'ennemi mortel.

Le troifieme (y) eft un autre grand Ser-

(y) Serpens fingularis, articicio picta, magni efti-mata.

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petit, connu dans le pays, fous le nom de Papa. Il eft fort recherché, parce qu'il eft en grande vénération chez les Negres. Sa queue eft fort dure, courte, obtufe ,& un peu ramaffée ; fa tête grande, & fort large. Tout fon corps eft couvert de très-belles écailles , mêlées de noir & de blanc, & d'un rouge foncé, mais le tout fi bien arrangé & fi vif en couleurs, qu'on peut dire que c'eft un des plus beaux reptiles que la Nature ait produits, & qu'il eft même im-poffible d'en faire la peinture qu'il mérite.

Il y en a , de cette Efpece, depuis qua­tre jufqu'à dix-huit pieds de long, & même de la groffeur du Serpent à fonnette. Ceux qui ne font pas même plus gros que le poignet, portent le même nom, ont à peu près les mêmes couleurs, & n'ont pas plus de venin ; ce qui fait qu'ils font en fi gran­de vénération parmi ce peuple , qui leur rend un culte idolâtre.

Le quatrieme ( z ) eft encore un fuperbe reptile, d'une grande rareté. Il a près de quinze pieds de long, & eft gros comme la cuiffe; fa tête eft fort groffe & plate; tout le deffus de fon corps eft couvert de fort grandes écailles , longues, un peu rhom­boïdes, d'un verd de mer, marbré, fur le dos, de longues & larges taches blanches

(z) Serpens, Bojobi dicta.

P S

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230 D E S C R I P T I O N

(a) Cecula.

(b) Ampbisbœna.

les écailles de fon ventre font jaunes, gran­des, larges, & luftrées comme de l'ivoire. Ce reptile eft fi beau, qu'il eft impoffible d'en donner une jufte defcription.

L e cinquieme (a) eft un Serpent appellé aveugle, parce qu'il marche en avant & en arriere. Il a les ouïes fi larges, qu'elles lui couvrent presque les yeux ; ce qui a enco­re contribué à lui faire donner le nom qu'il porte. Sa queue eft, à peu près, de la mê­me groffeur que fa tête. Il eft grêle de corps, long d'un pied & demi, ou de deux, tout au plus , & couvert d'écailles de cou­leur bleuâtre foncé.

Le fixieme ( b ) eft un Serpent, qui a des anneaux tout autour du corps & de la queue , lesquels font d'une couleur blan­châtre. Il eft connu fous le nom d'Amphis-bene, ou bien Serpent à deux têtes, à caufe de l'égale groffeur de fes deux extrêmités ; & , en effet, la queue de celui-ci eft fi ob- : tufe, fi arrondie par le bout, & extérieu­rement fi conforme avec la tête, qu'on ne peut,au premier afpect,difcerner d'une ma­niere diftincte, quelle partie eft la tête ou la queue.

O r , comme c'eft cette conformité qui a engagé les Anciens à lui donner le nom de Serpent à deux têtes comme on eft mainte-

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D E S U R I N A M , 231

nant reveau de cette erreur, il ne faut, pour rapporter à un jufte point de vue tout ce que l'enthoufiafme a fait dire de merveil­leux, au fujet de ce Serpent, que jetter un coup d'œil fur les figures qu'en donne Seba, dans fon Tbef. 11 , Tab. 17, N. 2 , . & ibid. Tab. 21, N. 4 , & Tab. 2 5 , N. 2.

Les fegments des anneaux de ce reptile font femblables à ceux des vers ; il a près de trois pieds & demi de long; & c'eft, je crois, l'Ibiara de Margrave, Braf. pag. 239.

Le feptieme ( c ) eft une très-grande Cou­leuvre, connue dans Seba Tbef. pag. 89,

Tab. 54, Fig. 4, fous.le nom de Serpent de. l'Amérique. Elle a la tête petite & longue, & la queue pointue. Tout fon corps eft couvert de bandes écailleufes, colorées d'un brun foncé. Elle a, à l'entour du col & de la queue, de petits anneaux jaunâtres, & , par-ci par-là, quelques bandes de la même couleur à l'entour du corps.

L e huitieme eft une autre Couleuvre, qui n'eft qu'une variété de la précédente, ayant, fur un fond brun clair, des bandes trans-verfales blanches. Sa tête eft d'un blanc fa le , pointillé de petites taches rougeâtres; & les écailles de fon ventre font un peu jaunâtres.

Le neuvieme eft une Couleuvre, qui eft affez greffe au défaut de la tête, mais qui

(&) Serpens Americana, Petola dicta.

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232 D E S C R I P T I O N

va en diminuant jufqu'à la queue. Son col eft un peu long, & tout fon corps eft mou­cheté de taches rouffâtres, blanches & noi­res. Sa queue eft affez menue.

Le dixieme eft une autre Couleuvre, qui n'eft qu'une variété de la précédente , & qui eft marbrée de gris , de brun & de blanc.

Le onzieme eft une petite Couleuvre, t i­quetée, de couleur d'olive, de blanc & de noir.

Le douzieme eft une Couleuvre, dont la couleur eft mêlée de bleu & de blanc : c'eft une efpece de Dipfas.

Le treizieme eft une Couleuvre toute bleu célefte, du même genre que la précédente.

Le quatorzieme eft une Couleuvre à ban­des transverfales, rouges & blanches ; mais la premiere de ces deux couleurs fe perd, infenfiblement, dans l'efprit de vin.

Le quinzieme eft une autre Couleuvre oli­vâtre, & tiquetée de noir: fon corps eft grêle, & fa queue pointue.

Le feizieme eft une Couleuvre jaunâtre, à bandes annulaires.

Le dix - feptieme eft une Couleuvre d'un bleu d'outre-mer, qui a l'habitude de s'en­tortiller , en couchant fa tête au milieu de tous fes replis : elle a d'ailleurs l'afpect le plus horrible & le plus menaçant.

Toutes les Couleuvres que je viens de décri­re , ne font guere plus groffes que le pou-

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DE S U R I N A M .

c e , & la plus grande, d'entre elles, peut avoir, environ, deux pieds & demi de long. Il y en a , parmi elles, qui font très-venimeu-fes ; mais comme je ne fçaurois affirmer les­quelles le font, je ma contente de rappor­ter ici ce qui m'a été dit à leur fujet. Il eft encore à remarquer qu'elles font toutes cou­vertes de fines écailles, les Unes plus gran­des que les autres.

Le dix huitieme (d) eft un magnifique Serpent de cinq pieds de long, à bandes noi­res & blanches, qu'on appelle Mangeur de fourmis. Ce beau reptile, qui eft en grande vénération chez les Negres, eft nommé ain-fi, à caufe, dit-on, qu'il ne fe nourrit que de fourmis. Plufieurs Efclaves l'adorent comme leur Dieu, & cela par rapport à fa grande douceur ; car il fe laiffe approcher & prendre comme l'animal le plus appri-voifé.

Le dix-neuvieme (e) eft un fuperbe Ser­pent de trois pieds de long. Tout fon corps eft couvert d'écailles violettes, en forme de chaîne , de la largeur de trois lignes, chacune , qui regnent depuis la tête jus­qu'à l'extrêmité de fa queue, qui fe termi­ne en pointe , & en forme de zigzag ; & entre lesquelles on voit un fond blanc. Les écailles du ventre font grandes, & de cou-

( d ) Serpens niger & albus.

( e ) Serpens violaceus et albus.

233

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2 3 4 D E S C R I P T I O N

(f) Serpens Americam, Glyvicapa dicta.

leur cendrée. On voit à trois doigts de l'ex­trêmité de fa queue deux tefticules, d'une figure ovale. Sa tête , qui n'eft pas fort grande, eft plus foncée en couleur que le refte du corps, & l'on n'y voit presque pas de blanc. Du refte, ce reptile eft fi beau, que l'art le plus fublime ne fçauroit tracer la marbrure de fes écailles.

L e vingtieme ( f ) eft un beau Serpent de dix à douze pieds de long, qui n'eft guere plus gros que le petit doigt, c'eft-à-dire, au milieu du corps ; car fa queue, qui a près de quatre pieds de long, eft encore plus mince , n'étant guere que de la groffeur d'une petite plume. 11 eft couvert de peti­tes écailles très-fines, d'un bleu azur, entre­mêlé du blanc le plus éclatant que l'on puis-fe voir. Mais ce qui le diftingue des autres reptiles de fon Efpece, c'eft le mouvement qu'il donne à fa queue, lorfqu'on veut l'ap­procher, lequel forme un claquement pa­reil à celui du fouet d'un charretier , & qu'on peut même entendre d'affez loin : ce qui lui a fait donner, par les Hollandois,le nom de Zweep-Slang, qui fignifie Serpent à fouet.

Le vingt & unieme eft un affez grand Serpent d'eau , qui a, depuis la tête jufqu'au bout de fa queue, une large bande, en for-

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D E S U R I N A M . 235

me de réfeau, d'un fuperbe bleu-mourant. Le milieu de cette bande eft parfemé de pe­tits points roux, & garnis , de chaque côté, d'écailles brunes : celles du ventre font d'un jaune, couleur de citron.

Tous les Serpents fe nourri lient d'herbes, de chenilles & de limaçons. Ils peuvent mô­me être fort longtemps fans manger ; com­me on l'a pu remarquer dans la defcription du Serpent à fonnette , qui a refté quatre mois fans prendre aucune nourriture.

Parmi tous ces animaux, il y en a qui ont la tête petite, d'autres l'ont groffe ou étroite; les uns font venimeux, d'autres ne le font point : mais ce qu'il y a à remar­quer pour les perfonnes qui ignorent leur génération, c'eft qu'ils s'accouplent com­me les autres animaux, qu'ils en fouiffent ou enfoncent leurs œufs dans la terre, & que l'année fui vante ces mêmes œufs pro-duifent chacun leur Serpent. De forte , qu'il ne faut point ajouter foi à toutes les géné­rations fabuleufes , que les Anciens ont dé­bitées fur la procréation des Serpents.

On prétend, au furplus, que ces ani­maux aiment beaucoup à être enfemble. On en trouve dans toutes les Plantations, dans les favannes, dans les chemins, dans les bois, & même jufques dans les caves des maifons & dans les jardins. Quelques-unes ont l'ha­leine fi puante, qu'à-peine peut-on la fup-

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De la Vipere.

porter. Je fuis, en outre, moralement per-fuadé, qu'il y en a beaucoup plus d'Efpeces dans la Colonie que je n'en ai décrites; mais comme elles me font encore inconnues, il ne m'a pas été poffible d'en faire mention.

Il en eft de môme de quantité d'autres ani­maux, dont je ne puis parler, malgré toute la bonne volonté que j'ai d'inftruire le Pu­blic , parce que ceux-mêmes du pays ne les connoiffent pas encore tous.

Quoique les Serpents foient généralement réputés pour être venimeux, on ne laiffe pas, cependant, que de tirer parti de ceux-mêmes qui le font le plus,par le grand ufage qu'on en fait en Médecine; comme de la graiffe, qui eft employée en liniment, pour ramollir les tumeurs fcrophuleufes, qui gué­rit la rougeur des y e u x , diffipe les taches de la peau, & appaife toutes les douleurs des rhumatifmes.

L'on fait une poudre de la chair, du foie & du cœur du Serpent ; laquelle prife, in-térieurement, eft fudorifique, & réfifte à la malignité des humeurs, & qui eft propre auffi à détruire les fievres intermittentes in­vétérées, & pour purifier enfin la maffe du fang, qui eft corrompue.

La Vipere (g) eft une efpece de Serpent

ter-

(g) Vipera : en Hollandois Ader-Slang : en Allemand Otter.

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D E S U R I N A M .

terreftre, qui met au monde fes petits tout vivants. Celle que l'on reconnoît pour tel­le à Surinam, differe de celle qui eft géné­ralement connue de tout le monde. Elle eft médiocrement groffe, mais longue, depuis un jufqu'à deux pieds, & large d'un demi-pouce. Sa tête eft un peu large & plate, émouffée par le bout;fa gueule affez ample, munie de petites dents fort aiguës, crochues, & tournées vers le gofier. Les écailles de fa tête font plus larges, & plus foncées en couleur, que celles du refte du corps. Son dos eft de couleur brunâtre foncé; & tout le deffus du corps , depuis le cou jufqu'à la queue, qui eft aiguë & jaunâtre , ou d'un blanc fale, tout pointillé de taches noires. A chaque côté du ventre, en commençant depuis le c o u , jusqu'à l'extrêmité de fa queue, regne une petite bande noire, de la largeur de deux ou trois lignes, au milieu de laquelle il y a des taches blanches, qui forment une très belle marbrure. Ses yeux font extrêmements vifs.

Il y en a d'autres,qui varient fimplemens en couleur, quoique l'Efpece en foit la mê­me; fi ce n'eft auffi qu'il y en a de plus grandes les unes que les autres. Elles ne rampent pas fort vite , & elles fe nourris-fent de petites grenouilles , d'infectes, & d'autres chofes femblables. On les trouve

Tome IL Q

237

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clans les lieux humides, comme la vannes ou buiflons.

Ces fortes de reptiles fourniffent d'ex­cellents remedes à la Médecine. On s'en fert pour réfifter au venin, & purifier le fang. La principale vertu de la Vipere eft d'accélérer la circulation du fang, d'en fa-

ciliter le mêlange , de fondre les concré-,tions lymphatiques, & de débarraffer, pat­ate moyen , les glandes de ces humeurs groffieres & obftruantes, q u i , venant à y féjourner & à s'y aigrir , occafionnent une infinité de maladies cutanées, ou de la peau auxquelles on donne le nom de fcro-phuleufes & de lépreufes. Il feroit à fouhai-,ter qu'on en fît plus d'ufage qu'on ne fait, puisqu'elle.» eft fi. abondante dans le pays.

Il eft confiant que les Crapauds different partout entré eux, tant par leur grandeur, que par leur couleur, & leur conforma­tion; & parmi les différentes Efpeces que l'on trouve à Surinam, le Crapaud Pipa (b)

doit avoir, fans cohtredityle premier rang, tant par la grandeur & groffeur monftrueu-•fe dont il eft , que par la maniere dont la femelle procrée fes femblables ; laquelle eft fi extraordinaire , qu'on la peut regarder comme oppofée au cours ordinaire de la Nature.

Depuis que cet animal eft parvenu à la

(b) Pipa, ova quamplrima in dorfo babens.

Des dif­férentes Efpeces de Cra­pauds.

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D E S U R I N A M , 2 3 9

connoiffance , tant des Anciens que des.

Modernes , plufieurs d'entre eux fe font

imaginés avoir approfondi le myftere de fa

génération ; mais on ne peut que les accufer

d'erreur: car malgré tous les Syftêmes qu'ils

ont publiés à ce fujet , aucun d'eux n'en a

pu donner le véritable développement; par­

ce qu'ils n'ont jamais été fur les l i e u x , pour

en obferver le méchanifme ; fi j ' y ai réuffi,

comme je puis m'en flatter, ce n'efr. pas la

beauté de l'objet qui m'a engagé à faire des

obfervations fi fouvent répétées , mais l 'en-

vie de m'inftruire , & de fatisfaire la cu-

riofité du public. On peut v o i r , dans ma

premiere Differtation, qui fe trouve à la fin

de mon Traité des Maladies de Surinam, im-

primé.dans l'année 1 7 6 4 , la f igure, & la

diffection anatomique de cet animal. Mais

comme quelques Sçavants refpectables m'ont

fait par t , depuis, de leurs remarques, fur

le doute où j 'avois laiffé les Natural i f tes ,

furie méchanisme de la génération du Pipa,

j 'ai été obligé de reprendre la même matiere,

pour la rectifier avec plus de détail & de fo-

lidité que je ne l'avois fa i ta lors . E t l 'on

peut encore avoir recours à cette feconde

Differtation , q u e j'ai publiée fous le titre de

Développement parfait du myftere de la géné­

ration du fameux Crapaud de Surinam, nommé

Pipa, etc. A Maeftricht, chez F, Leckens

1765. D e forte que je ne puis rien ajoute:

Q 2

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240 D E S C R I P T I O N

à ces deux Defcriptions, finon que notre fiecle ne manque ni d'habiles Obfervateurs , ni de fçavants Philofophes , pour vérifier tout ce que j'en ai dit ; & que je ferai le premier à profiter des lumieres qu'ils ré­pandront fur la découverte d'un phénomene que j'ai expofé à leur examen.

Je dirai de plus suffi qu'on ne doit pas ajouter foi aux prétendues obfervations de ceux qui infinuent que cet animal eft fi ve­nimeux, qu'en le pulvérifant , & le don­nant même en petite dofe, il caufe les ac­cidents les plus funeftes. Tous ces récits , fi fouvent répétés par les Naturaliftes, ne font que de pures fictions, fondées fur les ouï-dire de gens mal inftruits, ou peu vé-ridiques : car j'ai calciné plufieurs Pipas, que j'avois renfermés tout vivants dans un creufet, que j'avois enfuite fcellé hermé­tiquement ; & après avoir pulvérifé cette calcination, j'en ai donné en grande & pe­tite dofe à toutes fortes d'animaux , qui n'ont reffenti aucun des fymptômes du pré­tendu poifon, & qui, par conféquent, n'en font pas morts. D'où je conclus, qu'il y a bien fouvent plus à détruire, qu'à édifier, clans l'Hiftoire Naturelle ; & fi je l'ofe dire, même dans presque toutes les connoiffan-ces, que nous décorons du titre faftueux de fciences. Celui qui délivre les hom­mes d'une erreur, n'eft, pas moins leur

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DE S U R I N A M . 241

Q 3

bienfaiteur que celui qui leur enfeigne une vérité.

La feconde Efpece de Crapaud ( i ) eft un animal monftrueux en groffeur & en lar­geur. Il a deux efpeces de cornes, ou émi-nences, au deffus de la tête : il eft fore court ; & fes yeux, qui font gros , vifs & brûlants , fortent de leur orbite : fa peau eft, deffus & deffous , d'une couleur jau­nâtre cendrée, parfemée de petits yeux, à peu près femblables aux petites matrices du Pipa, & au milieu desquels il y a de pe­tites taches noires ; elle eft, en outre , ex­trêmement dure & épaiffe. Il a quatre doigts, à chaque patte de devant, & cinq à celles de derriere, lesquels ne font liés par aucune membrane, parce qu'il eft fim-plement terreftre.

La troifieme (k) n'eft qu'une variété du précédent ; il eft prefque rond comme une boule : toute la peau de fon corps eft rous-fâtre, épaiffe, & parfemée de taches gri-fâtres ; les yeux lui fortent un peu hors de l'orbite, & font noirs & fort vifs. Sa tête eft comme retirée entre fes deux épaules. Il a autant de doigts que le précédent; mai$ ceux de derriere font liés par une membra-

(i) Bufo cornutus & fpinofus, maximus ; en Hol-landois Padde.

(k) Bufo orbiculatus.

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242 D E S C R I P T I O N

ne; ce qui lui donne la facilité de vivre dans l'eau, comme fur terre.

Le quatrieme ( l ) eft un petit Crapaud marbré , d'une couleur cendrée, qui eft auffi aquatique & terreftre. Tous ces animaux ne vivent que d'herbes & d'infectes. On les trouve tantôt dans l'eau & tantôt fur la terre.

La poudre qu'on en fait, en les calci­nant, eft diurétique & fudorifique, & l'huile qu'on en retire, par la voie de l'infulion, eft anodine & déterfive.

La Grenouille eft un animal plus aquati­que que terreftre, dont la différence eft no­table avec le crapaud , en ce qu'elle eft , premiérement, mieux faite & plus déliée ; & , qu'en fecond lieu , elle a la tête plus près de la poitrine , & plus allongée que celle du crapaud. Ses cuiffes font grandes & menues, de même que fes jambes. Quand elle eft fur terre, elle peut fauter jufqu'à trois pieds de haut, en déployant tout-à-coup fes grandes cuiffes ou fes jambes; ce qui lui fert à faire en très-peu de temps un long trajet en nageant.

On en diftingue de plufieurs Efpeces. La premiere (m) eft la Grenouille verte,

qui eft femblable à celle d'Europe.

(l) Bufo minor.

(m) Rana vulgaris : en Hollandois Kikvorfcb : en Al­lemand Frofcb.

Des dif­férentes Efpeces de Gre­nouilles.

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D E S U R I N A M . 243,

L a feconde (n) eft celle qui a , à chaque côté de la mâchoire inférieure, une veffie, qui, dans les grandes chaleurs, eft toujours pleine d'air. Elle eft: d'un roux clair, ta-cheté, ou tiqueté de rouge. Elle a des on­gles fort larges, & elle croaffe vers le cou­cher du foleih C'eft de leur chant qu'on préfage, le plus fouvent, le temps beau ou ferein.

La troifieme ( o ) eft celle qui eft toute - marbrée. Elle ne differe de la précédente qu'en ce qu'elle n'a point de veffie, & qu'el­le eft marbrée, d'une couleur cendrée, & rougeâtre par tout le corps ; ce qui forme une très-belle marbrure: fes cuiffes & fes jam­bes font presque blanches.

La quatrieme (p) eft une petite Grenouil­

le , qui a le ventre tout blanc, le deffus du corps d'une couleur plombée, & les côtés tachetés de blanc & de noir, qui la rendent fort belle.

La cinquieme (q) eft une autre petite Grenouille bleuâtre.

La fixieme (r ) efl une Grenouille tachetée,

qui ne fe nourrit que de couleuvres, ou de petits ferpents.

(n) Rana veficaria. ( o ) Rana marmorata,

(p) Rana parva, ventre albido, dorfo plombei coloris, lateribus ex albo nigro variegatis.

(q) Rana cyanea. (r) Lemnia.

Q.4

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244 D E S C R I P T I O N

La feptieme (s) eft une Grenouille poiffon-

neufe, connue, dans la Colonie, fous le, nom de Fakies. On prétend qu'elle fe trans­forme en poiffon ; mais c'eft ce que j'ai bien de la peine à croire, parce que ce feroit. précifémertt le contraire de ce qui arrive communément aux Grenouilles, qui font, en quelque forte, premièrement, poiffons, a-vant que d'acquérir leur véritable forme; com­me le prouve très-bien Seba Tbes. 1, pag, 1 2 3 , Tab. 7 8 , dans lequel on voit toute la transformation des Grenouilles.

Celle, dont il eft ici queftion, & dont Mlle Merlan donne auffi la figure, a là peau tachetée fur lescôtés , le ventre pommelé, & les parties de derriere palmées.

On en trouve dans prefque toutes les cri­ques & favannes marécageufes. Dès qu'elle eft parvenue à fa grandeur naturelle, il lui croît , peu-à-peu, une queue, qu'elle perd, de même que fes pattes, à ce qu'on dit, pour devenir enfuite poiffon ; lequel prend d'abord la couleur grife, devient enfuite brunâtre, & qu'on appelle Jakies. C'eft pro­prement le nom de ce poiffon qui eft très-bon à manger, qui a fait appeller cette Gre­nouille ainfi; mais elle n'y a certainement nul rapport. De forte que toute cette métamor-phofe doit être regardée comme fabuleufe : & depuis qu'on m'a donné les éclairciffements

(s) Ram pifcatrix,

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D E S U R I N A M . 245

que j'ai demandés à ce fujet, je ferois le pre-mier à avouer mon ignorance, fi cette trans­formation avoit eu la moindre apparence de réalité. Il eft, au contraire, très-certain, qu'après que le mâle de la Grenouille a fécon­dé les œufs que la femelle a dépofés, il en fort, dans une enveloppe gluante & trans­parente , qu'on nomme le frai, un infecte noir, qu'on nomme Têtard, lequel eft tout en tête & en queue. 11 nage d'abord très-vivement au moyen de fa queue, & de­vient , peu de temps après, auffi gros qu'u­ne cerife ; au bout d'un plus long efpace de temps il fe transforme, petit à petit, en Grenouille parfaite. Les jambes de derriere paroiffent les premieres, puis, de jour à au­tre , celles de devant; la queue difparoît; & il eft Grenouille pour toute fa vie. Voyez là-deffus là génération de la Grenouille du fça-vant Swammerdam, celle de Needbam, Roe-

felius, & Mr. Gautier dans fes Obfervari­ons philofophiques fur l'Hiftoire Naturelle.

On prétend que la chair des Grenouilles, furtout celle des vertes, eft propre à adou­cir les âcretés de la poitrine, qu'elle eft res. taurante & bonne dans la confomption. On ajoute encore que leur frai eft un fouverain remede pour les brûlures récentes , l'éré-fipelle & les feux volages du vifage, en y trempant un linge, pour l'appliquer fur la partie affectée,

Q 5

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246 D E S C R I P T I O N .

Comme, je n'ai parlé, dans le Chapitre neuf, que de deux Efpeces de Tortues de mer, je ne dois pas omettre ici de faire connoître cel­les de terre, & d'eau douce, dont il y a de plufieurs Efpeces.

La premiere ( t ) eft une groffe Tortue de terre, fort finguliere par fa figure. Elle a le cou long, & fort ridé, d'où pendent de petites membranes déchirées, ou déchique­tées, à peu près, comme une frange. Sa tête eft applatie, triangulaire, & terminée par une efpece de trompe, femblable à un petit tuyau de plume à écrire : le deffus de fon écaille, qui eft convexe, eft comme fillonné & garni de groffes pointes & l'é-caille inférieure eft platte.

On trouve cette Efpece de Tortues dans les favannes.

La féconde ( u ) eft une belle Tortue de beis, couverte d'une très-belle écaille,mar­brée de diverfes couleurs, & d'une moyen­ne groifeur. Elle eft d'un rouge bai obfcur, marqueté de jaune & de noir: fa tête , qui eft courte, eft rougeâtre, auffi bien que les jambes & fes pieds, qui font couverts d'é-cailles affez épaiffes. Elle a cinq doigts aux pieds , armés d'ongles forts.

Celle-ci fe trouve dans les bois.

(t) Teftudo ierreftris, major: en Hollandois Schilde-

Padde: en Allemand Scbild-Kröte.

( M ) Teftudo paluftris.

Des Tor­tues de terre, et

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D E S U R I N A M .

La troisieme (x) eft une petite Tortue de favannes, dont l'écaille de deffus eft beau­coup plus grande que celle de deffous. Elle eft rouffâtre, & flammée de blanc. Ses pat-tes font pointillées de petites taches rouges. Sa tête eft: petite ; mais fon cou eft affez long.

On la trouve dans les favannes maréca-geufes.

La quatrieme (y ) eft la Tortue vulgaire, que l'on trouve auffi dans les favannes maré-cageufes, ou dans de petits ruiffeaux.

Ce qu'il y a à remarquer fur la Tortue, c'eft que , lorsqu'elle veut cacher fa tête fous les plis de fon cou,elle eft fort adroite à la faire rentrer fubitement, de même que les jambes & la queue, fous fa coquille. El­le marche fort lentement, & ne vit que d'in­fectes , d'herbes, & de coquillages de terre & d'eau, paflant fa vie dans les deux élé­ments. Elle eft ovipare, & cache fes œufs fous une couche de terre, qu'elle met par deffus, pour que le foleil les fafle éclorre. Cet animal peut vivre long-temps.

Quand les Negres en prennent, ils les en­ferment dans un parc, & en font enfuite commerce, lorsqu'ils en ont beaucoup.

Elles font toutes affez graffes, parce que les Negres ont grand foin de les bien nour­rir, & font excellentes à manger; mais il ne faut cependant pas s'imaginer qu'elles foient auffi délicates que celles de mer.

(x ) Tefludo terreftris; minor. (y) Teftudo vulgaris.

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246 D E S C R I P T I O N

C H A P I T R E X X I I .

De l'Icbtbyologie, ou Defcription des

Poiffons.

L' I M M E N S E variété des Poiffons, tanc de mer que des rivieres & des étangs ,

nous fournit une telle multitude de points de vue & fi intéreffants, foit qu'on exami­ne leur organifation, leur différente forma­tion ou l'utilité dont ils font pour la vie animale, indépendamment de ce qu'ils ont de flatteur pour le goût,, que ce n'eft pas une petite difficulté que d'en entreprendre la defcription : auffi ne parlerai-je que, de ceux que l'on, peut fe procurer dans ce pays.

Quoique le Requin (a) ne foit pas fort commun dans les rivieres de la Colonie, parce que ç'eft un poiffon de mer , on ne laifle pas que d'yen voir de temps, en temps; car un jour, qu'un Matelot voulut fe bai gner aux environs de fon vaiffeau, qui étoit dans la rade,, il eut le malheur d'être at­taqué par un de ces animaux, qui lui em­porta la jambe d'un feul coup de dent.

(a) Carearías feu Galleas, omnium maximum : en Hollandois Haye: en Allemand-Hay, ou Meer-Wolf, ou encore Meer-Hund.

Du Re­quin.

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D E S U R I N A M .

Ce poiffon , qui eft naturellement vorace, a près de quinze pieds de long. Sa tête va en diminuant jufqu'au bout du mufeau. Ses yeux font grands : il a la mâchoire inférieu­re courte & reculée ; deux narines, fous le bout du mufeau & plufieurs fentes au cou, qui lui fervent d'ouïes; fa gueule, ou bouche, eft armée de plufieurs rangées de dents, d'une forme triangulaire , très fortes & aiguës. Tout fon corps eft couvert d'une peau très-rude, toute chagrinée , & de la couleur d'un roux brun , mais plus clair fous le ventre. Sa chair n'eft pas des meilleures à manger; elle eft, au contraire, d'un très-mauvais g o û t , dure, coriace, & gluante. Il habite , ordinairement, les mers, & fe nourrit de tout ce qu'il peut dévorer, fans diftinction : ce qui fait qu'il eft fi dangereux pour les hommes.

L'Efpadon (b) eft un poiffon unique er fon Efpece. Quelques-uns l'appellent Em pereur ou Epée, d'autres en font un genre de baleine : Ovide , Pline, & Fonfton en

parlent fous le nom de Xipbias. Il y en a qui ont depuis dix jufqu'à quinze pieds de long, y compris la fcie, qu'il porte audes-fus de la mâchoire fupérieure, laquelle peut avoir, au moins, une aune de long. Cette fcie eft très-dure,forte, & recouverte

(b) Gladius five Xipbias : en Hollandois Zward-Vis: en Allemand Scbwrdt-Fifch

\

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De l'Ef-padon.

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d'une peau dure, & armée, des deux côtés, de piquants en façon de dents, lesquels font plats, forts & tranchants. On prétend que ce poiffon eft l'ennemi déclaré de la baleine, qu'il l 'attaque,& la pourfuit, fans relâche, jufqu'à ce qu'il en foit venu à bout, â force de lui faire des ouvertures dans la peau, par lesquelles elle perd tout fon fang. On affure que fa chair eft bonne à manger, blanche, ferme, graffe , & d'un fort bon goût. . . . . .

Ce poiffon eft affez difficile à prendre, en ce qu'il marchande fort long-temps à faifir l'hameçon , qui doit être garni d'un poiffon entier ; & qu'en outre, quand on le tient , il fait des efforts fi confidérables pour fe détacher , qu'il eft capable d'entraî­ner , avec lu i , le canot du pêcheur. On en prend , néanmoins, fouvent fur les cô­tes, & il y en a qui pefent depuis cent juf­qu'à cent cinquante livres.

Le Marfouin (c) eft auffi un gros poiffon "de mer , que l'on met dans le genre de la morue. On le trouve fur les côtes , ou à l'embouchure, de la riviere de Surinam, lors qu'il y eft jetté par de gros temps. 11 y en a qui le mettent dans le genre de la baleine, & qui le nomment Souffleur.

Ce poiffon a depuis cinq jufqu'à huit pieds

(c) Turfio en Hollandois Bruin-Vis of eene foort •van Dolfyn: en Allemand Meer-Schwein,

Du Mar-fouim.

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D E S U R I N A M . 251

Du Ca­bellali, ou Grauw-Munnik.

de longueur. Sa tête a la même forme que celle du cochon ; & a , fur le haut, Une ouverture par où il rejette Peau: fes deux mâchoires font garnies de dents fort poin­tues ; fa queue eft placée horifontalement, mais taillée en faucille. Ces animaux vont toujours en troupe, & font extrêmement gras. On affure que -le lard des jeunes eft infiniment meilleur que celui des vieux, & que leur chair eft auffi de beaucoup plus délicate.

Les habitàns de Surinam ont donné le nom de Graim-Munnik, (ce qui fignifie., en Fran­çois , Moine, gris) à un poiffon qui reffemble beaucoup au Cabéliau, (d) qui eft un pois-fon de mer, mais que l'on pêche dans les ri­vieres hautes. Il y en a qui ont jusqu'à qua­tre pieds de long. Ils font fort gros, ont le ventre avancé , le dos & les côtés d'une couleur olivâtre, fale ou brune, & le ven­tre blanchâtre. Leurs écailles ne font pas grandes, mais adhérentes à la peau. Leurs yeux font grands, & couverts d'une membra­ne lâche & diaphane ; l'iris eft blanche. 11 y a des Moines gris, qui pelent depuis quin­ze jufqu'à quarante livres. Leur chair eft fi délicate, qu'on la regarde comme un man­ger exquis.

Quoique le Bakkeljauw foit un poiffon1,

(d) Malva, feu Morrbua.:enHqllmàOis:Kabeliauw en Allemand Cabeliau ou Stock-Fifch.

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Du Merlan.

Du Bak-"keljauia- \

qui ne. fe trouve ni fur les côtes ni dans les rivieres de Surinam, je fuis cependant obligé d'en parler, à caufe de la grande con-fommation qui s'en fait dans le pays. C'eft une Efpece de morue, que les Anglois pê­chent aux environs de Terre-Neuve, & ap­portent toute falée dans des barriques, pour la vendre aux Planteurs, qui font obligés d'en donner, de temps en temps , à leurs Efclaves , pour les animer au travail; ce poiffon étant pour eux un mets très-délicat. Beaucoup d'habitants même en mangent auffi par goût ; mais pour moi j'ai trouvé -fon odeur fi forte, qu'on n'a jamais pu me perfuader d'en manger , quelque affurance qu'on ait pu me donner de fa bonté.

Le Merlan (e) eft un poiffon de mer, qui eft couvert de petites écailles arrondies & blanches. Il y en a de grands & de petits. Il a la tête applatie en deffus , les yeux grands, l'iris argentée, la prunelle bleuâ­tre , les deux mâchoires dentées, le corps d'un blanc argenté, & le dos grifâtre. Ce poiffon eft très-abondant fur la côte, & dans presque toutes les rivieres. Sa chair eft dé­licate, légere, & de bon fuc ; mais il eft fort cher.

L'A-

( e ) Merlangius: en Hollandois Schell-Vis: en Al­

lemand Schell-Fifch.

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D E S U R I N A M .

L'Alofe (f) eft un poiffon de mer, qui eft quelquefois chaffé par les vents, dans les rivieres. Sa forme eft celle d'un ovale allon­gé; il eft couvert d'écailles affez grandes, mais fort minces. Lorsqu'il eft bien gras & tout frais, la chair en eft exquife.

Les habitants de Surinam ont donné le nom de Haymar à un poiffon de mer écail-leux, qui remonte affez fréquemment dans les rivieres. Il y en a depuis trois jufqu'à cinq pieds de long, & il reffemble parfaite­ment au Saumon, (g) II eft couvert de gros-fes écailles grifes: fa tête fe termine un peu en pointe ; fes deux mâchoires, font garnies de fortes dents, femblables à celles d'un chien. Sa chair eft fi délicate qu'il n'eft pas poffible d'en décrire la bonté ; on le ma­rine, pour le conferver long-temps: mais il eft d'une telle cherté, qu'il n'y a gueres que les perfonnes aifées qui puiffent s'en ré­galer.

On donne le nom de Chat tigré, ou Spikkel-

Xatten, à un poiffon qui eft de la longueur de deux ou trois pieds, & fans écailles. Il a affez de reffemblance avec le brochet ; & fes deux mâchoires font garnies de fortes dents. Quand ce poiffon eft cuit, la chair

(f) Clupea feu Alofa: en Hollandois Eelft : en Al­lemand Alofe ou Elfe.

(g) Salmo, Cinerus : en Hollandois Salm of Hey-mar : en Allemand Salm ou Lacis.

Tome II R

253

De l'A-lofe.

Du Sau­mon , ou Haymar.

Du Chat tigré, ou Spikkel-Katten.

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en devient toute jaune, comme du firfran, & n'eft pas des meilleures ; car elle eft ex­trêmement feche.

Le Brochet ( b ) ne fréquente que les rivie­res & les criques, qui en fourniffent abon­damment de toutes fortes de grandeurs ; car il y en a depuis trois livres pefant, jufqu'à vingt. Ce poiffon n'eft remarquable que par fa tête, qui eft longue & d'une figure finguliere. Elle eft applatie dans fa partie antérieure , depuis les yeux jufqu'au bout du mufeau, de forme quarrée , & per­cée de petits trous. Sa mâchoire inférieu­re eft armée de petites dents très - aiguës ; il n'en a point à la fupéreure ; mais il en a deux rangs fur le palais. Il eft très-vorace , & détruit les autres poiffons; mais auffi fa chair eft-elle fort bonne & fort délicate.

La Bécune eft une efpece de brochet de mer, vif , & gourmand jufqu'à la voracité. Il s'en trouve qui ont près de quinze pieds de long, d'autres depuis deux jufqu'à qua­tre. La mâchoire de ce poiffon eft armée de deux rangées de dents très - longues, & fi tranchantes, qu'il coupe tout net , ou em­porte la piece de tout ce qu'il rencontre à la nage. On prétend que fa chair eft très-bon­ne , blanche, ferme, allez graffe, & de même

(b) Lucius : en Hollandois Snoek : en Allemand Hecbt.

De la Bécune.

Des Bro­cbets.

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dE S U R I N A M .

goût, à peu près, que celle du brochet; mais qu'il n'en faut pas manger fans précau­tion: parce qu'étant, comme je l'ai dit, ex-trêmement vorace, & qu'il avale fans dis­tinction tout ce qui fe rencontre fur l 'eau, comme dedans, illui arrive quelquefois d'ava­ler des pommes de Mancenilier, lesquelles font des poifons très-violents, qui ne lui font aucun mal; mais qui rendent fa chair enve­nimée , & capable de donner la mort à qui­conque en mangeroit, quand ce poiffon eft dans cet état.

Le moyen le plus certain de connoître fi la-Bécune eft empoifonnée, c'eft de goûter de fon foie; car fi on le trouve tant foie peu amer, c'en eft un figne indubitable ; & il faut bien fe donner de garde d'y toucher : s'il ne l'eft pas, il n'y a rien à craindre.

La grande Efpece de Bécune eft affez rare fur les côtes. On y en a cependant vu plus d'une fois, m'a-t-on dit ; mais pour moi je n'ai jamais vu ce poifion fi hardi dans fa courfe.

La Bonite eft le poiffon de mer, qui res-femble le plus au thon : j 'en ai vu plufieurs à Surinam. C'eft un poiffon gros , rond, & d'une couleur affez approchante de celle des maquereaux, dont il a auffi, à peu près, le goût : fa chair eft affez graffe & délicate. particuliérement celle du ventre, qui eft d'une blancheur & d'une tendreffe admirable,

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De la Bonite.

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La tête fe met au bleu, ou en Peepef-pot ; (*) le refte du corps fe Coupe par tran­ches , & fe prépare de différentes manieres. On les fait auffi bien fouvent mariner, pour les conferver long-temps, & on les mangé enfuite à l'huile & au vinaigre, comme le thon.

Ce poiffon ne vît que de proie, & fait, continuellement, la chaffe aux poiffons v o ­lants, dont il détruit beaucoup.

La Carangue eft un poiffon de mer, qui entre fort fouvent dans les rivieres. Il eft blanc & plat, long de deux pieds, & large d'un, par le ventre, ayant quatre à cinq pouces d'épaiffeur. Sa bouche , qui eft grande , eft armée de bonnes dents ; fes yeux font grands & rouges. Il a deux gran­des nageoires, au défaut du c o u , & fa queue eft large & fourchue. Sa chair eft blanche comme la neige, graffe, & , par conféquent, tendre & délicate, & remplie d'un fuc éga­lement nourriffant & favoureux.

La Dorade (i) eft un très-beau poiffon de m e r , qui eft large, plat, & couvert, de­puis la tête jufqu'à la queue , de grandes é-

(*) On donne le nom de Peeperpot à une efpe-cé de foupe, que l'on fait avec différentes efpeces de poiffons, dans laquelle on met des galettes, de la caffave & du piment, pour lui donner le haut goût. C'eft: un mets que les Créoles aiment à la fureur.

(i) Aurata marina: en Hollandois Geut-Vis: en Allemand Gold-Forelle.

De la Caran­gue.

De la Dorade.

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D E S U R I N A M .

cailles dorées , furtout quand il eft dans l'eau. On en trouve fréquemment fur la côte. Ses yeux font gros, rouges, & pleins de feu. Il eft l'ennemi déclaré des poiffons volants ; quoiqu'il foit naturellement fort craintif. Sa chair eft blanche & ferme, un peu feche, à la vérité, mais d'un très-bon goût.

Les habitants de Surinam donnent le nom de Paffieffie à un poiffon, qui reffemble par­faitement à nos muges,(k) excepté qu'il eft beaucoup plus gros. Il y en a qui pefent depuis quatre jufqu'à dix-huit livres, & n'ont point d'écailles. La tête de ce poiffon eft fort groffe & courte ; & il a de longues bar­bes à chaque côté de la mâchoire. Toutes les rivieres en fourniffent abondamment de toutes Efpeces : leur chair eft blanche, & de très - bon goût. On les mange, commu­nément, en Peeperpot,

L'Orphy (l) eft un poiffon long comme une anguille, mais plus gros, plus charnu, & plus quarré : fa peau eft d'une couleur bleuâtre ; fa chair eft blanche, ferme, un peu feche, à la vérité, mais d'un affez bon g o û t , & approchant de celui du maque­reau. 11 eft également bon à toutes fauces, & l'on en fait même d'affez bonne foupe. Il

(k) Mugilis : en Hollandois Harder : en Allemand de même.

(l) Orpheus : en Allemand Horn-Fifcb.

De l'Or-pby.

Du Mu­let.

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n'a qu'une feule vertebre, qui eft. verte, & qui fe détache aifément de la chair. Il a fur le nez un avant-bec, qui eft , pour l'ordi­naire, d'une cinquieme partie de la lon­gueur du refte de fon corps : il eft fort commun dans les criques.

On trouve à Surinam un poiffon auquel on donne le nom de Lune ( m ) , à caufe qu'il eft tout rond, n'ayant qu'un très-pe­tit moignon de queue, & un court bec, qui l'empêchent de rouler de forte que fa forme eft presque orbiculaire. Il a près de dix-huit pouces , depuis la tête jufqu'au bout de la queue, douze de large, & deux d'épaiffeur. Sa peau eft blanche & argen­tée , & reluit la nuit. Il a le front large & ridé, les yeux grands ; & il a fur le dos, & fous le ventre, deux grandes touffes de poils, qui lui fervent de nageoires. Sa chair eft blanche, ferme, graffe, nourriffante, & de bon goût.

Le poiffon , qu'on nomme Affiette, ne differe du précédent qu'en ce qu'il n'a. point les deux touffes de poils, dont j 'ai parié ; mais du refte il lui reffemble parfai­tement, tant en figure qu'en bonté. On trouve l'une & l'autre Efpece dans pres­que toutes les rivieres, de même qu'au long de la côte.

(m) Orbis marinus.

De la Lune.

De l'Af-Jiette.

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On diftingue, à Surinam, deux Efpeces de Plies, fçavoir la grande & la petite.

La premiere (n) reffemble au turbot, à la réferve qu'elle eft plus étroite, mais plus large que la fole.

La feconde eft plus petite , plate , & taillée un peu en lofange, comme le tur­bot. L'une & l'autre ont les yeux fur la partie de deffus, qui eft grifâtre ; celle de deffous eft blanche: leurs nageoires font le tour de leur corps ; leur queue eft large ; leur bouche eft comme celle de la fole, mais fans dents, & femblable, intérieure­ment , à celle du turbot. On en pêche beau­coup le long de la côte. Leur chair eft très-blanche , molle , nourriffante , d'un bon fuc , & facile à digérer. Quoique ce foit un poiffon de mer, on en trouve auffi dans les rivieres & dans les criques ; mais leur couleur eft un peu plus foncée que celle des premieres.

Les Battagres fe trouvent dans les rivie­res & dans les criques. Cette forte de pois-fon a beaucoup de la figure d'un faumon ; mais il eft des deux tiers plus petit, un peu barbu, & fourni d'aiguillons.

L'Anguille (o) eft un poiffon gliffant, à

(n) Paffer levis, aut Plya: en Hollandois Bot: en Allemand Platteis ou Scholl.

( 0 ) Anguilla: en Hollandois Paaling :en Allemand Aal.

De la Plie

Des Bai-tagres.

Des An-guilks.

R 4

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fans écailles , qui habite le fond des eaux. On en diftingue, à Surinam, de deux Es­peces : la premiere eft celle qu'on pêche dans les rivieres ; elle a le ventre plus blanc, & plus luifant que celles de la feconde Efpece, que l'on trouve dans les favannes maréca-geufes, qui font fouvent remplies de petits étangs où l'on peut les prendre avec la main : cette derniere eft fort petite, & a plutôt la figure d'un ferpent que d'une anguille ; d'autant plus qu'elle rampe la plupart du temps fur le gravier , lorsque ces étangs font presque defféchés, dans les temps de chaleur. Elles font toutes deux très-bonnes à manger, quoiqu'elles ne foient pas fi gras-fes que celles que nous avons en Europe : mais quelque flatteur que puiffe être ce mets pour le goût, il n'en eft pas moins difficile à digérer, à caufe des parties vifqueufes & groffieres qu'il contient, qui le rendent contraire aux eftomacs délicats. Rôti , on prétend qu'il eft plus fain, parce qu'alors il eft dépouillé de fon phlegme vifqueux.

On donne le nom de Torpille à un pois-

fon, qui a la véritable figure d'une Anguille ;

ce qui fait que quelques-uns la nomment

Anguille tremblante; (p) parce qu'en la tou­

chant de la main, ou avec un bâton, elle

caufe un tremblement involontaire ou for-

^i) Torpedo five Anguilla lacuftris, tremorem, infe-

rens : en Hollandois Beef-AL ,

De la" Torpille, ou An­guille treni-hlanie.

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B E S U R I N A M . 261

cé , comme celui qu'occafionne la véritable Torpille, qui a, à peu près, la figure d'une raie. Quant à moi, je ne fais nul doute que ce poiffon ne foit une véritable Torpille, auffi bien que l'autre, quoique différemment conformée, & que ce nom ne lui convienne beaucoup mieux que celui d'anguille trem­blante , malgré fa figure ; en quoi me con­firment les différentes expériences que j 'ai faites fur un de ces animaux que j'ai eu près de fix femaines en vie, dans une cuve d'eau. Les impulfions de la véritable Torpille ne peuvent pas même approcher de celles que fait éprouver celle-ci, du moins comme je me l'imagine, & qu'on le va voir.

Je fus un jour curieux de m'affurer de la force du mouvement électrique de cet ani­mal, & pour cet effet j'affemblai tous mes Esclaves, qui étoient alors au nombre de quatorze; je les fis tenir tous, par la main; & j'ordonnai au premier Negre de faifir le plus ferme qu'il pourroit l'anguille foi-difan-t e , & de la tenir par le milieu, du corps. Mais à peine l'eût-il empoignée qu'il reçut une fi violente fecouffe dans fon bras, qu'el­le fe fit reffentir jufqu'à moi , qui tenois auffi le dernier Negre par la main ; mouve­ment que je pus égaler à celui que procure une légere Electricité , par l'engourdiffe-ment fubit que je reffentis. Je réitérai la même expérience , c'eft-à-dire , que je

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fis toucher la Torpille avec un b â t o n , dont

le trémouffement ne fut pas fi fenfible que

la premiere fois. U n e troifieme expérien­

ce , pareille à la premiere , me procura, le

même mouvement primitif: à la quatrieme,

il fut moins violent ; mais cependant t o u ­

jours affez f o r t , pour obliger le Negre à

lâcher prife. D e forte qu'il eft impoffible de

toucher ce poiffon fans reffentir un horri­

ble engourdiffement dans les bras & juf-

qu'aux épaules : fi même on le touche tant

foit peu du pied , ou qu'on marche- deffus.

on éprouve la même fenfibilité dans les jam­

bes , aux genoux , & même aux cuiffes.

L a grande chaleur qu'il fait dans ce p a y s ,

m'a été un grand obftacle pour en faire une

parfaite diffection anatomique , qui m'au-

roit pu mettre à portée de décider du v é r i ­

table corps moteur de ce mouvement impul-

fif. T o u t ce que j'ai pu remarquer , ce

font deux muscles forts , qui correfpondent

au dos & à la poitrine , en forme de faulx

ou fauci l le; & ces deux muicles , que j 'ai

parfaitement pu diftinguer des autres par­

ties musculeufes , m'ont paru devoir être

les deux principaux agents du mouvement

o u treffaillement en queftion : mais je ne

donne cependant ceci que comme conjectu­

re , parce qu'il n'eft pas facile de décider fi

le mouvement réfide dans tout le corps du

poif fon, o u dans une partie déterminée, &

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même que cette partie foit proprement ces deux muscles ; furtout ayant été borné dans les recherches, comme je l'ai été. Ainfi je me contente de rapporter ce que j'ai vu , & l'opinion que cela m'a fait concevoir, fans chercher à en impofer. Je ne défespere pas, du moins, que fur les foibles notions que j'en donne, quelque habile Naturalifte ne fe pique de découvrir la vérité de ce fait, & ne parvienne à approfondir ce phénome­n e , & à le développer.

Cette. Torpille, que l'on pourrait enco­re comparer par fa figure au congre, fe trouve dans les endroits marécageux, d'où l'on ne peut la tirer qu'en l'enivrant. Elle eft de la groffeur du plus gros bras, & d'u­ne couleur tirant fur le noir, ayant la tête fort groffe, & les yeux très-petits.

L'Aiguille (q) eft un poiffon qui tire for nom de la forme particuliere de fa tête, qui eft munie de deux mâchoires, de la longueur de quatre à cinq pouces, qui imi­tent parfaitement une aiguille, excepté que l'inférieure eft plus longue que la fupétieu-re. Elles font garnies de très-petites dents fort aiguës, pofées proche les unes des au­tres. Il y en a de deux Efpeces ; l'une que l'on pêche affez fouvent le long de la côte, & l'autre dans les criques. La premiere a la peau écailleufe, & la feconde eft toute

(q) Acus : en Hollandois Meer-Nadel.

De L'Ai, guille.

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Bu Loup-Marin.

De la Carpe.

Du Pê­cheur marin.

unie comme l'anguille. Il s'en trouve qui ont depuis fix pouces jufqu'à une coudée de longueur, & qui font de la groffeur d'une anguille médiocre. Ces poiffons font affez bons à manger , quoiqu'ils aient la chair un peu feche.

Le Loup-Marin ( r ) eft un poiffon de mer, qui eft très-vorace. Sa peau eft unie & presque femblable à celle des anguilles; elle eft bleuâtre, & ombrée de noir. Sa tê­te eft grande ; fes joues font enflées ; fe$-dents font grandes, fortes, & redoutables ; & fon corps eft couvert de groffes écailles. Sa chair eft ferme & très-délicate.

On pêche su long de la côte un poiffon (s) dont j'ignore le nom; mais que je ne puis mieux défigner que par celui de Carpe , parce qu'il lui eft en tout femblable, jus­qu'aux écailles, à l'exception qu'elles font argentées. Sa chair eft très-bonne.

On donne le nom de Pêcheur marin (t)

à un poiffon cartilagineux, qui a beaucoup de reffemblance avec la grenouille de ma­rais : il femble n'être que tête & queue. Il eft plat , & de couleur grifâtre, tirant un

(r) Lupus marinus: en Allemand See-Hecbt oder See-Wolf. s

(0 Cyprinus argenteus, fquammis maximis, peltc. tis, pinnâ dorfali , appendice longiffimâ fuffultâ ; Ca-maripuguacu.' Marg. Apalika.

(t) Rana pifcatrix : en Hollandois Fakies.

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D E S U R I N A M .

peu fur le brun. Sa tête eft groffe; & fa chair e f t , à ce qu'on m'a allure , veni-meufé.

On donne le nom de Goujon (u) à un petit poiffon blanc, allez femblable à l'é-perlan ; mais dont les écailles font dune blancheur plus vive & plus argentée. Il a les yeux rougeâtres, le dos verd, le ven­tre blanc, la tête petite, le corps plat; & fa chair n'eft pas bonne à manger.

Le Gros-Ventre (x) eft un poiffon, ainfi nommé , parce qu'il eft tout rond. Il eft orné de taches brunes & jaunes. Bien des perfonnes le regardent comme un poifon ; ainfi je ne confeillerois pas d'en manger.

Le poiffon, nommé Gros-yeux, (y) eft affez remarquable par fa figure; car fes yeux font faillants, en dehors, de plus d'un demi-pouce. Il fe tient, ordinairement, fur le rivage de la mer, & affez fouvent fur le bord des rivieres; mais particulièrement de­vant la Ville de Paramaribo, où il fe laiffe aller au gré des vents. Il eft couvert de pe­tites écailles rouffâtres; & celles du ven­tre font blanches. Ce qui le diftingue des autres poiffons, c'eft qu'il eft d'une Efpece vivipare; mais fa chair n'en eft pas moins bonne à manger: je dirai plus, car elle eft

(u) Gobius.

( x ) Orbist

(y) Gobio littoralis, barbatus, oculis maximis, pre-tuherantibus.

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DuGou-jon.

Du Groi-Ventre.

Du Gros-yeux.

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exquife. On peut le tuer facilement à coups

de fleches. Le Coco jaune eft ainfi nommé, parce qu'il

a le deffus du corps jaune, comme la tein­ture de fafran; mais fon ventre eft blanc. Sa tête eft groffe, & le refte du corps fort court, & fans écailles. Il a de chaque côté de la bouche une barbe blanche. Ce pois-fon n'eft bon que pour les Esclaves, parce que fa chair eft fort coriace, & fans goût. Il le tient toujours dans les endroits rem­plis d'immondices.

Je donne le nom de Maquereau à un poiffon, qui en a prefque toute la figure, excepté qu'il a le corps plus étroit & plus gros. Il n'y a qu'une faifon dans l'année pour en faire la pêche ; à caufe que, pen­dant les groffes pluies , il fe tient dans les favannes marécageufes, où il a tout le temps de fe nourrir, & de s'engraiffer. Ainfi, c'eft dans le temps fec qu'on en fait la pêche , attendu la diminution des eaux, qui fait qu'on peut facilement le prendre avec la main, ou dans des calebaffes pleines d'eau. Sa chair eft d'une déiicateffe au des-fus de toute expreffion ; & il y en a qui font plus gros que les meilleures perches.

La Lamproie ( z ) eft un poiffon de mer & de riviere, long, gluant, & qui reffem-

( 2 ) Lampetra: en Hollandois Lampeni: en Alle-mand Lamprete ou Bricke, ou encore Neunauge.

Du Coco jaune.

Du Ma­quereau , ou Wa-rappers.

De la Lam­proie.

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s i S U R I N A M , 267

ble affez à l'anguille, excepté par la tête qui eft de figure ovale. Son corps eft rond; fa queue menue & un peu large ; & fa cou­leur eft jaunâtre, tirant un peu fur le verd, marquetée, cà & là, de petits points noirs : fon ventre eft blanc. Sa chair eft très-bonne à manger , & n'eft pas fi huileufe que celle de l'anguille.

Le Turbot (a) à piquants fréquente la

côte. Il a un pied & demi de long, ou environ : fa figure eft ronde, & fon nez poin­tu. Il pefe aux environs de trois livres. Sa chair eft excellente à manger , furtout quand elle eft frite à la poële.

L e poiffon Trompette (b) eft ainfi appel-l é , parce qu'il réfonne dans l'eau , quand la mer eft calme ; & pour - lors il fait tant de bruit , qu'on peut facilement l'enten­dre de fort loin. Il eft de couleur jaunâ­tre , & a des aiguillons fur le dos , mais point de nageoires. Sa tête eft fort large, & le refte de fon corps fe termine en poin­te , comme la queue d'un ferpent : fes écail­les font fort groffes, & reffemblent affez à celles de la carpe ; mais fa chair n'eft pas des meilleures : , auffi n'eft-elle deftinée que pour les Negres.

(a) Rbombus minor : en Hollandois Tarbot : en Al­lemand Tombütte.

0 ) Acus : en Hollandois Trompetter.

Du Tur­bot.

Du Trom­

pette.

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268 D E S C R I P T I O N

La Sole ( c ) eft un poiffon de mer, plat , reffemblant à la plie, mais plus long & plus étroit ; de forte qu'elle forme une efpece d'ovale long. Le deffus de fon corps eft couvert de petites écailles brunâtres. Sa tête n'a prefque point de forme, & ne peut guere fe diftinguer du corps que par les yeux, qui font au milieu de fes écailles. Sa bouche eft de travers & fans dents. Tou­te la partie du ventre eft blanche. Ce pois-fon, lorsqu'il eft frit, eft d'un goût excel­lent; quoique ce foit, ordinairement, dans la vafe qu'on le prend avec la main.

La Raie (d) eft un poiffon plat , large & cartilagineux , dont il y a plufieurs Ef­peces.

La premiere ( e ) eft une monftrueufe Raie de mer longue de plus de douze pieds. Elle s'élance hors de l'eau à une hauteur affez confidérable , & fait un bruit épouvan­table , en fe laiffant tomber tout-à-coup. L'on prétend même qu'elle fe bat avec l'es­padon.

La feconde (f) eft une petite Raie bouclée, qui a le mufeau pointu, le dos garni d'ai-

guil-

(c) Solea: en Hollandois Zee-Tong : en Allemand Scbolle.

(d) Raia : en Hollandois Rofcb : en Allemand Re-che.

( e ) Raia maxima, circinata et cornuta. (f) Raia minima, clavata, caudâ longiffimd.

î)e la Soie.

*

Des dif­férentes Efpeces ieRaies.

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D E S U R I N A M . 269

( g ) Raia vulgaris, (h)Raia flellata.

Tome IL S

guillons, & la peau d'une couleur de gris cendré. Sa chair eft allez dure, & a tant foit peu le goût de fauvageon.

La troifieme (g) eft une petite Raie vul­gaire , qui a la peau liffe, & deux efpeces de nageoires, avec un aiguillon fur chaque œil. Celle-ci eft fort bonne à manger.

La quatrieme ( b ) eft une efpece dont la tête differe de celle des autres , & dont le corps eft orné de taches en étoiles. Elle a des aiguillons qui commencent près de la tête, & finiffent à la premiere nageoire de la queue. On trouve, quelquefois, cette es­pece de Raie fur la côte, parce qu'elle ha­bite la mer. Sa chair eft délicate & fort tendre.

Il eft à remarquer que toutes les Raies, de quelque Efpece qu'elles foient, ont une raie devant les y e u x , & tout proche des yeux de grands trous , qui font ouverts quand la bouche eft béante, & qui font fer­més quand elles la ferment. Elles ont, in-férieurement, les ouïes découvertes. Elles different toutes , entre elles , par les ai­guillons; car les unes en font armées des-fus & deffous , les autres deffous feule­ment , & d'autres deffous le mufeau. On prétend que ce poiffon efl fi fécond , que fon abondance égale bien fouve,nt fa bonté.

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270 D E S C R I P T I O N

Du Pra­prarie.

(i) Sol marinus : en Hollandois Zonne- Vis : en Al­lemand Sonne-Fifch.

(k) Mullus minor, loricatus. (l) Afellus maximus. (m) Jpua cinerea, pinnâ, dorfali viridi.

• Du So­leil ma­rin.

Du Gor­ret, ou Quiqui.

De la Vieille.

Le Soleil marin (i) eft un poiffon fingu-lier, par la figure d'un foleil bien marqué, brillant, & d'un blond doré, qu'il a fur le haut du dos, près de la tête. Il a près de deux pieds de long, & il reffemble affez à une perche. On le pêche fur les côtes, parce que c'eft un poiffon de m e r , & fa chair eft très-bonne.

Le Gorret (k) eft un poiffon de riviere, qui a la tête extrêmement groffe, auffi bien que le corps, & dont la chair eft très-déli­cate. Il eft couvert d'une efpece de cuiras-fe , formée de groffes écailles dures, qu'on ne fçauroit lever à moins qu'il ne foit cuit.

On donne le nom de Vieille (l) à un pois-fon de mer, qui pefe depuis cent jufqu'à trois cents livres, & qui a le même goût que celui de la morue, à laquelle il reffem­ble auffi, tant par la forme, que par la peau, & par la chair, qui en eft blanche, graffe, tendre, quoique ferme, & qui fe leve par écailles. Tout fon. corps eft couvert de mé­diocres écailles grifes. On prétend que ce poiffon eft goulu, & qu'on peut le prendre facilement à l'hameçon.

On donne le nom de Praprane (m) à un

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DE S U R I N A M .

poiffon qui eft couvert d'écailles cendrées, & qui a l'épine du dos verdâtre. Sa tête eft plate ; & fa chair eft délicate. C'eft un pois-fon de crique.

Le poiffon qu'on appelle Appas ( n ) , eft petit fans écailles, & d'une couleur d'oli­ve. Son nom vient de ce qu'il fert d'appât, pour en prendre d'autres à la ligne. On fouille dans la vafe, dans le temps que la mer eft baffe, pour l'avoir.

L'Aquador (o) eft le poiffon volant, qui à la forme d'une petite alofe, ou d'une très-grande fardine. Il y en a de huit à dix pouces de long, & d'un pouce &, demi de large. Quelques- uns donnent à ce poiffon le nom d'hirondelle de mer ; mais j'ai cru devoir me fervir préférablement du nom d'Aquador, & de celui de Harengus volans,

que de celui d'Hirundo marina que les Na-

turaliftes lui donnent; afin de mieux fixer ce dernier nom, pour ne fignifier qu'un genre d'oifeaux.

Ce poiffon eft, à le bien prendre, un peu quarré , quoique rond. Il eft blanc fous le ventre ; fon dos eft entre noir & rouge. Les nageoires de fes ouïes font fi longues qu'elles touchent presque à la queue : elles font femées de petites étoiles ou taches,

(n) Apua minima, olivacea. (o) Harengus volans : en Hollandois Vliegende-Fis,

S 2

271

De l'A-quador.

De l'Ap­pas.

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272 D E S C R I P T I O N

de diverfes couleurs, comme les aîles des papillons, & il s'en fert pour voler. Il en a en outre deux autres au dos, toutes fem-blables. Sa queue eft faite comme celle des hirondelles. L'intérieur de fa bouche eft rouge & luifant. Il s'éleve, hors de l 'eau, par le moyen de fes aîles ou nageoi­r e s , à la hauteur d'une portée de mous­quet , pour n'être pas la proie des plus grands poiffons que lui. J'ai mangé de ce poiffon, à deux différentes fois, dans mon paffage à

• Surinam, & j 'en ai trouvé la chair fort dé­licate.

On donne le nom de Grondeur ( p ) à un poiffon, qui ne ceffe de grogner dans l'eau, comme le pourceau. Il eft fi commun qu'on le donne aux Negres , qui le regardent com­me un mets des plus délicats.

On voi t , quelquefois, fur la côte un poiffon qu'on appelle Pilote, ( q ) qui a cinq ou fix pouces de longueur. Sa couleur eft un peu obfcure, entre-mêlée de taches bleues. C'eft, à peu près , le même que l'on voit au Cap de Bonne Efpérance, fui. vant la defcription qu'en donne Kolbe.

La Sardine ( r ) eft un petit poiffon de mer, que l'on pêche fouvent fur la cô-

( f ) Mullus vulgatiffimus, violaceus. (q) Paftinaca barbota, afpera, et longius caudatâ.

en Hollandois Pylftaert. (r) Sardina : en Hollandois Spret : en Allemand

Sardellen,

Du Gron­deur.

Du Pi­lote.

De la Sardine.

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De S U R I N A M .

t e , & qui ne differe abfolument, en rien, de celle que l'on prend fur les côtes de la . Méditerrannée. Celui-ci a aux environs de huit pouces de long, & en a un de large ; du refte il eft de toute beauté, par fa cou­leur argentée.

Si je donne ici la defcription du Remora, ce poiffon fi merveilleux, au rapport de nombre d'auteurs, c'eft que j'ai eu l'occa-fion d'en prendre deux (qui étoient forte­ment attachés fur un requin, que les Ma­telots avoient pris à la ligne, dans mon partage pour Surinam,) & que je mis enfuite dans l'efprit devin. L'Efpece, dont il eft ici queftion, eft proprement l'Ecbeneis des Anciens. Sa peau n'eft point écailleufe, & fa couleur eft plutôt jaunâtre,ou verdâtre, que cendrée. Sa longueur eft d'un pied, & . fon épaiffeur d'environ deux doigts & demi: il eft mince, vers la queue , & il a la tête plate. Sa bouche eft presque toujours ou­verte; parce que la mâchoire fupérieure eft plus longue que l'inférieure. Il a les yeux petits, l'iris en eft jaune ; & les dents font très-fines.

Le ventre du Remora eft extrêmement gluant, & raboteux comme une lime: c'eft par-là qu'il s'attache tellement aux gros poiffons, quand il fe vois pourfuivi, que j'ai eu beaucoup de peine à défunir les deux en queftion , du requin avec lequel ils a-

S 3

273

Du Re-. mora.

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voient été pris. Ces parties raboteufes for­ment une rangée transverfale de lames tran­chantes & dentelées, comme tuilées, & af­fermies, dans le milieu, par un filet lon­gitudinal ; le tout préfentant une furface horifontale, qui part, immédiatement, du bourlet de la mâchoire inférieure , & fe rend au commencement du ventre ; ce qui fait un efpace de trois petits doigts : & voilà d'où dépend la force de cet animal.

On donne le nom de Crapaud ( s ) à un poiffon, qui eft du genre de la plie. Sa tête eft extrêmement grande , & fa peau tique­tée de taches brunâtres. Sa chair eft un poifon.

On trouve fuffifamment d'Ecreviffes ( t ) dans les rivieres , & dans les criques de la Colonie ; & elles ne different de celles d'Eu, rope que par leurs mordants, qui font plus longs, plus affilés, & plus égaux, dans toute leur longueur; mais qui ne ferrent & ne. coupent pas moins pour cela. Elles font, en outre , une f o i s , & je pourrais même, dire deux fois , plus grottes que les nôtres: leurs pattes font auffi plus longues, mais plus étroites.

Elles font fort délicates ; & trois ou qua-

(s) Cuculas , magno capite : en Hollandois Padde-Vis.

(t) Aflacus major : en Hollandois Kreeft : en Alle­mand Krebs.

Du Cra­paud.

DesE-crevis-

fes.

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D E S U R I N A M , 275

tre fuffifent pour le fouper d'une perfonne, fiant elles font nourriffantes.

Perfonne ne disconviendra que les Craies ne foient une vraie manne dans toute l'A­mérique , puisque les Naturels du pays, ou Caraïbes, ne vivent presque d'autre chofe; que les Negres s'en nourriffent très-volon­tiers; & que les Créoles, auffi-bien que les Européens, les accommodent plus délicate­ment que les deux premieres Nations, qui fe contentent de les manger Amplement cuites dans l'eau ; pendant que, parmi nous, on les fait étuver de tant de différentes manieres , qu'il eft presque impoffible de s'en jamais dégoûter.

Les Crabes font, en général, recouver­tes d'une croûte dure, fort évafée, fou­vent noirâtre & plombée , & chargée de prééminences , ou d'incruftations. Leur bouche eft fournie de petites dents, d'ap­pendices, de pellicules , &c. Leurs yeux font noirs, & un peu éloignés, l'un de l'autre. On les trouve toujours par ban­des. Elles marchent, tantôt en avant, tan­tôt à reculons, & tantôt de travers ou de côté. L'on en diftingue de plufieurs Efpeces.

La premiere eft une Crabe de terre, (u) qui eft, à peu près, faite comme celles que l'on prend dans les mers d'Europe , mais bien plus petite; n'ayant, tout au plus, que

( M ) Cancer terreftris, miner.

S 4

Des dif­férentes Efpeces de Cra­bes.

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deux pouces. Son écaille eft dure, quoique mince : elle eft rouge ; mais au milieu du dos d'un rouge brun, qui s'éclaircit peu à peu jufques fous le ventre, qui eft d'un rouge fort clair. Ses yeux font noirs, durs comme de la corne, & fortent & rentrent, dans leurs orbites, comme ceux des écre-viffes. Elle a quatre jambes, de chaque cô­té , compofées , chacune, de quatre ar­ticles, dont le dernier eft plat, & terminé en pointe. C'eft avec cela qu'elle marche, & qu'elle racle la terre ; & outre ces huit pieds elle a encore deux mordants, bien plus gros que les jambes, dont l'extrêmité, faite comme celle des Crabes de mer, pin­ce fortement , & coupe même les raci­nes , les feuilles, & les fruits dont elle fe nourrit.

L a feconde Efpece eft la Violette, ( x ) que l'on trouve dans les cannes, & autres lieux éloignés du bord de la mer; excepté dans la faifon qu'elles viennent s'y baigner, qui eft au commencement des pluies, dans le mois de Juillet.

La troifieme eft la Crabe blanche, ( y ) qui

fe trouve dans les lieux marécageux, & vers les bords de la mer. Elle eft d'une efpece plus groffe que la précédente. Il y en a qui ont près de fix pouces de large , dans leur

(x) Cancer violaceus. (y) Cancer albicans, minor.

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D E S U R I N A M 277

grand diametre. Celle-ci a cinq jambes, de chaque côté , & deux mordants , dont les pinces, qui font d'un fort grand diametre, font faites en maniere de tenailles.

La quatrieme Efpece ( z ) eft celle que l'on nomme Cirique, & que l'on trouve dans les rivieres, & fur les rochers, au bord de la mer. Elle eft beaucoup plus plate que les autres ; fon écaille eft auffi plus épaiffe, & plus dure. Ses mordants, quoique plus pe­tits , ne pincent pas moins ; & elle eft bien moins graffe & moins charnue.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce genre d'animaux, c'eft qu'ils ont la proprié­té de fe dépouiller , toutes les années , de leur enveloppe ou coquille, en fe baignant dans la mer, où ils dépofent auffi leurs œufs, après qu'ils fe font défaits de leur vieille robe ou écaille ; mais avant que de la quit­ter , elles creufent d'abord un trou en terre, puis y apportent des feuilles , pour leur fervir de nourriture, & dès qu'elles fe font dépouillées de leur peau,, elles s'y retirent jufqu'à ce que la nouvelle , qui leur fur-vient,fefoit changée & endurcie en écaille, comme la premiere qu'elles ont quittée. Le repos, & la nourriture qu'elles prennent, pendant ce temps, les engraiffen extrême­ment ; & fi on les prend alors, on les trou-

(z) Cancer parvus,

S 5

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De la maniere d'accom-moder les Crabes.

ve couvertes d'une petite peau rouge, ten­dre & mince, comme du canepin. On pré­tend qu'elles font bien plus délicates en cet état qu'en tout autre temps. Leurs œufs font femblables à ceux des écreviffes. Elles font rouges, quand elles font cuites, & d'un fort bon goût.

La meilleure maniere d'accommoder les Crabes, eft de les faire, premiérement, cui­re dans l'eau avec du fel. Secondement, de les ouvrir, d'en tirer toute la chair, les œufs & la graiffe, & de les faire enfuite étu-ver avec du beurre, dans leur propre jus , d'y joindre du bifcuit en poudre, un peu de poivre , & beaucoup de jus de citron ; & quand le tout eft ainfi préparé de les fer-vir. Je puis affurer que c'eft un man­ger extrêmement délicat. On les fait aus-fi cuire Amplement dans l'eau , & on les mange avec une pimentade : ce qui eft du ;goût des Créoles , des Naturels du pays, & des Negres; mais qui ne feroit pas du mien.

On prétend que les Crabes, quoique d'un bon manger, font de difficile digeftion , & qu'elles caufent beaucoup d'humeurs froi­des & hypocondriaques: peut-être eft-ce la façon de les accommoder qui en décide; car je ne me fuis jamais apperçu qu'elles m'ayent incommodé , toutes les fois que j'en ai mangé, apprêtées comme je l'ai dit

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D E S U R I N A M . 2 7 9

Des Huî­tres.

ci-deffus : au lieu que je croirois fort qu'el­les ne font pas fi faines, cuites Amplement à l 'eau, avec la pimentade , qui peut les rendre fermes & indigeftes.

La méthode la plus facile pour les avoir, c'eft de prendre le temps de la nuit; parce qu'alors elles fortent de leurs trous, pour chercher leur nourriture. On fe munit de flambeaux allumés, par le moyen d e f q u e l s on les découvre, & rien n'eft plus facile que de les prendre par-deffus le dos, pour

• ne pas appréhender leurs mordants, & de les mettre dans un fac, ou dans un panier, bien couvert.

L 'Hultre Ça) eft compofée de toutes les parties qu'ont les autres animaux à coquilles. Elle eft renfermée dans une coquille, immobile par fon poids; mais qui s 'ouvre, pour lui faciliter la refpiration , prendre l'eau par fes fuçoirs, & les aliments qui lui font néceffaires, que l'on dit confifter en fucs de petits animaux , de plantes, & de certaines parties d'une terre limoneufe.

Rien ne m'a plus furpris que de voir la pêche de celles que l'on a à Surinam ; car elle eft bien différente de celle qui le prati­que dans tous les pays du monde; du moins autant que j 'en ai connoiffance.

Perfonne n'ignore qu'on pêche ordinaire-

(a) Oftrea: en Hollandois Oefiers : en Allemand Aufter.

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ment les Huîtres en les détachant des ro­chers ; mais là on les prend fur les Man-gles (*).

Elles font fort petites, & leur écaille eft, en partie, garnie de pointes, & de l'autre, toute graveleufe ; mais elles font très-déli cates, tendres, & d'un fort bon goût.

Il y en a cependant de plus délicates en­core que la précédente Efpece ; mais qui ne font pas plus groffes, & qui s'attachent or­dinairement aux éclufes de pierre , des­quelles on a beaucoup de peine à les déta­cher.

Il y en a encore une troifieme Efpece, qui eft celle que les Naturels du pays pêchent le long des rivieres éloignées, & qui crois-fent contre des rochers, où elles font fi for­tement collées, qu'ils font obligés de fefer-vir d'une ferpe pour les en détacher: cel­les-ci font beaucoup plus grandes; mais j'en

(*) Le Mangle eft un arbre fort élevé & fort am­ple , & dont la maniere de croître eft admirable & finguliere ; car fes rameaux , après s'être éle­vés & étendus, fe courbent jufqu'à terre, où ils pren­nent racine & croiffent de nouveau en arbres auffi gros que celui d'où ils fortent. Son bois eft folide & pefant: fes feuilles reffemblent à celles du poirier: fes fleurs font petites, & font fuivies par des goufles, femblables à des bâtons de caffe , remplies d'une pulpe, d'un goût amer. C'eft à ces racines que la fe-mence des Huîtres s'attache, qu'elle s'y nourrit & y multiplie à merveille.

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DE S U R I N A M . 281

ignore le goût, parce que je n'en ai jamais mangé.

Lorsque les Huîtres font bonnes & fraî­ches , elles excitent L'appétit ; & quoiqu'el­les fe diffolvent dans l'eftomac, fans y pro­duire beaucoup de chyle, elles font néan­moins fort faines aux perfonnes d'un bon tempérament : elles font auffi bonnes pour les fcorbutiques, & excitent à la luxure.

La Moule de mer (b) eft un petit poiffon, plus ou moins g r o s , oblong, & fi connu de tout le monde , que je ne m'arrêterai point à en faire la defcription. Tout ce que je dirai de celles de Surinam, c'eft qu'elles font très - petites, & que ce font les Natu­rels du pays qui en font la pêche : ce qui n'arrive pas, cependant, fort fouvent ; car je n'en ai vu que deux fois, pendant tout mon féjour dans ce pays.

C H A P I T R E X X I I I .

Des Infectes.

QU E L Q U E abjects que paroiffent à nos yeux les Infectes, ils ne laiffent pas que

d'être une des productions les plus merveil-leufes de la Nature, & par laquelle l'Etre

(b) Mytilus panus , totus niger : en Hollandois Moffel: en Allemand Mufcbel, ou Mufchel-Schale.

Des Moules.

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Suprême paroît manifefter avec plus de pro-fufion fa Toute-puiffance & fa Grandeur.

La Nature travaille en grand, dans les grands objets, & trouve une matiere fur la­quelle elle peut facilement s'étendre, au lieu que, plus à l'étroit dans les petits, elle bril­le d'autant plus , qu'on les croit moins fus-ceptibles de beauté, d'arrangement & de perfection; C'eft ce qui paroît évidemment dans la compofition des Infectes où tout eft curieux; dont les parties font fi merveilleu-fement conformées; & qui toutes tendent admirablement à la fin que Dieu s'eft pro-pofée dans chacun en particulier. Mais fans m'étendre fur un fujet qui eft immenfe & hors de ma fphere; & qui de plus a été trai­té , de nos jours, avec tant de fagacité, par tant de fçavants Naturaliftes, tels que Mrs. de Reaumur, Géer, Linné, Lifter, Swam-

mer dam, , Lewenboeck , Bradeley, Harway ,

Needham, Derham, Malpighi, Lionnet, Bon­

net, &c. je vais feulement m'attacher à fai­re connoître tous ceux que l'on trouve à Su-

i rinam.

On donne le nom de Scarabée à un infecte, dont les aîles membraneufes font renfermées fous des étuis écailleux. Cet infecte forme même une claffe des plus étendues, tant par la diverfité des grandeurs, que de fes cou-leurs, de fa forme, & de la ftructure de cer­taines parties qui le compofent.

Des dif­férentes Efpeces de Scara-hées.

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D E S U R I N A M . 2 8 3

(a) Scarabeus Rhinoceros : en Hollandois Kever: m

Allemand Käfer.

Du Sca­rabée Rhino­ceros.

Parmi cette immenfe variété d'infectes de la même Efpece, le Scarabée Rhinoceros (a) doit avoir, fans contredit, le premier rang. Il a , depuis la tête jufqu'à l'extrêmité de fon corps, près de quatre pouces de long, & deux pouces & demi de large. On lui dis­tingue parfaitement la tête, la poitrine, & le ventre. Il porte fur la tête une corne recourbée , de la longueur d'un bon pouce, qui fe termine en fourche, & du commen­cement de laquelle fort une autre branche ; le tout recourbé en demi-cercle fur le dos , & de la groffeur d'une pipe. Il a, de cha­que côté de la bouche, une mouftache re­courbée en forme de marteau: fes yeux, qui font placés à côté de la corne du milieu , font gros, rougeâtres, & un peu faillants. A chaque côté de la tête , il a encore une autre corne ou éminence, de la longueur d'un demi-pouce, & d'une matiere fembla-ble à celle du milieu. Il a fix jambes ; dont les deux premieres partent du corfelet, & les quatre autres du ventre ; toutes les f ix, de la groffeur d'une pipe, & d'une couleur noire, femblable au refte de fon corps. Ses deux aîles, qui font fort larges & fort épais-fes, fe replient fur le corfelet, ou fur tout fon dos. Sa tête, fon c o u , & tout fon ven­tre font couverts d'un duvet rouffâtre.

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Le fecond eft le Scarabée cornu, ou Cerf -

Volant, (b) qui eft d'un noir rougeâtre. Sa tête, qui eft quarrée, eft armée, par de­vant, de deux cornes dures, mobiles, qui fe croifent, en maniere de tenailles, & que l'animal ferre, à fa volonté, par les deux bouts, de forte qu'il caufe beaucoup de douleur. Ses yeux , qui font durs & préé­minents , font d'un rouge brun, & placés à côté des cornes. Sa tête eft, de plus, gar­nie de quatre antennes, & d'une trompe, qui lui fert à prendre fa nourriture. Il a fix jambes, & deux aîles tranfparentes & lar­ges , qu'il replie fous deux fourreaux durs , qui les recouvrent, ainfi que tout fon dos.

Le troifieme eft le Scarabée pillulaire, ou

Fouille - merde , (c) qui a la tête plate en deffous, & un peu bombée en deffus, avec plufieurs éminences fenfibles. Ses yeux font placés Vers le deffus de la tête , & fa bou­che eft garnie de deux pinces affez greffes. Sa poitrine eft liffe, avec un fillon creufé au milieu, vers la partie poftérieure. Les étuis qui renferment les aîles, font pareil­lement liffés, noirs, & cannelés. Tout fon corps eft arrondi, compacte, large, & d'u­ne couleur noire, bleuâtre, & luifante en

des-

(b) Scarabeus comutus, five Cervus volans : en Hol­landois Scballe-Byteft

(c) Scarabeus pillularis.

Du Sca­rabée pillulai­re, ou Fouille-merde.

DuCerf-Volant.

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DE S U R I N A M . 285

deffous. Ses jambes font antérieurement dentelées, en maniere de fcie ; & l'on ap-perçoit une grande tache tannée & velue à la partie intérieure des cuiffes de la pre­mière paire des jambes, qui font attachées au milieu de la. poitrine. Ce qui a fait don­ner le nom de Fouille-Merde à cet infecte, c'eft parce qu'il fe plaît parmi les excré­ments.

L e quatrieme eft un Scarabée Hanneton.

(d) Il eft long comme une feve de marais, & gros comme le doigt. Sa tête, qui eft quarrée, eft armée de deux pinces, & or­née de deux petites cornes jaunâtres, faites en a i g r e t t e . Il a les yeux noirs; & fon corfelet, qui eft rougeâtre, eft compofé d'anneaux noirs. Son corps fe termine par Une queue, longue, pointue, dure,& fem-blable à de la corne, & recourbée en bec de corbim Tout le deffus de l'animal eft ve lu, & l'on prétend qu'il eft ovipare.

Le cinquieme eft un Scarabée domeflique,

(E) qui a près de deux pouces & demi de long : fa couleur eft brune , & fon corps eft plat; Cet Infecte , qui fourmille dans presque toutes les maifons , a uns odeur déteftable. 11 fe gliffe entre les bois des ar­moires, où il vole & dépofe un tas d'oeufs,

(d) Scarabeus ftridulus : en Al lemand May-Kafer. (e) Scarabeus minor, domefticus : en Hollandois Kak-

ker-Lakken.

Tome II. T

DuHan-neton.

Du Sca-rabée do-meftique.

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286 D E S C R I P T I O N

tomme des grains de moutarde. Il ronge le

pain , fe fourre dans les v e r r e s , o ù il y a

du vin o u de la b i è r e , dans, les confitures,

&c . & les infecte de fa puanteur, qui eft

pire que celle des punaifes. I l ronge même

le l i n g e , la laine & les h a b i t s , & y com­

munique fon odeur. I l fe p l a î t , particuliè­

r e m e n t , dans les vaiffeaux qui chargent du

fucre ; parce qu'il aime beaucoup la dour

ceur. Auffi les vaiffeaux , qui font dans la

R a d e , en remportent à leur retour en E u ­

rope une ample carga i fon. C'eft. propre­

ment un Hanneton de la plus grande Efpece.

L é fixieme eft un Scarabée vulgaire (f)

d'un brun-clair , qui a le corfelet v e l u , les

côtés des fegments du bas du ventre blancs,

& terminé par une queue recourbée.

O n donne encore le nom de Scarabée ( g )

à u n infecte , qui p a r o i t , la nui t , comme

des étincelles de f e u ; mais il ne luit guere

que dans le temps des pluies.

L e dernier Scarabée ( b ) eft une Efpece

d'Efcarbot , d e la groffeur du d o i g t , & de ,1a

longueur de deux pouces; il eft tout noir &

mollaffe. Sa tête & fon cou font d'un pour­

pre f o n c é , & fon corps eft nuancé de plu-

fleurs cercles bleuâtres. C e qui refte à remarquer fur les Scarabées,

(f) Scarabeus vulgaris. (g) Scarabeus parvus , noctilucus, feu inftar ignis

fplendefis. (b) Scarabeus niger.

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D E S U R I N A M .

c'eft qu'ils viennent originairement de vers, dont les uns s'engendrent dans la boufe de va­che, ou dans les excréments des autres ani­maux, d'autres dans les eaux bourbeufes, & d'autres, enfin , dans les feuilles des ar­bres ; c'eft-là qu'ils fe nourriffent, crois-fent, & fubiffent des métamorphofes, qui leur font communes avec plufieurs infectes ; qu'ils fe changent en nymphes, & devien­nent Scarabées.

Le Scorpion ( 2 ) eft un infecte terreftre, de moyenne grandeur, reffemblant à une petite écreviffe, & qui fe trouve dans les pays chauds. Il habite ordinairement les lieux humides & frais. On en diftingue de deux fortes, par la diverfité de leurs couleurs.

Le premier eft le Scorpion noir (k). Sa tete eft un peu large & faillante; elle paroît join­te avec fon corfelet, & fa poitrine. Il a quatre yeux, dont deux font placés vers la partie antérieure de la t ê t e , & les deux au­tres vers le milieu de là tête, ou de la poi-trine; & ils font tous les quatre fi petits, qu'à peine peut-on les appercevoir. Sa bou­che eft formée par deux mâchoires , accom­pagnées de deux petites ferres dentelées, qui femblent lui tenir lieu de dents, pour broyer fa nourriture ; & que l'animal peut tellement

(i) Sporpio : en Hol landois Scorpioon: en Al lemand

Scorpion. (k) Scorpio nigricans:

T 2

2 8 7

Des Scor­pions,

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288 D E S C R I P T I O N

retirer en dedans, qu'elles deviennent pres­que imperceptibles. Dos deux côtés de la tê­te on voit fortir deux bras, compofés, cha­cun, de quatre articulations, dont la der­niere eft allez groffe, contenant de forts mufcles, & faite en forme de tenailles, com­me l'extrêmité des bras des écreviffes de ri­viere. Il a huit pattes au deffous de la poi­trine, quatre de chaque côté, & divifées, chacune , en fix jointures ou phalanges, dont les dernieres font pareillement four­chues , & pourvues de petits ongles crochus; le tout parlemé de poil.

Toute la partie de fon ventre fe divife en fept anneaux; du dernier desquels part la queue, qui eft longue, noueufe, & com-pofée de fix petits boutons arrondis, & ve­lus, attachés bout à bout, en maniere de grains de chapelet, mobiles, creux,& dont le dernier eft armé d'un long aiguillon, re­courbé, fort pointu, creux, percé vers fit bafe d'un petit trou , par lequel, en pi­quant, il darde une gouttelette de liqueur blanche , virulente , venimeufe , acre & mordicante , dont le réfervoir eft dans une véficule, placée au bout de la queue.

Les femelles font toujours plus grandes, plus groffes, plus rondes, & plus noires que les mâles; &,fuivant les obfervations d'A-riftote, confirmées par celles de Rédi & de Maupertuis, elles mettent bas leurs petits

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DE S U R I N A M .

tout vivants. Je pafferai fous filence plu-fieurs hiftoires fabuleufes des Se rpions, dont Pline, Elien, & particuliérement Albert

le Grand font mention. Je dirai, fimple­ment , que lorsqu'on a le malheur d'en être piqué , la bleffure en eft réellement, douloureufe , que même la fievre furvient bientôt; mais qu'elle n'eft pas fi dangereu-fe qu'on l'a voulu infirmer, dès qu'on y porte remede tout de fuite : ce que j'ai é-prouvé par moi-même, ayant été piqué deux fois, par un Scorpion de la grande Efpece. J'eus d'abord recours à la thériaque de Ve-nife , que j'ai reconnu pour être le plus puiffant fpécifique contre ce venin. Auffi ne confeillé-je à tous ceux qui auront le malheur d'en être piqués, que de prendre, comme moi , de cet électuaire, d'en met­tre de l'épaiffeur d'un doigt fur la partie offenfée , de la couvrir d'un linge ; & je leur garantis, d'après mes expériences bien conftatées, qu'ils n'auront point à craindre aucun mauvais effet de la piquure de cet animal fi redoutable au genre humain ; mais, qu'au contraire , ils feront parfaitement guéris en moins d'une heure, fans qu'il foit furvenu ni inflammation, ni autre accident.

Le fecond eft femblable à. celui que l'on voit en Europe.

Les Araignées font des infectes très-com­

muns , dont on trouve un affez grand nom-

T 3

289

Des A-raignées.

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290 D E S C R I P T I O N

bre d 'Efpeces , qui different en figure ,

grandeur & couleur , & qui peuplent pres­

que tout l 'univers.

Beaucoup de perfonnes ont tant d'horreur

pour Ces fortes d'infectes, que l'idée feule

fuffit, quelquefois , pour les faire trouver

m a l ; ce qui a r r i v e , particuliérement, aux

Darnes , & ce qui ne p e u t , felon m o i , pro­

venir que du préjugé qu'on a , dès l'enfan­

c e , que cet animal eft venimeux ; i d é e , qui

n'eff véritablement applicable qu'aux Arai­

gnées des pays chauds, qui le font en effet

tellement que leur piquure eft morte l le :

celle que je vais décrire eft de ce nombre.

Parmi toutes les Efpeces d'Ataignées que

l'on trouve à, Surinam, le feul afpect de cel­

le en queftion ( l ) ne peut que faire frémir

quiconque fe voit fur le point d'en être at­

taqué; car elle eft prefque auffi greffe que

le p o i n g , & l 'on peut la mettre dans la Claffe

des Tarentules.

On la t r o u v e , part icul iérement, dans les

Plantations, parmi les racines qui fervent à

la nourriture des Efc laves , comme les pata­

tes , & les ignames o u teies, & enfin fur la

couronne des ananas.

C'eft un infecte v e l u , qui eft noir en des­

fous , olivâtre par deffus, & partagé , par

le mil ieu, en deux parties égales , dont l'in-

(l) Araneus maxîmus, five Pbalangium : en Hollan­

dois Spinnen-Koppen.

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D E S U R I N A M .

férieure eft de la groffeur d'un œuf de pi­geon; ayant cinq pattes de chaque côté,arti­culées, ou divifées en fix jointures, Les plus grandes de ces pattes, qui font celles de devant, ont quatre pouces, & plus ; elles font terminées par un petit ongle jaune, taillé en forme de croiffant. Sa bouche eft armée, de part & d'autre , de crochets fort pointus, qui font d'une matiere folide, d'un noir très-poli & très-luifant. 11 y a de ces Araignées, qui ont plus de circonférence, iorfque leurs pattes font étendues, que la paume de la main la plus grande. On affu-re que fi on ne remédie pas, au plutôt, à leur piquure, elle eft mortelle. Elle fait d'abord tomber le patient en fyncope, puis lui caufe un profond affoupiffement, & la partie affligée devient livide, noire, & enfle confidérablement. Pifon dit auffi, que le mal eft quelquefois fi grand, qu'il eft fans reme­de. Malum adeo exafperatur , ut incur abile

reddatur. Medicin. Brafil. de venenis, Lib.

3, pag. 44. Je fuis néanmoins du fentiment, que la

piquure de cet infecte fi venimeux peut fe guérir, de la même maniere que celle que j'ai indiquée pour celle des fcorpions.

La feconde Efpece (m) eft une Araignée affez curieufe, en ce qu'elle eft argentée, & qu'elle a la forme d'un cancre,

(m) Araneus argenteus, cancriformis. T 4

291

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D E S C R I P T I O N .

Latroifieme eft l'Araignée domeftique(n), fi

connue de tout le monde & particuliérement par les Naturaliftes, fous le nom d'Araignée vagabonde, parce qu'elle n'eft jamais féden-taire dans fon nid, comme les autres. Elle v a , ordinairement, chercher fa proie, & la chaffe avec beaucoup de rufe & d'adreffe. Elle a deux grands yeux au milieu du front, deux autres plus petits à fon extrêmité, & deux, de la même grandeur, fur le derriere de la tête.

Les Cigales font du genre des mouches, qui ont quatre aîles, & qui portent une fcie. On en diftingue de deux Efpeces.

La premiere (o) a la tête fort groffe, lar­ge , courte, & comme applatie. Elle eft compofée de deux corfelets, & d'un corps formé par cinq anneaux; quoique le tout ne paroiffe qu'une continuité, d'une couleur rougeâtre: fes yeux font en réfeau, comme ceux des mouches ordinaires; & elle en a encore trois petits, liffes,fur le deffus de la tête; & des antennes très-courtes. Elle a quatre aîles, belles, grandes, minces, dé­liées, marquetées, tranfparentes, & pofées en toît ; fix jambes, & une trompe, ou fu-coir droit, qui fe replie en deffous, & qui

(n) Araneus domefticus , flavefcens , venenatorius, oblongus, longipes.

( o ) Cicada major: en Hollandois Krekel: en Alle­mand Heufcbreçke.

292

Des Ci-gales.

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enjambe fous le corfelet; elle la redreffe, quand elle veut l'enfoncer dans les parties des arbres, dont elle pompe le fuc.

On diftingue aifément les mâles des femel-les , par une fcie que celles-ci ont à la partie poftérieure , au lieu que les mâles ont fous le ventre de petites timbales , deftinéés à chanter leurs amours; de forte que c'eft le mâle feul qui chante, & non pas l'a femelle, & que c'eft lui qui l'inftruit de fes deffeins , par fon grefillement, quelque éloignée qu'el­

l e foit. C'eft à l'biftoire des Infectes de Mr. de Reaumur, qu'il faut avoir recours pour s'inftruire fur les détails de la ftructure mer-veilleufe dé l'organe, dont le bruit eft des­tiné à appeller la femelle; qui eft ovipare, & dépofe fes œufs, un à un, au fond dés fentes qu'elle approfondit jufqu'au cœur, dans les branches des arbres moëlleux, au moyen de fa fcie accollée, qu'elle fait for-tir de fon dernier anneau.

La feconde ( p ) eft. une petite Cigale de marais, ou plutôt une petite mouche à fix pieds, qu'on voit fur l'eau, & qui diffère de la précédente, par fa tête , qui eft beau­coup plus avancée. Elle eft toute verte.

On donne le nom de Demoifelle (q) à une mouche, qui a la tête extrêmement groffe,

en comparaifon de la petiteffe & de la lon-

(p) Cicada minor, viridis. (q) Libella, aut Mordellœ.

T5

Des De-moifel les.

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gueur de fon corps: elle ne tient à la poi­trine que par un petit filet fort menu. Elle a, comme les autres mouches & les papillons, des aîles fupérieures & des aîles inférieures tranfparentes : les unes font or-nées de couleur bleue, d'autres d'un verdâ-tre doré ; ce qui diftingue les deux Efpe­ces, qu'on trouve dans le pays Elles font, d'ailleurs, fort vives , & habitent les riva­ges & les endroits marécageux. Elles font, en outre, beaucoup plus grandes que cel­les que l'on voit en Europe. Si l'on veut s'inftruire plus amplement de toute leur mé-tamorphofe , on peut encore confulter, à ce fujet , l'Hiftoire des Infectes de Mr. de

Reaumur.

Les Sauterelles, ( r ) font des infectes aî­lés, fautant & volant, dont le Genre com­prend un grand nombre d'Efpeces, différen­tes en figure, en grandeur, & en couleur.

Voici celles que l'on trouve a Surinam. La premiere ( s ) eft une Sauterelle toute

verte , qui a le cou fort droit & fort long. La feconde ( t) eft d'une Efpece encore

plus grande, faite en forme d'une tuile, & d'une couleur purpurine.

(r) Locufta: en Hollandois Springbaan. ( s ) Locufta, planè viridis, collo longiffimo, erecto. (t) Locufta viridis, alis majoribus, imbricatis, et

purpurascentibus.

Des Saute­relles.

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DE S U R I N A M , 295

La troifieme (u) eft une Sauterelle variée en couleurs, dont les antennes & les jam­bes font très-longues.

La quatrieme n'eft qu'une variété de la précédente , & qui n'en differe qu'en ce

•que les couleurs, dont elle eft bigarrée, font très-pâles.

Mademoifelle Merian, dans fon Hiftoire

des Infectes de Surinam, en repréfente une cin­quième Efpece, qui, à fon rapport, pro­vient d'un v e r , couleur d'orange, qui fe nourrit fur les feuilles d'un arbre, dont les fruits font nommés Pommes de Sodome.

On diftingue, dans ces animaux, la tête, la poitrine ou le corfelet, & le ventre. La tête eft plus ou moins grande , fuivant l'Efpece. Leur bouche eft recouverte d'une efpece de bouclier rond, faillant & mobile, & munie de deux mâchoires dentées, & d'u­ne langue, qui eft large & arrondie. Elles ont , à chaque côté des mâchoires, une mouftache, qui eft, ordinairement, de cou­leur verte , velue , & qui fe plie par le moyen de trois articulations. Leurs anten­nes font noueufes, fort longues, de plus en plus déliées, pâles, placées au fommet de la tête; & les yeux hémifphériques, formés par un point noir un peu faillant. Leur corfelet eft élevé, étroit, & armé, en des-

( U ) Locufta multicolor , antennis & pedibus ante-rioribus longiffimis.

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fus & en deffous, de deux épines dentelées Elles ont,fur leur dos,un bouclier oblong, auquel font fortement attachés les mufcleS, des jambes de devant. Elles ont fix jambes, dont les deux premieres font plus cour­tes que les autres, & quatre aîles traver­sées, dans leur milieu, par une groffe cô­te. Leur ventre eft confidérablement grand , formé de plufieurs anneaux, & ter­miné par deux queues values, comme celle d'un, rat,

L'accouplement de ces animaux eft trop, remarquable pour ne pas le rapporter ici. L e mâle faifit fa femelle avec les dents, par le chigpon du c o u , &, la tenant ainfi as-fujettie avec fes deux premieres jambes, il lui introduit dans le vagin fon aiguillon, qui eft fitué à l'extrêmité de fon ventre; de façon qu'ils reftent affez long-temps ac-, couplés,

Lorfque la femelle veut fe délivrer de fes, œufs, elle les dépofe en terre, pour que la chaleur du foleil ait le temps de les faire éclorre. Ils font de figure ovale, mais très-petits. De ces œufs, il fort des vers, qui ne font gueres plus gros qu'une puce, les­quels prennent , infenfiblement, la forme de petites fauterelles ; & qui commencent à fauter, n'étant même encore que dans leur état de nymphes.

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D E S U R I N A M . 297

L e Grillon domeftique (x) eft un animal,

qui tient un peu de la cigale & de la faute-relle, & qui eft d'ailleurs fi connu , que je ne crois pas qu'il foit fort néceffaire de faire ici la defcription de fa figure, ni de parler de fon chant. Mais quant au Grillon aqua­tique , il eft trop curieux pour ne le pas faire connoître.

Le Grillon aquatique ( y ) qu'on a à Suri-

nam, eft affurément un infecte qui mérite, à nombre d'égards , d'occuper une place dans le plus beau Mufeum.

Son corps , qui eft pointillé, eft de la longueur de huit pouces, y compris fa queue, qui a cinq articulations. Il eft de la gros-feur d'une pipe. Sa tête eft petite, articu­lée à fon corps, & recourbée. D'entre fes y e u x , qui font noirs & raillants, fortent deux antennes, qui ont près de cinq pou­ces de long ; & deux autres petites, des deux côtés de fa bouche , qui eft béante. Du deffbus de fon col fortent les deux pre­mieres jambes, qui ont , chacune, près de fix pouces de long. Il a les cuiffes fort gros-fes, & ce qu'on nomme proprement jam­bes , plus minces, aux extrêmités desquelles font les pieds, qui fe terminent par deux pe-

(x) Grillus domefticus: en Hollandois Krekel: en Allemand Grille.

(y) Grillus aquaticus.

Des Grillons.

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Des Guêpes.

tits hameçons ou crochets. A deux bons pouces de la premiere paire de jambes fort la feconde, & un pouce & demi plus bas la troifieme paire ; lefquelles font de la mê-

- me longueur, les unes que les autres. Ce furieux animal, pour fa grandeur,

dans fon Efpece, eft de couleur tannée. On le trouve dans les endroits marécageux; & il eft fi rare, que je n'ai jamais vu que ce­lui que j'ai actuellement dans mon Cabinet, tel que je viens de le décrire. Il faut croi­re que fes longues jambes lui fervent de na­geoires; car pour des aîles , il n'en a point. Quant à fon chant, il m'eft entiérement in­connu.

Les Guêpes de Surinam ( z ) font beaucoup plus groffes que celles d'Europe, & beau­coup, plus méchantes auffi, furtout dans les grandes chaleurs. Elles font des rayons, comme les abeilles, dans lesquels on ne trou­ve autre chofe que leurs petits. Ces rayons font compofés d'une efpece de cire blanchâ­tre, fort aigre, & fi. friable, qu'elle fe bri-f e , au lieu de s'unir , quand on la preffe dans la main.

Leur piquure fait un mal horrible, & cau-fe une enflure , & une démangeaifon ex­traordinaire.

Les Guêpes te diftinguent très-aifément des

( 2 ) Vefpa : en Hollandois Wefp : en. Allemand

Wefpe.

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DE URINAM, 299.

abeilles,en ce qu'elles n'ont point de trom­p e , comme ces dernieres : mais elles ont, une bouche, fur le devant de laquelle vien­nent fe rencontrer deux efpeces de dents, qui tiennent aux deux côtés de la tête, les­quelles font larges, à leur naiffance, & fe. terminent par trois dente lure s à pointes ai-gués, dont la ftructure convient à la vo­racité de ces animaux.

Ce qui diftingue encore les Guêpes de tou­tes les autres mouches à quatre aîles, c'eft que leurs aîles fupérieures font toujours pliées en deux, dans, leur longueur , excepté quand elles volent. Au-deffus de ces aîles fupérieures eft une partie écailleufe, qui fait l'office de reffort, & empêche ces mêmes aîles de fe trop élever ; ce qui rend les coups d'aîles plus courts, & les vibrations plus vi­ves: ce qui eft d'autant plus néceffaire à cet infecte, qu'il eft deftiné à vivre de chaffe, & fouvent obligé de pour fa ivre fa proie à tire-d'aîles, & de la prendre à la volée.

Les Frélons (a) ne différent, ordinaire­ment, guere des Guêpes ; mais la piquure en eft plus mauvaife.

Cet infecte fait fon nid dans le creux des arbres , & a l'ouïe fi fine, qu'au moindre bruit qu'il entend de loin, il quitte fare-

(a) Crabro major, niger, venenatus : en Allemand Horniffe ou Horwifpe.

Des Fré-lons, ou Male-bonzes.

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300 DESCRIPTION

traite, & va piquer le premier qu'il rencon­tre en fon chemin.

La piquure de cet animal fait venir de grandes élévations fur le corps ; & les douleurs en font fi vives qu'elles donnent fouvent la fievre, d'autant plus qu'elles du­rent quelquefois fix heures, & qu'on s'en relient même plus d'un jour,tant on en eft maltraité.. Ce que j'ai plus d'une fois éprou­v é , en chaffant dans les bois, & le long des rivages de la mer , où il y en a, en tout temps, une prodigieufe quantité, & parti-culiérement dans les faifons pluvieufes.

Cet infecte eft fupérieur , en force , à tous les autres de fon £fpece,& il en feroit même un furieux carnage, fi la Nature, tou­jours bienfaifante , n'avoit mis un frein à fa voracité , en ne lui donnant qu'un vol lourd, accompagné d'un bruit qui avertit, de loin, les autres infectes de l'approche de leur redoutable ennemi. On lui donne, dans le pays, le nom de Malebonze.

Les Abeilles (a) de Surinam font, de moi­tié plus petites que celles d'Europe, n'a. yant que cinq ou fix lignes, tout au plus. Elles font noires, & produifent, comme les nôtres, du miel & de la cire. Elles fe re-

tirent

(V) Apis fylveflris, parva: en Hollandois Bien: en Allemand Biene ou Imme.

Des Mouches à miel, ou A-Uilles.

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D E S U R I N A M . 301

Des dtp Des férentes Efpeces; de Mou-cbes.

tirent dans des arbres creux, où elles ac­commodent leur ruche, & remplirent, de leur ouvrage , la capacité du trou qu'elles Ont choifi, S'il eft trop grand, elles fond Une efpece de dôme de cire, qui a la figure d'une poire, dans le dedans duquel elles fe logent, & font leur miel , & leurs petitsi Leur cire eft noire ou violette, & ne fe blanchit., ni ne jaunit jamais : elles ne font point de rayons. comme celles d'Europe; mais renferment leur miel, dans de petites veffies de cire, femblables à celles de carpe: il eft toujours liquide, ne fe figeant jamais, & n'ayant pas plus deconfiftance que l'huilé d'olive ; il eft de couleur d'ambre, & forts doux, mais il s'aigrit facilement & en très-peu.de temps.

Les Apothicaires s'en fervent, | comme de celui d'Europe ; & l'on en pourrait fak re une quantité confidérable, fi l'on retirais les Abeilles dans les ruches, comme on faiu ailleurs: mais on eft fort éloigné, dans ce pays là, de fe donner de pareils foins, pour des chofes qui y paroiffent de fi peu de con-féquence. Quant à la cire, elle eft toujours très-molle & n'acquiert jamais de confi-ftarice.

La Claffe des Moucbes ( c ) en con-tient une infinité de diverfes Efpeces, mais

(c) Mufca : en Hollandois, Vlieg : en Al lemand.

Mücke ou Fliege. Tome 11. V

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302 D E S C R I P T I O N

je ne parlerai que de celles qui me font con­nues.

La premiere eft une Mouche luifante, plus grolfe que nos Mouches ordinaires , auxquel­les elle reffemble allez.

La partie poftérieure de fon corps eft d'un verd tranfpareht ; & elle conferve , pendant la nuit, la lumiere qu'elle a reçue le jour. Ces Mouches, qui font femblables à des étoiles fautillantes, fe tiennent dans les forêts & les buiffons; & dès qu'il eft nuit, on les voit voler.

La feconde Efpece eft une greffe Mouche à feu, femblable à un hanneton; dont les yeux font fort larges & fort plats, & ren­dent , dans l'obfcurité, une lumiere fort v ive , tirant un peu fur le verd. Toute la partie poftérieure de fon corps eft telle­ment lumineufe, que, fait qu'elle fe tienne en repos, foit qu'elle v o l e , ou dans quel­que fituation qu'on la regarde, elle répand toujours une lumiere fort vive & fort é-tendue: elle a d'ailleurs un mouvement fi vif ,dans cette même partie, que quand on la prend, il faut la tenir bien preffée fi l'on veut l'empêcher de s'échapper.

La troifieme Efpece eft une groffe Mou­che cornue, qui a près de deux pouces & demi de longueur. Son corps eft ovale, & fon dos eft couvert de deux aîles, qui ont la consiftance d'un fin parchemin. Elles font brunes, & marquées de quelques li-

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DE S U R I N A M . 303

gnes , & de petits points noirs, liffes & comme verniffés.

Quoique ces aîles paroiffent tout d'une piece, & convexes, comme le corps qu'el­les couvrent, elles ne laiffent pas de les é. tendre, & de les tenir affez droites quand elles volent. L a premiere paire d'aîles en couvre une feconde, plus courtes que les premieres ; & cette feconde fert encore de couverture à une troifieme , qui eft blan­châtre & fort fine.

L e ventre de, cette Mouche eft couvert d'un duvet jaunâtre , fin, doux comme de la foie, & pareil à celui dont on voit qu'el­le a le dos couvert, dès qu'elle a déployé toutes fes aîles. El le a fix jambes, de la longueur d'environ trois pouces, divifées en cuiffes, jambes & pieds, qui font garnis de petites pinces ou griffes, qui lui fervent à s'attacher ou à fe cramponner. L a tête & le cou ne forment qu'une feule piece, com-pofée d'une fubftance dure comme de la cor­ne , & luifante comme du jaïet. Ces deux parties, qui reçoivent leur mouvement des cartilages qui les joignent au corps, res­semblent affez à un calque, de la partie fu-périeure duquel fort une corne courbée, creufe, & de deux pouces & demi de lon­gueur, de même couleur & de même matie­re que le refte de la tête, qui a den peti-tes excrefcences pointues, au tiers de fa lon-

V2

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304 D E S C R I P T I O N

sueur . L e deffus de la fufdite corne eft

r o n d , le deffous eft creufé en canal , & le

tout eft garni d'un duvet rouffâtre. L ' e x -

crefcence inférieure eft plus c o u r t e , d 'un

t i e r s , que la Supérieure ; elle fort de la mâ­

choire Supérieure, & reçoit d'elle tout le

mouvement dont elle a b e f o i n , pour s'ap­

p r o c h e r , o u s'éloigner de la fupérieure: el­

le eft c o u r t e , plus plate que l 'autre , & eft

garnie de quelques petites pointes ; fon e x ­

trémité eft partagée auffi en deux pointes.

C'eft à côté de la naiffance de celle-ci que

font placés, les y e u x de l 'animal, qui font

d u r s , tranfparents, g r i s , immobiles , & n e

fortent point de leurs orbi tes , comme ceux

des écreviffes. Sa bouche eft au deffous de

cette même c x c r e f c e n c e , & eft garnie de

petites dents. Ces Mouches naiffent, & fe

nourrilfent dans le cœur de certains arbres

dont j ' i gnore le nom.

j e ne fçais fi je n'aurois pas mieux fait de

placer cette belle Mouche dans le genre des

fcarabées, parce qu'en effet elle paroît en

approcher; mais c o m m e , vulgairement, on,

l 'appelle Mouche, je me fuis laine entraîner

à l 'op in ion, & je prie les Naturaliftes plus

éclairés de me pardonner mon erreur, fi c 'en

eft une.

L a quatrieme Efpece eft celle qu'on a

dans toutes les maifons de l 'Europe , pendant

l ' é t é , & qu'on appelle Mouche domeftique.

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D E S U R I N A M .

La cinquieme eft une Efpece de Mouche. qui tourmente cruellement les chevaux & les autres beftiaux. Elle eft courte, fort greffe, & reffemble affez aux bourdons. El­le habite beaucoup les forêts, & l'on pré­tend qu'elle éleve fes petits dans les intes­tins des chevaux ; mais je n'ofe l'affirmer.

La fixieme & dernière Efpece pourrait être mife au nombre des cantharides, par-Ce que fes aîles font recouvertes par de pe­tits étuis d'un verd bleuâtre doré. Elle eft un peu ovale, & d'une médiocre grandeur.

Les Maringouins (d) font des Efpeces de coufins, qui piquent, cruellement, après le foleil couché, & avant qu'il fe leve. Ils vo­lent en troupes, & s'annoncent par leur bourdonnement. Cet infecte eft fi adroit à fe cramponner, que lorfqu'il trouve une partie du corps découverte, il ajufte fon pe­tit bec fur un des pores de la peau, & s'il rencontre juftement'une veine, il ferre auffi-tôt fes aîles, roidit les jambes, fuce le fang, & s'en emplit au point de ne pouvoir voler enfuite que difficilement.

On donne le nom de Mufquite ( e ) à un infecte, qui eft proprement le coufin d'Eu­rope , & dont la piquure eft fi cruelle que l'on s'en reffent plufieurs jours. Les nou­veaux débarqués, dans ce pays, doivent par-

(d) Culex minor, vulgatiffimus : en Hollandois Mug. (e) Culex , omnium minimus.

v3

305

Des Ma­rin­gouins.

Des

Mufqui-tes.

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306 D E S C R I P T I O N

ticuliérement fe préparer à la patience, vis-à-vis de ces animaux; car ceux de notre Continent n'en approchent, ni pour la quantité, qui en eft innombrable, ni pour la piquure, qui occafionne de groffes pultu­les , & une démangeaifon infupportable. Il y en a d'une grandeur extraordinaire, qui font armés d'un long aiguillon, roide, & four­chu à fon extrêmité, &, vraifemblablement, creux en dedans, qu'il introduit dans les po-res de la peau, pour piquer & fucer le fang. Ils font montés fur de fort hautes jambes, & habitent, par préférence, les endroits ma­récageux. Les nouvelles Plantations en font, pour l'ordinaire, fi remplies, que les Blancs font obligés, pour fe garantir de leur incommodité, de faire brûler des feuilles d'orangers & de limoniers , dont ces ani­maux craignent la fumée, & ce qui les fait déguerpir.

Les habitants de la ville de Paramaribo fe reffentent également des infultes de cet in­fecte , qui vient les affiéger & les empêcher, bien fouvent de dormir la nuit, fur-tout dans les faifons pluvieufes, où il femble que cet animal fe multiplie à l'infini. Ceux qui font accoutumés à la méridienne, n'ont pas d'autre moyen pour fe délivrer de ces im­portuns ennemis, que de faire tenir, pen­dant ce temps, un efclave au pied de leur branle ou hamac, avec un linge à la main

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D E S U R I N A M .

pour les chaffer; mais pendant la nuit, on fufpend un grand voile de gaze par deffus le branle, pour empêcher ces animaux de s'y introduire : ce qui eft le feul moyen de pouvoir dormir tranquillement.

La Chique (f) eft un petit infecte noir, qui n'eft guere plus gros que le ciron, & qui reffemble, à travers le microfcope, à une puce. Elle a le dos rond, & garni de poils bruns ; fa tête eft toute noire ; elle a fous le ventre plufieurs petites pattes, & du poi l ,où fes œufs font attachés jufqu'à ce qu'ils éclofent, & dans lequel ils parois-fent comme autant de petites taches noi­res. Ces animaux ne font que trop connus dans toutes les Colonies de l 'Amérique, par l'incommodité qu'ils donnent, & qu'on ne fçauroit presque éviter.

La Chique paffe au travers des bas, & s'at­tache , ordinairement, aux doigts des pieds, entre la chair & les ongles, où elle fe mul­tiplie en fort peu de temps , & produit bientôt de petits abfcès, pour peu qu'on néglige de l'en tirer.

La douleur qu'elle fait , en perçant la peau, ou plutôt l'épiderme, n'eft pas plus forte que celle d'une médiocre piquure de puce. Après qu'elle s'eft logée, elle ronge doucement la chair autour d'elle, & n'y

(f) Culex minutiffimus, nigricans.

V 4

307

Des Chiques.

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308 D E S C R I P T I O N

exci te qu'une légere démangeaifon , fem

blable à un petit chatouil lement; elle groffit,

p e u à p e u , s 'étend, & devient enfin comme,

u n gros pois. E n cet état elle fait des œ u f s ,

qui s'éclofent , & font autant de petites

Chiques , qui entourent leur mere , s'y

nourriffent, comme e l l e , & s'augmentent

de telle m a n i e r e , q u e , fi on n'a pas foin

de les en tirer , e l l es pourriffent toute la

chair aux e n v i r o n s , y caufent des ulceres

malins , & quelquefois la gangrene ; mais

rien n'eft i l facile que de prévenir ces acci­

d e n t s , en la ré t i rant , ou la faifant retirer

par un a u t r e , des qu'on relient fa premiere

piquure.

L a noirceur de la Chique la fait aifément

remarquer entre la chair & la peau , où

elle fe gliffe tout de f u i t e ; ainfi on cer­

n e doucement la chair avec une aiguil le,

autour du trou qu'elle a f a i t , en entrant ,

& on la tire toute entiere dehors , ce qu'il

faut bien obferver ; car fi l 'on fe hâté t r o p ,

& qu'on en laiffe une part ie , on court ris-

que d'un ulcere : quand on l'a retirée on

remplit le trou de cendre de tabac , & l 'on

n'a rien à appréhender.

O n raconte qu'un pere capucin, s'en, re­

tournant des Ifles en F r a n c e , voulut y faire

v o i r cet animal, & qu'à cet effet il en a-

v o i t confervé une auprès d e la cheville du

pied , qui s'augmenta fi prodigieufement,

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D E S U R I N A M . 309

Des Ti­ques.

Det Poux de Bois.

pendant fon voyage, que lorsqu'il la vou­lut ôter il fe trouva qu'il n'étoit plus temps, & qu'il s'étoit formé un ulcere fi malin que la gangrene s'y mit, & qu'on fut obligé de lui amputer la jambe, à fon arrivée , pour lui fauver la vie. C'eft ainfi que fa curio-fîté fut récompenfée.

Les Tiques (g) font de petits infectes très-incommodes, Ils naiffent dans les prai­ries , mais furtout en temps de pluie, & fe cramponnent tellement aux jambes, qu'ils en fucent le fang, & caufent une démangeai-fon presque infupportable, fuivie de puftu-les. Le meilleur remede qu'on y puiffe em­ployer, eft de fe laver avec de l'eau chau­de, & de fe frotter , enfuite, avec dû jus de limon. Mais ce qu'il y a de fingulier dans cet infecte, qui habite toujours les her­bes ou les plantes, c'eft qu'il n'a jamais de prife fur la chair nue: ce que j'ai éprouvé nombre de fois, en allant à la chaffe, fans bas , n'ayant uniquement que des fouliers aux pieds, ne m'en ,étant jamais trouvé in-commodé d'un feul; au lieu que j'étois fur d'en avoir les jambes remplies dès que je mettois des bas.

On donne le nom de Poux de Bois (b) à un infecte , qui a la figure d'une fourmi

(g) Ricinus minutiffimus. (b) Formica minima, alba : en Hollandois Hout-

Luifen.

V 5.

Page 274: Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam

310 D E S C R I P T I O N

blanche, & qui ne fe trouve que dans l'A­mérique , mais qui y abonde. Son nom lui vient de ce qu'il s'attache, particuliérement, aux bois , les mange, les gâte, & les pour­rit. II a l'odeur fade & dégoûtante, & mul­tiplie prodigieufement. En quelque lieu que ces infectes s'attachent, ils font une motte, d'une matiere femblable à de la terre noire, dont le. deffus, quoiqu'inégal & raboteux, eft fi ferme, que l'eau ne la peut pénétrer; on n'y remarque aucune ouverture, quoi­que cette couverture foit pleine de petites galeries, de la forme & de la groffeur d'un tuyau de plume à écrire , par où ces ani­maux fe rendent dans tous les endroits de la motte, où ils veulent aller, ne fe tenant presque jamais à découvert, Le dedans eft de même un vrai labyrinthe, de ces galeries tellement entrelaffées les unes dans les au­tres , & fi peuplé , qu'il eft impoffible de concevoir combien cet infecte fe multiplie, ni l'adreffe qu'il a à bâtir fon logement. Si l'on y fait une breche , ou qu'on détruife une galerie , on voit auffitôt des milliers d'ouvriers s'empreffer à réparer le dégât; de forte qu'on a une peine infinie à déloger ces animaux quand ils fe font une fois éta­blis quelque part. Que l'on en tue tant qu'on voudra , ou qu'on pourra , ils travaillent avec un fuccès, auffi étonnant que rapide, à la multiplicaition de leur Efpece, & à la ré-

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D E S U R I N A M . 3 1 1

Des Four-mis.

paration de leur demeure ; ce qu'ils ne peu­vent faire fans ronger le bois , le cuir, les toiles, les étoffes, & , généralement, tou­tes les chofes où ils peuvent mettre le pied: car ils font par-tout des galeries, & pour-riffent tous les lieux où ils paffent. Il y a plufieurs maifons qui tombent en ruine, par la négligence des perfonnes qui ne détrui-fent pas ces animaux. On trouve dans les bois de ces mottes, d'une groffeur prodi-gieufe, & on les donne volontiers à la vo-Jaille pour l'engraiffer.

L'unique moyen, qu'on a trouvé pour fe débarraffer de cet ennemi, c'eft 1'arfenic, ou l'huile de thérébentine.

La Fourmi (i) eft un infecte, qui a beau­coup été vanté pour fon travail; & , en ef­fet , on remarque dans toutes fes opérations une grande diligence, un ordre admirable, & une union furprenante. Malgré toutes ces belles qualités, l'incommodité qu'on en éprouve à Surinam, feroit délirer aux habi­tants d'être entiérement délivrés de cet in­fecte , qui fait beaucoup de ravage, & dé­truit quantité de bonnes chofes,

Parmi l'es différentes Efpeces de Fourmis qu'on a dans le pays, M l l e Merlan parle d'u­ne grande Fourmi, qui, en une feule nuit , coupe toutes les feuilles de plufieurs arbres,

(i) Formica: en Hollandois Mieren: en Allemand Ameife.

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312 DESCRIPTION

& les emporte dans fon nid, pour la nourri­ture de l'es petits. Elles habitent dans la ter­r e , quelquefois à huit pieds de profondeur; & quand elles veulent aller quelque part, ou-elles ne trouvent point de paffage, elles fe font un pont fingulier. La premiere s'atta­che à un morceau de bois, qu'elle tient fer­ré avec fes dents, une feconde fe place après la premiere, une troifieme s'attache de mê­me à la feconde, une quatrieme à la troifie­me, & ainfi de fuite. Dans cette fituation elles fe laiffent emporter au v e n t , jufqu'à ce que la derniere attachée fe trouve de l'autre côté, & auffitôt un millier de four­mis paifent fur, celles ci.

Si Cette méchanique eft auffi exactement obfervée & fuivie que l'auteur le rapporte , on ne fçauroit affez admirer une fi grande merveille de la Nature,qui ne peut que ré­veiller l'attention du Naturalifte le plus é-claifé.

Cette admirable Fourmi eft d'une couleur rougeâtre.

La feconde Efpece de Fourmi (k) eft cel­le qui paroît rarement, & ne fait que paffer. Dans fon paffage elle dévore tous les infec­tes qu'elle rencontre dans les maifons où el­le entre ; ce qui fait qu'on l'appelle Fourmi Coureur. C'eft, pour ainfi dire, une Four-milliere entiere, qui ne fait que voyager.

La troifieme Efpece eft une Fourmi veni-

(k) Formica major, rubra.

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DE S U R I N A M .

meufe, qui naît dans les bois. Sa piquure donne ordinairement la fievre pendant plu­fieurs heures.

La quatrieme Efpece eft une Fourmi car-najfiere, qui n'habite que les maifons, où elle mange tout, & pique vivement.

La cinquieme Efpece eft une petite Four­mi de forêts, qui a l'odeur d'Une punaife, à laquelle elle reffemble beaucoup par fa cou­leur.

On donne le nom de Porte-Lanterne ( l ) â un rare & bel infecte lumineux, que l'on trouve dans plufieurs parties de l'Amérique. C'eft une Efpece de mouche, qui a , depuis trois jufqu'à cinq pouces, dans toute fa lon­gueur, y compris la partie antérieure de fa tête , d'où fort la lumiere, & qui a la figu-xe d'une lanterne, que l'on peut encore ap-peller trompe ; mais dont la forme eft très-fmguliérement contournée. Près de cette lanterne, ou trompe, elle a de chaque cô­té un œil en réfeau, de couleur rougeâtre. Elle a quatre aîles, dont les fupérieures ne font pas parfaitement tranfparentes, & dont le fond de la couleur eft de celle d'une olive pochetéé. Elles font pointillées de quelques taches blanchâtres, & près de leur bafe d'au­tres , prefque noires. Les aîles de deffous , un peu plus tranfparentes que les fupérieures, font plus courtes , & ont cependant plus

(l) Lantcrnaria: en Hollandois Laantaarn. Draager.

313

Du Por-te-Lan-terne.

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314 D E S C R I P T I O N

(m) Millepeda: en Hollandois Duyfend-Beenen.

Des Mille-

pieds.

d'ampleur. Chacune de ces aîles a un grand œil, qui a quelque reffemblance avec ceux des papillons-paons.

M 1 I E . Merian, qui a obfervé ces fortes de mouches, ,dit que leur lumiere eft telle, qu'une feule lui a fuffi pour en peindre les figures qui font gravées dans fon Ouvrage.

Les Mille-pieds (m) font de différentes couleurs & grandeurs. Il y en a qui ont jufqu'à quarante articulations mobiles,join­tes enfemble en façon d'anneaux , & ar­mées chacune de deux pieds ; ce qui com-pofe le nombre de quatre-vingt pieds, avec lesquels ils rampent , plutôt qu'ils ne mar­chent fur la terre : de forte qu'on ne fçauroit donner un nom plus convenable à cet infecte ovipare, que celui qu'il porte, par cette quantité de pieds dont il eft muni. Des côtés de fa bouche fortent deux pinces, armées d'ongles noirs, pointus & crochus, lesquels fervent à l'animal à fe faifir des autres infectes, dont il fe nourrit. Sa tête, qui femble n'être qu'une longue articula­tion , porte deux longues cornes , pointues & articulées.

Cet infecte fe trouve dans les bois , ou autres lieux incultes, & trace avec une an-lité furprenante. La femelle n'a point de cornes; elle porte fes œufs fous le ventre, & , dès que les petits Mille-pieds en font for-

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D E S U R I N A M . 315

t i s , ils quittent leur mere, commencent à ramper, & fe répandent par-tout à la ronde. Ces animaux fe roulent ou fe pelotonnent ordinairement pour fe repofer; auffi la for­me de leur corps eft-elle arrondie : en con­fiderai leur maniere de v i v r e , on les pren­drait pour des efpeces de vers de mer.

Tous les Mille-pieds , de quelque partie du monde qu'ils foient, jufqu'au plus petit que l'on trouve en Europe, font faits de la même maniere : mais ceux de Surinam font

-couverts d'écailles jaunâtres. Il y en a qui ont depuis trois jufqu'à douze pouces de longueur.

Ces infectes font fort dangereux, en ce qu'ils ont des mordants, avec lesquels ils pincent fi vivement qu'on en reffent une forte douleur, qui occafionne la fievre près de vingt-quatre heures ; ce qui peut être oc­cafionne par le venin qu'ils gliffent dans la bleffure , qu'ils font en mordant. Le meil­leur remede qu'on y puiffe appliquer tout de fuite , eft de la bonne Thériaque de V enife.

Les Mites (n) font des infectes presque imperceptibles, qui rongent les habits, les l ivres, & la fleur de farine. Celles qu'on a à Surinam, font de belles Mites blanches, qui font beaucoup de dégât. Elles fe lo­gent, particuliérement , dans les barriques

(n) Blattea: en A l l e m a n d Myte:

Des Mites.

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316. D E S C R I P T I O N

Des Pa­pillons.

de farine, pour en détruire toute la fleur, ce qui fait qu'on ne peut pas la conferver long-temps dans le pays,

M 1 l e . Merian affure que cette Efpece de Mite fe métamorphofe en de belles mouches vertes. Cela me paroît affez remarquable pour piquer l'attention des Naturaliftes ; mais comme je n'ai nulle notion: de ce fait, je ne fais que citer mon auteur, pour ne me pas mettre dans le cas d'aucun repro­che.

Les Papillons (o) font des infectes volants, qui ont des pieds, des aîles,des yeux & des antennes à la tête. Ils proviennent de Che­nilles, & fe changent en Chryfalides, & de

Chryfalides en Papillons.

Peut-être me fçaura-t-on mauvais gré de ce que je préfere de donner la Defcription des Papillons plutôt que celle des Chenilles , puifque ces premiers l'ont été originaire­ment, & qu'ils ne font parvenus à ce der­nier état,. qu'après avoir fubi les diverfes métamorphofes. dont je viens de parler. Mais comme je n'ai pas eu l'occafton de voir toutes les Chenilles, qui ont produit les. Papillons que j'ai collectés dans ce pays, je me. vois obligé de paffer fous filence quan­tité de ces articles, pour n'en point impo-

fer,

(o)Papilio: en Hollandois Kapelle: en Allemand Zweyfalter ou Sebmetterling.

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D E S U R I N A M .

f e r , & fuivre le plan que je me fuis pro-pofé , c'eft-à-dire, de me taire plutôt que de mal parler,

Je fupplie donc le Lecteur de ne me point fçavoir mauvais gré s'il ne trouve pas, dans le Chapitre fuivant, le détail de ces animaux, comme ce feroit fa véritable place, & de vouloir bien fe contenter de ce que j'en dis dans celui-ci ; puisqu'en récompenfe je n'o­mettrai rien de ce qui peut donner une jufle notion des Papillons en général, avant que de paffer particuliérement à ceux que j'ai à décrire.

La Chenille, qui eft l'origine du Papillon, eft une des plus nombreufes famille's d'infec­tes que nous connoiffions dans la Nature, une des plus variées,& contre laquelle bien des gens font affez mal-â-propos prévenus, la croyant venimeufe, & capable d'empoi-fonner ; ce qui n'eft qu'un préjugé deftitué de tout fondement.

La Chenille, au rapport des Naturaliftes, change trois fois de peau pendant fa v ie ; & de rafe qu'elle étoit d'abord, elle paroît quelquefois velue : telle autre , qui étoit velue, finit par être rafe; & de-là parvient, par diverfes mutations, à celle de Papillon : c'eft ce que je vais m'attacher à décrire" le plus clairement & le plus amplement qu'il me fera poffible.

L a plus grande partie des Chenilles fe fi-

Tome II X

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318 D E S C R I P T I O N

lent des coques, les unes en fe fuspendant par leur extrémité poftérieure, & d'autres en fe liant par une ceinture , qui leur em-braffe le corps, pour paffer enfuite dans une efpece de léthargie, où elles reltent fou-vent pendant plulieurs m ois , quelquefois. même des années, expofées fans défenfe à tous les événements ; mais qui ne les em­pêchent pas de reparaître de nouveau fur la fcene du monde élémentaire , auffi ad­mirables dans leur état de Chryfalides, & auffi merveilleufes dans leur métamorphofe en Papillons, que fingulieres dans leur état primitif.

Diverfes Chenilles font appercevoir un gé­nie particulier dans la conftruction de leurs coques, où l'on voit beaucoup de variété, tant dans la forme, que dans la matiere qu'elles emploient ; & c'eft à ces coques, que l'on donne, communément, le nom de Chryfalides , qui fignifie proprement la métamorphofe des Cbenilles, en efpeces de feves ; parce qu'alors, elles font fans pieds, fans aîles, fans mouvement, & qu'elles ne prennent plus de nourriture.

Lorsque le Papillon quitte fa dépouille de Chryfalide, cette dépouille retient , avec el le , plufieurs grands cordons de trachées; & l'animal qui vient de paraître au jour, a les aîles fi petites, qu'on les prendroit d'a­bord pour celles d'un Papillon manqué: mais

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D E S U R I N A M . 319-

à peine eft-il libre, & prend-t-il l'air , que les liqueurs qui circulent dans leurs canaux, s'élançant avec rapidité , les forcent à s'é­tendre & à fe développera

Pour accélérer & donner plus de force à Ce développement, le Papillon nouvelle­ment éclos, agite de temps en temps fes pe­tites aîles, & les fait frémir avec vîteffe; & tous ceux qui ont une trompe, (car tous n'en ont pas) la retirent &. la roulent en. fpirale, pour la loger dans le réduit qui lui eft préparé. Cette trompe , avant fa mé-tamorphofe, étoit allongée & étendue fous le fourreau de la Cbryfalide. Si quelque cau-f e , foit intérieure ou extérieure, s'oppofe à l'extenfion des aîles, dans le temps qu'el­les font auffi fléxibles que des membranes, la féchereffe, qui les furprend dans cet état, arrête le progrès du développement ; elles reftent contrefaites , & incapables de fer-vir au pauvre animal, qui refte condamné à périr, faute de pouvoir chercher fa nour­riture.

C'eft ainfi que tous les Papillons fortent de leur fecond état, tant ceux qui viennent des Chenilles qui font des coques , que ceux qui proviennent de celles qui fe lient & fe pendent : ces dernieres fe trouvent d'a­bord à leur aife, parce qu'elles font en plein-air. Mais auffi-tôt que les aîles de toutes les Efpeees ont acquis allez de force & de

X 2

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fermeté, les uns prennent leur vol au mê-me moment, d'autres fe contentent de mar­cher , & de s'aller placer à quelque diftan-ce , & tous, en général, fe purgent abon­damment, les uns avant de s'éloigner de leur coque , & d'autres après, du fuperflu du corps graiffeux, & de toutes les matieres que la Nature a employées pour les faire changer d'état.

Quel objet peut , à plus jufte titre, at­tirer notre admiration, & nous charmer, que la beauté des différentes Efpeces de Papil­lons, pour peu qu'on veuille examiner avec attention la variété de leurs couleurs, qu'ils femblent fe difputer comme à l 'envi , parti­culiérement ceux de Surinam, qui fe font remarquer par le vif éclat des leurs, indé-pendamment de leur grandeur qui eft infini­ment au deffus de celle de tous nos Papil­lons d'Europe ? Spectacle enchanteur à la vue, mais qu'il eft difficile de décrire ! Ajoutez à cela l'élégance de leur forme , la légèreté de leur v o l , leur courfe vagabonde & vola­ge , & leur air animé , qui rendent ces in­fectes les plus curieux & les plus aimables de tous les habitants de l'air.

On divife les Papillons, en diurnes & en

nocturnes , ou Papillons de jour, & Papil­

lons de nuit, que l'on peut encore nommer Phalenes : ces derniers font en bien plus grand nombre que les autres. Ces deux

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D E S U R I N A M . 321

Genres, ou Efpeces de Papillons, fe diftin-guent par leurs antennes.

Les Papillons de jour ont des antennes de trois différentes formes; les unes fe termi-nent par un bouton qui a, le plus fouvent, la figure d'une olive; ce qui fait qu'on leur donne le nom d'antennes à bouton : d'au-très ont la forme d'une maffue ; & d'autres enfin font tournées en forme de cornes de belier.

Entre les Papillons les uns ont les anten­nes de forme prismatique, d'autres les ont à filets coniques , & d'autres enfin à barbe de plume , ou en plume , à caufe de leur reffemblance avec une plume d'oifeau: c'eft parmi ceux-ci qu'on trouve les plus gran-des Efpeces de Papillons.

Telle eft la divifion générale que tous les Naturaliftes font de ces animaux ; mais com­me mes occupations ne m'ont jamais laiffé affez de temps pour les ranger fuivant leur Genre, je m'en tiendrai à la defcription de tous ceux que j'ai pu collecter, ou plutôt de ceux qui me reftent encore dans mon Cabinet.

Dans la Gaffe des grand Papillons, que l'on trouve à Surinam , il y en a un que l'on appelle Paon, parce qu'il a, au dedans des aîles, deux yeux femblables à ceux de la queue du Paon. Ces yeux font entourés de plufieurs nuances de brun, de noir, de

X 3

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gris & de rougeâtre, le tout agréablement mêlangé : le deffus eft d'une couleur bleuâ­t r e ; mais les extrêmités font nuancées de noir, de brun, & d'un jaune foncé , & couvertes d'un duvet velouté. Ses aîles ou­vertes ont près de fept pouces d'étendue, & trois pouces & demi de hauteur.

Il fort d'une groffe Cbenille annulaire, grifâtre, de la longueur de quatre pouces, & d'un bon pouce d'épaiffeur.

Le fecond eft un des plus grands Papil-Uns, & eft a p p e l l é Porte-Miroir. Ses aîles ont fept pouces & demi d'étendue, & trois pouces de hauteur ; elles font couleur de canelle , & pointillées de noir , excepté dans le milieu qui eft clair & transparent comme le verre : elles font bordées de deux cercles, l'un blanc, qui eft en dedans, & l'autre noir , qui eft en dehors ; de forte que cette efpece de tache du milieu reffem-jble beaucoup à un miroir encadré.

Celui-ci provient d'une Chenille, jaune & rouge vers le ventre, qu'on trouve fur les feuilles des Citronniers.

Le troifieme eft un autre Porte-Miroir, qui fort de la même Chenille, mais qui differe du précédent en grandeur & en couleur: fes aîles n'ont que cinq pouces & demi d'é­tendue , fur deux & demi de hauteur; elles font rougeâtres, tirant un peu fur le cra-moifi : leurs miroirs, ou taches tranfparen-

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les, font bordés de cercles noirs, au nom­bre de quatre.

Le quatrieme eft un très-beau Papillon, appelle Page de la Reine, Ses aîles, qui ont un fond noir , font nuancées de blanc, & d'un verd des plus beaux; elles ont quatre pouces d'étendue, & trois pouces de hau­teur , en comptant depuis la tête jufqu'à l'extrêmité des barbes, ou queues, qui fe terminent au bout de chaque aîle. Il pro­vient d'une Chenille toute couverte de pointes, au bout desquelles pend une toile noire.

L e cinquieme eft un grand Papillon, dé toute beauté. Ses aîles ont près de fix pou­ces d'étendue, fur trois environ de hauteur; leur fond eft olivâtre, & elles font dente­lées de blanc, de noir , & de couleur d'oran­ge. A u milieu du dedans des aîles font ran­gés, en demi cercle, une douzaine de petits yeux , en commençant depuis l'extrêmité de l'une jufqu'à celle de l'autre, & parfaite­ment bien formés: la prunelle en eft blan­che , l'iris de couleur de pourpre, & le cer­c l e , qui forme l'oeil, eft jaune, entouré d'un fecond qui eft verdâtre. Le fond du delfus eft brunâtre, & traverfé par une bar­r e , de la longueur d'un doigt, de couleur d'outre-mer.

Le fixieme eft un fuperbe Papillon, dont le fond du deffus des aîles eft de couleur jon-

X 4

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quille, bordé tout à l'entour, d'une bande noi-r e , d'un bon doigt de large; mais le deffous eft de couleur de paille ; & à l'extrémité des deux aîles de deffous, qui forment les deux queues, il y a des taches blanches & de cou­leur d'orange, bordées pareillement de noir. Ces aîles ont cinq pouces d'étendue, fur deux de hauteur.

Le feptieme a le fond des aîles de couleur de caffé , nuancé d'outre mer. Elles ont quatre pouces d'étendue, fur deux & demi de hauteur ; & le deffous des inférieures a des marbrures de couleur de canelle, d'un blanc argenté, & de citron.

Le huitieme eft un grand & magnifique Papillon, dont le deffus des aîles eft de la plus belle couleur d'azur, que l'on puiffe ja. mais voir. Ses aîles ont cinq pouces d'éten­due, fur deux de hauteur, & font, en des­fous , nuancées de brun.

Le neuvieme eft un Papillon qui a beau­coup de reffemblance, pour la forme, au Page de la Reine. Ses aîles ont quatre pou­ces d'étendue, fur trois de hauteur. Elles fout, en deffus & en deffous, d'un brun fon­c é , ayant fur les inférieures quelques ta­ches transverfales, de couleur de paille.

Le dixieme, qui eft de la même grandeur, eft varié de taches couleur de paille, fur un fond noirâtre; lé deffous de fes aîles infé-

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de S U R I N A M . 3 2 5

rieures eft de la même couleur, mais tache­té de noir, d'orange & de bleu.

Le onzieme a les aîles fupérieures toutes poires, & les inférieures marbrées de couleur de chair, & bordées de même : elles ont près de quatre pouces d'étendue, & deux de hauteur.

Le douzieme a le deffus des quatre aîles , tout noir, à la réServe d'une tache rouge , qui

fe trouve Sur les Supérieures, qui ont le des­sous d'une couleur olivâtre. Il eft plus petit: que le précédent.

Le treizieme, qui eft de la même grandeur du précédent, eft nuancé de brun, de jau­n e , & de blanc.

Le quatorzieme eft d'une couleur d'oran­g e , flammé de noir; le deffous de Ses aîles eft moins foncé en couleurs ; & Sa grandeur égale celle du treizieme.

Le quinzieme eft d'un brun nuancé. Ses aîles ont près de quatre pouces d'étendue, Sur deux & demi de hauteur.

L e Seizieme eft un beau Papillon, dont les aîles Supérieures Sont d'un brun clair & blan­châtre , & les inférieures prefques blanches, marquetées de couleur, d'orange. Il eft de la même grandeur du précédent.

Le dix-feptieme eft tout femblable au Sei­zieme, à la réferve qu'il n'a point de taches jaunes.

Le dix-huitieme eft un beau petit Papil-X5

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lon varié de couleurs, du bol d'Arménie, de noir, de jaune, de brun & de bleu.

L e dix-neuvieme eft un autre joli petit Papillon, dont les aîles font cendrées, & traverfées d'une tache de couleur de paille.

Le vingtieme eft un petit Papillon, dont les aîles, tant deffus que deffous, font gri-fâtres, pointillées de noir , & d'un bleu clair aux extrêmités.

L e vingt & unieme a les ailes d'un blanc fale, & bordées de brun.

Le vingt-deuxieme eft de couleur de chair, & a les ailes bordées de roux.

Le vingt-troifieme a les aîles, tant deffus que deffous, de couleur d'orange, & tache­tées de blanc.

L e vingt-quatrieme eft un beau petit Pa-pillon, dont les aîles ont trois pouces d'éten­due, fur un & demi de hauteur, & font, au deffus, d'un jaune foncé, bordées de noir ; elles ont chacune un œil , & quelques taches noires tranfverfales.

Le vingt-cinquieme eft d'une couleur tan­née aux extrêmités des aîles ; le deffous en eft plus clair , & rempli de petits yeux entou­rés d'un cercle blanc: elles ont près de qua­tre pouces d'étendue, fur deux de hauteur.

L e vingt - fixieme, qui eft de la même grandeur du précédent, a le deffus des aîles orange : elles font bordées de noir & mar-brées de taches blanches.

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L e vingt-feptieme eft un petit Papillon, dont le deffus des aîles eft jaune, & tacheté de blanc & de noir; & le deffous d'une cou­leur brunâtre & blanche.

Le vingt-huitième a le derriere de fes aî­les , en deffous, d'un beau bleu mêlé de brun ; l 'extérieur a trois cercles, l'un n o i r , l'autre jaune, & le troifieme brun: le res­te de fon corps eft admirablement émaillé. Il provient d'une Chenille rouge , qui fe trouve fur les Bananiers.

Le vingt - neuvieme eft un beau Papillon, dont le deffus des aîles eft couleur de fafran , le deffous jaune, rouge & brun, avec des taches argentées. Il provient d'une Cbenil-le y qui fe nourrit de feuilles de Vanille.

Le trentieme a le deffus des aîles admira­blement bien tacheté de noir & de blanc; & les extrêmités de fon corps, & de fa t ê t e , font de couleur de fang. Il provient d'une Chenille noire, qu'on trouve fur les feuilles de Manioc.

Le trente & unieme eft un petit Papillon c e n d r é , couvert de taches brunes & ar­gentées.

Le trente-deuxieme eft un autre de la mê­me Efpece, qui a le deffus & le deffous des aîles brunes, bordées à leur extrêmité d'une couleur orange. Il a la tête & l'extrêmité de fon corps de couleur de fang.

L e trente-troifieme a le deffus des aîles

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marbré de gris, de blanc & de bleu, & le de deffous prefque d'un blanc fale.

Le trente-quatrieme eft un joli Papillon entiérement olive.

Le trente-cinquieme a les aîles fupérieu-res d'un brun clair, & l'extrêmité de celles de deffous tachetée de cramoifi.

Le. trente-fixieme, qui eft une variété du précédent, eft tacheté de blanc, de noir, & de oramoifi.

Le trente - feptieme a le corps fauve, & le deffus des aîles de couleur de fafran, bor­dé de noir & de bleu.

Le trente-huitieme a le deffus des aîles de couleur d'indigo, mêlé de verd, de brun, & argenté. Il provient d'une Chenille que l'on trouve fur les Figuiers.

Le trente-neuvieme eft un très-beau Papil­lon , dont le deffus des aîles eft d'un bleu ar­genté , bordé d'une bande brune, chargé de demi-lunes blanches, & tacheté de jaune. Il provient d'une Chenille qu'on trouve fur le Grenadier.

Le quarantieme a les aîles cendrées, & marbrées de noir & de blanc : il a fur le corps dix taches, couleur d'orange ; & fa tê­te eft armée d'une longue trompe rouge. Il provient d'une Chenille verte qu'on trouve fur l'es feuilles de Goujave.

Le quarante & unieme a fur le corps une raie blanche, furchargée de quatre taches

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noires, de part & d'autre, & , en outre, de lignes noires obliques, & de quatre blan­ches en même ordre.

Le quarante-deuxieme eft un beau papillon noir, verd & blanc. Il eft le plus agile de tous ceux de fon Efpece, & vole fi haut qu'on a bien de la peine à le prendre. Il pro­vient d'une Chenille v e r t e , qui a une tête bleue, & le corps couvert de longs poils , suffi durs que le fil de fer. Elle fe trouve fur Une efpece d'Oranger.

Le quarante-troifieme a le deffus des aîles verd & rouge, avec des raies tirant fur la couleur de châtaigne. Ses cornes & fa trom­pe font de couleur d'or. Il provient d'une Chenille qu'on trouve fur les feuilles de Vigne.

Le quarante - quatrieme, qui eft noir & blanc, a une double trompe. La fine pous-fiere qui couvre fies aîles, y forme des es­pèces de plumes, femblables à celles de la Poule Pintade. Ses pieds & fes antennes font d'une couleur jaunâtre. Il provient d'une Chenille qu'on trouve fur les feuilles d'un arbriffeau qui produit les pommes de canelle.

Le quarante-cinquieme eft un petit Papil­lon brun & blanc, avec quatre taches, cou­leur de pourpre, fur les deux aîles. Il pro­vient d'une Chenille brune, tachetée de blanc & de noir.

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Le quarante-fixieme eft un beau petit Pa­pillon, couleur de paille, rayé & émaillé de noir, tant fur le corps que fur les aîles. Il provient d'une Cbenille qu'on trouve fur un Palmifte.

L e quarante-feptieme eft un petit Papillon

tout jaune. L e quarante-huitieme eft marbré de brun,

de jaune & de gris. L e quarante-neuvieme eft un grand Pa­

pillon , lequel, vu avec le microfcope, a les aîles couvertes d'une fine pouffiere, comme de la farine, qui y forme des écailles fem-blables à celles des poiffons : chacune de fes ailes a trois dentelures, avec quelques poils fort longs. Il provient d'une Chenille qu'on trouve fur les Ananas.

L e cinquantieme eft d'une couleur rou-geâtre & transparente. Il provient d'une Chenille blanche, & velue.

L e cinquante & Unieme eft un Papillon tout blanc, qui provient d'une petite Che­nille verte, qu'on trouve fur les choux.

Ce n'eft pas dans les environs de la ville de Paramaribo, qu'il faut s'attendre à voir, communément, beaucoup de Papillons ; mais bien dans les Plantations , & particuliére-ment dans les bois, où le nombre en eft fi grand, qu'on en pourroit faire une des plus brillantes Collections, fi la chaffe, qu'on en fait , de temps à autre, n'étoit pas fi

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de S U R I N A M . 331

pénible pour ceux qui l'entreprennent : ât-tendu que l'Efpece la plus grande,& même la plus rare pour fa beauté , fe tient dans les bois les plus éloignés, la plupart maré­cageux, & par coriféquent toujours inon­dés. Or , comme l'unique & le plus fûr moyen pour les avoir dans leur perfection, & les connoître parfaitement tous, eft de fe procurer les Chenilles d'où ils provien­nent , pour les faire paffer, fous fes y e u x , dans leurs diverfes métamorphofes ; c'eft-là t'obftacle qui s'eft oppofé au violent defir que j'ai toujours eu de m'inftruire ample­ment à ce fujet, & qui me force au filence que je garde fur une infinité d'autres, d'u­ne forme bien plus grande & d'une beauté encore plus accomplie: ceux que je viens de décrire, n'étant, pour ainfi dire, qu'un échantillon de ceux que l'on pourroit décou­vrir dans le pays, s'il étoit poffible de lever toutes les difficultés qui fe rencontrent dans cette recherche.

C H A P I T R E X X I V .

Des Vers.

LES Vers font des infectes rampants, fans vertèbres & fans os; qui naiffent dans

la terre , dans les plantes, dans les animaux,

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du Ver Solitaire.

& dans le corps humain, & qui viennent tous par la voie de la génération.

La Claffe de Vers eft infiniment plus nom-breufe que celle des autres infectes , parce qu'il femble qu'ils font femés , pour ainfi dire, dans toute la Nature. Les uns font utiles, tels que les Fers à Soie; & les au­tres font nuifibles, & caufent un grand nom­bre de maux, comme le Ver Solitaire, &c.

Parmi les Vers qui font nuifibles à l'hom­me , on regarde le Ver Solitaire (a) comme un des plus dangereux pour le corps hu­main. Sa forme approche affez d'un ruban, parce qu'il eft long & plat. Son corps eft articulé d'un bout à l'autre. Celui que j'ai actuellement dans mon Mafæum, & qui eft forti du corps d'un Negre, a près de fept aunes de long. 11 eft dentelé, d'un bout à l'autre; & fa couleur eft jaunâtre. L'effet que cet ennemi du genre humain fait dans le corps, c'eft de ronger & de fucer la fub-ftance la plus pure de l'homme, de l'affa­mer , & de le réduire le plus fouvent à un état horrible de maigreur, fans que les ver­mifuges, de quelque nature qu'ils foient, le puiffent détruire en fon entier, mais bien par morceaux.

Le hafard a cependant fait découvrir au Docteur Herrenfcbwand, natif de Morat en

Suffle,

(a) Tania: en Hollandois Lind-Wom.

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D E S U R I N A M . 333

Suiffe, un fpécifique , dont l'efficacité fem-ble laiffer peu de chofe à defirer. U n e feule prife de fa poudre fuffit, quelquefois, pour chaffer lé Ver folitaire; mais il fort vivant, & toujours auffi entier qu'il peut l 'être, & de plus avec la partie antérieure, terminée par un fil délié: ce qui eft très-effcntiel. Ce remede, à ce qu'on affuré, a opéré fur un très-grand nombre de per-f o nnes , avec tout le fuccès poffible.

Combien de difficultés ce Ver fingulier ne préfente-t-il pas à réfoudre! Quelle eft fon origine? Comment fe propage-t-il ? Y e n a-t-il de plufieurs Efpeces? Eft-ce un feul & unique animal, ou Une chaîne de Vers? Repouffe-t-il, après avoir été rompu ? Eft-il toujours feul de fon Efpece dans le même fujet? Tous problêmes qui ne pourront être bien réfolus qu'avec le temps, & des expériences bien réitérées.

Voici un article qui va détruire un p r é ­jugé qu'on nourrit depuis bien des an­nées en Europe, fur une efpece d e Ver, que l'on prétend qu'il s'introduit dans l e corps des Blancs : car ce n'eft q u ' u n e pure fiction ; d'autant que c e t animal e f t o r i g i ­naire d'Afrique, & ne fe n a t u r a l i f e j a m a i s dans le pays, que chez ceux q u i e n a p p o r ­tent la femence ; de forte qu'il n ' y a que les Negres, qu'on transporte d ' A f r i q u e à Surinam, qui foient fujets à Cette f o r t e de

Tome II Y

Des Pets de Ne-gres.

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3 3 4 D E S C R I P T I O N

Ver, qui paroît dans toutes les parties de leur corps ; mais, cependant, le plus fou-vent à l'anus, aux cuiffes & aux jambes. Il y en a qui ont jusqu'à huit aunes de long. Il fe loge entre cuir & chair ,& y fait différentes circonvolutions. Il ne cau-fe pas de grandes douleurs, à moins qu'il ne cherche à fe faire jour au travers de la peau, pour en fortir; ce qui fe connoît à un petit ulcere, ou petit c lou, qu'il pro­cure , & qui eft d'une dureté étonnante. Du moment que ce Ver veut fortir, il fe forme une petite ouverture, de laquelle i l découle une liqueur fort acre, qui entraî­ne avec elle le Ver, qu'il faut faifir le plus promptement poffible, par la tête, qui eft munie de deux petites cornes, & applatie : pour - lors on le roule , par gradation, fur un petit bâton, en introduifant de la fu­mée de tabac dans la plaie ; ce qui facilite confidérablement fa fortie : mais il faut prendre garde de ne la point forcer, car il fe romproit, & cauferoit un ulcere pres­que incurable. Pour éviter cet inconvé­nient, dès qu'on apperçoit que le Ver fait quelque réfiftance, & ne fe prête plus fi facilement à fortir, il faut remettre l'opé­ration au lendemain ; en attendant on le laiffe toujours fur le bâton, par deffus le­quel on applique une emplâtre de Diachy-Ion double, jusqu'à ce qu'on recommence,

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D E S U R I N A M . 3 3 5

Des Afce-rides.

Des Vers Cylindri­ques.

Cette opération doit être réitérée, de la même maniere, jusqu'à ce que le fer-fait entièrement forti; au moyen de quoi le Negre eft parfaitement délivré d'un ennemi très-nuifible à fa fanté. Sa forme eft ron­d e , mince, & fort déliée; & il n'y a point eu d'exemple que jamais Blanc en ait été attaqué, comme on a voulu l'infinuer; ce germe n'étant connu que parmi les Negres en Guinée.

On donne le nom d'Afcarides (b) à de petits Fers, qui fe logent à l'extrêmité de l'inteftin rettum. Ils reffemblent à de pe­tits aiguillons affez longs, & leur couleur naturelle eft blanche. Il n'y a que les en-fans qui en foient attaqués, & ils leur cau-fent, à l'anus, une démangeaifon violen­te. Il eft affez difficile d'expulfer ces vers: mais les plus habiles Médecins convien­nent, cependant, qu'il n'y en a pas de meilleur moyen que de les précipiter par en bas, avec des purgatifs ànthélémenti-ques, & par des clyfteres faits avec des plantes ameres. On prétend que les che­vaux en font auffi attaqués.

On appelle Ver Cylindrique, un Ver, qui pour l'ordinaire eft rond. Il a un pied de longueur: il eft tout blanc, & eft gros, à peu près, comme une paille de

(b) 4/caris,

Y s

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336- D E S C R I P T I O N

froment, ou comme une plume d'oie : il attaque auffi les enfants.

On trouve, le long de la Côte , une Efpece de Ver aquatique, long & délié, qui reffemble parfaitement aux Cloportes. Il porte fur le devant de la tête deux petites cornes pointues. Tous fes pieds, héris-fés de poils & de petites épines, jetcent un bel éclat de diverfes couleurs. C'eft le même que Seba repréfente dans fon Thes. r, Tab. 73 , No. 4.

Les Vers Tarires rongent ordinairement les vaiffeaux, & le font avec tant de fu­reur & d'acharnement, que les poutres & le bois des bordages en font criblés; ce qui met fouvent le bâtiment en danger de faire eau & de périr. Ils ont jusqu'à un demi-pied de longueur. Tout leur corps eft compofé de différents anneaux. Ils ont , des deux côtés du ventre, une infinité de petites jambes, toutes armées de crochets. Leur tête eft couverte de deux coquilles toutes pareilles, placées des deux côtés, pointues par le bout , comme le fer d'un vilebrequin, & qui peuvent jouer féparé-ment & différemment l'une de l'autre. Cet­te efpece de casque, qui enveloppe la tête du Ver, eft très-dure , en comparaifon du refte du corps, qui eft fort mollaffe, fe feche bientôt à l'air, & fe réduit en pous-fiere ; la tête feule demeurant en fon en-

DuVer de Mer.

Des Vers Tarieres,

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Des Vers de terre.

Y 3

t ier , par le moyen de Fon casque qui la pré­serve, & à l'aide duquel ce Ver fait tout fon travail, & fournit à fa nourriture & à fon logement. Il perce, le bois avec fes deux coquilles, en les difpofant comme l'outil dont je viens de parler; & comme ce casque rend la tête plus groffe que le refte du corps du Ver, le paffage qu'il s'eft fait par fon moyen, lui fuffit toujours pour fe loger promptement.

Ces Vers font fi abondants à la Rade de Surinam, que les Capitaines craignent d'y faire un long féjour avec leurs vaiffeaux, à moins qu'ils n'ayent un grand foin de les bien faire radouber; comme il eft arrivé de mon temps, qu'un bâtiment ayant féjourné environ dix mois dans la Rade, fe trouva presque tout rongé de ces Vers, & que le Capitaine fut obligé de le faire entiérement radouber, avant que de partir , parce qu'il faifoit eau de tous côtés. Les Barques Angloifes y font encore plus expofées, parce qu'elles font ancrées dans un en­droit plus bourbeux, & où ces Vers fe plai-fent plus que dans l'eau courante.

Les Vers de terre ( V ) font des infectes rampants, & ronds, mous, charnus, d'un rouge pâle, & fe tenant en terre ; n'ayant

(c) Lumbricus terreftris : en Hollandois Worm : en Allemand Wurm,

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ni yeux, ni oreilles, ni pieds, ni o s , & font, néanmoins, pourvus de tous les or­ganes qui leur font néceffaires. Ils font, communément, gros comme un tuyau de plume. Ils font hermaphrodites & ovipa­res. Ils ont une bouche & un anus; & ils s'accouplent vers le haut, du corps, & hors de terre.

L'huile de Vers eft fortifiante, adoucis-fuite , & bonne pour les rhumatismes, ap­pliquée extérieurement. On en fait auffi une poudre, qui eft appéritive, diurétique & fudorifique. La dofe en eft depuis vingt grains jusqu'à trente.

La Sang-fue (d) eft un Ver d'eau douce ,

que l'on trouve dans les favanes marécagcu-fes. 11 eft long d'un bon doigt, & quel­quefois plus, marqueté de points & de li­gnes, glilfant, comme l'anguille, herma­phrodite & vivipare. La Sang-fue eft com-pofée d'une infinité d'anneaux: elle a à fon extrêmité antérieure une bouche triangu­laire, dans laquelle font cachées trois dents très-aiguës; & fa partie poftérieure fe termine par un bourrelet rond ; en forte que ces deux parties font capables de con­traction,

Ces fortes de Vers font propres à fucer (d) Hirudo; en Hollandois Bloed, zuiger: en Alle­

mand Blut-Egel

Des Sang-fues.

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Des Li­maçons.

Y 4

le fang, pour détourner les fluxions, en dégonflant les vaiffeaux , & particuliére­ment les hémorroïdales : mais on a quelque­fois peine à arrêter ce fang, après qu'on leur a fait lâcher prife, ou plutôt qu'elles l'ont quittée d'elles-mêmes ; & il s'enfuit fouvent de grandes hémorragies, qui affoi-bliffent beaucoup le malade. Pour fe fer-vir de ces animaux, on en pofe un fur une veine, à l'endroit où l'on veut qu'il s'attache ; alors il y enfonce fes trois dents , il attire le fang dans fon corps, il s'en engorge, il s'enfle de plus en plus, & fe dégage de l u i - m ê m e , quand il en eft affez r e p u : & fi l'on juge à propos de le détacher plutôt, cela fe fait en lui jettant un peu de fel fur le dos.

Le Limaçon (e) eft un Ver teftacée, c'eft-à-dire, à coquille, rampant, & de la Clas-fe des hermaphrodites. Il eft compofé d'une tête & d'un corps, qui fe termine en pointe, & en forme de queue. Toutes fes parties font molles, & abreuvées d'un fuc glaireux: il fe traîne par un mouvement d'ondulation , & rentre , entiérement, dans fa coquille, quand il veut , la portant toujours avec lui ; attendu qu'une portion

(e) Cocblea, feu Limax terreftris : en Hollandois Slak :

m Allemand Scbnecke,

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(f) Limas ruber. (g) Limax , Cochlea calata.

DelaLi-çiace rou-ge

Du Nom­bril de Mer.

de fon dos y eft adhérente. On le trouve dans tous les jardins.

La Limace rouge ( f ) eft un reptile ter-

reftre, qui vit tout nud, fans coquille, &; qui ne differe du limaçon qu'en ce qu'il eft plus allongé, & n'a point de robe. Sa couleur eft d'un rouge brun. Il eft her­maphrodite, comme le précédent, & fe trouve de même dans les jardins.

Les Nombrils de Mer (g) font proprement des limaçons de mer, enfermés dans une coquille brune, cannelée, raboteufe, & armée de pointes, liffe en dedans. Ceux-ci ne font point dans la Gaffe, des herma-phVodjtes, mais ont leurs mâles & leurs femelles, qui s'accouplent de même que la plupart des animaux. On les trouve le long des côtes de la mer.

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D E S U R I N A M . 341

C H A P I T R E X X V .

De la nature des Terres, & de quelques Mé­

taux qui les accompagnent,

Tout ce que la Terre renferme dans fes

entrailles , peut fe réduire à des ma­

tieres m i x t e s , connues fous les noms de

Métaux s de Pierres , de Terres & de Sucs.

Le nom de métaux convient à tous les

corps foffiles les plus pefans, comme le Plomb,

l'Etain, le Fer, le Cuivre, l'Argent,& enfin l'Or,

Les pierres font compofées de matieres

terreufes , endurcies au point de ne p o u ­

voir plus s'amollir dans l 'eau. Il y en a

cependant de tendres , telle que le Talc,

& de poreufes , telle que la Ponce. Il y

en a auffi d'autres qui font dures , & ne

peuvent être travaillées qu'avec l'acier &

l ' émér i l , telles que l'Agate & le Jaspe.

La terre que j 'entends n'efl point celle

qui fond au f e u , comme les m é t a u x , ni

celle qui fe difibut dans l ' eau , comme les

fucs, ni enfin celle qui eft d u r e , ou con-

denfée , comme les pierres : c'en celle

qui eft formée par un amas de corps en-

talles les uns fur les a u t r e s , & à qui la Na-s autre

Y 5

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ture, toujours admirable dans fa variété, a donné autant d'odeurs différentes, que de diverfités dans fes couleurs.

Mais comme toutes les terres font en-tre-mêlées de particules pierreufes, falines, bitumineufes & métalliques, (ce qui produit une grande différence entr'elles) on ne peut les confidérer que comme des corps compofés, & en marquer les différences relativement à leurs mêlanges; d'où il ré-fulte que les mixtes, que la Nature forme dans les entrailles de la terre, font ou fufi-b les ,ounon fufibles. Ceux qui, après la fufion, n'ont ni la dureté ,ni la malléabilité, font proprement appellés fucs.

On divife généralement les terres , en terres argilleufes, & en terres alkalines ou calcaires; & on prétend de plus, que l'on peut connoître par le goût, la qualité des terres & de leur mêlange, auffi bien que par l'odeur ; parce que la terre toute pure n'a aucun goût, au lieu que celle qui eft, mêlée de quelque minéral, en a communé­ment un très mauvais.

Il n'eft pas douteux, que les lieux les plus propres à la formation des métaux, font les veines de la terre, répandues par toute l'étendue de fon vafte corps; com­me le fang l'eft dans le corps des animaux.

Les Minéralogiftes donnent le nom de veines à ce vuide qui fe trouve entre

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deux Caxas, ou chambres, dans lesquelles on trouve toutes fortes de Minérais: on doit comprendre,par Minerais, tout ce qui appartient au regne minéral.

S'il eft vrai que les veines des mines ne doivent leur découverte qu'à quelque ha-zard heureux, il n'eft pas moins vrai auffi qu'on creufe bien fouyent à l'aventure, & que la fortune regle entiérement le fuccès. Si l'on ne réuffit pas , pour-lors la faute en eft rejettée fur la nature du terrain , qu'on ne regarde plus que comme ftérile, & comme dépouillé tout-à-coup par en­chantement de fes propriétés. Mais cette même montagne accufée de ftérilité , préfen-tera pour défenfe à la poftérité, peut-être plus éclairée,les indications les plus convaincan­tes des foffiles & des minéraux utiles qu'elle renferme ; parce qu'elle a été mal exploitée.

C'eft ce qui arrivera indubitablement , un jour ou l'autre, avec la Montagne Bleue, nommée Blauw-Berg, que j'ai décrite dans mon premier Chapitre, laquelle abonde en mines : mais l'ignorance & la mauvaife direc­tion de la Compagnie de Mineurs, que Mes-fieurs de la Société de Surinam avoient éta­

blie pour l'exploitation de ces mines, a fait échouer une fi merveilleufe entreprife; qui auroit certainement rapporté des revenus confidérables ,fi on avoit eu véritablement à cœur les intérêts de fes maîtres. Malheureufe-

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ment bien des gens s'imaginent, que devant paffer fous la ligne du foleil, ils peuvent perdre de vue tous les devoirs qui les lient envers les autres hommes, & chercher leur intérêt, de préférence à celui dont ils ne font que les dépofitaires.

La trop grande avidité de faire fortune dans un pays lointain, a fouvent trop d'em­pire fur certaines perfonnes, qui ne fa-v e n t , ou ne peuvent difcerner, ce qui eft jufte d'avec ce qui ne l'eft pas. Je pour-rois facilement répandre beaucoup de lu-mieres fur bien des objets de cette nature, fi des raifons palpables ne m'en empê-choient. Il eft cependant conftant que fi quelqu'un, aidé des connoiffances de la minéralogie, & de tout ce qui eft requis pour fouiller ces mines, vouloit s'y livrer, on y trouverait indubitablement des ri-cheffes. D'ailleurs, la fituation avantageufe de cette montagne bleue, & de fes envi­rons, annonce par plufieurs indices ex­térieurs, l'exiftence des mines, que l'in-duftrie & les dépenfes néceffaires feraient découvrir, fi on en venoit à l'expé­rience.

Il faudrait,pour cet effet, qu'un habile Minéralogifte, inftruit de la Philofophie Naturelle qu'on nomme Chymie, parcou­rût toutes les montagnes, qu'il vifitât les veines métalliques, qu'il s'enfonçât fous

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la terre pour examiner l'attelier des tra­vailleurs, & les différentes méthodes de leur travail, qu'il fe rendît familiers les différens lits de terres, de pierre, de roc , de minéraux, de foffiles, fans jamais rien biffer échapper à fon examen, de ce qui pourroit avoir la moindre analogie, ou af­finité , avec les minéraux, ou lui fournir quelques lumieres fur l'art. Il ne fauroit faire trop de queftions aux mineurs, trop exa­miner avec eux les différentes chofes qu'ils rencontrent dans leur chemin, ni faire trop d'attention aux matieres qu'ils regardent comme les meilleures, & dans lesquelles ils voyent le plus d'indices de minéralifa-tion prochaine. Il lui ferbit utile de ne rien laiffer en arriere de ce qu'il pût ap­prendre des mineurs, de bien examiner enfuite tous les foffiles & les minéraux, tels qu'ils paroiffent à l'œil n u , quand on les a nouvellement tirés de la terre, foit dans leur état de perfection &. de dureté, foit lorsqu'ils paroiffent friables & brillans, ou mêlangés de différentes matieres, tel­les que le métal, ou demi-métal ; le refte n'étant que terre, fpath, pierre, ou au­tre chofe femblable: d'obferver en outre à quels -différens degrés de profondeur fe trouvent les minéraux, leurs qualités es­sentielles & particulieres, & leurs proprié­tés les plus marquées, qui fe rencontrent

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dans les différentes mines. On peut enco­re juger de l'effence de quelques-uns par leurs couleurs, auxquelles on peut ailé-ment les reconnoître ; la Chymie nous ayant inftruit de leurs apparences diverfes, & pourquoi telle ou telle couleur eft par­ticulière à tel ou tel foffile. On en peut auffi juger par les corps, avec lesquels les minéraux fe trouvent mêlés & encroû­tés.

Il y a de ces corps, qui leur font homo­genes , d'autres leur font hétérogenes. Le premier cas concourt à la conferva-tion des minéraux, le fecond à leur de-flruction; & par ce moyen on parvient à des indices auffi complettes qu'on peut les defirer, du plus ou du moins, de la ri-cheffe fouterraine de chaque lieu qu'on a fouillé: en forte que toutes ces notions bien détaillées , bien approfondies, peu­vent & doivent fervir comme de fonde­ment, & de bafe principale, à la décou­verte de tous les métaux. Par leur fecours on s'inftruira en même temps des princi­pes des minéraux, & on apprendra à dis­tinguer les différentes efpeces de mines , les unes d'avec les autres. Rien n'eft fi vrai dans l'efpece préfente, qu'il n'y a qu'à jetter un coup d'œil fur la différen-ce des couleurs de terres , que l'on trouve au deffus & au bas de la montagne, fur

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les plantes qui naiffent fur les collines, & enfin fur les eaux thermales qui defcendent de cette montagne, pour être abfolument convaincu de l'exiftence de ces mines, & de ce qu'elles doivent produire. D'ailleurs l'étendue de ces montagnes fe prolonge du côté de la Cayenne , & de la Terre-ferme, faifant partie des côtes de l'Amérique Efpagnole, qui eft fituée fous le même ciel; & où l'on trouve des mines de fer , fans parler des autres métaux.

Mais pour donner plus de certitude à mon affertion, je dirai que j'ai connu un Lieutenant dans l'Artillerie, nommé Mr. George, que la mort a enlevé au fervice de la Société, jeune homme fort habile dans fon métier, & en même temps grand amateur de l'His­toire Naturelle. Il avoit formé une très-belle Collection de foffiles, de minéraux, & plufieurs fortes d'argilles, qui lui avoit procuré la connoiffance de toute l'étendue de la Colonie, de maniere à pouvoir d'abord décider de la bonne ou mauvai-

IFfe qualité du terrain, fur lequel on vou-i o i t le confulter; & comme il étoit en mê-

* me temps Arpenteur, & qu'il étoit affez fouvent employé à méfurer de nouveaux terrains deftinés à former de nouvelles ha­bitations , il avoit un foin tout particulier de recueillir différentes terres, qui lui fembloient mériter fon attention. Le mal-

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heur a voulu, qu'après fa mort, ceux qui ont été chargés de fa fucceffion aient mé-prifé cette belle Collection , qui auroit ré­pandu beaucoup de lumieres fur la nature des veines métalliques, ainfi que fur les différens fols ; parce qu'il avoit eu foin d'y ajouter des remarques très-inftructives. Le peu de cas que l'on en a fait, a fi bien disperfé, ou fait disparaître cette Collec­tion intérelfante, que l'on n'a jamais pu favoir où elle avoit paffé. Le hazard a bien voulu me favorifer, en m'en faifant receuillir quelques débris, fur lesquels ce curieux avoit attaché fimplement des éti­quettes, pour reconnoître l'endroit d'où il les avoit tirés. Ce font ces mêmes débris qui me fervent aujourd'hui de matériaux, pour completter l'Hiftoire Naturelle de la Colonie , & que je vais achever de dé­crire.

A l'extrêmité de la Riviere de Comme-ixiyne, du côté de la crique de Tempatie,i vers le Sud-Oueft, & dans fes environs ce qui eft. à une diftance de près de trente lieues de la Ville de Paramaribo, pu trou,-v a plufieurs indices de veines métahiquesi parce que ce pays eft. auffi environné de montagnes, où on refpire, à ce qu'on pré­tend, un air extrêmement pur & fain, de même que celui de la montagne bleue.

On

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