Développement Des Compétences

  • Upload
    dino

  • View
    9

  • Download
    0

Embed Size (px)

DESCRIPTION

hujikop

Citation preview

  • Formation emploiNumro 114 (Avril-juin 2011)Ple-mle

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Najoua Mohib

    Dvelopper des comptences oucomment sengager dans lagirprofessionnel................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

    Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales dvelopp par le Clo, Centre pour l'ditionlectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Rfrence lectroniqueNajoua Mohib, Dvelopper des comptences ou comment sengager dans lagir professionnel, Formationemploi [En ligne],114|Avril-juin 2011, mis en ligne le 04 octobre 2011. URL : http://formationemploi.revues.org/index3378.htmlDOI : en cours d'attribution

    diteur : La documentation franaisehttp://formationemploi.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://formationemploi.revues.org/index3378.htmlCe document est le fac-simil de l'dition papier.

    Cet article a t tlcharg sur le portail Cairn (http://www.cairn.info).

    Distribution lectronique Cairn pour La documentation franaise et pour Revues.org (Centre pour l'dition lectroniqueouverte) Tous droits rservs

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 55

    Travail

    * Najoua Mohib est matre de confrences en sciences de lducation luniversit de Strasbourg, cher-cheur au LISEC (Laboratoire interuniversitaire des sciences de lducation et de la communication EA2310). Ses travaux portent sur les pratiques de formation initiale et professionnelle et se focalisent notamment sur laccom-pagnement et le dveloppement des comptences. Plus rcemment, ses recherches interrogent les liens entre comptences et technologies ducatives. Ses dernires publications : Mohib N. (d.) (2010), TIC et dveloppe-ment des comptences : quelles rciprocits ? Questions Vives, volume 7, numro 14, Aix en Provence, ditions En Question. Mohib N., Sonntag M., Werckmann F. (2010), Le tutorat mthodologique en cole ding-nieurs : pourquoi est-ce encore une bonne ide ? , Actes dAREF 2010, Genve.

    Dvelopper des comptences ou comment sengager dans lagir

    professionnel

    Najoua Mohib*

    Le dveloppement des comptences professionnelles est ici abord sous langle du pouvoir dagir, en confrontant des modles de formation issus de champs

    professionnels diffrents : enseignants, ingnieurs, compagnons.

    a nanmoins contribu faire voluer lappareil de formation. Sans aller jusqu considrer ce modle comme rvolutionnaire voire novateur (Livian & Terrenoire, 1995), des auteurs comme

    Lhistoire du travail montre que le systme traditionnel de production sest modi depuis une trentaine dan-nes. Face la ncessit de sadapter aux profondes mutations socio-conomiques, les entreprises privil-gient la mise en place dorganisations de travail favo-risant le renouvellement des comptences de leurs salaris. Lintroduction des TIC (Technologies de linformation et de la communication), la modi cation du statut du facteur humain ou encore la pression de lef cacit exigent de la formation quelle soit aussi professionnalisante que possible. Dans ce contexte, la question des comptences, comme ressources dvelopper et dont la valeur marchande ne peut plus tre nie, occupe une place centrale dans la concep-tion des espaces visant la transformation des sujets humains (Barbier, 2000).

    On peut dater aux annes 90 lmergence dun nouveau modle dans le champ de la formation professionnelle, qui concrtise la mise en place de pratiques de formation orientes vers la comptiti-vit et lemploi. Fortement controverse en raison de sa drive instrumentale, la logique comptence

  • 56 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    Dubar (1996), Dugu (1999), ou encore Paradeise et Lichtenberger (2001) reconnaissent quil implique la mise en uvre de nouvelles pratiques de formation. De ce point de vue, cette approche a ouvert le champ une srie de dmarches construites autour de lautono-misation du sujet sagissant du dveloppement de ses potentialits. Symbolise par le bilan de comptence, ou plus rcemment la VAE (Validation des acquis de lexprience), la logique comptence conduit inscrire lindividu dans une perspective de formation permanente, son initiative et sous sa responsabilit. En mme temps quils contribuent red nir la place du sujet dans la socit, les dispositifs de formation revendiquent un rapprochement avec le travail et reconnaissent limportance de lagir comme occa-sion dapprendre (Astier, 2009).

    Sur le plan de la recherche, deux types de travaux portant sur la problmatique du lien entre formation et comptence peuvent tre identi s. Les premiers, mens essentiellement dans le champ de la socio-logie et de la gestion, portent sur lanalyse de la logique comptence qui permet de penser le nouveau modle dorganisation apprenante (Dietrich, 1999 ; Dugu, 1994 ; Lichtenberger, 1999 ; Oiry & Iribarne (d), 2001). Une deuxime catgorie renvoie des recherches de type ducationiste qui tentent de comprendre comment sacquirent et se dveloppent les comptences (professionnelles, relationnelles, sociales, etc.) (Olry, 2003 ; Pastr, 1999 ; Wittorski, 1998). Notre recherche sur les actions de dvelop-pement des comptences professionnelles au sein de dispositifs visant professionnaliser des acteurs sinscrit dans cette seconde optique.

    Par rapport la plupart des travaux qui cherchent principalement identi er les savoirs mobiliss et combins dans laction ef cace (Rabardel & Six, 1995 ; Perrenoud, 2004), notre tude explore lenga-gement mme de lindividu dans laction. Certes, lorganisation dactivits de formation favorisant lacquisition des comptences professionnelles suppose quon [les] ait identi es et quon sache comment elles se construisent (Perrenoud et al., 1998). Cependant, dans la mesure o la comptence implique lengagement dun acteur dans une action reconnue ef cace, il importe dexaminer plus avant les processus luvre dans le passage de la prise de dcision vers la ralisation effective.

    Si la comptence est de toute vidence indissociable de laction, elle merge dun effort dadaptation aux contraintes dune situation dans laquelle lindi-vidu puise des ressources pour agir (Durand et al., 2002). Ainsi, il ne suf t pas de savoir ou de vouloir agir, il faut galement pouvoir agir, non pas au sens dtre autoris faire mais de sautoriser soi-mme agir. Cest cette dernire dimension, encore peu explore1, que sattache notre tude. Plutt que de nous centrer sur les facteurs cognitifs et motivation-nels, lexploration de ce qui permet lindividu de sengager dans laction nous parat constituer une piste particulirement intressante pour comprendre comment se construisent les comptences. Il sagit, dans le cadre de la prsente contribution, de mettre au jour ce qui favorise lengagement dans lagir profes-sionnel, tant du point de vue des acteurs qui conoivent et organisent les activits de formation, que du point de vue des acteurs engags eux-mmes dans cette dynamique. Pour ce faire, nous avons retenu trois espaces de formation affrents au systme ducatif au sein desquels la question du dveloppement des comptences professionnelles constitue une proccu-pation centrale : les IUFM (Instituts universitaires de formation des matres), les coles dingnieurs et la maison des compagnons du devoir.

    Dans un premier temps, nous prsenterons les logiques qui sous-tendent les activits de formation. Nous d nirons galement ici la notion de comptence professionnelle , que nous aborderons sous langle de lengagement dans lagir . Dans un deuxime temps, nous indiquerons le choix des terrains dinves-tigation et les modalits de collecte et danalyse des donnes. Dans un troisime temps, nous chercherons identi er les conditions qui favorisent lengage-ment dans lagir professionnel, telles quelles sont prvues et perues par linstitution mais aussi telles quelles sont vcues par les anciens stagiaires, avant de confronter lensemble des discours dans la dernire partie de ce texte. Les rsultats permettront de discuter la place de lAutre, et plus particulirement celle de laccompagnateur, lre du nouveau paradigme

    1 Dans une toute autre approche, le pouvoir dagir fait lobjet dun intrt particulier dans les champs de la clinique de lacti-vit et de la didactique professionnelle. Cf. Clot Y. (2008). Travail et pouvoir dagir, Paris, PUF ou encore Pastr P., Rabardel P. (2005), Modles du sujet pour la conception. Dialectiques activits dveloppement, Toulouse, Octars.

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 57

    social de lindividu acteur et auteur de sa propre vie (Wittorski, 2009).

    DVELOPPEMENT DES COMPTENCES PROFESSIONNELLES : UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA FORMATION

    Il est communment admis que les comptences professionnelles se dveloppent aussi bien en dehors que dans le cadre de la formation. Notre travail de recherche se rapporte prcisment au champ de la formation. Aprs une brve vocation du contexte dmergence des cultures du dveloppement des comptences (Barbier, 2009), nous prsenterons les grandes logiques qui traversent lensemble des espaces de formation (professionnel, social, ducatif). Sans chercher rendre compte de la diversit des dispo-sitifs de dveloppement des comptences profession-nelles, nous indiquerons trois orientations principales partir dune analyse des diffrentes formes dacti-vits de formation. Ces lments nous permettront daborder, la n de cette partie, la problmatique du dveloppement des comptences professionnelles sous langle de lengagement dans lagir.

    Pour une thorie de lacteur

    Depuis lavnement de la loi du 4 mai 2004, les programmes de formation professionnelle sont dsor-mais axs sur le dveloppement des comptences a n de contribuer au dveloppement culturel, cono-mique et la promotion sociale 2. Plus concrtement, les programmes dtudes professionnelles (initiales et continues) sont passs dune conception calque sur le systme scolaire une conception fonde sur une approche plus exible, articulant transmission des savoirs et construction des comptences. Dans ce cadre, les espaces de formation promeuvent lide dun apprenant devenu acteur de son savoir, de son projet professionnel et de sa formation. Autrement dit,

    2 Loi n 2004-391 du 4 mai 2004 relative la formation profes-sionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, publie au JO du 5 mai 2004.

    le dveloppement des comptences professionnelles serait le fait des sujets eux-mmes qui semparent des potentialits humaines ou matrielles de la situation, au gr dune r exion (individuelle et collective) sur lexprience. Ces dmarches ne sont pas complte-ment nouvelles. Elles sinscrivent dans un renouvelle-ment des thories sur lesquelles reposent les multiples formes de formation.

    Cependant, cette conception, qui sinspire dans une large mesure des apports thoriques dvelopps par Piaget et Vygotski, est lorigine dune nouvelle culture pdagogique dans le milieu de la formation professionnalisante. Plusieurs auteurs parlent ainsi dun nouveau paradigme de la formation 3 dont lun des signes les plus nets serait leffacement progressif de la logique enseignement sous la pousse dune logique apprentissage (Carr, 2005). Le para-digme de la construction 4, qui domine aujourdhui dans le champ de la formation, nexclut pas la forme transmissive du modle pdagogique. Il reconsidre simplement la position hgmonique de celle-ci et considre lacte dappendre comme une condition la fois suprieure lacte denseigner et ncessaire au dveloppement des comptences professionnelles du sujet : Le savoir ou le savoir-faire ne se dverse pas. Vous ne retenez pas ce que lon vous a enseign, mais ce que vous avez appris. (Albertini cit dans Carr, 2005)

    Dans ce nouveau paradigme, o le vocabulaire habi-tuellement employ pour dcrire les situations pda-gogiques sest lui-mme transform (Astol , 2003), il apparat que les mots comptence , profes-sionnel , et apprentissage sont devenus les concepts cls qui sous-tendent les systmes actuels de formation. Les formations professionnelles telles quelles sont labores, ces dernires annes, renvoient des dispositifs discontinus o le rapport au savoir

    3 Par exemple, (Baillauqus, 2001) ; (Carr, 2005) ; (Raucent & Vander Borght, 2006).4 Dans la plupart des pays occidentaux, les systmes de forma-tion (initiale et continue) sont passs dun modle centr sur la transmission des savoirs, o le rapport au savoir semble totalement mdiatis par le matre (Astol , 2003), un modle centr sur la construction des connaissances et le dveloppement des comp-tences qui reconnat la position active de lapprenant. Aujourdhui, les programmes dtudes professionnelles reposent sur lide que cest lapprentissage et non plus la transmission (envisage dsor-mais comme un acte de co-construction) qui cre les conditions ncessaires au dveloppement cognitif des individus.

  • 58 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    passe dabord par lapprenant, peru comme lacteur principal de sa formation, capable de saisir des oppor-tunits dapprentissage pour se construire. Considr jadis comme un modle imiter , laccompagna-teur (tuteur, conseiller, superviseur, facilitateur, guide, mdiateur ou plus gnralement une personne qui fait autorit) est devenu progressivement un appreneur actif dans la construction de la professionnalit des apprenants. Cest dans ce contexte que se dveloppent aujourdhui des nouvelles formes de formation arti-culant situations de travail et situations de formation en vue de favoriser la construction individuelle des comptences professionnelles.

    Trois faons denvisager le dveloppement des comptences professionnelles

    Le recours aux situations de travail dans les pratiques de formation nest pas rcent ; pourtant, cest sur cette conception que se fondent actuellement les programmes novateurs des dispositifs de dvelop-pement des comptences professionnelles. Pourquoi parle-t-on de nouvelles formes de formation alors que celles-ci ont toujours t centres sur lide dune adaptation lvolution des situations profession-nelles ? Pour Barbier (2001), le phnomne nouveau est ici ce que nous pourrions appeler le dveloppe-ment dune pression accrotre la cohrence entre formation et environnement daction . Autrement dit, quil sagisse de dmarches mises en uvre par des organisations, des entreprises ou encore des tablis-sements denseignement scolaire et suprieur, toutes tentent de prendre en compte la ralit des contextes de travail. Trois faons denvisager le dveloppement des comptences professionnelles semblent ainsi merger : des activits de formation qui slaborent partir des situations de travail (par ex. : analyse du travail, changes de pratiques, recherche-formation, etc.), dans des situations de travail (par ex. : coaching, mentoring, communaut de pratique, etc.) et en n par des mises en situation de travail (par ex. : simulation, stage, etc.).

    Former partir des situations de travail

    Dans ce type de formation conu partir des pratiques relles, lindividu est conduit non seulement

    explorer les lois de son action, cest--dire identi- er les rgles qui gouvernent ses actions, mais aussi dvelopper des stratgies pour faire face des situa-tions nouvelles. Cette conception repose sur lide que lactivit constitue la fois un objet dinvestigation et un outil de dveloppement au service de la formation. Le fait de critiquer, dobjectiver, dinterprter son propre vcu professionnel transformerait le savoir agir en pouvoir dagir. Au fond, la r exivit gnre partir dune mise en reprsentation (mentalisation) et dune mise en discours (formalisation) de lacti-vit (Barbier, 2009) favoriserait la construction des comptences professionnelles. Parmi les approches actuelles qui se dveloppent dans les diffrents champs de la formation, on pourra citer, entre autres, lanalyse du travail 5 ou encore lanalyse des pratiques professionnelles 6.

    Former dans les situations de travail

    La deuxime grande orientation concerne plutt le champ des organisations. Il sagit plus prcisment dactions de formation intgres aux activits de production. Elles sadressent des salaris ou des collectifs de travail runis au sein de groupes crs spci quement cette occasion. Lobjectif premier est loptimisation de la formation des individus a n damliorer lef cacit et la performance de lentre-prise ou lorganisation. Les groupes de progrs, le coaching, laction learning ou encore les cercles de qualit 7 reprsentent quelques-uns de ces dispositifs qui exploitent la capacit formative des situations de travail. Toutefois, au-del de leur intention performa-tive, ces dmarches intgres au travail prsentent galement des effets potentiellement formatifs pour

    5 Applique dans diffrents domaines professionnels, lanalyse du travail repose sur une mthode de recherche dveloppe en psycho-logie et ergonomie. Elle est notamment utilise comme un moyen pour placer lindividu en posture danalyse dans la perspective dune transformation de son rapport lactivit. Pour en savoir plus sur cette approche, cf. (Durand, 2009).6 De manire gnrale, lanalyse des pratiques professionnelles dsigne la fois une technique et un objectif. Elle vise, travers diffrentes modalits, la production des savoirs sur laction (fonc-tion thorique) et la professionnalisation des acteurs (fonction opratoire). Cette dmarche polyfonctionnelle est particulirement bien synthtise dans larticle de Marcel et al. (2002).7 Fonds sur des dmarches diffrentes, tous ces dispositifs reposent sur la mise en place de situations r exives individuelles et/ou collectives visant llaboration dun nouveau cadre de perception de lactivit a n dlargir les capacits daction de chaque individu.

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 59

    les individus dans la mesure o elles constituent un des moyens du processus dauto-transformation des comptences qu[ils mettent] en uvre (Barbier et al., 1996).

    Former par une mise en situation de travail

    En n, une troisime manire de former aux comp-tences professionnelles consiste concevoir les acti-vits de formation partir dune mise en situation de travail. Une telle con guration repose sur lide assez simple que lon peut se prparer une activit professionnelle en tant au contact de cette activit ou de son environnement. Ce nest ni sur les bancs de luniversit que le futur mdecin apprendra soigner des malades ni en se limitant des sminaires consa-crs aux thories de lapprentissage que le futur ensei-gnant parviendra grer sa classe. Concrtement, cette mise en situation de travail trouve son expres-sion dans plusieurs formules (simulation, conception et conduite de projet, etc.) dont la plus emblmatique est celle du stage, utilise initialement dans la forma-tion des apprentis et la formation continue des adultes (Pelpel, 2001). Sans faire linventaire des diffrents dispositifs, on retrouve l aussi bien les nouvelles formes d immersion (Barbier et al., 1996) mises en place dans les organisations de travail que les stages de spcialisation, par exemple, introduits plus rcemment dans le cadre des formations profession-nelles universitaires.

    Ainsi, les dispositifs de formation permettent de dve-lopper une vritable pense pour laction , travers les diffrents types de dmarches mises en place pour prendre en charge le dveloppement des comptences professionnelles. Plus quun simple rapprochement, il faut voir ici une vritable articulation de la relation travail-formation, favorise par les activits conues partir, dans et par la pratique.

    Aujourdhui, la formation comme espace intentionnel de professionnalisation des individus tente de dve-lopper lautonomie des apprenants. Ainsi, les prin-cipales modalits formatives que nous avons mises en vidence plus haut reposent sur linjonction la r exivit. Certes, apprendre observer, analyser ou r chir sur lagir professionnel permet de poser des actes ef caces, damliorer sa pratique, daugmenter son professionnalisme. Toutefois, la mise en uvre

    des connaissances pralables ne suf t pas pour dve-lopper des comptences professionnelles. Il ne suf t pas de savoir comment agir, ni mme de vouloir agir, il faut galement pouvoir agir. Aussi, quels sont les processus qui soutiennent lengagement de lindividu dans lagir professionnel orient vers lef cacit et la reconnaissance de lacte pos ? Il convient de prciser les termes de notre problmatique avant de prsenter le cadre de notre dmarche empirique.

    Le dveloppement des comptences professionnelles : prcisions conceptuelles et terminologiques

    Le dveloppement des comptences professionnelles suscite, aujourdhui, au mme titre que la question de leur valuation et de leur reconnaissance, un intrt majeur pour la recherche mene dans le champ de la formation des adultes. Pour rsumer, il existe deux manires daborder la question du dveloppement des comptences professionnelles. La premire consiste se demander comment se forment les comptences professionnelles (approche identitaire) ; dans la seconde, il sagit plutt de savoir comment former aux comptences professionnelles (approche instrumentale). Bien sr, les deux approches ne sont pas indpendantes ; lintrt de notre tude rside sans doute dans le lien quelle tente dtablir entre lanalyse, dune part, des modalits de formation qui organisent les actions de dveloppement des comp-tences professionnelles et, dautre part, des processus qui sous-tendent cette dynamique de construction individuelle.

    Jusqu prsent, lensemble des tudes qui cherchent saisir comment se dveloppent les comptences professionnelles aborde la question du point de vue de leffectuation de laction. Autrement dit, la compr-hension des phnomnes de formation des comp-tences passe par une analyse des stratgies mobilises dans et pour laction partir de laquelle soprent ces activits productives. Par exemple, il sagit de comprendre comment sorganisent les comptences produites dans le travail, comment crer un milieu et un environnement favorables lmergence des actions reconnues ef caces et comment concevoir des dispositifs de formation permettant lacquisition et le dveloppement des comptences professionnelles.

  • 60 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    Sans revenir sur lhistoire vive et polmique de cette notion8, qui dpasserait le cadre de cet article, nous retiendrons la d nition consensuelle que proposent Durat et Mohib (2008) de la comptence profession-nelle comme lensemble des ressources cognitives et affectives mobilises et combines par un individu pour agir de manire ef cace et lgitime dans une situation singulire . Dans cette optique, on ne peut pas se contenter de considrer la comptence, inscrite du ct de laction situe et ef cace, uniquement sous langle de laction effectue et russie, cest--dire de son rsultat. Certes, la comptence se manifeste dans laction (reconnaissance dun savoir faire en acte) et fait corps avec laction (routines, comptences incor-pores) mais elle sinvestit dabord pour laction conforme aux rgles de lart (mobilisation et ajuste-ment des comptences pour agir dans une situation donne). vrai dire, la comptence repose sur un double mouvement opratoire. En mme temps quelle se fonde sur la ralisation effective dune action ef -cace et lgitime, elle suppose un individu capable de sengager dans lagir professionnel. Lengagement est entendu ici au sens d acte de dcision , tandis que lagir professionnel peut tre d ni comme un faire ordonn qui renvoie un ensemble dactions potentielles conduites la fois en fonction des inten-tions ou des valeurs du praticien, des exigences de la pratique et des contraintes relevant du contexte. Il apparat ainsi que sengager dans lagir professionnel, cest accepter de compter avec lincertitude qui carac-trise, pour reprendre Schn (1994), toute pratique professionnelle .

    Dans la mesure o le dveloppement des comptences implique un mouvement de propulsion de soi dans laction, il importe den savoir plus sur ce qui favo-rise laccomplissement dun acte ef cace et lgitime. Notre angle dapproche est celui du pouvoir agir, et non pas du vouloir agir centr sur les facteurs moti-vationnels et qui est souvent privilgi dans le champ de la recherche pour aborder les questions dengage-ment individuel, voire collectif. Lobjectif de notre

    8 La notion de comptence a fait lobjet de nombreuses analyses dans des champs trs varis tels que la linguistique, le droit, la gestion, la psychologie, la formation, la sociologie Pour en savoir plus, cf. Aubret J., Gilbert P., Pigeyre F. (1993), Savoir et pouvoir : les comptences en questions, Paris, PUF ; Aubret J., Gilbert P. & Pigeyre F. (2002), Management des comptences : ralisations-concepts-analyses, Paris, Dunod.

    travail est dexplorer les conditions de dveloppe-ment des comptences professionnelles du point de vue de lengagement dans lagir, en nous focalisant la fois sur le processus (approche identitaire) et les modalits de formation (approche instrumentale). Notre hypothse est que pour sengager dans lagir professionnel, cest--dire tre capable dentreprendre une action incertaine qui ne produit pas toujours les effets escompts, lindividu doit se sentir autoris par une gure qui fait autorit pour lui. Selon nous, lacquisition des comptences professionnelles ne rsulte pas dune construction solipsiste. Cest pour-quoi nous accordons une place importante au rle des autres dans ce passage individuel de la prise de dci-sion vers la ralisation effective. Le prsent travail pourrait in ne contribuer spci er les modalits de construction des comptences et de leur gense.

    UNE APPROCHE QUALITATIVE

    Notre travail repose exclusivement sur des donnes qualitatives dans la mesure o nous nous intressons au sens que les individus accordent, selon le cas, leurs pratiques ou leurs manires dagir.

    Trois terrains dinvestigation

    Les terrains dinvestigation renvoient trois domaines diffrents de formation professionnelle de lespace ducatif (cf. tableau 1).

    Le premier se rapporte la formation dtudiants inscrits dans la dernire anne de leur cursus (5e anne denseignement suprieur) et prparant leur diplme dingnieur. La qualit des formations a toujours constitu une proccupation majeure des coles din-gnieurs ; cependant, rares sont les travaux de nature ducationiste qui portent sur ce milieu o la ques-tion de la confrontation la complexit de la ralit professionnelle demeure centrale.

    Le deuxime terrain concerne la formation des profes-seurs stagiaires des lyces et collges (PLC2) et des lyces professionnels (PLP2), organise par lIUFM. Lacuit du dbat sur la formation au mtier densei-gnant, la crise identitaire que traverse, depuis quelques annes, le milieu de lenseignement, ou encore les

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 61

    Tableau 1Caractristiques gnrales des dispositifs de formation

    Prsentation et contexte Objet dtude

    Instituts universitaires de formation des matres (IUFM)

    Mis en place en 1991 (sous la tutelle directe du ministre de lducation nationale), les IUFM ont chang de statut et sont devenus des coles internes de luniversit la suite de la loi dorientation et de programme pour lavenir de lcole de 2005. Dispositifs de formation professionnelle : initiale et continue Niveau de formation : Niveau I Bac + 5

    Anne de professionnalisation et de certi cation : 2e anne dIUFM (formation professionnelle initiale des enseignants). Acteurs institutionnels impliqus dans le dveloppement des comptences profes-sionnelles des professeurs stagiaires : directeur pdagogique, formateur/conseiller.

    cole dingnieurs (EI) Dispositifs de formation professionnelle : initiale et continue Niveau de formation : Niveau I Bac + 5.

    Anne de professionnalisation et de certi cation : 5e anne denseignement suprieur (formation professionnelle initiale des ingnieurs). Acteurs institutionnels impliqus dans le dveloppement des comptences profes-sionnelles des ingnieurs stagiaires : direc-teur pdagogique, tuteur (enseignant ou professionnel).

    Maison des compagnons du devoir (MCD)

    Ces maisons sont des lieux dhbergement, de formation et dchanges qui accueillent des jeunes (18-25 ans) se prparant devenir Compagnon. Dispositifs de formation professionnelle : initiale et continue Niveau de formation : Niveau V BEP et/ou CAP en 2 ou 3 ans.

    Anne de professionnalisation et de certi cation : CAP (certi cat daptitude professionnelle) mtiers de la construc-tion et mtiers de la mcanique . Double projet pdagogique et moral. Acteurs institutionnels impliqus dans le dveloppement des comptences professionnelles des apprentis : Prvt (Compagnon en n de Tour de France, gestionnaire de la MCD).

    Source : auteur.

    rcentes controverses dont font lobjet les IUFM avec la masterisation de la formation sont autant de raisons qui expliquent notre intrt pour ce dispositif.

    Le troisime terrain est relatif la formation des jeunes dispense dans les Maisons des compa-gnons du devoir (MCD) ; les modalits mises en uvre chez les compagnons9 inspirent, depuis

    9 Pour rsumer, le compagnonnage peut se d nir comme le fruit dune exprience professionnelle vcue corrlativement comme une exprience humaine o la quali cation vise nest pas seule-ment technique, mais aussi culturelle et morale. Cest autour de cet idal, portant le compagnonnage comme un esprit , que les Maisons du Compagnons du Devoir prnent encore aujourdhui un certain nombre de principes tels que la vie en communaut, le sens de la responsabilit, le dpassement de soi, la ert du mtier ou encore la passion du travail. Le lecteur dsireux den savoir plus sur ce sujet pourra se rfrer Gudez (1994) ; Bayard J.-P. (1978) ; De Castra B. (2008). Une bibliographie thmatise est galement disponible sur Internet : cf. Dusantra, P. (1998). Compagnonnage : que lire ? . Renaissance traditionnelle,

    quelques annes, aussi bien les milieux de lentreprise que ceux de lenseignement professionnel10. Souvent associ un groupement dhommes dont lorigine se perd dans la nuit des temps, le compagnonnage en France a pendant longtemps t tudi sous le seul angle historique, en grande partie cause de son rle dans les mouvements ouvriers franais. Pourtant, ds lorigine, la formation de lindividu reprsente le but ultime de cette organisation qui puise encore dans les traditions hrites du Moyen-ge.

    n 115/116, pp. 299-305 in http://www.renaissancetradition-nelle.org/2010/11/sommaire-des-articles-du-tome-29-1998.html [dernire consultation le 26/04/2011].10 Aux tats-Unis, par exemple, des enseignants-chercheurs travaillant dans des instituts technologiques multiplient les demandes dinformation auprs des actuels compagnons franais pour laborer sur le mme modle la formation de techniciens suprieurs et de cadres-ingnieurs Cf. (Mauris, 2001).

  • 62 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    Pour chaque dispositif, lexception de la MCD pour laquelle notre investigation sest limite une maison, nous avons retenu deux tablissements (cf. tableau 2) selon les critres suivants : Le premier critre renvoie la diversit des situa-

    tions de formation : la varit devait permettre de dgager des caractristiques communes, mais aussi des lments de diffrenciation des formes dengage-ment dans lagir professionnel. On y trouve en loc-currence des dispositifs relatifs aussi bien aux mtiers de lhumain quaux mtiers techniques, des espaces de formation professionnelle initiale et continue, des contextes de formation inscrits dans une histoire rcente ou au contraire plus ancienne, des terrains relevant du champ de lenseignement suprieur et de celui de la formation professionnelle. Le deuxime critre concerne la prsence dune

    intention dominante de transformation et de profes-sionnalisation des individus. En outre, tous les terrains choisis devaient prsenter des formes dacti-vits et des dmarches de formation articules la pratique et favorisant la construction des comptences professionnelles. Ont ainsi t retenus des dispositifs qui accordent une place privilgie lagir dans la formation des futurs professionnels. En n, la prsence des trois catgories dacteurs

    impliqus dans le processus de construction indivi-duelle des comptences professionnelles constitue le dernier lment de critrisation utilis dans le cadre de notre stratgie dchantillonnage. Sont concerns : les acteurs responsables de lorganisation et de la politique de formation des dispositifs dont dpen-dait laccs ces terrains (responsable pdagogique, directeur/trice des tudes) ; les acteurs dsigns par linstitution pour aider et soutenir les stagiaires dans leur confrontation avec le milieu de la pratique (tuteur/trice, formateur/trice, conseiller/re) ; les acteurs directement engags dans les processus qui soutiennent leur engagement dans lagir professionnel (stagiaire, jeune professionnel, no-titulaire).

    Le tableau 2 synthtise les caractristiques gn-rales pour chaque terrain visit au regard des critres ci-dessus11.

    11 Nous avons pris le parti de citer les terrains dinvestigation en tenant compte de leur localisation rgionale. Prcisons que le choix de la rgion ne constitue pas un lment de critrisation.

    Au fond, ce qui a guid le choix des terrains, cest limportance accorde aux actions de dveloppement des comptences professionnelles dans les dispositifs de formation. Dans notre approche, des lments tels que le niveau de quali cation, les modalits dorgani-sation propres chaque terrain ou encore la nature des comptences spci ques aux mtiers de lenseigne-ment (IUFM), lingnierie (EI) et la construction ou la mcanique (MCD) ne constituent pas des variables dterminantes.

    Recueil et analyse des donnes

    Deux modes de recueil de donnes ont t privil-gis. Nous avons, dans un premier temps, recherch des informations relatives au fonctionnement gnral des dispositifs partir de documents cls tels que les rglements pdagogiques et les plans de formation. Notre corpus comprend, au total, 12 documents dune cinquantaine de pages en moyenne. Concrtement, lanalyse de ces textes nous a permis de rendre compte des logiques qui sous-tendent les actions de dveloppement des comptences professionnelles et, notamment, des modalits pdagogiques institues pour favoriser lengagement des stagiaires dans lagir professionnel.

    Dans un deuxime temps, nous avons men 22 entre-tiens semi-directifs12 rpartis de la faon suivante : 8 avec d anciens stagiaires 13, 5 avec les respon-sables pdagogiques (directeurs/trice des tudes), et 9 avec les rfrents pdagogiques (tuteur, accompa-gnateur, conseiller, formateur/trice). Conscients du caractre prescriptif des documents pdagogiques, il

    12 Nos entretiens ont dur en moyenne 45 minutes, soit au total 16 heures denregistrements audio.13 Les anciens stagiaires dsignent ici des profession-nels qui exercent une pratique, en moyenne depuis 4 ans, dans le domaine de comptences vises par le diplme obtenu. Nous avons choisi de nous entretenir avec de jeunes praticien(ne)s plutt quavec des personnes en cours de formation. Il nous semblait en effet important danalyser lexprience dindividus engags en toute autonomie dans lagir professionnel et pouvant de ce fait apporter un regard distanci et suf samment critique sur leur formation initiale.

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 63

    Tableau 2Caractristiques gnrales des terrains dinvestigation

    Prsentation du terrain Critres de choix

    IUFM le de France Effectif (tudiants + stagiaires) : 5 500 Mise en place en 2001 dun dispositif daccompagnement de lentre dans le mtier destination des enseignants no-titulaires .

    Localis dans une des trois acadmies qui accueille plus de la moiti de ceux qui dbutent (1). Acadmie rpute pour ses zones dducation prioritaire. Importance accorde par la direction la problmatique de laccompagnement des enseignants.

    IUFM Rhne-Alpes Dveloppement, depuis 2002, dune politique de formation de professionnali-sation des enseignants (ex. dispositif dAccom-pagnement lEntre dans le Mtier, sances danalyse des pratiques professionnelles, etc.).

    Fait partie des trois tablissements qui ont ouvert titre exprimental en 1990 avant louverture gnralise des IUFM en 1991.

    EI le de France tablissement public caractre scienti que et culturel cre en 1972. 313 enseignants-chercheurs pour 3 200 tudiants, 500 ingnieurs diplms par an. Mise en place dun enseignement la carte : ce sont les tudiants qui composent eux-mmes leur propre parcours de formation en choisissant leurs enseignements.

    Plusieurs fois classe 2e cole gn-raliste dans le palmars des meilleures coles dingnieurs aprs le bac (2). Double statut drogatoire : cet tablissement fonctionne la fois comme une grande cole et comme une universit.

    EI Rhne-Alpes tablissement public cr en 1957 sous tutelle du ministre de lEnseignement Suprieur et de la Recherche. 516 professeurs permanents pour 4 106 tudiants. 900 ingnieurs diplms par an. admission 70 % au niveau Bac.

    Plusieurs fois classe 1re dans le palmars gnral au classement pdago-gique et au classement des coles les plus profesionnalisantes (3).

    MCD Alsace et Lorraine 36 professionnels au service des 192 jeunes (qui vivent sur place). 400 apprentis. 50 compagnons sdentaires (qui ont termin leur tour de France). Formation individuelle hors temps scolaire.

    Importance accorde par la direction aux questions de formation professionnelle et daccompagnement.

    Sigles : IUFM : Institut universitaire de formation des matres. EI : cole dingnieurs. MCD : Maison des compagnons du devoir.(1) Eveleigh H.,Villatte N. (ds) (2003), Premiers pas dans lenseignement . Cahiers pdagogiques, 418.(2) : Magazine Le Point (2004 2008)(3) : Ibid.

    Source : auteur.

    nous a sembl important dinterroger aussi bien les responsables pdagogiques de chaque dispositif que les personnes censes, pour reprendre les termes de la plupart des textes institutionnels, conseiller et soutenir les futurs professionnels. Par ailleurs, notre chantillon est non reprsentatif mais expressif dune diversit des regards, ncessaire la mise lpreuve de lhypothse. Notre dmarche visait en

    effet rechercher le sens confr au langage dans le contenu des expressions des locuteurs a n de mettre en lumire les systmes de reprsentations vhi-culs par leurs discours. En rsum, que disent-ils de ce quils font et de comment ils font pour engager (anciens stagiaires) ou favoriser (acteurs institution-nels) des actions ef caces et lgitimes ?

  • 64 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    Pour traiter les donnes, nous avons utilis une mthode danalyse de contenu. Il sagit didenti er, dune part, ce qui est mis en place par linstitution et, dautre part, ce qui est mis en uvre par lindividu pour dvelopper des comptences professionnelles. Plus prcisment, nous avons relev de manire systmatique lensemble des noncs voquant lide dengagement dans lagir professionnel. Nous avons ensuite procd un regroupement thmatique qui a permis de faire ressortir les trois catgories suivantes : les dterminants de lengagement dans lagir profes-sionnel, le rle des tuteurs dans le dveloppement du pouvoir dagir des apprenants et le modle de la formation aux comptences. Les caractristiques indi-viduelles des interviews telles que lge, le sexe ou encore la catgorie socioprofessionnelle nont pas t prises en compte. En effet, elles ne constituent pas ici des variables explicatives de lexpression du discours.

    PAROLES DACTEURS

    Les acteurs institutionnels

    Outre la diversit des domaines et des pratiques de formation, lanalyse des entretiens rvle une approche commune du dveloppement des comp-tences, organise autour de quatre modalits institu-tionnelles. Ces modalits se retrouvent aujourdhui dans la quasi-totalit des discours qui accompagnent lvolution des secteurs de notre vie (travail, emploi, sant ducation) : les mises en situation de responsa-bilit, linjonction la r exivit, laccompagnement et les incitations changer.

    Des mises en situation de responsabilit

    Le terme de responsabilit est un des mots les plus utiliss par les organisateurs des diffrentes formations professionnelles. Quil sagisse des textes institution-nels ou des discours produits par les directeurs des tudes, tous insistent sur cette notion aux contours thoriques plutt ous (Charbonneau & Estbe, 2001). Nous avons dnombr, au total, pas moins dune quarantaine dexpressions associes lide de responsabilit , comme en tmoignent les formu-lations suivantes : Faut les responsabiliser, cest

    tout (Prvt, MCD) ; La formation propose en deuxime anne sappuie sur cinq principes : placer le/la stagiaire en position dacteur responsable de sa formation (Plans de formation 2003-2006, IUFM Rhne-Alpes) ou encore Pour nous [lobjectif] cest de les rendre responsables, quils apprennent prendre en charge des projets (Directeur aux ensei-gnements et la pdagogie, EI Rhne-Alpes). Dun point de vue organisationnel, cette mise en situation de responsabilit des apprenants passe par lorgani-sation de stages, de projets, ou encore par lengage-ment associatif, fortement encourag dans les coles dingnieurs.

    Linjonction la r exivit

    Les r exions dcoulant de son exprience, lexplici-tation de sa pratique professionnelle ou encore lana-lyse distancie de son action situe et singulire constituent une autre dimension privilgie dans la formation des futurs professionnels la complexit de lagir. Responsables institutionnels et rfrents pda-gogiques sont unanimes quant au rle de la r exivit dans le dveloppement des comptences profession-nelles. Inciter les futurs professionnels r chir et analyser leurs actions constitue un autre moyen pour les apprenants de faire face aux dif cults quils rencontrent in situ. Par exemple, lIUFM, lanalyse des pratiques doit permettre aux jeunes enseignants de forger leur propre exprience en utilisant celle des plus expriments (Plans de formation 2003-2006, IUFM le de France). Des dispositifs pdagogiques sont galement prvus pour dvelopper la r exivit des futurs ingnieurs et des compagnons sous la forme de bilans : la n des deux semaines de formation, on fait un bilan, pour savoir o le jeune se positionne. Alors, a peut tre des bilans personnaliss, comme a peut tre des bilans en groupe (Prvt, MCD) ; [de retour de stage] on les amne se poser des questions sur la faon dont ils sont organiss, les problmes quils ont rencontrs. On les oblige se poser des questions (Directeur aux enseignements et la pdagogie, EI Rhne-Alpes).

    Laccompagnement

    Daprs la plupart des documents pdagogiques, ce sont principalement des fonctions daide et de conseil

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 65

    qui caractrisent le cur du travail daccompagne-ment. Ces rsultats trouvent un cho dans les discours des rfrents pdagogiques eux-mmes. Lorsque nous les avons interrogs sur leur rle, tous ont dabord mis en lumire leur fonction dorientation , dac-compagnement , ou encore de guidance . Deux formes daccompagnement se dgagent : le modle suivre ou le suiveur . Dans le premier cas, le stagiaire est accompagn par un rfrent qui va laider dans la matrise de situations complexes, notamment en le rassurant quant au bien-fond de sa faon dagir : Nous, on les met en con ance. Aprs on les aide. Si jamais cest pas russi, cest pas grave (Compagnon pltrier) ; () le bn ce que jen retire, cest de sentir que jai pu servir dappui quelquun qui va commencer enseigner, qui sest dit tiens, ah oui, je pourrais faire comme a parce quelle fait comme a (Tutrice, IUFM le de France). Dans le second cas, le futur professionnel sera suivi par un accompa-gnateur davantage proccup par la transmission des savoirs formels on leur transmet des notions trs pointues () ce quon essaie de leur apporter, cest un niveau thorique le plus haut possible pour quils puissent vivre avec ce quils ont appris le plus long-temps possible (Enseignant-tuteur, EI Rhne-Alpes) ou encore le suivi administratif des apprenants que par lengagement des stagiaires dans lagir professionnel : Le rle consiste rcuprer des rapports () on a des ches de suivi, des ches avec lesquelles on communique avec les tudiants qui sont en stage (.) notre rle, cest vraiment de suivre. (Enseignant-suiveur, EI le de France)

    Les changes

    Tous les responsables pdagogiques que nous avons interrogs ont dclar que les changes constituaient un lment primordial dans la formation des futurs professionnels. Tous nous expliquent quil faut inciter les stagiaires changer, les faire parler entre eux, voire avec dautres personnes que celles qui sont prvues institutionnellement. Cest dans cette perspective que des rencontres informelles entre pairs sont favorises : Lintrt entre pairs cest quils changent entre eux et se rendent comptent, en premire anne en particu-lier, quils ne sont pas seuls face leurs dif cults et que ce nest pas qua eux que a arrive (Directrice adjointe, IUFM Rhne-Alpes) ; [ds leur retour

    de stage], on amne les tudiants partager leurs expriences, les faire parler de ce quils ont vcu, comparer les diffrents systmes de relation quils ont pu avoir dans les entreprises des uns et des autres. (Directeur de la formation, EI le de France)

    Les anciens stagiaires

    Quil sagisse dactivits techniques ou humaines, trois facteurs semblent favoriser lengagement des anciens stagiaires dans lagir professionnel : la con ance et mise en con ance en soi, lexprience et le besoin de reconnaissance ou la qute de lgitimit.

    La con ance et la mise en con ance en soi

    Le thme de la con ance, entendue ici comme un sentiment dassurance quant sa capacit faire face aux diffrentes circonstances de la vie, est rcurrent chez les professionnels interrogs. Les travaux de Bandura (2003), mens dans le champ de la psycho-logie sociocognitive, ont montr que croire que lon peut modi er le cours de sa vie ou produire des effets sur son environnement augmente le niveau de pouvoir sur ses actions. Autrement dit, pour entreprendre une action, il faut dabord croire que lon est capable de laccomplir. Cest dans ce sens que la quasi-totalit des anciens stagiaires se sont exprims. Cependant, il convient doprer une distinction entre la con ance en soi de lordre de laptitude personnelle : () je pense que cest parce quon a con ance en soi quon peut les prendre (les dcisions importantes) et quon arrive se lancer [dans lagir profes-sionnel]. (Professeure dhistoire-gographie, IUFM le de France) et la mise en con ance en soi qui renvoie plutt une instance extrieure : Quand on te met en con ance, a va mieux () Moi, je suis un gars vraiment pas sr de moi () aprs faut se lancer ! Cest comme a quon se lance ! (Pltrier, MCD). A lorigine, je suis quelquun qui a assez con ance en moi mais ils [les formateurs de lIUFM] nous ont vraiment donn con ance en nous mais donn con ance dans le sens ou ils nous donnaient les moyens de bien faire notre travail et cest ce qui nous met en con ance [pour agir] (Professeure dhistoire-gographie, IUFM le de France).

  • 66 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    Lexprience

    La plupart des anciens stagiaires rencontrs recon-naissent lexprience professionnelle comme un autre lment essentiel du passage laction. Selon eux, le recours leurs acquis antrieurs leur permet-trait de se sentir prts affronter des situations dif ciles sans craindre les risques. Sur ce point, de nombreux travaux se sont dj intresss au rle de lexprience dans le dveloppement cognitif des indi-vidus. Ils montrent que la rptition dexpriences de mme nature gnre des savoirs faire stabiliss. En se confrontant des problmes jugs analogues, le travailleur acquiert certains automatismes qui lui permettent dadopter des solutions ef caces et dan-ticiper par rapport son action (Bonvalot, 1989). Ainsi, en r chissant sur leurs expriences ant-rieures, les anciens stagiaires ne sont pas seulement amens modi er leurs pratiques en vue dacqurir de nouveaux savoirs faire et comment faire , mais galement dvelopper leur pouvoir dagir . [Ce qui maide le mieux prendre des risques] cest lexprience () je fais souvent une rtrospective en me disant jai dj fait quelque chose qui ressemblait a puis jessaie de me souvenir comment je lavais fait, quels moyens javais pris pour le faire et puis je le fais ! (Mcanicien, MCD).

    Le besoin de reconnaissance ou la qute de lgitimit

    Tous les anciens stagiaires rencontrs ont exprim, de faon unanime, la qute de lgitimit comme un lment dterminant de leur engagement dans lagir incertain. Si le sujet individuel se considre souvent comme la cause de sa propre action (Barbier, 2000), les acteurs interrogs reconnaissent leur besoin de se rfrer autrui pour agir lorsquils sont confronts des situations complexes. Au-del dun simple retour r exif ou dune rencontre opportune favorisant la mise en discours de leurs actions, il semble que ces changes apportent avant tout une forme de soutien, voire de rconfort.

    Nous avons identi trois catgories de rfrents auprs desquels les anciens stagiaires sautorisent pour sengager dans lagir professionnel : les collgues de travail, les pairs (membres du groupe de formation de linstitution dorigine) et moins largement la gure

    dautorit (un ancien stagiaire sur deux a dclar stre rfr lun de ses formateurs ou patrons pour dvelopper son pouvoir dagir). Dans tous les cas, ce mode de dsignation relve dun processus indi-viduel spontan et repose sur des critres purement subjectifs.

    Deux critres ont ainsi pu tre mis en vidence dans notre tude : la dimension affective de la relation lautre et le partage dune vision du monde. Les anciens stagiaires interrogs recherchent une forme dautorisation, soit auprs des personnes avec qui ils sentendent bien : Quand jai un problme, jappelle quelquun que je connais, qui a ni son tour, qui est sdentaire on appelle a un Compagnon sden-taire avec qui je mentends bien (Pltrier, MCD) soit auprs de celles qui partagent les mmes concep-tions et les mmes faons de faire : Laf nit cest vident que a joue, il y a des profs qui ont les mmes mthodes que moi et je sais quils pourront map-porter des conseils intressants (Professeure dhis-toire-gographie, IUFM le de France). Ces personnes peuvent bien sr tre plus exprimentes, mais ce critre ne constitue pas une condition ncessaire. La lgitimit des rfrents ne sappuie pas forcment sur un indicateur de reconnaissance sociale (comptence, niveau dexprience, statut social, etc.). a peut-tre nimporte qui dans le groupe (...) mme des fois des plus jeunes (Mcanicien, MCD).

    Regards croiss dacteurs

    Il est intressant de croiser les regards des acteurs institutionnels et des anciens stagiaires, comme nous le proposons dans le tableau 3, qui indique comment nous regroupons les rsultats prsents prcdem-ment. Ainsi, les dterminants de lengagement dans lagir professionnel tiennent deux lments :

    lautonomie encourage par les acteurs institu-tionnels et revendique par les anciens stagiaires. On retrouve l le modle dominant de lindividu r exif et rationnel qui est mis en avant tous les niveaux de la vie sociale.

    laide la gestion de lincertitude de laction travers des interactions sociales plus ou moins orga-nises du ct institutionnel, sollicites du ct des anciens stagiaires.

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 67

    Tableau 3Dterminants de lengagement dans lagir : regards croiss

    Acteurs institutionnels Anciens stagiaires

    Autonomie Mise en situation de responsabilit Con ance et mise en con ance

    R exivit Exprience

    Aide la gestion de lincertitude de laction

    Accompagnement (tuteurs, suiveurs, conseillers)

    Besoin de reconnaissance ou qute de lgitimit

    changes non formaliss (pairs, professionnels)

    Source : auteur.

    Pour revenir notre hypothse, ce travail montre que les formes de lgitimation dans lesquelles sancre la dcision dagir renvoient davantage une qute de socialisation et de reconnaissance par les autres qu une personne rfrente pour lindividu. Autrement dit, pour sengager dans lagir professionnel, lindividu a besoin de se sentir autoris par un groupe auquel il se rfre plus qu une gure qui fait autorit pour lui.

    Au-del de lide que les jeunes professionnels ont besoin dtre rassurs et de sentir quils ne sont pas les seuls vivre des dif cults, nous retiendrons que les anciens stagiaires que nous avons rencontrs sinscri-vent tous dans une qute de lgitimit. Ce rsultat est intressant pour deux raisons :

    il permet de relativiser limage du nouvel indi-vidu daujourdhui valoris, souple, mobile, auto-nome, indpendant, [qui] trouve par lui-mme ses repres dans lexistence et se ralise par son action personnelle (Ehrenberg, 1991) ;

    la rfrence au groupe illustre bien ce passage dune socit des pres une socit des ans quvoque Boutinet dans un entretien rcent sur les problma-tiques que soulve le recours laccompagnement aujourdhui (Bourdoncle et Gonnin-Bolo, 2009).

    Pourtant, les institutions persistent ( lexception de la MCD) accorder une place privilgie laccom-pagnateur, au dtriment du groupe informel dont le rle est unanimement reconnu dans le dveloppe-ment du pouvoir dagir des stagiaires : Pour mener bien [son] travail, chaque stagiaire est aid par un conseiller pdagogique (Livret du conseiller pdagogique, IUFM le de France) ; On attache beaucoup dimportance laspect suivi avec diffrents moyens, avec visite () avec suivi lectro-

    nique aussi (Directeur aux enseignements et la pdagogie, EI Rhne-Alpes). Que faut-il lire dans ce maintien dune gure fragilise dans une socit en d cit dautorit ? La simple reconnaissance dune autorit fonde sur la comptence de son dtenteur ? Le renforcement dune tension entre laide la gestion de lincertitude de laction et linjonction lauto-nomie ? Certains rfrents pdagogiques considrent, par exemple, quils nont aucun impact sur la capacit sengager de leurs stagiaires : Non, moi je nin-terviens jamais pour aider le stagiaire [ sengager dans lagir professionnel], jinterviens pour donner conseil. (Enseignant-suiveur, EI le de France)

    Dans tous les cas, sil faut accompagner les stagiaires, il faut surtout les responsabiliser, nous con ent les personnes charges de lorganisation de la formation. On ne peut sempcher ici de faire un rapprochement avec les transformations actuelles lies la gnrali-sation des valeurs de lautonomie tous les niveaux de la socit individualiste (cole, sant, travail). Dune certaine manire, cette injonction la respon-sabilit semble contradictoire si lon considre que lautonomie est la fois une condition et une vise de la formation professionnelle.

    Notre travail rvle que cette responsabilisation des acteurs passe par lorganisation de stages, le dve-loppement de projets collectifs ou individuels qui supposent dj une autonomisation des individus eux-mmes, comme en tmoignent les propos suivants : Les gens (les tudiants) doivent tre autonomes, ds quils rentrent ici [en cole dingnieurs] il faut quils soient autonomes une personne non auto-nome na quasiment aucune chance darriver en cinquime anne () cest normal dtre autonome,

  • 68 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    cest une condition ncessaire. (Enseignant-tuteur, EI Rhne-Alpes)

    cet gard, les anciens stagiaires peinaient formuler leur besoin de reconnaissance pour dvelopper leur pouvoir dagir. les couter, il semble plus facile de parler du sens que lon donne ce quon fait, de dire comment on sy prend pour russir, mais rvler ce qui permet doser faire laisse perplexe tous ceux que nous avons interrogs. Pour celui qui fait et qui agit , il apparat dif cile dexpliquer comment il sautorise se lancer dans telle direction plutt que dans une autre ou encore de dcrire ce qui lui permet de dpasser ses craintes et ses hsitations lies au caractre imprvisible de laction. Sans doute quune telle rvlation peut tre considre comme le signe dune faiblesse une poque o il faut sans cesse prouver son ef cacit et sa capacit dominer toute situation nouvelle. Un des ingnieurs diplm de lEI Rhnes Alpes a rpondu que le fait de se rfrer ses collgues navait rien voir avec le besoin dtre rassur mais que ctait un moyen de combler les 10 % de lacunes quun jeune professionnel peut avoir.

    * **

    Au terme de cette analyse, soulignons que la question de lengagement dans lagir professionnel a suscit un grand intrt de la part des acteurs institutionnels interrogs. En effet, elle constitue pour eux une proc-cupation majeure, notamment pour les organisateurs des formations. Toutefois, les interviews nont pas rpondu aisment nos questions. Il a fallu sans cesse reprendre certaines de nos questions et les reformuler tout en les adaptant linterlocuteur. L o les mots problme , responsabilit , travail prenaient tout leurs sens, ceux d engagement ou encore d agir professionnel sont apparus droutants. La confusion entre pouvoir agir et vouloir agir , labsence dun rfrentiel langagier commun concer-nant lagir professionnel, dj signal par Barbier (2000), sont dautres lments qui tmoignent de la complexit mme de lobjet tudi.

    Sajoutent ces dif cults des limites mthodolo-giques et thoriques que nous souhaitons prciser : Limites mthodologiques car malgr la richesse des

    informations obtenues, lie la souplesse mme de la

    mthode, nous regrettons labsence dobservations de mise en situation relle des acteurs qui auraient permis den dire plus sur les conditions de lengagement dans lagir professionnel. Nous avons galement fait le choix dune approche analytique en nous centrant sur le rle des acteurs, sans tenir compte des donnes personnelles des individus ni mme de la spci cit des terrains et des mtiers prpars. De telles donnes permettraient sans doute danalyser plus nement les modalits de cette qute de lgitimit que nous avons mise en vidence.

    Limites thoriques galement puisque le cadre que nous avons retenu pour apprhender le modle de dveloppement des comptences professionnelles ignore les dimensions du savoir et du vouloir agir. Labsence de liens entre cognition, affect, objectif et action laisse penser que ce modle danalyse est rduit, voire trop rduit. En mme temps, pour reprendre Astol (2003), nest-ce pas le propre de toute activit modlisante que de simpli er lobjet pour mieux lanalyser, ds lors quon ne prend pas le modle pour la ralit ?

    Lintrt principal de cette recherche tient dabord son objet dtude. La question du dveloppement des comptences professionnelles sous langle du pouvoir dagir est peu explore ; la plupart des tudes restent centres sur les capacits disciplinaires ou sur ce que Le Boterf (1994) et Perrenoud (2000) appellent les ressources cognitives .

    Une autre originalit de ce travail est de confronter des modles de formation qui relvent de champs professionnels diffrents (enseignants, ingnieurs, compagnons) et habituellement analyss de manire indpendante. Au fond, ce qui est spci que chacun de ces espaces de formation, cest lagir professionnel et non pas lengagement dans lagir. Dans une culture de lacteur, nous faisons lhypothse que lindividu a besoin de se sentir autoris par un groupe auquel il se rfre plus qu une gure qui fait autorit pour lui. Ds lors, nest-ce pas le modle dominant du dve-loppement des comptences qui soutiendrait la perte de lgitimit de laccompagnateur institutionnel au pro t dun accompagnement collectif par le groupe ? Aujourdhui, les bn ces de ces interactions sociales sont reconnus sagissant de lapprentissage. Quen est-il de leurs apports sur le dveloppement de cette capacit sengager dans lagir ? Cest une remise en

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 69

    perspective de la nalit de la formation profession-nelle, on napprend pas seul, on ne se forme pas seul

    mais on agit par soi-mme , que cette recherche nous invite raliser.

    Bibliographie

    Astier P. (2009), Travail et formation in Barbier J.-M., Bourgeois E., Chapelle G., Ruanao-Borbalan J.-C. (ds), Encyclopdie de la formation, Paris, PUF, pp. 733-748.

    Astol P. (2003), ducation et formation : nouvelles questions, nouveaux mtiers, Paris, ESF.

    Baillauqus S. (d.) (2001), La personnalisation dune formation professionnelle. Le cas des profes-seurs des coles, Paris, INRP.

    Bandura A. (2003), Auto-ef cacit : le sentiment def cacit personnelle, Paris, De Boeck.

    Barbier J.-M. (2000), Lanalyse de la singularit de laction, Paris, PUF.

    Barbier J.-M. (2001), La formation des adultes : crise et recomposition in CNA-Centre de recherche sur la formation (d.), Questions de recherches en ducation 2 Action et identit, Paris, INRP, pp. 11-25.

    Barbier J.-M. (2009), Le champ de la formation des adultes , in Barbier J.-M., Bourgeois E., Chapelle G., Ruanao-Borbalan J.-C. (ds), Encyclopdie de la formation Paris, PUF, pp. 1-28.

    Barbier J.-M., Berton F., Boru J.-J. (1996), Situations de travail et formation, Paris, LHarmattan.

    Bayard J.-P. (1978), Le compagnonnage en France, Paris, Payot.

    Bonvalot G. (1989), Lentreprise, espace de formation exprientielle , ducation permanente (100/101), pp. 51-160.

    Bourdoncle R., Gonnin-Bolo A. (2009), Entretien avec Jean-Pierre Boutinet , Recherche et Formation, 62, pp. 109-124.

    Carr P. (2005), Lapprenance : vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod.

    Charbonneau J., Estbe P. (2001), Entre lenga-gement et lobligation : lappel la responsabilit lordre du jour , Liens social et politiques, 46. Repr http://www.erudit.org/revue/lsp/2001/v/n46/000319ar.pdf

    De Castra B. (2008), Le compagnonnage : culture ouvrire, Paris, PUF.

    Dietrich A. (1999), La dynamique des comp-tences, point aveugle des techniques managriales , Formation Emploi, 67, pp. 9-23.

    Dubar C. (1996), La sociologie du travail face la quali cation et la comptence , Sociologie du travail, 2, pp. 179-193.

    Dugu E. (1994), La gestion des comptences : les savoirs dvalus, le pouvoir occult , Sociologie du travail, (3), pp. 273-292.

    Dugu E. (1999), La logique de la comptence : le retour du pass , ducation permanente 140, pp. 7-18.

    Durand M. (2009), Analyse du travail dans une vise de formation : cadres thoriques, mthodes et concep-tions in Barbier J.-M., Bourgeois E., Chapelle G., Ruanao-Borbalan J.-C. (ds), Encyclopdie de la formation, Paris, PUF, pp. 827-856.

  • 70 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI

    Durand M., Sve C., Saury J. & Theureau J. (2002), La construction de connaissances chez des sportifs de haut niveau lors dune interaction comptitive , Le travail humain, 2(65), pp. 159-190.

    Durat L., Mohib N. (2008), Le dveloppement des comptences au regard de lengagement dans lagir professionnel , Questions Vives, 10, pp. 25-41.

    Ehrenberg A. (1991). Le Culte de la performance, Paris, Calmann-Lvy.

    Gudez A. (1994), Compagnonnage et apprentis-sage , Paris, PUF.

    Le Boterf G. (1994), De la comptence : essai sur un attracteur trange , Paris, ditions dorganisation.

    Lichtenberger Y. (1999), Comptence, organisa-tion du travail et confrontation sociale , Formation Emploi, 67, pp. 93-109.

    Livian Y.-F., Terrenoire J. (1995), Les entreprises face aux exigences de la gestion des comptences , Personnel, 361, pp. 59-61.

    Marcel J.-F., Orly P., Rothier-Bautzer E., Sonntag M. (2002), Les pratiques comme objet danalyse , Revue franaise de pdagogie, 138, pp. 135-170.

    Mauris F. (2001), Dispositifs de compagnon-nage pour dvelopper les comptences techniques en situation de travail , Actualit de la formation permanente, 170, pp. 50-54.

    Oiry E. & Iribarne (d) A. (2001), La notion de comptence : continuit et changements par rapport la notion de quali cation , Sociologie du travail. 43(1), pp. 49-66.

    Olry P. (2003), Organisation du soin et dveloppe-ment des comptences : contribution la profession-nalisation en masso-kinsithrapie , Les sciences de lducation Pour lre nouvelle, 36(2), pp. 91-105.

    Paradeise C., Lichtenberger Y. (2001), Comptence, comptences , Sociologie du travail, 43(1), pp. 33-48.

    Pastr P. (1999), Travail et comptences : un point de vue de didacticien , Formation Emploi 67, pp. 109-125.

    Pelpel P. (2001), Apprendre et faire. Vers une pist-mologie de la pratique ?, Paris, LHarmattan.

    Perrenoud P. (2004), Dix nouvelles comptences pour enseigner : invitation au voyage, Paris, ESF.

    Perrenoud P. (2000), Lapproche par comp-tences : une rponse lchec scolaire ? AQPC Russir au collgial. Communication prsente aux Actes du Colloque de lassociation de pdagogie collgiale, Montral, Canada. Repr http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2000/2000_22.html

    Perrenoud P., Altet M., Charlier E., Paquay Y.-L. (1998), Fcondes incertitudes ou comment former des enseignants avant davoir toutes les rponses ? in Paquay L., Altet M., Charlier E., Perrenoud P. (ds), Former des enseignants professionnels : quelles stratgies ?, Quelles comptences ?, Bruxelles, De Boeck, pp. 239-253.

    Rabardel P., Six B. (1995), Outiller les acteurs de la formation pour le dveloppement des comptences au travail , ducation permanente, 123, pp. 33-43.

    Raucent B., Vander Borght C. (ds) (2006), tre enseignant : Magister ? Metteur en scne ? Bruxelles, De Boeck.

    Schn R. (1994), Le praticien r exif : la recherche du savoir cach dans lagir professionnel, Montral, ditions Logiques.

    Wittorski R. (1998), De la fabrication des comp-tences , ducation permanente, 2(135), pp. 57-69.

    Wittorski R. (2009), A propos de la professionnali-sation in Barbier J.-M., Bourgeois E., Chapelle G., Ruanao-Borbalan J.-C. (ds), Encyclopdie de la formation, pp. 781-792, Paris, PUF.

  • 2011 - N 114 FORMATION EMPLOI 71

    RsumDvelopper des comptences ou comment sengager dans lagir professionnel

    Najoua Mohib

    Issu dune recherche en sciences de lducation, cet article analyse le dveloppement des comptences professionnelles dans des dispositifs de formation visant professionnaliser des stagiaires. Trois types despaces ont t investigus : la Maison des compagnons du devoir, les IUFM (Instituts universitaires de formation des matres) et les coles dingnieurs. Plutt que daborder le dveloppement des comp-tences du point de vue de leffectuation de laction, celui-ci est explor sous langle du passage laction. Dans la mesure o la comptence suppose lengagement dun individu dans lagir, il importe dexplorer les modalits de formation et les processus qui soutiennent cet engagement. Alors que les discours institutionnels insistent sur la capacit agir par soi-mme, les anciens stagiaires (jeunes professionnels) expriment leur besoin de reconnaissance par les autres plutt que par une gure dautorit.

    Mots cls

    Comptence, savoir professionnel, stagiaire, processus dapprentissage

    Journal of Economic Literature : J 24