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Tenezakis Xenophon Les droits sociaux accordés par la citoyenneté sont ils inconditionnels? La citoyenneté européenne a été mise en place par le traité de Maastricht de 1993; l'article 20 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne dispose ainsi qu'il "est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas." Or en droit citoyenneté et nationalité se confondent ; la nationalité est le statut de base sous lequel une personne physique peut exercer les droits du citoyen, notion politique avant tout, qui implique l'exercice de droits politiques. Il en est ainsi en droit international: la Cour Internationale de Justice a défini la nationalité dans l'arrêt Nottebohm de 1955 comme "un lien juridique ayant pour fondement un fait social d'attachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts et de sentiments, jointe à une réciprocité de droits et de devoirs", ce qui inclut l'exercice de droits politiques. Or la construction européenne n'impliquait pas à l'origine de citoyenneté liée à des droits, mais seulement des libertés dont ses opérateurs économiques puissent faire usage, en ce que ces libertés permettraient la création d'un marché intérieur. L'approfondissement de cette construction, liée à la volonté d'aboutir à une solidarité de fait entre Etats, a mené à l'instauration de cette citoyenneté. La question des droits sociaux concerne en particulier les droits liés à l'institution de l'Etat- providence, et qui participent de la solidarité effective d'existence constitutive de la nationalité. Ils consistent en la mutualisation de certains risques inhérents à la vie en société, et impliquent la mise en oeuvre d'une redistribution des revenus, afin de garantir des conditions de vie acceptables à chacun, et en particulier à ceux qui ne sont pas en position d'y subvenir par eux mêmes, par le reversement en particulier de prestations et allocations monétaires. Chacun en fonction de ses besoins bénéficie de ces droits sociaux à l'intérieur de l'Etat dont il est le ressortissant. Mais qu'en est il du cas ou un citoyen européen fait usage de la liberté de circulation et de séjour que lui garantit l'art. 20 § 2 du TFUE? Dans une telle situation, le droit communautaire s'applique, en vertu de l'existence d'un élément d'extranéité, qui correspond au champ d'application ratione personae du droit communautaire. Quant au champ ratione materie, il couvre surtout les droits liés à la libre circulation des travailleurs, mais il comporte aussi des provisions liées aux non actifs, à l'éducation et à la formation professionnelle. C'est l'élargissement des droits des travailleurs aux non actifs qui pose en particulier problème. Une fois que le champ d'applicabilité de la citoyenneté est rempli, dans quelle mesure un ressortissant d'un Etat-membre bénéficiant de ce statut et séjournant dans un autre Etat membre peut il se prévaloir de droits accordés en principe aux nationaux? C'est le sens de l'inconditionnalité ici; il s'agit de voir si la citoyenneté européenne, lorsqu'elle s'applique et dans son champ d'application, accorde des droits sociaux au ressortissant européen dans les mêmes conditions et avec la même aisance que pour le citoyen national. On verra dans un premier temps que les droits sociaux sont dans une certaine mesure accordés dans les mêmes conditions qu'aux ressortissants de l'Etat d'accueil ( I), pour autant que l'exigence d'un séjour légal du citoyen soit remplie (II).

Dissertation sur les droits sociaux du citoyen européen

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C'est une dissertation de droit communautaire portant sur les evolutions recentes en matière de droits du citoyen européen, dont il beneficie en raison de l'égalité de traitement.

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Page 1: Dissertation sur les droits sociaux du citoyen européen

Tenezakis Xenophon

Les droits sociaux accordés par la citoyenneté sont ils inconditionnels?

La citoyenneté européenne a été mise en place par le traité de Maastricht de 1993; l'article 20 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne dispose ainsi qu'il "est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas." Or en droit citoyenneté et nationalité se confondent ; la nationalité est le statut de base sous lequel une personne physique peut exercer les droits du citoyen, notion politique avant tout, qui implique l'exercice de droits politiques. Il en est ainsi en droit international: la Cour Internationale de Justice a défini la nationalité dans l'arrêt Nottebohm de 1955 comme "un lien juridique ayant pour fondement un fait social d'attachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts et de sentiments, jointe à une réciprocité de droits et de devoirs", ce qui inclut l'exercice de droits politiques. Or la construction européenne n'impliquait pas à l'origine de citoyenneté liée à des droits, mais seulement des libertés dont ses opérateurs économiques puissent faire usage, en ce que ces libertés permettraient la création d'un marché intérieur. L'approfondissement de cette construction, liée à la volonté d'aboutir à une solidarité de fait entre Etats, a mené à l'instauration de cette citoyenneté. La question des droits sociaux concerne en particulier les droits liés à l'institution de l'Etat-providence, et qui participent de la solidarité effective d'existence constitutive de la nationalité. Ils consistent en la mutualisation de certains risques inhérents à la vie en société, et impliquent la mise en oeuvre d'une redistribution des revenus, afin de garantir des conditions de vie acceptables à chacun, et en particulier à ceux qui ne sont pas en position d'y subvenir par eux mêmes, par le reversement en particulier de prestations et allocations monétaires. Chacun en fonction de ses besoins bénéficie de ces droits sociaux à l'intérieur de l'Etat dont il est le ressortissant. Mais qu'en est il du cas ou un citoyen européen fait usage de la liberté de circulation et de séjour que lui garantit l'art. 20 § 2 du TFUE? Dans une telle situation, le droit communautaire s'applique, en vertu de l'existence d'un élément d'extranéité, qui correspond au champ d'application ratione personae du droit communautaire. Quant au champ ratione materie, il couvre surtout les droits liés à la libre circulation des travailleurs, mais il comporte aussi des provisions liées aux non actifs, à l'éducation et à la formation professionnelle. C'est l'élargissement des droits des travailleurs aux non actifs qui pose en particulier problème. Une fois que le champ d'applicabilité de la citoyenneté est rempli, dans quelle mesure un ressortissant d'un Etat-membre bénéficiant de ce statut et séjournant dans un autre Etat membre peut il se prévaloir de droits accordés en principe aux nationaux? C'est le sens de l'inconditionnalité ici; il s'agit de voir si la citoyenneté européenne, lorsqu'elle s'applique et dans son champ d'application, accorde des droits sociaux au ressortissant européen dans les mêmes conditions et avec la même aisance que pour le citoyen national. On verra dans un premier temps que les droits sociaux sont dans une certaine mesure accordés dans les mêmes conditions qu'aux ressortissants de l'Etat d'accueil (I), pour autant que l'exigence d'un séjour légal du citoyen soit remplie (II).

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I. Des droits sociaux accordés en principe dans les mêmes conditions qu'aux ressortissants de l'Etat d'accueil

En principe les citoyens européens séjournant légalement dans un Etat membre autre que leur Etat d'origine bénéficient d'une interdiction des discriminations en la matière (A). Toutefois l'Etat peut poser des limites justifiables à la portée desdits droits sociaux(B).

A. La prohibition des discriminations

Le statut de citoyen permet en particulier à des catégories non actives économiquement de se prévaloir de droits autrement réservés à des opérateurs économiques, en particulier aux travailleurs, sur la base du règlement 1612/68 ; pour ce qui nous concerne, de l'égalité de traitement. Ce qui implique que l'Etat n'a pas le droit d'imposer un traitement moins favorable aux ressortissants européens bénéficiant de la citoyenneté: il ne doit pas y avoir discrimination en la matière. L'inconditionnalité s'entend donc ici bien du fait de ne pas soumettre le bénéfice de ces droits à des conditions supplémentaires que celles qui s'imposent aux nationaux. Cette prohibition découle de l'affirmation de la Cour dans l'affaire Grzelczyk de 2001 selon laquelle les dispositions de l'article 20 TFUE sur la citoyenneté doivent être lues en combinaison avec celles de l'article 18, qui prohibe toute discrimination basée sur la nationalité. Ce qui implique, pour la Cour, que "le statut de citoyen de l'Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d'obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des conditions prévues à cet égard, le même traitement juridique" (ibid.). Le statut principal qui protège les ressortissants des Etats membres n'est donc plus celui de travailleur, mais bien celui de citoyen européen. Cette égalité ne s'étend qu'aux prestations auxquelles ont droit les nationaux des Etats membres; un citoyen européen ne peut bénéficier d'une prestation attribuée dans l'Etat d'accueil aux ressortissants d'Etats tiers (2009 Vatsouras et Koutapantze). L'article 34 de la Charte européenne des Droits Fondamentaux dispose lui que "toute personne qui réside et se déplace légalement à l'intérieur de l'Union a droit aux prestations de sécurité sociale et aux avantages sociaux, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales".

En droit européen la discrimination s'entend à la fois du fait de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations semblables, mais aussi de traiter pareillement des personnes se trouvant dans des situations différentes; il s'applique également aux discriminations indirectes (CJCE 1974 Sotgiu); elle considère par ailleurs également les discriminations indirectes. La condition de nationalité nécessaire pour bénéficier d'une aide s'affaiblit donc considérablement. Concrètement, un citoyen européen effectuant des études dans un autre Etat membre que son pays d'origine a ainsi droit à l'obtention d'une allocation d'éducation (1998 Martinez Sala) ou à une allocation correspondant à un minimum de moyens d'existence, dans les mêmes conditions que les nationaux (2001 Grzelczyk; 2004 Trojani). Ceci s'applique aux aides à la recherche d'un premier emploi (2002 D'Hoop, 2005 Ioannidis), aux frais d'entretien d'étudiants. (2003 Bidar), et aux allocations d'aide à la recherche d'emploi, même si le ressortissant qui demande à en bénéficier ne relève pas de la libre circulation des travailleurs (2004 Collins). La citoyenneté européenne permet également au ressortissant européen qui en bénéficie de demander la prise en compte de périodes d'éducation de ses enfants effectuées dans un autre Etat de l'Union en vue de l'attribution d'une allocation (CJUE 2012 Reichel Albert). Des étudiants étrangers ont droit à des réductions sur les tarifs de transport dans les mêmes conditions que les nationaux, même ceux-ci n'en bénéficient que lorsque leur famille reçoit des allocations familiales (CJUE 2012 Commission c. Autriche). Pour autant, certaines limites peuvent être imposées par les Etats au bénéfice de prestations sociales par des citoyens européens.

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B. Un contrôle de proportionnalité strict des justifications aux entraves

L'Etat peut soumettre le bénéfice de droits sociaux au citoyen y séjournant légalement à des limites tenant à l'intérêt général de l'Etat, selon le schéma en place concernant les autres libertés ; tant que cela ne le place pas, du reste, dans une situation trop différente de celle des nationaux, c'est à dire dans une situation ou bénéficier des mêmes droits serait trop difficile. Mais ce souci de la Cour quant au bénéfice de l'égalité a pu être insuffisamment pris en compte dans une jurisprudence plus récente. La justification souvent invoquée est celle de l'intégration du citoyen dans le pays d'accueil, condition premièrement formulée dans l'arrêt D'Hoop de 2002. Une telle condition, selon la Cour, du fait que ces allocations d'attente ont pour but de faciliter le passage des jeunes de l'enseignement au marché du travail, peut être justifiée par la nécessité pour le législateur de vouloir s'assurer de l'existence d'un lien réel entre le demandeur desdites allocations et le marché géographique du travail concerné; en somme, d'un lien entre le citoyen européen et le lieu ou il désire bénéficier de l'allocation en question (CJUE D'Hoop; Collins; Vatsouras et Koutapantze). Une exigence semblable a été également formulée dans l'arrêt Bidar précité. La Cour reconnaît au considérant 57 de l'arrêt qu'il est légitime pour un Etat membre de n'octroyer une telle aide qu'aux étudiants ayant démontré un certain degré d'intégration dans la société de cet Etat (CJUE Bidar, Commission c. Autriche). D'autres justifications légitimes ont pu être posées par la Cour: il est ainsi légitime à tout Etat membre de veiller à ce que l'octroi d'aides visant à couvrir les faits d'entretien d'étudiants soit compatible avec l'équilibre financier du système éducatif(CJUE 2007 Schwarz) ; de veiller à ce que les étudiants puissent faire "le bon choix" pour leurs études, de promouvoir la poursuite des études dans d'autres Etats membres, ou de prévenir le cumul d'aides (CJUE 2007 Morgan et Bucher). Ce type de limitations a pour objectif d'éviter des risques tels que celui de "tourisme social", de citoyens européens qui choisissent d'aller étudier dans un autre pays en fonction de motifs purement pécuniaires.L'examen du rapport entre l'usage du droit social et l'objectif pour lequel il a été mis en place montre que la Cour met en oeuvre ici une analyse proche de celle mise en oeuvre dans la notion d'abus de droit, qui concerne l'usage d'un droit au delà des bornes raisonnables d'usage de ce droit.

Toutefois, ces conditions doivent être strictement proportionnées à l'intérêt général en question et ne pas excéder ce qui est nécessaire pour l'atteindre (arrêt Morgan et Bucher) ; la vérification stricte de ce type de conditions garantit que des citoyens européens puissent accéder avec la même aisance que des nationaux aux prestations sociales que ce statut garantit. Le caractère strict de ce contrôle se révèle dans le fait que la charge de la preuve incombe aux Etats: c'est à eux de prouver que les restrictions mises en place correspondent à l'intérêt général poursuivi. Ainsi une condition unique relative au lieu d'obtention du diplôme d'études secondaires telle que celle qui est formulée pour l'attribution de l'allocation d'attente belge présente un caractère trop général et trop exclusif et n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi (D'Hoop). Ces conditions doivent dans tous les cas tenir compte de la situation du demandeur; La situation d'un étudiant cherchant à couvrir ses frais d'entretien n'est ainsi pas comparable à celle du demandeur d'une allocation d'attente, et l'exigence d'une résidence préalable de quatre ans dans l'Etat d'accueil pour l'attribution d'un prêt visant à couvrir les frais d'entretien est excessive, en particulier si les périodes ou le demandeur a suivi des cours à temps plein ne sont pas prises en compte, cela rendant impossible l'obtention d'un tel prêt pour le ressortissant d'un autre Etat membre (CJUE Bidar). Toutefois la condition de l'existence d'un lien réel d'intégration avec l'Etat d'accueil a été durcie par la Cour dans l'arrêt Förster de 2008, ou elle estime qu'est apte à garantir l'intégration dans l'Etat membre du demandeur de bourse d'entretien une durée de résidence de 5 ans, critère simplement formel critiquable du fait qu'il ne prend pas en compte des éléments matériels tels que les activités effectuées pendant le séjour, qui devraient être considérées en elles mêmes. Cette insistance sur les conditions formelles et garanties procédurales constitue selon M. De la Rosa un aspect récurrent de la jurisprudence de la Cour sur la question de la citoyenneté (A propos de l'arrêt Förster, Cahiers de droit Européen, 2009, p. 566).

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II. Une citoyenneté n'accordant de droits que sous réserve d'un séjour légal

Les droits sociaux accordés par la citoyenneté européen ne sont pas inconditionnels en particulier au sens où pour que le citoyen européen puisse en bénéficier dans un autre Etat membre, il faut qu'il y réside légalement, condition qui découle de l'application du droit dérivé (A). Mais l'application de l'exigence d'un séjour légal est tempérée par la reconnaissance, dans la jurisprudence, de la nécessité d'une solidarité financière entre Etats membres (B).

A. Des droits sociaux conditionnés par l'exigence d'un séjour légal

Le séjour légal est une condition nécessaire à ce qu'un citoyen européen puisse bénéficier de droits sociaux dans un autre Etat membre que celui d'origine. Ce séjour légal est soumis à des conditions qui rejaillissent sur le bénéfice des droits sociaux liés à la citoyenneté. Toutefois ces conditions ne se posent que s'il s'agit du droit de séjour tel qu'entendu par le droit communautaire; un droit de séjour accordé selon les conditions de l'Etat d'accueil permet lui aussi de bénéficier de ces droits sociaux (Pierre Rodière Libre circulation des personnes et citoyenneté dans la jurisprudence de la Cour de Justice, RTDE, P. 163, pt 18). Cette exigence de séjour légal est premièrement contenue dans le traité : l'interdiction de toute discrimination à l'égard du citoyen européen qu'imposent les articles 18 et 20 TFUE s'applique "sans préjudice" des dispositions particulières que les traités prévoient, et notamment par rapport aux conditions de légalité de séjour du citoyen européen dans un autre pays que son pays d'origine. Cette condition de séjour légal est affirmée dans l'arrêt Martinez Sala, selon lequel seul "un citoyen qui réside légalement sur le territoire de l'Etat membre peut se prévaloir de l'article 20 TFUE" dans toutes les situations relevant du domaine d'application ratione materiae" du droit communautaire.

Ce qui signifie que la citoyenneté n'implique pas suppression des conditions concernant le bénéfice du droit de séjour des ressortissants européens à but non économique comme les étudiants ou le non actifs, mais que ces conditions s'appliquent au citoyen. Son séjour n'est pas de facto légal, et doit l'être pour qu'il puisse bénéficier des avantages sociaux auxquels il a droit en vertu de son statut. Jusqu'en 2004 les conditions du séjour légal étaient régulées par diverses directives et règlement, dont le règlement 1612/68 et les directives 93/96 et 90/364. Ces dispositions ont été abrogées par la directive 2004/38, qui met en place des dispositions générales sur le droit de séjour des citoyens européens dans les Etats membres. On distingue séjours de courte durée et de longue durée, supérieurs à trois mois; l’État membre d’accueil n’est ainsi pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pour les trois premiers mois aux personnes autres que les travailleurs salariés ou non salariés et les membres de leur famille. Pour bénéficier d'un séjour légal en vertu du droit communautaire, il faut soit exercer une activité économique comme travailleur salarié ou non salarié, soit disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour l'Etat d'accueil (ressources à évaluer en fonction de la situation de la personne concernée), soit suivre une formation en tant qu'étudiant et disposer également à ce titre de ressources suffisantes. De sorte que les catégories de la législation antérieure à la mise en place de la citoyenneté européenne continuent à régir les conditions sous lesquelles un citoyen peut bénéficier de droits sociaux, puisque le séjour légal demeure un pré-requis pour l'application de l'égalité de traitement dont il bénéficie en principe. Il ne pèse par ailleurs aucune obligation sur Les États membres d’accorder avant l'acquisition du droit de séjour permanent des aides d'entretien aux études y compris pour la formation professionnelle sous la forme de bourses ou de prêts à ces mêmes personnes. Ce type de dispositions vise aussi à éviter toute forme de tourisme social et détournement de droit, préoccupation importante des Etats. Il faut toutefois tempérer cette absence d'obligation par celle de traitement national qui pèse sur les Etats par rapport aux citoyens, citée précédemment; mais aussi par l'application du principe de proportionnalité qui découle ici de l'exigence de solidarité financière entre Etats membres. Ce

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B. La solidarité financière entre Etats membres, moyen de tempérer l'exigence d'un séjour légal

La reconnaissance de la nécessité de cette solidarité par la Cour implique que les limites énoncées précédemment, liées à l'exigence d'un séjour légal, soient évaluées par rapport à leur proportionnalité et aux circonstances de l'espèce. Ainsi les conditions permettant aux Etats d'invoquer la rupture des conditions de légalité du séjour du ressortissant pour se délier d'obligations à son égard en matière de droits sociaux sont interprétées strictement. En particulier, dans l'arrêt Grzelczyc, le ressortissant français concerné, s'il avait pu subvenir à ses besoins pendant ses quatre premières années d'études en Belgique, se trouvait dans l'incapacité pendant sa cinquième année de combiner études et activité professionnelle ; ce qui impliquait qu'il se trouvait sans ressources et qu'a priori les conditions de son séjour légal étaient rompues. Ce qui impliquerait que l'Etat pourrait être en droit de lui refuser toute prestation sociale puisque la légalité de son séjour a été rompue. Mais la Cour contredit cette éventualité. Notons d'abord que ces ressources ne sont pas soumises à un montant déterminé ni à une preuve par des documents spécifiques, mais seulement à une déclaration qui permette de garantir à l'Etat d'accueil que le ressortissant en question ne deviendra pas une charge pour l'assistance sociale de cet Etat. (CJUE 2000 Commission c. Italie). Il découle selon la Cour des dispositions en vigueur à l'époque de l'arrêt Grzelzcyk qu'il "existe une solidarité financière entre les ressortissants de l'Etat d'accueil et ceux des autres Etats membres, en particulier si les difficultés que rencontre le bénéficiaire du droit de séjour sont d'ordre temporaire. Par ailleurs, il faut tenir compte des circonstances de l'espèce, c'est à dire que la situation financière d'un étudiant peut changer au fil du temps pour des raisons indépendantes de sa volonté, qui font que la véracité de sa déclaration ne peut être évaluée qu'au moment ou elle est faite.(2001 Grzelczyc). Allant même plus loin, elle affirme dans l'arrêt Trojani de 2004 que "si les Etats peuvent conditiionner le séjour d'un citoyen de l'Union économiquement non-actif à la disponibilité de ressources suffisantes, il n'en découle pas pour autant qu'une telle personne ne peut pas bénéficier, pendant son séjour, de l'égalité de traitement." Ce qu'on peut relier à l'exigence du séjour légal, qui peut être interprétée selon le droit communautaire ou selon le droit national comme dit précédemment.

Il en découle qu'un changement de circonstances à la suite de cette déclaration de ressources n'entache pas automatiquement la véracité de cette déclaration et donc la légalité du séjour du ressortissant, qui même s'il ne dispose plus de ressources suffisantes peut se prévaloir de son statut de citoyen européen pour bénéficier d'un minima social. L'avocat général Lendert Geelhoed interprète lui cette affirmation de la Cour dans ses conclusions à l'arrêt Bidar comme une nouvelle application du principe de proportionnalité ; il ne s'agirait pas de mettre l'intégralité des dispositions sociales de l'Etat d'accueil à disposition des citoyens européens y séjournant, puisque cela mettrait à bas le fondement même des directives sur le libre séjour mais aussi ouvrirait la voie vers un moins disant social puisque les Etats aux prestations sociales les plus généreuses risqueraient d'être pris d'assaut. Ce principe de proportionnalité implique que les Etats doivent aussi dans la mise en place des limites au libre séjour tenir compte du respect de certains noyaux de libertés fondamentales protégées par le droit de l'Union et notamment par la Charte des droits fondamentaux. En vue de la conciliation des exigences du droit du libre séjour et celles des libertés fondamentales telles que la liberté de circuler et de séjourner du citoyen énoncée à l'article 18 et reprise dans l'article II-112 de la Charte européenne des droits fondamentaux, les Etats doivent admettre dans une certaine mesure qu'un ressortissant qui ne remplit plus pleinement les conditions du libre séjour puisse quand même bénéficier de prestations sociales lorsque sa situation est temporaire et/ou exceptionnelle. Le principe du traitement national des citoyens européens en matière de droits sociaux est donc tempéré dans la jurisprudence de la Cour par la nécessité de garantir la pérennité même de ces droits.