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Douleur et cancer: regards croisés

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Page 1: Douleur et cancer: regards croisés

EDITORIAL

Douleur et cancer : regards croises

La douleur est une des representations les plus souventassociees a la maladie cancereuse. Malgre les progrestherapeutiques accomplis en parallele dans le domaine dela cancerologie et de l’analgesie, elle reste un dessymptomes les plus frequemment exprimes par lespatients : 40 % des patients cancereux au debut de leurmaladie et 75 % des patients en fin de vie en rapportentl’experience [1]. La question specifique de la douleur chezle patient cancereux a meme fait l’objet d’un congresrecent de la Societe francaise d’evaluation et de traitementde la douleur, ce qui en confirme a la fois l’importance etl’actualite. Beneficiant des echanges suscites lors de cesrencontres, nous nous sommes proposes dans ce numerospecial d’associer aux reflexions de specialistes de ladouleur celles de specialistes de la psycho-oncologie, afind’apporter la complementarite de notre reflexion al’apprehension de ce phenomene complexe et bien au-dela du simple symptome physique.

Une approche multidisciplinaire apparaıt en effet seulea meme de rendre compte de la complexite de cetteexperience dans laquelle tout l’etre est implique, y comprisdans son appartenance culturelle et ses representations. Ladefinition qu’en donne l’International Association for theStudy of Pain (IASP), « experience sensorielle et emotion-nelle desagreable, associee a des lesions tissulaires reellesou potentielles, ou decrites en ces termes », permetd’evoquer les differents champs dans lesquels elle s’inscrit.Ces domaines seront abordes tour a tour, apportantcertaines reponses mais suscitant aussi beaucoup d’inter-rogations.

Il fallait d’abord resituer la douleur dans son histoire,qui n’est pas uniquement celle de l’evolution des connais-sances medicales et scientifiques mais est aussi etroitementliee aux representations culturelles, philosophiques etreligieuses. Pierre-Emmanuel Dauzat retrace pour nouscette histoire complexe, chaotique, ancree dans la croyancereligieuse puis bouleversee par les evolutions philosophi-ques et scientifiques. Histoire d’un concept mais aussi d’unsilence, celui de la plupart des historiens et des philoso-phes, qui renvoie a la difficulte de definir la notion dedouleur comme s’y essaie Jean-Claude Fondras dans sonarticle « Qu’est-ce que la douleur ? Enjeux philosophiques

d’une definition ». L’elaboration d’une definition de ladouleur est un enjeu essentiel dans la maniere dont nousallons l’apprehender et la traiter. L’auteur y expose lerisque de demarches a la fois reductrices et extremes visantsoit a reduire la douleur a la seule nociception, soit acontrario a ne la considerer que comme une souffrancesine materia. Les recents developpements de la physiologietels que les presente Bernard Calvino vont dans le memesens et permettent de modeliser cette appartenancecomplexe au champ de la nociception comme de l’emotion.Il etait indispensable pour que tous ceux qui s’interessent acette complexite de la douleur trouvent explicites, dans cetarticle de science fondamentale, les mecanismes desinteractions entre l’information nociceptive, vehiculeepar les voies spinales ascendantes – et ses projections,dans le thalamus et le complexe amygdalien d’une part –responsables de la tonalite affective de la douleur – dansles aires corticales d’autre part – permettant ainsi lamediation cognitive et comportementale.

Apres ces essais de definition de l’objet etudie, ladouleur, il nous a paru utile d’exposer les differentesapproches therapeutiques du sujet douloureux. Au-delades multiples conceptions theoriques qu’elles refletent, cesapproches traduisent surtout le caractere pluridimension-nel de l’experience douloureuse dans ses quatre compo-santes fondamentales, sensorielles, emotionnelles,cognitives et comportementales, auxquelles sont associesles facteurs culturels et sociaux. Renvoyons pour l’aspectsensoriel de la douleur, au sens de nociception, a lapharmacologie des antalgiques, et a la recente mise aupoint sous forme de Standards, options et recommanda-tions [2], pour nous consacrer aux aspects affectifs,emotionnels et comportementaux. A ceux-ci repondentles prises en charge psychotherapeutiques, multiples,souvent complementaires, meme si leur cadre doit resterrigoureux ; leur articulation avec la prise en chargemultidisciplinaire, garante de l’integration des aspectsmedicaux et sociaux, est par ailleurs fondamentale.

Nous avons donc donne la parole tour a tour adifferentes approches psychotherapeutiques. L’approchepsychanalytique sera illustree par Martine Derzelle qui, enexplicitant la demarche originale de Freud et sa rupture

Psycho-Oncologie (2007) Numero 2: 67–68

© Springer 2007

DOI 10.1007/s11839-007-0026-0

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avec le discours medical, met en evidence l’aspectprimordial du recit du vecu du malade, de l’histoire decelui-ci dans le processus analytique. Ce travail del’analyste s’inscrit ainsi plus dans le rapport du sujet a ladouleur que dans la douleur proprement dite, confiee dansun lien necessaire de multidisciplinarite aux soinsmedicaux.

Les techniques cognitives et comportementales sontabordees au travers de l’experience de groupes therapeu-tiques reunissant des femmes en fin de traitement pour uncancer du sein. Loin des clivages theoriques, cet articledonne l’exemple de l’abord de la douleur par sesrepercussions psychosociales et les contenus cognitifs quilui sont associes, et expose les principales techniquesemployees en cours de therapie.

Parmi l’arsenal des approches non medicamenteuses,les psychotherapies a mediations corporelles ou lestherapies alternatives sont de plus en plus utilisees etetudiees [3]. A ce propos, Chantal Wood nous fait partagerson experience de ses methodes alternatives et plusparticulierement de l’hypnose chez les enfants douloureux.C’est egalement l’hypnose qu’aborde Veronique Boutemais dans le contexte de la senologie adulte (douleurprovoquee par macrobiopsie du sein). Dans cet article,l’auteur detaille la faisabilite d’une telle technique enpratique de senologie quotidienne ainsi que son impact surla douleur liee a l’examen.

Le cancer du sein, premiere cause de cancer chez lafemme, est aussi par l’intermediaire des traitementsproposes pourvoyeur de douleurs chroniques. Ces dou-leurs, regroupees sous le terme de « syndrome douloureuxpost-mastectomie (SDPM) », sont responsables d’un han-dicap fonctionnel important et d’une degradation de laqualite de vie des patientes. Severine Restelli abordera

dans une etude originale prospective la question del’influence des facteurs psychosociaux sur la survenue dedouleurs chroniques post-mastectomie et nous confirmeral’interet d’une prise en charge multidisciplinaire precocetant pour la symptomatologie douloureuse que pour lesmanifestions anxieuses et depressives associees.

Les soignants enfin ne sont pas epargnes par la douleurdes patients, parfois generee par les soins eux-memes, et quiles renvoie a leur impuissance a atteindre un ideal de soinqui soulage ; il etait naturel de consacrer ici un article a lasouffrance des soignants, a la plainte qui en est l’expression,a la difficulte de faire evoluer cette plainte vers unedemande d’aide, voire une mobilisation personnelle.

Souhaitons que la richesse de ces regards croises nouspermette a chacun, quelles que soient notre position desoignant ou d’accompagnant et nos convictions theori-ques, d’enrichir sa propre apprehension de ce phenomenecomplexe qui nous met encore si souvent en defaut.

Pascal Rouby

Sarah Dauchy

References1. Daut RL, Cleeland CS (1982) The prevalence and severity of pain in

cancer. Cancer 50: 1913-82. Standards, options et recommandations 2002 sur les traitements

antalgiques medicamenteux des douleurs cancereuses par exces denociception chez l’adulte, mise a jour (2002) Federation Nationaledes Centres de Lutte Contre le Cancer ; Standards Options,Recommandations, Paris

3. Schmitt C, Theobald S, Fabre N, et al. (2006) Standard, options andrecommendations for the management of procedure related pain(lumbar puncture, bone marrow aspiration or biopsy, bloodsampling) in children patients with cancer. Summary report. BullCancer 93(8): 805-11

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