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Revue internationale du Travail, vol. 143 (2004), n o 4 Copyright © Organisation internationale du Travail 2004 Egalité hommes-femmes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice Ingeborg HEIDE * e droit communautaire européen a profondément transformé le L droit et la pratique des Etats en ce qui concerne l’égalité hommes- femmes. Les vingt-huit Etats où il est applicable – les vingt-cinq Etats aujourd’hui membres de l’Union européenne et les trois Etats de l’Asso- ciation européenne de libre échange qui font partie de l’Espace économi- que européen (l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège) – sont tous tenus en effet de respecter intégralement «l’acquis communautaire», tel qu’il résulte des traités fondateurs, du droit dérivé (les directives notamment) et de la jurisprudence de la Cour européenne de justice 1 . Nous avons vu dans un précédent article quelle était la situation juridique dans l’Union européenne quant à l’égalité de rémunération et à l’égalité de traitement en matière d’emploi entre hommes et femmes 2 . Nous nous proposons d’examiner dans les pages qui suivent la jurisprudence de la Cour de jus- tice dans des affaires qui posaient également le problème de l’égalité de traitement, cette fois dans le domaine de la sécurité sociale. Les systèmes de sécurité sociale des Etats européens sont de diffé- rents types et ont été marqués par l’histoire, l’héritage culturel et l’évo- lution sociale de chaque pays. La plupart ont cependant pour caractéris- tique commune de reposer sur un même modèle familial comportant un 1 2 * Bureau international du Travail. Cet article se fonde sur l’ouvrage récemment paru de l’auteur: Gender roles and sex equality: European solutions to social security disputes (Genève, BIT, 2004), référence dans cet article: Heide (2004). 1 C’est ainsi que le traité d’adhésion de 2003 de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie n’admet nulle dérogation à l’application du droit communautaire sur l’éga- lité hommes-femmes dans les nouveaux Etats membres. Voir <http://europa.eu.int/comm/ enlargement/negociations/treaty_of_accession_2003/fr/table_of_content_fr.htm>. 2 Ingeborg Heide: «La lutte contre la discrimination selon le sexe au niveau supranational: l’égalité de rémunération et de traitement dans l’Union européenne», Revue internationale du Tra- vail (Genève), vol. 138 (1999), n o 4, pp. 421-454, référence dans cet article: Heide (1999).

Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

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Page 1: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

Revue internationale du Travail,

vol. 143 (2004), n

o

4

Copyright © Organisation internationale du Travail 2004

Egalité hommes-femmes et sécuritésociale: jurisprudence de la Cour

européenne de justice

Ingeborg HEIDE

*

e droit communautaire européen a profondément transformé le

L

droit et la pratique des Etats en ce qui concerne l’égalité hommes-femmes. Les vingt-huit Etats où il est applicable – les vingt-cinq Etatsaujourd’hui membres de l’Union européenne et les trois Etats de l’Asso-ciation européenne de libre échange qui font partie de l’Espace économi-que européen (l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège) – sont tous tenusen effet de respecter intégralement «l’acquis communautaire», tel qu’ilrésulte des traités fondateurs, du droit dérivé (les directives notamment)et de la jurisprudence de la Cour européenne de justice

1

. Nous avons vudans un précédent article quelle était la situation juridique dans l’Unioneuropéenne quant à l’égalité de rémunération et à l’égalité de traitementen matière d’emploi entre hommes et femmes

2

. Nous nous proposonsd’examiner dans les pages qui suivent la jurisprudence de la Cour de jus-tice dans des affaires qui posaient également le problème de l’égalité detraitement, cette fois dans le domaine de la sécurité sociale.

Les systèmes de sécurité sociale des Etats européens sont de diffé-rents types et ont été marqués par l’histoire, l’héritage culturel et l’évo-lution sociale de chaque pays. La plupart ont cependant pour caractéris-tique commune de reposer sur un même modèle familial comportant un

12

* Bureau international du Travail. Cet article se fonde sur l’ouvrage récemment paru del’auteur:

Gender roles and sex equality: European solutions to social security disputes

(Genève,BIT, 2004), référence dans cet article: Heide (2004).

1

C’est ainsi que le traité d’adhésion de 2003 de la République tchèque, de l’Estonie, deChypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénieet de la Slovaquie n’admet nulle dérogation à l’application du droit communautaire sur l’éga-lité hommes-femmes dans les nouveaux Etats membres. Voir <http://europa.eu.int/comm/enlargement/negociations/treaty_of_accession_2003/fr/table_of_content_fr.htm>.

2

Ingeborg Heide: «La lutte contre la discrimination selon le sexe au niveau supranational:l’égalité de rémunération et de traitement dans l’Union européenne»,

Revue internationale du Tra-vail

(Genève), vol. 138 (1999), n

o

4, pp. 421-454, référence dans cet article: Heide (1999).

Page 2: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

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Revue internationale du Travail

strict partage des tâches entre l’homme et la femme. Selon ce modèle,l’homme gagne le revenu du ménage grâce à l’exercice d’une activité lu-crative à plein temps; la femme est prioritairement chargée elle de s’occu-per de la famille et du foyer, travail non rémunéré. Dans l’optique tradi-tionnelle, la femme est considérée du même coup comme une personne àcharge. La protection sociale qui lui est accordée est une protection quiprocède plus ou moins de celle dont bénéficie le mari. Des conditions dif-férentes peuvent être ainsi fixées selon le sexe en ce qui concerne les coti-sations, les prestations ou l’âge de la retraite, et des dispositions spécialespeuvent être prévues pour les hommes ou les femmes dans certaines si-tuations – pour les femmes au foyer, les veufs, les personnes qui s’oc-cupent des enfants ou d’autres membres de la famille, ou dans des situa-tions telles que la maternité (congé) ou le service militaire (prise encompte des périodes de service).

Malgré les immenses changements qui se sont produits au cours dela seconde moitié du siècle dernier dans les structures familiales etquant au rôle des femmes dans la société, la législation de la sécuritésociale reste souvent fondée sur la vieille idée de l’homme soutien éco-nomique de la famille, source persistante de discrimination. Bien queles femmes soient de plus en plus nombreuses à exercer une activitélucrative, elles ne parviennent pas à acquérir les mêmes droits que leshommes sur le plan de la sécurité sociale – des droits qui leur permet-traient de vivre de façon indépendante –, ni même parfois à acquériraucuns droits, soit parce qu’elles exercent des formes d’activité précai-res ou peu payées (le travail temporaire, le travail à temps partiel) quiles pénalisent ou les excluent de la protection, soit parce qu’elles aban-donnent leur emploi pour des raisons familiales. Les conditions à rem-plir pour bénéficier de la protection (période minimale de cotisation,par exemple, ou nombre minimal d’heures de travail par semaine oupar mois) ont souvent pour effet d’instituer une discrimination indi-recte selon le sexe. Et, lorsque les femmes remplissent les conditionsd’assujettissement, la ségrégation professionnelle horizontale ou verti-cale conduit à de grandes disparités dans le montant moyen des retrai-tes masculines et féminines, l’écart représentant de 16 pour cent de laretraite masculine au Royaume-Uni (2001) à 45 pour cent en Autriche(2000)

3

.Comme le montreront plusieurs des affaires que nous allons exa-

miner, ce ne sont pas exclusivement les femmes qui ont à pâtir des pré-supposés auxquels obéissent encore beaucoup de systèmes de sécuritésociale en Europe. Les hommes peuvent être touchés aussi, notamment

3

Commission des Communautés européennes:

Rapport annuel sur l’égalité de chancesentre les femmes et les hommes dans l’Union européenne en 2002

, http://europa.eu.int/comm/employment_social/news/2003/mar/com0398_fr.pdf, pp. 12 et suiv. Sur d’autres aspects socio-économiques, voir Heide (2004), pp. 5-8.

Page 3: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe

327

pour les prestations de veuf et, dans certains cas, du fait de la fixationd’âges de la retraite différents selon le sexe.

En application de l’article 10 du traité instituant la Communautéeuropéenne

4

, les juridictions nationales appelées à connaître d’affairesde discrimination doivent, en cas de conflit de lois, donner la primautéau droit communautaire sur le droit national

5

. La juridiction qui doit seprononcer sur une question où le droit communautaire peut être appli-cable peut demander l’avis de la Cour européenne de justice, statuantà titre préjudiciel; elle est tenue de le faire si elle se prononce en der-nière instance, une procédure pouvant être engagée sinon à l’encontrede l’Etat concerné (art. 234 CE)

6

.Les demandes de décision préjudicielle sont la forme d’action la

plus courante devant la Cour européenne de justice. Le droit européenétant de mieux en mieux connu des juridictions nationales, ces de-mandes se font de plus en plus nombreuses. Les juridictions de degréinférieur n’hésitent plus elles-mêmes à saisir la Cour alors qu’elles n’ysont pas obligées. Sans s’en tenir au strict principe de la réserve judi-ciaire, c’est-à-dire à la seule interprétation du droit existant, la Cours’attache à promouvoir les droits sociaux conformément aux articles 2et 136 CE, qui donnent pour mission à la Communauté de promouvoirun niveau élevé d’emploi et de protection sociale, l’amélioration desconditions de vie et de travail et l’égalité entre hommes et femmes.

Dans les sections qui suivent, nous étudierons la jurisprudence dela Cour sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans lesrégimes professionnels de sécurité sociale, quant aux implications duprincipe de l’égalité de rémunération et aux pensions de veuve et deveuf; dans les régimes légaux, quant à leur champ d’application, au pro-blème de la discrimination indirecte et à l’égalité en matière d’emploi,et en ce qui concerne enfin les régimes de la fonction publique et lesmesures de protection (paiement d’intérêts). Une dernière section nouspermettra de faire le point.

4

Le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1

er

mai 1999, comporte une renumérotationdes articles du traité instituant la Communauté européenne (CE) et du traité sur l’Union euro-péenne (UE). C’est la nouvelle numérotation que nous utilisons ici, à moins que la référence nerenvoie à un texte antérieur. Les références de la forme «article

x

du traité CE (ou CEE)» ou«article

x

du traité UE» renvoient aux textes tels qu’en vigueur avant le 1

er

mai 1999; les référencesde la forme «article

x

CE» ou «article

x

UE» renvoient aux textes tels qu’en vigueur après le1

er

mai 1999. Quand il est simplement question du traité, il s’agit du traité de Rome, dans la teneurdu moment.

5

Voir affaire C-185/97,

Coote

c.

Granada Hospitality Ltd

,

Recueil de la jurisprudence de laCour de justice

(ci-après

RJ

), 1998, p. I-5199. Sur les dispositions et les procédures applicables dansles affaires de discrimination, voir Heide (1999), pp. 423-432.

6

Voir affaire C-224/01,

Köbler

c.

Republik Österreich

,

RJ

2003, p. I-10239, et affaire C-129/00,

Commission des Communautés européennes

c.

République italienne

,

RJ

2003, http://curia.eu.int/fr/content/juris/index.htm.

Page 4: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

328

Revue internationale du Travail

L’égalité de rémunération, un droit fondamental

Alors que le principe de l’égalité de rémunération pour les hommeset les femmes a un caractère quasi absolu, celui de l’égalité de traitementen matière de sécurité sociale est soumis à certaines restrictions quant auxpersonnes et aux dispositions auxquelles il s’applique. La directive 79/7/CEE concernant les régimes légaux de sécurité sociale prévoit, comme lefaisait, dans le texte original, la directive 86/378/CEE concernant lesrégimes professionnels, des dérogations liées au sexe

7

. La Cour euro-péenne de justice s’est maintes fois penchée sur les textes concernantl’égalité hommes-femmes et sur leurs implications. Elle a donné, de ceprincipe, une interprétation qui va dans le sens de la justice sociale et con-court à assurer une meilleure protection contre la discrimination. LaCour a établi notamment une importante jurisprudence sur l’égalité derémunération, dont nous verrons l’incidence dans le domaine de la sécu-rité sociale.

Dès 1976, dans l’affaire

Defrenne II

, la Cour a reconnu, dans un ar-rêt qui a fait date, le droit à l’égalité de rémunération comme un droit fon-damental des travailleurs

8

. M

lle

Defrenne avait travaillé comme hôtessede l’air pour la compagnie aérienne Sabena de 1951 à 1968. Les hôtesses,à l’époque, gagnaient moins que les commis de bord hommes bienqu’elles fissent le même travail. En 1968, la compagnie avait mis fin à sonemploi en application d’une clause du contrat qui prévoyait que lesfemmes cessaient de faire partie du personnel navigant à l’âge de 40 ans.

La Cour s’est fondée, dans cette affaire, sur l’article 119 du traitéCEE (devenu, modifié, l’article 141 CE) posant le principe de l’égalitéde rémunération pour les travailleurs et les travailleuses

9

. La période dequatre ans au terme de laquelle l’application de ce principe devait êtrepleinement assurée par les Etats membres originaires s’était écoulée sansque la Belgique eût adopté les dispositions législatives nécessaires, et legenre de discrimination directe dénoncé en l’espèce n’était pas excep-tionnel. Au nom de l’égalité de traitement, M

lle

Defrenne a intenté uneaction contre l’Etat belge, ce principe n’étant pas respecté selon elle pourles hôtesses de l’air dans le cadre du régime légal de pensions de retraite,et a introduit contre la Sabena un recours en indemnisation du dommagequ’elle disait avoir subi, pendant l’emploi et à la cessation de celui-ci, enraison de l’inégalité des rémunérations. Ces affaires ont donné lieu, de la

7

Directive du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du prin-cipe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (79/7/CEE)et directive du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de trai-tement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (86/378/CEE).Pour le texte de ces directives, voir

Journal officiel des Communautés européennes

(ci-après

JO

)(Luxembourg), n

o

L 6, 10 janvier 1979, et n

o

L 225, 12 août 1986.

8

Affaire 43/75,

Defrenne

c.

Société anonyme belge de navigation aérienne Sabena (DefrenneII)

,

RJ

1976, p. 455. Pour un exposé plus complet des faits, voir Heide (1999), pp. 433-435.

9

Pour le texte complet de cet article, voir Heide (1999), pp. 432-435.

Page 5: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe

329

part des juridictions belges, à trois renvois préjudiciels auprès de la Coureuropéenne de justice.

La Cour a écarté la première demande, jugeant que le principe del’égalité de rémunération s’appliquait uniquement aux paiements faitspar l’employeur aux travailleurs en relation avec l’emploi, et non auxpensions des régimes légaux de sécurité sociale. La directive 79/7/CEEsur l’égalité de traitement dans ces régimes n’avait pas encore été adop-tée. Pour la Cour, «une pension de retraite instituée dans le cadre d’unrégime légal de sécurité sociale ne [constituait] pas un avantage payéindirectement par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de cedernier, au sens de l’article 119, alinéa 2, du traité CEE»

10

.En ce qui concerne la demande d’indemnisation pour le préjudice

prétendument subi au moment de la cessation d’emploi (indemnité defin de carrière, pension), elle ne pouvait être retenue. La Cour a jugé eneffet que l’article 119 du traité CEE ne s’appliquait pas à d’autres con-ditions de travail que la rémunération, et la directive sur l’égalité detraitement en matière d’emploi (76/207/CEE) n’avait pas encore étéadoptée à l’époque des faits

11

.Restait la demande d’indemnisation pour le préjudice subi, en rai-

son de l’inégalité des rémunérations, en cours d’emploi. La directive surl’égalité de rémunération (75/117/CEE) n’avait pas encore été adoptéeà l’époque des faits. L’article 119 du traité CEE ouvrait-il par lui-mêmele droit d’intenter une action devant les juridictions nationales? Com-ment pouvait-on déterminer la rémunération «légale» si le contrat detravail était réputé nul au regard du droit de l’égalité? Les Etats mem-bres se montraient extrêmement préoccupés par les conséquences quel’arrêt de la Cour pourrait avoir pour tous les autres salariés pour qui ledroit à l’égalité de rémunération aurait été violé.

Le 8 avril 1976, date historique du point de vue de l’égalité entrehommes et femmes, la Cour européenne de justice a rendu un arrêtdéterminant. Elle jugeait que, en raison de son caractère particulier,fondamental, l’article 119 du traité CEE avait un effet direct, vertical ethorizontal. Il pouvait être invoqué en d’autres termes devant les juridic-tions nationales aussi bien contre des employeurs privés que contrel’Etat. Rappelant la nécessité reconnue de promouvoir l’améliorationdes conditions de vie et de travail, elle demandait que les travailleursvictimes de discrimination soient traités exactement de la mêmemanière que le groupe de référence, avec un relèvement de leurs droitsjusqu’à ce que de nouvelles dispositions donnent tout leur effet au prin-cipe d’égalité. Pour M

lle

Defrenne, cela signifiait un alignement de sarémunération sur celle des commis de bord du 1

er

janvier 1962, date à

10

Affaire 80/70,

Defrenne

c.

Etat belge (Defrenne I)

,

RJ

1971, p. 445.

11

Affaire 149/77,

Defrenne

c.

Société anonyme belge de navigation aérienne Sabena(Defrenne III)

,

RJ

1978, p. 1365.

Page 6: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

330

Revue internationale du Travail

laquelle l’article 119 avait pris effet, jusqu’à la fin de son emploi en1968. Cependant, pour «des considérations impérieuses de sécuritéjuridique», la Cour limitait l’applicabilité de son arrêt aux périodes derémunération postérieures à celui-ci. Les salariés victimes de discrimi-nation pouvaient ainsi faire valoir leur droit à l’égalité de rémunérationsur la base de l’article 119 du traité CEE à partir du 8 avril 1976. Pourles nouveaux Etats membres, le principe de l’égalité de rémunérationétait applicable dès la date de leur adhésion.

L’égalité de traitement dans les régimesprofessionnels

Implications du principe de l’égalité de rémunération

La directive concernant l’égalité de traitement dans les régimes lé-gaux de sécurité sociale (79/7/CEE) laisse aux Etats membres la facultéd’exclure de son champ d’application la fixation de l’âge de la retraite,les dispositions en faveur des personnes qui élèvent des enfants, l’octroide droits dérivés à l’épouse pour les prestations de vieillesse ou d’inva-lidité, l’octroi de majorations au titre de l’épouse à charge pour les pres-tations d’invalidité, de vieillesse, d’accident du travail ou de maladieprofessionnelle (art. 7(1)). La directive concernant l’égalité de traite-ment dans les régimes professionnels (86/378/CEE) contenait, dans sontexte original, des dispositions analogues (art. 9). Ces dispositionspeuvent autoriser des différences de traitement selon le sexe. Toute-fois, lorsque l’article 119 du traité CEE (article 141 CE) est applicable,il prévaut sur ces directives et n’admet aucune dérogation au principede l’égalité de rémunération. Ce principe exclut toute distinction entrehommes et femmes (discrimination directe) comme toute dispositionou pratique qui, bien qu’apparemment neutre, touche de façon dis-proportionnée les personnes d’un sexe ou de l’autre (discriminationindirecte), à moins qu’elle ne puisse être justifiée par des facteurs indé-pendants du sexe.

La question des implications du principe de l’égalité de rémunéra-tion s’est posée pour les régimes professionnels de sécurité sociale en cequi concerne les cotisations versées par les salariés et les salariées. Le pre-mier arrêt rendu par la Cour européenne de justice à ce sujet l’a été en1981 dans l’affaire

Worringham et Humphreys

c.

Lloyd’s Bank Ltd

(Royaume-Uni)

12

. Pour couvrir la cotisation demandée à des travailleursmais non à des travailleuses, l’entreprise accordait aux premiers une ma-

12

Affaire 69/80,

RJ

1981, p. 767.

Page 7: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe

331

joration de salaire de 5 pour cent, montant ensuite déduit et versé au ré-gime. La différence ainsi faite entre les hommes et les femmes était-ellecompatible avec le droit européen?

Invitée à statuer à titre préjudiciel, la Cour a jugé d’abord qu’unecotisation payée par l’employeur au nom des salariés au moyen d’unmontant complémentaire du salaire brut constituait une rémunérationau sens de l’article 119 du traité CEE. Celui-ci pouvait donc être invo-qué devant les juridictions nationales, lesquelles avaient «le devoird’assurer la protection des droits que cette disposition confère aux jus-ticiables, notamment dans le cas où, en raison de l’obligation incombantaux seuls travailleurs masculins ou aux seuls travailleurs féminins decotiser à un régime de retraite, les cotisations dont il s’agit sont payéespar l’employeur au nom de l’employé et prélevées sur le salaire brut,dont elles déterminent le niveau».

Un autre problème de cotisation s’est posé dans l’affaire

Newstead

c.

Department of Transport et Her Majest’s Treasury

(Royaume-Uni)

13

.M. Newstead, fonctionnaire célibataire, était affilié à un régime profes-sionnel de pensions qui avait établi un fonds de pensions pour les veu-ves. Seuls les fonctionnaires hommes cotisaient à ce fonds, à raison de1,5 pour cent de leur traitement brut, leur traitement net étant ainsiinférieur à celui des femmes dans une situation comparable. Le prélè-vement de cette cotisation n’était pas jugé contraire au principe del’égalité de rémunération, les traitements bruts étant identiques pourles hommes et les femmes.

La Cour européenne de justice a jugé que les dispositions commu-nautaires sur lesquelles elle était consultée, notamment l’article 119 dutraité CEE, ne s’opposaient pas en l’espèce au prélèvement de la cotisa-tion. La directive concernant l’égalité de traitement en matière d’emploi(76/207/CEE) n’était pas censée s’appliquer à la sécurité sociale, des dis-positions spéciales devant être adoptées à ce sujet (art. 1(2))

14

. La direc-tive concernant l’égalité de traitement dans les régimes légaux de sé-curité sociale ne visait pas les prestations de survivants. La directiveconcernant l’égalité de traitement dans les régimes professionnels autori-sait les Etats à «différer la mise en application obligatoire du principe del’égalité de traitement en ce qui concerne [...] les pensions de survivantsjusqu’à ce qu’une directive impose [ce principe] dans les régimes légaux[...]». Il est probable qu’aujourd’hui, compte tenu de la jurisprudence ré-cente sur les pensions dans la fonction publique et du nouveau libellé desarticles 2 et 6(1)

i)

de la directive concernant les régimes professionnels,

13

Affaire 192/85,

RJ

1987, p. 4753.

14

Directive du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalitéde traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à lapromotion professionnelles, et les conditions de travail (76/207/CEE). Voir

JO

, n

o

L 39, 14 février1976.

Page 8: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

332

Revue internationale du Travail

modifiée par la directive 96/97/CE

15

, la pratique considérée serait jugéecontraire aux dispositions du droit communautaire.

Selon la jurisprudence de la Cour, le premier critère à appliquerpour les régimes de pensions est celui de l’égalité de rémunération. Objetd’une interprétation large, les dispositions de l’article 119 du traité CEE,de la directive concernant l’application du principe de l’égalité de rému-nération (75/117/CEE)

16

et de la directive concernant l’égalité de traite-ment en matière d’emploi (76/207/CEE) sont censées viser une égalitéabsolue entre hommes et femmes. Les directives concernant l’égalité detraitement dans les régimes légaux de sécurité sociale, d’une part, et dansles régimes professionnels, d’autre part (texte original), font l’objet d’uneinterprétation plus restrictive puisqu’elles admettent des dérogations.Relevons que l’arrêt rendu dans l’affaire

Defrenne II

présente un intérêtparticulier pour les salariés qui ont commencé à travailler au milieu desannées soixante-dix et qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite. S’ils’avérait qu’ils n’ont pas reçu la rémunération à laquelle ils avaient droiten application du principe de l’égalité de rémunération, ils pourraient de-mander rétroactivement un nouveau calcul de leurs cotisations à comp-ter du 8 avril 1976, date de l’arrêt, ou, dans les pays qui ont adhéré plustard à la Communauté, à compter de la date d’adhésion.

Dans une série d’affaires fameuses concernant toujours les régimesprofessionnels de sécurité sociale – l’affaire

Bilka

, l’affaire

Barber

etcelles qui lui ont fait suite –, la Cour a précisé les notions de discrimina-tion directe et de discrimination indirecte. Dans l’affaire

Bilka-KaufhausGmbH

c.

Weber von Hartz

(Allemagne), il s’agissait de savoir si l’exclu-sion des travailleurs à temps partiel d’un régime professionnel de pen-sions constituait une discrimination indirecte à l’égard des femmes. LaCour a jugé que oui:

L’article 119 du traité CEE est violé par une société de grands magasins quiexclut les employés à temps partiel du régime de pensions d’entreprise lorsquecette mesure frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes,à moins que l’entreprise n’établisse que ladite mesure s’explique par des facteursobjectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe

17

.

M

me

Weber von Hartz, qui s’était vu refuser l’octroi d’une pension, aobtenu que ses droits soient reconnus à partir du 8 avril 1976, date del’arrêt

Defrenne II

.

15

Directive du Conseil du 20 décembre 1996 (96/97/CE) modifiant la directive du Conseildu 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommeset femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (86/378/CEE). Voir

JO

, n

o

L 46,17 février 1997.

16

Directive du Conseil du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations desEtats membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les tra-vailleurs masculins et les travailleurs féminins (75/117/CEE). Voir

JO

, n

o

L 45, 19 février 1975.

17

Affaire 170/84,

RJ

1986, p. 1607.

Page 9: Egalité hommes-femnnes et sécurité sociale: jurisprudence de la Cour européenne de justice

Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe

333

L’affaire

Barber

et de nombreuses autres qui l’ont suivie ont sou-levé une série de questions concernant l’âge de versement de la pensionde retraite

18

. La fixation d’âges différents pour les hommes et les fem-mes est admise pour les régimes légaux de pensions. Elle l’était aussipour les régimes professionnels selon le texte original de la directiveconcernant ces régimes. C’est assurément en toute bonne foi que desâges différents ont été fixés ainsi dans de nombreux régimes profession-nels, notamment ceux qui pouvaient se substituer à un régime public.Cette pratique fort répandue désavantageait les hommes, qui avaientdroit à la pension plus tard que les femmes.

Dans le régime professionnel dont M. Barber faisait partie, en casde licenciement pour cause économique, les employés pouvaient pré-tendre à une pension de retraite à partir de l’âge de 50 ans pour lesfemmes et de 55 ans pour les hommes. Il s’agissait d’un régime financépar l’employeur qui se substituait pour partie au régime national,homologué en application de la loi britannique de 1975 sur la sécuritésociale. Licencié pour des raisons économiques à l’âge de 52 ans,M. Barber ne pouvait prétendre qu’à une pension avec versement dif-féré à l’âge normal. Une femme de 52 ans dans la même situation auraitété considérée comme retraitée et aurait touché la pension immédiate-ment. M. Barber s’estimait ainsi victime d’une discrimination interdite.

Saisie de l’affaire, la Cour européenne de justice lui a donné rai-son. Les dispositions sur l’égalité de rémunération étaient applicablesen l’espèce aux pensions du régime professionnel, même si celui-ci sesubstituait pour partie au régime public. L’interdiction de la discrimina-tion entre hommes et femmes valait non seulement pour l’âge normalde versement de la pension, mais aussi pour l’âge de versement en casde licenciement pour cause économique. La Cour a jugé cependant que– compte tenu des dispositions des directives sur l’égalité de traitementdans les régimes légaux de sécurité sociale (art. 7(1)) et dans les régimesprofessionnels (art. 9

a)

), qui laissent aux Etats membres une certainelatitude quant à l’application du principe d’égalité en ce qui concernel’âge de la retraite – les milieux intéressés avaient pu raisonnablementestimer que l’article 119 du traité CEE ne s’appliquait pas et qu’il res-tait possible sur ce point de déroger au principe d’égalité. Il fallait aussipréserver l’équilibre financier des régimes. La Cour a donc décidé, dela même façon que dans l’affaire

Defrenne II

, de n’ouvrir la possibilitéd’engager une action en vertu de l’article 119 pour demander l’ouver-ture d’un droit à pension qu’avec effet à une date postérieure à celle deson arrêt (17 mai 1990), sauf pour les travailleurs ayant déjà engagé une

18 Affaire 262/88, Barber c. Guardian Royal Exchange Assurance Group, RJ 1990, p. I-1889;affaire C-110/91, Moroni c. Collo GmbH, RJ 1993, p. I-6591; affaire C-152/91, Neath c. Steeper Ltd,RJ 1993, p. I-6935; affaire C-200/91, Coloroll Pension Trustees Ltd c. Russel et autres, RJ 1994,p. I-4389; affaire C-408/92, Smith et autres c. Avdel Systems Ltd, RJ 1994, p. I-4435.

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334 Revue internationale du Travail

telle action. Elle a fixé la même règle avec la même date dans des arrêtsultérieurs concernant des régimes purement professionnels 19.

Le traité de Maastricht instituant la Communauté européenne aapporté avec lui une série de changements, notamment dans ledomaine social. Préoccupés par les possibilités d’extension des actionsà effet rétroactif, les Etats membres ont confirmé la date fixée dansl’arrêt Barber dans le protocole du traité concernant l’article 119:

Aux fins de l’application de l’article 119, des prestations en vertu d’un régimeprofessionnel de sécurité sociale ne seront pas considérées comme rémunérationsi et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d’emploi anté-rieures au 17 mai 1990, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droitqui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclama-tion équivalente selon le droit national applicable.La même date limite a été retenue dans l’affaire Defreyn c. Sabena SA concer-nant une indemnité complémentaire de prépension accordée aux hommes et auxfemmes à des âges différents 20.

La détermination de la période antérieure d’emploi à prendre enconsidération pour l’établissement d’un droit à rémunération ou à pres-tations en vertu de l’article 119 du traité CEE a d’importantes inciden-ces financières pour les partenaires sociaux. L’arrêt Defrenne II la faitremonter au 7 avril 1976, date de l’arrêt. L’arrêt Barber fixe, pour lesdemandes concernant les prestations des régimes professionnels desécurité sociale, la date du 17 mai 1990. C’est la disposition la plus favo-rable qu’il conviendrait d’appliquer, selon le principe d’un alignement«par le haut», la période courant jusqu’à la date où de nouvelles dispo-sitions (une nouvelle convention collective par exemple) auraient insti-tué l’égalité de traitement entre hommes et femmes. Comment le fairerétroactivement? La manière de traiter les quatorze années de lapériode 1976-1990 (et peut-être y aurait-il lieu dans certains cas deremonter plus loin que 1976) est de toute évidence fort importante pourles travailleurs comme pour les employeurs. La Cour européenne de jus-tice a été invitée dans d’autres affaires à se prononcer sur les périodesd’emploi à prendre en considération.

Le problème s’est posé notamment pour cinq salariées de l’adminis-tration allemande des postes et télécommunications (aujourd’hui Deut-sche Telekom) employées à temps partiel au long d’une période allant de1960/1970 à 199021. En raison des conditions d’assujettissement au ré-gime de prévoyance de l’entreprise (un nombre minimal d’heures de tra-

19 Affaire C-109/91, Ten Oever c. Stichting Bedrijfspensioenfonds voor het Glazenwassers-en Schoonmaakbedrijf, RJ 1993, p. I-4879; affaire C-110/91, Moroni c. Collo GmbH, RJ 1993,p. I-6591.

20 Affaire C-166/99, RJ 2000, p. I-6155.21 Affaires jointes C-234/96 et C-235/96, Vick et Conze c. Deutsche Telekom AG, RJ 2000,

p. I-799; affaires jointes C-270/97 et C-271/97, Sievers et Schrage c. Deutsche Post, RJ 2000, p. I-929;affaire C-50/96, Schröder c. Deutsche Telekom AG, RJ 2000, p. I-743.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 335

vail par semaine), elles n’avaient jamais été affiliées à ce régime ou n’yavaient été affiliées que pendant une partie de la période d’emploi. Avan-çant que l’exclusion des salariés faisant moins d’un certain nombre d’heu-res de travail par semaine constituait une discrimination interdite par l’ar-ticle 119 du traité CEE et par le droit national, elles demandaient àbénéficier d’une pension complémentaire pour des périodes d’emploi re-montant aux années soixante/début des années soixante-dix.

L’exclusion des travailleurs à temps partiel du régime d’entrepriseconstituait-elle en l’espèce une discrimination (indirecte) à l’égard destravailleuses interdite par l’article 119? Les parties ont admis qu’il fal-lait répondre positivement à la question, les travailleurs touchés étantdans une proportion de 95 pour cent environ des femmes et la mesuren’étant pas justifiée par des raisons objectives.

Quelle était la période d’emploi qu’il convenait de prendre encompte pour la détermination du droit aux prestations? Pour l’entre-prise, le droit communautaire l’emportait dans ces affaires sur le droit na-tional et il fixait comme point de départ, dans le meilleur des cas, le 17 mai1990, date de l’arrêt Barber. L’exclusion des travailleurs à temps partieldu régime d’entreprise constituait cependant aussi, au regard du droitnational, une discrimination illicite à l’encontre de ces travailleurs, et iln’existait à cet égard, dans le droit national, aucune limitation dans letemps de la possibilité d’invoquer les dispositions pertinentes.

La Cour européenne de justice avait à dire si le protocole Barberprimait le droit national, restreignant les droits qui découlaient de celui-cidans une situation de discrimination à l’encontre des travailleurs à tempspartiel et ôtant aux juridictions nationales la possibilité d’appliquer lesdispositions les plus favorables. La Cour était invitée aussi à se prononcersur les distorsions de la concurrence que l’application de dispositions plusfavorables dans un pays que dans d’autres pouvait entraîner, distorsionsque l’article 119 vise aussi à prévenir.

La Cour a jugé que la limitation dans le temps de la possibilitéd’invoquer l’article 119 du traité CEE, telle qu’établie par l’arrêt et leprotocole Barber, ne s’appliquait pas en ce qui concerne le droit des’affilier à un régime professionnel et d’en recevoir des prestations. Lestravailleurs à temps partiel exclus d’un tel régime de façon contraire àl’article 119 pouvaient faire valoir rétroactivement leur droit – l’arrêtBilka ne fixant pas lui-même de limite – à partir du 8 avril 1976, date del’arrêt Defrenne II. Cette limitation n’interdisait nullement toutefoisl’application de dispositions nationales plus favorables, notamment dedispositions visant les travailleurs à temps partiel, abstraction faitede toute considération de sexe. Exclues de façon illicite du régime depensions, les travailleuses en cause pouvaient faire valoir leur droitpour toute leur période d’emploi, dès les années soixante/débutdes années soixante-dix. Selon la jurisprudence de la Cour, toutefois,l’affiliation rétroactive à un tel régime n’exonère pas les travailleurs du

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336 Revue internationale du Travail

paiement des cotisations afférentes à la période d’affiliation correspon-dante (avec obligation pour celui qui aurait cotisé pendant une certainepériode et qui, son assujettissement s’étant interrompu, aurait obtenule remboursement de ses cotisations, de cotiser à nouveau pour lapériode en question). En ce qui concerne les risques de distorsion dela concurrence au détriment des entreprises nationales, la Cour a jugéque la finalité sociale de l’article 119 – promouvoir l’égalité de rému-nération – doit l’emporter sur sa finalité économique – prévenir cesdistorsions.

Dans l’affaire Dietz c. Stichting Thuiszorg Rotterdam (Pays-Bas),la Cour a jugé aussi que la limitation dans le temps des effets de l’arrêtBarber ne s’appliquait pas au droit de s’affilier à un régime profession-nel et d’en recevoir une pension de retraite 22. Il s’agissait d’un régimeoù l’affiliation avait été rendue obligatoire par le gouvernement maisdont les travailleurs à temps partiel faisant, comme la travailleuse encause, 40 pour cent ou moins de l’horaire normal avaient, dans un pre-mier temps, été exclus. Dans une affaire analogue, l’affaire Magorrianet Cunningham (Royaume-Uni), il n’était pas possible de faire valoir dedroits, selon la législation, pour une période remontant à plus de deuxans avant le début de la procédure 23. La Cour a jugé que le droit com-munautaire s’opposait à l’application de cette règle: c’est la date del’arrêt Dufrenne II qui était applicable.

Des pays comme la Hongrie et la Pologne ont mis en place des sys-tèmes de pensions comprenant, à côté d’un régime public, des régimesprivés par capitalisation, où les cotisations sont créditées sur des comp-tes individuels. Au moment de la retraite, l’avoir accumulé est convertien une rente servie jusqu’au décès de l’intéressé 24. Les femmes vivantplus longtemps que les hommes, elles toucheraient dans des régimes dece genre, avec des formules de calcul des rentes distinctes pour les fem-mes et les hommes, une rente inférieure, toutes choses égales d’ailleurs,à celle des hommes. Il n’est pas certain de ce point de vue que les régi-mes en question soient conformes au droit européen, applicable dans lamesure où les cotisations versées par les salariés sont un élément de larémunération et où les rentes servies le sont en conséquence de la rela-tion d’emploi.

22 Affaire C-435/93, RJ 1996, p. I-5223. Voir aussi affaire C-28/93, Van den Akker et autresc. Stichting Shell Pensioenfonds, RJ 1994, p. I-4527.

23 Affaire C-246/96, Magorrian et Cunningham c. Eastern Health and Social Services Boardet Department of Health and Social Services, RJ 1997, p. I-7153. Voir aussi les affaires suivantes:C-57/93, Vroege c. NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV et Stichting Pensioenfonds NCIV, RJ1994, p. I-4541; C-128/93, Fisscher c. Voorhuis Hengelo BV and Stichting Bedrijfspensioenfondsvoor de Detailhandel, RJ 1994, p. I-4583.

24 Sur les réformes de la sécurité sociale en Hongrie et en Pologne, du point de vue de l’éga-lité de traitement, voir E. Fultz et S. Steinhilber: «Réforme de la sécurité sociale et égalité hommes-femmes: l’expérience récente de l’Europe centrale», Revue internationale du Travail (Genève),vol. 143 (2004), no 3.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 337

Dans l’affaire Neath c. Hugh Steeper Ltd (Royaume-Uni), la Courn’a pas condamné l’utilisation de facteurs actuariels différents selon lesexe dans des régimes professionnels à prestations définies financés parcapitalisation 25. L’engagement de l’employeur, a-t-elle indiqué, portesur le versement, à un certain moment, d’une pension dont les critèresde fixation sont connus lorsque l’engagement est pris. La question desmodalités de financement du régime est une question distincte. Cesmodalités, qui doivent permettre à l’employeur de remplir ses obliga-tions, relèvent du lien entre le régime et lui et n’ont pas d’incidencedirecte sur les prestations. Dès lors que celles-ci sont les mêmes pour lesretraités hommes et femmes, l’employeur peut choisir les modalités definancement qu’il juge appropriées. La question ne relève pas del’article 119 du traité CE ou de la directive de 1975 concernant l’appli-cation du principe de l’égalité de rémunération.

L’arrêt de la Cour trouve un écho dans la directive du 20 décembre1996 (96/97/CE) modifiant la directive de 1986 concernant l’égalité detraitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale. Selon lenouvel article 6(1)h):

sont à classer au nombre des dispositions contraires au principe de l’égalité detraitement celles [qui fixent] des niveaux différents pour les prestations, sauf dansla mesure nécessaire pour tenir compte d’éléments de calcul actuariel [...] dans lecas de régimes à cotisations définies. Dans le cas de régimes à prestations définiesfinancés par capitalisation, certains éléments [...] peuvent être inégaux dans lamesure où l’inégalité [...] est due [à] l’utilisation de facteurs actuariels différentsselon le sexe lors de la mise en œuvre du financement du régime.

Il convient de mentionner enfin l’affaire Boyle et autres c. EqualOpportunities Commission (Royaume-Uni), qui concerne notammentl’acquisition de droits à pension dans les régimes professionnels au coursdu congé de maternité26. Les dispositions applicables en l’espèce en vertudu contrat de travail limitaient la prise en compte du service ouvrant droità pension pendant ce congé à la période au cours de laquelle la femmepercevait une rémunération de congé de maternité prévue par son con-trat ou par la loi, excluant ainsi toute période de congé non rémunérée.En application des articles 8(1) et 11(2)a) de la directive concernant la sé-curité et la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes,s’agissant de droits liés au contrat de travail qui doivent être assurés pen-dant la période prescrite d’au moins quatorze semaines de congé de ma-ternité, la Cour a jugé que la directive «s’oppose à ce qu’une clause d’un

25 Affaire C-152/91, RJ 1993, p. I-6935.26 Affaire C-411/96, RJ 1998, p. I-6401. La question de la protection des droits des tra-

vailleuses lors de la grossesse et de la maternité est traitée dans la directive de 1976 concernantl’égalité de traitement en matière d’emploi et dans la directive du 19 octobre 1992 concernant lamise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des tra-vailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (92/85/CEE), JO, no L 348, 28 novembre1992.

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338 Revue internationale du Travail

contrat de travail limite, dans le cadre d’un régime professionnel entière-ment financé par l’employeur, l’acquisition des droits à pension pendantle congé de maternité visé par l’article 8 [...] à la période au cours de la-quelle la femme perçoit une rémunération prévue par ce contrat ou la lé-gislation nationale». Le contrat de travail peut prévoir un congé de ma-ternité supplémentaire non rémunéré, mais, pour le congé visé par ladirective, il ne peut sans enfreindre le droit communautaire limiter la pé-riode d’acquisition des droits pendant le congé 27.

On peut résumer comme suit, au terme de cette section, les prin-cipaux points de la jurisprudence de la Cour européenne de justice. Ence qui concerne le droit de s’affilier à un régime professionnel de sécu-rité sociale et d’en recevoir des prestations le moment venu, les tra-vailleurs exclus d’un tel régime de façon contraire à l’article 119 dutraité CE peuvent faire valoir leur droit à partir du 8 avril 1976, date del’arrêt Defrenne II, ou à partir de la date d’adhésion de leur pays à laCommunauté, si elle est postérieure. Cette limitation ne fait pas obsta-cle à l’application de dispositions nationales permettant de remonterplus loin dans le temps, cela nonobstant les risques de distorsion de laconcurrence au détriment des entreprises nationales. En ce qui con-cerne les droits à prestations que des travailleurs peuvent faire valoir envertu de l’article 119, il n’est possible d’invoquer celui-ci que pour lespériodes d’emploi postérieures au 17 mai 1990, limite établie par l’arrêtBarber et par le protocole du traité de Maastricht, sauf pour les tra-vailleurs qui ont engagé avant cette date une action en justice. Il estindifférent que le régime professionnel se substitue à un régime public,que l’assujettissement soit obligatoire ou non, que le régime soitfinancé par capitalisation ou par répartition, qu’il soit géré par l’entre-prise ou par un organisme distinct.

Les pensions de veuve et de veuf dans les régimes professionnels

Alors que la directive concernant l’égalité de traitement dans lesrégimes légaux de sécurité sociale vise les régimes assurant une protec-tion contre les risques maladie, invalidité, vieillesse, accident du travailou maladie professionnelle et chômage, la directive concernant lesrégimes professionnels s’étend en outre à ceux «qui prévoient d’autresprestations sociales, en nature ou en espèces, et notamment des presta-tions de survivants et des prestations familiales, si ces prestations sontdestinées à des travailleurs salariés et constituent dès lors des avantagespayés par l’entreprise au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier»

27 Pour un parallèle avec les périodes de service militaire obligatoire pour les hommes, voiraffaire C-220/02, Österreichischer Gewerkschaftsbund, Gewerkschaft der Privatangestellten c.Wirtschaftskammer Österreich, RJ 2004, http://curia.eu.int/fr/content/juris/index.htm.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 339

(art. 4b)). C’est ainsi qu’elle vise les pensions prévues en cas de décèsd’un travailleur pour le conjoint survivant, mari ou femme. Dans sateneur originale, la directive autorisait les Etats membres à différer lamise en application obligatoire du principe d’égalité pour ces pensions(art. 9b)).

Conformément à la vieille conception des rôles de l’homme et dela femme dans la société, selon laquelle c’est l’homme qui fait vivre lafamille, les conditions d’octroi des pensions de survivants ne sont pastoujours les mêmes pour les veufs et les veuves. Les différences faitesselon que le conjoint est un homme ou une femme peuvent être alorscontraires au principe de l’égalité de rémunération. Dans diversesaffaires soumises à la Cour européenne de justice, le problème a été dedéterminer si les prestations considérées pouvaient être regardéescomme des prestations payées par l’employeur au travailleur alorsqu’elles l’étaient en pratique par une compagnie d’assurance ou unorganisme juridiquement indépendant de l’employeur.

Le problème s’est posé par exemple dans l’affaire Evrenopoulos(Grèce) 28. L’entreprise en cause était une entreprise publique d’électri-cité relevant en tant qu’employeur du droit privé. Le régime d’assu-rance de l’entreprise, comprenant la branche pensions, était un régimeentièrement régi par la loi. Tous les salariés de l’entreprise y étaientobligatoirement assujettis, eux et les membres de leur famille. Auxtermes de la loi avait droit à une pension de survivant, en cas de décèsd’une personne assurée ou retraitée, la veuve ou, lorsque la personneétait une femme, le veuf si celui-ci était sans ressources et incapable detravailler et si son entretien avait été assuré par la défunte pendant lescinq années précédant le décès. L’épouse de M. Evrenopoulos tra-vaillait dans l’entreprise. A son décès, M. Evrenopoulos a demandé àbénéficier d’une pension de survivant. Sa demande a été rejetée aumotif qu’il ne remplissait pas les conditions exigées.

Fallait-il en l’espèce considérer le régime comme un régime pro-fessionnel ou comme un régime légal? La Cour européenne de justicea admis que les pensions versées par les régimes légaux peuvent tenircompte de la rémunération d’activité. Le critère déterminant est cepen-dant celui de la relation de travail, de l’emploi. Les considérations depolitique sociale, d’organisation de l’Etat, d’éthique ou même les pré-occupations budgétaires qui peuvent jouer dans l’établissement d’unrégime par le législateur ne sauraient prévaloir lorsque, comme enl’espèce, la pension n’intéresse qu’une catégorie particulière de tra-vailleurs, qu’elle dépend directement du temps de service accompli etque le montant en est calculé sur la base du dernier traitement. La pen-sion demandée était fonction, pour l’essentiel, de l’emploi qu’occupait

28 Affaire C-147/95, Dimossia Epicheirissi Ilektrismou (DEI) c. Evrenopoulos, RJ 1997,p. I-2057.

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340 Revue internationale du Travail

l’épouse de l’intéressé et se rattachait à la rémunération de celle-ci: ellerelevait en d’autres termes de l’article 119 du traité CE. M. Evrenopou-los ayant engagé une action en justice avant le 17 mai 1990, date del’arrêt Barber, il avait droit à une pension à compter de la date de sademande 29.

Un problème analogue a été soumis à la Cour dans l’affaire Podestac. Caisse de retraite par répartition des ingénieurs, cadres et assimilés(CRICA) et autres (France)30. Mme Podesta, cadre dans l’industrie phar-maceutique, avait cotisé pendant trente-cinq ans au titre de la retraitecomplémentaire auprès de différentes caisses. Selon la convention collec-tive applicable, la veuve d’un participant avait droit à une pension de ré-version à partir de 60 ans, le veuf d’une participante à partir de 65 ans. Audécès de son épouse, M. Podesta a demandé à bénéficier de la pension deréversion. Sa demande a été rejetée au motif qu’il n’avait pas atteint l’âgede 65 ans. M. Podesta a engagé une action en justice en faisant valoir queles conditions d’âge prévues, différentes pour les veuves et les veufs,étaient contraires au principe de l’égalité de rémunération. La questionpréjudicielle soumise à la Cour européenne de justice était de savoir sil’article 119 du traité CE était applicable au régime de retraite concernéet s’il interdisait d’y instituer une discrimination en ce qui concerne l’âgeauquel les hommes et les femmes pouvaient bénéficier d’une pension deréversion.

Selon les caisses de retraite, le régime de retraite complémentaireen question – un régime interprofessionnel qui s’appliquait obligatoire-ment à tous les salariés et qui répondait d’après elles à des considéra-tions de politique sociale – ne relevait pas de l’article 119. La Cour arappelé pour sa part que seul le critère de l’emploi – la constatation quela pension est versée en raison d’une relation de travail – est détermi-nant. La pension de survivant servie par un régime professionnel est unavantage qui trouve son origine dans l’affiliation du conjoint décédé aurégime, et le principe de l’égalité de rémunération est applicable.

Quant au régime de retraite complémentaire en cause, la Cour arappelé les termes de l’article 2(1) de la directive concernant l’égalitéde traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale, danssa teneur modifiée:

Sont considérés comme régimes professionnels [...] les régimes non régis par ladirective 79/7/CEE [visant les régimes légaux] qui ont pour objet de fournir aux

29 Sur l’action engagée par la Commission des Communautés européennes contre la Grècepour n’avoir pas transposé dans la législation nationale les dispositions de la directive de 1996 (96/97/CE) modifiant la directive de 1986 concernant l’égalité de traitement dans les régimes profes-sionnels de sécurité sociale, affaire C-457/98, Commission des Communautés européennes c. Répu-blique hellénique, voir RJ 2000, p. I-11481.

30 Affaire C-50/99, RJ 2000, p. I-4039.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 341

travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise oud’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur pro-fessionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les pres-tations des régimes légaux [...] ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimessoit obligatoire ou facultative.

La Cour a constaté que le caractère obligatoire de l’affiliation au régimeconsidéré était parfaitement conforme à cette définition. Elle a constatéaussi qu’il ne s’agissait pas d’un régime destiné à l’ensemble de la popu-lation ou des travailleurs. Le fait que le législateur national a étendul’application de régimes professionnels à des catégories diverses de sala-riés ne suffit pas à faire sortir ces régimes du champ d’application des dis-positions sur l’égalité de rémunération dès lors qu’il est constant qu’ilssont destinés en principe aux salariés actuels ou passés des entreprisesconcernées.

Une troisième affaire, l’affaire Menauer c. Pensionskasse für die An-gestellten der Barmer Ersatzkasse VVaG (Allemagne), porte aussi sur lesconditions mises au versement de la pension de veuf et sur l’applicabilitéde l’article 119 du traité CE 31. L’épouse de M. Menauer avait été salariéed’une caisse d’assurance maladie de septembre 1956 à la date de son dé-cès, en novembre 1993. Les statuts de la caisse de pensions des employésprévoyaient le versement d’une pension de veuve, sans condition, et celuid’une pension de veuf si c’était principalement l’épouse décédée qui sub-venait aux besoins de la famille. M. Menauer jugeait que la condition éta-blie pour le versement de la pension de veuf était contraire au principe del’égalité de rémunération.

La Cour européenne de justice a rappelé que, selon sa jurispru-dence, une pension de retraite versée dans le cadre d’un régime profes-sionnel créé par une convention collective relève de la rémunération, quele régime remplace le régime légal ou soit de nature complémentaire.Dans le cas d’une pension de survivant, le fait que la pension n’est paspayée au travailleur lui-même n’infirme pas cette interprétation dès lorsque la pension est acquise au survivant en vertu du lien d’emploi entrel’employeur et le conjoint décédé et lui est versée en raison de l’emploi dece dernier.

Restait à savoir si l’article 119 du traité CE était applicable en l’es-pèce à la caisse de pensions, organisme extérieur juridiquement auto-nome. Là aussi la Cour a rappelé sa jurisprudence:

L’effet utile de l’article 119 du traité serait considérablement amoindri et il seraitsérieusement porté atteinte à la protection juridique qu’exige une égalité effec-tive si un travailleur ou ses ayants droit ne pouvaient invoquer cette dispositionqu’à l’égard de l’employeur, à l’exclusion de ceux qui sont expressément chargésd’exécuter les obligations de ce dernier.

31 Affaire C-379/99, RJ 2001, p. I-7275.

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342 Revue internationale du Travail

Les caisses de pensions chargées de gérer les régimes professionnelssont tenues comme les employeurs de respecter le principe de l’égalitéde rémunération sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’autonomiejuridique dont elles jouissent ni de leur qualité d’organismes assureurs.

Il ressort de ces arrêts que les pensions de survivants prévues dansles régimes professionnels de sécurité sociale doivent être accordéesaux mêmes conditions aux veufs et aux veuves, dès lors que le droit à lapension, qu’il ait son fondement dans la loi, dans une convention collec-tive ou dans un autre type de contrat, résulte d’une relation de travail.Peu importe à cet égard la manière dont les régimes sont constitués (ilpeut s’agir de régimes purement privés, de régimes interprofessionnels,de régimes complémentaires du régime légal) et la manière dont ils sontgérés (forme juridique, organisme gestionnaire).

L’égalité de traitement dans les régimes légauxLa directive 79/7/CEE concernant l’égalité de traitement en ma-

tière de sécurité sociale (voir note 7), qui s’applique de façon obliga-toire aux membres de la population active ainsi qu’aux travailleursinvalides ou retraités, vise la mise en œuvre de ce principe dans lesrégimes légaux couvrant les risques maladie, invalidité, vieillesse, acci-dent du travail ou maladie professionnelle et chômage et dans lesdispositions d’aide sociale correspondantes. Elle interdit toute discri-mination directe ou indirecte fondée sur le sexe, par référence, notam-ment, à l’état matrimonial ou familial, tout en laissant aux Etatsmembres des possibilités de dérogation. Le but est d’éliminer progres-sivement toute discrimination entre hommes et femmes dans lessystèmes de sécurité sociale des Etats membres en ce qui concerneles prestations en faveur des personnes empêchées d’exercer une acti-vité lucrative dans les éventualités visées. La Cour européenne de jus-tice a été amenée dans une série d’affaires à statuer sur l’interpré-tation de cette directive. Nous allons voir ici les principaux élémentsde sa jurisprudence.

Champ d’application personnel: la population activeSelon l’article 2, la directive 79/7/CEE «s’applique à la population

active, y compris les travailleurs indépendants, les travailleurs dont l’acti-vité est interrompue par une maladie, un accident ou un chômageinvolontaire et les personnes à la recherche d’un emploi, ainsi qu’aux tra-vailleurs retraités et aux travailleurs invalides». Comme l’article 119 dutraité CE, la directive concernant l’égalité de rémunération et la directiveconcernant l’égalité de traitement en matière d’emploi (voir notes 16 et14), elle vise les personnes qui travaillent dans les Etats membres de

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 343

l’Union européenne et dans les trois Etats de l’AELE membres del’Espace économique européen (Islande, Liechtenstein, Norvège) 32.

La directive 79/7/CEE ne s’applique pas à des personnes quin’exerçaient pas d’activité et qui ne sont pas à la recherche d’un emploini à des personnes dont l’activité a été interrompue pour une raisonautre que celles visées à l’article 3(1)a) – maladie, invalidité, vieillesse,accident du travail ou maladie professionnelle, chômage – et qui ne sontpas à la recherche d’un emploi 33. Elle ne s’applique à une personne quia interrompu son activité pour s’occuper de l’éducation de ses enfantset qui se trouve empêchée par la maladie de reprendre un emploi «qu’àla condition que cette personne ait été à la recherche d’un emploi dontla prospection a été interrompue par la survenance de l’un des risquesvisés à l’article 3(1)a)» 34.

La question du champ d’application personnel de la directive s’estposée dans l’affaire Drake c. Chief Adjudication Officer (Royaume-Uni),où la directive a été jugée applicable à une personne qui a renoncé à tra-vailler lorsqu’elle l’a fait pour une raison découlant de l’un des risques vi-sés à l’article 3(1)a)35. Mme Drake, mariée et vivant avec son mari, avaitexercé jusqu’au milieu de 1984 différentes activités salariées. Sa mère,handicapée et bénéficiaire à ce titre d’une allocation d’aide en vertu de laloi sur la sécurité sociale, étant venue vivre avec elle, elle a dû abandon-ner son travail pour s’occuper d’elle. En février 1985, Mme Drake a de-mandé à bénéficier en vertu de la même loi d’une allocation pour soins àpersonne invalide. Aux termes de la loi, la femme mariée vivant seuleavec son mari n’avait pas droit à cette prestation, qui était attribuée en re-vanche, dans les mêmes conditions, à l’homme marié. Il était implicite-ment admis à l’évidence qu’une femme vivant avec son mari était censéeaccomplir un travail non rémunéré de soins comme en l’espèce sans com-pensation de la sécurité sociale. Il s’agissait de savoir si le risque d’invali-dité visé par la directive 79/7/CEE s’étendait à l’invalidité de la mère deMme Drake et si cette dernière, qui avait interrompu son activité et quin’était pas à la recherche d’un emploi, était comprise dans le champ d’ap-plication personnel de la directive.

32 Sur la politique de la Norvège concernant les postes universitaires (postes réservés auxfemmes), voir l’arrêt de la Cour de justice de l’AELE dans l’affaire E-1/02, EFTA SurveillanceAuthority c. Norway, www.eftacourt.lu/pdf/E_1_02Decision-E.pdf.

33 Voir affaires jointes 48/88, 106/88 et 107/88, Achterberg-Te Riele et autres c. Sociale Ver-zekeringsbank Amsterdam, RJ 1989, p. 1963.

34 Affaire C-31/90, Johnson c. Chief Adjudication Officer, RJ 1991, p. I-3723.35 Affaire 150/85, RJ 1986, p. 1995. Voir aussi l’affaire C-165/91, Van Munster c. Rijksdienst

voor Pensioenen, RJ 1994, p. I-4661, concernant le taux de pension appliqué selon la situation duconjoint du travailleur (activité professionnelle, jouissance d’une pension de retraite ou d’un avan-tage en tenant lieu).

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344 Revue internationale du Travail

La Cour européenne de justice a observé que la notion de popula-tion active était définie d’une manière large. L’idée était qu’une per-sonne dont le travail a été interrompu par l’effet d’un des risques énumé-rés à l’article 3(1)a) en faisait partie. Quant à la prestation demandée,bien qu’elle dût être versée à une autre personne que l’invalide, elle de-vait être regardée comme relevant soit d’un régime légal assurant uneprotection contre l’un des risques visés, soit d’une disposition correspon-dante d’aide sociale. Le principe de l’égalité de traitement devaits’étendre dès lors à la personne qui prodiguait des soins. Au sujet de larestriction prévue dans le seul cas des femmes, la Cour a statué commesuit: «Constitue une discrimination fondée sur le sexe, interdite [...] par ladirective 79/7/CEE, le fait qu’une disposition prévoit de ne pas attribuerune prestation faisant partie d’un des régimes légaux visés [...] à la femmemariée habitant avec son conjoint ou entretenue par lui, alors qu’elle estattribuée, dans les mêmes conditions, à l’homme marié.» Cet arrêt ren-force à l’évidence la protection sociale des femmes qui s’occupent demembres de la famille, accomplissant un travail de soins non rémunéré.

Champ d’application matériel: les régimes légauxet les dispositions correspondantes d’aide sociale

Selon l’article 3(1), la directive 79/7/CEE «s’applique: a) aux ré-gimes légaux qui assurent une protection contre les risques suivants: ma-ladie, invalidité, vieillesse, accident du travail et maladie professionnelle,chômage; b) aux dispositions concernant l’aide sociale, dans la mesure oùelles sont destinées à compléter les régimes visés sous a) ou à y suppléer».Les risques que les régimes légaux sont censés couvrir sont clairement dé-finis. Les prestations d’aide sociale qui peuvent être prévues sont-ellesbien des prestations complémentaires ou alternatives? Dans bien des cas,la chose n’est pas claire, comme l’ont montré plusieurs affaires à proposde diverses prestations.

Dans l’affaire The Queen c. Secretary of State for Social Security, exparte Smithson (Royaume-Uni), la question s’est posée à propos de la dé-termination du montant d’une allocation 36. En vertu de la loi de 1986 surla sécurité sociale, une allocation de logement était versée aux personnesdont le revenu était inférieur à un certain revenu théorique, avec une ma-joration pour retraités. Cette majoration était appliquée notamment auxpersonnes âgées de 60 à 80 ans vivant seules et bénéficiant d’autres pres-tations, en particulier d’une pension d’invalidité. La pension d’invaliditéétait versée jusqu’à l’âge de la retraite, 60 ans pour les femmes et 65 anspour les hommes. Mme Smithson ayant cessé à l’âge de 60 ans d’en bénéfi-cier, elle s’est vu refuser en conséquence la majoration pour retraités dansdes conditions qu’elle jugeait discriminatoires.

36 Affaire C-243/90, RJ 1992, p. I-467.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 345

L’allocation de logement entrait-elle dans le champ d’applicationmatériel de la directive 79/7/CEE? La Cour européenne de justice ajugé que non. Pour en relever, la prestation doit «constituer tout ou par-tie d’un régime légal de protection contre l’un des risques énumérés àl’article 3(1) ou une forme d’aide sociale ayant le même but». Il fautqu’elle soit «liée directement et effectivement à la protection contrel’un ou l’autre des risques [en question]». L’article 3(1) ne vise pas desrégimes tendant à garantir une allocation au titre des frais de logementà toute personne dont le revenu est inférieur à une certaine norme.L’âge et l’invalidité ne constituent en l’occurrence que deux des critèresretenus pour établir les besoins financiers des personnes. Le fait que cescritères sont déterminants pour l’octroi d’une allocation majorée nesuffit pas à faire entrer cette allocation dans le champ de la directive.

L’affaire Jackson et Cresswell c. Chief Adjudication Officer(Royaume-Uni) portait sur les conditions d’attribution de deux presta-tions prévues par la loi de 1976 sur les prestations supplémentaires et laloi de 1986 sur la sécurité sociale: l’allocation supplémentaire et le com-plément de ressources 37. Ces prestations étaient versées dans une sériede situations à des personnes qui ne disposaient pas de revenus suffi-sants. En tant que mères seules, Mmes Jackson et Cresswell étaientexemptées de l’obligation d’être disponibles pour exercer un emploi.Selon elles, les frais de garde des enfants lors des périodes de formationou de travail à temps partiel devaient être déduits du revenu d’unemère seule (pour la détermination du montant des prestations) afind’éviter un effet de discrimination indirecte.

La Cour européenne de justice en a jugé autrement. Pour elle, lesprestations en cause n’étaient pas des prestations directement et effec-tivement liées à la protection contre l’un des risques énumérés à l’arti-cle 3(1) de la directive 79/7/CEE, le risque de chômage en l’espèce. Celaressortait clairement du fait que, dans certaines situations, les bénéfi-ciaires pouvaient être exemptés de l’obligation d’être disponibles pourexercer un emploi.

La question du champ d’application matériel de la directive 79/7/CEE s’est posée dans l’affaire Atkins c. Wrekin District Council et Depart-ment of Transport (Royaume-Uni) au sujet des réductions de tarif pré-vues dans les transports publics pour certaines catégories de personnes 38.En l’occurrence, il s’agissait des hommes âgés de plus de 65 ans et desfemmes âgées de plus de 60 ans, limites correspondant à l’âge de la re-traite. M. Atkins s’estimait victime d’une discrimination pour s’être vurefuser à l’âge de 63 ans le bénéfice de réductions auxquelles une femmedu même âge aurait eu droit.

37 Affaires jointes C-63/91 et C-64/91, RJ 1992, p. I-4737. Voir aussi l’affaire C-116/94,Meyers c. Adjudication Officer, RJ 1995, p. I-2131 (exposée plus loin).

38 Affaire C-228/94, RJ 1996, p. I-3633.

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346 Revue internationale du Travail

La Cour de justice a constaté que les réductions de tarif ont pourbut de faciliter l’accès aux transports publics de certaines catégories depersonnes qui en sont, pour des raisons diverses, particulièrement tri-butaires tout en ayant, pour les mêmes raisons, des ressources réduites.Il ne s’agit pas d’une mesure qui assure une protection directe et effec-tive contre l’un des risques énumérés dans l’article 3(1) de la directive.Les dispositions d’aide sociale n’entrent dans le champ d’applicationmatériel de celle-ci que lorsqu’elles sont destinées à compléter les régi-mes légaux visés ou à y suppléer, condition qui n’était pas remplie parles réductions de tarif.

Effet direct de la directive 79/7/CEESelon l’article 4(1) de la directive 79/7/CEE:

Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discriminationfondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notam-ment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne:

● le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes;

● l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations;

● le calcul des prestations [...]

La directive demande aux Etats membres de prendre les mesuresnécessaires «afin que soient supprimées les dispositions législatives,réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité detraitement» (art. 5). Il leur appartient d’introduire dans l’ordre juri-dique interne «les mesures nécessaires pour permettre à toute personnequi s’estime lésée par la non-application du principe de l’égalité de trai-tement de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éven-tuellement, le recours à d’autres instances compétentes» (art. 6). Bienque les Etats membres eussent un assez long délai, six ans, pour mettreleur législation en harmonie avec la directive, certains ont tardé à lefaire, manquement dont les conséquences ont entraîné des actions enjustice.

Le cas s’est produit aux Pays-Bas en ce qui concerne les alloca-tions de chômage, objet de l’affaire Etat néerlandais c. Federatie Neder-landseVakbeweging 39. Aux termes de la loi sur les secours aux chô-meurs étaient exclus du droit aux prestations «les travailleurs qui, ayantle statut de femme mariée, ne peuvent pas être qualifiés de chefs defamille [...] ou qui ne vivent pas en permanence séparés de leur con-joint», dérogation au principe de l’égalité de traitement non autoriséepar la directive 79/7/CEE. Un projet de loi modifiant cette disposition

39 Affaire 71/85, RJ 1986, p. 3855.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 347

a été rejeté par le parlement. La disposition a continué d’être appliquéeen attendant l’adoption d’un nouveau projet de loi. La question a étésoumise à titre préjudiciel à la Cour européenne de justice, invitée àdire s’il fallait considérer que cette disposition n’était plus applicableà partir du 23 décembre 1984 – date limite pour la transposition de ladirective dans le droit national – et à quelles prestations les femmesconcernées pouvaient prétendre.

La Cour a jugé que, considéré en lui-même et compte tenu de lafinalité de la directive et de son contenu, l’article 4(1) était suffisam-ment précis pour être invoqué par un justiciable et appliqué par le juge.Les mêmes prestations devaient ainsi être accordées aux femmes et auxhommes:

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE [...] peut, à défaut de mise enœuvre de la directive, être invoqué à partir du 23 décembre 1984 pour écarterl’application de toute disposition nationale non conforme audit article [...] Enl’absence de mesures d’application dudit article, les femmes ont le droit d’êtretraitées de la même façon et de se voir appliquer le même régime que les hommesse trouvant dans la même situation, régime qui reste [alors] le seul système deréférence valable.

La même loi, modifiée par un texte du 24 avril 1985, c’est-à-direaprès l’expiration du délai fixé par la directive pour la transposition de sesdispositions, s’est trouvée en cause dans une autre affaire 40. La disposi-tion discriminatoire avait été abrogée mais avec une disposition transi-toire en vertu de laquelle elle restait applicable aux femmes qui avaientperdu leur emploi avant le 23 décembre 1984 (celles-ci devaient toujoursjustifier de leur qualité de chef de famille). La Cour a déclaré que la direc-tive 79/7/CEE ne permettait pas aux Etats membres de maintenir à titretransitoire d’anciennes inégalités de traitement fondées sur le sexe. La loiétait sur ce point contraire à la directive. Les requérantes pouvaient pré-tendre aux mêmes prestations que les hommes sans avoir à établir leurqualité de chef de famille.

Une question analogue a été soumise à la Cour européenne de jus-tice dans l’affaire McDermott et Cotter c. Minister for Social Welfare etAttorney-General (Irlande) à propos de la limitation du temps de verse-ment des allocations de chômage pour les femmes mariées 41. Enchômage, Mmes McDermott et Cotter ont touché ces allocations de jan-vier 1984 à janvier 1985. Le versement en a alors été interrompu aumotif qu’une femme mariée n’y avait droit que pendant trois centdouze jours. Dans le cas de Mme Cotter, l’allocation avait été versée enoutre à un taux plus bas que pour un homme marié ou célibataire. La

40 Affaire 80/87, Dik, Menkutos-Demirci et Laar-Vreeman c. College van Burgemeester enWethouders à Arnhen et à Winterswijk, RJ 1988, p. 1601.

41 Affaire 286/85, McDermott et Cotter I, RJ 1987, p. 1453. Voir aussi affaire C-377/89,McDermott et Cotter c. Minister for Social Welfare et Attorney-General, McDermott et Cotter II, RJ1991, p. I-1155.

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348 Revue internationale du Travail

loi applicable n’avait pas été modifiée ou abrogée au 23 décembre 1984,terme du délai fixé par la directive 79/7/CEE. La juridiction irlandaisea demandé à la Cour si, à défaut de mesures de mise en œuvre de ladirective, les dispositions de celle-ci, notamment l’article 4, avaient uneffet direct en Irlande, les requérantes ayant alors droit aux mêmesprestations que les hommes mariés. La Cour a répondu affirmative-ment à la question: «l’article 4, paragraphe 1, de la directive [...] peut[...] être invoqué à partir du 23 décembre 1984 pour écarter l’applica-tion de toute disposition nationale non conforme audit article [...]».

L’affaire Clarke c. Chief Adjudication Officer (Royaume-Uni) con-cernait le droit à une prestation d’invalidité versée en cas d’inaptitude autravail et à la condition additionnelle, pour les femmes mariées, qu’ellessoient inaptes aussi aux tâches domestiques 42. Mme Clarke remplissait lapremière condition mais non la seconde. Dans son arrêt, la Cour euro-péenne de justice se réfère à l’affaire McDermott et Cotter I et redit que,en l’absence de mesures d’application de l’article 4(1) de la directive 79/7/CEE, «les femmes ont le droit [...] de se voir appliquer le même régimeque les hommes se trouvant dans la même situation».

Dans l’affaire Teuling c. Bedrijfsvereniging voor de Chemische In-dustrie (Pays-Bas), le litige portait sur les majorations prévues, dans lesystème de prestations en cas d’incapacité de travail, compte tenu, d’unepart, du revenu du conjoint, et, d’autre part, des charges familiales 43. At-teinte d’incapacité de travail, Mme Teuling n’avait pas eu droit au coursd’une certaine période (avant le décès de son mari) aux majorations pourcharges familiales, son mari ayant un revenu supérieur au maximum fixé.La Cour européenne de justice n’a pas jugé ce système d’indemnisationcontraire à l’article 4(1) de la directive 79/7/CEE «lorsqu’[il] vise à garan-tir, au moyen d’une majoration d’une prestation de sécurité sociale, le mi-nimum de moyens d’existence adéquat pour les ayants droit avec un con-joint ou des enfants à charge en compensant leurs charges accrues parrapport aux personnes seules».

Possibilités de dérogationLa directive 79/7/CEE autorise les Etats membres à exclure de son

champ d’application la fixation de l’âge de la retraite pour les pensionsde vieillesse et de retraite (et les conséquences pouvant en découlerpour d’autres prestations); les dispositions prévues en faveur despersonnes qui élèvent des enfants; l’octroi de droits dérivés à l’épousepour les prestations de vieillesse ou d’invalidité; l’octroi de majorationsau titre de l’épouse à charge pour les prestations à long terme d’inva-lidité, de vieillesse, d’accident du travail ou de maladie professionnelle

42 Affaire 384/85, RJ 1987, p. 2865.43 Affaire 30/85, RJ 1987, p. 2497.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 349

(art. 7). La Cour européenne de justice a été saisie dans plusieurs af-faires de diverses questions sur la portée de ces dispositions.

L’affaire Van Cant c. Rijksdienst voor Pensioenen (Belgique) con-cerne l’âge de la retraite et le mode de calcul de la pension 44. L’âge nor-mal avait été fixé à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes.Le droit à la pension s’acquérait par année civile à raison d’une fractionde la rémunération prise en compte, 1/45 pour les hommes, 1/40 pourles femmes. En 1990, la loi a instauré un régime d’âge flexible, tous lessalariés, hommes et femmes, pouvant prendre leur retraite à partir del’âge de 60 ans, sans modifier le mode de calcul de la pension. M. vanCant a pris sa retraite à l’âge de 65 ans. Il contestait la méthode de cal-cul de sa pension en faisant valoir qu’elle aboutissait à un résultat moinsfavorable que la méthode applicable aux femmes.

La Cour a rappelé que des dispositions nationales qui prévoient unmode de calcul des pensions différent selon le sexe revêtent un caractèrediscriminatoire au regard de l’article 4(1) de la directive 79/7/CEE.Pareille discrimination ne peut se justifier en vertu de l’article 7(1)a) quesi des âges de la retraite différents ont été maintenus pour les hommes etpour les femmes45. Dès l’instant où la législation nationale supprime ladifférence, il n’est plus possible de justifier l’application de deux modesde calcul distincts46. En l’espèce, l’effet direct de l’article 4(1) – dispo-sition «inconditionnelle et suffisamment précise» – pouvait être invoquédès le 23 décembre 1984, date limite fixée pour la transposition de ladirective dans le droit des Etats membres. La méthode de calcul appli-cable aux travailleurs féminins l’était aussi à compter de cette date aurequérant.

Au Royaume-Uni, dans le régime public de retraite, les hommesétaient tenus de cotiser quarante-quatre ans et les femmes trente-neufans pour avoir droit à la même pension de base à taux plein. Entre l’âgede 60 et l’âge de 64 ans, les hommes occupant un emploi devaient coti-ser, les femmes non. Saisie par la Commission nationale de l’égalité deschances, la Haute Cour de justice a demandé à ce sujet une décisionpréjudicielle à la Cour européenne de justice 47.

44 Affaire C-154/92, RJ 1993, p. I-3811. Voir aussi affaires jointes C-377/96 à C-384/96, DeVriendt c. Rijksdienst voor Pensioenen, RJ 1998, p. I-2105; affaire C-154/96, Wolfs c. Office nationaldes pensions (ONP), RJ 1998, p. I-6173; affaire C-172/02, Bourgard c. Institut national d’assurancessociales pour travailleurs indépendants (INASTI), RJ 2004, http://curia.eu.int/fr/content/juris/index.htm.

45 L’article 7(1)a) dit textuellement: la directive «ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont lesEtats membres d’exclure de son champ d’application [...] la fixation de l’âge de la retraite pourl’octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découlerpour d’autres prestations».

46 Ce sont aux juridictions nationales qu’il appartient d’établir si l’Etat a supprimé la diffé-rence dans les âges fixés selon le sexe pour l’ouverture du droit à la pension, point de fait.

47 Affaire C-9/91, The Queen c. Secretary of State for Social Security, ex parte The EqualOpportunities Commission, RJ 1992, p. I-4297.

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350 Revue internationale du Travail

Pour la Cour européenne, il était clair que la dérogation prévue àl’article 7(1)a) de la directive 79/7/CEE concernait le moment à partir du-quel une pension est due: les Etats membres sont libres de déterminerl’âge légal de versement de la pension pour les hommes et les femmes.Les discriminations sur lesquelles elle était interrogée, nécessairementliées à la fixation d’âges différents, relevaient de ce fait de la dérogation.Le législateur communautaire avait choisi d’autoriser les Etats membresà maintenir temporairement en matière de retraite les avantages recon-nus aux femmes afin qu’ils puissent adapter progressivement leur sys-tème de pensions sans en perturber l’équilibre financier.

Au Royaume-Uni encore, la loi sur la sécurité sociale instituait uneallocation d’invalidité grave ainsi qu’une allocation pour soins à une per-sonne frappée d’une telle invalidité. Etaient en principe exclues du béné-fice de ces prestations les personnes ayant atteint l’âge de la retraite,65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes. Mme Thomas et quatreautres femmes s’étaient vu refuser l’une ou l’autre de ces prestations aumotif qu’elles étaient devenues invalides ou qu’elles avaient fait leur de-mande alors qu’elles avaient dépassé l’âge de la retraite. L’affaire a faitl’objet d’un renvoi préjudiciel auprès de la Cour européenne de justice 48.

La Cour a relevé à nouveau que des dispositions nationales quiexcluent les femmes ayant dépassé l’âge de 60 ans du bénéfice de pres-tations alors que les hommes continuent d’y avoir droit jusqu’à l’âge de65 ans revêtent un caractère discriminatoire. Pareille discrimination nepeut se justifier le cas échéant qu’en application de l’article 7(1)a) de ladirective 79/7/CEE. S’agissant d’une dérogation au principe de l’égalitéde traitement, la Cour s’en est tenue à une interprétation stricte de cettedisposition. Les discriminations prévues dans d’autres régimes que lesrégimes de pensions de vieillesse ne peuvent se justifier en tant que con-séquences de la fixation d’âges de la retraite différents pour les hommeset les femmes «que si ces discriminations sont objectivement néces-saires pour éviter de mettre en cause l’équilibre financier du système desécurité sociale ou pour garantir la cohérence entre le régime de pen-sions et [les autres régimes]». Le domaine de la dérogation admise ence qui concerne les conséquences pouvant découler pour d’autres pres-tations de la fixation d’âges de la retraite différents selon le sexe, ainsique le dit l’article 7(1)a), «est limité aux discriminations existant dansles autres régimes [...] qui sont nécessairement et objectivement liées àla différence quant à l’âge de la retraite».

Tout en relevant qu’il appartenait à la juridiction nationale d’éta-blir si cette condition était remplie, la Cour a donné des indications surles éléments à considérer. Elle note ainsi que l’octroi de prestations noncontributives comme l’étaient les allocations considérées n’a pas d’inci-

48 Affaire C-328/91, Secretary of State for Social Security c. Thomas et autres, RJ 1993,p. I-1247.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 351

dence directe sur l’équilibre financier du régime de pensions. Il n’y apas à cet égard de lien entre ces prestations et ce régime. L’équilibrefinancier du système de sécurité sociale n’est pas menacé, notammentdans la mesure où il existe des règles empêchant le cumul de prestationstelles que les allocations considérées et de la pension de vieillesse et oùces prestations se substituent à d’autres prestations non contributivescomme les allocations aux personnes ne disposant pas de ressourcessuffisantes.

En Italie, les travailleurs pouvaient prétendre à la retraite à l’âge de60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Des dispositionsparticulières étaient applicables aux salariés des entreprises déclarées encrise. Ceux-ci pouvaient prendre une retraite anticipée avec un crédit decotisations pour la période comprise entre la date de résiliation de leurcontrat et la date de leurs 60 ans pour les hommes, de leurs 55 ans pour lesfemmes. C’est la situation dans laquelle s’est trouvée Mme Balestra49.Ayant quitté son emploi avant l’âge de 55 ans, elle avait bénéficié d’uncrédit de cotisations pour la période la séparant de cet âge, alors que lapériode prise en compte allait jusqu’à 60 ans pour les hommes. Question-née à ce sujet, la Cour européenne de justice a admis la différence faite se-lon le sexe dans le mode de calcul des prestations de préretraite, car elleétait «objectivement et nécessairement liée à la fixation d’un âge d’accèsà la retraite différent pour les hommes et pour les femmes».

Les Etats membres peuvent choisir, non d’éliminer d’un coup unediscrimination, mais de le faire par étapes, en améliorant progressive-ment les dispositions applicables au sexe défavorisé. Cela a été admis parla Cour européenne de justice en ce qui concerne les dispositions rele-vant de l’article 7(1) de la directive 79/7/CEE dans l’affaire Bramhillc. Chief Adjudication Officer (Royaume-Uni)50. La Cour rappelle que ladirective vise la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de trai-tement entre hommes et femmes. Conformément à cet objectif, l’article7(1) autorise l’adoption de dispositions qui, tout en comportant des diffé-rences selon le sexe, ont pour effet de réduire la portée d’une inégalité detraitement entre hommes et femmes par rapport à la situation antérieure.

L’avis de la Cour européenne de justice a été demandé dans di-verses affaires portant sur des avantages liés à l’âge de la retraite, quandcet âge est différent pour les hommes et les femmes. Au Royaume-Uni,par exemple, la législation prévoyait le versement d’une allocation dechauffage aux personnes ayant atteint l’âge de 65 ans pour les hommes etde 60 ans pour les femmes – âge légal de la retraite – et bénéficiant de cer-taines prestations telles qu’une pension de retraite ou d’invalidité. Agé de

49 Affaire C-139/95, Balestra c. Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS), RJ 1997,p. I-549.

50 Affaire C-420/92, RJ 1994, p. I-3191.

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352 Revue internationale du Travail

62 ans et à la retraite, M. Taylor percevait une pension de l’administra-tion des postes. S’étant vu refuser l’allocation de chauffage, il s’estimaitvictime d’une discrimination car une femme du même âge y aurait eudroit51. L’affaire a donné lieu à un renvoi préjudiciel auprès de la Coureuropéenne de justice au regard de la directive 79/7/CEE.

Dans ses observations, le gouvernement du Royaume-Uni a faitvaloir que la prestation considérée, qui visait uniquement à prévenir unpossible défaut de ressources, ne relevait pas des dispositions commu-nautaires concernant l’égalité de traitement entre hommes et femmesen matière de sécurité sociale. La Cour n’a pas suivi ce raisonnement.Versée uniquement aux personnes ayant atteint l’âge légal de laretraite, la prestation tendait bien à les protéger «directement et effec-tivement» contre le risque vieillesse et relevait donc de la directive. Ladérogation prévue à l’article 7(1)a) était-elle applicable en l’espèce?La Cour a jugé que, si la prestation considérée ne devait être verséequ’à partir d’un certain âge, cet âge ne devait pas «nécessairement coïn-cider avec l’âge légal de la retraite». Il n’était pas possible dans ces con-ditions de se prévaloir de l’article 7(1)a) pour maintenir des âgesdifférents selon le sexe. Au Royaume-Uni encore, la réglementationprévoyait l’exonération du paiement des frais afférents à la fourniturede produits et d’appareils médicaux dans le cadre du Service nationalde santé pour les personnes ayant atteint l’âge de 65 ans pour leshommes et de 60 ans pour les femmes. Agé de 64 ans, retraité,M. Richardson s’estimait victime à cet égard d’une discrimination. Ils’agissait là aussi de savoir si cet avantage relevait de la directive 79/7/CEE et si l’article 7(1)a) était applicable 52.

La Cour européenne de justice a jugé que la prestation considérée,«liée directement et effectivement à la protection contre l’un des risquesénumérés à l’article 3, paragraphe 1», relevait de la directive. La déroga-tion prévue à l’article 7(1)a) n’était applicable que si la discrimination in-troduite par les conditions d’âge était «nécessairement et objectivementliée à la différence quant à l’âge de la retraite», eu égard notamment à lanécessité de préserver l’équilibre financier du système de sécurité so-ciale. En l’espèce, il existait une relation inverse entre le droit à la presta-tion et le paiement de cotisations au régime de retraite: ce n’est que lors-que la personne avait atteint l’âge de la retraite qu’elle bénéficiait del’exonération du paiement des frais médicaux. Il fallait admettre alorsque la suppression de la disposition discriminatoire n’aurait pas d’inci-dence sur l’équilibre financier du régime de pensions. La Cour en conclutque l’article 7(1)a) «n’autorise pas un Etat membre qui [...] a fixé l’âge de

51 Affaire C-382/98, The Queen c. Secretary of State for Social Security, ex parte Taylor, RJ2004, http://curia.eu.int/fr/content/juris/index.htm.

52 Affaire C-137/94, The Queen c. Secretary of State for Health, ex parte Richardson, RJ 1995,p. I-3407.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 353

la retraite des femmes à 60 ans et celui des hommes à 65 ans à prévoir éga-lement que les femmes bénéficient d’une exonération des frais médicauxdès l’âge de 60 ans et les hommes uniquement dès l’âge de 65 ans».

Deux arrêts récents de la Cour européenne de justice portent sur laprise en compte de l’âge de la retraite, différent pour les hommes et lesfemmes, en ce qui concerne le versement de prestations d’incapacité.Dans l’affaire Hepple et autres c. Adjudication Officer (Royaume-Uni),les litiges concernaient le versement de l’allocation pour diminution derevenu aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie profession-nelle ou le versement de l’allocation de retraite correspondante 53.Jusqu’en 1986, l’allocation pour diminution de revenu restait due aprèsque le bénéficiaire avait atteint l’âge de la retraite, 65 ans pour leshommes et 60 ans pour les femmes, et commencé à percevoir la pensionde vieillesse. Des mesures législatives ont été prises alors pour en limiterle versement aux personnes en âge normal de travailler, avec intro-duction d’une allocation de retraite qui la remplaçait pour les personnesayant atteint l’âge de la retraite et abandonné toute activité. Mme Heppleet quatre autres personnes faisaient valoir qu’à la suite de ces modifi-cations elles touchaient, depuis qu’elles avaient atteint cet âge, uneallocation moindre qu’une personne de l’autre sexe dans une situationcomparable.

La Cour a considéré que l’application de conditions d’âge diffé-rentes selon le sexe était «objectivement nécessaire» pour assurer la co-hérence du régime d’allocations, visant à compenser la baisse du revenuprofessionnel, et du régime de pensions de retraite. Il était correct dansces conditions de reconnaître l’existence d’un «lien nécessaire» entre lesdeux régimes et d’appliquer des conditions d’âge différentes.

Dans l’affaire Buchner et autres c. Sozialversicherungsanstalt derBauern (Autriche), les litiges portaient sur le versement d’une pensionde vieillesse pour incapacité de travail 54. En vertu de la législationapplicable aux agriculteurs, les assurés avaient droit au versement anti-cipé de la pension à partir de l’âge de 57 ans pour les hommes et de55 ans pour les femmes. M. Buchner et les autres requérants avaient vuleurs demandes de pension rejetées parce qu’ils n’avaient pas atteintl’âge de 57 ans. Dans cette affaire, la Cour européenne de justice n’a pasreconnu l’existence d’un lien entre l’âge minimal fixé pour ce qui étaiten fait une pension d’incapacité et l’âge légal de la retraite puisque aussibien le premier était inférieur au second de cinq ans pour les femmes etde huit ans pour les hommes. La discrimination opérée par les condi-tions d’âge n’était pas admissible au regard du droit communautaire.

Comme on le voit, la directive 79/7/CEE autorise certaines déro-gations au principe de l’égalité de traitement, tout en demandant aux

53 Affaire C-196/98, RJ 2000, p. I-3701.54 Affaire C-104/98, RJ 2000, p. I-3625.

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354 Revue internationale du Travail

Etats membres de s’assurer périodiquement qu’il est justifié de mainte-nir les exclusions prévues, dans l’optique d’une réduction graduelle desinégalités de traitement. Si la législation nationale, qui fixait des âges dela retraite différents pour les hommes et les femmes, supprime cette dif-férence, le mode de calcul des pensions doit être le même pour les unset les autres. La dérogation autorisée quant à la fixation de l’âge de laretraite pour les pensions de vieillesse ou de retraite peut étendre seseffets à d’autres prestations mais seulement si cela se justifie du pointde vue de l’équilibre financier du système de sécurité sociale ou de lacohérence des régimes.

Le problème de la discrimination indirecteLes régimes légaux de sécurité sociale réservent souvent le droit aux

prestations aux personnes qui justifient d’un nombre minimal d’heures detravail (par semaine, par mois) ou d’une durée minimale d’affiliation.Dans bien des cas, les conditions de ce genre ne sont pas remplies par lespersonnes – des femmes le plus souvent – qui exercent des formesatypiques d’emploi: travail à temps partiel, emplois de courte durée, tra-vail intermittent, emplois partagés. Cette exclusion de fait des régimes lé-gaux doit-elle être considérée comme une discrimination indirecte fon-dée sur le sexe?

La discrimination indirecte est expressément définie dans la direc-tive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les casde discrimination fondée sur le sexe (97/80/CE, art. 2(2)) 55. Les régimesvisés par la directive 79/7/CEE (art. 3(1)) ne sont cependant pas comprisdans ce texte. Bien que la notion de discrimination indirecte n’appa-raisse pas explicitement dans la directive 79/7/CEE, la Cour euro-péenne de justice a établi à ce sujet une jurisprudence qui fait partie del’acquis communautaire.

Les Etats membres ont, quant à l’égalité de traitement dans les ré-gimes légaux de sécurité sociale, une marge d’appréciation plus grandequ’en ce qui concerne l’égalité de rémunération ou l’égalité de traite-ment en matière d’emploi. Doivent être réputées contraires à l’ar-ticle 4(1) de la directive 79/7/CEE les dispositions nationales qui, bienque formulées de façon neutre, désavantagent en fait une proportionbeaucoup plus importante de femmes que d’hommes (ou l’inverse), àmoins que ces dispositions ne s’expliquent par des facteurs objectifsétrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. Les dispositions enquestion doivent répondre à un objectif légitime de politique sociale et serévéler nécessaires et appropriées pour atteindre cet objectif. Il est clairque la Cour européenne de justice n’entend pas intervenir à l’excès dansce domaine extrêmement sensible des politiques nationales, compte tenu

55 Pour le texte de la directive, voir JO, no L 14, 20 janvier 1998.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 355

des conditions historiques et sociales auxquelles elles répondent et desimportantes implications financières qu’elles comportent.

La question de la discrimination indirecte s’est posée à propos dela majoration de pension prévue aux Pays-Bas au titre du conjoint àcharge dans le régime général de pensions de vieillesse. Selon la légis-lation, toute personne, homme ou femme, avait droit à l’âge de 65 ansà une pension de vieillesse d’un montant maximal égal, dans le casd’une personne mariée dont le conjoint à charge n’avait pas atteint cetâge, à 70 pour cent du salaire minimal net. Le pensionné pouvait béné-ficier en outre, dans le cas d’une telle personne, d’une majoration pourson conjoint à concurrence de 30 pour cent du même salaire, comptetenu du revenu tiré directement ou indirectement par le conjoint d’uneactivité professionnelle. Dans le cas considéré, une déduction avait étéopérée sur la majoration accordée à M. Molenbroek, son épouse, plusjeune, continuant de percevoir une allocation d’incapacité de travail 56.M. Molenbroek a introduit un recours contre la décision prise à sonendroit, en faisant observer que, dans les couples mariés, la femme esthabituellement plus jeune que l’homme, si bien que la disposition appli-quée touchait principalement les pensionnés de sexe masculin.

La Cour européenne de justice a relevé que la règle en questionn’était liée ni directement ni indirectement au sexe des pensionnés. Lamajoration visait uniquement à garantir aux couples mariés où l’un desconjoints n’avait pas encore atteint l’âge de la pension un revenu globalégal à celui qu’ils toucheraient lorsque les deux conjoints seraient titu-laires d’une pension. La législation répondait à un objectif légitime de po-litique sociale: garantir aux intéressés un revenu égal au minimum socialindépendamment des revenus qu’ils pouvaient percevoir par ailleurs.L’application de dispositions analogues dans le régime néerlandais d’aidesociale a été admise dans les affaires Laperre57 et Teuling58.

Dans deux arrêts importants, la Cour européenne de justice s’estprononcée sur les conditions d’assujettissement aux régimes légaux d’as-surance sociale en Allemagne. Mme Nolte avait travaillé jusqu’en 1965 encotisant à l’assurance vieillesse, à laquelle elle était assujettie. Par la suite,elle s’est consacrée à l’éducation de ses enfants puis a exercé des «emploismineurs», non assujettis à l’assurance 59. Souffrant d’une grave maladie,

56 Affaire C-226/91, Molenbroek c. Bestuur van de Sociale Verzekeringsbank, RJ 1992,p. I-5943.

57 Affaire C-8/94, Laperre c. Bestuurcommissie Beroepszaken in de Provincie Zuid-Holland, RJ 1996, p. I-273.

58 Voir note 43.59 Selon les dispositions applicables, un emploi était considéré comme «mineur» lorsqu’il

comportait normalement moins de quinze heures par semaine et que le salaire mensuel ne dépas-sait pas normalement un septième du salaire moyen des assurés du régime (en 1993, 530 DM parmois dans les anciens Länder et 390 DM dans les nouveaux).

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356 Revue internationale du Travail

elle a demandé en 1988 à être mise à la retraite avec une pension d’invali-dité. Sa demande a été rejetée au motif qu’elle ne justifiait pas de trois an-nées de cotisation pour des emplois assujettis à l’assurance au cours descinq années précédant l’invalidité 60. Mmes Megner et Scheffel exerçaienttoutes deux des emplois mineurs (ou «à horaire réduit»). Elles ont de-mandé que soit reconnue leur obligation d’assurance dans les régimesvieillesse, maladie et chômage. Leurs demandes ont été rejetées car leursemplois n’étaient pas assujettis à ces régimes 61. Les personnes occupéesdans des emplois mineurs étant principalement des femmes, il fallait sedemander si les conditions d’assujettissement aux régimes ne consti-tuaient pas une discrimination indirecte.

La Cour européenne de justice a confirmé d’abord que les per-sonnes qui, comme les requérantes, exerçaient des emplois mineursdevaient être considérées, même si elles ne tiraient de leur activitéqu’un faible revenu, comme comprises dans la population active et doncdans le champ d’application personnel de la directive 79/7/CEE (art. 2).Cela établi, la Cour n’a pas jugé que les conditions d’assujettissementaux régimes opéraient une discrimination indirecte. Elle a suivi le gou-vernement allemand, qui expliquait l’exclusion des personnes occupantces emplois par la structure et le caractère contributif du système alle-mand de sécurité sociale, comme par la demande sociale pour lesemplois mineurs, qui appelait des dispositions appropriées dans sa poli-tique sociale. Elle a rappelé à ce propos que celle-ci relevait, en l’étatdu droit communautaire, de la compétence des Etats membres 62.

Egalité de traitement en matière de sécurité sociale –en matière d’emploi

L’application d’âges de la retraite différents pour les hommes et lesfemmes dans les régimes légaux de pensions peut conduire à des dif-férences de traitement en matière d’emploi. Il s’agit de savoir si les diffé-rences de traitement admises selon le sexe en application de la directive79/7/CEE peuvent être invoquées dans des situations relevant de la di-rective concernant l’égalité de traitement en matière d’emploi (76/207/CEE).

La première affaire dont la Cour européenne de justice ait été sai-sie à cet égard concernait la fixation d’âges différents selon le sexe pourle départ volontaire à la retraite dans une entreprise qui supprimait des

60 Affaire C-317/93, Nolte c. Landesversicherungsanstalt Hannover, RJ 1995, p. I-4625.61 Affaire C-444/93, Megner et Scheffel c. Innungskrankenkasse Vorderpfalz, RJ 1995,

p. I-4741.62 Pour un arrêt concernant une possible discrimination indirecte en matière de travail à

temps partiel et de pensions dans la fonction publique, voir les affaires jointes C-4/02 et C-5/02,Schönheit c. Stadt Frankfurt am Main et Becker c. Land Hessen, RJ 2003, http://curia.eu.int/fr/content/juris/index.htm.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 357

emplois 63. M. Burton était employé des chemins de fer britanniques.Dans le cadre d’une réorganisation, la compagnie avait offert une pos-sibilité de départ volontaire qui permettait aux membres du personnelayant dépassé l’âge de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour lesfemmes de quitter la compagnie en bénéficiant des dispositions prévues(indemnités et pension, reclassement). Agé de 58 ans, M. Burton ademandé à bénéficier de cette possibilité. Sa demande a été rejetée caril n’avait pas atteint l’âge minimal fixé pour les hommes. Il estimait êtretraité moins favorablement que l’étaient les travailleuses puisqu’unefemme de son âge aurait pu prendre sa retraite. Selon la législation, ilfaut le rappeler, l’âge minimal pour bénéficier de la pension de retraitede l’Etat était de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes.

La Cour européenne de justice a interprété la directive 76/207/CEE (égalité de traitement en matière d’emploi, art. 5(1)) de façonlarge, comme applicable aux conditions de cessation de la relationd’emploi dans le cadre d’un dispositif volontaire. Ce dispositif était liéen l’espèce au système de retraite, puisqu’il offrait une possibilité dedépart au cours des cinq ans précédant l’âge légal de la retraite. LaCour n’a pas jugé discriminatoire la différence dans les conditions d’âgefixées pour les hommes et les femmes, l’écart étant le même par rapportaux âges de la retraite.

Dans l’affaire Roberts c. Tate & Lyle Industries Ltd (Royaume-Uni)64, le problème se posait en termes inverses: une pension de retraiteanticipée pouvait-elle être versée au même âge pour les hommes et lesfemmes alors que l’âge normal de la retraite était différent selon le sexe?Salariée de l’entreprise Tate & Lyle Industries, Mlle Roberts avait été li-cenciée à l’âge de 53 ans dans le cadre d’un licenciement collectif. Elleétait affiliée au régime d’entreprise, qui se substituait au régime légal. Cerégime assurait une retraite au personnel à partir de l’âge de 65 ans pourles hommes et de 60 ans pour les femmes. Les employés touchés par le li-cenciement se sont vu offrir soit une indemnité unique, soit une pensionanticipée servie dans le cadre du régime d’entreprise dès l’âge de 60 anspour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Les salariés hommess’étant élevés contre ce qu’ils considéraient comme une condition discri-minatoire pour eux, l’entreprise a accepté d’accorder la pension immé-diate dès l’âge de 55 ans pour les salariés des deux sexes. Mlle Roberts asaisi la juridiction du travail, alléguant que son licenciement avait un ca-ractère discriminatoire car un homme pouvait toucher la pension dix ansavant l’âge normal de la retraite, une femme cinq ans seulement avant.

63 Affaire 19/81, Burton c. British Railways Board, RJ 1982, p. 555. Cet arrêt pose problèmeau regard de la jurisprudence récente relative aux pensions des agents publics et à la directive con-cernant l’égalité de traitement en matière d’emploi (voir notes 69 et 73).

64 Affaire 151/84, RJ 1986, p. 703.

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358 Revue internationale du Travail

Comme dans l’affaire Burton, la Cour européenne de justice aconsidéré le problème sous l’angle de l’égalité de traitement en matièred’emploi, des conditions de cessation de la relation de travail, et a admisl’application de la condition d’âge prévue, la même pour les deux sexes:

L’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207/CEE doit être interprété en cesens qu’une disposition conventionnelle fixant un âge égal pour le licenciementdes employés masculins et féminins dans le cadre d’un licenciement collectif quientraîne l’octroi d’une pension de retraite anticipée, alors que l’âge normal del’admission à la retraite est différent pour les hommes et les femmes, ne constituepas une discrimination fondée sur le sexe interdite par le droit communautaire.

Une autre affaire concerne, au Royaume-Uni aussi, le cas d’unefemme, Mlle Marshall, diététicienne employée par un service de santé,licenciée peu après avoir atteint l’âge de 62 ans – bien qu’elle eûtexprimé son désir de continuer à travailler jusqu’à l’âge de 65 ans – auseul motif qu’elle avait dépassé l’âge ouvrant droit à la pension deretraite de l’Etat, 60 ans pour les femmes, 65 ans pour les hommes.Mlle Marshall s’estimait victime d’une discrimination. La Cour euro-péenne de justice a été invitée à dire s’il fallait considérer la mesureappliquée à son endroit comme discriminatoire au regard du droit com-munautaire et, dans l’affirmative, si Mlle Marshall pouvait invoquerdirectement la directive 76/207/CEE devant les tribunaux nationaux 65.

La Cour a souligné ici aussi que le problème d’interprétation con-cernait non l’accès à un régime légal ou professionnel de sécurité sociale,mais l’égalité de traitement en matière d’emploi. La politique de licencie-ment appliquée – impliquant le licenciement d’une femme au seul motifqu’elle avait atteint ou dépassé l’âge, différent pour les hommes et lesfemmes, ouvrant droit à une pension de l’Etat – constituait une discrimi-nation interdite par la directive 76/207/CEE (égalité de traitement en ma-tière d’emploi), qu’il était possible d’invoquer directement contre uneautorité de l’Etat agissant en qualité d’employeur.

Une même mesure est à l’origine du litige dans l’affaire Foster etautres c. British Gas plc (Royaume-Uni) 66. Mme Foster et ses collèguesavaient été contraintes par la British Gas Corporation à prendre leurretraite parce qu’elles avaient atteint l’âge ouvrant droit à la pension del’Etat. Etablissement public à l’époque des faits, l’entreprise a été peuaprès privatisée. La Cour européenne de justice devait indiquer s’ilétait possible d’invoquer directement la directive 76/207/CEE contreune entreprise du type de la British Gas Corporation.

Se référant à l’affaire Marshall, la Cour a déclaré que, lorsque desjusticiables peuvent se prévaloir d’une directive contre l’Etat, ils peuventle faire quelle que soit la qualité en laquelle agit celui-ci, employeur ou

65 Affaire 152/84, Marshall c. Southampton et South-West Hampshire Area Health Au-thority (Marshall I), RJ 1986, p. 723.

66 Affaire C-188/89, RJ 1990, p. I-3313.

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 359

autorité publique. Dans l’un et l’autre cas, l’Etat ne doit pas pouvoir tireravantage de sa méconnaissance du droit communautaire. La Cour a indi-qué que l’article 5(1) de la directive 76/207/CEE, «disposition incondi-tionnelle et suffisamment précise» 67, pouvait être invoqué «contre un or-ganisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d’unacte de l’autorité publique d’accomplir, sous le contrôle de cette der-nière, un service d’intérêt public».

Dans l’affaire Beets-Proper c. F. van Lanschot Bankiers NV (Pays-Bas), où la Cour européenne de justice a tenu le même raisonnementque dans l’affaire Marshall, l’employeur était une entreprise privée 68.Mme Beets-Proper travaillait pour une banque. La relation d’emploiétait régie par la convention collective du secteur bancaire et par lerèglement du régime de pensions de la banque, aux termes duquel lesparticipants avaient droit à une pension de vieillesse à partir de la datede mise à la retraite, à l’âge de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pourles femmes. Ayant atteint l’âge de 60 ans, Mme Beets-Proper n’a plusété admise au travail, en raison de ce que la banque considérait commeune clause tacite de cessation automatique du contrat de travail conclusur la base de la convention collective. La Cour a jugé que, aux termesde la directive 76/207/CEE (égalité de traitement en matière d’emploi),il n’est pas loisible à un employeur privé de mettre fin à la relation detravail en raison de l’âge atteint par un travailleur lorsque cet âge estfonction de l’âge, différent pour les hommes et les femmes, auquel letravailleur acquiert le droit à une pension de retraite.

La question des effets des conditions d’âge fixées pour la pensionde retraite dans les régimes légaux s’est posée aussi dans l’affaire Kutz-Bauer c. Freie und Hansestadt Hamburg (Allemagne) 69. Mme Kutz-Bauer, employée par la ville de Hambourg, avait demandé à bénéficierd’un régime de travail à temps partiel institué, conformément à la légis-lation allemande, par une convention collective applicable à la fonctionpublique. Cette possibilité était ouverte aux salariés hommes et femmesdès l’âge de 55 ans (avec l’accord de l’employeur) et jusqu’à l’âge où ilspouvaient prétendre à une pension de retraite complète du régimelégal, la relation de travail prenant alors fin. La demande de Mme Kutz-Bauer a été rejetée, car elle était dans cette situation. Dans les faits, cer-tains travailleurs – en majorité des femmes – ne pouvaient bénéficier durégime de travail à temps partiel que jusqu’à l’âge de 60 ans, alors qued’autres – majoritairement des hommes – pouvaient en bénéficierjusqu’à l’âge de 65 ans.

67 «L’application du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions detravail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et auxfemmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.»

68 Affaire 262/84, RJ 1986, p. 773.69 Affaire C-187/00, RJ 2003, p. I-2741.

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360 Revue internationale du Travail

La Cour européenne de justice a été saisie de deux questions pré-judicielles au sujet de la conformité de la disposition appliquée avec ledroit communautaire. Le gouvernement allemand faisait valoir quele régime de travail à temps partiel visait à assurer un passage en dou-ceur de la vie active à la retraite en même temps qu’à créer des possibi-lités d’embauche pour des travailleurs en formation et des chômeurs. Ilajoutait qu’admettre des travailleurs (féminins) qui ont déjà acquis ledroit à une pension de retraite au bénéfice de ce régime aurait entraînédes charges financières supplémentaires qui en auraient compromis lesobjectifs.

La Cour a jugé que le problème concernait non les régimes légauxde sécurité sociale, domaine où les Etats membres disposent d’uneassez large marge d’appréciation, mais les conditions de travail, viséespar la directive 76/207/CEE. Pour la Cour, des dispositions telles quecelles qui étaient applicables en l’espèce entraînaient en fait une discri-mination à l’encontre des travailleurs féminins et n’étaient acceptablesque si elles pouvaient se justifier par des raisons objectives étrangères àtoute discrimination fondée sur le sexe. En ce qui concerne les considé-rations budgétaires, la Cour a relevé qu’elles pouvaient certes fonderdes choix de politique sociale et influer sur la nature ou l’étendue desmesures de protection sociale mais qu’elles ne constituaient pas parelles-mêmes un objectif de cette politique et ne pouvaient justifier unediscrimination au détriment de l’un ou l’autre sexe. Admettre que detelles considérations puissent justifier des différences de traitementimpliquerait que l’application et la portée d’une règle aussi fondamen-tale du droit communautaire que celle de l’égalité entre hommes etfemmes pourraient varier, dans le temps et dans l’espace, selon l’étatdes finances publiques. La Cour a statué ainsi que les dispositions de ladirective concernant l’égalité de traitement en matière d’emploi (76/207/CEE):

S’opposent à une disposition d’une convention collective applicable à la fonctionpublique qui autorise les employés de sexe masculin et de sexe féminin à bénéfi-cier du travail à temps partiel en raison de l’âge lorsque cette dispositionn’accorde le droit à un tel travail [...] que jusqu’à la date à laquelle il est possiblede faire valoir pour la première fois ses droits à une pension de retraite au tauxplein servie par le régime légal [...] et lorsque le groupe des personnes qui peuventprétendre à une telle pension dès l’âge de 60 ans est composé presque exclusive-ment de femmes alors que celui des personnes qui ne peuvent percevoir une tellepension qu’à compter de l’âge de 65 ans est composé presque exclusivementd’hommes, à moins que cette disposition ne soit justifiée par des critères objectifset étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Rappelant qu’il appartient aux juridictions nationales de veiller àl’exécution des obligations découlant du traité, la Cour précise:

En cas de violation de la directive 76/207/CEE par des dispositions législatives oudes dispositions de conventions collectives introduisant une discrimination con-

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Egalité hommes-femmes et sécurité sociale en Europe 361

traire à celle-ci, les juridictions nationales sont tenues d’écarter ladite discrimi-nation, par tous les moyens possibles, et notamment en appliquant lesditesdispositions au bénéfice du groupe défavorisé, sans avoir à demander ou à attendrel’élimination préalable de celles-ci par le législateur, par la négociation collectiveou autrement.

L’affaire Steinicke c. Bundesanstalt für Arbeit (Allemagne) concernele régime de travail à temps partiel prévu par la loi sur les fonctionnairesfédéraux70. Ce régime était ouvert, pour la période précédant la retraite,aux fonctionnaires qui avaient atteint l’âge de 55 ans et qui avaient tra-vaillé au moins trois années à temps plein au cours des cinq années précé-dentes. Mme Steinicke, qui travaillait en règle générale à mi-temps pourl’Office fédéral du travail, avait demandé à en bénéficier. Sa demande aété rejetée au motif qu’elle ne satisfaisait pas à la seconde des conditionsprévues. La Cour européenne de justice a été invitée à dire si celle-ci étaitcontraire aux dispositions communautaires car indirectement discrimina-toire dans une situation où beaucoup plus de femmes que d’hommes tra-vaillaient à temps partiel. L’Office du travail arguait lui de la finalité durégime, qui était de promouvoir l’emploi.

Tout en reconnaissant dans cette affaire aussi que les Etats membresdisposent d’une large marge d’appréciation en matière de politique so-ciale, la Cour a relevé que le résultat ne devait pas être de vider de sa subs-tance un principe fondamental du droit communautaire tel que celui del’égalité de traitement entre hommes et femmes. Avancer simplementque le régime de travail à temps partiel pour les fonctionnaires âgés visaità promouvoir l’emploi ne suffisait pas à démontrer que la disposition liti-gieuse était étrangère à toute discrimination selon le sexe. Cette disposi-tion excluait en fait de ce régime des personnes, les fonctionnaires tra-vaillant à temps partiel, qui aidaient beaucoup – argument avancé – àdécongestionner le marché de l’emploi. Une disposition qui risque de dis-suader des travailleurs d’accepter un travail à temps partiel parce qu’ilspeuvent craindre de ne plus bénéficier le moment venu du régime lié àl’âge ne saurait a priori être considérée comme un bon moyen d’atteindrel’objectif de décongestionnement du marché de l’emploi. La Cour a re-levé aussi que ni en tant qu’autorité publique ni en tant qu’employeurl’Office fédéral du travail ne pouvait justifier une discrimination commecelle que comportait le régime de travail à temps partiel au seul motif quel’élimination de cette discrimination entraînerait une augmentation deses frais. Selon l’arrêt de la Cour, les dispositions de la directive concer-nant l’égalité de traitement en matière d’emploi (76/207/CEE):

doivent être interprétées en ce sens qu’[elles] s’opposent à une disposition [...]selon laquelle le travail à temps partiel en raison de l’âge ne peut être accordéqu’à un fonctionnaire qui, sur les cinq dernières années précédant l’activité àtemps partiel dans ce cadre, a travaillé au total pendant au moins trois ans àtemps plein lorsque beaucoup plus de femmes que d’hommes travaillent à temps

70 Affaire C-77/02, RJ 2003, p. I-9027.

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partiel et sont dès lors exclues du bénéfice du travail à temps partiel en raison del’âge en vertu de cette disposition, à moins que celle-ci ne soit justifiée par des cri-tères objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

L’affaire Meyers c. Adjudication Officer (Royaume-Uni) pose laquestion de l’égalité de traitement dans l’accès à l’emploi en relationavec les conditions d’octroi d’une prestation familiale 71. Mme Meyers,mère seule, avait demandé à bénéficier, pour elle-même et pour sa fille,du «crédit familial», prestation versée sous condition de revenu pourcompléter les ressources des travailleurs à bas salaire ayant la charged’un enfant. Sa demande a été rejetée au motif que ses revenus – calcu-lés abstraction faite des frais de garde de l’enfant – étaient supérieursau maximum fixé. Mme Meyers a fait valoir que la non-déduction desfrais de garde de l’enfant constituait une discrimination à l’égarddes parents seuls et, dans la mesure où ceux-ci sont le plus souvent desfemmes, une discrimination indirecte à l’égard des femmes. Restait àsavoir – question soumise à la Cour européenne de justice – si une pres-tation ayant les caractéristiques et la finalité du crédit familial entraitdans le champ d’application de la directive concernant l’égalité de trai-tement en matière d’emploi.

Selon la Cour, un régime de prestations ne devait pas être exclu duchamp d’application de la directive 76/207/CEE pour la seule raisonque, formellement, il faisait partie d’un système national de sécuritésociale. Il peut en relever s’il a pour objet l’accès à l’emploi, y comprisla promotion et la formation professionnelle, ou les conditions de tra-vail. En l’occurrence, la prestation, dont la finalité était d’éviter que lesfamilles ne se trouvent dans une situation matérielle moins favorable siles parents travaillaient que s’ils ne travaillaient pas et de maintenir destravailleurs à bas salaire dans leur emploi, avait bien pour objet l’accèsà l’emploi, visé à l’article 3 de la directive.

Les pensions de la fonction publique: élémentde la rémunération ou pensions légales?

Bien que les régimes de pensions de la fonction publique reposentsouvent sur des dispositions législatives, ils ne sont pas considéréscomme des régimes légaux au sens de la directive 79/7/CEE. La Coureuropéenne de justice regarde les fonctionnaires et les agents de l’Etatcomme une catégorie particulière de travailleurs dont l’employeur,l’Etat, est soumis au devoir d’assurer l’égalité de rémunération et detraitement entre les hommes et les femmes. Les cotisations et les pres-tations des régimes de la fonction publique sont généralement considé-

71 Affaire C-116/94, RJ 1995, p. I-2131. Voir aussi les affaires jointes C-63/91 et C-64/91,Jackson et Cresswell c. Chief Adjudication Officer, RJ 1992, p. I-4737 (voir note 37).

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rées, lorsqu’elles sont directement liées à l’emploi occupé, comme rele-vant de la rémunération 72.

Le premier arrêt rendu par la Cour européenne de justice au sujetdes cotisations versées pour les fonctionnaires l’a été dans l’affaireLiefting et autres 73 (Pays-Bas). Dans cette affaire, les demanderessesétaient toutes des fonctionnaires mariées à des fonctionnaires. Les coti-sations versées par les administrations concernées au titre de la pré-voyance vieillesse étaient calculées sur les salaires cumulés des époux,à concurrence d’un certain plafond. L’administration employant lafemme n’était tenue au versement des cotisations que dans la mesureoù le plafond n’était pas atteint par les cotisations versées pour le mari.Il s’ensuivait que la fonctionnaire mariée à un fonctionnaire avait unsalaire brut inférieur à celui d’un fonctionnaire de sexe masculin exer-çant la même fonction. Sur renvoi préjudiciel, la Cour européenne dejustice a jugé qu’un tel système était incompatible avec le principede l’égalité de rémunération quand les différences qui en résultaient dupoint de vue du salaire brut influaient directement sur le calcul d’autresavantages liés au salaire tels que les indemnités de départ, les presta-tions de chômage, les allocations familiales ou des facilités de crédit.

Le système de pensions des fonctionnaires néerlandais est aussi encause dans l’affaire Beune 74. Par l’effet des modalités de calcul des pen-sions, la pension de fonctionnaire de l’homme marié était systématique-ment inférieure à celle de la femme mariée ayant atteint le même grade(pour les droits afférents aux périodes antérieures à une certaine date).La Cour européenne de justice a jugé cette situation contraire au prin-cipe de l’égalité de rémunération:

L’article 119 [du traité CE] s’oppose à une législation [...] qui [...] prévoit unerègle de calcul du montant de la pension de fonctionnaire différente pour lesanciens fonctionnaires mariés de sexe masculin de celle applicable aux anciensfonctionnaires mariés de sexe féminin. L’article 119 peut être invoqué directe-ment devant les juridictions nationales. Les hommes mariés défavorisés par ladiscrimination doivent être traités de la même façon et se voir appliquer le mêmerégime que les femmes mariées.

72 Voir l’affaire 58/81, Commission des Communautés européennes c. Grand-Duché deLuxembourg, RJ 1982, p. 2175. L’affaire concernait les conditions discriminatoires d’octroi del’allocation de chef de famille versée en application de la loi fixant le régime des traitements desfonctionnaires de l’Etat. Alors que les fonctionnaires mariés de sexe masculin étaient automati-quement considérés comme chefs de famille, seuls l’étaient les fonctionnaires mariés de sexe fémi-nin dont le conjoint était hors d’état de pourvoir aux frais du ménage ou avait un revenu inférieurau minimum social.

73 Affaire 23/83, Liefting et autres c. Directie van het Academisch Ziekenhuis bij de Univer-siteit van Amsterdam et autres, RJ 1984, p. 3225.

74 Affaire C-7/93, Bestuur van het Algemeen Burgerlijk Pensioenfonds c. Beune, RJ 1994,p. I-4471.

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Dans l’affaire Griesmar (France) était contestée une dispositiondu code des pensions civiles et militaires qui institue, pour la détermi-nation du montant des pensions de retraite, une bonification en faveurdes femmes fonctionnaires au titre des enfants 75. Père de trois enfants,M. Griesmar avait obtenu une pension calculée sur la seule base desannées de services effectifs accomplies par lui, sans la bonification enquestion. Il s’estimait victime d’une discrimination selon le sexe et invo-quait notamment le droit communautaire.

Pour le gouvernement français, la bonification avait été réservéeaux fonctionnaires féminins pour compenser les désavantages que cesfonctionnaires subissent dans leur carrière en raison de leur rôle dansl’éducation des enfants. M. Griesmar faisait valoir que la bonificationaccordée aux fonctionnaires féminins selon les dispositions applicablesen l’espèce l’était uniquement en raison de leur qualité de mère et quesa situation était comparable à celle d’un fonctionnaire féminin.

La Cour européenne de justice a rappelé que, dans une affaire anté-rieure, elle avait jugé admissible le versement d’une allocation forfaitaireaux travailleurs féminins qui partent en congé de maternité «dès lors quecette allocation est destinée à compenser les désavantages professionnelsqui résultent pour ces travailleurs de leur éloignement du travail» 76. La si-tuation était différente selon les dispositions applicables en l’espèce envertu du code des pensions: la bonification était liée non à l’absence en-traînée par le congé de maternité, mais à une autre période, celle qui estconsacrée à l’éducation des enfants. A cet égard, la situation d’un fonc-tionnaire masculin et celle d’un fonctionnaire féminin, exposés aux mêmesproblèmes quant à leur carrière, peuvent être comparables. Le code despensions n’établissait pas une même méthode de calcul des retraites pourles fonctionnaires de l’un et de l’autre sexe. En excluant du bénéfice de labonification les fonctionnaires hommes qui peuvent prouver qu’ils ont as-suré l’éducation de leurs enfants, la disposition litigieuse établissait à leurdétriment une différence de traitement. La Cour a relevé en outre que,accordée lors du départ à la retraite, la bonification n’était pas de nature àremédier aux problèmes que les fonctionnaires femmes peuvent rencon-trer dans leur carrière. Il n’était pas possible en d’autres termes de justi-fier la différence de traitement en la présentant comme une mesure ten-dant à aider les femmes dans leur vie professionnelle.

Toujours en France, le code des pensions civiles et militaires per-met aux femmes fonctionnaires d’obtenir la jouissance immédiate deleur pension si leur conjoint est atteint d’une infirmité ou d’une mala-die incurable le plaçant dans l’impossibilité d’exercer une activité quel-

75 Affaire C-366/99, Griesmar c. ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie etministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’Etat et de la Décentralisation, RJ 2001,p. I-9383.

76 Affaire C-218/98, Abdoulaye et autres c. Régie nationale des usines Renault SA, RJ 1999,p. I-5723.

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conque. Cette faculté n’est pas prévue pour les fonctionnaires hommes.Se fondant sur cette disposition, M. Mouflin, professeur des écoles,fonctionnaire de l’Etat, a demandé à bénéficier d’une pension aveceffet immédiat afin de soigner son épouse atteinte d’une telle maladie.Il a été informé, selon lettre du ministre de l’Education nationale, que«le droit de partir à la retraite pour soigner leur conjoint invalide [était]réservé exclusivement aux femmes fonctionnaires» 77.

Dans son arrêt, la Cour européenne de justice confirme que lespensions servies au titre du régime français de retraite des fonction-naires entrent dans le champ d’application de l’article 119 du traité CE.Le principe de l’égalité de rémunération énoncé par cet article estméconnu par une disposition nationale qui ouvre le droit à une pensionde retraite à jouissance immédiate aux seuls fonctionnaires de sexeféminin appelés à s’occuper d’un conjoint atteint d’une infirmité oud’une maladie incurable. A cet égard, les fonctionnaires de l’un et del’autre sexe se trouvent dans des situations comparables. Aucun élé-ment, selon la Cour, ne permet de différencier celle d’un fonctionnairede sexe masculin de celle d’un fonctionnaire de sexe féminin. La dispo-sition litigieuse introduit ainsi à l’égard des fonctionnaires hommes unediscrimination liée au sexe en matière de rémunération.

L’affaire Niemi (Finlande) concerne l’âge applicable pour le droità pension 78. Mme Niemi, qui avait servi dans les forces de défensecomme «engagée», relevait du régime de pensions des travailleurs (loi280/1966). Jusqu’en 1994, les dispositions qui lui étaient applicablesprévoyaient une limite d’âge de 50 ans pour les hommes et de 60 anspour les femmes. Les dispositions adoptées en 1994 ont fixé des limitesde 55 et de 65 ans selon la nature des fonctions, sans considération desexe. Les travailleurs touchés par la limite doivent abandonner leursfonctions et bénéficient d’une pension de vieillesse. Pour les tra-vailleurs employés dès avant le 1er janvier 1995, des dispositions transi-toires fixent pour les engagés des limites d’âge qui sont de 50 à 55 anspour les hommes (selon l’ancienneté) et de 60 ans pour les femmes.Applicables à Mme Niemi, ces dispositions étaient contestées par elle.

Le gouvernement finlandais faisait valoir qu’il entendait, lors del’adoption de ce régime transitoire, garantir aux personnes visées lapossibilité de bénéficier d’une pension à taux plein. L’abaissement dela limite d’âge pour les femmes aurait eu pour effet le plus souventde réduire le montant de leurs pensions. La Cour européenne de justicen’a pas suivi ce raisonnement et a déclaré l’article 119 du traité CE ap-plicable en l’espèce. Pour juger de l’applicabilité de cet article, la Cour a

77 Affaire C-206/00, Mouflin c. Recteur de l’académie de Reims, RJ 2001, p. I-10201.78 Affaire C-351/00, Niemi c. Valtion eläkelautakunta, RJ 2002, p. I-7007.

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retenu trois critères concernant le lien entre la pension et la relationd’emploi: la pension intéresse une catégorie particulière de travailleurs;elle est directement fonction du temps de service accompli; son mon-tant est calculé sur la base de la dernière rémunération. Dans le cas deMme Niemi, il était satisfait à ces critères, et elle avait droit à la pensionaux mêmes conditions que les hommes.

Le problème de l’égalité de traitement s’est posé au Royaume-Unidans une affaire où la Cour européenne de justice a eu aussi à se pronon-cer à titre préjudiciel79. K. B. a travaillé une vingtaine d’années pour leService national de santé, notamment en tant qu’infirmière, et est affiliéeau régime de retraite de ce service. Selon la réglementation, en cas de dé-cès d’un affilié de sexe féminin qui laisse un veuf, celui-ci a droit en prin-cipe à une pension de réversion, le terme «veuf» s’entendant d’une per-sonne mariée à l’affilié. K. B. vit depuis plusieurs années «une relationaffective et domestique» avec R., une personne née de sexe féminin et en-registrée comme telle à l’état civil. A la suite d’une opération, R. est deve-nue un homme, sans pouvoir faire modifier pour autant son acte de nais-sance pour officialiser ce changement, si bien que K. B. et R. n’ont pu semarier. Leur union a été consacrée par une cérémonie à l’église où ils ontéchangé des vœux «de la même manière que le ferait un couple tradition-nel». K. B. a été informée que, au cas où elle décéderait la première, R.,faute de mariage, ne pourrait pas recevoir de pension de veuf. K. B. a saisila juridiction du travail en faisant valoir que les dispositions nationalesconstituaient une discrimination selon le sexe. Après appel, la juridictionnationale a demandé à la Cour européenne de justice de dire à titre pré-judiciel si le refus d’accorder une pension au partenaire transsexueld’une femme affiliée au régime de retraite du Service national de santé,qui réserve le bénéfice d’une telle prestation au veuf, constituait effecti-vement une discrimination liée au sexe contraire au principe de l’égalitéde rémunération.

La Cour a rendu son arrêt le 7 janvier 2004. Elle relève que les pres-tations octroyées au titre d’un régime de pensions qui est fonction, pourl’essentiel, de l’emploi qu’occupait l’intéressé se rattachent à la rému-nération et relèvent bien de l’article 119 du traité CE. Cela dit, la déci-sion de réserver certains avantages aux couples mariés en excluant tousceux qui cohabitent sans être mariés relève soit du choix du législateur,soit de l’interprétation des règles juridiques de droit interne. Une telleexigence ne peut pas par elle-même être regardée comme discrimi-natoire en fonction du sexe. Il y a cependant inégalité de traitement ence qui concerne non la reconnaissance du droit à la pension de veuf,mais une condition préalable indispensable: la capacité de se marier. LaCour européenne de justice se réfère à la jurisprudence de la Cour euro-

79 Affaire C-117/01, K. B. c. National Health Service Pensions Agency et Secretary of Statefor Health, RJ 2004, http://curia.eu.int/fr/content/juris/index.htm.

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péenne des droits de l’homme, selon laquelle l’impossibilité de se ma-rier dans des conditions telles que celles rencontrées en l’espèce consti-tue une violation du droit de se marier au sens de l’article 12 de la Con-vention européenne du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits del’homme et des libertés fondamentales. Selon l’arrêt, le principede l’égalité de rémunération «s’oppose à une législation qui, en viola-tion de [cette convention], empêche un couple [tel que le couple consi-déré] de remplir la condition de mariage nécessaire pour que l’un d’entreeux puisse bénéficier d’un élément de la rémunération de l’autre» 80.

Protection contre la discrimination: le paiementd’intérêts

Pour assurer une protection efficace contre la discrimination selonle sexe, il importe de prévoir des mesures de réparation et des sanc-tions, civiles ou pénales, appropriées. En cas de violation du principe del’égalité de rémunération, les travailleurs lésés doivent obtenir le mêmetraitement que le groupe de référence. Les litiges pour violation duprincipe de l’égalité de traitement en matière d’emploi ont donné lieuà de multiples demandes d’interprétation des dispositions communau-taires auprès de la Cour européenne de justice. Selon la jurisprudencede la Cour, c’est à la législation nationale de déterminer la suite à don-ner à ces violations. Il faut en tout état de cause que les mesures prévuessoient propres à compenser le préjudice souffert par les victimes et àavoir un effet dissuasif 81. Dans les affaires de sécurité sociale, il se poseen outre un problème particulier, celui des intérêts dont il peut y avoirlieu d’imposer le paiement pour assurer une protection efficace contrela discrimination, selon le principe de l’effet utile.

La question s’est posée, au Royaume-Uni, pour Mme Marshall, li-cenciée au seul motif qu’elle avait atteint l’âge ouvrant droit à la pensionde vieillesse. On se souvient que, dans l’affaire Marshall I, la Cour euro-péenne de justice avait vu là un cas de discrimination car, au même âge,les salariés hommes pouvaient continuer de travailler 82. Le tribunal ap-pelé à régler la question de la réparation a accordé à Mme Marshall un dé-dommagement de 19 405 livres au titre de la perte financière subie, avecles intérêts (8 710 livres), et du préjudice moral. Aux termes de la loi de1975 sur la discrimination selon le sexe, le dédommagement était limité à

80 Sur le licenciement d’un travailleur transsexuel, voir l’affaire C-13/94, P. c. S. et CornwallCounty Council, RJ 1996, p. I-2143. Sur les dispositions applicables dans le cas de relations avec unpartenaire de même sexe, voir les affaires C-249/96, Grant c. South-West Trains Ltd, RJ 1998,p. I-621 (refus d’une réduction sur le prix des transports à des partenaires de même sexe) et T-264/97, D. c. Conseil de l’UE, arrêt du tribunal de première instance, RJ-Fonction publique 1999 (refusd’octroi de l’allocation de foyer du chef d’un partenaire de même sexe).

81 Voir Heide (1999), pp. 453-454.82 Voir note 65.

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6 250 livres, montant que le tribunal avait jugé insuffisant. Il n’était pascertain d’autre part que le tribunal fût compétent pour imposer le paie-ment d’intérêts. L’affaire a donné lieu à des recours, et la Cour euro-péenne de justice a été interrogée sur la conformité de la législation natio-nale avec la directive 76/207/CEE concernant l’égalité de traitement enmatière d’emploi83. Aux termes de l’article 6, «les Etats membres intro-duisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pourpermettre à toute personne qui s’estime lésée par la non-application à sonégard du principe de l’égalité de traitement [...] de faire valoir ses droitspar voie juridictionnelle [...]».

Allant dans le sens du tribunal national, l’arrêt Marshall II dit que:

L’article 6 de la directive [...] s’oppose à ce que la réparation du préjudice subi parune personne lésée du fait d’un licenciement discriminatoire soit limitée à un pla-fond maximal fixé a priori ainsi que par l’absence d’intérêts destinés à compenserla perte subie par le bénéficiaire de la réparation du fait de l’écoulement du tempsjusqu’au paiement effectif du capital accordé.

Une personne lésée du fait d’un licenciement discriminatoire peutse prévaloir des dispositions de l’article 6 [...] à l’encontre d’une autoritéde l’Etat agissant en qualité d’employeur pour écarter une dispositionnationale qui impose des limites au montant du dédommagement pou-vant être obtenu à titre de réparation.

Une autre affaire, l’affaire The Queen c. Secretary of State for SocialSecurity ex parte Sutton (Royaume-Uni), concerne le paiement d’intérêtssur des arriérés de prestations et l’éventuelle responsabilité de l’Etat pourviolation du droit communautaire 84. Mme Sutton avait demandé à bénéfi-cier d’une allocation pour soins à une personne invalide. Sa demandeavait été rejetée parce qu’elle avait atteint l’âge de la retraite, différentpour les hommes et les femmes, mesure jugée discriminatoire et con-traire à la directive 79/7/CEE dans l’affaire Thomas et autres85. Mme Sut-ton a ainsi reçu un certain montant d’arriérés de prestations, sur lequel,dans un recours, elle demandait le paiement d’intérêts. Sa demande a étérefusée, le droit national ne prévoyant rien de tel. L’affaire a donné lieu àun renvoi préjudiciel devant la Cour européenne de justice.

La Cour a tenu dans cette affaire un raisonnement différent decelui qui avait été le sien dans l’affaire Marshall II. Celle-ci concernaitun montant dû à titre de réparation du préjudice subi du fait d’unemesure discriminatoire en matière d’emploi. Les intérêts sont alors,avait jugé la Cour, un élément indispensable du dédommagement. Enl’espèce, il s’agissait d’un montant dû pour des prestations de sécuritésociale. Ces prestations sont versées aux intéressés par les organismes

83 Affaire C-271/91, Marshall c. Southampton and South-West Hampshire Area HealthAuthority, Marshall II, RJ 1993, p. I-4367.

84 Affaire C-66/95, RJ 1997, p. I-2163.85 Voir note 48.

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compétents, auxquels il incombe de vérifier si les conditions fixées sontremplies. Le montant en question n’avait ainsi en rien le caractèred’une réparation.

Quant au principe de la responsabilité de l’Etat pour les dom-mages causés aux particuliers par une violation du droit communau-taire, trois conditions, selon la Cour, devaient être remplies: la règle dedroit violée devait conférer des droits aux particuliers; la violationdevait être caractérisée; il devait exister un lien de causalité direct entrela violation de l’obligation faite à l’Etat et le dommage subi par les per-sonnes lésées. Si ces conditions sont réunies, c’est dans le cadre du droitnational de la responsabilité qu’il incombe à l’Etat de réparer les con-séquences du préjudice causé, les conditions de réparation fixées par lalégislation nationale ne pouvant être moins favorables que celles quiconcernent des réclamations semblables de nature interne ni être amé-nagées de manière à rendre impossible ou excessivement difficilel’obtention de la réparation. Selon la Cour, il appartenait au juge natio-nal de tirer les conséquences de ces principes.

Observations finalesLe principe de l’égalité des hommes et des femmes est un principe

fondamental du droit européen. La Cour européenne de justice s’at-tache, selon une démarche novatrice, à faire respecter ce principe dans lesfaits, en privilégiant notamment, dans le domaine de la sécurité sociale,l’idée d’une totale égalité.

Interprété de façon large, le principe de l’égalité de rémunérationénoncé dans le traité est étendu aux régimes professionnels de sécuritésociale, aux régimes de la fonction publique et à d’autres régimes cou-vrant des catégories particulières de travailleurs. Les personnes assujet-ties à ces régimes peuvent prétendre à la pleine égalité de traitement enmatière de cotisations et de prestations.

Pour les régimes légaux de sécurité sociale, la directive 79/7/CEEautorise certaines dérogations au principe de l’égalité de traitement,dispositions interprétées cependant de façon restrictive. Ne relèventpas de cette directive, de façon générale, les régimes applicables à descatégories déterminées de travailleurs. Les Etats membres sont tenusde réexaminer périodiquement la situation et d’éliminer progressive-ment les différences de traitement selon le sexe. Ils doivent assureraussi aux personnes qui se trouveraient lésées un recours efficace enjustice. Quoi qu’il en soit, les différences de traitement entre hommeset femmes admises dans les régimes légaux de sécurité sociale ne sau-raient justifier des différences de traitement sur le plan de l’emploi.

Même interdites, des différences de traitement subsistent dans la sé-curité sociale et doivent encore être corrigées. Une vingtaine d’annéesaprès l’adoption des directives sur le sujet, les chiffres sur les revenus, les

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pensions ou la pauvreté montrent que la couverture assurée par les ré-gimes contributifs est nettement moins bonne pour les femmes que pourles hommes. Dans certains domaines, par contre – pour les prestations deveuf ou en ce qui concerne l’âge de la retraite –, ce sont les hommes, cen-sés gagner le revenu familial, qui sont désavantagés.

La Cour européenne de justice a créé un cadre d’interprétation dudroit communautaire et établi des procédures visant à faciliter lesactions en justice et l’obtention des prestations prévues. Ces instru-ments sont encore insuffisamment connus, même dans les milieux de lajustice et du droit, et insuffisamment appliqués. Entre l’égalité établiedans les textes et la réalité ordinaire, il y a un décalage qu’il faut réduireet éliminer. Dans cette action, les partenaires sociaux, la société civileet les institutions publiques, notamment la justice, ont tous et toutes unrôle important à jouer.