Éléments pour une sociologie du conformisme catholique au Portugal

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Éléments pour une sociologie du conformisme catholique au PortugalAuthor(s): Augusto QueridoSource: Archives de sociologie des religions, 4e Année, No. 7 (Jan. - Jun., 1959), pp. 144-152Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30120045 .

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ILIMENTS POUR UNE SOCIOLOGIE

DU CONFORMISME CATHOLIQUE AU PORTUGAL

DANS cette 6tude sur le conformisme des catholiques portugais nous

employons la typologie propos~e par Gabriel Le Bras. Selon lui (( l'im- mense majorit6 des chr~tiens se rangent en trois categories, selon qu'ils accep- tent (ou que leur famille decide) les actes solennels, plriodiques ou exceptionnels : ils sont conformistes saisonniers, observants ou d~vots D (1).

Sur les < d~vots a nous ne poss~dons pas de chiffres, m6me approximatifs: c'est d'ailleurs le type le moins facile & approcher puisque les < pratiques s qui le caract6risent sont les plus intirieures et par consequent les moins visibles. On sait que des noyaux trbs fervents de jeunes catholiques se sont form~s surtout dans les milieux universitaires et dans des paroisses-pilotes de Lisbonne. Un de ces noyaux de < d~vots s, enthousiastes du renouveau biblique et liturgique, des groupes de foyers, des cin6-clubs et de la dtmocratie chr~tienne, est constitud par le ( public ) du journal Encontro.

Nous ne connaissons que trois dioceses ayant fait un recensement global des ( observants ) du prdcepte dominical: Lisbonne, Portalegre et Faro. Les r~sultats du recensement de Lisbonne ont 6t6 publi6s dans un num~ro special de la revue Novellae Olivarum (1956) par l'initiateur de la sociologie du catholicisme au Portugal, l'abb6 Manuel Falcao. Le taux d'observance pour tout le diocese, qui embrasse une partie des districts de Santar~m et de Sethibal, 6tait de 17,2%. A peu pros le m~me que pour la ville de Lisbonne. Les hommes pratiquaient i 9,4%, les femmes A 20,8% et les enfants (7-14 ans) a 30,4%. Dans les populations rurales du diocese le taux d'observance variait de 38% dans l'extreme-nord jusqu'g 1,2% d'hommes et 5,8% de femmes et d'enfants dans une paroisse des ((lezirias ) sur les rives du Tage.

Les r~sultats du recensement de Faro, dans l'extreme-sud du Portugal, ont 6td publi~s par I'6veque de ce diocese, Mgr. Francisco Rendeiro, dans la revue Lumen (nov. 1953). Le pourcentage global de pratiquants 4tait de 15% pour la ville de Faro et de 8% pour l'ensemble du diocese.

Les enquites menses par I'ensemble du clerg6 du diocese de Portalegre, sous l'impulsion du Chanoine Boulard, montrent que ce diocese se divise en deux zones : la plus observante au nord du Tage et la moins observante au sud.

(1) LE BRAS, Etudes de Sociologie Religieuse, vol. II, p. 400.

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LE CONFORMISME CATHOLIQUE AU PORTUGAL

Cette existence de vastes zones rurales non-observantes au sud du Tage apparait dans les trois enquates.

Notre etude va insister d'une manibre trbs sp6ciale sur le c conformisme saisonnier puisque nous avons pu trouver dans les statistiques de l'dtat civil une donn~e de ce type de conformisme ~tablie assez rigoureusement et 6tendue a tout le Portugal: le taux de mariages catholiques. Cette circonstance est dcEe a la r~glementation originelle du mariage au Portugal, 6tablie par le Concordat du 7 mai 1940 entre le Saint-Sidge et la R~publique Portugaise.

L'article 22 du Concordat dit que < l'Etat portugais reconnait les effets civils aux mariages cdl1bris suivant les lois canoniques, a condition que l'acte du mariage soit transcrit dans les bureaux comp~tents, sur les registres de l'itat civil... >.

La valeur de ce conformisme est particulikrement accrue par le fait qu'en choisissant le mariage canonique les Portugais renoncent automatiquement au divorce. En effet, selon l'article 24 du m~me Concordat, ( en harmonie avec les propri~t~s essentielles du mariage catholique, il est entendu que, par le fait m~me de la c6l1bration du mariage canonique, les conjoints renoncent a la facult6 lgale de demander le divorce, lequel ne pourra $tre applique par les tribunaux civils aux mariages catholiques >.

Le cartogramme construit a partir du taux de mariages catholiques pour la p~riode 1949-53 nous donne une image assez fiddle du conformisme saisonnier catholique des Portugais. Le pays est nettement coup6 par le Tage. Une analyse plus d~taillhe nous am~nerait a distinguer encore une zone de transition situde de part et d'autre de cette frontibre religieuse. Cette hypothise est confirm~e exacte- ment par les enquetes de Lisbonne et Portalegre sur les << observants n dominicaux. En effet ces deux dioceses couvrent presque toute cette zone de transition et accusent des taux d'observance plus bas que les dioceses du nord mais plus hauts que les dioceses du sud.

Notre 6tude n'a pour but que d'accumuler des dl1ments pour une explication sociologique de cette conduite diff~rente du < nord n et du midi n portugais. A cet effet nous avons dress6 toute une s~rie de cartogrammes, avec des donndes 6conomiques et d~mographiques, ohi les deux Portugals sont toujours bien dilimit6s.

Si on avait pr~sent6 aussi une carte gdologique et une carte hypsom6trique du Portugal on constaterait qu'en g~ndral les terrains du < nord a sont plus montagneux et de formation pluis ancienne que les terrains du ( midi ).

Le conformisme ou le non-conformisme devant les ( pratiques a du catholicisme, et dans notre cas devant le mariage canonique indissoluble, n'est pas complktement un choix individuel. Il est encadrn d'abord dans un groupe familial structurn diff~remment dans le ( nord ) et dans le (( midi ).

La famille du ( nord ) est une famille de type traditionnel qu'on pourrait peut-6tre appeler encore < patriarchale : famille oi le contr6ble exerc sur les membres est le plus fort et oh la structuration est la plus statique. Fondde sur l'entreprise agricole familiale, cloude a la terre sacrie de ses anc~tres, elle est prdparde pour r~sister au changement m~me si la forte pression d~mographique pousse quelques-uns de ses membres, peut-$tre les moins intigrds, a 6migrer vers les villes du littoral ou vers l'dtranger.

La famille typique du ( midi ) est la famille prolhtaire rurale, sans I'dliment fixateur de la terre, qui appartient au << senhor n et qui, loin de representer quelque chose de sacra, &voque plut6t l'image d'un lieu de supplice : le supplice d'un travail intermittent, peu r6mundrateur et r~alis6, la plupart du temps, sous un soleil

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10



ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

N0 1

Pourcentage de mariages catholiques par rapport au total des mariages

1949-1953

Vl~b ~-~iP4fo

YISEU CULIIIDA

O

L~JSU O

Altm plrGS~

..

..

~r BOJA

~+'o~~ i ~~___

moins de 50 %

50 B 59 %

60 79 %

80 ? 89 %

90 " 96 %

97 % et plus

No 2

Taux de natalit6

1951-1955

rClw GQH

eRaCnl~~iL~9~

I~QU

;Cil C, BSrrncO IftlA

moins de 17 0/oo00

'7 ? 18 0/00oo

19 ? 22 o/oo00

23 t 25 0/00oo

26 A 32 0/00oo

33 o/oo et plus

146



LE CONFORMISME CATHOLIQUB AU PORTUGAL

N+ 3

Taux de natalit6 illgitime 1951-1955

(pour mille n6s-vivants)

ANA

Bliscaw~r

fA

moins de 32 o/oo

32 & 81 o/oo

82 III 0/oo00

112 a 191 o/oo

192 1 281 o/oo

282 o/oo00 et plus

N' 4

Taux de croissance d6mographique 1900-1950

IA~A. ~LANI//

BRA

moins de 20 %

20 L 29 %

30 44%

45 B 69 %

70 L 109 %

II0 % et plus

147




No 5

Division de la propri6t6 foncibre

Moyenne d'hectares par propri~taire

+++Y r

ESLORA

moins de 25 ha

25 L 74 ha

75 & 124 ha

125 ? 174 ha

1i75 224 ha

225 ha et plus

N0 6

Valeur de la production agricole par personne active dans l'agriculture

(en milliers de escudos ; 1.000 esc. = 16.000 fr. )

+++

~9~i~p

C.B~ZAW#J r

~UFI.

moins de 6

6 & 6,9

7 ? 7,9

8 A 8,9

9 A 9,9

10 et plus

148




N0 7

Pourcentage de salaries agricoles dans la population active

dans l'agriculture

r r

moins de 35 %

35 L 44 %

45 L 54 %

55 % 64 %

65 t 74 %

75 % et plus

N 8

Taux de mortalit6

P'

7sy SA

BIE

moins de 9 o/oo

9 & 9,9 o/oo

io 10O,9 o/oo

1I 5 1I,9 o/oo

12 L 12,9 0/oo

13 o/oo et plus

149



ARCHIVES DB SOCIOLOGIB DES RELIGIONS

torride. Cette famille fluide, en d~structuration et en restructuration continuelle, n'est pas le vase clos apte a conserver les valeurs de la tradition catholique.

Nous pouvons le constater en ce qui concerne la fdconditd. Mais il faut se garder de ne voir ici qu'une influence des valeurs catholiques: la covariation des courbes globales de natalit6 et de mortalit6 du pays obiit t la loi selon laquelle la chute de la mortalit~ precede celle de la natalitd. Or c'est pr~cis6ment le a nord a qui accuse le taux de mortalit~ le plus fort.

Le eartogramme de la natalit6 ill6gitime vient accentuer encore le non- conformisme du a midi

) parce qu'il r~vble l'existence de l'union libre trbs ripandue : pour certains groupes l'(( appareil organis& du mariage civil n'est pas assez souple pour le a modble a de famille qu'ils cherchent. Ainsi l'abb6 Manuel Falcao calculait que dans un municipe du a midi

) - Odemira - 80% des m6nages se consti-

tuaient en marge du mariage catholique. Le taux de natalit6 ill~gitime, assez fort aussi, dans les districts montagneux

du nord-est, c'est-8-dire les plus conformistes, ne relbve pas de l'union libre. Elle est quand mIme un signe de ce que le groupe catholique n'arrive pas toujours k imposer sa morale officielle aux populations isolds dans les montagnes. I1 faut ajouter que ce sont aussi ces districts du nord-est qui accusent le plus fort taux d'homicides dans le pays (2).

Le cadre familial s'interp6ndtre avec le cadre 6conomique: d'une part il est base sur le systeme

de production et de repartition, d'autre part il conditionne le dynamisme de toute l'bconomie.

L'tconomie du a midi n est dans son ensemble plus dynamique que celle du c nord s. S'il est vrai que les deux pales de l'industrialisation portugalse se situent l'un dans le littoral-nord (Braga-Porto-Aveiro), I'autre dans le littoral-sud (Lis- bonne-Sethbal), il faut remarquer que les industries du a nord a sont plut6t des industries typiques de la premiere revolution industrielle (comme celle du textile), tandis que l'industrie lourde naissante a tendance ? se concentrer dans le a midi n, surtout dans la p~ninsule de Sethibal, plac6e entre les embouchures du Tage et du Sado.

Le dynamisme d~mographique suit de pros le dynamisme bconomique. Ainsi le cartogramme du taux de croissance d~mographique dans la premiere moiti6 du XXe siecle

nous permet de localiser les deux pdles de l'industrialisation, qui sont aussi les pbles d~mographiques, et de constater que le centre de gravit6 d~mographique se d~place vers le ((a midi a. Au cours de ce

demi-siecle, le district

de Guarda a vu augmenter sa population de 16%. Dans le district de Setibal l'augmentation fut de 137%.

Mais notre analyse va porter surtout sur l'~conomie agricole. On sait en effet que l'agriculture occupe encore au Portugal 47% de la population active.

Ce qui caract6rise d'abord l'agriculture du ((a nord ) et celle du ((a midi )) c'est

(2) C'est Il un point de d6part pour l'4tude de la religion populaire au Portugal. Une analyse de contenu du conformisme du a nord a nous ambnerait peut-Atre A la d~couverte d'un catholicisme de type rural avec ses dogmes, sa morale, ses rites propres, A cat6 du catholicisme officiel. Dans le a midi i le catholicisme serait plutSt de type urbain. Vdrifise, cette hypothese per-. mettrait d'affirmer paradoxalement que le midi est plus catholique que le nord. Cette affirmation ne serait pas un jugement de valeur mais la simple constatation de ce que le catholicisme minori- taire des villes du a midi est plus proche du catholicisme officiel que le catholicisme majori- taire du a nord a. A cette religion populaire se rdfdrait deja Gilberto Freyre quand il disait que a le monde cr44 par le Portugais est sociologiquement le plus chrdtien. Mais th4ologiquement il y aurait bien de rdserves A faire sur le christianisme de l'homme du peuple a. (Dans Aventura e Rotina, p. 173).

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la division de la proprint6 foncidre. Le < minifundium e du < nord a et le (( latifundium s du < midi e sont a la base d'une 4conomie de gaspillage : mais loin de s'att6- nuer ils ont tendance t s'accentuer de plus en plus. Si aujourd'hui ils sont axes sur le systime social, on sait qu'ils ont une origine historique : en effet la conquate du (( nord s pr~c~da d'un sidcle et demi celle du < midi e. Ici les vastes terres dlpeuplhes prises aux Maures furent partag6es entre la couronne, la noblesse et les ordres militaires, ce qui consacra la concentration de la propridtd (3).

L'agriculture du < nord n est une agriculture de type familial, celle du e midi e de type capitaliste. Tandis que la premibre ne dispose que d'un outillage primitif la deuxibme est beaucoup plus m6canis~e et industrialisee. Ainsi dans un district du nord-est (Vila Real) il y avait en 1950 seulement deux tracteurs pour 191.000 personnes actives dans l'agriculture. Globalement, le (( nord e, avec une population agricole active de 2.096.000 personnes, poss~dait 234 tracteurs, ce qui faisait un tracteur pour 8.900 personnes actives dans l'agriculture. Le (( midi e comptait 2.884 tracteurs pour une population active agricole de 1.110.000 personnes ce qui faisait un tracteur pour 380 personnes actives dans I'agriculture. Cette difference dans l'dquipement ne peut que se r6flhchir sur la valeur de la production agricole et avoir des rdpercussions sur le dynamisme social.

On discute au Portugal pour savoir si le niveau moyen de vie est plus dlev6 dans le < nord e ou dans le < midi e. Le taux de mortalit6 du (( nord )) a certainement son origine dans un equipement m6dical trbs d6fectueux et dans des pratiques d'hygikne tris arribrdes. Le tout s'inthgre dans un climat social de stagnation.

Le systhme de repartition du revenu varie aussi entre les deux moities du pays. Au sein de l'entreprise familiale, typique du < nord e, la famille fournit le capital et la force de travail: mais a? la fin elle peut disposer de tout le produit, qui, pour l'essentiel, ne sert qu'd assurer l'auto-consommation. Dans le << midi e, la grande majorit6 de la population active (82% dans le district d'Evora) n'a d'autres revenus qu'un salaire moyen de 300 francs pour les hommes et de 150 francs pour les femmes.

Si on ajoute le ch6mage saisonnier, qui atteint jusqu'h la moiti6 de l'annee, on tient l'explication de l'existence dans le (<midi) d'un sous-prolhtariat rural dans lequel la conscience de classe ne peut que pousser i un rythme trbs accl1ri. Nous touchons ici l'+l6ment le plus riche d'une explication sociologique du non- conformisme catholique protugais.

Une classe sociale en ascension a tendance i rejeter en bloc toutes les valeurs de la soci4td globale qu'elle identifie avec les valeurs de la classe dominante. Si la societ6 globale est catholique, au moins sociologiquement, le catholicisme est rejet6.

Voilit pourquoi nous pensons que les conduites collectives de conformisme ou de non-conformisme it l'6gard du catholicisme portugais ne peuvent s'expliquer que par des attitudes collectives a l'6gard de la nation portugaise, ou plut6t i l'6gard d'une certaine conception de la nation portugaise.

Augusto QUERIDO.

(3) Le < minifundium a et le ,

latifundium a sont communs, A la m~me latitude, & toute la p4ninsule ibdrique. Une dtude d'ensemble sur la p4ninsule permettrait de verifier si ce parall&- lisme se projette on non sur tous les aspects de la vie sociale.

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