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REVUE GE ´ NE ´ RALE Évolution de la jurisprudence tunisienne en matière d’indemnisation des infections nosocomiales Evolution of the Tunisian jurisprudence in compensation of nosocomial infection A. Aissaoui * , N.H. Salem, A. Chadly Service de me ´decine le ´ gale, ho ˆ pital universitaire Fattouma-Bourguiba, 5000 Monastir, Tunisie MOTS CLÉS Infection nosocomiale ; Indemnisation ; Jurisprudence ; Responsabilité médicale Résumé La survenue d’une infection nosocomiale peut faire engager aussi bien la respons- abilité des établissements de soins que celle des soignants. Nous nous proposons dans ce travail d’étudier l’évolution de la jurisprudence tunisienne en matière de réparation juridique des dommages consécutifs aux infections nosocomiales. La preuve de la faute en vue d’indemniser la victime d’un accident médical peut se heurter à diverses difficultés. Dans des affaires où l’expertise en responsabilité médicale n’a pas retenu de manquement aux obligations, certains juges ont eu recours à la notion de présomption de faute. Cette notion de présomption de faute a été prononcée dès 1988 par le Tribunal administratif tunisien. Par la suite, la jurisprudence tunisienne a tenté de se libérer de l’exigence de faute pour l’indemnisation et a évolué vers la notion de présomption de responsabilité à l’encontre du service hospitalier. L’obligation de sécurité de résultats a été retenue par la Cour de cassation de Tunis à la place de l’obligation de moyens. La non réalisation du résultat suffit à engager la responsabilité de l’établissement de soins qui ne peut s’en défaire qu’en prouvant le cas fortuit, la force majeure ou la faute du malade qui a subi le dommage. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Nosocomial infection; Compensation; Jurisprudence; Medical liability Summary Nosocomial infections can involve the liability of both doctors and hospital. We aim in this paper to study the modification of the civil and administrative jurisprudence in cases of nosocomial infections in Tunisia. The proof of malpractice in order to indemnify medical damage can be difficult. Since 1988, Tunisian Administrative Court has based the responsibility of public hospitals on the concept of presumption of fault. Nevertheless, to pay the patient for compen- sation for injury induced by nosocomial infections, Tunisian jurisprudence tried to release from the concept of fault by introducing the notion of presumption of responsibility. Decisions of Supreme Court of Appeal show obligation involving safety of results. Such decisions lead to a quasi-automatic repair of any squeal related to nosocomial infection. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. La revue de médecine légale (2010) 1, 109113 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Aissaoui). 1878-6529/$ see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medleg.2010.09.003

Évolution de la jurisprudence tunisienne en matière d’indemnisation des infections nosocomiales

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REVUE GENERALE

Évolution de la jurisprudence tunisienne en matièred’indemnisation des infections nosocomialesEvolution of the Tunisian jurisprudence in compensation of nosocomialinfection

A. Aissaoui *, N.H. Salem, A. Chadly

Service de medecine legale, hopital universitaire Fattouma-Bourguiba, 5000 Monastir, Tunisie

MOTS CLÉSInfection nosocomiale ;Indemnisation ;Jurisprudence ;Responsabilité médicale

Résumé La survenue d’une infection nosocomiale peut faire engager aussi bien la respons-abilité des établissements de soins que celle des soignants. Nous nous proposons dans ce travaild’étudier l’évolution de la jurisprudence tunisienne en matière de réparation juridique desdommages consécutifs aux infections nosocomiales. La preuve de la faute en vue d’indemniser lavictime d’un accident médical peut se heurter à diverses difficultés. Dans des affaires oùl’expertise en responsabilité médicale n’a pas retenu de manquement aux obligations, certainsjuges ont eu recours à la notion de présomption de faute. Cette notion de présomption de faute aété prononcée dès 1988 par le Tribunal administratif tunisien. Par la suite, la jurisprudencetunisienne a tenté de se libérer de l’exigence de faute pour l’indemnisation et a évolué vers lanotion de présomption de responsabilité à l’encontre du service hospitalier. L’obligation desécurité de résultats a été retenue par la Cour de cassation de Tunis à la place de l’obligation demoyens. La non réalisation du résultat suffit à engager la responsabilité de l’établissement desoins qui ne peut s’en défaire qu’en prouvant le cas fortuit, la force majeure ou la faute dumalade qui a subi le dommage.# 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSNosocomial infection;Compensation;Jurisprudence;Medical liability

Summary Nosocomial infections can involve the liability of both doctors and hospital. We aimin this paper to study the modification of the civil and administrative jurisprudence in cases ofnosocomial infections in Tunisia. The proof of malpractice in order to indemnify medical damagecan be difficult. Since 1988, Tunisian Administrative Court has based the responsibility of publichospitals on the concept of presumption of fault. Nevertheless, to pay the patient for compen-sation for injury induced by nosocomial infections, Tunisian jurisprudence tried to release fromthe concept of fault by introducing the notion of presumption of responsibility. Decisions ofSupreme Court of Appeal show obligation involving safety of results. Such decisions lead to aquasi-automatic repair of any squeal related to nosocomial infection.# 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La revue de médecine légale (2010) 1, 109—113

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Aissaoui).

1878-6529/$ — see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

doi:10.1016/j.medleg.2010.09.003

110 A. Aissaoui et al.

Introduction

L’infection nosocomiale se définit comme étant une infec-tion contractée dans un établissement hospitalier, public ouprivé, survenant pendant une hospitalisation ou des soinsalors qu’elle n’existait pas ou qu’elle n’était pas en incuba-tion à l’admission. Lorsque la situation précise à l’admissionn’est pas connue, un délai d’au moins 48 heures aprèsl’admission, ou un délai supérieur à la période d’incubationlorsque celle-ci est connue, est communément accepté pourséparer une infection nosocomiale d’une infection d’acqui-sition communautaire [4].

Les infections nosocomiales constituent un problème réelde santé publique du fait de leurs conséquences aussi biensur la santé que sur l’économie du pays. Ces infections ont vuleur incidence croître en raison de l’extension des procédu-res invasives diagnostiques et thérapeutiques et de l’utilisa-tion abusive des antibiotiques à large spectre [7].

La survenue d’une infection nosocomiale peut faire enga-ger aussi bien la responsabilité des établissements de soinsque celle des soignants [2]. Dans ce cadre, les tribunauxtunisiens se sont initialement tenus à la règle de la fauteprouvée avant d’assouplir progressivement les règles de laresponsabilité compte tenu de la difficulté d’administrer lapreuve de la faute et ce afin d’indemniser les victimes de cesaccidents médicaux [16].

Nous nous proposons dans ce travail d’étudier l’évolutionde la jurisprudence tunisienne en matière de réparationjuridique des dommages consécutifs aux infections nosoco-miales.

Évolution de la jurisprudence

En Tunisie, la responsabilité médicale est essentiellementbasée sur la notion de faute. Cette notion de faute apparaîttoutefois insuffisante aujourd’hui : l’acte médical peutgénérer un accident non fautif qualifié « d’aléathérapeutique » et quelles que soient la compétence et laprudence du médecin, il ne peut rien faire contre sa survenue[3]. En l’absence de faute prouvée, ce qui est de règle en casd’infections nosocomiales, la responsabilité rentre dans lecadre d’une responsabilité médicale sans faute qui, à défautde texte juridique spécifique, trouve son fondement dansl’application de certaines dispositions générales du droit,notamment du Code des obligations et des contrats et sur-tout dans les décisions des juridictions administratives etjudiciaires.

La jurisprudence tunisienne a évolué vers l’indemnisationdes victimes des accidents médicaux non fautifs [5].

La présomption de faute

La preuve de la faute en vue d’indemniser la victime d’unaccident médical peut se heurter à diverses difficultés. Dansdes affaires où l’expertise en responsabilité médicale n’a pasretenu de manquement aux obligations, certains juges ont eurecours à la notion de présomption de faute [1]. En France, lejuge administratif a fait jouer une présomption de faute dèsl’arrêt Savelli du 18 novembre 1960. Il s’agissait d’un jeune

garçon atteint de rougeole placé à l’hôpital à côté d’unmalade atteint de variole. Le garçon contracte la varioleet décède peu après. Il a été considéré que l’infectioncontractée était sans rapport avec le motif d’hospitalisationet qu’elle est la conséquence d’un acte effectué à l’hôpital,cela même avant la définition de l’infection nosocomiale[10].

L’arrêt Cohen du 9 décembre 1988 consacre une présomp-tion de faute en matière d’infection microbienne contractéepar un usager du service public hospitalier. Il s’agissait d’unhomme qui avait subi une opération sur la colonne verté-brale. À l’occasion de cette intervention, il a été victimed’une infection méningée provoquée par l’introduction d’ungerme microbien. Aucune faute d’asepsie ne pouvait êtrereprochée à l’hôpital. Le tribunal administratif a néanmoinsdécidé que la réalisation de l’infection révélait une « fautedans l’organisation ou le fonctionnement du service publichospitalier auquel il incombe de fournir un matériel et desproduits stériles au personnel médical » [14]. Peu de tempsavant l’arrêt Cohen, la notion de présomption de faute a étéprononcée le même jour dans deux arrêts respectifs en appeldu Tribunal administratif tunisien no 370 et 412 du 25 février1988 : l’arrêt Bouglita dans lequel le juge a décidé que « laresponsabilité de l’état est retenue sur la base de la fauteprésumée chaque fois qu’un patient est victime d’un préju-dice dont le degré de gravité découlerait de la cause pourlaquelle il a été hospitalisé ou de l’examen qu’il a subi ». Laseconde affaire (arrêt Besbès) est celle d’un cas de tétanosnéonatal où le tribunal administratif a condamné une mater-nité de Tunis à indemniser les parents d’un nouveau-né qui acontracté un tétanos après son accouchement. Cet arrêtprécise que « . . . les éléments de la responsabilité médicalesont réunis à savoir la faute, le dommage et le lien decausalité entre la faute et le dommage. Il s’agit d’unefaute dans l’organisation du service, à l’origine de laprésence du bacille tétanique dans le matériel utilisé pourl’accouchement ». Même si dans ce jugement, le tribunaladministratif a tenté de sauvegarder les apparences d’uneresponsabilité classique, il a présumé en fait un défautd’asepsie du matériel ayant servi pour l’accouchement [8].

En 1993, l’arrêt Hafsi du Tribunal administratif tunisien(appel no 1078 du 31 décembre 1993) a bien défini la notionde présomption de faute. Prononcé dans une affaire d’unaccident vasculaire compliquant une coronarographie, cetarrêt considère que « la présomption de faute est supportéepar l’administration chaque fois que le malade a été victimed’un dommage anormal et qui est sans relation avec le malqui a causé son hospitalisation » [16].

La notion de présomption de faute a été adoptée plus tarddans les jugements de la troisième Chambre de premièreinstance du Tribunal administratif de Tunis no 16 068 du29 décembre 2000 et no 16 874 du 13 juillet 2001. Ces arrêtsprécisent que « considérant qu’il est d’usage dans cette courde considérer qu’il y a présomption de faute qui pèse surl’administration chaque fois que le malade est victime d’undommage anormal qui n’est pas en relation avec la raisonpour laquelle il a été hospitalisé ». Les principes de ces arrêtspeuvent se transposer dans le cadre de l’infection nosoco-miale puisque le dommage causé par ces infections est sansrelation généralement avec le motif d’hospitalisation [5].

Dans le même sens, le Tribunal administratif tunisien aprononcé dans le jugement no 16 068 du 29 décembre 2000 de

Indemnisation des infections nosocomiales dans la jurisprudence tunisienne 111

Rifât Eddine Echikh Mohamed contre le ministère de la SantéPublique et les hôpitaux universitaires Fattouma Bourguiba(Monastir) et Sahloul (Sousse) la décision suivante :« l’impossibilité pour la victime de rapporter la preuved’une faute commise par le service de l’administration seraretenue pour faute présumée ». La charge de la preuve de lafaute s’est ainsi inversée et le malade n’a pas à prouverl’existence d’une faute pour engager la responsabilité del’établissement [16].

En matière d’infection nosocomiale, deux arrêts respectifsont été prononcés par les juridictions administratives tuni-siennes fondant la notion de présomption de faute. L’arrêtYacoubi du tribunal administratif (appel no 21 926 du 16 avril1999), qui a concerné une affaire d’indemnisation suite audécès par sida survenu trois ans après une transfusion sanguinefaite en 1986 dans un hôpital public. Dans cette décision, « il aété révélé par le dossier de l’affaire plusieurs indices quiretiennent la responsabilité de l’administration (de l’hôpital)sur la base de présomption de faute » [8].

Le seconde arrêt (arrêt no 33 176) remonte au 19 décem-bre 2001, le Tribunal administratif tunisien a condamné leministère de la Santé Publique à indemniser un patient qui acontracté une méningite à germe hospitalier et ce pourdéfaut de fonctionnement du service public. Il s’agissaitd’un patient qui a présenté des fractures du bassin à la suited’un accident de la circulation et qui a fait l’objet d’uneimmobilisation au lit et d’un drainage vésical. Le patient aété indemnisé pour les préjudices physique et moral. Cesdécisions jurisprudentielles se sont aussi étendues aux juri-dictions judiciaires, bien que ces dernières soient plus réti-centes que les juridictions administratives à présumer lafaute [5].

Le principe de présomption de faute demande la réunionde trois données : la gravité du dommage, un acte de soinsapparemment banal et dépourvu de risques et un rapportd’imprévisibilité entre ces deux éléments. La présomptionde faute nécessite en plus, l’absence de moyen de preuved’une faute médicale et la conviction du juge administratifque le service public a été défaillant [9]. Cette présomptionde faute peut être combattue par la production de tous leséléments de preuve relatifs aux précautions et diligencesdéployées dans le service pour lutter contre les infectionset/ou par la preuve d’une cause étrangère à l’hôpital [15].

En Tunisie, même pour le juge judiciaire, le médecin,pour s’exonérer de cette présomption de faute doit démon-trer avoir parfaitement respecté les données acquises de lascience en matière d’asepsie et la réglementation appli-cable, mais en plus l’existence d’une force majeure oud’une faute du malade lui-même. Toutefois, cette présomp-tion de faute présente des limites concernant l’existenced’un état antérieur pathologique, possible source d’infec-tion, tels qu’un diabète ou une immunodépression [1].

La présomption de responsabilité et laresponsabilité sans faute

L’aléa thérapeutique ou aléa médical est l’objet d’unedéfinition à géométrie variable selon qu’on souhaite resterdans le champ classique de la responsabilité civile pour fauteou dans la responsabilité sans faute ou bien permettre laréparation la plus large des accidents médicaux au nom du

risque médical inhérent à tout acte thérapeutique [13]. Onparle généralement d’aléa médical lorsqu’on constate qu’à lasuite d’un acte de soins, le patient a subi une aggravationsoudaine de son état sans rapport avec son évolution prévi-sible, en lien avec cet acte, sans cependant qu’une fautemédicale ne puisse être établie. En effet, il y a un phénomènequi ne peut être maîtrisé et dont on constate les effetsdommageables sur le patient. En France, la notion de respon-sabilité sans faute a été initiée en 1990 par l’arrêt Gomez de lacour administrative d’appel de Lyon. Cette notion a étéreprise trois ans plus tard par l’arrêt Bianchi [12].

Concernant la présomption de responsabilité, les juridic-tions judiciaires françaises se sont prononcées sur ce prin-cipe essentiellement dans deux arrêts de la Cour de cassationde France :

� l’arrêt du 21 mai 1996 (Bonnici contre la clinique Bou-chard), qui précise que « une clinique est présuméeresponsable d’une infection contractée par un patientdans une salle d’opération, à moins de prouver l’absencede faute de sa part » ;� l’arrêt clinique Belledone du 16 juin 1998 (Cass.Civ.1)

dans lequel la Cour de cassation a repris le principeprécédent en assimilant les salles de travail à un blocopératoire.

Dans le même sens, la jurisprudence tunisienne a tenté dese libérer de l’exigence de faute pour l’indemnisation. Ceprincipe est surtout adopté par les juridictions administra-tives [8]. Toutefois, le concept de responsabilité sans fauten’a pas encore été prononcé par le Tribunal administratiftunisien. Ce dernier a utilisé plutôt la notion de présomptionde responsabilité à l’encontre du service hospitalier. Ceprincipe a été prononcé dans le jugement de la troisièmeChambre de première instance du tribunal administratifno 17 717 du 10 mai 2002 concernant la contamination parle VIH d’un hémophile transfusé par du PPSB. Dans cejugement, le Tribunal administratif tunisien a retenu laprésomption de responsabilité à l’encontre du service hos-pitalier. Ce principe de présomption de responsabilité a étéaussi adopté dans certains jugements des juridictions judi-ciaires [8]. Bien que ces jugements ne concernent pas ledomaine de l’infection nosocomiale, leur principe peut êtreextrapolé. En effet, dans un arrêt de la cour d’appel de Sfaxno 2001/931 du 9 mai 2002 concernant une affaire de para-lysie du plexus brachial chez un nouveau-né, le jugements’est contenté du lien de causalité entre l’acte médical et ledommage pour indemniser la victime. Dans cette décision,les juges stipulent que « . . . la relation causale entre le fait dumédecin et le dommage subi par la victime est prouvée, cequi donne par conséquent à l’appelant le droit de demanderréparation du préjudice physique et moral subi par son fils,conformément à la responsabilité civile du médecin et aucontrat d’assurance ». Cette décision a permis ainsi uneindemnisation tout en épargnant au médecin responsableune qualification de faute.

Obligation de sécurité de résultats

La relation médecin—malade a changé ces dernières années.Se basant auparavant sur le concept de contrat de soins à

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travers lequel le médecin n’est tenu qu’à une obligation demoyens, elle a évolué vers une obligation de sécurité derésultats [10]. Ce principe est très développé dans la juris-prudence française avant d’être retenu dans la nouvelle loifrançaise du 4 mars 2002. En effet, la Cour de cassation aopéré un véritable revirement de jurisprudence le 29 juin1999 [11] ; elle a rendu le même jour trois arrêts relatifs tousaux infections nosocomiales. Il s’agissait dans les trois affai-res de personnes qui, à la suite respectivement de la posed’une prothèse du genou, d’une arthroscopie et d’unearthrographie, avaient été infectées par des staphylocoquesdorés. La Cour de cassation a prononcé que « un médecin esttenu vis-à-vis de son patient en matière d’infection nosoco-miale d’une obligation de sécurité de résultat dont il ne peutse libérer qu’en rapportant la preuve d’une causeétrangère ».

Dans une affaire contre une clinique privée en France, lemême principe a été adopté « le contrat d’hospitalisation etde soins conclu entre un patient et un établissement de santémet à la charge de ce dernier, en matière d’infectionnosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont ilne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une causeétrangère » [10]. Cette obligation a une doubleconséquence : d’une part, le patient est dispensé d’apporterla preuve d’une quelconque faute du médecin ou de laclinique ; d’autre part, les professionnels de santé concernésne peuvent se libérer de leur obligation qu’en apportant lapreuve d’une cause étrangère [14].

Comme pour toute obligation, il existe des limites à ceprincipe d’obligation de sécurité. Si cette responsabilité estsans faute, elle n’est pas sans preuve, comme le rappellentPansier et Bladier [13] : « pour que la responsabilité dupraticien soit engagée sur le fondement de cette obligationde sécurité, il faut que soient établis : le fait générateur, ledommage et le lien de causalité. Le fait générateur, toutd’abord, est formé non pas de la faute, mais d’un actemédical nécessaire au diagnostic ou au traitement. Le dom-mage doit être ensuite étranger aux dispositions du patient.Le lien de causalité permet enfin d’exclure tout dommagequi trouverait sa cause dans l’évolution naturelle de l’état dupatient ».

En Tunisie, toujours associés à l’obligation principale demoyens, certains jugements ont exigé une obligation desécurité dans les actes thérapeutiques et l’utilisation desproduits de santé. L’arrêt no 48 788 du 29 avril 1998 de la courd’appel de Tunis considère que « le médecin ne doit exposerle malade à aucun danger provenant de ce qu’il utilisecomme outils de soins et appareillage ou de ce qu’il luiremet comme médicaments. En outre, il doit éviter de luitransmettre une autre maladie à l’occasion d’une transfusionsanguine ou pour toute autre cause. La non réalisation durésultat suffit à retenir la responsabilité du médecin et il nepeut se décharger de cette responsabilité que s’il prouve uncas fortuit ou une force majeure ou la faute du malade lésé ».

La Cour de cassation de Tunis a donné les mêmes déci-sions. Toutefois, elle a exigé en plus du cas fortuit, de laforce majeure ou de la faute du malade, que le médecin doitprouver qu’il a fait tout ce qu’il faut pour éviter le dommage.Ces principes ont été prononcés dans les décisions de la Courde cassation civile no 62 825 du 3 février 1988 et no 12 156 du21 janvier 2002. Il découle des motifs de l’arrêt que dans lescas exposés, la non réalisation du résultat suffit à engager la

responsabilité du médecin qui ne peut s’en défaire qu’enprouvant le cas fortuit, la force majeure ou la faute dumalade qui a subi le dommage. Cette décision imposantune obligation de sécurité de résultats au professionnel dela santé en matière d’infection nosocomiale, ne tient pascompte du fait que cette dernière n’est pas toujours enrapport avec un manquement ou une faute et que dans uncertain nombre de cas, il s’agit d’un risque qui ne peut êtremaîtrisé, c’est-à-dire d’un aléa dont les conséquences n’ontpas à être supportées ni par le médecin ni par l’établisse-ment.

Dans le Tribunal administratif tunisien, cette obligationexiste dans les affaires de sang contaminé par le virus HIV. Eneffet, dans le jugement no 17 552 du 25 février 2005,le tribunal administratif a franchi une nouvelle étape enénonçant l’obligation de sécurité de résultats en matière detransfusion sanguine et ce à la charge de l’État. Le Tribunaladministratif tunisien stipule dans ce dernier arrêt que« l’une des missions essentielles du service hospitalier estde veiller à la sécurité des patients » [6].

Conclusion

En matière d’infections nosocomiales, les jurisprudencescivile et administrative reflètent dans leur évolution lavolonté d’indemniser le patient victime d’un dommage anor-mal. Toutefois, il paraît urgent de combler le vide juridiqueexistant actuellement en Tunisie afin d’aboutir à une prise encharge homogène des conséquences invalidant gravement unpatient suite aux soins qui lui ont été prodigués. L’indemni-sation du préjudice pourrait se faire par une offre spéciale,satellite de la sécurité sociale, financée par la solidariténationale indépendamment de la responsabilité civile despraticiens.

Conflit d’intérêt

Aucun.

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Indemnisation des infections nosocomiales dans la jurisprudence tunisienne 113

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