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dossier | formation OptionBio | Lundi 8 juin 2009 | n° 420 11 © Dominique VERNIER - Fotolia.com À travers ce dossier, nous posons une question majeure dans laquelle le biologiste a un rôle primordial à jouer : comment évaluer ou mettre en évidence le risque hémorragique d’un patient dans trois contextes différents, qui sont : - L’appréciation du risque hémorragique lors du bilan pré-opératoire : que doit déceler l’interrogatoire ? Quelles sont les interventions à risque hémorragique ? Comment interpréter le bilan d’hémostase ? - Quelle est la conduite à tenir devant un surdosage en AVK ? Les AVK présentent la première cause de morbidité et de mortalité iatrogène, estimée entre 5 000 et 10 000 décès par an. Les nouvelles recommandations de l’HAS détaillent la prise en charge en ville et en milieu hospitalier des surdosages, des accidents et du risque hémorragique lié aux AVK. - La dernier volet mettra en valeur une affection rare mais qui reste une urgence thérapeutique de par le syndrome hémorragique qu’elle peut provoquer : l’hémophilie acquise. La biologie tient une place importante en pré-opératoire. Ainsi, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) a établi des recommandations relatives aux examens biologiques pré-opératoires, non modifiées à ce jour, permettant de déceler une anomalie non suspectée à l’examen clinique, d’établir une valeur de référence pour apprécier l’évolution post-opératoire, ou encore de traiter une éventuelle complication post-opératoire. Des recommandations ont été édictées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) en 1998 et sont toujours d’actualité. Elles concernent les patients âgés de plus de 3 ans, les patients classés ASA I ou ASA II par l’Ameri- can society of anesthesiologists, en dehors de l’urgence, avec anesthésie programmée générale ou locorégionale, en cas d’intervention chirurgicale ou de procédure non chirurgicale diagnostique ou thérapeutique, et les patients maîtrisant la lan- gue française et ayant des fonctions intellectuelles compatibles avec un interrogatoire médical. Les critères d’exclusion de ces recommandations sont : – les chirurgies cardiaques, intracrâniennes et pulmonaires (< 1 % des actes en France) ; – l’obstétrique hors IVG et les interventions non obstétricales chez la femme enceinte ; – les situations d’urgence ; – les enfants de moins de 3 ans car ils bénéficient d’une anes- thésie particulière ; – les patients classés ASA III et IV car leur gravité impose le plus souvent des examens spécifiques. Évaluer le risque hémorragique Examens biologiques pré-opératoires Classification ASA ASA I : pas d’affection autre que celle nécessitant l’acte chirurgical (hernie inguinale chez un patient par ailleurs en bonne santé, par exemple). ASA II : perturbation modérée d’une grande fonc- tion, en relation avec l’affection chirurgicale ou une autre affection (exemples : bronchite chronique, infarctus du myocarde ancien...). ASA III : perturbation sévère d’une grande fonction (exemples : diabète de type 1, insuffisance corona- rienne avec angor). ASA IV : risque vital, atteinte d’une grande fonction. ASA V : patient moribond.

Examens biologiques pré-opératoires

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Page 1: Examens biologiques pré-opératoires

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OptionBio | Lundi 8 juin 2009 | n° 420 11

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À travers ce dossier, nous posons une question majeure dans laquelle

le biologiste a un rôle primordial à jouer : comment évaluer ou mettre

en évidence le risque hémorragique d’un patient dans trois contextes

différents, qui sont :

- L’appréciation du risque hémorragique lors du bilan pré-opératoire :

que doit déceler l’interrogatoire ? Quelles sont les interventions à

risque hémorragique ? Comment interpréter le bilan d’hémostase ?

- Quelle est la conduite à tenir devant un surdosage en AVK ?

Les AVK présentent la première cause de morbidité et de

mortalité iatrogène, estimée entre 5 000 et 10 000 décès par an.

Les nouvelles recommandations de l’HAS détaillent la prise en charge

en ville et en milieu hospitalier des surdosages, des accidents et du

risque hémorragique lié aux AVK.

- La dernier volet mettra en valeur une affection rare mais qui reste

une urgence thérapeutique de par le syndrome hémorragique qu’elle

peut provoquer : l’hémophilie acquise.

La biologie tient une place importante en pré-opératoire. Ainsi, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) a établi des recommandations relatives aux examens biologiques pré-opératoires, non modifiées à ce jour, permettant de déceler une anomalie non suspectée à l’examen clinique, d’établir une valeur de référence pour apprécier l’évolution post-opératoire, ou encore de traiter une éventuelle complication post-opératoire.

Des recommandations ont été édictées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) en 1998 et sont toujours d’actualité. Elles concernent les patients âgés de plus de 3 ans, les patients classés ASA I ou ASA II par l’Ameri-can society of anesthesiologists, en dehors de l’urgence, avec anesthésie programmée générale ou locorégionale, en cas d’intervention chirurgicale ou de procédure non chirurgicale diagnostique ou thérapeutique, et les patients maîtrisant la lan-gue française et ayant des fonctions intellectuelles compatibles avec un interrogatoire médical. Les critères d’exclusion de ces recommandations sont :– les chirurgies cardiaques, intracrâniennes et pulmonaires (< 1 % des actes en France) ;

– l’obstétrique hors IVG et les interventions non obstétricales chez la femme enceinte ;– les situations d’urgence ;– les enfants de moins de 3 ans car ils bénéficient d’une anes-thésie particulière ;– les patients classés ASA III et IV car leur gravité impose le plus souvent des examens spécifiques.

Évaluer le risque hémorragiqueExamens biologiques pré-opératoires

Classification ASAASA I : pas d’affection autre que celle nécessitant

l’acte chirurgical (hernie inguinale chez un patient par

ailleurs en bonne santé, par exemple).

ASA II : perturbation modérée d’une grande fonc-

tion, en relation avec l’affection chirurgicale ou une

autre affection (exemples : bronchite chronique,

infarctus du myocarde ancien...).

ASA III : perturbation sévère d’une grande fonction

(exemples : diabète de type 1, insuffisance corona-

rienne avec angor).

ASA IV : risque vital, atteinte d’une grande

fonction.

ASA V : patient moribond.

Page 2: Examens biologiques pré-opératoires

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12 OptionBio | Lundi 8 juin 2009 | n° 420

Utilité des examens pré-opératoiresCes examens ont trois utilités objectives :– tout d’abord déceler une anomalie qui n’aurait pas été sus-pectée à l’examen clinique (par exemple, une séquelle d’IDM asymptomatique à l’ECG) ;– établir une valeur de référence pour apprécier l’évolution post-opératoire (exemples : hémoglobine pré-opératoire et perte sanguine lors de l’intervention) ;– enfin, ils sont un prérequis pour traiter une éventuelle com-plication post-opératoire (exemples : groupe sanguin et RAI si nécessité d’une transfusion post-opératoire).Parmi les examens pré-opératoires étudiés par l’Anaes en décembre 1998, outre l’électrocardiogramme et la radiographie thoracique, la biologie tient une place importante :– hémogramme ;– bilan d’hémostase (TP, TCA, temps de saignement ou TS, numération plaquettaire) ;– immuno-hématologie (groupe sanguin ABO, Rh, Kell, phé-notype, RAI) ;– biochimie (ionogramme, urée, créatinine, glycémie, bilan hépatique) ;– sérologies virales HIV et VHC.

Apprécier le risque hémorragiqueLe risque hémorragique est principalement évalué par un interrogatoire bien conduit et un examen clinique rigoureux du patient. Il faut également connaître le risque hémorragique lié à l’intervention chirurgicale et à la technique d’anesthésie ; enfin, quelques connaissances de l’épidémiologie des troubles de l’hémostase sont nécessaires.

Le questionnaire de Watson-WilliamsLe questionnaire de Watson-Williams est couramment utilisé afin d’estimer le risque hémorragique d’un patient. Une réponse

positive à une question de type A ou deux réponses positives à une question de type B signalent une histoire clinique de trouble de l’hémostase, conduisant à la réalisation d’un bilan d’hémostase.À noter, des limites sont rencontrées lors d’interrogatoires impossibles en raison d’une barrière linguistique ou liées au niveau de compréhension.

Médicaments et risque hémorragique péri-opératoireCertains médicaments sont à même d’engendrer un risque hémorragique péri-opératoire, tels :– les analgésiques (aspirine, AINS) ;– les anti-agrégants (aspirine, Ticlid®, Plavix®) ;– les anticoagulants ;– les antibiotiques (certains dérivés de la pénicilline) ;– les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (Prozac®, Séro-pram®, Séroplex®). En effet, à forte dose, par exemple 3 cps/j de Prozac®, ils peuvent entraîner des hématomes et un allongement du TS ;– la Dépakine®.

Les interventions à risque hémorragiqueRisque de saignement quantitativement important : acte

chirurgical majeur (poumons, gastrectomie, colectomie, transplantation rénale, néphrectomie, prothèse totale de hanche ou du genou), ablation totale du sein, chirurgie de la vessie, thyroïdectomie, interventions sur la prostate, chirurgie de l’os, chirurgie plastique, amygdales, végétations, chirurgie cardiovasculaire avec circulation extracorporelle (CEC), biop-sie à l’aiguille d’organes non compressibles (ponction biopsie hépatique percutanée, ponction biopsie rénale).

Saignements pouvant compromettre le résultat fonction-

nel de l’intervention : chirurgie du segment postérieur de l’œil, neurochirurgie.

Le questionnaire de Watson-Williams

Questions de type A

-

sité une transfusion sanguine à la suite d’un acte chirur-

gical (circoncision, amygdalectomie...) ?

une hémorragie prolongée ou une récidive hémorragique

précédentes des médicaments contenant des salicylés

ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ?

anormales, des pétéchies, des signes de malnutrition

ou de malabsorption, des signes de maladie hépatique

ou hématologique ?

Questions de type B

parents ou des hommes du côté maternel ?

apparente ?

chirurgical pour assurer l’hémostase ?

de 15 min après application du pansement ?

saignement ?

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OptionBio | Lundi 8 juin 2009 | n° 420 13

Bilan d’hémostaseLe temps de céphaline avec activateurLe temps de céphaline avec activateur (TCA) explore la voie endogène de la coagulation, puis la voie commune. La définition d’un TCA allongé est un ratio TCA patient/TCA témoin ≥ 1,15-1,20. Mais chaque laboratoire doit définir ses normales en fonction du réactif utilisé pour le TCA.Devant un allongement du TCA (figure 1), il est recommandé de réaliser un TCK (temps de céphaline Kaolin), peu sensible aux anticoagulants circulants (ACC) et très utile en pré-opératoire. Si le TCK est normal (ratio TCK patient/TCK témoin ≥ 1,15), le feu vert peut être donné pour l’intervention chirurgicale. Si le TCK est allongé, il faut poursuivre les investigations et rechercher un déficit en facteurs de la coagulation ou un ACC.Pour cela, il faut mesurer le TCA sur un mélange à parts égales du plasma du patient et d’un plasma témoin, et calculer l’indice de Rosner. Un indice ≥ 15 (correspondant à un allongement du TCA non corrigé par le témoin) permet de conclure à la présence d’un ACC, mais n’écarte pas tout risque hémorragique, car il peut s’agir d’un ACC de type lupique ou lupus anticoagulant (LA) à risque thrombotique, ou d’un anticorps anti-VIII (hémophilie A acquise) ou anti-IX (hémophilie B acquise), hémorragipares. Attention, l’anti-VIII peut n’être détecté qu’après avoir incubé pendant 2 heures à 37 °C dans le mélange plasma malade + plasma témoin ; par ailleurs, la sensibilité des réactifs pour TCA aux LA varie beaucoup (deux réactifs y sont peu sensibles : CK Prest® Stago et Actin FS® Dade).

Si l’indice de Rosner est < 15 (correction du TCA par le plasma témoin), il s’agit d’un déficit en facteur de la coagulation.Dans tous les cas, il est impératif de compléter le bilan par un dosage des facteurs XI, IX et VIII (voie endogène), le dosage du facteur XII n’étant pas indispensable puisque son déficit n’est pas hémorragipare.

Le temps de QuickLe temps de Quick (TQ) explore la voie extrinsèque et la voie commune de la coagulation et peut être exprimé en secondes

Bilan d’hémostase selon les recommandations de l’Anaes de 1988

L’interrogatoire et l’examen clinique sont primordiaux

dans la recherche d’une anomalie de la coagulation.

Sous réserve qu’ils aient permis de s’assurer de l’ab-

sence d’une telle anomalie, il n’apparaît pas utile de

prévoir des examens d’hémostase, sauf condition

chirurgicale à risque hémorragique particulier. Si des

examens sont prescrits, le temps de céphaline avec

activateur et la numération plaquettaire sont les tests

les plus utiles, dont les résultats doivent être fournis

à distance de l’intervention afin de permettre des

ajustements diagnostiques et thérapeutiques.

Figure 1 |

Source : Bioforma, C. Flaujac

Page 4: Examens biologiques pré-opératoires

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14 OptionBio | Lundi 8 juin 2009 | n° 420

(TQ), en pourcentage (taux de prothrombine, ou TP) ou en INR (International normalized ratio, chez les sujets traités par anti-vitamine K, ou AVK).Les valeurs normales du TP vont de 70 à 100 %, correspondant généralement à un TQ compris entre 13 et 15 secondes. Quelle que soit l’intervention, il n’y a pas de risque hémorragique si le TP est supérieur à 60 %.La principale étiologie d’un allongement isolé du TQ (TCA nor-mal) est un déficit en facteur VII, qui peut être congénital ou acquis (dans certains cancers ou lié à un sepsis) (tableau 1 et figure 2). En cas de déficit congénital, le seuil hémorragipare pour le facteur VII est de 30 %. Au-delà, il n’y a pas de risque, même pour des interventions lourdes. À noter, le dosage de facteur VII doit être réalisé avec une thromboplastine recombi-nante humaine, ce réactif donnant le résultat le plus prédictif du risque hémorragique.

Épidémiologie des troubles de l’hémostaseLes troubles les plus fréquents sont acquis :– médicaments ;– pathologie sous-jacente ;– âge avancé...

Figure 2 |

Tableau 1 : Étiologies d’un allongement du TCATemps de Quick normal Temps de Quick allongé

Déficits congénitaux en :– facteur VIII : hémophilie A– facteur IX : hémophilie B– facteur XI– facteur XII, prékallicréine ou kininogène de haut poids moléculaireMaladie de WillebrandTraitements hépariniquesAnticoagulants circulants : lupus anticoagulant ou anti-facteur isolé

Le plus souvent :– atteinte hépatique– coagulation intravasculaire disséminée– traitement par AVKPlus rarement :– déficits congénitaux en II, V ou X– afibrinogénémie, dysfibrinogénémie (temps de thrombine allongé)

Les troubles de l’hémostase constitutionnels sont plus rares : ils concernent 5/100 000 femmes et 17/100 000 hommes. La pathologie la plus fréquente est la maladie de Willebrand dont la prévalence dans la population générale est de 0,82 %. La prévalence des sujets symptomatiques est de 1/10 000 et celle de la forme sévère de 0,55 à 6/1 000 000. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

SourceCommunication de L. Darnige, lors des 50es Journées de bio-logie clinique Necker-Institut Pasteur, janvier 2008, Paris.

Source : Bioforma, Marie-Hélène Horellou