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© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 473-474 Éditorial Expertise et évaluation de la veille sanitaire en France The “Health watch mission” in France: expertise and evaluation J.-F. GIRARD IRD — Institut de Recherche pour le Développement, 213, rue Lafayette, 75480 Paris Cedex 10. Email : [email protected] (Tirés à part : J.-F. Girard) En moins d’une quinzaine d’années 1 , le dispo- sitif de santé publique français, encore réduit au début des années 1990 à plusieurs bureaux d’administration centrale, à quelques centaines de médecins inspecteurs confrontés à de multi- ples tâches administratives et à un réseau senti- nelle de médecins animé par des chercheurs, s’est construit et organisé, en partie, en réponse à une succession de crises. Les moyens des pouvoirs publics se sont renforcés. Autour de la Direction Générale de la Santé, un ensemble d’agences sanitaires a été mis en place, donnant au minis- tère de la Santé des moyens qu’il n’avait jamais eus jusqu’à ce jour. À la suite de plusieurs crises sanitaires — cani- cule de 2003, chickungunya à la Réunion en 2006 qui ont surpris autant par leur survenue que par leur ampleur, les pouvoirs publics se sont interrogés et ont demandé une mission d’exper- tise et d’évaluation de la veille sanitaire en France. Au delà des crises inévitablement vécues comme des dysfonctionnements, il était légitime de se pen- cher sur un dispositif aussi rapidement construit d’autant qu’à côté des agences de produits (Afs- saps, Afssa et Afsset) qui ont été créées d’emblée sous la forme d’établissement public et bénéfi- ciant en général de moyens substantiels, la mon- tée en puissance de la veille sanitaire a été plus lente et même plus laborieuse. Le rapport qui résume les travaux de la mission 2 a été remis au Ministre de la Santé et vient d’être rendu public 3 . Sans reprendre ici l’ensemble des propositions susceptibles d’être mises en œuvre, certaines dans un délai proche, d’autres néces- sitant des étapes de concertation en particulier interministérielles plus longues, la mission s’est attachée à mieux définir ce qu’est la veille sani- taire et à préciser sa place dans le dispositif de santé publique, ses relations essentielles avec la recherche et son indispensable dimension interna- tionale. La veille sanitaire pose un premier défi, celui de sa définition. Si le mot veille évoque une fonc- tion de guetteur, comme dans veille scientifique et technologique, l’expression veille sanitaire ren- voie à l’ensemble des procédures contribuant à la détection des altérations de l’état de santé d’une population — pour autant qu’on en connaisse l’état de base — et à en saisir les déterminants afin de guider les mesures correctrices à prendre. Ainsi, la veille sanitaire s’appuie sur les différen- tes méthodes de la surveillance, faisant appel le plus souvent à une fonction de collectionneur (registres, réseau sentinelles, déclaration obliga- toire…), mais aussi sur la pratique de la veille scientifique et sur le recours aux techniques les plus nouvelles de traitement du signal. Mais au delà de ces méthodes visant à détecter tout signal 1 Le Réseau national de Santé publique (RNSP) a été créé sous la forme d’un groupement d’intérêt public par un arrêté du 18 juin 1992. 2 La mission s’est appuyée sur un petit groupe de travail animé par Jean-François Girard et associant Françoise Lalande, Inspecteur général des Affaires sociales, Rachid Salmi, Directeur de l’ISPED, Stéphane Le Bouler et Laetitia Delan- noy du Centre d’Analyse stratégique. 3 Adresse électronique : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/ rapport_veille_sanitaire/rapport.pdf

Expertise et évaluation de la veille sanitaire en France

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© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 473-474

Éditorial

Expertise et évaluation de la veille sanitaire en France

The “Health watch mission” in France: expertise and evaluation

J.-F. GIRARD

IRD — Institut de Recherche pour le Développement, 213, rue Lafayette, 75480 Paris Cedex 10. Email : [email protected] (

Tirés à part :

J.-F. Girard)

En moins d’une quinzaine d’années

1

, le dispo-sitif de santé publique français, encore réduit audébut des années 1990 à plusieurs bureauxd’administration centrale, à quelques centainesde médecins inspecteurs confrontés à de multi-ples tâches administratives et à un réseau senti-nelle de médecins animé par des chercheurs, s’estconstruit et organisé, en partie, en réponse à unesuccession de crises. Les moyens des pouvoirspublics se sont renforcés. Autour de la DirectionGénérale de la Santé, un ensemble d’agencessanitaires a été mis en place, donnant au minis-tère de la Santé des moyens qu’il n’avait jamaiseus jusqu’à ce jour.

À la suite de plusieurs crises sanitaires — cani-cule de 2003, chickungunya à la Réunion en 2006

qui ont surpris autant par leur survenue quepar leur ampleur, les pouvoirs publics se sontinterrogés et ont demandé une mission d’exper-tise et d’évaluation de la veille sanitaire en France.Au delà des crises inévitablement vécues commedes dysfonctionnements, il était légitime de se pen-cher sur un dispositif aussi rapidement construitd’autant qu’à côté des agences de produits (Afs-saps, Afssa et Afsset) qui ont été créées d’embléesous la forme d’établissement public et bénéfi-ciant en général de moyens substantiels, la mon-tée en puissance de la veille sanitaire a été pluslente et même plus laborieuse.

Le rapport qui résume les travaux de la mission

2

a été remis au Ministre de la Santé et vient d’être

rendu public

3

. Sans reprendre ici l’ensemble despropositions susceptibles d’être mises en œuvre,certaines dans un délai proche, d’autres néces-sitant des étapes de concertation en particulierinterministérielles plus longues, la mission s’estattachée à mieux définir ce qu’est la veille sani-taire et à préciser sa place dans le dispositif desanté publique, ses relations essentielles avec larecherche et son indispensable dimension interna-tionale.

La veille sanitaire pose un premier défi, celuide sa définition. Si le mot veille évoque une fonc-tion de guetteur, comme dans veille scientifiqueet technologique, l’expression veille sanitaire ren-voie à l’ensemble des procédures contribuant à ladétection des altérations de l’état de santé d’unepopulation — pour autant qu’on en connaissel’état de base — et à en saisir les déterminantsafin de guider les mesures correctrices à prendre.Ainsi, la veille sanitaire s’appuie sur les différen-tes méthodes de la surveillance, faisant appel leplus souvent à une fonction de collectionneur(registres, réseau sentinelles, déclaration obliga-toire…), mais aussi sur la pratique de la veillescientifique et sur le recours aux techniques lesplus nouvelles de traitement du signal. Mais audelà de ces méthodes visant à détecter tout signal

1

Le Réseau national de Santé publique (RNSP) a été créé sousla forme d’un groupement d’intérêt public par un arrêté du18 juin 1992.

2

La mission s’est appuyée sur un petit groupe de travail animépar Jean-François Girard et associant Françoise Lalande,Inspecteur général des Affaires sociales, Rachid Salmi,Directeur de l’ISPED, Stéphane Le Bouler et Laetitia Delan-noy du Centre d’Analyse stratégique.

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Adresse électronique : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/rapport_veille_sanitaire/rapport.pdf

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d’alerte, la veille sanitaire participe à l’évaluationdes risques et apporte sa contribution à l’analysestratégique qui doit précéder la décision et la ges-tion des risques.

Ainsi définie, la veille sanitaire occupe une placecentrale dans le dispositif de santé publique. Devantles risques auxquels la population est exposée, sacontribution à la protection de la sécurité des per-sonnes est essentielle. Par là-même, c’est une res-ponsabilité de puissance publique exercée par lesautorités sanitaires (ministère de la Santé) sous lecontrôle desquelles les acteurs de la veille sani-taire sont placés.

Pourtant, le rôle de la veille sanitaire au servicede la protection de la sécurité des personnes nepeut se concevoir sans liens organisés avec lesinstances compétentes sur l’ensemble des détermi-nants de la santé, qu’il s’agisse de l’alimentation,de l’environnement, des conditions de travail oude tout autre facteur qui caractérise le mode devie d’une population. Cette dimension interminis-térielle fait partie de la veille sanitaire et nécessiteune organisation adaptée.

Une des interfaces les plus stratégiques pour laveille sanitaire est celle avec la recherche. Long-temps ignorée du fait de la modestie de la rechercheen santé publique en France, objet de confusionfaute d’une réflexion approfondie sur le rôle res-pectif des praticiens et des chercheurs, complexeen raison du grand nombre d’institutions impli-quées, la relation entre la veille sanitaire et larecherche est indispensable et nécessite d’êtrerapidement organisée au plan local, national etinternational.

Plusieurs raisons plaident en faveur de cettenécessaire relation entre la veille sanitaire et larecherche : 1- les méthodes de traitement del’information et de détection du signal d’alerteont constamment besoin d’être améliorées pourêtre plus rapides, plus puissantes et plus discri-minantes ; 2- la réponse à un risque connu ounouveau nécessite une évaluation précise quirepose sur une expertise scientifique et/ou lamise en place de programmes de recherche des-tinés à limiter l’incertitude liée à ce risque ; 3- lamise en évidence par la veille scientifique ettechnologique, au travers de la littérature, de ris-

ques potentiels permet de mettre en place très tôtune surveillance adaptée et de lancer des recher-ches complémentaires. De surcroît, les chercheurspar leur expertise participent à titre individuelà plusieurs des étapes de la veille sanitaire.Ceci n’autorise pas les agences qui recourent àcette expertise à développer des programmesde recherche.

Une telle intrication entre veille sanitaire etrecherche peut expliquer la confusion des genreset mérite, à coup sûr, clarification. Même si lesoutils de la recherche en santé publique tardent àse mettre en place, pour autant, les agences deveille et de sécurité sanitaire ne sont pas desorganismes de recherche. Comme toute recher-che, la recherche en santé publique nécessite desoutils spécifiques et il faut saluer la création pres-que concomitante du Département de Rechercheen Santé Publique de l’Inserm, de l’Institut (quine doit plus être virtuel) de recherche en santépublique et de l’École des hautes études ensanté publique. Par leur complémentarité, ilsdevraient constituer les bases de l’essor de larecherche et de la formation en Santé Publique.Alors, pourront enfin s’établir les indispensablesrelations contractuelles entre la veille sanitaire etla recherche.

Reste la dimension internationale. Elle paraîts’imposer. Pourtant, elle est encore insuffisammentdéveloppée.

Il est des secteurs où elle est à l’évidence toutà fait indispensable, tel celui des maladies infec-tieuses et en particulier des maladies émergen-tes. Dans ce cas, le caractère international nécessited’impliquer le Nord et le Sud pour mieuxcomprendre les facteurs (biodiversité, climat,pression anthropique) qui influencent la surve-nue des nouvelles épidémies et pour participer àleur contrôle.

Au-delà des cas particuliers des maladiesémergentes, le domaine de la santé publiqueoccupe une place trop grandissante dans lamondialisation des échanges, au point de parlerde diplomatie sanitaire, pour ne pas faire de laveille sanitaire un levier de cette forme nou-velle de diplomatie.