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Med Pal 2007; 6: 46-54 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 3 E CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL Médecine palliative 46 N° 1 – Février 2007 Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie Denis Oriot, Département de Pédiatrie, CHU de Poitiers. Patrice Pinell, IRESCO, Paris. Summary Therapeutic withdrawal in the neonatal setting: how the me- dia covers the issue Background: Clinicians have been practicing neonatal intensive care for more than forty years, but the question of when to dis- continue therapeutic measures remains a difficult ethical issue since the serious disability of certain newborns can be expected. In France, termination of life is a common practice and occurs without the parents’ knowledge. How is this problematic approach ed in the public press? Methods: We scanned the general press from 1960 to 2004, with a more exhaustive research over the last 25 years. The search used euthanasia and medically assisted pregnancy termination at comparative tracers. Results: The problematic of neonatality was the topic of 141 ar- ticles over a 25-year period. Three events caught the media’s attention. The first was in November 1987 and played an essen- tial role concerning euthanasia of malformed neonates. The press related the magnitude of the different opinions from par- ents, the society in general and religious and medical commu- nities. The two other events were more modest and occurred in August 1993 when the INSERM conducted a survey among young mothers and in 2000 at the time the French national eth- ics consultation committee issued a statement. Conclusion: Media coverage of end-of-life practices in the neo- natal setting came late (22 years after the development of neo- natal intensive care) and reflects a dominant medical power despite the presence of a strong parental desire to play an active role in the decision-making process. The press failed to mention the founding congress of neonatal ethics held in 1985, and also ignored the publication which followed in 1986. Political and judiciary powers have been absent from the debate. Key-words: press review, end-of-life decisions, neonate, ethics, euthanasia. Résumé Introduction : La réanimation néonatale existe depuis 40 ans et pose le problème éthique des limites des thérapeutiques, car certains nouveau-nés développent un handicap. En France, l’arrêt de vie est très répandu et se pratique à l’insu des pa- rents. Comment cette problématique a-t-elle été relatée par les médias ? Méthodes : Nous avons réalisé une recherche par revue de presse de 1960 à 2004, plus exhaustive sur les 25 dernières années, en utilisant l’euthanasie et l’IMG comme éléments traceurs compa- ratifs. Résultats : La problématique néonatale ne représente que 141 articles en 25 ans, mais a été ponctuée par 3 événements médiatiques dont le premier, en novembre 1987, joue un rôle essentiel en traitant de l’euthanasie des nouveau-nés malfor- més et relatant l’ampleur des avis exprimés dans la presse : la vision parentale, sociétale, médicale et religieuse du pro- blème. Les deux autres événements, plus modestes, ont eu lieu en août 1993 lors d’une enquête de l’INSERM auprès de jeunes mères, et en septembre 2000 au moment de l’avis 65 du CCNE. Conclusion : L’expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie est tardive (22 ans après le début de la réanima- tion) et reflète un pouvoir médical dominant alors qu’il existe une forte demande parentale à être intégré dans le processus décisionnel. La presse n’a fait aucune mention du congrès fon- dateur en éthique néonatale en 1985, ni de la publication qui a suivi en 1986. Le pouvoir politique et judiciaire est resté absent des débats. Mots clés : revue de presse, décisions de fin de vie, nouveau-né, éthique, euthanasie. Introduction Les progrès réalisés en médecine néonatale soulèvent le problème des limites à la thérapeutique, car un certain nombre de nouveau-nés développeront des séquelles neu- rologiques. Quel sont alors le bien-fondé des thérapeutiques et les modalités de leur remise en question ? En France, 50 % des décès en réanimation néonatale sont liés à un arrêt de réanimation ou un arrêt de vie. Celui-ci est pratiqué par trois quarts des unités de réanimation néonatale [1-3] Oriot D, Pinell P. Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie. Med Pal 2007; 6: 46-54. Adresse pour la correspondance : Denis Oriot, Réanimation néonatale, Département de Pédiatrie, rue de la Milétrie, 86000 Poitiers. e-mail : [email protected]

Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

Médecine palliative

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N° 1 – Février 2007

Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie

Denis Oriot, Département de Pédiatrie, CHU de Poitiers.

Patrice Pinell, IRESCO, Paris.

Summary

Therapeutic withdrawal in the neonatal setting: how the me-dia covers the issue

Background: Clinicians have been practicing neonatal intensive care for more than forty years, but the question of when to dis-continue therapeutic measures remains a difficult ethical issue since the serious disability of certain newborns can be expected. In France, termination of life is a common practice and occurs w

ithout the parents’ knowledge. How is this problematic approach

ed in the public press?Methods: We scanned the general press from 1960 to 2004, with a more exhaustive research over the last 25 years. The search used euthanasia and medically assisted pregnancy termination at comparative tracers.Results: The problematic of neonatality was the topic of 141 ar-ticles over a 25-year period. Three events caught the media’s attention. The first was in November 1987 and played an essen-tial role concerning euthanasia of malformed neonates. The press related the magnitude of the different opinions from par-ents, the society in general and religious and medical commu-nities. The two other events were more modest and occurred in August 1993 when the INSERM conducted a survey among young mothers and in 2000 at the time the French national eth-ics consultation committee issued a statement.Conclusion: Media coverage of end-of-life practices in the neo-natal setting came late (22 years after the development of neo-natal intensive care) and reflects a dominant medical power despite the presence of a strong parental desire to play an active role in the decision-making process. The press failed to mention the founding congress of neonatal ethics held in 1985, and also ignored the publication which followed in 1986. Political and judiciary powers have been absent from the debate.

Key-words:

press review, end-of-life decisions, neonate, ethics, euthanasia.

Résumé

Introduction : La réanimation néonatale existe depuis 40 ans et pose le problème éthique des limites des thérapeutiques, car certains nouveau-nés développent un handicap. En France, l’arrêt de vie est très répandu et se pratique à l’insu des pa-rents. Comment cette problématique a-t-elle été relatée par les médias ?Méthodes : Nous avons réalisé une recherche par revue de presse de 1960 à 2004, plus exhaustive sur les 25 dernières années, en utilisant l’euthanasie et l’IMG comme éléments traceurs compa-ratifs.Résultats : La problématique néonatale ne représente que 141 articles en 25 ans, mais a été ponctuée par 3 événements médiatiques dont le premier, en novembre 1987, joue un rôle essentiel en traitant de l’euthanasie des nouveau-nés malfor-més et relatant l’ampleur des avis exprimés dans la presse : la vision parentale, sociétale, médicale et religieuse du pro-blème. Les deux autres événements, plus modestes, ont eu lieu en août 1993 lors d’une enquête de l’INSERM auprès de jeunes mères, et en septembre 2000 au moment de l’avis 65 du CCNE.Conclusion : L’expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie est tardive (22 ans après le début de la réanima-tion) et reflète un pouvoir médical dominant alors qu’il existe une forte demande parentale à être intégré dans le processus décisionnel. La presse n’a fait aucune mention du congrès fon-dateur en éthique néonatale en 1985, ni de la publication qui a suivi en 1986. Le pouvoir politique et judiciaire est resté absent des débats.

Mots clés :

revue de presse, décisions de fin de vie, nouveau-né, éthique, euthanasie.

Introduction

Les progrès réalisés en médecine néonatale soulèventle problème des limites à la thérapeutique, car un certainnombre de nouveau-nés développeront des séquelles neu-

rologiques. Quel sont alors le bien-fondé des thérapeutiqueset les modalités de leur remise en question ? En France,50 % des décès en réanimation néonatale sont liés à unarrêt de réanimation ou un arrêt de vie. Celui-ci est pratiquépar trois quarts des unités de réanimation néonatale [1-3]

Oriot D, Pinell P. Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie.

Med Pal 2007; 6: 46-54.

Adresse pour la correspondance :

Denis Oriot, Réanimation néonatale, Département de Pédiatrie, rue de la Milétrie,

86000 Poitiers.

e-mail : [email protected]

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES– MONTRÉAL

Denis Oriot, Patrice Pinell

contre 47 % en Hollande et 2 % à 4 % dans les autres payseuropéens [1]. Au début, l’arrêt de vie était appelé

arrêt deréanimation

et le terme

euthanasie

n’était pas utilisé en rai-son du contexte médico-légal. Cependant, cette pratiqueexistait et semble être apparue en même temps que la maî-trise de la ventilation mécanique il y a 40 ans [4].

Qui décide de remettre en question les thérapeutiquesvitales chez un nouveau-né ? Les parents ont, par la loide 1975, le pouvoir décisionnel pour une IMG (interrup-tion médicale de grossesse), mais en postnatal, les méde-cins sont les décideurs et revendiquent ce pouvoir afind’éviter toute culpabilité parentale ultérieure [5]. Malgrécette pratique illégale, faite à l’insu des parents, aucunmédecin n’a jamais été inculpé pour avoir pratiqué un ar-rêt de vie en France [4]. Le principe d’autonomie du pa-tient, prépondérant en Amérique du Nord, a été affirmérécemment en France par la loi du 4 mars 2002 relativeaux droits des malades et celle du 22 avril 2005 concer-nant la fin de vie. Comment a évolué la relation de pou-voirs autour du nouveau-né malade depuis les débuts dela réanimation néonatale ? Quelle en a été l’expressionmédiatique ?

Matériel et méthodes

Afin d’analyser l’expression médiatique des arrêts detraitement en néonatalogie, nous avons réalisé une revuede presse française en différents sites selon la période in-terrogée :

– de 1960 à 1979, par l’analyse des archives de pressedu journal

Le Monde

, et à la Fondation Nationale des Scien-ces Politiques de Paris par l’analyse de 3 dossiers de presse :« Euthanasie, accompagnement des mourants, soins pallia-tifs », « Enfance inadaptée » et « Maternité, Hygiène de l’En-fance ». Cette recherche dépend cependant du choix

a priori

du service documentaire de l’Institut de Sciences Politiques ;– de 1980 à 2004, au Centre de documentation en

éthique de l’INSERM pour le Comité Consultatif Nationald’Éthique (CCNE) à Paris, par l’analyse de la grande pressefrançaise (20 quotidiens, 16 hebdomadaires et mensuels),ainsi que 12 revues médicales ou paramédicales. Cettedeuxième recherche est plus exhaustive.

Nous avons choisi comme « éléments traceurs » compa-ratifs, d’une part, l’euthanasie (chez l’adulte) et, d’autre part,l’IMG dans le cadre du diagnostic prénatal (DPN).

Résultats

Résultats globaux

Il n’existe aucun article concernant des décisions d’ar-rêt des thérapeutiques en néonatalogie entre 1960 et 1979.

Lors des 25 dernières années (1980-2004), les articles surl’euthanasie chez l’adulte représentent 61,3 % des articles(1 673/2 730 articles), ceux sur la problématique fœtale,33,5 % (916/2 730) et ceux concernant les arrêts desthérapeutiques chez le nouveau-né, 5,2 % (141/2 730)

(figure 1)

. Le premier article mentionnant une possibilitéde limitation des thérapeutiques chez le nouveau-né re-monte à 1982, puis il y en a eu 2 en 1986, avec en par-ticulier celui du Dr Escoffier-Lambiotte sur la situationaméricaine [6].

Événements médiatiques

Nous avons repéré trois pics de publications quicontribuent à l’expression de la problématique de l’arrêtdes thérapeutiques en néonatalogie. Il s’agit des

événe-ments médiatiques

de novembre 1987, d’août 1993 et deseptembre 2000

(tableau I)

.

Événement médiatique de novembre 1987

Les 10-11 mai 1987 sort dans

La Croix

, un article pré-curseur – 6 mois avant l’événement – intitulé « Réanimerles bébés, et après ? » où un réanimateur néonatologistedéclare : « On ne décide pas seulement d’un arrêt de réa-nimation, mais d’un arrêt de vie ». Sans suite. Au moisde novembre 1987, 36 articles sont publiés en 26 joursdans la grande presse au sujet de l’euthanasie desnouveau-nés malformés et un autre un mois plus tard

(tableau I)

. L’événement médiatique de novembre 1987est la

première

manifestation médiatique française de laproblématique des décisions de fin de vie en réanimationnéonatale. Le 4 novembre 1987, Jean-Yves Nau publiedans

Le Monde

un article intitulé « La peau des bébés »qui relate le fait que l’Association pour le Prévention del’Enfance Handicapée (APEH) – inconnue jusqu’alors – aadressé aux députés et aux responsables politiques uneproposition de loi visant à « diminuer le nombre d’enfantsanormaux ». Le sénateur Henri Caillavet, président d’hon-neur de l’APEH, déclare : « Si j’avais un fils handicapé, jene le laisserais pas vivre. Je lui ai donné la vie, donc j’aiaussi le droit de la lui reprendre. Nous devons légaliserce procédé pour que les parents ne soient pas considéréscomme des criminels en exigeant l’euthanasie pour leursenfants anormaux ». L’APEH incite ses membres à signerune « déclaration d’intention ou de volonté de ne donnerla vie qu’à des enfants normaux ». Cet événement traduitune demande parentale, relayée par une association,l’APEH. La proposition de loi de l’APEH vise à dépénali-ser, dans les trois premiers jours de vie, l’absence de soinsmédicaux à un nouveau-né malformé. Deux conditionssont obligatoires : l’accord des parents et un certificatd’invalidité explicite signé par deux médecins. L’APEH enappelle à la justice pour autoriser le fait que les médecins

Médecine palliative

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Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

puissent s’abstenir de faire vivre un nouveau-né malformési les parents le demandent.

Les réponses médiatiques ont explosé dans un espacecaractérisant les classes moyennes supérieures, avec unesurreprésentation de la presse médicale (

Le Quotidien duMédecin

) et de l’expression religieuse (

La Croix

). Le plusgros titre en première page (1,6 cm) est retrouvé dans

LeQuotidien du Médecin

du 6 novembre 1987 : « Euthanasiedes nouveau-nés handicapés : tollé chez les médecins ».L’ensemble des réponses médiatiques a abouti à unecondamnation unanime de la proposition de loi del’APEH, par les journalistes et les personnes interviewées,pour deux raisons. La première opinion, en grande majo-rité, est explicitement

contre

l’euthanasie néonatale et lesarguments se placent dans le choix moral (qui peut seprétendre apte à juger ?) ou le droit pénal, pour condam-ner une transgression. La deuxième opinion exprimée(contre l’implication parentale et la législation) s’affran-chit du droit parental et du droit pénal en prônant le droitdu savoir, celui du corps médical. Ce dernier serait à mêmed’agir pour le bien d’un patient – l’enfant malformé –,sans faire intervenir d’autre regard dans ce jugement. Cepoint de vue a été défendu par les trois seuls réanimateursnéonatologistes interrogés. Devant cette désapprobationgénérale, Henri Caillavet démissionne de la présidenced’honneur de l’APEH, même s’il n’y a pas eu de réel débat,mais une succession d’argumentaires sur des positionstranchées, parfois inconciliables. Seul, Robert Solé pro-pose une alternative, à l’image des soins palliatifs, entrel’acharnement thérapeutique et l’euthanasie.

Événement médiatique d’août 1993

L’élément déclenchant est la publication par ClaireJulian-Reynier et l’INSERM [7] d’une enquête auprès de514 femmes venant d’accoucher, concernant leur accep-tabilité de l’amniocentèse et de l’IMG en cas de gravesmalformations fœtales. Ce deuxième événement média-tique est sans commune mesure avec celui de novem-bre 1987 : cinq jours consécutifs, six articles dans sixquotidiens

(tableau I)

. Il fait le lien entre la problémati-que anténatale et celle de la réanimation néonatale etintéresse un lectorat des classes moyennes supérieures, lapresse populaire étant totalement absente. Les six articlesont tous titré sur un résultat particulier de l’étude parmiles 180 questions posées, à savoir : « 42 % des femmesseraient favorables à l’euthanasie des nouveau-nés gra-vement malformés ». L’aspect illégal de l’euthanasie néo-natale est juxtaposé à l’aspect légal de l’IMG. Les femmesconsidèrent l’euthanasie néonatale comme légitime etenvisageable pour 42 % d’entre elles [7], bien qu’illégale.Cette décision leur appartient, comme celle de l’IMG. Ledéveloppement du DPN aurait-il réveillé la tentationprofonde des femmes d’avoir un enfant idéal ? Le « refuscroissant du handicap » rencontre une « diffusion crois-sante des techniques de diagnostic anténatal ». Cet aspectpolitiquement incorrect est jugé choquant par les jour-nalistes et les auteurs de l’enquête. Cet événement permetd’explorer les enjeux de pouvoir quand l’euthanasie néo-natale est présentée comme une prolongation de l’IMG.Le pouvoir des femmes s’affirme de façon tranchée et vé-hémente. Le risque d’une dérive eugénique conduit à une

Figure 1. Nombre d’articles publiés dans la grande presse de 1980 à 2004 sur les problématiques de fin de vie de l’adulte (euthanasie et soins palliatifs), du fœtus (IMG) et du nouveau-né (euthanasie néonatale, arrêt de vie).Figure 1. Number of articles published in the general press from 1980 to 2004 dealing with the problematic of end-of-life situations in the adult

(euthanasia and palliative care), the fetus (medically assisted pregnancy termination), and the neonate (neonatal euthanasia, termination of life).

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Tableau I : Publications des trois événements médiatiques concernant les décisions d’arrêt des thérapeutiques en néonatologie :novembre 1987, août 1993 et septembre 2000.Table I: Publications concerning three media events dealing with therapeutic withdrawal decisions in the neonatal setting: November 1987, August

1993, September 2000.

Nov. 1987 4 Monde La peau des bébés J.-Y. Nau

5 Quotidien de Paris Le sénateur Caillavet : chez moi, un mongolien n’aurait pas vécu

H. Carré

5 Quotidien de Paris L’injure faite aux parents F. Raoux

5 Quotidien de Paris Un spécialiste de la réanimation des nouveau-nés S. Chouquet

6 Matin Une proposition de loi pour éliminer les bébés anormaux M. Azoulai

6 Matin Caillavet pour l’euthanasie à la naissance M. Azoulai

6 Matin J.-F. Corbin : une possibilité d’élimination des nouveau-nés F. Johannes

6 Matin Mgr Lustiger : une barbarie légale J.-M. Lustiger

6 Matin C. Malhuret : incompatible avec la philosophie des droits de l’Homme

C. Malhuret

6 Figaro Les évêques : non à l’euthanasie des bébés handicapés J. Bourdarias

6 Quotidien du Médecin Euthanasie des nouveau-nés handicapés : tollé chez les médecins

A. Dumonceau

6 Quotidien du Médecin Euthanasie des nourrissons handicapés : une loi est impossible A. Dumonceau

6 Quotidien du Médecin Selon la législation actuelle un meurtre G. Dhumerelle

6 Quotidien du Médecin Parlons-en !

6 Croix Euthanasie : texte bâclé C.M.

6 Croix Qu’est-ce qu’une vie digne d’être vécue ? M. Gomez

6 Croix Pourquoi un seuil fatidique de trois jours ? Interview : J.-C. Ropert

M. Gomez

7 Monde Élimination des nouveau-nés handicapés :une vie digne d’être vécue

J.-Y. Nau

7 Monde Naître pour mourir R. Solé

7 Croix Épargnez les bébés ! M. Gomez

7-8 Libération L’euthanasie pour enfants handicapés ne verra pas le jour E.F.

8-9 Monde Le débat sur les enfants handicapés

10 Monde M. Caillavet abandonne la présidence d’honneur de l’APEH

11 Canard Enchaîné Avortons ! B. Thomas

12 Quotidien du Médecin Euthanasie des nouveau-nés handicapés : tempête de protestations

N. D. L.

14 Croix Pièces et main d’œuvre F. Quéré

14-15 Figaro Débat sur l’euthanasie des enfants handicapés

14-15 Figaro Un déchirant problème de conscience C. Sureau

14-15 Figaro Un projet hypocrite et ambigu P. Verspieren

14-15 Figaro Non à l’impérialisme médical L. René

18 Monde Je connais des handicapés heureux G. Hourdin

26 Monde Handicap et bonheur G. Brunet

30 Quotidien du Médecin Euthanasie des nouveau-nés : l’indignation M. De Guibert

30 Quotidien du Médecin Cet homme est dangereux M. De Guibert

30 Quotidien du Médecin Une lettre du Pr Lejeune J. Lejeune

30 Quotidien du Médecin D’accord avec le Pr Lejeune E.-M. Barrié

29/12 Croix Le droit de vivre des nouveau-nés J. Carles

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

résistance politique qui consiste à attendre mais à ne riencéder. Les propos de J.-F. Mattei sont éloquents : « celane doit pas interférer avec des décisions politiques ». LePr F. Beaufils élargit la problématique à la réanimationnéonatale en montrant aussi une résistance médicale : nepas céder aux souhaits des parents s’ils ont un désir demort pour leur enfant et ne pas les impliquer si une dé-cision d’arrêt de réanimation s’impose. La référence reli-gieuse n’apparaît pas dans les expressions médiatiques,à la différence de l’événement de novembre 1987, maiscette étude montre que la pratique d’une religion est liéeà une diminution de l’acceptation de l’amniocentèse etde l’IMG.

Événement médiatique de septembre 2000

Le facteur déclenchant est l’avis 65 du CCNE intitulé« Réflexions éthiques autour de la réanimation néona-tale », le 27 septembre 2000. C’est le troisième événementmédiatique avec six articles dans six quotidiens, publiésseulement les 28 et 29 septembre 2000

(tableau I)

. Tousles courants de la presse sont représentés. La particularitéde cet événement est sa brièveté – deux jours – et la vio-lence des propos. Tous les articles condamnent la pratiqued’acharnement thérapeutique en réanimation néonatale. Laparole n’est donnée qu’à des membres du CCNE. Aucunréanimateur néonatologiste, aucun membre d’une asso-ciation de parents, aucun homme politique ni représentantreligieux n’a été interrogé. L’avis 65 est repris avec plusde verve et on aboutit à un sentiment global de désap-

probation générale de la pratique de réanimation néona-tale. Curieusement, ce n’est pas la pratique de l’arrêt devie qui est critiquée, mais

l’acharnement thérapeutique

,lié à la pratique de la

réanimation d’attente

, particularismefrançais. Par ailleurs, le paternalisme médical est dé-noncé : « Les parents ne sont jamais impliqués ». Unetrès forte responsabilité est projetée sur les réanimateursnéonatologistes, coupables de produire des enfants han-dicapés.

Néanmoins, les sages du CCNE, même s’ils tolèrent lapossibilité de l’arrêt de vie dans de rares cas, formulentde sévères mises en garde quant aux circonstances danslesquelles cette pratique peut prendre place. Le pouvoirmédical est surreprésenté et décide de la vie et de la mort,en faisant abstraction de toutes les autres instances. Laparole des parents est muselée, les choses se faisant à leurinsu, et la législation est allègrement transgressée, aussibien en ce qui concerne l’acharnement thérapeutique –obstination déraisonnable – que l’arrêt de vie. Malgré celail n’y a aucune réponse ni réaction du pouvoir politique,réduit au silence face à l’évidence de la transgression. Demême, à aucun moment la dimension religieuse n’apparaîtdans la problématique, pas même comme le respect d’unéventuel souhait parental.

Autres expressions médiatiques

De 1980 à 2004, nous avons recensé 49 autres expres-sions médiatiques qui ne sont pas apparues lors d’événementmédiatique, la première datant de 1982. Parmi celles-ci,

Tableau I : Publications des trois événements médiatiques concernant les décisions d’arrêt des thérapeutiques en néonatologie :novembre 1987, août 1993 et septembre 2000. (suite)Table I: Publications concerning three media events dealing with therapeutic withdrawal decisions in the neonatal setting: November 1987, August

1993, September 2000. (following)

Août 1993 21 Monde Selon l’INSERM, une femme sur deux serait favorableà l’euthanasie des bébés malformés

J.-Y. Nau

21-22 Figaro Euthanasie des nouveau-nés : 42 % des femmes sont favorables à leur suppression

23 Impact Médecin Nouveau-nés malformés : 42 % des femmes favorables à leur suppression

C. Sanfourche

24 Croix Enfants malformés : la crainte des femmes M. Gomez25 Libération 42 % de oui à l’euthanasie des bébés trisomiques B. BN25 Quotidien du Médecin Euthanasie : une affaire mondiale I. Célerier

Sept. 2000 28 France-Soir Prématurés : mise en garde du CCNE28 Croix Les sages s’intéressent aux nouveau-nés M. De Sauto28 Libération Petits arrangements avec la vie E. Favereau28 Figaro Le drame de la réanimation inutile J.-M. Bader29 Quotidien du Médecin Le CCNE contre la réanimation systématique du nouveau-né S. de Jacquelot29 Monde Le CCNE critique l’acharnement thérapeutique

sur les nouveau-nésP. Benkimoun

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Denis Oriot, Patrice Pinell

18 concernent des situations françaises, 10 sont descommentaires d’études scientifiques françaises ou inter-nationales sur la survie des nouveau-nés et 21 sont desarticles commentant des cas cliniques étrangers (Grande-Bretagne, Italie, États-Unis et Pays-Bas). Alors que l’ex-posé des cas cliniques étrangers révèle l’importance del’implication parentale dans le processus décisionnel depoursuite ou non des thérapeutiques engagées chez unnouveau-né handicapé, les commentaires concernant lessituations françaises font toujours apparaître une hégé-monie médicale dans les processus décisionnels. En casde discordance d’avis entre parents et médecins, les paysanglo-saxons adoptent une régulation judiciaire – totale-ment absente en France.

Discussion

Position du problèmeL’expression médiatique française des arrêts des thé-

rapeutiques en néonatalogie débute en novembre 1987par un événement qui reste le plus important jamais pu-blié sur ce sujet. Depuis, l’implication parentale et l’illé-galité des décisions, sont sources de tensions entre :

– une forte demande parentale d’euthanasie desnouveau-nés malformés et une invalidation du pouvoirparental par les médecins et les politiques, alors que leCCNE invite à la codécision parentale dans son avis 65.

– le souhait d’une législation (APEH, novembre 1987)et le refus de toute législation par les réanimateurs néo-natologistes interrogés et les politiques.

Cette expression médiatique survient dans un contexteoù les positions morales (entre l’« aspect sacré de la vie »et la « qualité de vie ») se modifient au cours du temps,ne laissant apparaître en 2000, que le risque de faire vi-vre à tort un enfant handicapé. Le pouvoir politique estquasiment absent. Alors que la pratique de l’euthanasienéonatale est décrite comme « clandestine » et qu’il estdemandé sa légalisation, aucune voix ne s’élève pourcondamner l’existence d’une pratique illégale. Le pouvoirmédical s’affirme dès le début en refusant toute implica-tion parentale et toute législation, mais aucune instanceprofessionnelle médicale ne s’est exprimée. Ce pouvoirreste hégémonique dans les processus décisionnels depuis25 ans.

Quelles sont les comparaisons que l’on peut faire avecle traitement médiatique de l’euthanasie et de l’IMG ?Comment les médias ont-ils relaté la réalité en comparai-son du vécu dans les services, des actes des congrès oudes publications ? Enfin, quelle comparaison faire avecles arrêts des thérapeutiques en néonatalogie en Amériquedu Nord ?

Comparaison avec le traitement médiatique de l’euthanasie

La première expression médiatique sur l’euthanasiedate de 1975 (Le Monde du 10/01/1975 « Les académi-ciens se prononcent contre l’euthanasie » et « Le droit detuer : une lettre de la Fédération hospitalière de France »).Le traitement médiatique a évolué en fonction de troisfacteurs : le pouvoir judiciaire (proposition de loi en 1987puis légalisation de l’euthanasie aux Pays-Bas en 2001),le pouvoir médical (affaire Malèvre en 1998) et le pouvoirde l’intéressé lui-même (affaire Vincent Humbert en 2002)(figure 1). L’année 2000 est l’année de deux avis particu-liers du CCNE : l’avis 63 au printemps, concernant l’adulte(« Fins de vie, arrêt de vie, euthanasie »), et l’avis 65 enautomne concernant exclusivement le nouveau-né (« Ré-flexions éthiques autour de la réanimation néonatale »).Cependant, la différence de traitement médiatique de cesdeux avis est énorme. En comparaison avec la réactionmédiatique à l’avis 65 (6 articles, cf. supra), la réponsemédiatique à l’avis 63 est explosive : 370 articles du25 février au 1er juin 2000 dans des dizaines de quotidiensnationaux et régionaux, des hebdomadaires et des men-suels. Ces articles mettent en exergue l’exception d’eutha-nasie proposée par le CCNE et explorent le droit individuelà choisir sa mort, l’illégalité de l’euthanasie et la tentationde sa légalisation, les décisions de fin de vie en réanima-tion d’adultes et l’avis de personnalités religieuses sur latransgression.

De cette différence de traitement médiatique, faut-iltirer des conclusions concernant le statut du nouveau-nédans notre société ? Est-ce un être à part, dont on nediscute pas la représentativité actuelle, accordée par lepaternalisme médical de notre champ social aux seulsréanimateurs néonatologistes ? Qui prend la parole en sonnom, surtout quand il est diminué par la faiblesse de sonimmaturité, des malformations ou des lésions cérébrales ?Cette réification du nouveau-né est l’apanage des événe-ments d’août 1993 et de septembre 2000.

Comparaison avec le traitement médiatique de l’IMG

Les articles abordant la problématique foetale repré-sentent un tiers des articles étudiés. Ils apparaissent dès1981 et augmentent au cours des années en fonction dedeux facteurs. Le premier représente les progrès réalisésdans le DPN (biopsie trophoblastique, échographie, mar-queurs sériques, biologie moléculaire…) et l’élargissementdu dépistage de la trisomie 21. Le deuxième est l’avis mo-ral exprimé par les représentants de l’Église catholique etle CCNE. Ainsi observe-t-on une tension croissante entrel’objectif permis par le développement du DPN – « pourune grossesse sans risque » –, et les limites morales à l’uti-lisation de ces techniques. De plus, à partir de la fin de

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Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie3 E CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

l’année 2000, l’affaire Nicolas Perruche et ses multiplesrebondissements politico-judiciaires jouent un rôle crois-sant dans le débat médiatique qui va durer 3 ans, permet-tant d’aborder le droit, le DPN, le handicap et sa prise encharge. Il n’y a pas eu de tels soulèvements médiatiquesni de tels débats depuis 1987, concernant ce qu’il est rai-sonnable de faire ou non chez un nouveau-né malforméou handicapé.

Comparaison avec l’analyse sociohistorique de la réanimation néonatale en France

La pratique de l’arrêt de vie en France remonte au dé-but de la réanimation néonatale en 1964-1965, comme ledisent les pionniers de la discipline [4]. Elle est liée à l’uti-lisation de « l’outil réanimation ». Il n’y avait pas d’arrêtde vie avant la réanimation du nouveau-né, et cette pra-tique s’est développée en parallèle de la progression de laréanimation. Pour les pionniers, l’arrêt de vie permettaitde légitimer l’action de réanimation néonatale. En effet,à l’époque, il existait une crainte que la réanimation dunouveau-né soit pourvoyeuse d’enfants handicapés. Audébut, le seul décideur était le réanimateur néonatologisteet les parents n’étaient ni informés, ni décideurs. Ils nesont toujours pas décideurs, mais leur accord tacite à unarrêt de vie est recueilli. Cette réalité est restée occultéependant 35 ans, et n’est apparue que peu à peu dans lesmédias en 2000, date de l’avis 65 du CCNE. Ce dernier ajoué un rôle permissif en ne s’opposant pas à la pratiquede l’arrêt de vie.

Comparaison avec les actes des congrèsIl y a cinq congrès traitant de la fin de vie en réani-

mation néonatale avant 1986.En 1974, au Centre Laennec, sont exposées [8, 9] les

particularités de la réanimation néonatale de l’époque. Ils’agit de la première référence écrite française sur le sujet,treize ans avant la première publication française. Onconstate que la réanimation néonatale aboutissant à unenfant anormal n’a pas de sens et que les réanimateursnéonatologistes s’attribuent un rôle découlant de la pré-diction du devenir du nouveau-né : qui sera normal et quine le sera pas ? La réponse est binaire : poursuivre ou in-terrompre la réanimation. L’encéphalopathie est considé-rée comme un échec dont le réanimateur porte la res-ponsabilité. Les processus décisionnels d’interruption deréanimation ne sont pas décrits et jamais la loi n’est men-tionnée. Les parents sont entendus, mais non décideurs,par protection d’une future culpabilité. Sur le médecinseul repose la responsabilité de la décision. C’est une po-sition de pouvoir absolu qui s’affirme.

En 1976, à l’Institut de puériculture de Paris, une jour-née porte sur l’accueil des parents en réanimation néona-tale. Par conviction hygiéniste, on aboutit in fine à une

exclusion parentale et une négation de la relation mère-bébé. De façon analogue, les décisions d’arrêt de réani-mation (première formulation écrite) sont prises à l’insudes parents [10]. La conclusion du Dr M. Soulé est un ap-pel à l’ouverture des unités aux parents et une incitationau dialogue : « Les progrès de l’assistance néonatologiquevont contre les phénomènes naturels et imposent ainsiaux parents des épreuves inconnues jusqu’alors, sauf auxtemps héroïques de Sparte, et donnent aux médecins unrôle de démiurge tranchant le fil de la vie » [11]. L’expres-sion des pouvoirs se réduit au pouvoir médical qui, parson exercice, muselle le pouvoir parental.

En 1982, au congrès « Éthique et pédiatrie » deux pé-diatres [12, 13] – États-Unis, Italie – font entendre unevision différente de celle de l’éthique française. L’incerti-tude des situations cliniques est mise en avant et la placedes parents est fondamentale dans tous les cas de figure.« Ils ont le premier mot, même si ce n’est pas l’unique ».L’acceptation d’un handicap ou d’une situation grave leurrevient. Les médecins peuvent les aider à décider, maisnon se substituer à eux. L’acharnement thérapeutique estdénoncé et combattu ; il est même présenté comme unconflit avec le pouvoir divin. Les décisions d’arrêt de réa-nimation sont prises collégialement et il y a le souhaitd’avoir un cadre juridique et plus humain pour envisagerune fin de vie en soins palliatifs de néonatalogie.

Un an plus tard, en 1983, une conférence est donnéeau Centre Laennec par Richard McCormick [14], moralisteaméricain rompu aux problèmes éthiques de la réanima-tion néonatale. Les médecins ne doivent pas s’arroger toutpouvoir, mais développer une procédure décisionnellepour approcher les zones grises de l’incertitude en lienétroit avec les parents qui restent les interlocuteurs ayant« la lourde prérogative » de la décision. De plus, R. Mc-Cormick introduit une vision fonctionnelle de l’homme etla présente comme une valeur morale pouvant aider àla décision : un homme ayant un potentiel de relationshumaines. Le rôle de l’État commence quand les parentsse sentent dépassés ; il s’agit d’une assistance aux plusfaibles.

En octobre 1985, la table ronde organisée lors desJournées Parisiennes de Pédiatrie sur la « Réflexion surles problèmes éthiques en réanimation néonatale et pé-diatrique » est de la plus haute importance [5, 15, 16]. Elleapparaît juste un an après la constitution du Groupe deRéflexion Éthique (1984) au sein du Groupe d’ÉtudesNéonatale de la Région Parisienne. Elle est la premièrecommunication d’une instance représentative des néonato-logistes. Ses auteurs – les pionniers de la discipline –, leurreprésentativité, la richesse et la cohérence de la réflexionen font le texte fondateur sur l’éthique en réanimationnéonatale en France. Il est présenté une vision pragma-tique et normative de l’éthique, fondée sur l’épargne du

Med Pal 2007; 6: 46-54 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 53 www.masson.fr/revues/mp

3 E CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES– MONTRÉAL

Denis Oriot, Patrice Pinell

handicap et celle de la culpabilité parentale. Elle obéit àune logique utilitariste, en prenant comme principe laqualité de vie. L’acceptation du handicap est la base duraisonnement éthique. Le handicap est considéré dansune dynamique très défaitiste, comme désavantageux etdéstructurant pour l’enfant et la famille [16]. Une vie va-lable – qui a un sens – est une vie sans handicap, tout enreléguant à la société la responsabilité de son aversion duhandicap. Le fait d’avoir fait vivre un enfant handicapéest présenté comme une erreur à « corriger ». Les décisionsde fin de vie sont motivées par l’intention médicale demettre un terme à la vie du patient. Pour la première fois,on trouve décrits les principes des pionniers : l’a priori devie et la réanimation d’attente. C’est également la pre-mière occurrence du terme arrêt de vie [15]. Celle d’arrêtde réanimation y figure aussi à plusieurs reprises, commesynonyme. Ces décisions se font dans la collégialité desréanimateurs néonatologistes expérimentés de chaqueservice. En aucun cas les parents ne participent aux dé-cisions, ni même n’ont conscience de leur existence. Cetteinvalidation permanente du pouvoir parental amène entoute circonstance à dissimuler dans le seul objectif d’évi-ter la culpabilité des parents. L’expression du pouvoir mé-dical est donc absolue, entre les mains du seul réanima-teur néonatologiste, qui revendique la justesse de sonaction tout en niant son aspect mégalomaniaque [5]. Larationalisation de la démarche éthique et sa finalité s’op-posent au reproche formulé au réanimateur néonatolo-giste d’être un pourvoyeur de handicapés. Le contenu mo-nolithique et non discursif de ce texte laisse supposer quela volonté des auteurs est de présenter un modèle à penserl’éthique en réanimation néonatale, en léguant à la commu-nauté la réflexion et les modalités d’action qui sont cellesdes pionniers. Aucun de ces congrès n’a été l’objet d’uneexpression médiatique.

Comparaison avec les publications médicalesLe numéro spécial des Archives Françaises de Pédiatrie

en 1986 reprend les textes de la table ronde des JournéesParisiennes de Pédiatrie d’octobre 1985. Depuis le débutdes années 1990, les 4 études françaises sur les pratiquesde fin de vie [2, 3, 17, 18] rapportent que trois quarts descentres pratiquent un arrêt de réanimation. Mais dans75 % des cas, cela ne se limite pas à l’interruption de laventilation assistée, mais comporte également d’autresmesures. Ceci signifie clairement que, pour la majorité desréanimateurs néonatologistes, le risque de maintenir envie un enfant supposé lourdement handicapé paraît plusintolérable que celui de prendre des mesures actives pouréviter cette éventualité, ce qui légitime la pratique de l’ar-rêt de vie [1, 3]. Malgré tout, seulement un quart souhaiteque la loi l’autorise [1]. L’arrêt de vie est un terme inventépour le nouveau-né en 1985 et largement utilisé à partir

de 2000. L’intention du médecin est de mettre fin à la viedu nouveau-né en raison de lésions cérébrales faisantcraindre un pronostic très défavorable. Certains voientune cohérence entre les décisions anténatales d’IMG etpostnatales d’arrêt de vie. Dans 25 % des cas, le souhaitdes parents de prolonger la réanimation n’est pas pris encompte, et dans 35 % des cas, la mort de leur enfant estprésentée comme une évolution naturelle [2]. Les méde-cins adoptent une attitude de protection des parents, enn’entrant plus en discussion avec eux, mais en continuantde s’arroger le droit de prendre la décision seuls pour leuréviter le poids de la culpabilité.

Étonnamment, cet important congrès de 1985 et la pu-blication princeps de 1986 n’ont pas été relatés par lesmédias. Ce n’est qu’en 2000, que la presse relate l’étudeEURONIC [1] sur les pratiques de fin de vie en réanimationnéonatale en Europe. Même si la pratique d’arrêt de vieexiste dans le monde anglo-saxon, elle reste exception-nelle. Depuis plusieurs décades, elle existe en Hollande,pays qui l’a rapportée en premier dans la littérature in-ternationale [19] et pour lequel il existe une régulationpolitico-judiciaire de l’utilisation de l’euthanasie.

Comparaison avec les expressions médiatiques nord-américaines

L’ancrage dans la société américaine des questions éthi-ques du début de la vie et de leurs suites politico-judiciaires,se déroule sur deux périodes : la première, le 16 octobre1971, amorcée par l’événement du Kennedy Center deBaltimore ; la deuxième, déclenchée par la mort de JaneDoe à Bloomington, Indiana, le 15 avril 1982 [20].

La première phase suit la projection publique du filmau Kennedy Center retraçant la volonté parentale de nepas faire opérer leur enfant trisomique d’une atrésie del’œsophage, lequel décède suite à cette décision. Ce pou-voir parental est garanti par la loi, du fait de la valeur de« l’autonomie », autodétermination du patient ou de sesreprésentants. S’installe alors un débat sur l’éthique desfins de vie en néonatalogie et Duff, en 1973, fait scandaleen rapportant 14 % de décès en réanimation néonataleaprès décision médicale. Plusieurs médecins vont alorsproposer dans les 10 années qui suivent, des décisionsd’abstention, de limitation des thérapeutiques, voire uneeuthanasie active pour les cas désespérés [20]. Néanmoins,ils ne revendiquent pas un pouvoir absolu et reconnais-sent d’une part, la primauté de la décision parentale et,d’autre part, la valeur absolue de la loi. La Commissionprésidentielle de 1979 entrevoit la possibilité de limitationet arrêt des thérapeutiques quand elles sont jugées « futi-les ». Aucun élément d’ordre religieux n’est apparu dansce débat.

La deuxième phase éclate avec l’affaire Baby Doe enavril 1982 et prend une ampleur nationale. Le pouvoir

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Expression médiatique des arrêts de traitement en néonatalogie3 E CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

parental est absolu et se manifeste jusque dans la mortdésirée et obtenue de leur enfant. La réponse est politico-judiciaire. La Commission Reagan de 1983 différenciel’autonomie du patient du substitut du patient, qui se trouvealors face au pouvoir fédéral, s’il y a désaccord sur cequ’est le meilleur intérêt de l’enfant [20]. Mais le corpsmédical est le premier visé. Les médecins, dont certainssont les déclencheurs de « l’affaire », sont soumis à uncontrôle de leurs actions et une intrusion sans précédentdu pouvoir fédéral dans leur vie professionnelle. Celaaboutit, après de nombreuses joutes politico-judiciaires, àune peur du judiciaire. Il se produit une subordination ducorps médical et une modification des pratiques qui de-viennent excessives, avec une dérive vers l’obstination dé-raisonnable. La prise de parole tardive du Vatican inter-vient à la fin du débat et n’est suivie d’aucun relai.

L’émergence, en Amérique du Nord, des problèmeséthiques en néonatalogie est précoce et largement média-tisée, faisant l’objet, dès les années 1970, d’un débatd’idées non seulement au sein du corps médical, mais éga-lement auprès d’autres instances. La réponse médicales’est mise en place en respectant la décision parentale etle cadre légal. Puis, après l’affaire Baby Doe, la réponsepolitico-judiciaire des années Reagan a contrôlé le pou-voir médical et mis sous condition la décision parentale.Il en a résulté une modification des pratiques médicalespar seule crainte de représailles judiciaires. Cette évolutionmédiatisée depuis son origine, n’a émergé en France qu’en1986 [6], avant même que ce problème soit un objet dedébat.

Conclusion

L’expression médiatique des arrêts de traitement ennéonatalogie en France est tardive, par rapport à la pro-blématique en Amérique du Nord, rare (seulement 5 % desarticles) et partielle (ne rapporte pas le congrès des Jour-nées Parisiennes de Pédiatrie en 1985, ni le numéro spé-cial des Archives de Pédiatrie en 1986). Elle montre en1987 une confrontation des pouvoirs autour du nouveau-né handicapé, mais par la suite, une démission du reli-gieux et du politique alors que le droit parental est enpermanence sous le contrôle du pouvoir médical.

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