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Article original Gestion de la glyce ´ mie : un audit dans 66 re ´ animations Management of glycemia: An audit in 66 ICUs J.-C. Orban a, * ,b,1 , A. Scarlatti a,1 , J.-Y. Lefrant c,1 , N. Molinari d,1 , M. Leone e,1 , S. Jaber f,1 , J.-M. Constantin g,1 , B. Allaouchiche h,1 , C. Ichai a,b,1 a Re ´animation me ´dicochirurgicale, hoˆpital Saint-Roch, CHU de Nice, rue Pierre-De ´voluy, 06006 Nice cedex, France b IRCAN, faculte ´ de me ´decine, universite ´ de Nice, avenue Valombrose, 06107 Nice cedex 2, France c Division anesthe ´sie-re ´animation-douleur-urgences, CHU de Nıˆmes, place du Professeur-Robert-Debre ´, 30029 Nıˆmes cedex 9, France d De ´partement d’information me ´dicale, CHU de Nıˆmes, place du Professeur-Robert-Debre ´, 30029 Nıˆmes cedex 9, France e Service d’anesthe ´sie et de re ´animation, hoˆpital Nord, chemin des Bourrely, 13915 Marseille cedex 20, France f De ´partement d’anesthe ´sie et de re ´animation B, avenue Auguste-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France g Re ´animation adultes et unite ´ de soins intensifs, CHU de Clermont-Ferrand, place Lucie-Aubrac, 63000 Clermont-Ferrand, France h De ´partement d’anesthe ´sie-re ´animation, ho ˆpital E ´ douard-Herriot, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France Annales Franc ¸aises d’Anesthe ´ sie et de Re ´ animation 32 (2013) 84–88 I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Rec ¸u le 17 juin 2012 Accepte ´ le 5 de ´ cembre 2012 Mots cle ´s : Contro ˆle glyce ´ mique Recommandations Hypoglyce ´ mie Re ´ animation Keywords: Glucose control Recommendations Hypoglycemia ICU R E ´ S U M E ´ Objectifs. Le contro ˆle de la glyce ´ mie en re ´ animation est l’objet de nombreuses controverses. En France, il n’existe pas de donne ´e sur l’adhe ´ sion aux recommandations. Type d’e ´tude. E ´ tude ancillaire d’une enque ˆte un jour donne ´ faite entre janvier et mai 2009. Patients et me ´thodes. Lors d’un audit re ´ alise ´ dans 66 unite ´s de re ´ animation, les donne ´ es concernant l’existence d’un protocole de contro ˆle glyce ´ mique et son application ont e ´ te ´ recueillies par des internes. Re ´sultats. Le jour de l’audit, un protocole formalise ´ de contro ˆle glyce ´ mique a e ´te ´ identifie ´ pour 89 % des patients hospitalise ´s dans les 66 unite ´s du re ´ seau. Six [4–9] mesures de la glyce ´ mie ont e ´ te ´ re ´ alise ´es par patient, soit un total de 3645 mesures sur l’ensemble des sites. La me ´ diane de glyce ´ mie la plus haute e ´ tait de 1,6 g/L [1,4–2,1]. Une hypoglyce ´ mie (< 0,8 g/L) et une hyperglyce ´ mie (> 1,4 g/L chez les non- diabe ´ tiques et > 1,8 g/L pour les diabe ´ tiques) ont e ´te ´ observe ´es chez 81 (15 %) et 326 (58 %) patients, respectivement. Deux (0,36 %) hypoglyce ´ mies se ´ ve ` res (< 0,4 g/L) ont e ´te ´ note ´ es. Les facteurs associe ´s a ` l’application du contro ˆle glyce ´ mique e ´ taient : score de de ´ faillance d’organe e ´ leve ´, choc e ´ lectrique externe en urgence, ventilation me ´ canique, surveillance de pression intracra ˆnienne, corticothe ´ rapie et ratio patients/IDE infe ´ rieur a ` 2,5. Le seul facteur associe ´ au risque d’hypoglyce ´ mie e ´ tait la de ´ faillance he ´ patique. Discussion. Des protocoles de contro ˆle glyce ´ mique sont pre ´ sents dans plus de 80 % des services de re ´ animation, mais leur suivi est imparfait. Ne ´ anmoins, la glyce ´ mie me ´ diane respecte les recommanda- tions actuelles. L’hypoglyce ´ mie se ´ ve `re est un e ´ ve ´ nement tre `s rare en re ´ animation. ß 2012 Socie ´ te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). Publie ´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´ s. A B S T R A C T Introduction. The interest of tight glucose control in ICU is still debated. In France, no data are available regarding this therapy and the implementation of its guidelines. Study design. Sub-study of a one-day audit performed between January and May 2009. Patients and methods. During a one-day audit performed in 66 ICUs, trained residents collected data regarding the presence of a formal glucose control protocol and its practical application. Results. A formalized glucose control protocol was found in 88% of patients. During the day before the audit, 3645 glycemia measurements were performed accounting for six measurements [4–9] per patient with a median higher value of 1.6 [1.4–2.1]. Hypoglycemia (< 0.8 g/L) and hyperglycemia (> 1.4 g/L in non-diabetic and > 1.8 g/L in diabetic patients) were found in 81 (15%) and 326 (58%) patients * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-C. Orban). 1 Pour le groupe AzuRea. 0750-7658/$ see front matter ß 2012 Socie ´te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). Publie ´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2012.12.002

Gestion de la glycémie : un audit dans 66 réanimations

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Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 84–88

Article original

Gestion de la glycemie : un audit dans 66 reanimations

Management of glycemia: An audit in 66 ICUs

J.-C. Orban a,*,b,1, A. Scarlatti a,1, J.-Y. Lefrant c,1, N. Molinari d,1, M. Leone e,1, S. Jaber f,1,J.-M. Constantin g,1, B. Allaouchiche h,1, C. Ichai a,b,1

a Reanimation medicochirurgicale, hopital Saint-Roch, CHU de Nice, rue Pierre-Devoluy, 06006 Nice cedex, Franceb IRCAN, faculte de medecine, universite de Nice, avenue Valombrose, 06107 Nice cedex 2, Francec Division anesthesie-reanimation-douleur-urgences, CHU de Nımes, place du Professeur-Robert-Debre, 30029 Nımes cedex 9, Franced Departement d’information medicale, CHU de Nımes, place du Professeur-Robert-Debre, 30029 Nımes cedex 9, Francee Service d’anesthesie et de reanimation, hopital Nord, chemin des Bourrely, 13915 Marseille cedex 20, Francef Departement d’anesthesie et de reanimation B, avenue Auguste-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, Franceg Reanimation adultes et unite de soins intensifs, CHU de Clermont-Ferrand, place Lucie-Aubrac, 63000 Clermont-Ferrand, Franceh Departement d’anesthesie-reanimation, hopital Edouard-Herriot, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Recu le 17 juin 2012

Accepte le 5 decembre 2012

Mots cles :

Controle glycemique

Recommandations

Hypoglycemie

Reanimation

Keywords:

Glucose control

Recommendations

Hypoglycemia

ICU

R E S U M E

Objectifs. – Le controle de la glycemie en reanimation est l’objet de nombreuses controverses. En France,

il n’existe pas de donnee sur l’adhesion aux recommandations.

Type d’etude. – Etude ancillaire d’une enquete un jour donne faite entre janvier et mai 2009.

Patients et methodes. – Lors d’un audit realise dans 66 unites de reanimation, les donnees concernant

l’existence d’un protocole de controle glycemique et son application ont ete recueillies par des internes.

Resultats. – Le jour de l’audit, un protocole formalise de controle glycemique a ete identifie pour 89 % des

patients hospitalises dans les 66 unites du reseau. Six [4–9] mesures de la glycemie ont ete realisees par

patient, soit un total de 3645 mesures sur l’ensemble des sites. La mediane de glycemie la plus haute etait

de 1,6 g/L [1,4–2,1]. Une hypoglycemie (< 0,8 g/L) et une hyperglycemie (> 1,4 g/L chez les non-

diabetiques et > 1,8 g/L pour les diabetiques) ont ete observees chez 81 (15 %) et 326 (58 %) patients,

respectivement. Deux (0,36 %) hypoglycemies severes (< 0,4 g/L) ont ete notees. Les facteurs associes a

l’application du controle glycemique etaient : score de defaillance d’organe eleve, choc electrique

externe en urgence, ventilation mecanique, surveillance de pression intracranienne, corticotherapie et

ratio patients/IDE inferieur a 2,5. Le seul facteur associe au risque d’hypoglycemie etait la defaillance

hepatique.

Discussion. – Des protocoles de controle glycemique sont presents dans plus de 80 % des services de

reanimation, mais leur suivi est imparfait. Neanmoins, la glycemie mediane respecte les recommanda-

tions actuelles. L’hypoglycemie severe est un evenement tres rare en reanimation.

� 2012 Societe francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar). Publie par Elsevier Masson SAS. Tous

droits reserves.

A B S T R A C T

Introduction. – The interest of tight glucose control in ICU is still debated. In France, no data are available

regarding this therapy and the implementation of its guidelines.

Study design. – Sub-study of a one-day audit performed between January and May 2009.

Patients and methods. – During a one-day audit performed in 66 ICUs, trained residents collected data

regarding the presence of a formal glucose control protocol and its practical application.

Results. – A formalized glucose control protocol was found in 88% of patients. During the day before the

audit, 3645 glycemia measurements were performed accounting for six measurements [4–9] per patient

with a median higher value of 1.6 [1.4–2.1]. Hypoglycemia (< 0.8 g/L) and hyperglycemia (> 1.4 g/L in

non-diabetic and > 1.8 g/L in diabetic patients) were found in 81 (15%) and 326 (58%) patients

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (J.-C. Orban).1 Pour le groupe AzuRea.

0750-7658/$ – see front matter � 2012 Societe francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar). Publie par Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2012.12.002

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respectively. Two episodes (0.36%) of severe hypoglycemia (< 0.4 g/L) were reported. Factors associated

with glucose control protocol application were: a high SOFA score, cardioversion, mechanical ventilation,

intracranial pressure monitoring, steroid use and nurse to patient ratio less than 1/2.5. Hepatic failure was

the only factor associated with hypoglycemia.

Discussion. – Glucose control protocols are available in more than 80% ICUs but their implementation is

still imperfect. However, the median glycemia meets international current recommendations. Severe

hypoglycemia is a very rare event in ICU.

� 2012 Societe francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar). Published by Elsevier Masson SAS. All rights

reserved.

1. Introduction

En reanimation, l’interet d’un controle glycemique strict estdebattu. L’hyperglycemie, consideree comme une adaptation face aun stress aigu, a ete pendant longtemps toleree. Des etudesmontrant ses effets deleteres ont remis en cause cette tolerance.L’hyperglycemie aigue est responsable de la production d’especesreactives oxygenees deleteres [1–3]. Elle est associee a un mauvaispronostic dans de nombreuses situations pathologiques aigues[4,5]. En reanimation, une etude seminale a montre qu’un controlestrict de la glycemie diminuait la morbi-mortalite [6]. Cette etudeconcernait une population essentiellement chirurgicale, mais lesapports exogenes de glucose etaient superieurs a ceux recom-mandes habituellement. Des resultats plus nuances ont eteretrouves chez les patients medicaux [7]. Un controle strict dela glycemie diminuait la morbidite hospitaliere sans modifier lasurvie. Des etudes ulterieures ont confirme le faible impact entermes de survie [8,9]. L’etude NICE-SUGAR incluant le plus grandeffectif de patients hospitalises en reanimation a mis en evidenceune surmortalite dans le groupe « controle strict de la glycemie »[10]. Toutefois, le groupe temoin avait un objectif de glycemieinferieur a 1,8 g/L. Finalement, une meta-analyse a confirmel’absence d’interet du controle glycemique strict chez les patientsmedicaux de reanimation. En revanche, elle a souligne son effetbenefique sur la survie chez les patients chirurgicaux [11].

L’hypoglycemie est la complication la plus frequente ducontrole strict de la glycemie. Son incidence varie entre 5 et17 % [6–10,12]. C’est un frein a l’application de ce traitement,comme l’atteste l’arret premature des etudes VISEP et Glucontrol[8,9]. D’autres facteurs de risque expliquent la survenue d’hypo-glycemie tels que l’arret de l’alimentation, le sepsis, l’insuffisancerenale avec necessite d’epuration extrarenale, l’insuffisancehepatocellulaire et le sexe feminin [13,14]. L’hypoglycemie estegalement un marqueur d’un etat pathologique grave. Enrevanche, son impact sur la morbi-mortalite n’est pas clairementdemontre [15].

Les resultats contradictoires de ces etudes ont genere denombreuses interrogations [16]. De nombreux points restent apreciser : cible glycemique optimale, type de patients, momentideal de debut du controle glycemique, role deletere des variationsglycemiques [17] et importance reelle des hypoglycemies. Cespoints non resolus participent a une certaine confusion, malgre lapublication de recommandations nationale et internationale[18,19]. L’objectif primaire de cette etude etait d’evaluer lespratiques du controle de la glycemie en reanimation en France. Lesobjectifs secondaires etaient de determiner le rythme de surveil-lance de la glycemie et l’incidence des hypoglycemies dans la viereelle.

2. Patients et methodes

2.1. Schema de l’etude

Apres accord du Comite d’ethique de Nımes et information de laCommission nationale informatique et libertes, un audit un jour

donne a ete realise entre janvier et mai 2009 dans 66 unites dereanimation du Sud de la France situees a proximite de Clermont-Ferrand, Lyon, Marseille, Montpellier, Nice, Nımes, Saint-Etienne etToulouse. Le responsable de chaque unite a ete contacte dans lessemaines precedant l’audit par telephone afin d’obtenir son accord.Parmi les 69 unites contactees, deux unites n’ont jamais repondu etune a refuse de participer. Les membres de chaque unite etaientprevenus de la realisation de cette enquete. Seul le responsable deservice etait informe de la semaine d’enquete sans en connaıtre lejour precis. L’objectif initial etait d’etudier le suivi de 13 recom-mandations applicables a une population de patients de reanima-tion. Les resultats globaux de cet audit sont publies ailleurs [20]. Ils’agit ici une etude ancillaire sur les donnees du controleglycemique issues de ce travail princeps.

Les « auditeurs » etaient des internes de chaque regionconnaissant le fonctionnement du service audite, mais n’effectuantpas leur stage dans ce dernier au moment de l’etude. Un cahierd’observation etait rempli pour tout patient hospitalise dans l’uniteauditee. Un medecin en charge du projet formait les internes lorsde reunions prealables sur chaque centre universitaire.

2.2. Population etudiee

La population etudiee portait sur l’ensemble des patientspresents dans le service de reanimation le jour de l’audit. Lespatients deja sortants et ceux etant admis le jour de l’audit ont eteexclus. Aucun critere de non-inclusion n’etait retenu.

2.3. Parametres retenus

Pour chaque patient, etaient colliges : l’age, le sexe, lesantecedents, l’index de gravite simplifie (IGS) II a l’admission, lenombre de defaillances d’organes survenues lors du sejour enreanimation selon le score Sequential Organ Failure Assessment(SOFA) le jour d’audit et le statut medical ou chirurgical(programme ou urgent). Les items recueillis concernant le controleglycemique etaient les suivants :

� les caracteristiques des patients (diabetiques ou non, moded’alimentation) ;� l’existence d’un protocole ecrit de controle glycemique, son

application et la cible haute toleree.

Pour les dernieres 24 heures :

� le nombre de glycemies realisees ;� les glycemies les plus hautes et les plus basses ;� le nombre de patients ayant presente au moins une hypogly-

cemie moderee (< 0,8 g/L) ou severe (< 0,4 g/L) ;� le nombre de patients ayant presente au moins une hypergly-

cemie (> 1,4 g/L pour les non-diabetiques et > 1,8 g/L pour lesdiabetiques) ;� le nombre de patients ayant presente une glycemie definie

comme normale a savoir de 0,8 a 1,4 g/L pour les patients nondiabetiques et de 0,8 a 1,8 g/L pour les patients diabetiques.

Page 3: Gestion de la glycémie : un audit dans 66 réanimations

Tableau 1Pratiques du controle glycemique dans la population totale et chez les patients

diabetiques et non diabetiques.

Total

(n = 558)

Diabetique

(n = 104)

Non diabetique

(n = 454)

Protocole de controle

glycemique

494 (88,5 %) 98 (94,2 %) 396 (87,2 %)

Application du protocole 416 (84,2 %) 86 (87,8 %) 330 (83,3 %)

Cible haute (g/L) 1,4 [1,2–1,5] 1,5 [1,2–1,8] 1,4 [1,2–1,5]

Nombre glycemies par 24 h 6 [4–9] 8 [6–12] 6 [3–9]

Glycemie haute (g/L) 1,6 [1,4–2,1] 2,1 [1,7–2,5] 1,6 [1,3–1,9]

Glycemie basse (g/L) 1,0 [0,9–1,2] 1,1 [0,8–1,3] 1,0 [0,9–1,2]

Fig. 1. Principales caracteristiques de la population etudiee.

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2.4. Analyse statistique

Les donnees selon qu’elles soient quantitatives ou qualitativesont ete decrites par leur valeur mediane et leur intervalleinterquartile ou en nombre absolu avec leur pourcentage. Lacomparaison des variables entre les populations diabetique et nondiabetique a fait appel a un test exact de Fisher ou un test deWilcoxon selon le type de variable etudiee. Une valeur dep < 0,05 etait consideree comme statistiquement significative.Une analyse univariee a permis de tester si chacun des parametresetait associe a des evenements tels que l’application du protocolede controle glycemique du service audite, la presence dans desnormes glycemiques predefinies et la survenue d’une hypoglyce-mie. Les variables significatives au seuil de p < 0,2 ont ete inclusesdans une analyse multivariee par regression logistique, avecexclusion pas a pas des variables assorties d’une valeur de p > 0,2.

3. Resultats

3.1. Description de la population

Le jour de l’etude, les dossiers de 558 patients ont ete audites(625 presents, dont 67 sortants). L’IGS II etait a 46 [34–58]. Le delaimedian depuis l’admission en reanimation etait de dix jours [4–22]. Le motif d’admission etait medical dans 63 % des cas. Dix pourcent des patients etaient en choc septique et 67 % recevaient descatecholamines. Au moins deux defaillances d’organe etaient

denombrees chez 75 % des patients. Une epuration extrarenaleetait en cours dans 16 % des cas.

Un diabete etait retrouve dans 20 % des cas dans l’anamnese despatients. L’apport calorique journalier median etait de 1500 ca-lories. Il etait realise par voie enterale dans 48 % des cas. Lesprincipales caracteristiques des populations etudiees sont resu-mees sur la Fig. 1.

3.2. Pratiques du controle glycemique

Chez 494 (89 %) patients, il existait un protocole de controleglycemique (Tableau 1). Il etait applique chez 416 (84 %) patients.La cible haute etait a 1,4 g/L [1,2–1,5]. Un delai prolonge parrapport a l’admission etait associe a une moindre application duprotocole (Odds ratio = 1,015 [1,006–1,023]). Sur les 24 heures

Page 4: Gestion de la glycémie : un audit dans 66 réanimations

Tableau 4Facteurs associes a l’application d’un protocole de controle glycemique (population

totale).

Facteur de risque Odds ratio [IC]

SOFA eleve 1,12 [1,02–1,22]

CEE en urgence 19,57 [3,58–106,82]

Ventilation mecanique avec FiO2> 60 % 1,96 [1,10–3,48]

Surveillance de la pression intracranienne 3,81 [1,53–9,54]

Corticotherapie durant le sejour 2,39 [1,20–4,76]

Ratio patients/IDE < 2,5 5,10 [2,72–9,56]

Tableau 2Proportion des differentes populations ayant presente un episode d’hypoglycemie,

d’hyperglycemie et ayant une glycemie normale.

Total

(n = 558)

Diabetique

(n = 104)

Non

diabetique

(n = 454)

Hypoglycemie 81 (15 %) 22 (21 %) 59 (13 %)

Hypoglycemie severe 2 (0,36 %) 1 (0,96 %) 1 (0,22 %)

Hyperglycemie 326 (58 %) 69 (66 %) 257 (57 %)

Patients glycemie « normale » 153 (27 %) 24 (23 %) 129 (28 %)

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precedant l’audit, 3645 mesures de glycemie ont ete realisees, soitsix [4–9] mesures par patient. Les glycemies les plus hautes etbasses etaient de 1,6 g/L [1,4–2,1] et 1,0 g/L [0,9–1,2].

Seuls deux patients (0,36 %) ont presente une hypoglycemiesevere et 81 (15 %) un episode d’hypoglycemie inferieure a 0,8 g/L.On a note une hyperglycemie chez 326 (58 %) patients (Tableau 2).Une glycemie dans les valeurs normales etait constatee chez 153(27 %) patients.

3.3. Comparaison des populations diabetique et non diabetique

La presence d’un protocole de controle glycemique et sonapplication etaient comparables dans les deux populations. Lacible haute du protocole etait superieure chez les patientsdiabetiques compares aux patients non diabetiques (1,5 g/L[1,2–1,8] vs. 1,4 g/L [1,2–1,5], p < 0,01). Plus de mesures de laglycemie ont ete realisees chez les patients diabetiques que chezles non-diabetiques (8 [6–12]) vs. 6 [3–9], p < 0,01). La glycemiemesuree la plus elevee etait superieure chez les diabetiques parrapport aux non-diabetiques (2,1 g/L [1,7–2,1] vs. 1,6 g/L [1,3–1,9],p < 0,01). La valeur la plus basse ne differait pas entre les deuxgroupes (1,1 g/L [0,8–1,2] vs. 1,0 g/L [0,9–1,2], p = 0,74).

3.4. Facteurs associes a une glycemie normale

En analyse multivariee sur la totalite de la population, lesfacteurs associes a une glycemie dans des valeurs normalesetaient : un score SOFA bas, l’absence de reanimation cardiopul-monaire, une alimentation orale ou enterale et un age moinsavance (Tableau 3). Chez les patients diabetiques, aucune variablen’a ete retenue. Chez les patients non diabetiques, les facteursassocies a une glycemie dans des valeurs normales etaientsimilaires a ceux de la population globale.

3.5. Facteurs associes a l’application d’un protocole de controle

glycemique

En analyse multivariee, les facteurs de risque d’application ducontrole glycemique chez les individus pour lesquels un protocolede controle glycemique existe sont resumes dans le Tableau 4.

3.6. Facteurs de risque d’hypoglycemie

Trois facteurs de risque d’hypoglycemie ont ete retrouves enanalyse univariee : l’application d’un protocole de controleglycemique, la maladie diabetique et l’insuffisance hepatique. En

Tableau 3Facteurs de risques d’avoir une glycemie dans les normes (population generale).

Facteur de risque Odds ratio [IC]

SOFA (diminution d’une unite) 1,13 [1,05–1,20]

Absence de reanimation cardiopulmonaire 9,51 [1,22–74,47]

Alimentation orale 1,94 [1,17–3,22]

Alimentation enterale 2,22 [1,44–3,44]

Age (diminution d’une unite) 1,02 [1,01–1,04]

analyse multivariee, le seul facteur associe au risque d’hypogly-cemie etait une defaillance hepatique (Odds ratio a 2,4 [1,2–4,9],p = 0,02).

4. Discussion

Cette etude rapporte pour la premiere fois les pratiques ducontrole glycemique dans 66 reanimations du Sud de la France.L’interet de cette therapie reste debattu. En pratique, desprotocoles ont ete elabores avec des objectifs glycemiquessuperieurs a ceux decrits dans la plupart des etudes internationales[6–10,12]. Ces objectifs sont coherents avec les recommandationspubliees [18,19] et illustrent plutot une approche raisonnee ducontrole glycemique. Apres la diffusion des recommandationsfrancaises, 84 % des patients inclus dans notre etude etaient traitesselon un protocole ecrit. Son application etait associee a descriteres de gravite, refletant la survenue d’un desequilibreglycemique lors de l’activation de l’inflammation [1]. Les cliniciensont probablement admis que l’hyperglycemie est associee a unmauvais pronostic dans les pathologies graves [4,5].

Le ratio patient/IDE est associe a l’application d’un protocole decontrole glycemique. Une politique de controle de la glycemiesemble imposer une charge de travail supplementaire [21]. Cettenotion meriterait d’etre approfondie. En effet, si le controleglycemique diminue le taux de complications, l’effet global d’unetelle politique pourrait au contraire resulter en une diminution dela charge de travail. Cela merite des etudes supplementaires. Pouraugmenter l’adhesion a ce type de protocole, un programmeinformatique a ete propose [22]. Les resultats de cette etudemontraient une amelioration des performances en termes decontrole glycemique sans modifier le nombre de prelevements. Lecontrole glycemique peut donc etre optimise sans augmenter lacharge de travail infirmier.

Six mesures de la glycemie ont en moyenne ete effectuees dansnotre cohorte. Ce chiffre est superieur a celui obtenu dans uneetude anterieure [23]. Dans notre etude, il est difficile dedeterminer la valeur moyenne de glycemie puisque seules lesvaleurs extremes ont ete retenues. Sachant qu’elles sont comprisesentre 1,0 et 1,6 g/L, la moyenne appartient a cet intervalle. Lepourcentage de patients ayant des valeurs comprises dans unintervalle considere comme normal est faible. Il faut relativiser cesresultats au vu des dernieres recommandations sur le controleglycemique [8,9]. Les facteurs associes a des valeurs normales deglycemie refletaient des patients de moindre gravite. Un protocolede controle glycemique, qu’il soit applique ou non, n’etait pasassocie a l’obtention d’une glycemie dans les normes. Ce resultatsouligne soit un defaut de compliance vis-a-vis du protocole, soitun biais de selection des patients traites par insulinotherapie. Desresultats similaires avaient ete rapportes ailleurs [8,10].

Notre etude retrouve une incidence d’hypoglycemie faible.Ce pourcentage est inferieur a celui rapporte dans les etudessur le controle glycemique [6–10,12]. Concernant les hypogly-cemies severes, nous ne retrouvons que deux cas. Dans l’etudeNICE-SUGAR, une hypoglycemie severe est rapportee chez 6,8 %de patients du groupe insulinotherapie intensive. L’incidence est

Page 5: Gestion de la glycémie : un audit dans 66 réanimations

J.-C. Orban et al. / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 84–8888

de 0,5 % dans le groupe temoin [10]. Cela suggere que lespratiques des reanimations de notre reseau sont basees sur unprotocole proche de ce groupe temoin. La dysfonction hepatiqueest le seul facteur de risque d’hypoglycemie. Celle-ci est decriteinconstamment dans la litterature en raison de definitionsvariables [13,14]. En revanche, nous ne retrouvons pas lesfacteurs de risque habituels d’hypoglycemie comme l’epurationextrarenale, le sepsis grave, le sexe feminin ou l’application d’unprotocole de controle glycemique.

Cette etude comporte une limite principale liee a sa metho-dologie. Nous n’avons qu’un instantane d’une journee au sein d’unsejour de duree variable. Pour cette raison, il nous a paruinapproprie d’evaluer l’impact de la gestion de la glycemie surle devenir des patients. Par ailleurs, nous n’avons pas analyse lavariabilite glycemique qui semble mieux correlee au devenir quel’hyperglycemie seule [17]. Enfin, notre etude reflete les pratiquesdu controle glycemique durant l’annee 2009, annee de publicationdes recommandations formalisees d’experts sur le sujet. Comptetenu de l’evolution des donnees de la litterature, ces pratiquesauront probablement evolue.

Un protocole de gestion de la glycemie est applique chez plus de80 % des patients. En depit de cette forte adhesion, un nombresignificatif de patients ont des glycemies en dehors des valeursnormales. Particulierement, l’hypoglycemie reste un evenementrare. En pratique, les modalites d’application du controleglycemique refletent la discordance entre les protocoles desetudes randomisees controlees publiees sur le sujet et lesrecommandations nationales et internationales.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

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