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Histoire du Portugal

Histoire Du Portugal

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Page 1: Histoire Du Portugal

Histoire du Portugal

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Histoire du PortugalLe Portugal ne possédant pas d'individualité géographique1 raconter son histoire revient tout

d'abord à expliquer comment la péninsule Ibérique, malgré un destin commun

jusqu'au XIIe siècle, s'est divisée en deux. C'est expliquer comment ce territoire a su prendre et

conserver son indépendance en dépit des tentatives permanentes d'unification de son puissant

voisin. En effet, les Basques, les Catalans et lesGaliciens, malgré une forte individualité, ont fini,

eux, par rejoindre le royaume de Castille pour former l'Espagne moderne. C'est expliquer enfin

comment, malgré les profondes différences nord-sud et littoral-intérieur, le pays a gardé son

unité et son indépendance, à l'intérieur des plus anciennes frontières d'Europe.

Préhistoire et antiquité pré-romaine.

Dès cette époque apparaissent des caractéristiques qui vont amener le pouvoir romain

et ses successeurs à distinguer les populations présentes sur la péninsule, à les

répertorier avant de créer différentes divisions administratives.

Les plus anciennes traces de civilisation au Portugal datent du Paléolithique : il s'agit

de peintures et de gravures rupestres comme celles des grottes d'Escoural (Alentejo),

de Mazouco (Tras-os-Montes) et surtout de Vale de Côa, datées entre 22 000 et

10 000 ans avant J-C. La majorité de ces traces se trouvent en Estremadura, dans la

vallée du Tage, et au nord du Douro. Elles témoignent de l'existence de peuples

nomades vivant de chasse et de cueillette. C'est encore le règne de l'homme de

Néanderta qui trouvera son ultime refuge dans le territoire de l'actuel Portugal avant

d'être remplacé par l'homo sapiens.

Environ 10 000 ans avant J.-C., la péninsule ibérique est occupée successivement par

des peuples d'origines diverses qui vont pourtant se fondre pour donner naissance à

un type humain plutôt homogène2. On les regroupe sous le terme d'Ibères. Ils occupent

surtout l'intérieur des terres et la côté méditerranée de la péninsule. L'agriculture tend à

fixer ces populations.

Entre 4000 et 2000 avant J.-C., les terres correspondant au Portugal et à la Galice

voient se développer une culture mégalithique originale par rapport au reste de la

péninsule: elle se caractérise par son architecture funéraire et religieuse particulière et

par la pratique de l'inhumation collective3. On peut encore trouver dans le pays de

nombreuses traces de cette religiosité même si la plupart sont concentrées dans

l'Alentejo : le cromlech d'Almendres près d'Évora (le plus important alignement de

menhirs d'Europe), ceux de Vale Maria do Meio ou de Portela de Mogos ainsi que

le dolmen de Zambujeiro.

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Le cromlech d'Almendres

Les premières communautés urbaines font leur apparition autour de 2600 avant J.-C.

L'âge de bronze puis l'âge du fer voient se développer des contacts maritimes entre le

littoral atlantique et celui de la Bretagne et des îles Britanniquesalors que le sud de la

péninsule entretient des liens commerciaux avec la Méditerranée : des Grecs et

des Phéniciens ainsi que leurs descendantscarthaginois y installent de petits comptoirs

commerciaux semi-permanents. Les Phéniciens introduisent la culture du vin et de

l'huile d'olive dans la péninsule. Ils développent également la pêche et la métallurgie.

Mais le moteur de ce commerce est la richesse de la péninsule en métaux (or, argent,

fer et étain). Certains historiens ont avancé que les Phéniciens auraient fondé

Lisbonne autour de l'an 1000 avant J.-C. La légende veut même que ce soit Ulysse qui

ait donné son nom à la ville. En réalité, seul le site d'Abul, près d'Alcácer do Sal,

demeure incontestable. Ces peuples, comme plus tard, l'arrivée des romains et des

musulmans contribuèrent certainement au caractère méditerranéen du pays2.

Parmi les peuples ibères se trouvent les Tartessiens, qui occupent l'est et le sud de la

péninsule autour du Guadalquivir. Cette puissante civilisation, fortement influencée par

les Phéniciens et les Grecs avec qui ils font commerce de bronze et d'argent, disparaît

avec l'arrivée des Carthaginois en 235 avant J.-C.

L'âge du fer voit également arriver dans la péninsule des peuples indo-européens,

probablement d'origines pré-celtiques, (autour de 1200 avant J.-C.). Très vite, ils vont

être coupés de leurs parentscontinentaux et acquérir des caractéristiques propres. Ces

tribus se sont mêlées aux peuples autochtones de la région et ont été ensuite

répertoriés et classifiés par les romains avant que ceux-ci ne décident de diviser

administrativement la péninsule en tenant compte de leurs différences. Sur le futur

territoire portugais, ils dénombrent trois groupes principaux: au centre les Lusitaniens,

à l'ouest les Celtibères et au nord-ouest les Gallaecis2.

La culture des Lusitaniens et des Gallaecis reste la mieux connue : ils vivent regroupés

en petits noyaux de population isolés, établis sur les hauteurs avec des habitations

circulaires (lescastros) et pratiquent l'agriculture et l'élevage. Chaque maison (150

environ) est défendue par une enceinte (comme on peut en voir dans la Citânia de

Briteiros). On trouve aussi dans ces regroupements un édifice funéraire. On voit

apparaître une différenciation sociale, avec des chefs locaux et une élite de chevaliers.

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Ils vivent, en général, autour des montagnes et ne s'intéressent pas à la mer. Comme

ils maîtrisent le fer, le travail de la terre devient plus efficace, les cueillettes

augmentent, améliorant par là-même les conditions de vie et la démographie4.

Les Lusitaniens souvent considérés comme les ancêtres des portugais ne sont en fait

qu'une des composantes de la nation portugaise. Possédant déjà une langue

différente, ils s'émancipent peu à peu de la culture celte et s'étendent vers

l'Estrémadure.

Les Carthaginois débarquent dans la péninsule au IIIe siècle av. J.-C. et en occupent la

moitié sud ainsi que le nord de l'Afrique. Ils sont attirés par ses ressources minières et

agricoles mais aussi par la réputation des guerriers ibères, un atout précieux face

à Rome. Ils soumettent plusieurs tribus lusitaniennes et fondent Ossonoba (Faro) et

Portus Hannibalis (Portimão ou Alvor)5.

On peut dire, en somme, que la péninsule est le point de rencontre de populations

venues d'horizons différents (Europe du nord, Afrique et Méditerranée) sur lesquelles

va venir se greffer la culture romaine.

Province romaine

L'Hispanie en 197 avant J.-C.

L'Hispanie en 13

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L'Hispanie en 286

Se rendant compte de l'importance stratégique de la péninsule ibérique dans le conflit

qui l'oppose à Carthage, Rome décide de s'en emparer et d'en expulser les

Carthaginois qui les avaient précédés. Vers le IIIe siècle av. J.-C., à l'occasion de

la deuxième guerre punique6 (entre 218 et 201 avant J-C), Rome envahit la péninsule,

L'objectif des troupes romaines des Scipions est alors de prendre les troupes

carthaginoises à revers et surtout de les empêcher d'y préparer un assaut sur Rome.

Les Carthaginois sont expulsés.

Cette victoire entraîne une occupation militaire du territoire destinée à y maintenir

l'ordre et à assurer l'exploitation des ressources naturelles. Cette occupation apportera

sa contribution à la composition ethnique de la population portugaise moderne. La

civilisation romaine imprègnera d'autant plus fortement le futur pays que la résistance

aux troupes romaines sera particulièrement intense de la part des Lusitaniens.

En 197 avant J-C, le territoire de la péninsule occupé par les romains est divisé en

deux provinces : l'Hispanie citérieure et l'Hispanie ultérieure.

La pacification du reste de la péninsule se révèle pourtant difficile. Les Turdétans au

sud et les Lusitaniens à l'ouest se rebellent régulièrement, infligeant de sérieuses

défaites aux Romains et les obligeant à renforcer leurs troupes. En 147 avant J.-C., le

Lusitanien Viriatus prend la tête de la résistance. Considérant les Lusitaniens comme

leurs ancêtres, Viriatus est devenu pour les Portugais le symbole de la première

résistance nationale. Il mène uneguérilla contre les troupes de Rome mais des

dissensions internes auront raison de l’unité lusitanienne. Viriatus meurt assassiné par

l'un des siens en 139 avant J-C.

En 133 avant J-C, Rome soumet définitivement la péninsule et met fin à la civilisation

castrale en contraignant la population à s'installer dans les plaines pour faciliter son

unification. Cette politique est à l'origine des villes de Braga (Bracara

Augusta), Chaves (Aquae Flavia) ou Beja (Pax Iulia).

Pendant la dictature de Sylla à Rome, l'aristocratie péninsulaire se rebelle et demande

le soutien du général romain dissident Sertorius. Celui-ci repousse les troupes de Sylla

et envisage d'installer une république indépendante dans la péninsule et d'en civiliser

les populations (79 avant J.-C.). Il crée ainsi un sénat et surtout une école chargée

d'éduquer les fils de bonnes familles pour former une élite. Cet épisode sans

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lendemain révèle pourtant l'esprit d'indépendance toujours persistant de ces

populations.

Le territoire est pacifié et colonisé par Jules César autour de 60 avant J.-C.

En l'an 13, sous le règne d'Auguste, est réalisé un nouveau découpage du territoire :

l'Hispanie Ultérieure est divisée en Lusitanie et Bétique, séparées par le

fleuve Guadiana. Un autre découpage en l'an 286, sous le règne de Dioclétien, donne

naissance à de nouvelles provinces, dont la Gallaecia, au nord du fleuve Douro.

Les frontières du futur Portugal seront plus ou moins calquées sur celles

des conventi romains appartenant aux provinces de la Lusitanie et de la Gallaecia. On

peut penser que ces divisions correspondaient à des tribus, des villages différents, ou,

du moins, à des réalités sociales différentes7.

De nombreuses villes sont fondées: Bracara Augusta (Braga), Scalabis (Santarem),

Pax Julia (Beja)... Les principaux axes routiers actuels ont leur origine dans les voies

romaines8.

Une variante populaire du latin vulgaire,le Galaïco-portugais, devient la langue

dominante de la région et remplace tous les dialectes parlés auparavant, créant ainsi

une certaine unité. Les Romains introduisent l´écriture, les écoles, de nombreuses

notions scientifiques et la propriété privée alors inconnue. Ils diffusent leurs mœurs et

leur culture, imposent un découpage administratif et une organisation sociale

héréditaire avec des seigneurs et des serfs - dans la culture romaine, le travail est

considéré comme dégradant, un noble ne travaille donc pas. Les Romains développent

la culture des céréales, de la pêche, la production de vin et de sel.

Cette occupation modifie le paysage architectural et donne son visage méditerranéen

au pays. Citons en exemple le temple de Diane d'Évora, le forum d'Auguste ainsi que

de nombreuxamphithéâtres, temples et thermes.

Grandes invasions

Autour du Ve siècle, des peuples d'origine germanique envahissent une péninsule

Ibérique au sein d'un Empire romain en plein effondrement.

Parmi ces envahisseurs se trouvent les Suèves et les Wisigoths, qui peuplent ce qui

est aujourd'hui le territoire portugais. Les Vandales et les Alains, arrivés également

dans la région, sont rejetés ou partiellement intégrés par les Wisigoths. Ces nouveaux

arrivants ont peu d'influence, que ce soit sur la langue, la plupart étant romanisés, ou

sur l'organisation du territoire, puisqu'ils respectent les provinces existantes.

Page 7: Histoire Du Portugal

La péninsule en l'an 476

Ce sont d’abord les Alains, originaires d'Europe centrale et fuyant les Huns, qui

s'installent en 409, sous l'autorité de Rome, en Lusitanie où ils restent jusqu'en 416

avant d'être réduits par les Suèves et les Wisigoths à la solde de Rome9.

En 418, ces derniers, sont envoyés pour remettre au pas les Vandales, installés

en Bétique depuis 411 mais pillant les régions alentours. Repoussés par les Wisigoths,

ils finissent par s'établir en Afrique du Nord en 429.

Les Suèves arrivés également vers 409, s'établissent en Gallaecia et y fondent

un royaume, qui sera à l’origine du futur royaume de Galice. Leur roiHerméric prête

serment à Rome. Très vite, ils essaient de s'étendre mais trouvent face à eux

les Wisigoths (418). Ils réussissent à s'imposer au détriment des Alains et

des Vandales. C'est un peuple rural et autonome ne se mêlant pas aux Romains. Ils

prennent Braga comme capitale et se convertissent au christianisme une première fois

en 448, à l’initiative de Rechiaire. Les Suèves se démarquent ainsi des Wisigoths,

adeptes de l'arianisme, et Rechiaire devient le premier roi européen chrétien à frapper

sa propre monnaie. Le nord du Portugal devient dès cette époque un pôle religieux

important.

Devant la puissance des Wisigoths, les Suèves tentent une alliance avec eux en 449.

Mais, victimes de leur stratégie expansionniste, ils subissent une défaite définitive à

Bracara en 456. Le royaume suève est divisé puis réunifié en 464. C'est durant cette

période de lutte entre royaumes suèves queConimbriga est détruite. Les Suèves se

convertissent de nouveau à l'arianisme en 466, se rapprochant ainsi des Wisigoths,

avant de revenir aucatholicisme en 558 grâce à l'action de l'évêque Martin de Braga.

Initialement envoyés par Rome comme armée, les Wisigoths finissent par dominer la

Péninsule en 576 et mettre fin au royaume suève en décomposition

en 585. Tolède devient la capitale de la péninsule wisigothe. S’ils conservent

l’organisation territoriale antérieure, on leur doit certainement l'organisation

ecclésiastique du pays.

La conversion au catholicisme en 589 du roi wisigoth Récarède Ier lui permet de faire

accepter son autorité sur l'ensemble des peuples de la péninsule.

Page 8: Histoire Du Portugal

Le christianisme s'impose et tend à unifier les populations ibéro-romaines et barbares.

Les juifs sont persécutés et même réduits en esclavage. Dans le même temps, la

société se féodalise et les luttes internes à la noblesse se développent jusqu'à

fragiliser le pouvoir. L’expansion musulmane commence à affecter le pouvoir wisigoth.

On trouve des vestiges de la présence germanique dans la zone du Minho et de

la Beira Baixa : chapelle de São Frutuoso de Montélios, basilique d'Egitânia

(aujourd'hui Idanha-a-Velha).

Invasion musulmane

Articles détaillés : Al-Andalus, Gharb al-Ândalus, royaume de León, royaume des

Asturies, Liste des comtes de Portugal et Conquête musulmane de l'Hispanie.

Au début du VIIIe siècle, la péninsule Ibérique est envahie par les Maures venus

d'Afrique du Nord, récemment convertis à la toute nouvelle religion : l'islam.

Ils débarquent dans le sud en 711, commandés par Tariq ibn ziyad à la tête de 7 000

hommes, remportent la bataille de Guadalete face aux Wisigoths de Rodéric. À

l'origine de cette bataille, il y a la crise de succession qui divise la noblesse wisigothe :

le gouverneur byzantin de Ceuta qui résistait encore aux Maures avait demandé leur

aide pour s'opposer à l’accession au trône de Rodéric10. Après une première incursion

en 710, ils décident de profiter de la division des wisigoths. Ce qui n'était au début

qu'un simple pillage se transforme en invasion.

Dès 715, toute la péninsule ( à l'exception des Asturies) est contrôlée, avec une

présence musulmane d'environ 500 000 individus essentiellement concentrée autour

de Cordoue et de Grenade.Abd al-Aziz ibn Musa bin Nusair épouse la veuve de

Rodéric, revendiquant ainsi la continuité du pouvoir wisigoth. Le mot « Espagne »

désigne dès lors le royaume musulman alors que « Galice » désigne le royaume resté

aux mains des chrétiens.

La péninsule ibérique intègre ainsi le califat des Omeyyades qui s’étend jusqu’à l’Indus.

Cet empire mêle musulmans, juifs et chrétiens. Les musulmans sont d’autant plus

tolérants envers les autres religions que leurs membres sont sujets à des taxes plus

élevées alors que les convertis en sont exemptés. Cette occupation est vécue comme

une libération pour beaucoup. Les terres sont divisées en petites propriétés et

distribuées.

Cette occupation de cinq siècles laisse une trace profonde dans les régions

concernées, dans la langue11, la toponymie (notamment noms de villes commençant

par al-), l'agriculture, le commerce et les mœurs. Beaucoup de chrétiens reprennent

les mœurs maures tout en gardant leur religion : les Mozarabes. D'autres vont jusqu'à

la conversion à l'islam: les Muladies. Cette influence marque surtout le sud du pays où

la présence musulmane s'étend sur cinq siècles et où les Berbères n'hésitèrent pas à

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se mêler à la population chrétienne; beaucoup resteront dans la péninsule après la

reconquête: les Mudéjars). Au nord du pays, reconquis dès le IXe siècle, elle laisse peu

de traces12.

Les Maures conservent les divisions administratives pré-existantes. Ils nomment le

pays al-Andalus et son occident Gharb al-Andalus (l'ouest d'al-Andalus, soit le sud et le

centre du Portugal).

Les divisions ne tardent pas à opposer les différents chefs de guerre musulmans. En

750, le califat omeyyade est remplacé par celui des Abbassides. En 759, Abd al-

Rahman Ier, dernier survivant des Omeyyades de Damas, échappe au massacre de sa

famille par les Abbassides et se réfugie en Andalousie. Il contribue donc au maintien

d'une branche des Omeyyades en fondant sur la péninsule le premier État musulman

totalement indépendant du califat islamique: l'Émirat de Cordoue; celui-ci se

transforme avec Abd al-Rahman III en Califat de Cordoue (929).

Le royaume asturien (en jaune) et l'occupation arabe (en vert)

Premières réactions chrétiennes

Ces divisions facilitent la lutte d'une poignée de nobles wisigoths ayant perdu leurs

terres lors de cette invasion et de religieux ; réfugiés dans les montagnes du nord, plus

difficiles d’accès, sous la bannière du royaume asturien (incluant l'Asturie, le León,

la Castille et la Galice), ils s'unissent pour reprendre les biens qu'ils avaient eux-

mêmes pris aux autochtones. Les premiers signes d'une contre-attaque chrétienne

apparaissent dès 718: un certain Pélage le Conquérant, un seigneur de Galice, aurait

commencé à s'imposer face aux Maures, après avoir été détenu en otage comme

garantie de la soumission des Asturies. Il se serait échappé et organisé la révolte. En

722, il aurait remporté la bataille de Covadonga et été acclamé roi des Asturies. En

737, il aurait occupé la Galice et transmis son pouvoir à son fils. Dès sa prise de

contrôle, le calife de Cordoue lutte pour soumettre ces royaumes wisigoths.

Cette première victoire annonce une avancée vers le sud qui prendra le nom

de Reconquista (Reconquête): elle durera cinq siècles et s'achèvera en1249 pour le

Portugal. Elle va être fondatrice de l'identité nationale du pays.

Page 10: Histoire Du Portugal

La Reconquista portugaise, aboutie bien plus tôt que celle de l'Espagne (1492), est

accélérée par la chute du califat de Cordoue en 1031.

En règle générale cette lutte entre chrétiens et musulmans ressemble moins à une

guerre qu'à une suite de pillages, du moins jusqu'au XIe siècle et l'appel à la croisade.

Sous le règne d’Alphonse Ier (successeur de Pélage le Conquérant), les seigneurs

des Asturies tentent de s'emparer des territoires du sud aux mains des musulmans. La

Galice devient le théâtre pendant plusieurs années de combats entre chrétiens et

musulmans13.

Les Asturies, devenues ensuite royaume de León, comptent au début quatre divisions :

les Asturies, le León, la Galice et la Castille, chacune dirigée par un comte. Au fur et à

mesure des conquêtes, les terres sont divisées en comtés ou en duchés puis

repeuplées par des transferts de population14.

Un certain Vimara Peres est envoyé reprendre la vallée du Douro. En

868, Portucale et Braga sont reprises15.

À partir du IXe siècle, le sud de la Galice forme un comté dynamique autour de sa

métropole religieuse, Braga, et de son port, situé à l'embouchure

du Douro: Portucalem (littéralement le port de Cale, association de Portus,

future Porto et de Calem future (Vila Nova de Gaia). Le territoire, confié à l'autorité d'un

comte, prend le nom de Terra portucalensis (pays de Portucale).

La noblesse qui s'y installe fonde le Condado Portucalense. Vímara Peres devient le

premier comte de Portucale, titre qu'il transmet ensuite à ses enfants, créant ainsi une

dynastie qui règne jusqu'en 1071.

Elle fonde le comté de Coimbra après la reconquête de cette ville en 871; victoire de

courte durée puisque les Maures reviennent bientôt s'installer sur les rives du Douro.

Almanzor

En 932, Tolède tombe aux mains des Omeyyades. La paix et la prospérité s’installent

pendant quelques années. La guerre sainte reprend en 980 menée par Almanzor : de

nombreux raids sont lancés, les non-convertis persécutés se réfugient au nord de la

péninsule. En 997, Saint Jacques de Compostelle est prise.

La disparition d’Almanzor précède la fin du califat. À partir de 1031, celui-ci se divise

en plusieurs royaumes musulmans indépendants politiquement (les Taïfas). Ils nouent

des relations avec les royaumes chrétiens

.

Page 11: Histoire Du Portugal

Nouvelle rébellion chrétienne

De nombreuses incursions au sud du Douro donnent lieu à de nouvelles occupations

par de nouveaux seigneurs chrétiens qui eux-mêmes se rebellent bientôt contre le

comte et cherchent à s'émanciper de l'autorité royale. En 1057, Lamego est reprise,

Viseu en 1058, Coimbra en 1064. Avec la bataille de Pedroso en 1071, le roi s'appuie

sur ces rébellions pour renverser la dynastie comtale16.

Après avoir réussi à prendre Tolède (1085), Alphonse VI de Castille subit une sévère

défaite contre les Almoravides en 1086 (bataille de Sagrajas).

Les Almoravides

En effet, dès 1086, pour contrer la menace chrétienne, les taïfas de Badajoz et

de Séville font appel aux Almoravides. Ceux-ci parviennent à unir le territoire

musulman (1094). Les Castillans sont repoussés au nord du Tage.

En 1095, Urbain II lance la première croisade pour libérer les lieux saints et surtout

réagir à la menace que représentent les Turcs récemment convertis à l'islam. Déjà, les

réformes grégoriennes appellent à s'unir pour lutter contre toutes les croyances

païennes et hérétiques.

Très vite, ils occupent Cordoue et Séville, poussant le gouverneur de Badajoz à

demander l'aide du León catholique en échange de villes

comme Lisbonne, Santarém et Sintra.

Après 1121, la politique almoravide se faisant moins tolérante oblige de nombreux

mozarabes à passer au nord.

Naissance du royaume de Portugal

Articles détaillés : Afonso Henriques, royaume de Galice, royaume de León et royaume des

Asturies.

C'est dans ce cadre qu'Alphonse VI de Castille et de León annexe la Galice et le comté

de Portugal, unifiant ainsi les royaumes chrétiens. Alphonse VI, marié à Constance de

Bourgogne, fait appel à sa belle-famille bourguignonne pour l'aider à reconquérir le

reste de la péninsule. Raymond et Henri de Bourgogne, de la famille royale de France,

font partie d'une noblesse en quête de terres et de prestige; ils répondent

favorablement à l'appel.

En remerciement et pour consolider ses liens avec les autres monarchies, Alphonse VI

donne à Raymond sa fille unique Urraque en mariage, en faisant donc le futur roi de

León et de Galice (1091). Il lui confie le gouvernement de la Galice (1093). Raymond

Page 12: Histoire Du Portugal

étend largement ce territoire vers le sud. Alphonse VI décide donc de le diviser et d'en

confier une partie, celle située au sud duMinho (comprenant les comtés de Portucale et

de Coimbra) à Henri de Bourgogne (1096), devenu son gendre depuis son mariage

avec sa fille illégitime, Thérèse17. Dès lors, celui-ci installe sa cour près de Braga,

à Guimarães (considéré depuis comme « berceau » du Portugal). Il devient le vassal

d'Alphonse VI tout en bénéficiant d'une certaine autonomie, et poursuit la reconquête

jusqu'au fleuve Mondego2.

La bataille d'Ourique peinte par Domingo Antonio de Sequeira (1768-1837).

Des circonstances particulières permettent à Henri de prendre son indépendance : la

mort du roi Alphonse VI (1109) précédée de celle de Sancho, son héritier désigné

(1108). Raymond avait bien tenté de faire valoir ses droits avant sa mort en 1107.

Reste donc sa veuve, Urraque Ire de Castille qui monte sur le trône et se remarie,

provoquant des contestations chez ses vassaux; ils estiment que c'est son fils qui doit

monter sur le trône malgré son jeune âge. Henri,lui, refuse de départager les deux

partis tout en refusant de prêter l'hommage du vassal à sa reine; il affirme ainsi son

indépendance. Ce conflit se prolonge jusqu'à la mort de Urraque(1126)18.

À la mort d'Henri (1112), sa veuve, Thérèse de León, hérite des 2 comtés. Urraque et

son fils Alphonse VII ont beau lui rappeler son statut de vassale, parfois en utilisant la

force (1115, 1121 et 1127) Thérèse poursuit la politique d'indépendance de son époux.

Pourtant son rapprochement avec la noblesse de Galice (par l'intermédiaire de son

favori le comte Fernando Peres de Trava) qu'elle réclame en héritage provoque le

mécontentement de la noblesse portugaise et de l’archevêque de Braga. Celle-ci se

regroupe autour du fils de Thérèse, Afonso Henriques, né à Guimarães. Il se révolte

contre sa mère qui devra fuir en Galice après la bataille de São Mamede en (1128).

Cette victoire consacre sa prise de pouvoir19. Il entre en conflit avec Alphonse VII avant

de finir par lui jurer loyauté avec le traité de Tui en 1137.

Après un bref retour des taïfas (1142-1147), suite au morcellement de l’empire

almoravide, ce sont les Almohades qui prennent le pouvoir dans la péninsule. La

même année, Alphonse 1er reprend Lisbonne et Santarem, profitant de l’affaiblissement

almoravide.

Grâce à son habilité politique et guerrière, Afonso Henriques va réussir là où d'autres

comtés échouent; il gagne son indépendance. Il étend d'abord le territoire profitant du

déclin almoravide: en1139, il remporte sur les musulmans une bataille historique

à Ourique et se fait proclamer roi par ses troupes sur le champ de bataille. La légende

Page 13: Histoire Du Portugal

veut que le Christ lui soit apparu pendant la bataille. Cette situation est officialisée par

le traité de Zamora (1143) par lequel Alphonse VII de Castille, sous la pression du

pape, finit par reconnaître le royaume du Portugal et son roi Alphonse Ier20.

Sans parler encore d'indépendance, le royaume va bénéficier de la longévité

d'Alphonse Ier, des querelles monarchiques de son voisin et de la faiblesse de la

noblesse sur ses territoires où dominent les concelhos (communautés dont la

seigneurie est exercée par les habitants). En se tournant vers le littoral, le pays va

encore affirmer son indépendance21. Il tente activement de s'attirer les faveurs du pape.

Il bénéficiera d'ailleurs à plusieurs reprises du soutien des croisés se rendant

en Palestine et faisant escale sur ses côtes.

Le Saint-siège misant avant tout sur l'unité contre les musulmans ne reconnaitra

l'indépendance du Portugal qu'en 117922.

À partir de 1172, les Almohades opèrent une contre-offensive qui surprent les

royaumes chrétiens. Le pape décrète une croisade contre eux, créant l’unité

nécessaire pour donner aux royaumes chrétiens unis la victoire à la Bataille de Las

Navas de Tolosa ; le territoire musulman se réduit au royaume de Grenade jusqu’en

1492.

La prise de Cordoue en 1236 marque une grande victoire chrétienne.

La dynastie des Bourgogne

Articles détaillés : Maison royale de Portugal, Reconquista, Inés de Castro et ordre du

temple.

Fin de la reconquête

La reconquête et la formation du Portugal de 790 à 1300

Une fois son titre de roi reconnu, Alphonse Ier continue avec succès la lutte contre les

Maures. Le 15 mars 1147 est conquise la ville de Santarém, une cité stratégique dotée

d'un château réputé imprenable. Le 14 octobre 1147, est prise la ville de Lisbonne,

importante source d'approvisionnement, grâce à l'aide de croisés en route pour

la Terre Sainte. La voie est ainsi ouverte pour conquérir l'Alentejo; bientôt tombent les

Page 14: Histoire Du Portugal

cités d'Alcácer do Sal (1158), de Beja (1162) et d'Évora (1165). L'Alentejo est conquis

en 1168.

Ces défaites successives signent le déclin des Almoravides remplacés peu à peu par

les Almohades qui décident en 1151 de reprendre pied dans la péninsule. Le roi de

Castille et León, Alphonse VII, sur le point de se faire doubler par Alphonse Ier pour la

prise de Badajoz, s'allie auxAlmohades pour l'en empêcher; Alphonse Ier y subit une

défaite qui l'amène à associer son successeur à l'exercice du pouvoir. Par ailleurs, la

difficulté à repeupler les terres conquises oblige parfois à les abandonner à l'ennemi23.

La bataille de Santarém, le 28 juin 1184, marque la fin de cette contre-offensive maure.

À la mort d'Alphonse VII (1157) et à la division de ses terres en deux royaumes

attribués à ses fils (la Castille et le León), il n'est plus question pour Alphonse Ier de se

reconnaître comme vassal. À cela s'ajoute la transformation

de Braga en archevêché ce qui permet au pays de s'émanciper de la primatie

de Tolède. Lisbonne devient la nouvelle capitale du royaume et

remplace Coimbra comme lieu de résidence habituelle d'Alphonse Ier. Ces événements

renforcent l'indépendance du royaume qui sera officiellement reconnu par le

pape Alexandre III en 1179.

Les terres prises à l'ennemi sont confiées aux différents ordres religieux et

militaires qui contribuent au succès de la reconquête (l'ordre de Santiago à Alcácer do

Sal, Almada, Palmela, l'ordre du Temple à Santarém et dans la Beira Baixa, l'ordre

cistercien à Alcobaça, l'ordre des bénédictins dans le Nord...) mais aussi à des

populations groupées en communautés indépendantes (lesconcelhos)24. Ils ont pour

mission d'occuper ces terres, de les défendre, mais aussi de les dynamiser, de les

mettre en valeur et d'y attirer une population restée méfiante. Cette méfiance

transparaît dans le caractère défensif de l'architecture romane. Cette époque

correspond ainsi à une période de fondation et de développement des villes et du

commerce qui accompagne lescroisades. Si la petite exploitation reste une

caractéristique du nord resté aux mains des seigneurs, le sud du pays sera celui des

grands domaines attribués aux Ordres et aux concelhosattachés à leur indépendance:

opposition qui subsiste encore aujourd'hui25.

Accroitre le territoire passe également, pour Alphonse Ier par une politique d'alliances

matrimoniales; il s'évertue à placer ses nombreux enfants, légitimes et illégitimes, dans

toutes les cours d'Europe. Néanmoins, la reconquête ne s'achèvera qu'avec ses

successeurs. Alphonse Ier meurt en 1185. Sanche Ier (1185-1211) lui succède.

Page 15: Histoire Du Portugal

Sanche Ier

Les Maures profitent un moment des dissensions entre les royaumes chrétiens (1185-

1189) pour se renforcer en Algarve et même reprendre de nombreux territoires dont

Alcácer do Sal. Le 3 septembre 1189, profitant du passage de croisés, Sanche

Ier s'empare de Silves. Mais l'offensive maure, menée parAlmansour, reprend dès

l'année suivante et les amène jusqu'au rives du Tage: ils reprennent Alcácer do Sal

(10 juin 1191), Palmela et Silves (20 juillet 1191), obligeant Sanche Ier à conclure une

trêve.

De nouveaux conflits entre les royaumes chrétiens repoussent encore leur contre-

offensive. Il faut attendre 1211 et l'intervention du pape Innocent III, pour que

l'offensive chrétienne reprenne. C'est désormais l'union qui prévaut; elle amène le

Portugal et la France à intervenir au côté d'Alphonse VIII de Castille pour vaincre les

Maures lors de la bataille de Las Navas de Tolosa (16 juillet 1212).

Entretemps, Alphonse II (1211-1223) succède à Sanche Ier. Alcácer do Sal est

définitivement reprise en (1217).

Il décide de s'attaquer aux abus et vérifie tous les titres de propriété des seigneurs

(inquiriçoes). Les ordres militaires et les seigneurs de plus en plus puissants étaient

devenus une menace pour le pouvoir royal. Celui-ci en ressort légitimé. Par ailleurs, le

roi refuse d'appliquer au Portugal le décret du pape sur la confiscation des biens des

infidèles ce qui lui vaut, à lui et à son successeur, d'être excommuniés.

Son successeur, Sanche II (1223-1248) est très actif sur le plan militaire: il

prend Elvas et Juromenha en 1229, Moura et Serpa en 1232, Aljustrel en 1234. Il

reçoit le soutien actif du pape Grégoire IX qui lie la reconquête aux Croisades:

le 21 octobre 1234, la bulle papale Cupientes Christicolas concède l'indulgenceà tous

ceux qui aident le Portugal dans sa lutte. Cela lui permet de

prendre Mertola en 1240 puis Tavira en 1242; il ne reste plus qu'à conquérir une partie

de l'Algarve. Mais les seigneurs profitent de la bulle papale pour échapper à l'autorité

royale ; le pays connaît alors une période d'anarchie. L'Église se considère délaissée

au profit des ordres militaires, ce qui vaut à Sanche II l’hostilité du pape.

Page 16: Histoire Du Portugal

Alphonse III (1248-1279) est désigné par le pape pour le remplacer dès 1246 : Sanche

II doit s'exiler. Le nouveau roi s'engage à rétablir l'ordre, à respecter le pouvoir de

l'Église et de la noblesse. Le pouvoir royal ne s'en trouve pas pour autant affaibli et il

doit à nouveau affronter le mécontentement de l'Église en 1266.

Il reprend l'Algarve en 1249, faisant ainsi de son royaume le premier état d'Europe à

avoir atteint ses frontières définitives. En 1267, après un début de conflit sur le tracé

des frontières, le traité de Badajoz signé entre Alphonse III et Alphonse X de Castille,

fixe ces frontières entre les deux royaumes. Il sera légèrement remanié par le Traité

d'Alcañices en 1297.

Développement du pays

Les règnes des monarques suivants de cette dynastie (Denis Ier, Alphonse IV, Pierre

Ier le Justicier et Ferdinand Ier) s’accompagnent d’un important développement

économique, démographique, technique (dans l'agriculture et le transport), artistique

(cathédrales de Braga, de Coimbra et de Lisbonne, église des Templiers du couvent

de Tomar) et intellectuel (historiographie, enluminure,Commentaire de l’Apocalypse).

Ce développement est rendu possible par le butin de la reconquête et par la longue

période de stabilité qui suit. Denis rétablit l'ordre et réconcilie la Couronne et l'Église.

Il a aussi la volonté de peupler ce nouveau territoire afin de le renforcer (avec

privilèges aux seigneurs, abolition de la servitude, concessions de chartes...).

Beaucoup de musulmans ont émigré pour échapper aux chrétiens mais la grande

majorité ne peut faire autrement que de rester sur place. Cela va ainsi réunir des

populations très différentes - chrétiens du Nord et du Sud,mozarabes, Maures et Juifs -

qui se fondent peu à peu. Les rois accordent même une certaine protection aux Juifs et

aux Maures tout en les maintenant hors les murs des villes : les mourarias et

les judiarias (en français, juiveries). Les cultures galaïco-portugaise et lusitano-

mozarabe se mélangent. Notons également l'installation de Français venus avec les

croisades qui laissent leur marque dans la culture et l'architecture portugaise. De ce

mélange naît le particularisme portugais. Au sud, une population sous l'influence d'une

civilisation brillante et raffinée, au nord, des guerriers et des paysans à la vie rude et

austère. Une coupure nord-sud qui persiste encore aujourd'hui dans le paysage et la

mentalité.

Page 17: Histoire Du Portugal

Denis Ier

La cour s'établit à Lisbonne. Une nouvelle organisation territoriale et administrative se

met en place avec une tendance à la centralisation du pouvoir. Mais les différences

subsistent entre les régions, avec un régime seigneurial et une noblesse puissante au

nord, de vastes domaines confiés aux ordres religieux sous autorité royale au sud.

Le long règne de Denis Ier (1279-1325) permet d'asseoir les institutions. Il impose le

Portugal comme nation et permet à la population de prendre conscience de son unité

symbolisée par la construction du monastère d'Alcobaça, unité grâce à la langue

portugaise que Denis Ier officialise, démarquant ainsi nettement le pays de la Galice, (le

souverain lui-même participe à la naissance d'une littérature portugaise), unité grâce

aux ordres religieux, aux écoles et à l'université (fondée à Coimbra en 1290).

Enfin, il établit les bases des futures grandes expéditions maritimes : l'ordre des

Templiers supprimé par le pape en 1319, est remplacé par l'ordre du Christplacé sous

son contrôle ; il s'empare ainsi de ses richesses. Cet ordre est destiné à jouer un rôle

considérable dans les grandes découvertes. Déjà, le sud du pays se tourne vers le

large : Lisbonne s'ouvre au commerce avec l'arrivée des Génois ; le premier traité

commercial avec l'Angleterre est signé ; les côtes de l'Estremadura, source

d'approvisionnement en bois pour la construction navale, sont reboisées.

Crises du XIVe siècle[modifier]

Le règne de Denis se termine par un conflit avec son propre fils. Le règne d'Alphonse

IV (1325-1357) connaît le début d'une crise économique et une épidémie

de peste (1348) qui décime un tiers de la population. Les campagnes se vident et la

production agricole s'en ressent. La surpopulation des villes entraîne pauvreté,

délinquance et désordre social. L'insalubrité qui y règne aggrave l'épidémie. Ces crises

amènent le roi à reprendre le pouvoir en main et à encourager le commerce maritime

afin de ravitailler le pays.

Page 18: Histoire Du Portugal

Pierre Ier

La fin du règne d'Alphonse IV est marquée par l’affaire de la reine morte, qui amène

son fils et successeur Pierre à se rebeller par deux fois contre lui. La maîtresse de

Pierre, Inés de Castro, suivante de sa femme, Constance de Castille, est assassinée

sur les ordres de son père, le 7 janvier 1355, pour en finir avec le scandale provoqué

par cette relation.

En 1360, afin de légitimer les enfants qu'il a eu avec Inés, Pierre, devenu roi, affirme

qu'ils étaient mariés en secret. Le corps est exhumé, Inés couronnée reine et les

grands du royaume obligés de lui baiser la main. De nouvelles funérailles sont

célébrées et le corps mis dans le tombeau qui lui était réservé dans lemonastère

d'Alcobaça.

Pierre Ier semble avoir petit à petit sombré dans la folie. Il est néanmoins très populaire

et ce règne reste dans les mémoires comme une période de paix et d'affermissement

du pouvoir royal. Il a par la suite un autre fils bâtard, Jean, qu'il fait grand-maître de

l'ordre d'Aviz.

Ferdinand Ier (1367-1383), issu de son mariage avec Constance de Castille, lui

succède. En tant qu'arrière-petit-fils de Sanche IV, il revendique en 1369 le trône de

Castille laissé vacant et entre ainsi en conflit avec les autres prétendants, dont Henri

de Trastamare. Le conflit est momentanément apaisé grâce à l'intervention du

pape Grégoire XI en 1371 mais reprend en 1372. Alors qu'il s'allie à l'Angleterre contre

Henri, devenu Henri II de Castille, ce dernier prend les devants et envahit le Portugal.

La défaite portugaise est totale et seule l'intervention du pape sauve Ferdinand Ier.

Un accord de paix est signé en 1373, qui prévoit son mariage avec la fille de Henri II. Il

épouse finalement une dame de compagnie de cette dernière : Éléonore Teles de

Menezes, de la famille des comtes de Barcelos. Éléonore devient chaque jour plus

influente auprès du roi, agissant sur la politique extérieure, défendant les intérêts de la

noblesse contre la centralisation du pouvoir. Outre la colère des classes populaires, le

roi et la reine provoquent celles des classes moyennes, à l'importance croissante, qui

voient la situation économique se détériorer avec ces conflits successifs. Des émeutes

Page 19: Histoire Du Portugal

fréquentes et des famines accompagnent le développement des villes. Beaucoup de

pauvres s'engagent dans l'armée puis dans la marine.

Le conflit avec la Castille reprend en 1381. Le Portugal est de nouveau envahi avec le

soutien d'Éléonore et d'une partie de la noblesse. Un nouvel accord de paix est signé

qui prévoit le mariage de l'infante Béatrice avec Jean Ier de Castille, avec pour

conséquence la fin du règne de la Maison de Bourgogne. À la mort de Ferdinand Ier,

en 1383, Jean Ier réclame l'union des deux couronnes et bénéficie de l'appui d'une

partie de la noblesse portugaise, signant de fait l'annexion du Portugal. Une fois de

plus, les intérêts de la noblesse et ceux de la bourgeoisie portugaise divergent.

Une crise de succession commence sous la régence d'Éléonore : entre les nobles qui

prennent le parti de la Castille et la bourgeoisise unie autour du grand-maître de l'ordre

d'Aviz (Jean. Celle-ci prend tout le monde de vitesse en proclamant ce dernier roi sous

le nom de Jean Ier le 6 décembre 1383 et en assassinant le favori de la régente ; elle-

même se réfugie en Castille qui lève aussitôt une armée et assiège Lisbonne en 1384.

La bataille d'Aljubarrota

La défense s'organise, menée par Nuno Álvares Pereira. Les Portugais remportent une

première victoire lors de la bataille des Atoleiros le6 avril 1384. Les Castillans

reviennent et sont défaits, malgré leur supériorité numérique, lors des batailles

de Trancoso (juin 1385), de Valverde(octobre 1385) et enfin

d'Aljubarrota (14 août 1385), cette dernière bataille signant la victoire définitive du

Portugal.

Après de longues délibérations, les Cortes de Coimbra (1385) confirment Jean Ier sur le

trône. Ses partisans lui donnent une légitimité juridique et évitent ainsi une nouvelle

attaque. On peut parler d'une révolution bourgeoise (menée en grande partie par

l'Université totalement acquise à Jean) où la population opte pour un État marchand

favorisant le développement des affaires. C'est aussi la première fois qu'un roi est élu

par une assemblée contre l'hérédité naturelle. En tout cas, avec cette victoire, le pays

marque résolument son indépendance envers la Castille, ce qui peut laisser penser

qu’un esprit patriotique et le rejet de Ferdinand et d'Éléonore ont animé le peuple dans

cet épisode.

Page 20: Histoire Du Portugal

La dynastie d'Aviz

Les débuts de l’expansion

Articles détaillés : Empire colonial portugais et Conquête de Ceuta par le Portugal.

Le règne de Jean Ier (1385-1433) marque le début des grandes conquêtes maritimes et

de l'apogée du royaume.

Jean Ier

Le pays le doit en grande partie à ce monarque cultivé qui transmet à ses enfants sa

soif de connaissances. Il cherche d'abord à renforcer les liens de la couronne avec les

autres monarchies : en 1386, est signé avec l'Angleterre le traité de Windsor, la plus

ancienne alliance entre deux nations : alliance militaire contre la France et la Castille,

mais aussi alliance commerciale. Ce traité est renforcé par le mariage du roi

avec Philippa de Lancastre, sœur du futur roi Henri IV d'Angleterre. Il entreprend de

réhausser le prestige de la fonction royale et de centraliser le pouvoir en plaçant ses

enfants à des postes stratégiques dans le pays mais aussi en Castille, en Aragon,

en France et en Angleterre.

Il s'évertue à fragiliser ceux qui pourraient devenir des rivaux : tandis que la

bourgeoisie voit ses intérêts pris en compte et se profiler les moyens de sortir de la

crise économique, la noblesse tombe en disgrâce. Ses impôts sont augmentés ; des

enquêtes sont menées sur ses biens (devassas). Pour une partie d'entre elle, ce roi,

qu'elle a soutenu, passe pour un ingrat et suscite des haines. Celle-ci s'unit autour du

propre fils bâtard du roi, Alphonse, duc de Bragance et comte de Barcelos.

Face à cela, le roi bénéficie d'un atout : avec la guerre, le pays s'est forgé une idée de

l’indépendance et de l’unité nationale à défendre contre les intérêts étrangers.

En 1388, pour perpétuer le souvenir de la bataille fondatrice d'Aljubarrota, le roi fait

construire un monastère où seront enterrés les membres de sa dynastie : lemonastère

de Batalha, un monument qui marque aussi l'arrivée du gothique au Portugal.

Page 21: Histoire Du Portugal

Ces victoires en appellent d'autres : sous l’impulsion de l'infant Henri le Navigateur, à

la tête de l'ordre du Christ, les marins portugais découvrent de nombreuses terres

d’Afrique et ouvrent les routes maritimes vers des contrées jusqu'alors inaccessibles. Il

dirige ces voyages jusqu'en 1460. Pendant ce temps, la France et l'Angleterre sont

plongées dans la guerre de Cent Ans et l'Espagne parachève sa reconquête.

Ces découvertes sont initialement un simple prolongement de la reconquête

chrétienne : on projette de poursuivre en Afrique du Nord une guerre religieuse qui de

plus permet de canaliser les forces et les ambitions de la noblesse en mal d'action et

de richesse. Devant la méfiance de la Castille, on se détourne de Grenade, pourtant

plus proche, pour viser Ceuta sur le continent africain. Il existe par ailleurs une légende

qui évoque un certain Prêtre Jean, souverain chrétien d'un pays inconnu, situé au-delà

des terres d'Islam. Le rejoindre permettrait une alliance chrétienne afin de prendre le

monde musulman à revers et libérer la Terre Sainte. L'idée de s'emparer des terres à

blé de la région et de l'or que les caravanes transportent depuis l'intérieur du continent

africain n'est évidemment pas étrangère à l'affaire. Il faut dire que le pays compte déjà

un million d'habitants qui se sentent à l'étroit dans des villes mal approvisionnées.

Enfin, avec l'expansion musulmane en Méditerranée, le Portugal voit débarquer des

commerçants génois qui cherchent une autre voie pour atteindre les Indes.

L'infant Henri dit Henri le Navigateur

La conquête de Ceuta en 1415 marque le début de cette expansion. Ceuta est une

ville stratégique à l'entrée du détroit de Gibraltar où aboutissent les esclaves en

partance pour l'Europe mais aussi l'or et les épices. La ville est aussi le port d'attache

de pirates marocains ; sa prise signifie donc une sécurisation de cette zone maritime26.

Jean Ier et trois de ses enfants sont du voyage. Ces derniers sont d'ailleurs adoubés à

l'issue de cette expédition. Mais les terres conquises ne se révèlent pas aussi

intéressantes que prévu et finissent même par être coûteuses à protéger. Un débat

naît bientôt entre les partisans de la poursuite de la croisade marocaine et les tenants

d'une expansion atlantique. À cette époque, les premiers qui l'emportent et s'impose

l'idée de s'étendre autour de Ceuta, de longer la côte vers le sud afin de prendre les

Maures à revers et d’entrer directement en contact avec les terres d'où part le

commerce de l'or. Pour administrer ces terres, l'Infant s'installe donc à Sagres.

Page 22: Histoire Du Portugal

Cette initiative politique donne lieu à la redécouverte des îles atlantiques connues des

marins mais jamais officiellement découvertes. Désormais les initiatives privées dans

le domaine des découvertes laissent place à une impulsion para-étatique beaucoup

plus efficace et à même de prendre des risques au nom du roi.

L'intelligence de Henri le conduit à compiler toutes les connaissances maritimes de

l'époque, à s'entourer des meilleurs cartographes et astronomes, et à tirer profit de

l'expérience des nombreux Génois, Juifs, Maures présents sur le territoire. On

redécouvre grâce à eux les connaissances de l'Antiquité perdues par la Chrétienté.

En 1419, João Gonçalves Zarco, Tristão Vaz Teixeira puis Bartolomeu

Perestrelo débarquent à Madère. La colonisation commence et s'intensifie

dès 1420 avec l'introduction des céréales, de la canne à sucre et de la vigne. Cet

archipel donne naissance à la première colonisation du Nouveau Monde par les

Européens.

Entre 1420 et 1434, Henri échoue par quatre fois à prendre les îles Canaries à la

Castille.

En 1427, Diogo de Silves découvre les Açores, dont le climat est plus favorable aux

céréales et au bétail.

Ces deux archipels constituent une base stratégique entre l'Europe, l'Afrique et les

Amériques. Leur colonisation planifiée inaugure des méthodes (la capitainerie: terres

héréditaires données à des vassaux afin de les exploiter en échange d'une redevance)

reproduites ultérieurement à plus grande échelle dans les autres colonies portugaises.

Pour le peuple, ces nouvelles terres offrent une possibilité de faire fortune en quittant

un territoire devenu trop étroit. Pour l'économie portugaise, elles deviennent

d'importantes sources d'approvisionnement. Mais l'ambition de l'infant ne s'en contente

pas.

En 1434, le cap Bojador, considéré comme la limite du monde connu et réputé

infranchissable, est dépassé par Gil Eanes. Le contournement de l’Afrique est

désormais envisageable. Dès lors les navires remontent systématiquement les fleuves

à la recherche d'un passage. L'infant reçoit du pape le monopole sur toutes les terres

au sud de Bojador.

En 1435, Afonso Gonçalves de Antona Baldaya est envoyé à deux reprises au-delà du

cap afin de recueillir des renseignements. Il revient au pays prétendant avoir découvert

un fleuve avec de l'or (Rio de Ouro). Les Portugais franchissent le tropique du Cancer

et apprennent à maîtriser le système des vents.

Édouard Ier (1433-1438), devenu roi, l'exploration des terres africaines marque le pas;

le roi projette la prise de Tanger en 1437 pour sécuriser Ceuta. Il échoue et son propre

frère, Ferdinand, est gardé en otage à Fez. Cela refroidit les ardeurs du roi mais

confirme l'idée de contourner l'Afrique en longeant la côte. Henri prend le contrôle de la

politique d'outre-mer. Son frère lui accorde même le quint de toutes les prises

portugaises, ce qui va lui permettre de financer les futurs voyages.

Page 23: Histoire Du Portugal

À la mort d'Édouard Ier, en 1438, sa veuve, Aliénor d'Aragon exerce la régence durant

la minorité d’Alphonse V. Elle soutient l'infant Henri et les partisans de la guerre pour

libérer Ferdinand. Mais les Cortes et le duc de Coimbra, Pierre de Portugal, un des fils

illégitimes de Jean Ier, s'y opposent. Ils se méfient de l'influence des frères d'Aliénor.

On retrouve l'ancienne division entre la noblesse et la bourgeoisie, entre d'un côté les

partisans de l'idéal chevaleresque et de l'expansion nord-africaine, de l'autre les

défenseurs de la bourgeoisie, du commerce et de la poursuite des découvertes

territoriales. La régence est partagée entre Aliénor, Pierre et les Cortes. Mais, dans les

faits, c'est Pierre qui régne (1441-1448) jusqu'à la majorité de son neveu. Le pays

connaît un certain développement économique. Ferdinand meurt en captivité sans que

rien n'ait été tenté pour le libérer. Cela émeut l'Europe tout entière car la couronne a

failli à l'esprit chevaleresque. Le conflit familial reprend en 1448: Pierre et ses partisans

sont tués par les troupes d'Alphonse V et du duc de Bragance dans la bataille

d'Alfarrobeira (20 mai 1449).

En 1441 sont découverts le Cap-Vert et le Cap Blanc.

Entre 1441 et 1445, Antão Gonçalves et Nuno Tristão dirigent des expéditions

militaires au sud du cap Bojador, atteignent le Sénégal et la Guinée, ramènent des

esclaves, initiant ainsi la traite des Noirs dans leurs pays, pour les travaux ménagers et

agricoles. En 1454, le pape Nicolas V autorise l’esclavage des Sarrasins et

des païens par la Bulle Romanus pontifex. Au XVIIIe siècle, à la fin officielle de la traite

des Noirs au Portugal, on compte 10 % d’Africains à Lisbonne.

En 1443, Nuno Tristão découvre l'île d'Arguin au large de la Mauritanie. Dès lors, Henri

tente d'attirer sur cette île, stratégiquement située leur route, les caravanes qui

traversent le Sahara transportant l'or, l'ivoire et les esclaves échangés contre les

produits achetés au Maroc. Il y fait construire un fort avec un administrateur

héréditaire. C'est le premier comptoir régulier. Ces importations se révèlent très

lucratives pour le pays.

Alphonse V

Page 24: Histoire Du Portugal

Ces marins ne se contentent pas de longer la côte africaine ; il semble qu'ils aient

navigué plus loin, allant jusqu'à dessiner une carte des vents et des courants

atlantiques et peut-être même reconnaître les Antilles et le Brésil.

Renforcement des places acquises

Alphonse V (1448-1481) ne poursuit pas la politique centralisatrice de son grand-père.

La noblesse menée par le duc de Bragance qui contrôle le pouvoir royal et l’esprit de

croisade reprend le dessus, renforcé par la chute de Constantinople (1453). Dès lors,

le Pape encourage à la guerre contre les Turcs. Trois bulles papales confèrent au

Portugal le droit de soumettre les incroyants, de s'emparer de leurs terres et de les

convertir(Dum diversas, Romanus Pontifex et Inter caetera). Le roi cherche donc à

renforcer les places acquises et à en exploiter les richesses. Cela se traduit par les

prises d'Alcácer-Ceguer (1458), Arzila etTanger (1471).

Les découvertes se poursuivent néanmoins, quoique sur un rythme plus lent : Diogo

Gomes découvre la Guinée en 1450, puis remonte la Gambie en 1456 ; le

Génois Antoniotto Usodimare et le Vénitien Cà da Mosto, commerçant pour le compte

de l'infant, découvrent de nouveaux territoires. En 1460, les navires dePedro de

Sintra atteignent la Sierra Leone. Pour l'infant il s'agit à présent d'éviter le combat avec

les populations indigènes, en privilégiant les alliances et le commerce des esclaves27.

En 1472, João de Santarém et Pedro Escobar parviennent au delta du Niger et à São

Tomé, près de l'équateur.

Lorsque l'infant Ferdinand succède à Henri à la tête des expéditions, le centre de

décision revient à Lisbonne, reflétant sa volonté de mieux contrôler et de faire fructifier

ces richesses. Le commerce est confié à Fernão Gomes pour une durée de cinq ans, à

partir de 146928 : il est chargé de commercer avec la côte africaine avec obligation

d'explorer 100lieues par an. Ces hommes découvrent et nomment les terres de la Côte

des Malaguettes (actuel Liberia), de Côte d'Ivoire, du Golfe de l'Or. Ils franchissent

l'équateur en 1471 et découvrent leGabon et São Tomé. La Casa da Guiné (équivalent

portugais de la Casa de contratación espagnole) est créée pour contrôler les

importations.

Les Portugais réussissent à détourner le commerce de l'or vers Arguin et Mina sans

pour autant augmenter sa quantité. L'Afrique devient leur chasse gardée, les comptoirs

sont transformés en places fortes. Les Génois et les Castillans essaient en vain de les

concurrencer en Afrique. Chaque nouvelle étape devient une escale du contournement

de l'Afrique.

Au Portugal, c'est une période de grande stabilité, les impôts sont uniformisés.

Quelques familles profitent de ce règne et acquièrent une grande puissance et une

grande influence auprès de la couronne: les Bragance, les Meneses, les Coutinhos et

les Melos. Le droit réalise une avancée majeure avec la publication des Ordonnances

Page 25: Histoire Du Portugal

alphonsines (1466), première tentative d'uniformiser et de codifier les lois au Portugal :

ces ordonnances restent en vigueur jusqu'à la publication des Ordonnances

manuélines en 1521.

Guerre de succession au trône de Castille

Le rêve d'unifier la péninsule à leur profit anime toujours les deux couronnes de

Portugal et de Castille. Alphonse V épouse Jeanne de Castille (dite la Beltraneja), fille

d'Henri IV de Castille. À la mort de ce dernier, en 1474, le roi fait bien entendu valoir

les droits de son épouse. Au motif de soupçons d'illégitimité de la prétendante, Isabelle

de Castille, la demi-sœur d'Henri IV, unie àFerdinand d'Aragon, s'y oppose,

déclenchant une guerre de succession. Alphonse V envahit la Castille avec l'aide du

roi de France Louis XI mais est défait le 1er mars 1476 à la bataille de Toro.

La Castille, qui achève enfin sa reconquête, tente de remettre en cause le monopole

du Portugal en encourageant le commerce avec l'Afrique. Le 25 janvier 1479, le traité

d’Alcáçovas met fin aux conflits entre les deux couronnes et attribue définitivement

les Canaries à la Castille et les archipels de Madère, des Açores et du Cap-Vert, au

Portugal. Le Portugal reçoit aussi le droit de conquérir Fez et le commerce exclusif

avec la Guinée.

Nouvel essor

Après ce relatif ralentissement, les découvertes prennent un nouvel essor sous

l'impulsion du nouveau maître des expéditions, l'infant Jean, qui planifie les

découvertes avec le but d'atteindre les Indes. Lisbonne est maintenant devenue le

point de départ du commerce européen.

En 1474, João Vaz Corte-Real et Alvaro Martins Homem découvrent

le Groenland et Terre-Neuve.

Devenu roi, Jean II (1481-1495) centralise le pouvoir et continue de planifier les

grandes expéditions. Jean II est le roi de la Renaissance par excellence : il met fin à

certains privilèges, oblige la noblesse à lui prêter serment, se débarrasse des traîtres

(le duc Ferdinand II de Bragance conspire avec les Rois catholiques, il le fait arrêter et

exécuter en 1483 ; en 1484, c'est le duc de Bejaet de Viseu Diogo qu'il assassine lui-

même pour les mêmes raisons). Le pouvoir et le domaine royal s'en trouvent agrandis,

au prix de la haine de la grande noblesse. Ce ressentiment est d'autant plus vif que le

roi privilégie désormais la poursuite des découvertes de nouvelles terres et surtout de

la route des Indes. L'Afrique n'est plus l'enjeu ; il s'agit de la contourner.

Page 26: Histoire Du Portugal

Diogo Cão

La mission en est confiée à Diogo Cão, qui, en 1481 emporte le premier padrão (borne

de pierre avec les symboles du Portugal plantée dans les terres découvertes). Il

remonte le fleuve Zaïre, débarque au Congo, au Gabon, en Angola et en Afrique du

Sud enfin en 1486.

Ces coûteuses expéditions sont financées par l'exploitation des terres conquises et par

l'établissement de São Jorge da Mina, dans le golfe de Guinée, qui voit converger l'or

de la région ; construit en 1482, il vise aussi à interdire aux navires étrangers l'accès

aux eaux portugaises. Le traité de Tolède (6 mars 1480) instaure un partage de

l'Atlantique avec la Castille, lui abandonnant les découvertes à l'ouest des Canaries et

assurant au Portugal le monopole en Afrique.Madère devient un point d'escale. Le vin,

la canne à sucre et l'élevage s'y développent grâce à l'arrivée de migrants et

d'esclaves. Le blé des Açores sert à ravitailler le pays. Cap-Vert, les îles de São

Tomé et de Principe fournissent du sucre et du bétail. Le Portugal passe une alliance

avec le Congo qui se laisse christianiser. Le commerce avec les Africains rapporte

aussi de l’ivoire et des fruits tropicaux.

C'est ensuite Bartolomeu Dias qui est envoyé en 1487. Il double le cap de Bonne-

Espérance (qu'il avait nommé « cap des Tempêtes » avant que le roi ne lui donne ce

nom prophétique) le 6 janvier 1488, par hasard, emporté par une tempête. Il atteint

l'actuelle Namibie mais une mutinerie l'empêche d'aller plus loin.

Dans le but de préparer le voyage vers les Indes, Jean II envoie en 1488 des

émissaires par voie de terre. C'est un moyen de recueillir des informations sur les

courants dans l’océan Indien, peut-être même de trouver une trace du Royaume du

prêtre Jean. C'est d'abord Pedro de Montanoio et Pedro de Lisboa qui partent. Ils sont

suivis de Pêro da Covilhã et d'Afonso de Paiva qui apportent de précieux

renseignements pour le voyage de Vasco de Gama.

Page 27: Histoire Du Portugal

Les voyages de Pêro da Covilhã (vert/orange), Afonso Paiva (vert/bleu) et de Vasco de Gama (noir)

Ils partent vers Jérusalem, accèdent au golfe Arabique, à Aden à l'embouchure de

la mer Rouge. Ils se séparent ensuite. Paiva part vers l’Abyssinie à la recherche du

prêtre Jean. Covilhã part vers les Indes. Il passe par Calicut, puis Sofala, Madagascar,

revient au Caireoù il apprend la mort de son compagnon. Il envoie ses informations au

roi et part pour Ormuz. Il parvient à la cour du roi chrétien Négus, s'y marie et y finit

ses jours. Grâce à lui, on fait construire des navires spéciaux : la caravelle est

remplacée par la caraque permettant d'emporter plus d'équipage, d'armes et de

ravitaillement.

Pendant ce temps-là, les Rois catholiques prennent Grenade et mettent fin à la

reconquête (1492). Cette victoire leur laisse les mains libres pour entreprendre des

expéditions. Christophe Colomb embarque en leur nom pour atteindre les Indes par

l'ouest. Jean II, à qui il s'adresse auparavant, refuse de financer ce voyage, privilégiant

la route découverte par Vasco de Gama et estimant, à juste titre, que Colomb se

trompe.

Par ailleurs, l'inquisition affirmant que Dieu a pris fait et cause pour les royaumes de

Castille et d'Aragon depuis cette victoire, exige de chasser du pays tous les non-

croyants : sous l'influence du Grand Inquisiteur Tomás de Torquemada, les Juifs sont

expulsés et une partie essaie de se réfugier au Portugal. Jean II comprend tout le parti

qu'il peut tirer de leurs richesses et de leurs connaissances ( celles d'Abraham

Zacuto astronome et mathématicien entré au service du roi ont contribué aux

découvertes) : il accepte leur séjour provisoire dans le pays tout en taxant leur entrée.

On estime le nombre de ces nouveaux arrivants entre 60 000 et 120 000. Leur réussite

et les protections accordées suscitent de nombreuses jalousies dans la population.

En 1493, Christophe Colomb revient d'Amérique et c'est à Lisbonne qu'il débarque en

premier. Il annonce au roi que les terres découvertes lui appartiennent en vertu du

traité d'Alcaçovas. Jean II les revendique donc auprès du pape Alexandre IV. Une bulle

papale établit alors une division des terres qui passe à 100 lieues à l'ouest du Cap-

Vert. Jean II exige un autre accord: le 7 juin 1494, Espagnols et Portugais signent

le traité de Tordesillas qui fixe la limite à 370 lieues. Ce nouvel accord permet

Page 28: Histoire Du Portugal

auBrésil qui n'a pas encore été découvert d'être portugais tout en abandonnant à

l'Espagne les nouvelles terres d'Amérique.

Apogée

C'est le nouveau roi Manuel Ier (1495-1520) qui tire profit de la politique intelligente de

Jean II. Celui-ci, très impopulaire auprès de la noblesse, meurt probablement

empoisonné en 1495.

Vasco de Gama

Vasco de Gama arrive aux Indes le 20 mai 1498, ouvrant la voie au commerce très

fructueux des épices contrôlé jusque là par les Vénitiens. Son voyage a été

minutieusement préparé. Mais à son arrivée à Calicut, il est mal accueilli par

le Samorim. En 1499, une deuxième expédition, commandée par Pedro Alvares

Cabral est envoyée avec l'objectif de s'imposer, par la force si nécessaire.

Le 22 avril 1500, Cabral aborde au Brésil et en prend possession. Il envoie un

messager à Lisbonne et poursuit sa route.

Arrivé à Calicut, il reçoit meilleur accueil mais très vite les Portugais doivent affronter la

concurrence des Vénitiens, des Turcs et des Égyptiens. C'est la fin des voyages

pacifiques. Les Portugais tirent parti des divisions entre les hindous et

les musulmans de la région. Une factorerie est créée à Cochim puis

à Cananor,Sofala, Quiloa et Malacca (1511). Elles sont protégées par des forteresses

et une armada. On finit par installer une administration et créer un poste de vice-roi des

Indes pour maintenir l'ordre dans l’océan Indien : Francisco de Almeida est le premier,

suivi d'Afonso de Albuquerque à installer de solides forts aux points stratégiques

(Malacca, Siam, Goa qui devient la capitale de cet empire, Moluques, Timor, l'archipel

de Socotra, Ormuz) et consolide cet empire naissant. Tout l'océan Indien est bientôt

sous contrôle.

Mais les conflits sont permanents : les Portugais se livrent à de nombreux massacres

et développent l'opposition indigène avant qu'Albuquerque développe une politique

Page 29: Histoire Du Portugal

plus conciliante. Il tente d'obtenir l'appui des populations locales afin d'éviter les

guerres trop coûteuses.

Amerigo Vespucci fait partie du premier voyage officiel au Brésil (1501). La découverte

du Brésil permet aux commerçants portugais de s’approprier le pau-brasil, un bois de

teinture et de construction très recherché. Mais le pays semble peu intéressant au

départ jusqu'à ce que la concurrence espagnole et française se fasse sentir. On y

envoie des colons, on crée des factoreries. Les Indiens du Brésil puis de nombreux

Africains sont réduits en esclavage pour la culture du sucre. En 1600, le Brésil est le

premier producteur mondial de sucre et le principal fournisseur de ressources du

Portugal. Au XVIIe siècle, les Bandeirantes découvrent au sud de la colonie des mines

d’or et de diamants qui sont exploités grâce à une même main d’œuvre servile.

Les découvertes se poursuivent par ailleurs : en 1495, Pero de Barcelos et João

Fernandes Lavrador explorent les côtes du Canada et du Groenland (donnant son nom

au Labrador). En 1500,Gaspar Corte Real arrive à Terre-Neuve. En 1513, Jorge

Alvares arrive en Chine et Tomé Pires à Pékin. En 1519, Magellan, pour le compte de

l'Espagne, boucle le premier tour du monde. En vérité, il cherche à atteindre les

Moluques, que Charles Quint revendique, sans passer par les eaux portugaises. Cela

provoque une crise diplomatique en 1522.

Le premier Européen à reconnaître les côtes de l'Australie est l’explorateur

portugais Cristóvão de Mendonça en 1522. Les cartes marines

et portulans du XVIe siècle de l'École de cartographie de Dieppe représente l'Australie

sous le nom de La Grande Jave. Les navigateurs portugais collaborent avec les

cartographes de la célèbre École de Dieppe. Nicolas Vallard, Jean Rotz, Pierre

Desceliers, Nicolas Desliens et d'autres cartographes français représentent ainsi les

contours exacts de l'Australie dès le milieu du XVIe siècle grâce aux informations

fournies par les navigateurs portugais29.

C'est un véritable empire qui naît reposant sur les comptoirs. La Casa da India à

Lisbonne contrôle et vérifie les marchandises importées d'Orient. Les richesses venues

des colonies (épices, or, pierres...) affluent pendant les siècles suivants. Jamais le

pouvoir royal n'a été aussi grand. Manuel Ier réforme d'ailleurs l'administration avec un

nouveau code législatif afin de renforcer encore ce pouvoir (les ordonnances

manuélines de 1521). Mais il sait aussi ménager la noblesse (contrairement à son

prédécesseur) qui, grâce aux nouvelles colonies, finit par y trouver son compte.

En1555, le pays est compté comme le plus riche d'Europe.

C'est un période de croissance démographique. Le Portugal compte alors à peu près

1,5 million d'habitants. Tout un peuple vit alors impliqué dans le colonialisme.

Beaucoup partent vers les colonies. L'esclavage fait que le travail devient une valeur

dénigrée.

Page 30: Histoire Du Portugal

l'Empire portugais

Il s'agit également d'une période de développement culturel avec le début des grandes

constructions influencées par la Renaissance, avec l'installation définitive de

l'université à Coimbra. Le style manuélin, gothique propre au pays, se propage sous

l'influence de grands architectes (Mateus Fernandes, Diogo de Arruda, Francisco de

Arruda et les Français Diogo Boitaca ou Nicolau de Chanterene).

La littérature connaît aussi une époque faste avec les œuvres de João de

Barros, Damião de Góis ou Gil Vicente. Le tableau de Nuno Gonçalves résume à lui

seul toute cette époque. Les Portugais inventent une science basée sur l'expérience.

Le rôle des jésuites sur ce point se révèle très important. Cette société missionnaire

parcourt le pays pour former les jeunes chrétiens. Leur pensée imprègne toute la

société portugaise. Ils ont aussi pour mission d'évangéliser les Indes et le Brésil. Ils

pénètrent même auJapon, en Chine et au Tibet. Ils sont à l'origine de la fondation

de Nagasaki, São Paulo et Rio de Janeiro. Ils font souvent preuve d'un grand respect

des traditions et des lois locales. Ils apprennent les langues locales, rédigent des

grammaires. Ils vont jusqu'à s'opposer à l'Inquisition et aux colons sur la question de

l'esclavage des Indiens, à tel point qu'ils sont expulsés du Brésil en 1760.

Les autres ordres sont également présents: les franciscains à Goa et Cochim,

les dominicains à Goa, Malacca et Timor, les augustins à Macao. L'évangélisation des

peuples reste une priorité pour la couronne.

Les germes de la décadence

Les richesses coloniales sont partiellement utilisées pour des constructions de prestige

et non investies dans le modernisation des structures économiques du Portugal. Les

minerais (or, diamant) trouvés au Brésil au XVIIe siècle n'enrichissent pas le Portugal

mais au contraire ralentissent son économie comme cela a été le cas de

l’Espagne avec les mines d’argent de Potosí. Les deux pays ibériques n'ont cessé

d’importer des produits manufacturés d’Angleterre en échange des minerais. Au bout

de deux cents ans, les manufactures portugaises et espagnoles sont presque ruinées

tandis que les Anglais ont de l’or, de l’argent, des diamants et une industrie. Le

Portugal accentue sa confortable dépendance envers les colonies, l'acquisition facile

de richesses pervertit les mentalités.

Page 31: Histoire Du Portugal

Par ailleurs, le pays se fragilise avec la ruée vers l’or qui attire tant d’immigrés vers le

Brésil qu’on doit freiner les départs vers la colonie. Aux Indes, le commerce est si

prospère que soldats et marins abandonnent le service du roi.

Tout cela relativise la puissance du pays qui se révèle trop faible pour contrôler un si

grand empire. Il ne peut jamais vraiment contrôler le commerce de la mer Rouge. Le

handicap démographique est momentanément compensé par une incroyable

organisation. Tout cela a un coût et les Indes se révèlent un gouffre financier. Très vite,

les Portugais doivent faire face à une vive concurrence française et surtout

hollandaise. De 1550 à 1575, les Français occupent Rio de Janeiro. Les Hollandais

vont encore plus loin en occupant tout le Nordeste brésilien et l’Angola (centre

d’extraction des esclaves), de 1630 à 1654. Grâce à la colonie du Cap, les bateaux

hollandais ont également une escale vers les Indes, l’Insulinde et ses précieuses

épices. La concurrence se faisant plus forte, le prix des produits importés baisse alors

que les coûts de fonctionnement du commerce augmentent ainsi que celui des produits

de première nécessité ; les revenus ne suivent plus. Le fossé se creuse entre le peuple

et la bourgeoisie d'un côté et une élite privilégiée de l'autre.

Manuel Ier

L’invasion hollandaise étant indirectement due à l’union des deux monarchies ibériques

en 1580, le Portugal est impliqué dans la rivalité hispano-hollandaise tandis que toutes

les fonctions importantes du royaume tombent en des mains espagnoles.

En outre, en 1496, alors que Manuel Ier envisage d'épouser la fille des rois d'Espagne,

ceux-ci conditionnent le mariage à l'expulsion des juifs portugais. Le roi ne peut se

résoudre à se séparer de cette population très active dans la vie sociale et économique

(que ce soit dans l'administration fiscale, l'artisanat, la médecine, l'astrologie, la

cartographie...), qui contribue largement à la prospérité du pays. Il recours donc aux

conversions forcées : baptêmes forcés, enlèvement des enfants de moins de 14 ans

afin de leur faire suivre une éducation catholique, fermeture des ports, confiscation des

biens. Officiellement on ne parle plus de juifs au Portugal mais de nouveaux chrétiens

(conversos) qui sont peu à peu assimilés.

Page 32: Histoire Du Portugal

L'Inquisition leur rend tout de même la vie difficile. La menace amène une pratique

occulte du judaïsme alors que certains se réfugient en France ou en Hollande. Le pays

perd de nombreux intellectuels. L’Inquisition exagère en permanence la menace que

représentent les juifs et les hérétiques, justifiant ainsi sa propre existence. Elle va

exacerber la haine populaire contre eux. Créée pour lutter contre la Réforme et les

courants hérétiques, elle n'est nulle part plus virulente qu'en Espagne, alors même que

le pays est peu touché par le protestantisme. En vérité, elle n'est introduite par le

roi Jean III (1520-1557), en 1531, dans l'objectif de renforcer son autorité et s'emparer

des biens des prétendus hérétiques. Son action est pourtant catastrophique dans le

domaine culturel et scientifique (censure, autodafés...). Le pays tombe dans le

fanatisme religieux.

On reproche aussi au roi l'influence grandissante de son épouse, Catherine de Castille,

sœur de Charles Quint, supposément inféodée à la maison des Habsbourg, qui

cherche à renforcer encore les liens entre les deux couronnes par le mariage de ses

enfants.

Face à la crise financière, Jean III est amené à abandonner les places du Maroc

(1541).

Le désastre d'Alcácer-Kibir

À la mort de Jean III, le pays se trouve de nouveau face aux sempiternels problèmes

de succession motivés par l'ambition de monarques espagnols et portugais de réunir

les deux pays. Jean III et Charles Quint ont chacun épousé une sœur de l'autre. La fille

de Jean III a épousé le futur roi d'Espagne Philippe II. Le seul héritier mâle et unique

rempart à l'union ibérique est l'infant Sébastien, petit-fils de Jean III, trop jeune pour

monter sur le trône. Catherine, la veuve de Jean III, assure la régence de 1557 à 1562.

Jugée trop proche de la Castille, elle est remplacée par le cardinal Henri, dernier fils

vivant de Manuel Ier. Pour la première fois, un ecclésiastique est au pouvoir au

Portugal.

Sébastien Ier

Page 33: Histoire Du Portugal

Sa règence renforce le pouvoir de l'Inquisition et de l'Église. Il confie l'éducation de

Sébastien au jésuite Luis Gonçalves de Camara, un homme peu tolérant, passéiste et

fanatique. Le futur roi est élevé dans le culte de l'esprit chevaleresque et des croisades

contre l'Islam. Il est entouré par une ferveur populaire qui lui vaut le surnom de O

desejado (Le Désiré) tant sa naissance était désirée par le peuple pour empêcher

l'union des deux couronnes et surmonter la crise que connaît le pays. Il rêve d'action et

de combattre la corruption des mœurs des Portugais séduits par une vie facile. Il est

porteur de la volonté de régénération et de croisade qui anime le pays. Il est très habile

dans les exercices physiques et passionné par la chasse et la guerre. En 1568, il a 14

ans quand il monte sur le trône sous le nom de Sébastien Ier de Portugal avec l'idée,

soutenue par les Cortes, de reconquérir les terres marocaines. Il faut y voir aussi une

réponse à la crise commerciale avec les Indes. Le pays s'est appauvri par ses efforts

pour conserver ses possessions de plus en plus disputées.

En 1569, il promulgue une loi lui permettant de recruter tous les hommes valides pour

son armée. Il confie même aux concelhos (municipalités) l'organisation militaire de leur

territoire, privilège jusque-là réservés aux nobles. En 1574, une première expédition de

reconnaissances est organisée en Afrique.

Alors que les caisses du royaume sont vides, il organise une expédition de grande

envergure. L'appel à l'aide d'un chef marocain opposé aux Turcs offre un prétexte pour

s'embarquer. Les pressions de son entourage pour l'en empêcher n'y font rien. La fine

fleur de l'aristocratie portugaise, 16 000 hommes inorganisés et inexpérimentés, part

sans laisser de successeurs au pays.

Le 4 août 1578, a lieu la bataille d'Alcácer-Quibir (dite aussi bataille des Trois Rois) qui

tourne au carnage avec des milliers de morts et de nombreux prisonniers. Une

centaine de rescapés rentrent à Lisbonne. Le roi est mort mais son corps n'est pas

retrouvé. C'est un désastre militaire, économique et politique : la défaite marque la fin

de la dynastie d'Avizet d'une époque glorieuse, chantée dans Les Lusiades par le

poète Luís de Camões, disparu également à cette époque. Quatre siècles d'une

indépendance chèrement acquise sont remis en cause. Cet épisode marque aussi la

fin des croisades.

L'union de l'Espagne et du Portugal

Article détaillé : Union ibérique.

Outre la crise politique et économique, c'est une crise morale que connaît le pays : une

Couronne endettée, des milliers de morts et des prisonniers dont il faut payer la

rançon. C'est dans cette atmosphère que vont surgir et prospérer de nombreuses

prophéties évoquant le retour du jeune roi: le sébastianisme. Pas moins de quatre

imposteurs cherchent à se faire passer pour le roi au cours de cette période.

Page 34: Histoire Du Portugal

L'Invincible Armada

Le vieux cardinal Henri, dernier fils de Manuel Ier, monte sur le trône le 28 août 1578. Il

est chargé de se trouver un successeur. De nombreux prétendants existent

dont Philippe II d'Espagne, qui apparaît comme le seul capable d'assurer la

conservation de l'Empire portugais. Cette solution a les faveurs de la noblesse et du

clergé. Le peuple, lui, favorise un Portugais (Antoine, prieur de Crato) mais

les Cortes n'arrivent pas à trancher. La grande bourgeoisie penche du côté espagnol

pour des raisons économiques. Elle entend profiter des marchés offerts par l'Espagne

et ses colonies.

Henri Ier meurt sans trancher. De fait, il laisse le champ libre à Philippe II : celui-ci

s'impose avec une démonstration de force face au prieur de Crato lors de la bataille

d'Alcántara (25 août 1580). Celle-ci marque la fin de la dynastie d'Aviz et le début de

celle des Habsbourg. Les accords de Tomarsignés entre les Cortes et le nouveau roi

permettent au Portugal de garder une certaine autonomie et rassurent la

population30 mais le pays appartient désormais à la Couronne d'Espagne. Il retrouve

une certaine stabilité économique mais perd certaines de ses places au profit de la

Hollande et de la France. Le conflit entre l'Espagne et l'Angleterre (1588), qui aboutit à

l'épisode de l'Invincible Armada, vient à bout de ce qui reste de la flotte portugaise.

Les premiers accrocs surgissent à la fin du règne de Philippe II et se poursuivent avec

son successeur, Philippe III, qui se désintéresse du Portugal et de l'administration en

général. Il délègue ses pouvoirs au vice-roi qui cherche à centraliser le pouvoir et à

remettre en cause l'autonomie du Portugal. Le monarque se rend impopulaire en

augmentant les impôts, en affichant une certaine tolérance envers les nouveaux

chrétiens et en signant une trêve avec la Hollande qui en profite pour conforter sa

place dans les colonies portugaises. Un nouveau code législatif est introduit : les

Ordonnances philippines (1603).

Philippe IV bafoue les accords sur l'autonomie du pays et alourdit encore la pression

fiscale. Des troubles éclatent. Face à la concurrence des Anglais et des Hollandais, les

places portugaises tombent une à

une : Ormuz en 1622, Bahia en 1624, Arguin en 1633, São Jorge da Mina en 1637.

Dès lors, le Portugal se tourne essentiellement vers le Brésil déjà menacé par les

Hollandais et les Français.

Page 35: Histoire Du Portugal

L'Espagne devient la cause de tous les maux du pays. Des révoltes éclatent. L'unité

nationale en sort renforcée. Les opposants soutiennent le duc Jean de Bragance.

La dynastie des Bragance

La Restauration

Article détaillé : Guerre de Restauration (Portugal).

Jean IV de Portugal.

Tout concourt à ce que le Portugal se révolte contre la tutelle espagnole, et en

particulier la France, qui encourage l'ouverture d'un deuxième front dans sa guerre

contre l'Espagne. La noblesse portugaise délaissée par Madrid et qui voulant éviter

une révolution populaire comme celle de 1383 complote à partir de 1637.

Les Açores etMadère leur servent de bastion. Le conflit avec les Pays-Bas et la guerre

de Trente Ans menacent les places commerciales portugaises et les intérêts de la

bourgeoisie. Même le clergé se plaint de la tolérance du roi envers les nouveaux

chrétiens.

Les richesses du Brésil offrent les moyens de cette indépendance. Le prétexte à la

restauration est donnée par une révolte en Catalogne contre laquelle les troupes

portugaises sont sollicitées. Le comte d'Olivares convoque le duc de

Bragance à Madrid pour le nommer à la tête de ces troupes. Il espère apaiser les

mécontents et priver le mouvement de son chef.

Le 1er décembre 1640, un groupe de jeunes nobles s'empare du palais

gouvernemental. Ils vont chercher Jean de Bragance qui, appartenant à la famille la

plus puissante du royaume, est le seul capable de rassembler le peuple sur son nom.

Le 15 décembre, il est proclamé roi, le premier de la dynastie de Bragance. Une

longue bataille diplomatique commence pour faire reconnaître cette indépendance

Page 36: Histoire Du Portugal

parfois au prix de concessions commerciales faites à l'Angleterre. Des missions

diplomatiques sont envoyées dans toute l'Europe.

L'Espagne est d'abord trop occupée avec la Guerre de Trente ans et la Catalogne,

pour s'y opposer. En 1644, une première confrontation armée se solde par une victoire

des Portugais à Montijo. Cela ouvre une période de répit pour le pays. Le temps joue

en sa faveur et la lutte ne reprend qu'en 1657. Pendant cette période, on assiste à un

déclin de la bourgeoisie au profit de la noblesse. Le Portugal tente de reprendre la

main sur son Empire.

Les régences

À la mort de Jean IV, en 1656, la régence est confiée à sa veuve, Luísa de Gusmão,

son fils, Alphonse, étant encore mineur. Cette régence se poursuit bien après la

majorité du jeune roi qui se révèle incapable de gouverner. C'est encore la noblesse

qui tire parti de cette situation.

Philippe IV en profite dès 1657 pour tenter une nouvelle offensive: Olivenza est prise

avant que les troupes portugaises lancées par la régente réussissent à la repousser.

En 1659, les Portugais repoussent leurs ennemis à Elvas. En 1661, l'armée portugaise

réorganisée par Frédéric-Armand de Schomberg, envoyé par Mazarin, reprend la lutte

contre l’Espagne. L'opposition contre la reine-mère augmente. En 1662, une révolte de

palais, menée par de jeunes aristocrates, dont Luis de Vasconcelos e

Sousa et Antonio de Sousa de Macedo, installe au pouvoir le jeune roiAlphonse VI. La

bataille décisive débute en 1663 avec la prise d’Évora par une puissante armée

espagnole. L'organisation et la motivation portugaise font subir de lourdes pertes aux

troupes espagnoles par la suite avant de prendre définitivement le dessus lors de

la bataille de Montes Claros le 17 juin 1665.

En 1666, Luis de Vasconcelos e Sousa, Premier ministre d'Alphonse VI, organise le

mariage de ce dernier avec Marie Françoise de Savoie-Nemours afin d'assurer la

succession et surtout de garder le contrôle du pouvoir. Le roi se révèle impuissant. la

reine devient alors la maîtresse de son frère Pierre. Une cabale des deux amants leur

permet de faire proclamer la déchéance du roi et de faire renvoyer son premier

ministre en 1667. Le mariage est annulé, Pierre épouse Marie Françoise de Savoie-

Nemours et devient régent jusqu'en 1683, date de la mort d'Alphonse VI.

Le Portugal et l'Espagne signent le traité de Lisbonne en 1668, dans lequel sont

reconnues les frontières portugaises31, à l'exception de Ceuta. Le conflit a surtout servi

les intérêts des puissances qui convoitent l’Empire portugais. Celui-ci se désagrège

peu à peu : en 1663, les Portugais perdent Cochin ; en 1665, l'Inde portugaise se

résume à Goa, Daman, Macao et Timor. Le reste est sacrifié au profit du Brésil d'où

sont expulsés les Hollandais en 1654.

Page 37: Histoire Du Portugal

Pierre II

Le traité de Whitehall du 6 août 1661 entre le Portugal et l'Angleterre entraîne des

conséquences désastreuses et durables sur l'économie portugaise : il prévoit le

mariage de Catherine de Bragance, fille de Jean IV avec Charles II d'Angleterre en

échange d'une autorisation pour l'Angleterre de commercer avec les possessions

portugaises en Afrique et en Amérique. Tanger et Bombay deviennent anglaises32. En

retour, l'Angleterre s'engage à défendre le Portugal et ses colonies. En réalité, le pays

se soumet aux intérêts britanniques.

Pierre II devient officiellement roi en 1683. veuf dès l'année suivante, il épouse Marie-

Sophie de Neubourg. La Cour se rapproche de celle d'Autriche sans aller jusqu'à

participer à la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Ce règne inaugure une période de paix

et de stabilité politique, qui permet des réformes profondes. Le gouvernement est

confié au duc de Cadaval Nuno Álvares Pereira de Melo, secondé par le comte

d'Ericeira Francisco Xavier de Meneses et le marquis de Fronteira Fernando

Mascarenhas. La noblesse est fortement représentée mais le régime évolue vers

l’absolutisme : les Cortes se réunissent en 1697 pour la dernière fois avant la

révolution.

Le pays s'efforce de restaurer sa prospérité et son prestige ; il équilibre sa balance

commerciale et lutte avec succès contre la contrebande. Entre 1670 et 1680, avec

l’aide de la France, la Couronne tente de développer les manufactures. Mais la

découverte d'or au Brésil en 1692 fait échouer ce projet. L’importation de produits

manufacturés est de nouveau privilégiée, accentuant ainsi la dépendance, le retard

industriel et le déficit commercial. C'est en définitive l’Angleterre qui profite de cet or.

En 1700, Pierre II revendique la Couronne d'Espagne et s'engage dans la guerre de

succession du côté français avant de devoir reculer devant la menace anglaise. Un

nouveau traité anglo-portugais, le traité Methuen, est signé le 27 décembre 1703. Ce

traité de coopération militaire, diplomatique et économique concède aux Anglais le

privilège de fonder au Portugal des maisons de négoce de vin en échange de la baisse

des taxes à l'importation sur le vin de Porto et sur le textile anglais. S'il permet le

développement du vin de Porto et l'afflux de richesses au pays, il accroît en réalité la

Page 38: Histoire Du Portugal

dépendance portugaise envers l’Angleterre et enrichit surtout les négociants étrangers

qui affluent au Portugal. En 1704, en vertu de ce traité, le Portugal s’engage contre la

France dans la guerre de Succession d’Espagne. Au niveau culturel, le développement

des académies et de la littérature facilite la progression des idées nouvelles.

Jean V et les richesses du Brésil

Jean V

Ce règne (1706-1750) correspond à la période la plus fastueuse de l'histoire du pays

grâce aux arrivées d'or (jusqu'à 1 200 kg/an) et de diamants du Brésil, qui donnent

à Jean V les moyens d'imposer un régime absolutiste justifié par sa conviction de sa

mission divine. La noblesse en profite ; le pouvoir des ministres augmente au détriment

du rôle des conseils.

Les tentatives pour développer les manufactures et l'économie nationales échouent.

L'aristocratie freine toute modernisation. Le pays s'appuie exclusivement sur les

richesses du Brésil important les produits agricoles et accroissant ainsi sa dépendance

et les déficits. Tout est donc fait pour conserver le Brésil au moment où l'Asie lui

échappe. La colonie représente alors une échappatoire pour une population en pleine

augmentation mais à qui l'industrie et l'agriculture nationales n'offrent pas de

débouchés. En 1713, le traité d'Utrecht met fin aux menaces françaises et hollandaises

sur le Brésil.

On vit dans un luxe sans mesure, les fastes et le gaspillage. Chaque évènement est

commémoré par des fêtes. Cela se traduit aussi par une architecture extravagante,

avec le développement des azulejos et de la talha dourada (sculpture de bois dorée) :

le palais de Mafra, l’église de Saint-Roch à Lisbonne, la bibliothèque Joanina

de Coimbra, la tour des Clercs de Porto, l’aqueduc des Eaux Libres de Lisbonne,

le palais royal de Queluz de Sintra, l'église de la Miséricorde, le sanctuaire de Bom

Jésus do Monte à Braga. La culture et les sciences se développent avec les

Académies. Le premier grand journal portugais paraît (A gazeta de Lisboa).

Page 39: Histoire Du Portugal

La vie mondaine se développe, une vie de dépravation et de débauche qui se

concentre autour des couvents. Il est à la mode d'avoir une maîtresse chez les

religieuses étant donné que toutes les familles y envoient leurs filles. Cela donne lieu

aux fameuses Lettres portugaises. Le roi entretient lui aussi une liaison avec la mère

Paula Teresa da Silva, dont il a trois enfants (surnommés « les enfants de Palhavã »).

Jean V cherche à soumettre l'Inquisition mais sans succès. Celle-ci continue de

poursuivre les nouveaux chrétiens ce qui accentue la fuite des capitaux. Petit à petit,

l'or se fait rare. L'absolutisme est contesté, le régime s'affaiblit.

Le Portugal de Pombal

Article détaillé : Tremblement de terre de Lisbonne de 1755.

Le marquis de Pombal

Le règne de son successeur, Joseph Ier (1750-1777) est dominé par la personnalité de

son Premier ministre Sebastião José de Carvalho e Melo, plus connu sous le titre

de marquis de Pombal. Ce roi préfère, lui aussi, s'adonner aux plaisirs de la chasse et

du théâtre et il délègue son pouvoir. Délaissant la noblesse toute puissante, il choisit

un petit bourgeois pour redresser l'économie. Prenant le contrepied de son père, il

défend le retour de l'autorité et de la discipline. Mais l'importance particulière de

Pombal est à relier à un évènement majeur de l'histoire du pays : le tremblement de

terre de Lisbonne de 1755. Cette catastrophe lui permet de contourner l'opposition des

grandes familles et des jésuites et d'exercer un pouvoir absolu.

Le 1er novembre 1755, un tremblement de terre de magnitude 8.75, suivi d'un raz-de-

marée et d'incendies ravage Lisbonne. On compte 15 000 morts sur les 250 000

habitants que compte la capitale ; 85 % des maisons sont inhabitables, cinq églises

ainsi que le palais sont détruits avec ses archives, sa bibliothèque et ses œuvres d'art.

La famille royale fuit Lisbonne dans la panique.

Pombal prend dès lors les choses en main : les cadavres sont jetés à la mer, des

mesures sont prises contre les pillards, il fait approvisionner la ville et oblige l'Église à

célébrer le culte afin de garder la population sur place.

Page 40: Histoire Du Portugal

Très vite, des ingénieurs sont chargés de reconstruire la ville. Pombal fait raser la ville

basse et ses rues sinueuses (a Baixa), la partie la plus touchée. Inspiré par l'esprit

des Lumières, les plans privilégient la simplicité, la cohérence et la fonctionnalité (les

activités sont ainsi regroupées par quartiers) dans un style néoclassique. L'azulejo,

privilégié car il ne propage pas le feu et protège de l'humidité, connaît un grand

développement. L'art portugais en est profondément influencé, d'autant plus que

l'établissement des plans est confié à des architectes portugais : Manuel da Maia,

Eugènio dos Santos, Machado de Castro et Carlos Mardel.

Ce désastre est aussi à l'origine de la persécution des jésuites qui ajoutent à

l'exaltation populaire, par le biais de faux prophètes, en évoquant une punition divine

contre l'impiété des hommes. Ils deviennent par ailleurs gênants au Brésil où ils

prennent la tête d'un mouvement contestant de plus en plus l'autorité de Lisbonne. Le

7 septembre 1759, accusés de comploter avec une partie de la noblesse, un décret

provoque leur expulsion du Portugal et du Brésil.

La noblesse réunie autour de la famille Tavora déteste ce petit-bourgeois qui cherche à

les soumettre. Elle tenta en effet de le renverser et de mettre sur le trône la sœur du

roi. Les meneurs sont emprisonnés, d'autres bannis.

Pombal ne néglige pas l'Église et l'Inquisition qu'il cherche à soumettre à la Couronne.

Il met fin à la vieille distinction entre nouveaux et anciens chrétiens et mène une

politique de tolérance. L'esclavage est interdit en 1761.

Il se crée ainsi de nombreux ennemis. Très critiqué pour sa cruauté et sa rigidité,

considéré comme un despote éclairé, Pombal cherche surtout à renforcer le pouvoir de

l'État. Il introduit au Portugal la doctrine du « roi de droit divin ». Il lutte contre tout ce

qui s'oppose à la centralisation du pouvoir en développant le rôle des fonctionnaires et

en créant une police moderne. La bourgeoisie en ressort renforcée.

Dans le domaine économique, il encourage le développement des manufactures et

instaurer des monopoles (notamment celui de la compagnie des vins de Porto). Il

mène une politique protectionniste qui lui permet de rétablir la balance commerciale.

Pourtant le pays voit l'or commencer à se faire rare, le sucre et le blé entrer en crise. Il

tente de faire de l'Angola un second Brésil.

Pombal est par ailleurs l'instigateur de réformes dans de multiples domaines : il adapte

l'enseignement aux besoins de la vie moderne, forme des cadres indispensables à

l'administration, remplace l'enseignement des jésuites par un enseignement moderne,

adapte les programmes, réforme et développe l'université.

La censure reste présente (elle est même contrôlée par l'État dès 1768 et la création

de la Real mesa censoria) mais les idées nouvelles venues de France et d'Angleterre

se propagent. En contrepartie, la coupure avec l'Espagne se renforce, aggravée par

la guerre de Sept Ans qui voit le nord-est du pays être envahi par les troupes

espagnoles (1762) avant qu'elles ne soient repoussées avec l'aides de Anglais (1763).

Le pays passe, grâce à ses réformes, de la féodalité à un état moderne.

Page 41: Histoire Du Portugal

Marie Ire et la Viradeira

Article détaillé : Histoire du Portugal (1777-1834).

Marie Ire de Portugal

Le pouvoir de Pombal ne survit pas à la mort de Joseph Ier : il tombe en disgrâce en

1777, après le couronnement de la fille de ce dernier, Marie Ire (1777-1786). Cette

réaction prend le nom de Viradeira : on libère les prisonniers politiques (issus de

l'Église et de la noblesse) et l'on met fin aux monopoles. La politique absolutiste est

néanmoins poursuivie jusqu'en 1820.

Empreinte d'une grande piété qui tourne parfois à la superstition, Marie Ire perd la

raison après la mort de son mari (1786) et de deux de ses fils. La Révolution

française achève de la plonger dans la démence en 1791. Dès lors, c'est son fils, le

futur Jean VI, qui assure la régence jusqu'à son intronisation en 1816. Mais le

gouvernement est aux mains du vicomte de Vila Nova de Cerveira et le reste jusqu'en

1800 assurant ainsi une certaine stabilité politique.

Profitant des problèmes que connaissent ses voisins européens (Révolutions française

et américaine, guerres napoléoniennes...), tout en restant neutre, le pays connaît alors

une période de prospérité grâce au commerce du sucre, du tabac et du coton.

La justice seigneuriale est abolie. Les titres de noblesse perdent de leur importance.

L'administration est uniformisée sur le territoire. C'est la bourgeoisie qui prend son

essor.

Les idées des Lumières pénètrent largement au Portugal avec la création de

l'Académie des Sciences et le développement de la presse. Pourtant la censure

menée par l'intendant de la police Pina Manique traque violemment les idées libérales.

En 1778, les frontières définitives du Brésil sont fixées par le traité de San Ildefonso.

Page 42: Histoire Du Portugal

Les invasions napoléoniennes

Articles détaillés : Invasions françaises au Portugal et Transfert de la cour portugaise au

Brésil.

Le pays ne peut rester définitivement neutre et, en 1793, il n'a d'autre choix que de

rejoindre la coalition anti-française au côté de l'Angleterre et de l'Espagne.

Après la victoire française face aux Espagnols (1795), Napoléon décide de faire payer

son choix au Portugal. En 1801, il encourage l'Espagne à envahir le pays : c'est

la Guerre des Oranges. Vaincu, le Portugal signe le traité de Badajoz (1801) faisant

d'Olivenza une ville espagnole. Après la défaite de Trafalgar, le Portugal est en outre

sommé de fermer ses ports aux navires anglais. Deux choix s'offrent à lui : obéir et

perdre son allié au risque de le voir s'emparer de ses colonies ou se voir envahi par la

France ; perdre ses colonies ou perdre son indépendance. Jean VI essaye de gagner

du temps mais un ultimatum est lancé en 1807. Un plan prévoit même le partage du

pays (le traité de Fontainebleau).

Le 20 novembre 1807, les troupes françaises commandées par le

général Junot traversent la frontière portugaise sans rencontrer de résistance et

arrivent à Lisbonne le 30 novembre.

Cet épisode est décisif, puisque, la veille, la famille royale quitte le pays pour le Brésil

ouvrant ainsi la voie à sa future indépendance : en effet, Rio de Janeiro devient la

capitale de l'Empire (entre 1808 et 1822), le Portugal est ramené au statut de colonie.

Le Brésil profite de cette situation pour se moderniser et se doter d'une structure

politique et administrative. En 1810, il perd même son statut de colonie. C'est encore

lui qui permet au Portugal de rester indépendant.

Bataille de Vimeiro

Une certaine résistance s'organise face à cette occupation. Dès juillet 1808, elle

permet le débarquement des troupes anglaises de Wellington suivies des batailles

de Roliça et Vimeiro qui obligent les Français à quitter le pays. Le pays passe cette fois

sous tutelle anglaise puisque le général Beresfordchargé d'organiser la défense se voit

confier les pleins pouvoirs.

En 1809, une seconde invasion française menée par le maréchal Soult prend le nord

du pays mais est aussitôt repoussée par la coalition anglo-portugaise.

Page 43: Histoire Du Portugal

Enfin, en 1810, une troisième invasion menée par Masséna et Ney à la tête d'une

puissante armée est arrêtée lors de la bataille de Buçaco avant de devoir rebrousser

chemin poursuivies par les troupes de Wellington. En octobre, elles quittent le Portugal

avant d'être expulsées d'Espagne en 1814.

Malgré la victoire, ces guerres laissent le pays ruiné et dévasté. C'est la fin du Portugal

comme puissance européenne et maritime. Le roi Jean VI envisage même de rester au

Brésil.

La révolution libérale de 1820

William Carr Beresford

Au début du XIXe siècle, le Portugal vit une crise profonde, conséquence des invasions

napoléoniennes : les batailles et les pillages français ont ruiné le pays et provoqué le

départ de la famille royale pour le Brésil, prélude à son indépendance. Ainsi,

l'ouverture des ports du Brésil au commerce mondial (1808), entraîne le transfert d'une

partie de l'activité économique et provoque la ruine de nombreux commerçants

portugais. Enfin, la domination anglaise sur le Portugal s'est accentuée. Vivant jusque

là dans l'illusion de la grandeur passée, beaucoup envisagent une reprise des choses

en main et des changements en profondeur, d'où le succès de l'idéologie libérale parmi

la bourgeoisie. Dans les milieux populaires, par contre, elle reste toujours associée aux

invasions étrangères. Néanmoins, tous s'accordent pour exiger le retour du roi et

mettre fin à la tutelle anglaise.

Des conspirations sont déjouées dont celle menée par Gomes Freire de Andrade,

membre du groupe maçonnique Regeneração, qui devient un martyr de la cause

libérale. Un autre groupe, kle Sinédrio fondé en 1818, rassemble les mécontents de

l'armée ainsi que des négociants de Porto33.

Le 24 août 1820, à Porto, l'armée, avec le soutien de la bourgeoisie marchande, profite

de l'absence de Beresford, se soulève et crée La Junte provisoire du gouvernement

suprême du royaume avec Antonio da Silveira Pinto da Fonseca à sa tête. Son objectif

Page 44: Histoire Du Portugal

immédiat est d'assurer l'intérim du pouvoir, de convoquer les Cortes pour doter le pays

d'une constitution libérale mettant fin à l'absolutisme et restaurer l'exclusivité du

commerce avec le Brésil.

Devant la résistance de la capitale, un deuxième soulèvement militaire a lieu à

Lisbonne le 15 septembre et met en place un gouvernement provisoire. Le 28, la junte

du nord s'unit à celle de Lisbonne. Cette révolte ne rencontre pas d'opposition. La

régence anglaise est expulsée du pays.

Le 22 novembre 1820 ont lieu les élections de l'assemblée constituante. Très vite, les

dissensions surgissent : les militaires veulent restaurer le régime alors que la

bourgeoisie veut un véritable changement. Cette dernière l'emporte. Les députés élus

représentent tous les territoires contrôlés par le Portugal (Brésil, Madère, Açores,

dépendances africaines et asiatiques). Le gouvernement est formé par le

comte Manuel António de Sampaio Melo. Cette période (août 1820-avril 1823), connue

sous le nom de Vintisme, se caractérise par le radicalisme des solutions libérales et la

domination des Cortes constituantes.

Le Vintisme et la crise brésilienne

Jean VI de Portugal

Pierre Ier du Brésil

Page 45: Histoire Du Portugal

Michel Ier de Portugal

Le point sur lequel on s'accorde est le statut de colonie du Brésil. Pour cela, le roi Jean

VI doit revenir au Portugal, ce qu'exigent immédiatement les Cortes. Celui-ci

obtempère mais nomme son fils, le prince Pierre, régent du Brésil. Cette décision

déplaît aux Cortes, qui estiment que les souverains doivent résider au Portugal

continental. Elles ordonnent au régent de quitter le Brésil et de poursuivre son

éducation en Europe. Toutes ces exigences créent le mécontentement des 65 députés

brésiliens qui quittent le pays pour le Brésil.

L'armée tente un moment d'infléchir le choix de la constitution dans un épisode sans

lendemain, connu sous le nom deMartinhada le 11 novembre 1821, jour de la saint

Martin.

Le 23 septembre 1822, les Cortes approuvent une constitution particulièrement

progressiste. Inspirée de la Constitution française de 1791, elle consacre la division

tripartite des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), et limite le rôle du roi à une

simple fonction symbolique, donnant le pouvoir à un gouvernement et un

parlement monocaméral élu au suffrage direct, qui mettent fin aux privilèges et à

l'Inquisition et instaurent la liberté de la presse. Modelée par les libéraux et la

bourgeoisie, cette constitution est trop progressiste et anticléricale pour avoir le soutien

populaire34.

Les Cortes craignent un moment que Jean VI ne regroupe autour de lui les

conservateurs cherchant à faire échouer la révolution. Celui-ci signe pourtant la

Constitution le 1er octobre 1822. En fait, ce sont la reine et leur fils Michel qui fédèrent

la réaction anti-libérale.

Le 7 septembre 1822, le prince Pierre reçoit un nouveau message des Cortes le

sommant de rentrer au Portugal et de se soumettre à eux et au roi. Avec les

encouragements de José Bonifacio et de son épouse Marie Léopoldine d'Autriche, il

déchire la lettre comminatoire en public en s'exclamant : « L'indépendance ou la

mort! ». Cet acte, connu comme le « cri d'Ipiranga », marque la date de l'indépendance

Page 46: Histoire Du Portugal

du Brésil. Ce coup porté au pays, qui s'ajoute à des réformes jugées trop innovantes,

achève de rendre impopulaire le gouvernement libéral.

En mai 1823, l'opposition anti-libérale profite de cette situation délétère pour prendre

les armes à Vila Franca de Xira et proclamer la restauration de l'absolutisme. Le prince

Michel rejoint la Vilafrancada. Le roi essaye de trouver un compromis entre

les Cortes libérales et les absolutistes. Un nouveau gouvernement est formé, Michel

est nommé commandant en chef de l'armée. Mais les dissensions persistent.

En avril 1824, les partisans de Michel fomentent une nouvelle révolte, l'Abrilada sous

prétexte de menaces d'assassinat de la famille royale. Jean VI, avec l'aide des Anglais,

oblige Michel à se soumettre. Celui-ci quitte le pays. Cette fois, le gouvernement est

aux mains des partisans d'un absolutisme modéré. Les libéraux fuient vers l'exil.

À la mort de Jean VI en 1826, l'héritier légitime, Pierre, est devenu empereur du

Brésil : attendu au Portugal, il abdique de sa couronne portugaise en faveur de sa

fille, Marie, alors âgée de 7 ans, à la condition qu'elle épouse Michel, son oncle, qui

deviendrait alors régent. En attendant, l'infante Isabel Maria de Bragança, fille de Jean

VI, assurerait la régence (1826-28).

Juste avant, Pierre IV promulgue une nouvelle constitution : la Charte constitutionnelle,

copiée sur celle du Brésil qui se veut un compromis entre les absolutistes et les

libéraux. Ces mesures très soudaines sont critiquées mais Marie finit par prêter

serment à la Charte et par épouser Michel en 1828.

Retour de l'absolutisme

Article détaillé : Guerre civile portugaise.

Les esprits ne s'apaisent pas. Si les libéraux crient victoire et pour beaucoup rentrent

d'exil, les absolutistes se sentent lésés. Ils ne reconnaissent que Michel, très populaire

dans le pays. Celui-ci est agité par une quasi guerre civile lorsque Michel prête

serment à la constitution. Autour de lui, on le pousse à se proclamer roi. Ce qu'il finit

par faire en juillet 1828. Marie II fuit en Angleterre. Michel rejette aussitôt la constitution

et dissout l'assemblée. Cet acte a pour conséquence d'obliger chacun à choisir entre

deux camps, entre absolutisme et libéralisme.

Page 47: Histoire Du Portugal

Le duc de Palmela

Sà da Bandeira

Costa Cabral

Les libéraux se soulèvent mais la répression est violente. Une partie d'entre eux part

en exil avec la reine. C'est une véritable guerre civile qui débute. Michel Iergouverne de

façon très autoritaire. Son gouvernement se révèle néanmoins aussi incompétent que

les précédents. La situation économique est désastreuse.

Dès 1829, les libéraux contre-attaquent : ils s'unissent et débarquent

aux Açores dirigés par le duc de Palmela, Pedro de Sousa Holstein. De là, ils

Page 48: Histoire Du Portugal

préparent leur offensive et remportent une première bataille à Vila da Praia. Par

ailleurs, Pierre Ier, inquiet de la situation au Portugal, contraint d'abdiquer en faveur de

son fils,Pierre II (le 7 avril 1831), débarque aux Açores, avec le soutien des Français et

des Anglais, afin de prendre la tête des libéraux et de rétablir sa fille sur le trône. Il se

proclame régent du royaume et forme un gouvernement. Le 8 juillet 1832, ils

débarquent près de Porto (« débarquement de Mindelo ») avec 7 500 hommes et 60

navires menés par le marquis de Vila-Flor, António Severim de Noronha. Les

absolutistes contre-attaquent. Le roi et ses troupes se retrouvent assiégés dans la ville

de Porto. La ville résiste héroïquement pendant plus d'un an. Cette guerre est inégale

et meurtrière. Elle ne fait qu'accroître la crise et la dépendance envers l'étranger. La

majorité du pays reste attachée à la monarchie, le parti libéral rassemblant surtout les

milieux intellectuels.

La résistance de Porto joue pourtant un rôle fondamental dans l'adhésion de la

population à la cause libérale. En juin 1833, une expédition, commandée par António

Severim de Noronha, débarque dans le sud pour prendre les troupes absolutistes à

revers. Ne rencontrant pas de résistance, elle prend Lisbonne le 24 juillet 1833 et

forme un nouveau gouvernement. Michel se réfugie à Santarém dans le but d'assiéger

Lisbonne. Ses tentatives échouent. Les batailles de Almosteret d'Asseiceira donnent la

victoire aux troupes libérales en 1834.

Les généraux de Michel voyant leur cause perdue mettent fin à la guerre civile le 26

mai 1834 avec la signature des accords de Evora-Monte qui proclament une amnistie

générale. Michel s'exile en Italie. Le mariage est annulé et Marie II rétablie sur le trône.

Chartisme contre septembrisme

Pierre II meurt en septembre 1834. Marie II monte sur le trône avec le duc de Palmela

comme premier ministre. C'est un gouvernement conservateur qui inaugure cette

monarchie constitutionnelle. D'ailleurs, jusqu'en 1850, la scène politique est dominée

par des barons, des vicomtes et des parvenus de la grande bourgeoisie.

Si les absolutistes ont perdu la partie, les libéraux restent attachés à la monarchie. Ils

sont pourtant divisés : d'un côté les chartistes au pouvoir, adeptes de la Charte de

1826 et d'une certaine autorité (les riches terriens, les commerçants...), de l'autre les

septembristes, adeptes de la constitution de 1822 et d'une souveraineté nationale (les

classes moyennes, les artisans, l'armée...).

La situation ne s'améliore pas pour autant : l'agriculture portugaise entre dans une

crise qui se prolonge jusqu'en 1850. De nombreux paysans quittent leur terre rachetée

à bas prix par des citadins sans que ces derniers les exploitent. L'expulsion des ordres

religieux et la nationalisation de leurs biens en 1834 ne sont pas faits pour calmer les

esprits.

Page 49: Histoire Du Portugal

Le 8 septembre 1836, une nouvelle révolution éclate menée en réaction par l'armée et

les classes moyennes : la révolution septembriste. Le gouvernement démissionne. Le

nouveau régime dominé par la figure de Manuel da Silva Passos proclame le retour de

la constitution de 1822 et abolit la Charte. La reine convoque une assemblée

constituante.

Malgré de nombreuses réformes et une forte diminution du déficit budgétaire, le

gouvernement autoritaire devient impopulaire et l'instabilité politique continue. Les

gouvernements se succèdent. La reine tente même un coup de force, jugeant le

gouvernement trop libéral : l'évènement, connu sous le nom de Belenzada échoue (3

novembre 1836). Il est suivi par une autre révolte du même genre qui échoue

également : la révolte des Maréchaux (12 juillet 1837).

En 1838, une nouvelle constitution de compromis est imposée aux Cortes par Sà da

Bandeira sous la pression des septembristes (révolte de l'Arsenal, 9 mars 1838). Elle

prône la séparation des pouvoirs, le bicamérisme et un droit de véto pour le roi.

Mais c'est Costa Cabral qui s'impose petit à petit comme l'homme providentiel. Le 27

janvier 1842, après un coup d'État pacifique, celui-ci proclame le retour de laCharte. Il

n'y aura plus de gouvernement septembriste. Cabral dirige le gouvernement d'une

main de fer avec le duc de Terceira. Cette période est marquée par de violentes

répressions contre l'opposition et de nombreuses réformes accompagnées de grands

travaux publics. On assiste au retour de l'ordre et du progrès économique.

L'opposition progressiste divisée peine à se faire entendre jusqu'à ce qu'une loi de

1846 déclenche une nouvelle guerre civile. Cette loi vise à interdire les enterrements

dans les églises comme cela se faisait. En mars 1846, un premier soulèvement

populaire mené par des femmes de Fontarcada, dans le nord du pays (Póvoa de

Lanhoso) donne son nom à ce mouvement: la Révolte de Maria da Fonte. Il faut dire

que les campagnes vivent déjà mal la modernisation à marche forcée du monde rural,

ajoutée aux récentes réformes fiscales et du recrutement militaire. La révolte se

propage rapidement au nord puis à tout le pays, appuyée par l'opposition. Les troupes

de Cabral se heurtent à des guérillas qui l'obligent bientôt à démissionner (17 mai

1846).

Le duc de Palmela forme un nouveau gouvernement de coalition. Ce choix ne plaît pas

à la reine qui cherche à rétablir Costa Cabral par la force : c'est l’Emboscada du 6

octobre 1846. Elle provoque aussitôt un nouveau soulèvement d'octobre 1846 à juin

1847 : la Patuleia rassemble aussi bien à droite (les absolutistes, les partisans de

Michel...) qu'à gauche, les septembristes et les partisans d'une république. La

monarchie menacée demande l'intervention de l'Angleterre, de la France et de

l'Espagne. Cette fois, les rebelles déposent les armes lors de la convention de

Gramido en juin 1847. Costa Cabral et Saldanha en sortent renforcés.

Page 50: Histoire Du Portugal

Régénération

Fontes Pereira de Melo

Louis Ier

Le 1er mai 1851, Costa Cabral est renversé par une révolte militaire et remplacé

par Saldanha. Cette période de la monarchie constitutionnelle prend le nom

deRégénération et voit le retour au premier plan de la bourgeoisie. Ce terme à la mode

depuis 1817, désigne d'abord une loge maçonnique dont les membres influencent

largement le mouvement libéral depuis son origine. Il est depuis dans tous les discours

libéraux, et notamment ceux des intellectuels issus de l'université de Coimbra. Il

exprime une volonté de redonner au pays tout son prestige et sa puissance en

rattrapant le temps perdu.

Les forces s'équilibrent enfin notamment grâce à un acte additionnel à la Charte (1852)

qui permet de réconcilier chartistes et septembristes et surtout de contourner les

débats parlementaires sans fin. L'ordre revient. On peut dire que la monarchie entre

dans une période plus calme et institutionnalisée.

Au niveau économique, le pays tente de s'adapter à l'indépendance du Brésil, en

développant l'agriculture, l'industrie et le commerce. La stabilité politique permet des

progrès à ce niveau. La politique de grands travaux initiée par Fontes Pereira de Melo,

figure emblématique de cette longue période (on parle même deFontismo) permet de

développer les infrastructures du pays et de désenclaver certaines régions du pays:

Page 51: Histoire Du Portugal

cela se traduit par le développement des voies ferrées, des ports et du télégraphe.

L'école et l'administration sont réformées. Un nouveau code civil vient remplacer les

Ordonnances philippines en 1867.

La reine meurt en 1853, remplacée momentanément par son mari Ferdinand II avant

que Pierre V soit en âge de régner. Ce dernier meurt du typhus en 1861 et son

frère Louis Ier lui succède.

Le rotativisme

Ces réformes modifient profondément le pays. Si l'état développe les infrastructures, il

refuse d'intervenir dans l'économie: le nouveau code civil mettant fin à la propriété

communale, les terres sont vendues et privatisées. Les surfaces cultivables

augmentent, en parallèle avec la productivité. Dans ce système, les moyens et grands

propriétaires sont privilégiés, au détriment des petits paysans qui consommaient ce

qu'ils produisaient et profitaient jusque là gratuitement de terres pour leur bêtes. Si les

salaires augmentent, de nouvelles dépenses apparaissent. À présent c'est la

commercialisation de la production qui est privilégiée35.

L'essor de la classe moyenne s'accompagne de celui de Lisbonne et Porto. Les

constructions publiques laissent la place aux investissements privés. Le tourisme se

développe. Mais, si la consommation augmente, elle se fait au profit des produits

étrangers: ce commerce, à la base de la richesse, limite d'autant l'industrialisation du

pays et la production nationale; celle-ci ne trouve de débouchés qu'en province et dans

les colonies, augmentant d'autant la dépendance du pays. De nouvelles habitudes, de

nouveaux mots apparaissent36.

Par ailleurs, le fossé se creuse avec les plus démunis en même temps que leur

ressentiment envers les plus riches. Pour les idées aussi, le pays s'ouvre à l'étranger.

À Coimbra, de jeunes étudiants, que l'on regroupera sous le terme de Génération de

70, commencent à faire parler d'eux en remettant en cause l'ordre bourgeois, les

institutions, le système politique ainsi que le poids de l'Église. Ces jeunes intellectuels

cherchent à ouvrir le pays aux courants de pensées européens. Commençant par

prendre des positions polémiques concernant la littérature nationale jugée rétrograde

(la Question Coimbrã), ils organisent en 1871, à Lisbonne, une série de conférences

qui resteront dans les mémoires comme les conférences du Casino: cherchant à

rénover la vie politique et intellectuelle du pays, ils y débattent des problèmes du pays

et des solutions inspirées par les idées nouvelles (la républicanisme, le socialisme,

le communisme...).

Ces changements et les crises qui en découlent provoquent une vague de migration,

vers les villes d'abord, qui ne peuvent l'absorber entièrement; elle se tourne alors vers

le Brésil qui manque de main-d'œuvre depuis l'abolition de l'esclavage en 1888 (le

Portugal l'a interdit sur son territoire et dans ses colonies le 23 février 1869, alors que

Page 52: Histoire Du Portugal

son commerce l'était depuis 1836). Jamais le Brésil ne rapporte autant d'argent au

Portugal. Mais encore une fois cette richesse est trompeuse: le pays consomme

beaucoup, produit peu et les émigrés paient la différence37.

Les réformes fiscales et le nouveau découpage administratif provoquent des agitations

à Porto et Lisbonne qui finissent par renverser le gouvernement le 1er janvier 1868:

la Janeirinha. Le nouveau gouvernement de droite réformiste revient sur les réformes

problèmatiques. Cela amène à la création d'un nouveau parti: le Parti réformiste.

Ce nouvel échiquier politique inaugure une nouvelle période, qui dure pratiquement

jusqu'à la proclamation de la République, qui se caractérise par l'alternance des deux

grands partis politiques au pouvoir: le Parti Régénérateur (plutôt conservateur, mené

par Saldanha et Fontes Pereira de Melo et qui domine la vie politique) et le Parti

Historique (de Sà da Bandeira). Cette alternance est appelée le « Rotativisme », terme

d'inspiration britannique.

L'essor des idées venues de France et d'Angleterre est à l'origine de nouveaux partis:

le Parti républicain en 1876, pour qui la renaissance nationale passe obligatoirement

par la fin de la monarchie; le Parti socialiste, en 1873, qui défend lui, une collaboration

avec le régime en échange de mesures sociales.

Pour les contestataires, chaque occasion est bonne pour glorifier les figures du passé.

C'est le cas en 1880, avec la commémoration de la mort de Camões, organisée par les

républicains. Ces derniers se présentent comme les seuls capables de rendre leur

dignité aux Portugais. Cette fête populaire leur amène un grand prestige. En 1882, la

commémoration de la mort du marquis de Pombal est prétexte à l'exacerbation du

sentiment anticlérical et se transforme en manifestation anti-royaliste.

À partir de 1876, l'alternance s'effectue entre le Parti régénérateur et le Parti

progressiste qui se disputent les voix des classes populaires avec le Parti républicain

et le Parti socialiste.

L'ultimatum anglais et ses conséquences

À la mort de Louis Ier, en 1889, son fils Charles Ier monte sur le trône. La contestation

contre la monarchie s'amplifie avec ce roi impopulaire et s'affiche au moindre prétexte.

Depuis la perte du Brésil, le Portugal s'est tourné vers l'Afrique et lance des

expéditions à travers le continent (notamment celles de Roberto Ivens et

d'Hermenegildo Capelo). Le pays doit faire face à la vague expansionniste des autres

pays européens sur ce continent. Le 11 janvier 1890, un ultimatum anglais exige sous

un motif fallacieux que le Portugal retire ses troupes postées entre le Mozambique et

l'Angola. Le Portugal ne cache en effet pas son objectif de réunir les deux colonies en

annexant les territoires situés entre les deux. Ce projet est resté connu sous le nom

de carte rose (mapa cor-de-rosa)38. Or, ce projet s'oppose aux plans anglais qui eux

cherchent à réunir Le Cap et Le Caire.

Page 53: Histoire Du Portugal

La carte rose

Le gouvernement est obligé de céder, provoquant une vague d'indignation contre

l'Angleterre et contre la monarchie. Des émeutes éclatent face à cette humiliation

nationale. Une première révolte républicaine échoue début 1891. C'est à cette

occasion qu'est composé l'hymne national portugais39. On appelle au boycott des

produits anglais. Une souscription publique est même organisée pour doter le pays

d'un croiseur. Le Parti républicain capitalise sur ce mécontentement qui enfle et finira

par renverser la monarchie. Le mécontentement a également une conséquence sur la

conscience collective portugaise : elle marque ici son attachement à la nation et à son

empire colonial, attachement dont on observe les conséquences tout au long

du XXe siècle.

La méfiance et le pessimisme aggrave la crise économique qui débute. L'instabilité

politique domine avant que les gouvernements de José Dias Ferreira et de Ribeiro,

alternant jusqu'en 1906, ne rétablissent le calme et le rotativisme. Mais la frustration de

la bourgeoisie vient remplir les rangs du Parti républicain. Les deux partis qui se

succèdent au pouvoir, Régénérateurs et Progressistes, sont discrédités. Les

dissensions apparaissent en leur sein-même.

En 1901, une loi vient autoriser les congrégations ayant un but éducatif. Cela va

permettre le retour des ordres religieux qui avaient été expulsés du pays en 1834.

Cette décision joue un grand rôle dans l'évolution politique du pays au XXe siècle. En

1903, est créé le Parti nationaliste d'inspiration catholique.

João Franco

Page 54: Histoire Du Portugal

En 1901, João Franco quitte le Parti Régénérateur et forme son propre parti : le Parti

Régénérateur Libéral, adepte de la monarchie, de l'interventionnisme et d'un

socialisme d'état. En 1906, la crise atteint son apogée : les obstructions sont

systématiques, les réunions des Cortes sont agitées, aucune réforme n'avance. C'est

alors que le parti de João Franco s'unit au Parti Progressiste pour dénoncer la

corruption de ce système et mettre fin au rotativisme.

Le 19 mars 1906, il forme un gouvernement de coalition avec le Parti Progressiste.

Mais, dès le 10 mai 1907, soutenu par Charles Ier, il organise un coup d'État. La

coalition est annulée, les Cortes dissoutes et une dictature est instaurée avec l'objectif

de renforcer le pouvoir royal. Mais les mesures arbitraires, la violence de la répression

unissent toute l'opposition contre lui. Divers scandales finissent par discréditer

totalement le régime.

Le 28 janvier 1908, une tentative d'attentat contre João Franco pousse le roi à décréter

l'interdiction de l'opposition franquiste. Un climat de terreur règne. Aucune mesure

spéciale n'est prise pour le retour du roi à Lisbonne. Le 1er février, celui-ci est

assassiné par Manuel Buiça et Alfredo Costa. Rendu coupable de la situation, João

Franco est poussé vers l'exil.

Manuel II, succède à son père à l'âge de 19 ans et nomme un gouvernement de

coalition présidé par Francisco Joaquim Ferreira do Amaral. Celui-ci tente de ramener

le calme mais le discrédit du régime est total. Il est clair que la résolution de tous les

maux passe par la fin de la monarchie. Six gouvernements se succèdent en deux ans.

Si les républicains savent profiter de la situation, ils restent minoritaires dans le pays.

En juin 1910, les régénérateurs prennent le pouvoir et dissolvent le parlement.

La 1re République

Articles détaillés : Proclamation de la République Portugaise et Première République

portugaise.

Le coup de force

Les constitutions libérales échouent à s'imposer : le peuple dépolitisé ne voit dans

cette période qu'agitation et débats parlementaires stériles, débats qui ne concernent

qu'une partie de la bourgeoisie se mettant d'accord pour se partager le pouvoir. Le

pays vit une crise économique et morale.

Les républicains, porteurs de l'espoir de régénérer le pays, de lui redonner sa fierté

perdue et d'en finir avec ces batailles, s'engagent dans la préparation d'une action de

force dès 1909.

Page 55: Histoire Du Portugal

Le 3 octobre 1910, les garnisons de Lisbonne sont en alerte. C'est l'assassinat

de Miguel Bombarda, républicain influent qui est l'élément déclencheur. Les chefs

militaires républicains tentent de s'emparer du palais et des garnisons. Les choses ne

se déroulent pas comme prévu et les insurgés pensent un moment avoir perdu la

partie alors que les différents groupes se trouvent isolés. Ce n'est que le 5, devant le

soutien populaire à la rébellion, que les troupes du roi déposent les armes.

La république est proclamée par José Relvas et Eusébio Leão, au balcon de la mairie

de Lisbonne. Un gouvernement provisoire est nommé jusqu'au vote d'une nouvelle

constitution. La famille royale s'enfuit. Teófilo Braga est nommé président du

gouvernement provisoire.

Cet événement ouvre un précédent : dès lors, il est légitime pour une minorité de

renverser un état de droit. Le peuple ne joue aucun rôle actif dans ces choix. Les

hommes du mouvement sont tous issus de l'élite des grandes villes et sont membres

de la franc-maçonnerie qui a joué un grand rôle dans cette victoire.

Les réformes

Manuel José de Arriaga

Même si la république échoue à ramener le calme et à sortir le pays de la crise, elle est

à l'origine de profondes réformes. Les premières visent à rétablir l'ordre et à marquer la

rupture avec le passé par des actes symboliques forts.

Dès les premiers mois est accordée une amnistie générale pour les crimes contre la

sécurité de l'État. Un nouveau drapeau et un nouvel hymne national sont créés.

L'armée est réorganisée et Garde nationale républicaine (GNR) est créée.

La république tente de réorganiser l'état, instaurant une certaine décentralisation et

une certaine autonomie pour les colonies. Le registre civil est systématisé.

Page 56: Histoire Du Portugal

La réforme fiscale permet de soulager les plus pauvres. Les tentatives pour résoudre le

déficit budgétaire hérité de la monarchie commencent même à porter leur fruits avant

que la guerre remette tout en cause. En 1911, le pays se dote d'une nouvelle monnaie

(l'escudo) valable sur tous les territoires portugais, à l'exception de l'Inde.

La politique agricole cherche à augmenter la surface cultivable mais le Portugal

connaît tout de même la famine durant la guerre.

L'enseignement est réformé : la formation des enseignants est améliorée, la scolarité

est rendue obligatoire de 7 à 10 ans. L'orthographe est simplifiée. L'assistance

publique et la protection de l'enfance se développent. Les universités de Lisbonne et

de Porto sont créées.

Les ouvriers, encore peu nombreux, s'organisent et demandent de meilleurs conditions

de vie : le droit de grève est reconnu, une loi sur les accidents du travail est votée, le

jour de repos hebdomadaire est instauré. En 1912, le pays connaît pourtant sa

première grève générale.

Mais la politique de laïcisation qu'elle conduit lui met à dos l'Église et une population

restée majoritairement catholique. En 1910, les congrégations éducatives religieuses

sont à nouveau expulsées, l'enseignement religieux interdit, les biens de l'Église

nationalisés au profit de l'assistance publique, le mariage civil instauré et le divorce

légalisé. En 1911, la séparation de l'Église et de l'État est proclamée.

Enfin, le 21 août 1911, la nouvelle constitution est adoptée. Manuel de Arriaga devient

président et nomme João Chagas chef du gouvernement.

Ces changements se reflètent dans la vie culturelle particulièrement riche de l'époque

(Fernando Pessoa, la revue Orpheu, Almada Negreiros, Mário de Sá-Carneiro...).

Le cinéma connaît un grand succès dès ses débuts.

Les divisions

Afonso Costa

Page 57: Histoire Du Portugal

Les divisions surgissent d'abord entre les vainqueurs eux-mêmes ; unis pour renverser

la monarchie, ils se découvrent divisés sur la politique à suivre. Dès 1911, le Parti

républicain se scinde en trois: le Parti démocratique d'Afonso Costa prônant des

mesures radicales rapides, le Parti évolutionniste d'António José de Almeida et le Parti

unioniste de Brito Camacho plutôt conciliant et modéré.

Naissent alors de nouveaux débats stériles ; les controverses renversent les

gouvernements et plongent le pays dans l'anarchie, condamnant le régime. Pas moins

de huit présidents et une cinquantaine de gouvernements se succédent en 16 ans.

Cette agitation contraste avec l'apathie des masses populaires. Les espoirs mis dans

la république s'évaporent.

Les conflits sociaux se succèdent : alors que les partisans les plus radicaux du régime

lui reprochent un manque de préoccupations sociales et syndicales, l'anticléricalisme

du régime est devenu un défaut qui fait le succès des milieux conservateurs.

Il faut dire que de nombreux mouvements catholiques sont nés depuis le début du

siècle en réaction aux politiques anticléricales (l'Intégralisme lusitanien, le Centre

académique de la Démocratie chrétienne (CADC) créé par un certain Salazar, le

Centre catholique portugais...). Leur action est d'autant plus efficace qu'elle rencontre

le soutien des couches populaires. Beaucoup de ces groupes rejettent la démocratie,

la république, le parlementarisme et le libéralisme, au profit d'un régime fort. Ils

profitent de la guerre et de la colonisation de l'Afrique qui permet un retour des

congrégations, l'urgence étant de faire face à la concurrence des missions

protestantes étrangères. Enfin, les apparitions de Fátima en 1917 sont à mettre au

compte de ce combat contre la laïcisation du pays.

Certains de ces groupes se joignent aux partis monarchistes (le Parti Légitimiste) pour

réclamer le retour du roi sur le trône. Les partisans de Manuel II d'abord puis des

descendants de Michel Ierlancent des expéditions depuis l'Espagne (en 1912 puis en

1915).

Page 58: Histoire Du Portugal

La guerre et ses conséquences

Article détaillé : Histoire militaire du Portugal pendant la première guerre mondiale.

Sidónio Pais

Devant les difficultés, le 1er janvier 1915, le président Manuel de Arriaga, nomme un

militaire, le général Pimenta de Castro, chef de gouvernement. Face à l'agitation, celui-

ci reporte les élections et interrompt les travaux de l'assemblée. L'opposition est

d'abord séduite mais les démocrates et les francs-maçons vont s'opposer violemment

jusqu'à mettre fin à cette dictature de fait, cinq mois plus tard, lors du coup d'état du 14

mai 1915.

Si la République entre en guerre malgré son pacifisme c'est entre autres pour protéger

le reste de son empire colonial. Il s'agit aussi de se démarquer de l'Espagne alliée des

Allemands. Il faut dire que les monarchistes et les cléricaux sont davantage attirés par

ces derniers pays que par une France laïque ou une Grande-Bretagne anglicane qui

lorgne sur les colonies portugaises. Ce sera pourtant à la demande de ce dernier pays

que le Portugal s'empare des 36 navires allemands mouillant dans ses eaux, amenant

Berlin à lui déclarer la guerre en mars 1916.

Un gouvernement d'union sacrée est nommé, mais l'effort de guerre aggrave la crise

économique et le désordre pour porter au pouvoir un dictateur : le 5 décembre 1917,

un coup d'État place Sidónio Pais à la tête du pays. Il instaure une Nouvelle

République : l'assemblée est dissoute, le pouvoir du président renforcé (il doit même

être élu au suffrage universel), les liens avec le Vatican renoués, les opposants

poursuivis et la presse censurée. C'est le triomphe des germanophiles, opposés à

l'intervention portugaise, et de la droite monarchiste et catholique, adeptes d'un régime

fort.

C'est dans cette ambiance que le Corps Expéditionnaire Portugais (CEP), composé de

45 000 hommes, préparé par José Norton de Matos est envoyé en France. D'autres

troupes sont envoyées en Angola et au Mozambique. Le CEP commandé par Gomes

Page 59: Histoire Du Portugal

da Costa, est gravement défait lors de la bataille de la Lys le 9 avril 1918. Sidónio Pais

refuse d'envoyer des renforts dans les Flandres.

Le Portugal a tout de même gagné sa place au côté des Alliés durant les négociations

des traités de paix, ce qui lui permet d'obtenir des indemnités de l'Allemagne et une

reconnaissance de ses possessions africaines.

Avec la fin de la guerre, le pays se retrouve au bord de la faillite. La nouvelle du

nombre de morts, le rationnement, l'épidémie de grippe espagnole, la répression,

aggravent l'agitation sociale et renforcent le pouvoir des monarchistes et des

réactionnaires. C'est dans ce climat que Sidónio Pais est assassiné le 14 décembre

1918.

La classe ouvrière s'est renforcée avec la création de syndicats. En 1921, est créé

le Parti communiste portugais (PCP). Des groupes anarchistes et nihilistes font peser

un climat de terreur sur le pays. L'émigration vers le Brésil apparaît comme une porte

de sortie et permet d'équilibrer la balance commerciale. Tout cela ajouté aux divisions

politiques fait que, jusqu'en 1926, l'histoire de la république ne sera plus qu'une suite

de coups d'états manqués, de mutineries et de crises gouvernementales.

Face à l'agitation, des juntes militaires se forment pour rétablir le calme. La nomination

du nouveau gouvernement déclenche une réaction des monarchistes : des juntes

militaires se forment au Nord et au Sud. Elles en appellent à un régime fort contre le

retour de la « vieille république » née de la constitution de 1911. Le 19 janvier 1919,

sous l'influence du groupe Integralismo Lusitano, elles proclament le rétablissement de

la monarchie à Porto et à Lisbonne. Le mouvement dirigé par Paiva Couceiro, se

répand dans le nord du pays : la « Monarchie du Nord » fonctionne un moment comme

un territoire indépendant. Le 22 janvier, les juntes de Lisbonne se soulèvent mais sont

encerclées par les troupes républicaines dès le 24. Celles-ci entrent dans Porto le 13

février et rétablissent la République dans tout le pays.

Le nouveau gouvernement tente d'imposer le calme en renforçant les pouvoirs de la

police (GNR). Cela ne fait que créer un nouveau facteur de déstabilisation du régime :

les ministères tombent les uns après les autres. Le chef de la GNR est bientôt

condamné pour corruption. On menace de désarmer cette police devenue trop

puissante.

Alors que les conservateurs remportent les élections, dans la nuit du 19 octobre 1921,

a lieu la noite sangrenta (la « nuit sanglante ») : la révolte est menée par le

colonel Manuel Maria Coelho,Camilo de Oliveira et Cortês dos Santos, officiers de la

GNR et du capitaine de frégate Procópio de Freitas. Plusieurs personnalités

républicaines sont assassinées dont António Granjo, chef du gouvernement, Machado

Santos et José Carlos da Maia. Règlement de comptes ou volonté d'aggraver le

désordre, le fait est que le gouvernement démissionne. Les rebelles sont discrédités et

la GNR désarmée.

Le 27 novembre 1921, le Parti démocrate et le Parti libéral s'entendent sur un

programme d'assainissement des finances et de retour à l'ordre public. Bien que les

Page 60: Histoire Du Portugal

désaccords et les tentatives de coup d'État se poursuivent, les événements ont mis en

évidence le besoin d'un régime fort inspiré du modèle italien. Le groupe Integralismo

Lusitano inspiré des thèses de Charles Maurras voit son influence augmenter. Opposé

à lui, le groupe Seara Nova tente de son côté de proposer des réformes pour le pays.

Pourtant, tout deux s'accordent là-dessus. Même les milieux ouvriers finissent par se

lasser des appels à la grève.

L'armée et ses officiers auréolés du prestige de la guerre sont amenés de plus en plus

souvent à intervenir dans la vie politique du pays et semblent les plus à même

d'instaurer ce régime fort. En avril 1925, des militaires tentent déjà de prendre le

pouvoir inspirés par la dictature militaire de Primo de Rivera en Espagne.

La dictature

La dictature militaire

Le général Gomes da Costa

Le 28 mai 1926, un coup d'État militaire dirigé par le général Gomes da Costa met fin à

la République. Ce geste est d'abord un mouvement de révolte contre la corruption et la

dégradation de la vie politique, maux associés au parlementarisme. Il n'est pourtant

pas étranger aux idéologies fascistes venues d'Italie, d'Espagne et des associations

catholiques (Intégralisme Lusitanien, le CADC de Salazar...). Ainsi, le régime hésite

longtemps sur la voie à suivre : les monarchistes espèrent un moment le retour du roi

avant que celui-ci ne meure en 1932. La République survit donc sous une forme

autoritaire. Mais elle va lentement évoluer.

Le pouvoir reste d'abord aux mains des militaires : il est confié à Mendes

Cabeçadas bientôt renversé par Gomes da Costa (17 juin), lui-même renversé par le

général monarchiste João José Sinel de Cordes (9 juillet). Il nomme Óscar Carmona à

la présidence. Jusqu'en 1928, les dirigeants tentent de rétablir les finances sans y

parvenir suscitant de nouveaux mécontentements et des mouvements sociaux, qui à

Page 61: Histoire Du Portugal

leur tour renforcent l'autoritarisme et la répression. Le Portugal doit même se résoudre

à demander l'aide de la Société des Nations.

Cette éventualité est vécue comme une humiliation. Des révoltes éclatent ; l'échec de

celle menée par les républicains en février 1927 les pousse à l'exil. Le climat s'apaise

momentanément.

Le 27 avril 1928, un nouveau gouvernement d'ouverture est nommé par Carmona,

avec, pour la première fois, un certain António de Oliveira Salazar au poste de ministre

des Finances. Considéré comme l'homme de la situation depuis la publication de son

plan pour rétablir l'équilibre budgétaire, il accepte le poste à la condition d'avoir un droit

de regard sur toutes les dépenses publiques. Il contrôle ainsi, de fait, toutes les

initiatives ministérielles. Néanmoins, dès 1929, l'équilibre budgétaire est atteint et sera

maintenu jusqu'à la guerre.

L’Estado Novo de Salazar

Antonio de Oliveira Salazar

Salazar impose petit à petit son autorité sur le gouvernement jusqu'à détenir entre ses

seules mains la destinée du Portugal pour les quatre décennies suivantes.

Ancien professeur d'économie à l'université de Coimbra, issu des milieux catholiques

conservateurs, sa pensée politique est un compromis entre les divers courants de

droite : rejet du communisme, du libéralisme politique et économique, foi dans un État

fort et autoritaire. Il est profondément conservateur,nationaliste, un nationalisme qui

génère une méfiance envers toute influence étrangère et alimente une nostalgie pour

le milieu rural, considéré comme idéal. Il a le soutien des milieux financiers, des grands

patrons, de l'Église, de l'Armée et des monarchistes.

Page 62: Histoire Du Portugal

Il crée son propre parti en 1930 : l'Union nationale. Puis, en 1932, lors de discours qui

ne concernent plus seulement la finance, il pose les principes du régime politique qu'il

veut instaurer : antiparlementarisme, parti unique et système régulateur de l'économie

(le conditionnalisme économique). La même année, il est nommé président du Conseil

tout en conservant le portefeuille des Finances.

En 1933, la nouvelle constitution portugaise, l’Estado Novo, entre en vigueur. De

teneur présidentielle, elle admet l'existence d'une Assemblée nationale et d'une

Chambre Corporative composée par des éléments liés à des corps de métiers. Dans la

pratique, le président est une figure inconsistante, l'Assemblée nationale est occupée

par des partisans du régime et le pouvoir est concentré entre les mains de Salazar.

Les syndicats et les anciens partis politiques disparaissent, à l'exception du Parti

communiste portugais (fondé en 1921), qui passe dans la clandestinité et dont les

dirigeants sont durement persécutés par la police politique (appelée d'abord la PVDE,

puis la PIDE). La censure, rétablie en 1926, est renforcée et les grèves interdites. En

1936, sont créés la « Légion portugaise » et la « Jeunesse Portugaise », dont le but est

d'encadrer la population et d'inculquer aux jeunes du pays les idées du régime. Salazar

apporte son soutien à Franco avec l'intervention des Viriatos aux côtés des troupes

franquistes.

En 1940, un concordat signé avec l'Église lui restitue ses biens et renoue les liens

avec le Vatican.

Jusqu'en 1937, divers mouvements essaient de renverser le régime sans y parvenir :

Salazar échappe à un attentat le 4 juillet 1937. Son pouvoir augmente et il finit par

gouverner seul, se considérant comme le « guide de la nation ».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Portugal reste neutre : tout en se rapprochant

de l'Allemagne et de l'Espagne (avec la signature du traité d'amitié et de non-agression

ou Pacte Ibériquede 1939) afin de mieux échapper à la tutelle anglaise, il vend des

matières premières qui servent à la construction du matériel de guerre et assurent une

certaine prospérité au pays. En 1943, il cède aux Alliés une base militaire aux Açores.

Le régime vit son apogée : les 800 ans du pays et les 300 ans de la restauration

donnent lieu à des célébrations grandioses visant à glorifier le passé.

La fin de la guerre laisse penser que le pays va suivre le mouvement de libération qui

souffle sur l'Europe. Mais ce n'est que sous la pression que le régime s'assouplit

légèrement : lors des élections de 1945, les groupes politiques sont autorisés même

s'ils restent peu audibles. La censure se fait moins forte. Le pays connaît une grande

effervescence politique qui révèle un mécontentement général. Le parti unique ne doit

finalement sa victoire qu'au retrait de l'opposition. Ces élections permettent surtout à la

PIDE de repérer les opposants. Dès lors, le régime et la répression se durcissent.

Les élections suivantes, sur le même modèle, permettent également de donner le

change à l'étranger. Celles de 1949 voient l’opposition s'unir autour de José Norton de

Matos. Sa campagne vigoureuse, pendant laquelle il dénonce la répression et la

censure, fait trembler le régime sur ses bases. Mais une fois encore, la loi électorale

Page 63: Histoire Du Portugal

oblige Norton de Matos à se retirer. L'opposition ne retrouvera pas de sitôt une telle

union. Surtout que pour les États-Unis, le régime apparaît bientôt comme un rempart

au communisme. En 1949, le Portugal entre dans l'OTAN et en 1955 à l'ONU.

Sa politique coloniale suscite bien quelques critiques à l'étranger qui l'amène à

changer la constitution, à créer un statut des indigènes. On parle désormais de

« provinces d'outre-mer ».

À la mort de Carmona, le candidat de Salazar, Francisco Craveiro Lopes, est élu

président sans difficulté en 1951. Le régime engage une grande politique de travaux

publics, avec des hausses de salaire ; dans le même temps, la répression se durcit à

mesure que Salazar s'isole : arrestations arbitraires, tortures...

En 1958, le régime vit une nouvelle crise: les critiques surgissent cette fois de la

nouvelle génération issue de son camp. Pour les élections, Craveiro Lopes est même

écarté au profit d'Américo Tomás et l’opposition s'unit autour d’Humberto Delgado qui

semble un moment en mesure de les emporter. Le fonctionnement du scrutin ne lui

laisse aucune chance. Après les élections, il est obligé de se réfugier au Brésil.

Humberto Delgado

L'agitation ne cesse pas. Dans les années 1960, le Portugal connaît une forte vague

d'émigration. Une émigration qui change de nature : ce ne sont plus des colons partant

pour l'Afrique, des aventuriers partant faire fortune au Brésil ou des opposants

politiques. Cette fois les destinations principales des Portugais à la recherche de

meilleurs conditions de vie, sont la France et l'Allemagne de l'Ouest. Le régime essaie

de freiner cette émigration, qui fragilise une économie reposant en grande partie sur

une main d'œuvre bon marché. D'un autre côté, la source de devises qu'elle

représente pour le pays oblige le régime a adopter une position ambigüe.

Les contestations viennent bientôt de milieux proches du pouvoir: en janvier 1961, des

exilés politiques, menés par Henrique Galvão et Humberto Delgado, capturent le

paquebot Santa Maria. Le 10 novembre 1961, le détournement d'un avion

entre Casablanca et Lisbonne, l'opération Vagô, sert à distribuer despamphlets anti-

Page 64: Histoire Du Portugal

salazaristes. C'est la première action de ce genre dans le monde. La même année, le

ministre de la Défense, Botelho Moniz, tente un coup d'État. L'occasion lui est offerte

par le massacre de colons portugais en Angola, le 15 mars 1961. Cet événement va

marquer le début des Guerres coloniales portugaises, en Angola, en Guinée et

au Mozambique. Tandis que les pressions internationales poussent le pays à entamer

une décolonisation, les partisans d'une solution pacifique se voient écartés par Salazar

et l'opinion publique portugaise pour qui cette solution est tout simplement impensable.

Les mouvements indépendantistes se propagent dans les colonies portugaises : le 19

décembre 1961, les troupes indiennes envahissent les territoires portugais

de Goa, Daman et Diu (Opération Vijay). L'affaire est vécue comme une tragédie

nationale : l'empire et la grandeur du pays sont menacés.

La métropole réagit en portant à deux ans la durée du service militaire dans les

territoires d'outre-mer. Salazar tente de faire taire les critiques internationales en

autorisant les investissements étrangers dans le pays et les colonies et en développant

l'enseignement dans les colonies. En même temps, il encourage l'émigration vers les

colonies afin d'augmenter la présence portugaise. Les colonies assurent des

débouchés à l'industrie portugaise mais accentuent d'autant la dépendance de la

métropole.

En 1962, un mouvement étudiant parti de Lisbonne secoue fortement le pays. Le

recteur de l'université de Coimbra, Marcelo Caetano, acquiert une certaine popularité

en dénonçant l'atteinte à l'autonomie des universités. La répression est forte mais les

facultés deviennent des foyers d'opposition.

Cette fin de règne marquée par la contestation interne et internationale coïncide avec

les problèmes de sénilité de Salazar. La division règne dans le parti, la censure et la

PIDE contrôlent tout. La répression est très forte.

En 1965, Humberto Delgado est assassiné. La responsabilité du régime ne fait aucun

doute40. En 1968, c'est Mário Soares qui est déporté à São Tomé.

Page 65: Histoire Du Portugal

L'ouverture marceliste

Marcelo Caetano

En 1968, après une chute, Salazar est victime d'un hématome cérébral et semble

condamné. Le président nomme Marcelo Caetano à la tête du gouvernement (23

septembre 1968). Celui-ci a le soutien des courants réformistes du régime. L'attente

est grande et Caetano est conscient du besoin de changement. Mais, surveillé par les

milieux conservateurs, malgré quelques concessions à l'opposition, il n'ose pas

entamer les réformes de fond : sur le plan des libertés, il supprime les pleins pouvoirs

de la PIDE, modère la censure, autorise les réunions de l'opposition ; sur le plan

économique, il se tourne vers l'Europe et ouvre le pays aux investissements étrangers.

Il s'engage même vers une autonomie des colonies. Mais ces tentatives de moderniser

le pays s'accordent mal avec la poursuite de la guerre coloniale. Le régime ne change

pas, le gouvernement non plus et les troupes continuent d'être envoyées en Afrique41.

Cela provoque une nouvelle vague d'émigration.

Même si l'opposition est présente lors des élections de 1969, le fonctionnement des

élections ne lui laisse aucune chance d'être représentée. L'abstention est très forte.

Des dissensions surgissent au sein du parti majoritaire. Dans ce système, la

contestation efficace ne peut venir que des proches du régime : ce n'est donc pas un

hasard si les militaires qui ont instauré ce régime seront aussi les premiers à

véritablement le remettre en cause. Directement impliqués en Afrique, ils se rendent

bien compte que l'obstination absurde de ce régime, à contre-courant de l'histoire, pour

sauvegarder les restes d'un Empire met en péril des vies humaines et l'économie

nationale. Pour eux, la solution à ce conflit est forcément politique.

La contestation vient également des milieux les plus éduqués : les grèves étudiantes

entre 1968 et 1970 sont d'une grande ampleur.

La situation du pays s'aggrave encore en 1972 et 1973 : le pays est touché par la crise

mondiale. Le prestige de l'armée est mis à mal par les guérillas indépendantistes

africaines. Certains officiers supérieurs soupçonnent même le régime de vouloir jouer

Page 66: Histoire Du Portugal

le pourrissement du conflit pour leur faire porter le chapeau de la défaite. Le mal-être

de l'armée augmente. Des milieux catholiques surgissent des voix discordantes. Si la

répression politique et la censure touchent surtout les milieux intellectuels, la guerre

finit par toucher toutes les familles. Le mécontentement augmente.

En juillet 1973, deux décrets visant à faciliter l'avancement au sein de l'armée afin de

parer au déficit de candidats provoque la colère de certains capitaines. Cette colère

donne naissance à un mouvement de contestation, d'abord corporatiste mais qui se

politise : le Mouvement des Forces Armées (MFA)42.

En 1974, les choses se précipitent avec la sortie d'un livre : le prestigieux gouverneur

de Guinée, António de Spínola, grand militaire, jusque là proche du régime et ne

pouvant être soupçonné de lâcheté, remet en question les choix stratégiques en

Afrique sans pourtant appeler à la fin du régime. Il démissionne de son poste en

septembre 1973. La publication de son livre Portugal e o Futuro (Le Portugal et son

avenir) fait grand bruit. Ses prises de positions font tomber un tabou et ouvrent la voie

à d'autres. Il est bientôt démis de ses fonctions.

Le MFA se réunit à plusieurs reprises ; les réunions sont houleuses car les officiers se

divisent sur la voie à suivre: le coup d'État ou la voie légaliste? Cette dernière reste

majoritaire. Costa Gomes et Spínola sont d'ailleurs choisis comme chefs du

mouvement. Une commission est chargée d'élaborer un programme politique42.

Une première tentative de coup d'État à Caldas da Rainha échoue le 16 mars 1974. Il

est difficile de savoir qui prend l'initiative de cette action. Ce qui est certain c'est que la

voie légale est oubliée. Le vote du programme politique du MFA rassure ceux qui

craignaient le retour d'une dictature militaire. Deux jours auparavant, Caetano reçoit les

officiers des forces armées afin de s'assurer de leur soutien : l'absence de Spínola et

de Costa Gomes atteste de la condamnation du régime. Le retrait des décrets

polémiques n'a pas ramené le calme dans les troupes42.

La révolution des Œillets

Article détaillé : Révolution des Œillets.

Hommage au 25 avril 1974

Page 67: Histoire Du Portugal

Le 25 avril 1974, au petit matin, le régime salazariste est renversé par un coup d'État

militaire. Arrivé à bout, sans soutien, il ne résiste pas longtemps. Tout le monde est

surpris par le soutien populaire qui légitime cette action. Marcelo Caetano se rend à la

condition de transmettre le pouvoir à un officier. Il remet sa démission à 18 heures au

général António de Spínola.

Le pouvoir est confié à la Junte de salut national qui doit gouverner jusqu’à la

constitution d’un gouvernement provisoire. Les membres sont choisis parmi les

différents corps de l’Armée. Ils sont choisis pour leur prestige et n'adhèrent pas

forcément au programme du MFA.

Les premiers moments d'euphorie générale qui culmine lors de la célébration du

1er mai, voient la libération des prisonniers politiques, le retour triomphal des opposants

exilés (Mario Soares du Parti socialiste et Alvaro Cunhal du Parti communiste) et la fin

de la censure.

Mais le ver est dans le fruit. L'objectif commun des protagonistes - en finir avec ce

régime et la guerre - ne suffit plus à préserver leur unité. Les divisions sont profondes

en ce qui concerne la voie à suivre. D'un côté, on trouve le MFA (Mouvement des

forces armées), regroupant les jeunes officiers à l'origine du coup d'État, dont Otelo

Saraiva de Carvalho ou Salgueiro Maia. Leur programme prône un changement

radical, très à gauche, que l'on peut résumer par le triptyque "démocratiser,

décoloniser, développer". De l'autre, un vieux général qui assume la présidence de la

république. Il représente la légitimité du mouvement et rassure les milieux

conservateurs qui craignent les débordements populaires. Lui, défend un retour à la

normale progressif basé sur les anciennes institutions. Il préconise aussi d'unir les

colonies africaines dans une fédération portugaise à l'image du Commonwealth43. Le

conflit est inéluctable.

Cette divergence sur la voie à suivre est à l'origine d'une période de grande agitation

politique de deux ans, communément appelée PREC (Processus révolutionnaire en

cours) et marquée par une vague d'attentats.

Le 25 avril au soir, le général cherche à remettre en cause l'idée d'autodétermination

immédiate pour les colonies et le programme économique du MFA. Celui-ci le prend de

vitesse en divulguant son programme dans la presse afin d'obtenir le soutien populaire

et d'empêcher toute remise en cause de ce plan : celui-ci propose d'instaurer une

démocratie dans laquelle les militaires doivent céder la place aux partis politiques42.

Cela rassure le pays et assure dès lors un soutien populaire au MFA.

Dès lors, on craint une réaction de la droite militaire. L’indiscipline règne dans l’Armée

et toute la hiérarchie militaire en est bouleversée. Une course s'engage entre le MFA et

le général pour imposer ses vues auprès de la population. Le pays connaît une

véritable explosion sociale : manifestations, grèves, occupation d'usines.

Le 16 mai 1974, un premier gouvernement provisoire est nommé dirigé par Adelino da

Palma Carlos. Il comprend des figures des principaux partis politiques comme Mario

Soares (Parti socialiste), Alvaro Cunhal (Parti communiste) et Francisco Sà

Page 68: Histoire Du Portugal

Carneiro (Parti social-démocrate). Les dissensions sont trop fortes pour mettre en

place une politique et, considérant n'avoir aucune marge de manœuvre, Palma Carlos

démissionne.

Vasco dos Santos Gonçalves

Le MFA décide de reprendre les choses en main en nommant un proche au poste de

premier ministre : le général Vasco dos Santos Gonçalves. Il met également en place

le COPCON (Commandement Opérationnel du Continent), dirigé par Otelo Saraiva de

Carvalho et chargé de maintenir l'ordre et de s'assurer de l'application du programme

du MFA. Le but est clairement de limiter l'action du Président de la République44.

Lors d'un discours resté célèbre, le 10 septembre 1974, Spínola en appelle à

la majorité silencieuse pour faire face aux extrémistes qui veulent imposer leur voie au

pays. Son appel provoque une réaction inverse à celle attendue: la gauche se mobilise

contre ce qu'elle considère comme une menace réactionnaire. Spínola démissionne en

prédisant le pire pour le pays.

Rien ne peut plus arrêter l'émancipation des colonies : le 10 juillet 1974, le vote de la

loi constitutionnelle reconnaît le droit à l'autodétermination et l'annulation de l'article I

de la constitution déclarant que ces terres sont partie intégrante du Portugal. Le 10

décembre, la Guinée-Bissau déclare son indépendance, suivie du Mozambique (25

juin 1975), du Cap-Vert (5 juillet 1975), de São Tomé et Principe (12 juillet 1975) et de

l'Angola et de Cabinda(11 novembre 1975). Même si ces pays tombent dans la sphère

d'influence de l'Union soviétique, le Portugal réussit à préserver ses relations avec

eux45.

Les élections pour l'Assemblée Constituante sont prévues pour le 25 avril 1975.

L'union sacrée a disparu. C'est alors qu'éclate un coup d'État dans lequel se trouve

impliqué Spínola (11 mars 1975). Le COPCON maîtrise rapidement la situation

contraignant le général à l'exil. Cet événement provoque une radicalisation de la

révolution46: le MFA impose une nationalisation des banques et des compagnies

d'assurance, puis de la sidérurgie, de l'électricité et des transports.

On a désormais d'un côté le MFA soutenu par l'extrême gauche et de l'autre les

modérés (le PS à gauche et le PSD à droite). Le MFA impose à tous les partis sa

domination sur la vie politique durant une période de transition de cinq ans.

Page 69: Histoire Du Portugal

Les idées révolutionnaires sont diffusées dans la population par les forces armées

(COPCON) et l'extrême gauche (LUAR): cela passe par une campagne

d'alphabétisation, des assemblées de quartiers, des occupations d'entreprises et

d'exploitations agricoles...

Otelo Saraiva de Carvalho

Avec une participation très forte, les élections voient pourtant la victoire du PS et le

rejet de l'extrême gauche. Néanmoins, le gouvernement reste en place : les

nationalisations et la réforme agraire se poursuivent, les salaires sont augmentés... Le

non-respect des élections oblige les ministres socialistes, à démissionner, suivis

bientôt des ministres socio-démocrates. Le pays est au bord de la guerre civile47.

Le 26 juillet 1975, dans l'attente de la formation d'un nouveau gouvernement, est mis

en place un triumvirat doté de tous les pouvoirs et composé des générauxFrancisco da

Costa Gomes, Vasco Gonçalves et Otelo de Carvalho. La division entre radicaux et

modérés se reflète à présent au sein même du MFA. Le Parti communiste, isolé, prend

ses distances avec le gouvernement.

Sans soutien, le chef du gouvernement démissionne le 29 août 1975. Il est remplacé

par l'amiral José Baptista Pinheiro de Azevedo, qui rassemble des modérés autour de

lui. Mais l'agitation se poursuit : grèves, manifestations, mises à sac... L'Armée est

complètement désorganisée.

Le mois d'octobre est marqué par des attentats : le 7 novembre, un groupe de

parachutistes fait exploser l'émetteur de Radio Renascença ; le 13, des ouvriers en

grève prennent 250 députés et le Premier ministre en otage. Celui-ci démissionne le 20

novembre48.

Le 21 novembre 1975, une décision met le feu aux poudres : Otelo de Carvalho, jugé

trop marqué à l'extrême gauche, est remplacé au poste de commandement de la

région de Lisbonne. Le 25 novembre 1975, des unités de parachutistes tentent un

soulèvement qui échoue. Otelo de Carvalho et le reste de l'Armée refusent d'y prendre

part. L'état d'urgence est proclamé, qui provoque un véritable choc dans le pays.

Page 70: Histoire Du Portugal

L'installation de la démocratie

António Ramalho Eanes

L'insurrection du 25 novembre 1975 annonce la fin du processus révolutionnaire et du

rôle du MFA dans la vie politique. C'est la victoire des modérés. Le pays entre dans

une phase de normalisation avec l'adoption de la constitution, le 2 avril 1976 (qui se

propose d'établir une démocratie socialiste49), l'élection deRamalho Eanes à la tête de

l'État et la nomination du gouvernement socialiste de Mário Soares50. L'Armée est

réorganisée et subordonnée au pouvoir civil51.

Ce nouveau gouvernement doit faire face à une terrible crise économique, accentuée

par l'arrivée de 700 000 rapatriés d'Afrique.

Soares entreprend une politique d'austérité52 tout en faisant appel à l'aide

internationale. Cette aide s'accompagne de conditions drastiques avec l'objectif de

rétablir l'équilibre des comptes publics. Il amorce par ailleurs une politique visant à

intégrer au plus vite l'Union européenne. Malgré tous ces efforts la crise mondiale ne

permet pas de rétablir les finances et d'améliorer la situation économique.

Le projet de réforme agraire qui continue de diviser la gauche et agite les campagnes

finit par provoquer une véritable crise politique : le Parti communiste, fortement opposé

au projet, ajoute ses voix à la droite pour destituer le gouvernement53.

En 1978, la crise politique se prolongeant, le président finit par trouver un compromis

en intégrant trois personnalités de droite au gouvernement de Soares. Cette coalition

ne tient pas longtemps. En juillet, le président démet le Premier ministre. Trois

gouvernements se succèdent à son initiative. Cette instabilité traduit la fragilité des

institutions et l'incertitude sur la voie à suivre. On craint une présidentialisattion du

régime54. La situation économique tend néanmoins à se stabiliser.

Les élections de 1979 et 1980 voient la victoire d'une coalition de droite menée

par Francisco Sá Carneiro et affirment clairement le rejet d'un régime présidentiel : une

révision de la constitution est engagée dans ce sens50. Celle-ci, adoptée le 12 août

1982, permet de limiter le rôle des militaires et du Président de la République dans la

vie politique. Elle instaure un régime parlementaire et supprime toute référence au

Page 71: Histoire Du Portugal

socialisme55. Le gouvernement à beau remettre en cause certains acquis de la

révolution, il remporte quelques succès dans sa lutte contre le chômage et l'inflation.

Pourtant le conflit avec la gauche et le président est inévitable. Des grèves secouent le

pays. Aux présidentielles de décembre 1980, Ramalho Eanes est réélu grâce à son

image d'homme intègre.

L'instabilité politique se poursuit : à Sá Carneiro, mystérieusement disparu,

succède Francisco Pinto Balsemão avant de démissionner une première fois le 11 août

1981. Cette fois, la contestation vient de sa propre coalition. La situation économique

est à nouveau difficile. Eanes lui demande de former un autre gouvernement. Le

nouveau gouvernement propose un plan d'austérité.

Pinto Balsemão démissionne à nouveau le 20 décembre 1982 après un échec relatif

aux élections municipales. Les législatives anticipées de 1983 signent le retour de

Mário Soares : refusant l'alliance avec les communistes, il devient le chef d'une

coalition droite (Parti social-démocrate)-gauche (Parti socialiste)56. La situation

économique et sociale est toujours aussi préoccupante. Mário Soares reprend la

politique d'austérité afin d'obtenir la confiance des milieux financiers. De larges

secteurs de l'économie sont ouverts aux capitaux privés. Les succès sont mitigés : le

déficit budgétaire se réduit mais le chômage reste important. Les commémorations des

dix ans de la révolution se font dans un climat d'amertume et une certaine nostalgie du

salazarisme.

Durant ces années, le pays est touché par des attentats organisés par le groupe

d'extême-gauche FP-25 (Forces Populaires du 25 avril). En 1984, plusieurs de ses

membres sont arrêtés, dont Otelo Saraiva de Carvalho, figure historique de la

révolution. Cette arrestation très contestée provoque l'émoi de la population57.

L'éclatement de la coalition PS-PSD en 1985 est surtout le fait de la droite en pleine

réorganisation : le principal opposant à Pinto Balsemão, Aníbal Cavaco Silva, prend sa

place à la tête du parti de droite. Il dénonce aussitôt l'alliance avec le PS, provoquant

le départ des ministres socio-démocrates et la démission de Mário Soares.

Après les législatives d'octobre 1985, la droite, menée par Aníbal Cavaco Silva, revient

au pouvoir avec une marge de manœuvre restreinte en l'absence de majorité absolue.

Le parti de l'ancien président (PRD) prend la tête de l'opposition à sa politique. En avril

1987, il réussit à renverser le gouvernement par une motion de censure. Des élections

anticipées sont alors organisées qui non seulement confirment les résultats précédents

mais renforcent le parti au pouvoir.

L'entrée dans l'Union Européenne

Le 12 juin 1985, le Portugal signe son adhésion officielle à la Communauté

européenne. Cette adhésion impose au pays de profonds ajustements pour rattraper

son retard économique.

Page 72: Histoire Du Portugal

Aníbal Cavaco Silva

Cette nouvelle période est marquée par l'élection, pour la première fois depuis 60 ans,

d'un civil à la tête de l'État: Mário Soares est élu le 16 février 1986. La majorité absolue

obtenue par le PSD en 1987 permet par ailleurs une stabilisation durable de la vie

politique.

Le pays connaît une forte croissance. Il bénéficie des fonds structurels européens qui

lui permettent de rattraper son retard58. Mais l'entrée dans la Communauté européenne

impose aussi une politique d'austérité. Le gouvernement d'Aníbal Cavaco Silva mène

une politique de libéralisation économique et beaucoup d'entreprises sont privatisées.

Cela passe obligatoirement par une nouvelle révision constitutionnelle votée en juillet

1989. Avec la fin de la réforme agraire c'est encore un acquis de la révolution qui

disparaît.

Les élections de 1991 confirment encore la domination du PSD. Mais les tensions avec

le président Mário Soares, réélu lui aussi, se multiplient à partir de cette date. Jusqu'en

1995, elles accompagnent les tensions sociales conséquences de la politique de

rigueur.

Après 10 ans de pouvoir, la contestation à l'intérieur du PSD précipite la chute de

Cavaco Silva. Le Parti socialiste manque de peu la majorité absolue aux législatives de

1995 : António Guterres devient premier ministre et Jorge Sampaio est élu président

de la République. L'entrée dans l'euro impose néanmoins la poursuite de la rigueur

économique. Les déçus du socialisme n'empêchent pas Guterres d'être reconduit en

1999.

Les dernières années ont changé le pays de manière radicale. Le succès de

l'exposition universelle de 1998 à Lisbonne (Expo '98) est un moment important de

communion nationale. Malgré la disparition des derniers vestiges de l'Empire, avec la

rétrocession de Macao à la Chine en 1999, le pays a su retrouver sa fierté. En 2000, le

Portugal réussit à faire partie des pays adoptant la monnaie unique (l'euro). Enfin, en

2004, le pays parvient à organiser le Championnat d'Europe de football.

Page 73: Histoire Du Portugal

Si Jorge Sampaio est réélu président de la République (14 janvier 2001), les

législatives anticipées de 2002 voient la victoire du PSD qui forme une coalition de

gouvernement avec le CDS-PP (droite). L'année 2005 voit la victoire aux élections

législatives, à la majorité absolue, du Parti Socialiste (PS) portugais alors qu'Anibal

Cavaco Silva devient Président de la République en 2006 ouvrant une nouvelle

période de cohabitation.

Crises[

En 2009, de nouvelles élections législatives confirment la domination du PS portugais

même si celui-ci n'a plus la majorité absolue. En effet, un premier plan d'austérité a mis

à mal son autorité. Il faut dire que la situation financière du pays est critique. Le déficit

public est passé en un an de 2,7 % à 9,4 % du PIB.

Bien que 2010 voit le déficit se réduire, l'effort reste encore trop faible malgré les

discours du gouvernement qui affirme le contraire. Par ailleurs l'agitation sociale gagne

le pays.

En mars 2011, la réalité le rattrape et le premier ministre José Socrates annonce un

nouveau plan d'austérité pour faire face aux conséquences de la crise économique.

L'opposition et le Président récusent les mesures préconisées ainsi que la méthode

utilisée. José Socrates décide alors d'engager sa responsabilité sur le Pacte de Stabilié

et de Croissance nationale auprès du parlement.

Son gouvernement compte en effet sur la responsabilité de l'opposition pour ne pas

ajouter une crise politique à la crise économique et sociale du pays. Mais son plan est

rejeté par tous les partis politiques (à gauche comme à droite) et Socrates n'a pas

d'autres choix que de présenter sa démission (23 mars 2011). Le Président dissout

l'assemblée et convoque des élections pour le 5 juin 2011. Avant même d'attendre le

résultat des élections le gouvernement fait appel à l'aide européenne. En contrepartie

un plan d'austérité drastique (privatisations, baisse des salaires de la fonction publique,

plafonnement des aides sociales, augmentations des taxes)...est annoncé qui engage

le prochain gouvernement quel qu'il soit.

L'opposition emporte les élections législatives.