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I'Idée européenne dans la résistance à travers la presse clandestine en France et en pologne, 1939–1945

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Page 1: I'Idée européenne dans la résistance à travers la presse clandestine en France et en pologne, 1939–1945

I&tory of Europcon Idees. Vol. IO, No. 2, pp. 231-235, 1989

Printed in Great Britain

0191-6599/89 $3.00 + 0.00 ‘; 1989 Pergamon Press plc

CONCEPTIONS EUROPfiENNES DANS LES RkSISTANCES

I’IdBe europbenne dans la Rbsistance 6 travers la Presse clandestine en France et en Pologne, 1939-1945, Tadeusz Wyrwa (Paris, Nouvelles Editions Latines, 1987), 237 pp., n-p.

HENRI BRUGMANS

Depuis la parution de I’ouvrage fondamental du regrettt Walter Lipgens, on croyait savoir l’essentiel a ce sujet. Aujourd’hui, Wyrwa vient d’ajouter des elements nouveaux a notre connaissance. La valeur documentaire de sa recherche est considerable, d’autant plus qu’environ le tiers du livre se compose de citations.

Dans le titre de notre compte-rendu, on peut constater deux pluriels. En effet, s’il est vrai que tous les resistants ont travail16 pour chasser l’occupant, Ieurs projets d’avenir ont souvent diverge, selon les orientations politiques de chacun mais aussi selon la situation particulitre du pays en question. Seuls les communistes ont suivi la meme ligne partout, sous reserve des modifications que pouvait leur imposer Moscou.

La Belgique a connu un regime militaire, relativement clement. La Hollande, par contre, a vecu sous I’autoritt ‘civile’, done directement nazie, bien pire. Le Danemark a connu une situation privilegibe, quelles qu’en aient et6 les raisons, alors que la soeur scandinave norvtgienne a don& le nom de ‘Quisling’ & une collaboration humiliante et sans merci. La Yougoslavie, elle, v&cut une guerre civile triangulaire, les tchesniks combattant a la fois les Allemands et les partisans de Tito. 11 est evident que, dans ces circonstances diverses, la Resistance eut des colorations differentes, de pays a pays. Dans la mesure oti elle a reflichi a I’apres guerre, elle a formule des propositions souvent divergentes.

Prenons le cas qui nous est offert ici. Les contrastes abondent et toucbent quelquefois a l’essentiel.

D’abord, la Pologne a et& attaqute en 1939, de deux c&&s, Hitler et Stalin &ant tomb& d’accord pour dtpecer le pays. Ce fait a rendu quasi-impossible une Resistance d’obtdience communiste. Elle l’etait d’ailleurs d’autant moins que le P.C. polonais avait et6 physiquem~nt liquidee par Moscou, peu de temps auparavant. Lorsque fut connu la nouvelle des massacres de Katyn, aucune alliance n’etait plus pensable entre communisme et patriotisme polonais. D’autre part, vers la fin de l’occupation, tous commencerent 5 comprendre 1”horrible r&alit& d’une annexion russe de la Pologne orientale et de l’imposition d’un gouvemement-fantome. L’attente joyeuse de la liberation a venir, fut interdite aux Polonais.

*Rector Europae Collegii Emeritus, 167 Langestraat, B-8000 Bruges, Belgium.

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Ensuite, en France, s’il y eut Cgalement une division du territoire, celle-ci concernait une zone directement occupee, opposte B une autre ou la ~ollaboratiun vichyssoise pouvait faire illusion. Meme les resistants francais les pIus tcit engages dans le combat, pouvaient bprouver Ie besoin de ne pas heurter dr front la personnaliti: et le regime de Philippe PCtain, les deux jouissant pendant longtemps encore d’une populariti: reelle. Par contre, l’appel du General de Gaulle, le 18 juin 1940, n’eut pendant longtemps, que des tchos tres faibles. Quant a la position des communistes, elle itait tout sauf resistante au cows des premiers mois, mais devint active et efficace apres l’invasion de I’URSS. Une fois lances, les communistes, familiers dune lutte clandestine, purent mettre sur pied tout un rnouvement de Resistance arm&e Cies Francs Tireurs et Partisans) qui subit de grosses pertes mais se prepara a~tivement au jour de la Liberation quand le pouvoir serait-apparsemment-a prendre.

Enfin, les gouvernements polonais et tchecoslovaque en exil a Londres, se rencontr~rent pour esquisser une cooperation etroite entre les deux pays apres la guerre. El est vrai que le President Benes etait des plus hesitants a cet Cgard, prevoyant de son c&C que jamais Staline ne consentirait a quelque formation de pouvoir politique inttgre, dans ce qui allait devenir son domaine d’influence. Le debat s’est deroule pendant un certain temps dans la presse clandestine polonaise, jusqu’a la mort, restee toujours mysterieuse, du General Sikorski, &me du projet. I1 va de soi qu’en France, aucun theme de reflexion comparable ne pouvait exister. Les Polonais, au contraire, en faisant des pians pour l’Europe future, ne pouvaient pas ne pas s’occuper du projet londonien.

Nous avons dit plus haut que le principal objectif des RQistants, quelles que soient leurs aspirations, etait, bien s0r, de se libher du joug nazi. ParalHement, on n’a pas seulement regard6 l’avenir: on a egaiement t&fit de juger le passe. A cet egard aussi, on constate une convergence des analyses et des conclusians.

En Pologne tout aussi bien qu’en France, les clandestins proclamtrent hautement qu’a leur avis, la debacle militaire n’etait pas due tiniquement & des erreurs strattgiques ou tactiques. Le ma1 avait et6 plus profond. La semi- ditmocratie que les Poionais avaient connue sous le Mar&ha1 Pilsoudski et ses successeurs, avait laisstt Ie peuple sans programme concret, sans ferveur, sans motifs de fierte-et m&me sans preparation militaire adEtquate!

De leur c&6, tes Franqais avaient vitcu I’interbeIlum comme une ptriode de decheance nationaIe et intern~tionale. Leur ditmocratie parlementaire avait et& rongee par une corruption politique, voire m&me, B certains moments, par la corruption tout court. Le Front Populaire avait, pour quelques mois, donnk un Clan plein de joie et d’esperance, mais la Gauche avait et6 affaiblie par I’incompatibilite entre ses deux traditions: I’antimiIitarisme et l’antifascisme, Enfin, la “drcile de guerre’“, au lieu d’etre un sursis permettant une preparation offensive, avait tttt une pause d’immobilisme.

I1 etait done normal que le sursaut que fut la premiere Resistance, se suit accompagnt dun examen de conscience national et qu’il en ait rbulte une critique severe du pas&, de m5me qu’un besoin intense de.renouveau pour”plus tard”. Dans ce &mat, t’idee europeenne a emerge. Visiblement, la mystique nationahste n’avait plus opere comme cela wait Ctt le cas en 1914. Ii fallait desormais penser ‘au-del& des concepts nationaux traditionn~ls’. II fallait penser ‘Europe’!

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La presse clandestine devint l’expression la plus nette des id&es nouvelles: ‘en Pologne il s’agissait d’une Gritable avalanche de joumaux clandestins’(p. 27). En France, signalons aussi, ‘on a dQombrC 1200 titres’ (p_ 28), alors que la presse ‘officielle’ s’efforgait de tromper l’opinion en la fixant sur le Tour de France ou des nouvelles ti sensation sans ink& (ce qui faisait mieux passer la propagande allemande et nazie). Signalons particulikrement, dans ce contexte, l’oeuvre de salubritt mentale accomplie par des publications comme ‘Combat’, ‘LibCrer et FtdCrer’, ‘Franc Tireur’ et, plus encore en profondeur, les ‘Cahiers du TCmoignage Chrttien’. Combat, notamment, exprime parfaitement la situation, en dtkembre 1941 en disant: ‘Nous lutterons contre l’anesthbie du peuple

fran$ais’. Trks t&, il apparait aux yeux des combattants que le malaise de l’avant-guerre

et, par con&quent, les chances de renouveau apr’es, ne concernent pas seulement tel pays, mais tout un ensemble. D’une part, ‘la guerre actuelle est avant tout une guerre pour difendre le fondement mCme de notre civilisation’, comme l’bcrit un journal polonais. D’autre part, on ne dCfend bien que ce qu’on rkussit k renouveler, g rtnover. Seule une ‘rtvolution’ intkgrale pourra sawer cette civilisation malade.

Or cette ‘rkvolution’ ne sera pas romantique ou pittoresque: elle se manifestera avant tout dans la conscience des hommes et dans un cadre plus large que celui de la nation. ‘Ce n’est pas une classe qu’il faut abattre, c’est un esprit’, scion un organe d”Ctudiants parisiens. Et Henri Frenay dans Combaf transfkk B Alger, le 12 dkembre 1943: ‘Les hommes de la RCsistance europttenne seront demain les b&isseurs de 1’Europe nouvelle’ (p. 88).

De quel genre d’Europe s’agissait-il? 11 faut bien avouer que la presse clandestine, 5 la fois polonaise et franGaise, n’a

pas su &laborer un texte aussi explicite que le Manifesto di Venfotene qu’Altiero Spinelli et Ernest0 Rossi r&dig&rent dans leur ‘confine’. 11 est vrai que les ptrils et les tensions d’une vie clandestine se p&tent moins g une rtflexion sereine. Cependant quelques tlkments positifs imergent, surtout en France (en Pologne, la perspective d’une lib&ration par 1’ArmCe Rouge rendra la participation du pays B une entente europkenne libre, de moins enmoins probable). Ici nous devons nous rtfkrer particulibrement au chapitre V, ‘L’Ardeur d’Unification de l’Europe’, alors que le chapitre suivant traite ‘La France et l’organisation europtenne’.

En 1944 And& Hauriou a peut-etre le mieux rtsumi notre probieme, en Ccrivant, dans un livre paru B Alger: ‘l’occupation a crki entre de nombreux pays de I’Europe une solidaritt de malheur’ (p. 91).

11 faut avoir personnellement participk au mouvement pour reconnaitre, combien cette constatation est vraie. Pourtant, les formes que devrait prendre cette union restent floues. Certaines citations cornparent ce processus souhaitl: avec le risorgimento italien, l’unification allemande et m&me avec la centralisation frawaise B travers la Rtvolution. Ces pays seraient devenus ainsi ‘des grands Etats modernes’ (p. 90). C’Ctait, avec les meilleures intentions, poser la question europtenne aussi ma1 que possible.

Curieusement, B cet ‘europkisme’ souvent ambigiie, il s’ajoute un facteur d’imp~rialism~ culture1 franFais. Dans L>ilfense de fa fhzce du ler novembre 1942, on trouve la phrase suivante: ‘la France est nkessaire au monde parce qu’elle incarne la civilisation chrttienne’. Et Franc Tireur du ler mars ‘44 ne

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craint pas d’ecrire que la France constitue ‘le lieu de rencontre gtographique des grands courants mondiaux’, si bien que ‘malgri son abaissement provisoire’, elle demeurerait ‘la seule nation capable de proposer au monde, d’essayer devant lui, la synthese de la revolution Cconomique et de la liberte, la liberation du pouvoir de l’argent et des trusts harmonists avec le respect de la personne humaine, la fondation d’un nouvel humanisme rtvolutionnaire, aussi loin du desordre capitaliste, de l’itgoi’sme petit-bourgeois que de la dictature totalitaire’ (p. 95).

11 n’est pas difficile de comprendre de tels exces de langage. A la France qui, pendant relativement longtemps, avait adhere a Pttain, il ttait sans doute indispensable de donner un nouvel espoir, une ambition nationale nouvelle. II n’en reste pas moins qu’un tel brevet ~autosatisfaction collective constituait une mauvaise entree en matiere pour appeler les Europeens a l’union fraternelle, done Cgalitaire et sans preponderance nationale aucune.

Toutefois, ne terminons pas sur cette note embarrassante. Le fait reste que, au fur et a mesure 06 la victoire s’annon~ait, les intuitions anterieures semblaient se

concretiser. Certes, des incertitudes subsistent. Le manifeste du ‘Mouvement de Liberation Nationale’ de la region lyonnaise, en essayant de preciser son programme, tcrit: ‘nous entendons lutter pour la creation d’une federation europtene, democratique, ouverte a tous les peuples europeens, y compris 1’Angleterre et I’URSS (p. 98).

Ici encore il faut comprendre. La solidarite entre 1’Union Sovittique et les Allies occidentaux constituait la Pierre angulaire de l’effort de guerre. L’ArmCe Rouge jouisait dune popularitt immense. Pourtant-une Federation allant jusqu’a Vladivostok? Peut-2tre a-t-on simplement pen& a YOural, qui ne constitut: aucune vraie frontitre, m2me pas entre deux Republiques socialistes. En tout cas, l’illusion est d’autant plus frappante que le MLN etait un ensemble

de sept mouvements parmi les plus ‘strieux’. Par contre, les redacteur de ce programme ont bien saisi la difference

essentielle entre une integration fed&ale et une Ligue comme la defunte Socitte des Nations. Voici les phrases dicisives: les gouvernements nationaux auront ‘leur autonomie administrative, linguistique, culturelle’, mais ‘seront subor- donnes au gouvernement federal lorsqu’il s’agira de questions interessant l’ensemble des Etats federis’. Et l’hebdomadaire du Mouvement precisera le 14 juillet 1944 (remarquez la date!) que ‘toutes les nations d’Europe accepteront de perdre une partie de leur souverainett politique et economique, et toute leur souverainete militaire. A cette condition pourra naitre un Etat europeen, seul capable en presence des btocs russe et americain, de resister a leur colonisation conjuguie ou antagoniste, et de provoquer sur le continent pacifii un grand essor Cconomique’. Le titre du journal qui publia ces paroles prophttiques ttait: la

Marseillaise! MCme preoccupation en Pologne, mais avec des concretisations differentes. LB

aussi, la volonte de ne pas tomber sous l’emprise d’un empire est evidente. Mais en 1943 deja, l’idee dune Europe unie int~gralement-la ‘Paneuropa’ du Comte Richard Coudenhove-Kalergi -fait place a celle d’une concentration centre-europtenne, que nous avons deja mentionnte. L’union entre la Pologne et la Tchtcoslovaquie ‘doit constituer le centre autour duquel s’organisera 1’Europe centrale’. Federalisme? Oui, sans doute. Mais la preoccupation d’un Benes-ne

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pas provoquer lYJRSS--se montra helas ?, historiquement plus reelfe que ceiie des rbistants polonais qui rkaient d’un ‘B6nilux’ d’Europe Centrale.

Vers la fin de la guerre, la pens&e clandestine en France et en Pologne s’eloignent de plus en plus I’une de I’autre. Voici qu’un journal socialiste polonais n’hesite pas a exprimer ses deceptions. Certes, une union centre-europeenne serait un ideal. Mais ‘cela est deja trop pour la politique imptrialiste des Sovietiques’ (mai ‘43, p. 118). Par contre, les voix francaises deviennent moms europtennes et davantage diplomatiques, moins rhlistes. Ainsi, l’ambassadeur Jean-Daniel Jurgensen veut ‘restaurer la notion de t’alliance franco-russe’. Et aifleurs: ‘Aux deux extrcmites du continent europeen, la France et la Russie s’equitibrent natureIlement~ (p. 125).

Nous savons, en effet, que la se trouvait l’une des pens&es profondes du General de Gaulle, qui alla a Moscou pour en proposer le programme, afin de faire front g l’empire americain. Nous savons aussi que Staline n’a trouve aucune seduction dans l’idte, si bien que ce pan de mur dans la politique exttrieure gaullienne s’est vite effondre.

Pourtant, le projet europeen n’etait pas mort. Nous n’en voulons pour preuve que le F&deralisme persistant dun Vincent Auriof, qui allait devenir bientot President de la Republique. Dans ses memoires, it a des phrases qui en disent long. 11 declare notamment: ‘La Fed&ration europtenne est la Confederation inter-continentale sont une ntcessite. Elles sont la condition fondamentale de toute vie normale, de toute Paix’ (p. 131). Malheureusement, lui aussi continuait a penser que Moscou n’allait pas empkher des entreprises aussi ambitieuses. L’URSS n’itait-elle pas elk-m21me une Federation? Ne vivait-elle pas un module de vie politique fed&ale? Nous ignorons jusqu’g quand Aurioi conserva de telles illusions. Mais nous savons qu’il est rest& perso~nellement fi&le a l’idte federaliste jusqu’a la fin de ses jours.

La conclusion de notre volume se resume dans Ie titre du chapitre final: ‘Que subsiste-t-i1 de 1’IdCe europeenne de la Resistance?. Bonne question, en effet, B laquelle on ne peut que donner une ‘reponse de Normand’: peu de chose et beaucoup.

Peu de chose, car immkdiatement apres la Lib&ration, les gouvernements nationaux ont dfi se prtcipiter sur les problkmes imm~diats~ repression judiciaire envers les collaborateurs, reconstruction administrative et materielle. Les grands projets d’avenir semblent disparaitre.

Mais en mCme temps, un livre comme celui de Tadeusz Wyrwa demontre de man&e tclatante, combient tous les arguments en faveur dune Federation europeenne-la plupart d’entre eux sont devenus des banalit~s-ont constitui des sources d’espoir au tours de la longue nuit.

C’est pourquoi la lecture de cet ouvrage, si convaincant a cause de tant de citations qui ne mentent pas, devrait &tre du ‘compulsory reading’ pour une generation europCenne qui monte et qui a eu le bonheur et le malheur de ne pas connaitre ‘cela’.

Henri Brugmans