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LOUBATIÈRES Laure Teulières HISTOIRE DES IMMIGRATIONS EN MIDI-PYRÉNÉES HISTOIRE DES IMMIGRATIONS EN MIDI-PYRÉNÉES XIX e -XX e SIÈCLES XIX e -XX e SIÈCLES

Immigrations en Midi-Pyrénées

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DESCRIPTION

Ces dernières décennies ont vu s’engager une profonde relecture de l’apport des immigrés aux sociétés contemporaines et, singulièrement, à la société française. À l’échelle nationale, une abondante bibliographie existe qui permet d’aborder les différentes phases de l’immigration contemporaine comme les grandes questions que recoupe cette thématique. De même qu’on trouve beaucoup d’études spécifiques et de monographies locales sur telle ou telle vague migratoire ou sur une population particulière inscrite dans un espace défini (département, localité, ville, quartier). Mais on ne disposait pas de vraies synthèses régionales ; la dimension régionale de l’histoire de l’immigration restait un parent pauvre de l’historiographie constituée par plusieurs générations de chercheurs. C’est pour pallier cette relative lacune qu’un programme d’étude à vocation nationale a été réalisé sur l’histoire et la mémoire des immigrations en région.

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LOUBATIÈRES

Laure TeulièresHISTOIRE DES IMMIGRATIONSEN MIDI-PYRÉNÉES

HISTOIRE DES IMMIGRATIONSEN MIDI-PYRÉNÉESXIXe-XXe SIÈCLESXIXe-XXe SIÈCLES

Cet ouvrage a été publié avec l’aide de l’Acsé.

ISBN 978-2-86266-624-2

© Nouvelles Éditions Loubatières, 201010 bis, boulevard de l’Europe – BP 50014

31122 Portet-sur-Garonne cedex

[email protected]

www.libre-parcours.fr

Photographie de couverture : Juan Huichal

Laure Teulières

LOUBATIÈRES

HISTOIRE DES IMMIGRATIONSEN MIDI-PYRÉNÉESXIXe-XXe SIÈCLES

avec la contribution de Fabienne Souchet pour la dernière partie

Cyriaque Cerros et son épouse Françoise Barba Y Madrid, tous deux natifsde Valdepeñas (Espagne) et arrivés en France à Labruguière en 1923.À gauche, leur fille Jeanne et à droite, sa sœur, Luisa, née en 1920,

dont le prénom, inconnu en France, a été traduit par « Alice »,prénom qu'elle gardera toute sa vie.

La photo date de 1924 un an après leur arrivée, où le père s’est déjà acheté une bicyclette. (Coll. S. Nègre)

INTRODUCTION

Faire connaître l’histoire de l’immigration. Offrir une synthèse desconnaissances à l’échelle de la région Midi-Pyrénées. Partager les résultatsdes recherches sur le sujet. Autant d’objectifs qui expliquent et justifient lapublication de ce livre.

Ces dernières décennies ont vu s’engager une profonde relecture del’apport des immigrés aux sociétés contemporaines et singulièrement à lasociété française. À l’échelle nationale, une abondante bibliographie existedésormais et permet d’aborder les différentes phases de l’immigrationcontemporaine comme les grandes questions que recoupe cette thématique.Il y a aussi beaucoup d’études spécifiques, de monographies locales surtelle ou telle vague migratoire ou sur une population particulière inscritedans un espace circonscrit (département, localité, ville, quartier). Mais onne disposait pas jusqu’à présent de vraies synthèses régionales. Autrementdit, la dimension régionale de l’histoire de l’immigration restait un des pa-rents pauvres de l’historiographie qui s’est constituée sur le sujet à traversplusieurs générations de chercheurs.

C’est pour pallier cette relative lacune qu’un programme d’étude à vo-cation nationale a été réalisé sur l’histoire et la mémoire des immigrationsen région. Afin d’avoir une vue d’ensemble et dans la durée des processussociaux-historiques en cause, mais dans la singularité propre à chaque entitéterritoriale. L’initiative en revient à l’Agence nationale pour la cohésion so-ciale et l’égalité des chances (ACSÉ) qui a commandité cette opération, enlien avec la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) et sous la

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coordination scientifique d’une équipe de l’EHESS (laboratoire « Genèseet transformation des mondes sociaux  ») dirigée par Gérard Noiriel. Lemarché d’étude, divisé en lots géographiques, à permis de couvrir chacunedes régions françaises, outremer compris. C’est ainsi qu’une étude intitulée« Histoire et mémoire des immigrations en région Midi-Pyrénées » a étéréalisée presque deux années durant sous ma direction, au titre du laboratoireFRAMESPA (CNRS UMR 5136) de l’Université Toulouse-Le Mirail. Lerapport final a été remis en juin 2007. Au vu des résultats, la direction ré-gionale Midi-Pyrénées de l’ACSÉ, désormais fondue dans le pôle cohésionsociale de la Direction régionale de la Jeunesse et des Sports et de laCohésion sociale (DRJSCS), a ensuite décidé de soutenir la publication dela partie « synthèse historique » de cette étude.

Le présent ouvrage est le résultat de ce travail et de cette volonté d’enpartager l’acquis auprès du public. Le dernier chapitre, portant sur lapériode la plus récente, a été élaboré à partir de la contribution initiale dela sociologue Fabienne Souchet que je salue ici pour sa collaboration. Leshistoriennes Julia Ponrouch et Caroline Barrera ont aussi concouru à l’écri-ture de quelques passages.

Dans sa forme et son gabarit, le récit historique répond à la commandeinitiale du marché d’étude. Le but était de faire le point sur les travauxexistants afin d’en établir une synthèse. Il était précisé d’emblée que cerécit devait être rédigé dans une approche et un style adaptés à une lecturegrand public en vue d’une diffusion ultérieure. C’était l’un des enjeux ex-plicites de l’opération. Cette Histoire des immigrations en Midi-Pyrénéesprésente donc un panorama survolant presque deux cents ans, du XIXe auXXe siècle. L’exploration a en effet permis de répertorier plus de 750 réfé-rences bibliographiques directement liées au sujet dans le cadre régional :ouvrages, articles scientifiques, mais également des travaux universitairesplus confidentiels (rapports, études, thèses de doctorat, maîtrises, autresmémoires académiques), parfois de grande qualité mais n’ayant pas donnélieu à publication. Très disparate, éparpillée dans les bibliothèques desection des universités ou dans les centres de documentation des laboratoires,cette « littérature grise » est souvent vouée à rester ignorée du public. L’ob-jectif est donc de mettre au jour cette richesse documentaire pour faire

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connaître dans son ensemble le travail accompli par les spécialistes. Pourplus de fluidité, l’éditeur a souhaité alléger l’appareil critique et les notes.Mais l’ouvrage offre néanmoins au lecteur une vaste gamme de référencesbibliographiques pouvant accompagner sa curiosité et guider ses lecturesultérieures. Chacun fera son miel à sa guise pour approfondir aux meilleuressources les aspects de son choix.

À l’échelle d’un territoire régional, l’historiographie fait ressortir un pa-norama inégal et incomplet. Certaines périodes, et/ou territoires, et/oupopulations immigrées ont été très bien couverts, d’autres encore forts peuou médiocrement explorés. La synthèse historique produite est inévitable-ment tributaire de ces contraintes et de ces manques. En Midi-Pyrénées, iln’est pas surprenant qu’un intérêt précoce se soit manifesté pour l’exil es-pagnol. La forte présence d’Espagnols dans la région a en effet suscité detrès nombreuses maîtrises à l’Université Toulouse-Le Mirail, aussi bien enhistoire que dans le cadre des études hispaniques, la grande majorité portantsur la Retirada post-guerre civile, l’accueil et le traitement des réfugiés ré-publicains, puis la dimension culturelle de leur exil, son organisation poli-tique et l’héritage politico-culturel qu’il a laissé. Cette approche est déclinéedans sa dimension territoriale par des mémoires couvrant la plupart desdépartements midi-pyrénéens et le cas particulier de Toulouse. En dirigeantces travaux de recherche de premier niveau, plusieurs universitaires ontcontribué à l’exploration approfondie de ce sujet. Dans les années récentesdivers ouvrages grand public ont valorisé les résultats de toutes ces re-cherches. Par comparaison, l’immigration espagnole économique apparaîtbeaucoup moins systématiquement étudiée, et d’autres vagues migratoiresrestent à ce jour mal documentées.

Quelles sont les grandes lignes de cette histoire ? Au XIXe siècle, les étran-gers sont encore très peu nombreux en Midi-Pyrénées et leur apport restemarginal au regard du demi-million d’habitants perdu par la région durantla seconde moitié du siècle du fait de la dénatalité. Car l’économie est fai-blement attractive et les pôles industriels se suffisent de la main-d’oeuvrelocale. Les étrangers présents composent néanmoins une population bigarréeexerçant toutes sortes d’activités, notamment des métiers forains caracté-ristiques de la vie de l’époque. L’appoint d’immigrants espagnols augmente

introduction

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peu à peu, pour tes tâches de maœuvres et comme travailleurs « flottants »des chantiers d’infrastructures (construction de chemins de fer par exem-ple).

C’est en fait la Grande Guerre, parce que les Français sont massivementmobilisés, qui va provoquer un appel inédit à la main-d’oeuvre étrangèreet coloniale, même si celle-là ne vient que de façon transitoire et sera rapa-triée une fois la paix revenue. L’entre-deux-guerres renforce ensuite ce tour-nant avec le quasi-triplement de la présence étrangère sur la décennie 1921-1931, l’immigration devenant plus organisée, les mouvements temporairesperdant de leur importance devant l’établissement d’une main-d’œuvrepermanente dans une logique de repeuplement. C’est particulièrement netdans les campagnes et l’immigration devient dans la région très largementrurale. Ce qui permet d’ailleurs à Midi-Pyrénées de rester un territoire at-tractif malgré la crise économique des années 1930 : l’effectif des étrangerscontinue d’y augmenter alors qu’il diminue globalement en France. L’exilespagnol de 1939, puis les mouvements causés par la Seconde Guerremondiale, amenant beaucoup de réfugiés (antifascistes et/ou juifs en parti-culier), joueront dans le même sens, ce qui explique le nombre recordd’étrangers dans la région au recensement de 1946, en chiffres absoluscomme en proportion des habitants.

Durant les Trente Glorieuses (1945-1974), la croissance économiqueétant inférieure à la moyenne nationale, le profil de la population étrangèrerésulte plus du stock ancien que des nouveaux flux, bien réels cependant.Jusqu’à la fin des années 1960, le nombre d’étrangers diminue constamment,les nouveaux arrivants ne suffisant pas à compenser les départs, les décès etsurtout les naturalisations des étrangers déjà installés dans la région. Aprèsune légère remontée au recensement de 1975, la population étrangère di-minuera sans cesse jusqu’à la fin du XXe siècle, passant en 1990 sous lenombre atteint en 1931. Si on comptabilise par contre les personnes d’as-cendance étrangère, leur nombre n’a cessé d’augmenter au sein de la popu-lation régionale.

Parmi les points caractéristiques de cette histoire de l’immigration enMidi-Pyrénées, l’importance bien sûr de la présence espagnole. Le voisinagepyrénéen constitue une donnée structurelle, générant des migrations fron-

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talières qui ont de longtemps irrigué l’ensemble du Sud-Ouest. Au XIXe siè-cle, la prédominance des Espagnols est sans partage parmi les étrangersprésents. D’importants flux migratoires, y compris l’exil post-guerre civile,se maintiennent ensuite jusqu’à la fin des Trente Glorieuses. D’où le faitque les Espagnols forment la première nationalité présente à l’échelle deMidi-Pyrénées jusqu’en 1931 (et le demeurent en Ariège, Hautes-Pyrénées,Lot, Aveyron, Tarn), puis à nouveau à partir de 1945. À la fin du XXe siècle,les quelque 36 000 immigrés originaires d’Espagne représentent encore20 % du total de ceux recensés en 1999.

Les années 1920 voient cependant l’arrivée massive de nouvelles popu-lations, en particulier des Polonais pour les mines et plus encore des paysansitaliens venus reprendre comme exploitants les fermes à l’abandon dubassin de la Garonne. Il y a aussi des flux moindre de Belges, de Suissesainsi que de réfugiés russes, arméniens ou juifs d’Europe orientale, certainsétant considérés apatrides. Dans les années 1930, les Italiens passent entête des nationalités présentes et le restent durablement dans certains dé-partements : Haute-Garonne (jusqu’en 1954), Tarn-et-Garonne (jusqu’en1975) et Gers où ils sont en proportion les plus nombreux. L’effectif destrois principales nationalités est cependant en baisse dès les années 1950,baisse très marquée pour les Italiens et les Polonais, du fait du vieillissementet des naturalisations, freinés par de nouvelles arrivées pour les Espagnols.

Au cours des Trente Glorieuses, la nouveauté vient de la montée enpuissance des immigrations maghrébines et lusitaniennes. Des « Françaismusulmans d’Algérie  » au temps de la colonisation, puis des Algériensaprès l’indépendance de 1962 viennent travailler dans l’industrie et laconstruction, plus ou moins rapidement rejoints par leurs familles. Quantau nombre de Portugais, il double en Midi-Pyrénées entre 1946-1962,puis sextuple pour atteindre 26865 en 1975. À cette date, les Espagnolssont encore les plus nombreux (plus du tiers de la population étrangère),avant les Portugais (22 %) et les Italiens (16 %). En 1982, les Algériens(13,4 %) et les Marocains (11,8 %) se placent désormais devant les Italiens.L’immigration marocaine est en effet devenue très importante au cours desannées 1970-1980, notamment pour répondre à la demande de salariésagricoles.

introduction

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La période la plus récente se caractérise, comme partout en France, parune diversification des origines nationales. La vague de réfugiés du Sud-Est asiatique marque l’arrivée d’une autre composante entre 1975 et ledébut des années 1980. Il y a aussi l’immigration de l’Afrique subsahariennequi est assez récente dans la région, avec certaines spécificités et un ancrageavant tout toulousain. La diversification s’est accélérée au cours des an-nées 1990 et 2000. Outre le regroupement familial ou les études, lademande d’asile tendant à devenir le seul moyen permettant à certainespopulations de pénétrer sur le territoire européen, elle représente une partcroissante dans les entrées et amène des personnes d’origines très variées. Ilfaut aussi mentionner les nouveaux flux d’immigrés de niveau social élevé,actifs hautement qualifiés ou retraités, en provenance notamment du Nordde l’Europe. Phénomène récent au regard de l’histoire des flux migratoiresrégionaux, la présence de ces populations s’est accélérée dans les dernièresdécennies. D’où une nouvelle figure de l’immigré, bien différente de celledes vagues antérieures. Au total, la population immigrée est aujourd’hui lerésultat de ces apports successifs et contrastés. C’est cette mise en perspectivehistorique qui permet d’en comprendre la diversité.

histoire des immigrations en midi-pyrénées

1.

JUSQU’AU SORTIR DE LA GRANDE GUERRE

MOBILITÉS D’ANTAN

Le dernier tiers du XIXe siècle ouvre l’histoire de l’immigration contem-poraine en France. Mais la présence de migrants est bien sûr autrementplus ancienne, tout comme la distinction de qui est étranger, même si celarecouvrait des contours spécifiques révélateurs de la société d’autrefois.Une étude donne un éclairage pour Toulouse sous l’Ancien Régime grâceà un registre de 1720 pour le capitoulat de Saint-Barthélémy 1. Parmi ceuxvenus d’au-delà des frontières du royaume, il y a plus de deux tiers deTransalpins, dont des marins génois remontant le Canal du Midi pourfaire commerce, beaucoup d’artisans spécialisés du bâtiment (marbrierslucquois, peintres, stucateurs, sculpteurs, etc.) et des artistes de rue, maisaussi des marchands juifs de Cologne ou Francfort, des horlogers suisses,quelques nobles prussiens… les 10 % d’Espagnols sont surtout pèlerins oumendiants. Au temps des Lumières, la ville héberge en outre une colonied’Hibernois (Irlandais), dits Jacobites, exilés pour exercer librement leurcatholicisme, ayant leur propre collège. La notion d’« étrangers » est ce-pendant beaucoup plus large à l’époque : elle englobe de fait tous les non-résidants de la ville qui sont indistinctement considérés tels et désignéscomme « forains » 2 par les Toulousains et les autorités.

Divers mouvements de population parcourent la société traditionnelleet se recomposent avec les prémisses d’industrialisation dans le Midi pyré-néen. Beaucoup sont d’ordre saisonnier : migrations de récoltes (moissons,vendanges), trimardeurs de la morte-saison, ressaïres (scieurs de long) des-

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cendus de la « Montagne », débardeurs, cureurs de fossés, colporteurs, ou-vriers du bâtiment… La Haute-Garonne, par exemple, reçoit annuellementau début du XIXe siècle 400 scieurs de long du Massif central, des ferblantiers,couteliers et rémouleurs auvergnats, des étameurs et ouvriers du cuivre ita-liens, des fondeurs suisses, des ramoneurs d’Auvergne et de Savoie (territoirene faisant alors pas partie de la France), des marchands forains vendant desproduits de leur région (cotonnades de Rouen, toiles des Flandres ou deBretagne), etc.

Les étrangers participent donc aux mobilités de travail et de négoce, aumilieu de tant de provinciaux français dont ils ne se distinguent pas sensible-ment. Du point de vue des mentalités de l’époque, « l’étranger » est alorscelui qui n’appartient pas à l’espace local. Dans sa thèse sur Carmaux, RolandeTrempé souligne que ce terme « désigne d’abord les Français non originairesde la région tarnaise ; en second lieu, il qualifie vraiment des immigrés » 3.L’appartenance nationale n’est qu’une caractéristique parmi d’autres quandles Français qui circulent sont aussi porteurs de particularismes culturels etd’étrangeté… D’autant que, jusqu’à la Grande Guerre, l’entrée des personnessur le territoire français demeure libre, un passeport suffit pour passer lafrontière. Les flux ont donc un caractère spontané et peu contrôlé.

MOUVEMENTS CONJOINTS D’ÉMIGRATIONET D’IMMIGRATION

Dans ces circulations migratoires, on doit d’ailleurs prendre en comptejusque dans la première moitié du XIXe siècle des mouvements antagonisteset complémentaires qui ont vu la région être à la fois une terre fournissantet attirant des hommes. Une synthèse des rapports de préfets sous le PremierEmpire 4 illustre l’importance de ces mouvements inter-régionaux où lesétrangers stricto sensu n’ont encore qu’une très faible place. Dans le Lot, leTarn-et-Garonne ou le Gers, la prospérité de l’agriculture exige l’apportrégulier de travailleurs temporaires, contribuant à créer des foyers d’appelde main-d’œuvre. Les Pyrénées centrales sont par contre une zone de départ(tout comme le Massif central ou les Alpes) : Haute-Garonne, Hautes-Py-

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rénées et surtout Ariège, département qui fournit plus de 2000 émigrantsannuels au début du XIXe siècle. Ceux-là « descendent  » vers les plainesd’Aquitaine ou du Languedoc pour s’y faire vendangeurs ou moissonneurs.D’autres partent, de façon très comparable, s’embaucher au sud des Pyré-nées. La Haute-Garonne reçoit alors du côté de Saint-Gaudens 400 mois-sonneurs espagnols quand elle fournit 1200 journaliers à l’Espagne, surtoutcomme travailleurs agricoles ; les Hautes-Pyrénées voient arriver une centained’Espagnols pour curer les fossés, plus quelques chaudronniers, ramoneursou revendeurs ambulants, quand quatre fois plus de ses habitants – surtoutdes vallées de Barèges, Campan, Aure et Barousse – passent la frontièredans l’autre sens pour travailler comme manœuvres. Sans parler des spé-cialistes de la forge à la catalane 5, mise au point au XVIIe siècle dans lecomté de Foix et l’Est des Pyrénées. Cette innovation dans le procédédirect de réduction du minerai de fer produisait davantage de métal touten économisant le charbon de bois, elle ne disparaîtra qu’à la fin du XIXe

siècle. Se déplaçant généralement en équipe combinant les divers métiersnécessaires, des forgeurs ariégeois vont dans les Pyrénées espagnoles, an-dorranes et leurs piémonts proposer leur savoir-faire bien adapté aux pos-sibilités de l’environnement montagnard et de la civilisation agro-pastoraletraditionnelle. Tous ces mouvements migratoires antagonistes sont moinscaractérisés par le franchissement d’une frontière nationale que par le faitde s’arracher à son petit « pays » pour gagner une autre région.

UNE PRÉSENCE IMMIGRÉE CROISSANTEMAIS ENCORE TRÈS FAIBLE

En 1851, 379000 étrangers sont recensés en France, 7839 à peine dansles huit départements qui forment aujourd’hui Midi-Pyrénées, un vasteterritoire de faible immigration puisque les étrangers y atteignent 0,3 % dela population totale (contre 1 % au niveau national) ; outre la Haute-Ga-ronne, seul le département du Gers, fort d’une agriculture prospère, dépasseles 2000 étrangers présents. L’immigration ira ensuite croissant jusqu’à laGrande Guerre, mais sur un rythme très modéré. En 1872, les 12911

jusqu’au sortir de la grande guerre

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étrangers recensés ne représentent encore que 0,5 % de la population duMidi pyrénéen.

Le Sud-Ouest est alors en voie de dépeuplement, tendance longue quis’aggrave durant le dernier quart du XIXe siècle. Dans tous les arrondisse-ments de la région, sauf celui de Toulouse, la population baisse continûmentà partir du milieu du siècle : dès les années 1840 dans le Gers et le Tarn-et-Garonne ; les années 1850 dans l’Ariège, le Lot, les Hautes-Pyrénées, leTarn ; les années 1890 en Aveyron. Le déficit est accentué dans les cantonsruraux où la population de 1911 peut se trouver réduite du tiers par rapportà 1851. Sauf exception (Toulouse), les villes et les bourgs eux-mêmes stag-nent, voire s’étiolent lentement, n’échappant pas à la rétraction généraledu peuplement. La cause principale est l’affaiblissement de la natalité : sontaux moyen annuel est descendu dans le Gers à 12 naissances pour 1000habitants en 1911, contre encore 19 ‰ au plan national.

Évolution de la population régionale

Seule zone un peu moins exsangue, l’Aveyron connaît un fort « exode »dans le dernier quart du XIXe siècle quand 2000 à 3000 personnes quittentannuellement la contrée. Les Aveyronnais du Sud 6 se dirigent vers le Midi

histoire des immigrations en midi-pyrénées

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DépartementsFrançais

Étran-gers

% Étran-gers

FrançaisÉtran-gers

% Étran-gers

FrançaisÉtran-gers

% Étran-gers

267 276Ariège 159 0,06 % 191 258 1 220 0,6 % - 76 018 + 1 070 x 8,1

393 848Aveyron 335 0,08 % 363 995 1 244 0,3 % - 29 853 + 909 x 3,7

479 195Haute-Garonne 2 415 0,50 % 416 804 6 832 1,6 % - 62 391 + 4 417 x 2,8

305 333Gers 2 146 0,70 % 216 545 4 613 2,1 % - 88 788 + 2 467 x 2,1

295 799Lot 425 0,11 % 202 203 199 0,1 % - 93 596 - 226 x 0,5

249 234Hautes-Pyrénées 1 700 0,67 % 198 235 4 032 2,0 % - 50 999 + 2 332 x 2,4

362 819Tarn 254 0,07 % 318 128 1 051 0,3 % - 44 691 + 797 x 4,1

237 148Tarn-et-Garonne 405 0,17 % 180 587 589 0,3 % - 56 561 + 184 x 1,4

2590652Midi-Pyrénées 7 839 0,30 % 2087755 19 780 0,9 % -502897 +11950 x 2,5

1851 1911 1851-1911

languedocien et ceux de la « Montagne » (au nord du Lot) vers Paris. Carl’économie régionale demeure traditionnelle ; les entrepreneurs réinvestissentsouvent leurs bénéfices dans la terre et la rente plutôt que de moderniserl’appareil productif. Des activités artisanales sont partout en train de péri-cliter, ce qui accélère l’exode rural. C’est le cas pour nombre de fabricantslocaux de textile, concurrencés par les firmes plus performantes du Nordde la France ou d’Europe septentrionale. L’essor économique qui se dé-clenche sous le Second Empire n’atteint quasiment pas cet espace méridio-nal. Au début du XXe siècle, avec la disparition des établissements de la pre-mière industrie, bien des campagnes du Midi toulousain correspondent àcette description faite à propos du Volvestre : «  l’économie apparaît pluspaysanne que jamais et la croissance repose pour l’essentiel sur l’évolutionde la production agricole avec l’augmentation des récoltes de grains et sur-tout le développement de l’élevage 7. » Hors de rares sites industriels, seulle développement des infrastructures de transport (routes et voies ferrées)crée un soudain besoin d’emplois et bouleverse la vie locale.

Dans ce contexte, l’immigration ne constitue pas, jusqu’à la GrandeGuerre, un courant de compensation à la situation démographique, ce quemontrent les travaux précurseurs de Christiane Toujas-Pinède sur leQuercy 8. L’augmentation de 11950 étrangers entre 1851 et 1911 restemarginale au regard du demi million d’habitants perdu dans la région surla même période. L’immigration se concentre sur les trois départementsdes Hautes-Pyrénées, Gers et Haute-Garonne qui réunissent le plus grandnombre et la plus forte proportion d’étrangers durant toute la secondemoitié du XIXe siècle.

UNE CONSTANTE :LA TRÈS FORTE PRÉPONDÉRANCE DES ESPAGNOLS

La migration est une capillarité ancienne avec l’Espagne. Les Pyrénées,par leurs nombreux ports muletiers, font lien plus que barrage. Les habitantsdes vallées de part et d’autre de la frontière circulent sans discontinuerdans le cadre des échanges de l’économie agro-pastorale, des accords de

jusqu’au sortir de la grande guerre

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LAURE TEULIÈRES est historienne, maître de conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail,rattachée au laboratoire FRAMESPA (CNRS UMR 5136). Spécialiste d’histoire culturelle et du thèmede l’immigration, elle est l’auteur d’“Immigrés d’Italie et paysans de France, 1920-1944” (PressesUniversitaires du Mirail, 2002) et a notamment coordonné les ouvrages “Migrations, mémoires,musées” (Méridiennes, 2008) et “Frontiers and Identities: Cities in Regions and Nations” (PisaUniversity Press, 2008). Associée aux réseaux de recherche européens Cliohres et Clioh-World, elleest membre du conseil d’orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

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ISBN 978-2-86266-624-2

19 €

Ces dernières décennies ont vu s’engager une profonde relecture de l’apport desimmigrés aux sociétés contemporaines et, singulièrement, à la société française. Àl’échelle nationale, une abondante bibliographie existe qui permet d’aborder lesdifférentes phases de l’immigration contemporaine comme les grandes questionsque recoupe cette thématique. De même qu’on trouve beaucoup d’études spéci-fiques et de monographies locales sur telle ou telle vague migratoire ou sur unepopulation particulière inscrite dans un espace défini (département, localité, ville,quartier). Mais on ne disposait pas de vraies synthèses régionales ; la dimensionrégionale de l’histoire de l’immigration restait un parent pauvre de l’historiographieconstituée par plusieurs générations de chercheurs.

C’est pour pallier cette relative lacune qu’un programme d’étude à vocationnationale a été réalisé sur l’histoire et la mémoire des immigrations en région.Afin d’avoir une vue d’ensemble et dans la durée des processus sociaux-historiquesen cause, mais dans la singularité propre à chaque entité territoriale. L’initiativeen revient à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances(ACSÉ) qui a commandité cette opération, en lien avec la Cité nationale de l’his-toire de l’immigration (CNHI) et sous la coordination scientifique d’une équipede l’EHESS dirigée par Gérard Noiriel. C’est ainsi qu’une étude intitulée « Histoireet mémoire des immigrations en région Midi-Pyrénées » a été réalisée presquedeux années durant.

Le présent ouvrage est le résultat de ce travail et de cette volonté d’en partagerl’acquis auprès du public.

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