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Industrialisation de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

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Article publié dans le numéro de mai 2013 de la Tribune de l'Assurance

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2 La Tribune de l’assurance // avril 2013 // n°179

Droit & technique

La France a transposé, en 2009, la 3e directive (1) relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ayant pour objet de prévoir une série de mesures préventives contre la manipulation

de fonds d’origine criminelle et de contrer la collecte de biens ou d’argent à des fins terroristes. Cette réglementation a modifié considérablement les méthodes de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (LCB-FT) en mettant en œuvre une approche plus concrète et pragmatique qu’auparavant. Cette directive a notamment introduit une approche fondée sur les risques en imposant la mise en place de systèmes d’évaluation et de gestion des risques à travers l’élaboration d’une classification. Elle a également élargi le champ des déclarations de soupçons. Ainsi, les assureurs sont aujourd’hui dans l’obligation de déclarer auprès de Tracfin les sommes ou opérations dont ils « savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an (activité criminelle, fraude fiscale, travail dissimulé, contrefaçon, délinquance financière) » (2). Cette réglementation a vocation à se renforcer et s’élargir encore au travers de la prochaine 4e directive. En effet, le 5 février 2013, la Commission européenne a adopté deux proposi-tions (voir encadré ci-contre) visant à renforcer les règles relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le terrorisme :• une proposition de directive relative à « la prévention de l’utilisa-tion du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme » ;• une proposition de règlement sur « les informations accompagnant les virements de fonds ».Dans les deux cas, il s’agit de tenir compte des recommandations du Groupe d’action financière (Gafi) mises à jour en février 2012, et adapter au mieux le cadre réglementaire à la nature changeante du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme afin de le rendre plus efficient à cet égard.

Des exigences sous haute surveiLLancePour veiller à la bonne mise en œuvre des obligations, l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) procède à des contrôles permanents (notamment via l’analyse des questionnaires annuels LCB-FT) et sur place. La conférence du 19 octobre 2012 (3) a été l’occasion de rappeler l’importance du sujet en présentant notamment les résul-tats des contrôles sur place menés depuis deux ans à savoir : cinq mises en demeure et un programme de rétablissement en matière de LCB-FT ; huit procédures disciplinaires ouvertes à ce jour ; cinq décisions rendues contenant un grief LCB-FT depuis 2010.Si les dernières sanctions de l’ACP, qui ont abouti à des blâmes et sanctions pécuniaires allant de 70 000 à 500 000 €, visent essen-tiellement les établissements bancaires, il est important de noter que certains manques sanctionnés correspondent exactement aux axes d’amélioration communiqués aux organismes d’assurance lors de la conférence du contrôle de l’ACP. Dans ce cadre, les assureurs doivent donc adopter une approche proactive et fondée sur les risques pour concevoir et gérer un programme LCB/FT.

enjeux opérationneLs : queLLe organisation mettre en pLace ?Les assureurs doivent définir et déployer un dispositif proportionnel à leur niveau d’exposition au risque de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme. Cette approche par les risques constitue véritablement le cœur du dispositif et conditionne les diligences

Le 5 février dernier, la Commission européenne a adopté deux propositions pour renforcer les règles de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Etat des lieux du dispositif en place.

Lutte antibLanchiment

Mieux répondre aux exigences réglementaires

Nicolas Guillaumeassocié,Tuillet Risk & management

Patricia Pombo manager,Tuillet Risk & management

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est nécessaire de désigner les personnes opérationnelles, en charge de structurer et de faire vivre le dispositif au sein de l’organisme. L’objectif consiste à mettre en place une organisation transverse et connue de tous pour assurer une remontée d’information rapide et utile pour le responsable du dispositif et vers le déclarant Tracfin afin de garantir une analyse et une déclaration rapide.En parallèle, le dispositif nécessite un pilotage permanent à plu-sieurs niveaux afin de s’assurer de l’existence du dispositif, de sa conformité, de son efficacité, de sa mise à jour (en fonction des évolutions internes ou réglementaires) dans le temps ; valider les procédures opérationnelles LCB-FT ; être informé de toute défaillance du système afin de prendre les mesures qui s’imposent ; examiner et analyser tous les projets pouvant concerner la LCB-FT (commercialisation de nouveaux produits, choix d’outil de gestion, modification des procédures de gestions…).

le Processus de GestioN du risqueLa classification des risques constitue la "colonne vertébrale" du dispositif. Basée sur la combinaison de plusieurs critères (nature des produits ou des services, conditions des transactions propo-sées, canaux de distribution utilisés, caractéristiques des clients), elle doit permettre de tracer et justifier les niveaux de vigilance pratiqués au sein de l’organisme d’assurance aussi bien lors de l’entrée en relation d’affaires (identification et connaissance du client) que tout au long de la relation d’affaires (vigilance constante durant les opérations). En ce sens, l’ACP a bien rappelé que cette classification ne pouvait être qu’une reprise des exigences légales et réglementaires. Comme toute analyse de risques, elle doit couvrir la totalité des produits de l’organisme d’assurance et doit intégrer les situations réelles mais également les situations potentielles qui pourraient concerner l’organisme. La classification des risques doit être un outil dynamique et évolutif.Face à cette analyse, l’enjeu pour les assureurs est de bâtir un dis-positif opérationnel adapté aux risques. C’est à cette étape que la qualité des travaux menés pour l’élaboration de la classification des risques prend tout son sens. Il n’est pas rare de voir un dispo-sitif LCB-FT satisfaisant aux exigences réglementaires, mais qui s’avère totalement inefficace du fait de son aspect théorique – par exemple indiquer que des contrôles seront réalisés pour des ver-sements multiples atteignant 10 000 € sur 3 mois alors que l’outil de gestion ne contient pas d’alerte permettant de faire ressortir ces versements multiples…Les assureurs doivent donc veiller à une cohérence entre les éléments indiqués dans la classification des risques et les moyens techniques et humains mis à sa disposition tant en termes de procédures que de systèmes d’information ou encore de contrôles.Un dispositif est généralement constitué de deux niveaux de pro-cédures : des procédures "génériques" pour la mise en place et le pilotage du dispositif et des procédures opérationnelles et fonction-nelles sur la mise en œuvre de la LCB-FT dans le cadre de l’activité (souscription, versement, rachat d’un contrat d’assurance). Pour garantir l’efficacité du dispositif, ces procédures doivent s’appuyer sur le système d’information de gestion (contrôles bloquants sur certaines opérations, certains montants…).

les coNtrôlesL’assureur devra donc veiller à bien mettre en œuvre des procédures de contrôles, périodiques et permanents, des risques de blanchi-ment de capitaux et de financement du terrorisme : des contrôles

à mettre en œuvre. Elle s’inscrit également dans les exigences de Solvabilité II qui incitent à mieux maîtriser les risques et à tendre vers un système de gestion des risques global permettant d’iden-tifier, mesurer, traiter en permanence l’ensemble de ses risques et mettre en place une communication adéquate. Ainsi, le dispositif LCB-FT doit comprendre a minima : la classification des risques, la désignation des acteurs clés (responsable du dispositif et cor-respondant/déclarant tracfin), les procédures (dispositif, gestion et déclaration), la sensibilisation et formation du personnel, le dispositif de contrôle permanent et périodique.

le cadre orGaNisatioNNelLa mise en conformité avec les exigences réglementaires en matière de LCB-FT ne peut pas être envisagée comme une action ponctuelle. Il s’agit d’installer un dispositif pérenne et opérationnel. Il est ainsi essentiel d’ancrer le dispositif dans la gouvernance de l’organisme et d’en prévoir les modalités de pilotage et de maintenance en conditions opérationnelles.La gouvernance du dispositif est naturellement un facteur clé pour en assurer l’efficacité. La réglementation impose la désignation d’un membre de la direction en tant que responsable du dispositif (ex : directeur conformité, juridique…). Cette exigence s’explique par le fait que son positionnement hiérarchique doit lui permettre d’assurer la bonne mise en œuvre de ce dispositif. Au-delà de ce responsable, il

principaLes moDifications proposées par La commission européenne Le 5 février 2013Veiller à ce que les procédures simplifiées ne soient pas perçues, à tort, comme une exemption totale de toute obligation de vigilance. La proposition de directive prévoit une approche « plus précise et plus ciblée », fondée sur les risques, permettant de déterminer des circonstances dans lesquelles des mesures renforcées de vigilance devraient être appliquées et celles dans lesquelles des mesures simplifiées pourraient convenir. La directive révisée abandonnerait ainsi « l’application d’exemptions par situation ».Intégrer de nouvelles dispositions portant sur les personnes politiquement exposées (PPe) qui travaillent à l’échelon national et pour des organisations internationales.renforcer les pouvoirs et coopération entre les cellules de renseigne-ment financier (CRF) des différents pays qui ont pour mission de recevoir, analyser et diffuser auprès des autorités compétentes les déclarations d’éventuels soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme en vue de faciliter leur coopération.clarifier la manière dont les pouvoirs de surveillance s’appliquent dans un contexte transfrontalier.intégrer de nouvelles dispositions sur la protection des données. Le traitement de données à caractère personnel devrait être autorisé pour l’application de mesures de vigilance à l’égard de la clientèle, l’exercice d’un suivi continu, la conduite d’enquêtes sur les transactions inhabituelles et suspectes et leur déclaration, l’identification du bénéficiaire effectif d’une personne morale ou d’une construction juridique, et le partage d’informations par les autorités compétentes et par les établissements financiers. Bien entendu, la collecte de données devra se limiter à ce qui est strictement nécessaire au respect des exigences de la directive.Etendre le champ de la directive au secteur des jeux d’argent et de hasard, dont ceux en ligne.considérer les infractions fiscales pénales comme une catégorie spécifique d’infractions dites graves du blanchiment de capitaux.

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exposés/concernés, le correspondant-déclarant Tracfin et le res-ponsable au sein de la direction) et ainsi cibler le contenu de la formation selon le degré d’exposition au risque. L’assureur devra veiller à ce que la formation vise à la fois à aider les collaborateurs à reconnaître les opérations qui peuvent être liées au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme et à les instruire sur la manière de procéder en pareil cas. L’ACP se dit très attentive au contenu des formations dispensées et est amenée à prendre des sanctions sur ce motif.Au-delà de la formation des équipes en place, il conviendra éga-lement de prendre en compte, dans le recrutement du personnel, selon le niveau des responsabilités exercées, les risques au regard de la LCB-FT, s’inscrivant ainsi dans la perspective des principes fit & proper développés dans le cadre de Solvabilité II.Pour les collaborateurs les moins exposés, il est malgré tout néces-saire de mettre en œuvre des actions de sensibilisation qui pourront porter tant sur les obligations réglementaires, les mécanismes de blanchiment et les mesures mises en œuvre au sein de l’organisme.Il s’agit pour les assureurs de décliner un véritable dispositif de gestion et traitement des risques adapté aux spécificités de LCB-FT. Cette approche par les risques constitue une clé d’analyse dynamique permettant une mise en œuvre structurée et documentée du principe de proportionnalité indispensable au regard de l’hétérogénéité des profils des différents acteurs du secteur. n

(1) Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.(2) Article L. 561-15 du code monétaire et financier.(3) « Lutte antiblanchiment, les assureurs s’impliquent davantage », X. Perrine et V. Bourgoin, La Tribune de l’assurance, décembre 2012, p. 50.

de second niveau pour vérifier le correct fonctionnement du dis-positif et des contrôles de troisième niveau par l’audit interne pour vérifier l’efficience du dispositif. Ils devront être formalisés, faire l’objet d’un reporting auprès de la direction et figurer au rapport annuel sur le contrôle interne. Ce rapport de contrôle interne devra a minima présenter :• une synthèse de l’organisation des procédures ;• une synthèse de l’activité du contrôle permanent ;• la liste des anomalies constatées dans le cadre des relations d’affaires ;• les carences identifiées dans le dispositif (résultats des contrôles périodiques) ;• les mesures prises pour lutter contre ces carences.

le traitemeNt du risqueLes éléments du dispositif de maîtrise doivent permettre de faire ressortir des anomalies qui, une fois analysées, peuvent être traitées via la déclaration et le gel des avoirs.La déclaration constitue un élément clé dans la LCB-FT puisque cette dernière est analysée et peut conduire Tracfin à transmettre une note d’information au procureur de la République. Ainsi, il est nécessaire que la déclaration soit faite rapidement après la détec-tion de l’anomalie et qu’elle respecte des éléments de forme et de fond. Depuis le 1er janvier 2013, l’absence des éléments indiqués à l’article R. 561-31 I du code monétaire et financier (coordonnées du déclarant, signature de la déclaration, éléments d’identification et de connaissance du client) et la non-utilisation de la déclaration en ligne (sauf pour les intermédiaires d’assurances qui peuvent encore utiliser le formulaire papier) conduisent à rendre la déclaration de soupçon irrecevable en la forme et ne sera pas traitée par Tracfin. Outre les éléments de forme, Tracfin rappelle « qu’une bonne décla-ration de soupçon doit également comporter une analyse sur le fond, c’est-à-dire l’ensemble des éléments objectifs à l’origine du soupçon (la synthèse des opérations, des mouvements et/ou des caractéristiques inhabituelles, un développement des faits, des précisions sur l’origine et la destination présumées des fonds sur lesquels porte le soupçon…) et l’analyse du cas déclaré (la conclusion ayant conduit à l’émergence d’un soupçon, les facteurs ou les circonstances inhabituelles qui ont amené à déclarer les sommes ou les opérations pouvant participer au blanchiment d’argent ou au financement d’activités terroristes…) ». Un arrêté est prévu en 2013 pour préciser les conditions d’irrece-vabilité sur le fond.Par ailleurs, souvent oublié dans la mise en œuvre du dispositif de LCB-FT, il est pourtant imposé aux assureurs de prévoir un sys-tème de détection des personnes concernées par un gel des avoirs dès l’entrée en relation. Ce dispositif est applicable quel que soit le niveau de risque de l’assureur, ses opérations, ses montants, ses clients. Des contrôles doivent donc être réalisés sur les clients déjà en portefeuille et dès la mise à jour des listes.

l’accomPaGNemeNt du chaNGemeNtLa mise en conformité mais surtout l’efficacité d’un dispositif global de LCB-FT, implique nécessairement d’accompagner le personnel de l’organisme dans l’acquisition des nouvelles connaissances néces-saires et l’appropriation du cadre organisationnel et du processus de gestion mis en place.En termes de gestion des compétences, qui former ? Idéalement, tout le monde. Toutefois, il est possible de segmenter les collabo-rateurs en plusieurs populations (les collaborateurs très exposés/

et pour les courtiers ?

Les courtiers sont contraints de mettre en place un dispositif qui leur permette de jouer leur rôle d’alerte auprès de Tracfin. Cela passe notamment par : l’élaboration d’une classification des risques pour les courtiers dont le chiffre d’affaires annuel moyen sur cinq ans dépasse 500 000 € ; la désignation d’un déclarant-correspondant Tracfin ; la rédaction et la diffusion de procédures opérationnelles permettant aux salariés d’identifier les éléments relatifs au client, au bénéficiaire, aux produits d’assurance ou une opération économique susceptible de participer à une situation de blanchiment de capitaux, de fraudes fiscales ou de terrorisme ; la définition des règles de conservation et d’archivage des données notamment pour garantir une remontée des documents justificatifs (pièces d’identité…) vers les assureurs.Si beaucoup d’assureurs passent par des "tiers introducteurs", cela ne les exonère pas de leurs obligations. Dans ce cadre, ils doivent contrôler que ces sous-traitants ont bien mis en place un système cohérent permettant de couvrir les risques de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme.

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