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Revue internationale du Travail, vol. 146 (2007), n o 3-4 Copyright © Organisation internationale du Travail 2007 Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine: étude préliminaire Jaime SAAVEDRA* et Mariano TOMMASI** Résumé. Selon les auteurs, l’informalité en Amérique latine reflète le dysfonction- nement des interactions entre les individus et l’Etat, ainsi que les lacunes de celui- ci en matière de redistribution et de biens et services collectifs. Il s’ensuit de faibles taux de contribution et de couverture pour la sécurité sociale; un non-respect des réglementations fiscales, sociales et économiques; de faibles niveaux de recouvre- ment fiscal, d’application de la loi et de confiance dans l’Etat. Pour ces pays, tout le défi est de forger des contrats sociaux intégrateurs, fondés sur des consensus réa- listes, compte tenu du cadre institutionnel et des normes sociales de chacun. C et article fait partie d’un ensemble de recherches sur des aspects du pro- blème complexe qu’est l’informalité en Amérique latine. On peut la considérer comme un phénomène du marché du travail et se focaliser sur les changements de la structure de production ou sur ceux de la législation fiscale et du travail qui ont pu influer sur la proportion de l’emploi informel dans l’em- ploi total. On peut aussi l’examiner sous l’angle de l’entreprise, et s’intéresser tout particulièrement à l’incidence des réglementations sur le coût d’enregis- trement d’une entreprise et sur la probabilité qu’une entreprise déclare ses ac- tivités. Le présent article contribue à étudier ces questions d’un autre point de vue, complémentaire et (d’une certaine manière) plus ample. Ainsi, nous ne considérons pas l’informalité comme un problème en soi, mais comme le signe de fractures plus profondes et de dysfonctionnements systémiques des sociétés latino-américaines qui se manifestent de multiples façons dans divers domai- nes économiques et sociaux. A notre sens, l’examen de l’évolution de paramè- tres des domaines «traditionnels», sur lesquels les économistes se concentrent lorsqu’ils étudient l’informalité dans les marchés du travail et des produits, ou les contributions à la sécurité sociale, ne permet pas de comprendre le degré * Banque mondiale. ** Université de San Andrés. Cet article est une version révisée d’un document de travail qui a été rédigé initialement aux fins du rapport de la Banque mondiale Infor- mality: Exit and Exclusion. Les auteurs remercient Adrián Goldin pour ses commentaires et sug- gestions, ainsi que Omar Arias, Bill Maloney et Guillermo Perry pour leurs contributions. Mariano Tommasi exprime toute sa reconnaissance à la Fondation John Simon Guggenheim pour son aide financière. Les articles signés, de même que les désignations territoriales utilisées, n’engagent que les auteurs et leur publication ne signifie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.

Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine: étude préliminaire

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Revue internationale du Travail,

vol. 146 (2007), n

o

3-4

Copyright © Organisation internationale du Travail 2007

Informalité, Etat et contrat socialen Amérique latine: étude préliminaire

Jaime SAAVEDRA

*

et Mariano TOMMASI

**

Résumé

. Selon les auteurs, l’informalité en Amérique latine reflète le dysfonction-nement des interactions entre les individus et l’Etat, ainsi que les lacunes de celui-ci en matière de redistribution et de biens et services collectifs. Il s’ensuit de faiblestaux de contribution et de couverture pour la sécurité sociale; un non-respect desréglementations fiscales, sociales et économiques; de faibles niveaux de recouvre-ment fiscal, d’application de la loi et de confiance dans l’Etat. Pour ces pays, toutle défi est de forger des contrats sociaux intégrateurs, fondés sur des consensus réa-listes, compte tenu du cadre institutionnel et des normes sociales de chacun.

C

et article fait partie d’un ensemble de recherches sur des aspects du pro-blème complexe qu’est l’informalité en Amérique latine. On peut la

considérer comme un phénomène du marché du travail et se focaliser sur leschangements de la structure de production ou sur ceux de la législation fiscaleet du travail qui ont pu influer sur la proportion de l’emploi informel dans l’em-ploi total. On peut aussi l’examiner sous l’angle de l’entreprise, et s’intéressertout particulièrement à l’incidence des réglementations sur le coût d’enregis-trement d’une entreprise et sur la probabilité qu’une entreprise déclare ses ac-tivités. Le présent article contribue à étudier ces questions d’un autre point devue, complémentaire et (d’une certaine manière) plus ample. Ainsi, nous neconsidérons pas l’informalité comme un problème en soi, mais comme le signede fractures plus profondes et de dysfonctionnements systémiques des sociétéslatino-américaines qui se manifestent de multiples façons dans divers domai-nes économiques et sociaux. A notre sens, l’examen de l’évolution de paramè-tres des domaines «traditionnels», sur lesquels les économistes se concentrentlorsqu’ils étudient l’informalité dans les marchés du travail et des produits, oules contributions à la sécurité sociale, ne permet pas de comprendre le degré

* Banque mondiale. ** Université de San Andrés. Cet article est une version révisée d’undocument de travail qui a été rédigé initialement aux fins du rapport de la Banque mondiale

Infor-mality: Exit and Exclusion.

Les auteurs remercient Adrián Goldin pour ses commentaires et sug-gestions, ainsi que Omar Arias, Bill Maloney et Guillermo Perry pour leurs contributions.Mariano Tommasi exprime toute sa reconnaissance à la Fondation John Simon Guggenheim pourson aide financière.

Les articles signés, de même que les désignations territoriales utilisées, n’engagent que lesauteurs et leur publication ne signifie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.

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Revue internationale du Travail

très élevé d’informalité qui existe dans beaucoup de pays, et le fait qu’elle s’ac-croît depuis plusieurs années.

Beaucoup de faits observés aujourd’hui dans plusieurs pays d’Amériquelatine, et qui ont trait à différentes notions, dimensions et mesures de l’infor-malité, traduisent manifestement des défaillances systémiques plus générales,entre autres:

faible participation au système de protection sociale;

couverture insuffisante de beaucoup de régimes d’assurance sociale, enparticulier en ce qui concerne les personnes démunies;

grand nombre de petites (et autres) entreprises qui se soustraient, partiel-lement ou complètement, aux réglementations fiscales, commerciales etdu travail;

application faible et inégale de la législation;

exclusion de l’accès aux droits de propriété, à la justice et à d’autres ser-vices publics;

qualité médiocre des prestations de beaucoup de services sociaux publics(entre autres soins de santé et éducation);

gens aisés qui sortent des régimes publics de services sociaux;

manque de confiance dans l’Etat et l’équité des structures dominantes;

base d’imposition et respect de la législation insuffisants, d’où un faiblerecouvrement de l’impôt.Chacun de ces problèmes témoigne d’une interaction déficiente des ci-

toyens (individus et groupes) avec l’Etat. Cette insuffisance est étroitementliée à l’incapacité de l’Etat de s’acquitter efficacement et équitablement de sesprincipales fonctions, à savoir la fourniture de biens collectifs et ses tâches deprotection et de redistribution. Si on les considère sous un angle moins axé surl’Etat, ces problèmes dénotent aussi un déséquilibre social. Autrement dit, plu-sieurs des phénomènes qui peuvent être corrélés avec la notion d’informalitépermettent de déduire le degré de «formalisation» et d’inclusion du

contratsocial

d’un pays.Nous utilisons ici l’expression «contrat social» dans son sens habituel (et

ample) pour désigner un certain niveau de consensus sociétal sur quelquesaspects fondamentaux du fonctionnement et du rôle de l’Etat qui le différen-cient du secteur privé, notamment en ce qui concerne la fiscalité et la protec-tion sociale. Ainsi, selon Lledo, Schneider et Moore (2004), dans une grandepartie de l’Amérique latine, il n’y a pas entre les pouvoirs publics et la popula-tion un contrat social (implicite) comparable à celui qui existe, dans la pratiqueet dans les principes, en matière fiscale et budgétaire dans des régions politi-quement plus stables. L’expression contrat social renvoie à l’idée qu’un

accord

(au sens de reconnaissance), exprès ou non, existe sur le fait que le système estacceptable, au moins sur le plan technique

1

. Utilisée de cette façon, l’expres-sion contrat social

est commode pour se référer à certains aspects de l’équilibre

1

Voir CEPALC (2006) qui a appelé de ses vœux l’élaboration d’un

pacte

de protectionsociale en Amérique latine, pacte qui s’inspire d’éléments comparables à ceux qui sont exposés ici.

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

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social, y compris les vues et les actes des citoyens, des groupes sociaux impor-tants et des acteurs de l’Etat.

Pour traiter du contrat social, on peut se concentrer sur les relations «ho-rizontales» entre l’ensemble des citoyens, sur les relations «verticales» entredifférents segments socio-économiques de la société, ou sur la relation entreces acteurs (l’ensemble des citoyens ou les catégories aux caractéristiques so-cio-économiques semblables) et l’«Etat» en tant qu’il assure la cohérence dutout. Dans la plupart des pays latino-américains, le contrat social connaît desdifficultés sous tous ces aspects.

L’informalité se manifeste simultanément dans de multiples domainesétroitement liés – Etat-providence, système de protection sociale, marché dutravail, marchés des produits, marchés financiers. La situation de beaucoup depays latino-américains fait que plusieurs problèmes économiques, sociaux etinstitutionnels se renforcent mutuellement. C’est l’une des principales raisonspour lesquelles nous croyons que, pour comprendre les résultats obtenus(comme l’«informalité») dans un domaine donné, il est important d’avoir unevue systématique de l’ensemble de tous les facteurs incitatifs.

Dans un souci de concision et de clarté, nous considérerons ensuite cesquestions sous l’angle de la notion «Etat-providence»/«contrat fiscal». Mêmede ce point de vue restreint, plusieurs interactions systémiques apparaissent.Celles que nous mettrons en relief suggèrent l’existence éventuelle de ce qu’onappelle «multiplicité des équilibres» dans la théorie des jeux. Pour ne prendreque les exemples suivants, plus il y aura de personnes dans le secteur informel,plus il sera facile d’y entrer; pour un niveau donné d’action des pouvoirs pu-blics, l’application de sanctions sera d’autant moins probable si beaucoup degens ne payent pas leurs impôts ou leurs cotisations; les coûts psychologiques/éthiques de ces infractions seront moindres si beaucoup de personnes d’unmême groupe enfreignent aussi la loi. Il se peut donc que d’une société à l’autreon enregistre des équilibres différents et des niveaux distincts d’informalité, dediscipline fiscale, de protection sociale, de confiance dans l’Etat, entre autres.Si tel est le cas, il serait impératif d’étudier l’histoire et les spécificités des paysqui se traduisent par ces trajectoires différentes. Même si pour faire court nousn’examinons à ce stade que certaines caractéristiques essentielles qui sontcommunes à plusieurs pays latino-américains, l’un des messages du présent ar-ticle, c’est qu’une analyse axée sur chaque pays est nécessaire, en ayant bien àl’esprit les effets systémiques.

Les interactions entre informalité et Etat, ou entre informalité et secteurformel, sont diverses. Parfois, les activités informelles sont précieuses pourbeaucoup de citoyens (un emploi informel, c’est mieux que rien) et même trèsutiles parfois à l’économie et à la société (pendant l’ère soviétique, beaucoupdes activités les plus dynamiques étaient informelles). Pour De Soto (1994), lesecteur informel est un puissant moteur d’esprit d’entreprise mais il est entravépar des réglementations déficientes et dévoyées. Sans contester ces points, nousnous concentrons ici sur les aspects néfastes de l’informalité. La notion d’équi-libres multiples nous conduit à penser que l’informalité n’aura d’effets positifsque dans une société en équilibre Pareto-inférieur.

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Revue internationale du Travail

Pour éviter les interventions ayant pour seul effet d’abaisser la protectionsociale des personnes affectées à la marge et qui ne débouchent pas sur desgains systémiques conséquents, il faut bien connaître l’équilibre d’une société.Mais, en fin de compte, nous devons considérer sérieusement la possibilité deparvenir à un meilleur équilibre. Il se peut que l’analyse d’un symptôme parti-culier d’informalité ne suffise pas pour aller à l’essentiel des problèmes à exa-miner. Intervenir à la marge pour réduire certaines manifestations del’informalité ne permettra peut-être pas d’en traiter les causes profondes (oude remédier à l’exclusion et à d’autres maux sociaux liés à l’informalité). Lecœur du problème est social et politique; dans une certaine mesure, le plus im-portant, c’est d’essayer d’élaborer des contrats sociaux plus intégrateurs et plusefficaces.

Comment passer d’un équilibre à un autre (comment élaborer demeilleurs contrats sociaux)? La question est très difficile du point de vue théo-rique, et encore plus dans la pratique. Dans la conclusion de cet article, nouslivrons quelques réflexions sur ce point. Mais disons d’ores et déjà que noussommes loin, à ce stade de la recherche, de pouvoir répondre définitivement àces questions ardues au demeurant passionnantes. Nous pressentons pour lemoment que certaines des convictions et attitudes qui sont à l’origine des équi-libres observés n’évolueront probablement guère sans un changement profondde la conception et de la structure des contrats sociaux en place. Ce qui est in-dispensable, c’est davantage de recherches sur la manière dont ces convictionsse forment, évoluent et changent

2

.D’une manière plus générale, cet article rend compte de sujets qui susci-

tent une attention grandissante. Il vise davantage à contribuer au débat en po-sant certaines questions qu’en y répondant. Son objectif est de sensibiliser à cessujets, dans l’espoir d’éviter au moins les erreurs dues à une vision partielle deproblèmes systémiques

3

.

Passer de décisions individuelles à l’équilibre social et de l’Etat (et vice versa)

La présente section constitue un cadre de réflexion sur les questions de l’infor-malité, de l’Etat et du contrat social. Tout d’abord, nous examinons les déci-sions d’acteurs (entreprises, travailleurs) qui aboutissent à l’informalité. Cesdécisions sont influencées par un certain nombre de caractéristiques du groupeauquel ces acteurs appartiennent mais aussi par plusieurs éléments systémi-ques, c’est-à-dire des éléments qui résultent du comportement d’autres indivi-

2

A ce sujet, ce qu’écrit North (1990, p. 60) n’est guère rassurant: «créer un système d’appli-cation efficace et d’obligations morales pour faire évoluer les comportements est une tâche diffi-cile qui prend du temps, si tant est qu’on y parvienne». Voir aussi North (2005).

3

Les opinions exprimées ici s’appuient sur des publications diverses. A des fins de conci-sion, nous exposons certaines hypothèses à titre indicatif. Toutes ne réussissent pas le même degréde consensus dans les milieux universitaires. Il conviendrait ultérieurement d’examiner de plus prèsla validité empirique des différents éléments du tableau d’ensemble que nous essayons d’établir.

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

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dus et de l’intégration de ce comportement dans un équilibre social. Nousmettons en évidence ici des interactions sociales, notamment les normes socia-les, tous ces mécanismes reliant les décisions individuelles de diverses façonsqui peuvent conduire à des équilibres multiples.

Une grande partie du débat pourrait porter plus particulièrement sur lesrapports entre individus (plan horizontal) même si, dans la pratique, l’Etatjoue un rôle fondamental sur ce plan. Nombre des décisions et des opinionsd’individus sont conditionnées par l’action des pouvoirs publics – c’est-à-direpar l’idée qu’ils se font de la qualité des réglementations, de la portée des po-litiques sociales ou de l’application de la législation. Cette action dépend desnombreuses fonctions de l’Etat et des mécanismes qui relient l’Etat, les indivi-dus et les agents collectifs.

Partir des décisions qui conduisent à l’informalité

L’informalité est un ensemble d’activités lucratives et de transactions dans les-quelles l’Etat n’exerce pas ses fonctions de réglementation, de contrôle ou derecouvrement des impôts. L’informalité en tant que phénomène global dé-coule de décisions prises à l’échelle micro qui portent sur la participation ounon à certains marchés et sur les modalités de cette participation.

L’un des archétypes des relations informelles qui présentent un intérêt iciest la relation de travail. Des entreprises décident d’opérer dans le secteur for-mel ou dans le secteur informel ou, plus précisément, déterminent si leurs tran-sactions seront formelles ou non. Leurs initiatives constituent l’offre globaled’emplois formels et informels. De leur côté, les travailleurs décident de parti-ciper ou non aux marchés du travail, de rechercher un emploi salarié ou indé-pendant, ou d’accepter un emploi dans le secteur formel ou informel. Commele montrent très clairement beaucoup de publications économiques et autres,certains de leurs «choix» sont parfois considérablement, voire totalement en-través. Autrement dit, ils n’ont parfois pas d’autre véritable choix que celuid’accepter un emploi informel

4

. Toutefois, beaucoup d’économistes estimentque, même dans les cas où les possibilités offertes aux travailleurs se trouventessentiellement dans le domaine informel, elles font tout de même l’objetd’une analyse coûts-avantages prenant notamment en considération les pres-tations non salariales liées à l’emploi dans le secteur formel. Lorsque, tant pourles employeurs que pour les salariés, les avantages des activités formelles sontsupérieurs à leurs coûts, ces avantages sont un facteur déterminant de forma-lisation. Prenons le cas concret d’un travailleur qui hésite entre un emploi for-mel et un emploi informel. Cet exemple peut être considéré isolément ou

4

Voir Galiani et Weinschelbaum (2006) pour un panorama complet des publications éco-nomiques sur les marchés du travail segmentés et sur les choix des entreprises et des travailleurs,et pour un modèle qui examine l’informalité en situation d’équilibre, c’est-à-dire lorsque les deuxcôtés du marché décident dans quel secteur ils participeront. Leur modèle débouche sur des pré-visions qui concordent avec la dynamique de l’informalité en Amérique latine, en particulier lors-que l’informalité s’accroît en raison de l’incorporation de travailleurs secondaires (c’est-à-dire lespersonnes autres que le travailleur qui est la principale source de revenus de la famille).

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Revue internationale du Travail

comme l’un des éléments implicites du choix des entreprises de proposer ounon des emplois formels. Cet exemple a pour but d’illustrer la corrélation quiexiste entre choix individuels et phénomènes globaux, et de mettre en évidencecertains des liens qui pourraient être examinés sous l’angle du «contrat social».Si nous considérons ici le choix de l’emploi du point de vue du travailleur, c’estpour le rapprocher dans les pages suivantes de la question des systèmes de pro-tection sociale, lesquels sont des éléments essentiels des contrats sociaux

5

. Cechoix a un lien avec la façon dont la formalité est habituellement définie (droitde bénéficier de prestations sociales imposées par la loi telles que les assuran-ces santé et vieillesse) et mesurée (paiement ou non par le salarié des cotisa-tions sociales).

Prenons le cas d’un travailleur ayant deux possibilités d’emploi compara-bles à certains égards (salaire net, par exemple) mais différentes en ce que l’unest formel et l’autre non. (De même, on peut prendre le cas d’un micro-entre-preneur ayant deux possibilités de gains nets comparables, mais différentespour les mêmes raisons.) Pour un individu, ce choix dépend de décisions simul-tanées dans divers domaines. La liste qui suit a un caractère indicatif:1) payer des cotisations sociales et obtenir les prestations afférentes pour le

travailleur et sa famille;2) éviter le coût d’être pris en infraction (élément lié à l’efficacité technique

des mécanismes d’application de la loi)

6

;3) contribuer à la fourniture universelle de biens et de services collectifs

– notamment les assurances sociales mentionnée au point 1 – et comptersur l’Etat en tant que fournisseur de ces biens et services;

4) éviter le coût que comporte le fait de passer pour un tricheur aux yeux dela collectivité.Cette liste ne constitue pas une classification. Elle présente un cadre sim-

ple dans lequel l’Etat ne s’acquitte que de deux fonctions, la «protectionsociale» et «l’application des réglementations». Il se peut qu’une action publi-que différente comporte d’autres avantages ou coûts en ce qui concerne lescontrats de travail formels par rapport aux autres contrats, par exemple uneprotection meilleure et impartiale assurée par la législation du marché du tra-vail et les tribunaux compétents, ou un accès différent aux marchés financiers,dont le fonctionnement dépend de la qualité de l’action publique.

5

L’analyse coûts-avantages de cette décision relative au marché du travail informel est unélément qui est donné en tant qu’exemple de beaucoup d’autres choix d’individus et d’entreprisesdans divers marchés et domaines. Les interactions entre ces marchés et domaines abondent. Lesagents économiques réagissent à un vaste ensemble de mesures d’incitation, et évaluent les coûtset les avantages de différentes formes de participation à divers marchés. Pour ce qui est de l’exem-ple de la décision relative au marché du travail informel, les entreprises et les travailleurs prennenten considération non seulement les réglementations et conditions du marché du travail mais aussiun ensemble plus large de facteurs – politiques fiscales, accès à d’autres mécanismes d’assurance,qualité et équité de l’application des décisions de justice, etc.

6

Dans la pratique, cet exemple est plus pertinent pour les employeurs ou les micro-entre-preneurs indépendants que pour les salariés.

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

307

Pour évaluer ces coûts et avantages, le travailleur prendra en considéra-tion plusieurs situations dans lesquelles les principaux acteurs sont l’Etat et/oules pairs du travailleur – ces derniers représentant les divers ensembles d’opi-nions collectives qui peuvent être reliées à la notion de contrat social. Entreautres, les facteurs connexes suivants peuvent influer sur la décision d’entrerdans l’informalité, par rapport aux quatre points de la liste ci-dessus:1) la valeur que l’individu attache aux prestations sociales fournies par

l’Etat, y compris la mesure dans laquelle il croit aux promesses de l’Etaten matière de prestations futures;

2) la capacité — telle qu’elle est perçue — de l’Etat de faire appliquer lesréglementations fiscales et du travail notamment. La décision dans ce castient à la crainte individuelle de prendre des risques mais aussi aux tech-niques d’application des réglementations, au nombre des fraudeurs et à lacrainte collective d’être pris en infraction;

3) la mesure dans laquelle le travailleur considère que le système de protec-tion sociale est efficace et juste – autrement dit, la mesure dans laquelle ilpense que les institutions publiques s’acquittent efficacement et correcte-ment de leur rôle;

4) ce que d’autres personnes pensent du système, et du fait de se trouverdans le secteur formel ou informel. En d’autres termes, il s’agit de savoirquelles normes sociales influent sur le comportement collectif à l’égard del’Etat.Il ressort de ce qui précède que l’informalité est liée à l’idée que l’on se

fait de l’Etat et à ce qu’il est en réalité. La réponse à ces points dépend de cer-taines caractéristiques et capacités de l’Etat et des services qu’il fournit, etdonc de l’évaluation des avantages sur le plan individuel qu’il y a à faire con-fiance à l’Etat. Mais elle dépend aussi d’opinions collectives à propos de l’effi-cacité et de l’impartialité des dispositifs en place. Dans les sous-sectionssuivantes, nous examinons certains de ces liens.

Interactions avec l’Etat

A l’évidence, l’informalité et de nombreux maux sociaux connexes traduisentdes courts-circuits entre l’Etat et les citoyens, ou des défaillances de l’Etat.Comme on le verra plus loin, l’informalité peut aller de pair avec l’incapacitéde beaucoup d’Etats latino-américains de garantir à tous les citoyens un sys-tème de protection sociale satisfaisant, et d’élaborer un contrat fiscal accepta-ble et légitime.

Mais, souvent, l’informalité tient aussi au manque d’efficacité des pou-voirs publics dans d’autres domaines que l’axe fiscalité/redistribution/protec-tion sociale. Des mesures générales de l’efficacité des pouvoirs publics, commel’Indicateur d’efficacité des pouvoirs publics

qui fait partie de la base de don-nées des

Indicateurs mondiaux de la gouvernance

de la Banque mondiale(2005c), sont corrélées négativement avec les mesures habituelles de l’infor-

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Revue internationale du Travail

malité, comme le montre la figure 1. L’Indicateur d’efficacité des pouvoirs pu-blics mesure la qualité des services publics, les performances de la fonctionpublique et son niveau d’indépendance vis-à-vis des pressions politiques, laqualité de l’élaboration et de l’application des politiques, et la crédibilité del’engagement des pouvoirs publics à l’égard de ces politiques.

L’un des aspects de l’interaction avec l’Etat qui semble influer sur la dé-cision de rejoindre l’informalité est le rapport au système juridique. Beaucoupdes systèmes judiciaires en Amérique latine sont considérés comme incompé-tents, inefficaces et partiaux, d’où un degré de confiance très bas dans le pou-voir judiciaire. Dans l’ensemble, les entreprises en Amérique latine croientmoins que celles d’autres régions que le système judiciaire veillera, en cas dedifférend, au respect des droits contractuels et de propriété

7

.

7

Les écarts dans la région sont amples: au Chili et au Costa Rica, 70 pour cent des entre-prises font confiance au système judiciaire, contre 30 pour cent en Equateur et au Guatemala.

EQUARG

VEN

PERBOL

GUA

HON

MEXBRE

SAL

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–0,2

–0,1

0

0,1

0,2

Pro

port

ion

de tr

avai

lleur

s in

dépe

ndan

ts

–1,5 –1 –0,5 0 0,5 1

Efficacité des pouvoirs publics

Coef. = –0,07366668; trav. indépendant = 0,01583045; t = –4,65

Figure 1. Efficacité des pouvoirs publics et informalité(corrélations partielles après contrôle des effets du PIB par habitantà parité de pouvoir díachat)

Note: L'indicateur d'efficacité des pouvoirs publics mesure la qualité des services publics, les performances de la fonction publique et son niveau d'indépendance vis-à-vis des pressions politiques, la qualité de l'élaboration et de l'application des politiques, et la crédibilité de l'engagement des pouvoirs publics à l'égard de ces politiques. Plus les pouvoirs publics sont efficaces, plus les valeurs sont élevées. La perception par les entreprises de l'efficacité des pouvoirs publics est mesurée selon la porportion d'entreprises qui indiquent que le gouvernement assure efficacement la prestation des services publics.Source: Estimations de l'auteur, à partir des Indicateurs mondiaux de développement (Banque mondiale, 2005b), des Indicateurs mondiaux de la gouvernance (2005c) et d'études sur la conjoncture de l'investissement.

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

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Comme le constate Ronconi (2006), il est manifeste que les gens n’ontpas confiance dans le système judiciaire, en partie parce qu’ils considèrent queles juges sont corrompus et favorisent la partie plus riche. Même si les élémentsde preuves systématiques manquent, l’auteur pense que la méfiance dans lesystème rend plausible le fait que moins de salariés saisissent les tribunauxlorsqu’ils estiment que leurs droits au travail ont été bafoués. Par conséquent,les employeurs risquent moins d’être sanctionnés, et enfreindre la loi devientune norme sociale. Comme l’indique la figure 2, l’impartialité des tribunaux estcorrélée négativement avec l’informalité.

Depuis De Soto (1994), certaines informations bien connues sur le lienentre informalité et Etat montrent que des réglementations improductives etmédiocres forcent beaucoup d’entrepreneurs à rejoindre le secteur informel.Les données empiriques de nombreuses études transnationales confirmentcette hypothèse. Djankov et coll. (2002) constatent que les barrières réglemen-taires à l’entrée, évaluées en fonction du nombre et de la durée des procédures,et du coût lié au respect de ces procédures, s’accroissent avec la taille du secteuret de l’emploi informels. Ils établissent aussi que l’intensité de la réglementa-

VEN

ARG

EQU

PER

GUA

BOL

PAN

HON

BREMEX

SAL

COL

CHI

COS

–0,2

–0,1

0

0,1

0,2

Pro

port

ion d

e tr

avai

lleurs

ind

épen

dan

ts

–4 –2 0 2 4

Impartialité des tribunaux

Coef. = –0,02625821; trav. indépendant = 0,00611322; t = –4,3

Figure 2. Impartialité des tribunaux et informalité(corrélations partielles après contrôle des effets du PIB par habitantà parité de pouvoir d’achat)

Note: L'impartialité des tribunaux est définie comme étant la mesure dans laquelle il existe un cadre juridique fiable permettantaux entreprises privées de contester la légalité de l'action du gouvernement ou des réglementations publiques.

Source: Fraser Institute, www.fraserinstitute.org.

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Revue internationale du Travail

tion a un lien inverse avec les indicateurs de bonne gouvernance habituelle-ment utilisés pour évaluer la qualité institutionnelle

8

.Toutes les corrélations mentionnées dans cette section montrent que l’in-

formalité est liée à la perception de la qualité et de l’impartialité des servicespublics. Ces corrélations, qui se maintiennent lorsqu’il est tenu compte du ni-veau de développement et d’autres variables structurelles, suggèrent de nou-veau une possible multiplicité d’équilibres.

Interactions sociales, normes sociales et multiplicité d’équilibres

Les interactions que nous avons mises en évidence jusqu’ici suggèrent donc lapossibilité d’une multiplicité d’équilibres. Beaucoup d’opinons et de compor-tements liés à l’informalité tendent à créer des complémentarités stratégiques.Dans le jargon de la théorie des jeux, les stratégies des joueurs A et B sont ap-pelées

compléments stratégiques

dans le cas suivant: si le joueur A renforce unélément de sa stratégie, le joueur B voudra en faire autant. Si elles sont assezfortes, les complémentarités stratégiques conduisent à une multiplicité deséquilibres.

Si davantage de personnes exercent leurs activités dans le secteur infor-mel, il sera plus facile pour d’autres de le faire; pour un niveau donné d’appli-cation par l’Etat des réglementations, il sera moins probable d’être sanctionnési beaucoup de personnes ne payent pas leurs impôts ou cotisations; les coûtspsychologies/éthiques de la fraude seront inférieurs s’il y a beaucoup de tri-cheurs dans un groupe social, etc. Ces conditions tendent à créer des équilibresmultiples avec différents degrés de contribution à la fourniture de biens collec-tifs

9

.Des auteurs ont souligné dans le passé que l’informalité a tendance à

s’accroître lorsque le contexte conduit à des équilibres multiples. Dans uneétude célèbre sur le développement du secteur informel («économie offi-cieuse») dans les pays en transition (c’est-à-dire ceux qui proviennent du socia-lisme de type soviétique), Johnson, Kaufmann et Shleifer (1997), s’appuyantsur la logique des équilibres multiples, s’intéressent tout particulièrement àl’évolution divergente des sociétés

10

. Leur modèle privilégie le point de vue deDe Soto sur l’informalité dans les marchés des produits et dans les marchés

8

Johnson, Kaufman et Zoido-Lobatón (1998), Johnson, Kaufman et Shleifer (1997), Loayza(1996), Loayza, Oviedo et Servén (2005), et Loayza et Rigolini (2006) apportent d’autres élémentsqui démontrent le lien entre les coûts de la réglementation et l’informalité.

9

Il est vraisemblable aussi que ces types d’«interactions locales» entraînent de multiplesdegrés de redistribution et de protection sociale. La disposition à contribuer au financement del’aide sociale est influencée par les questions suivantes: les bénéficiaires la méritent-ils? La per-sonne intéressée se sent-elle «proche» des bénéficiaires (des points de vue ethnique et culturel)?Les services de l’Etat sont-ils suffisants? (Fong, Bowles et Gintis, 2005.) Cela concorde avec l’argu-ment fourni dans Lindert (2004) qui porte sur l’origine et l’évolution des systèmes de protectionsociale des pays avancés.

10

Voir aussi Dessy et Pallage (2003).

Page 11: Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine: étude préliminaire

Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

311

connexes, où elle est la réponse à des réglementations publiques coûteuses etcontre-productives. Certaines caractéristiques de ce modèle mettent en évi-dence des «rendements croissants» (ou

complémentarités stratégiques

); parexemple, moins d’informalité se traduit par plus de recettes fiscales, d’où uneamélioration de la fourniture de biens collectifs, un accroissement de la pro-ductivité du secteur privé et donc des recettes fiscales, et ainsi de suite. Dansce modèle, les économies peuvent se trouver dans l’un ou l’autre de deux équi-libres stables. Dans le premier, les distorsions fiscales et le degré de réglemen-tation sont faibles, les recettes publiques sont élevées, la fourniture de bienscollectifs dans le secteur officiel est suffisante et par conséquent le secteur of-ficieux est restreint. Dans le second, la fiscalité et les réglementations dans lesecteur officiel sont décourageantes, les finances publiques précaires, la four-niture de biens collectifs perfectible et, donc, une grande proportion de l’acti-vité économique se concentre dans le secteur officieux.

Les facteurs de la décision de rejoindre l’informalité qui sont énumérésprécédemment montrent que ces décisions sont grandement influencées pardes

normes sociales

– modes de comportement constituant des règles coutu-mières fondées sur l’acceptation sociale en vertu desquelles des individus coor-donnent leur action (Young, 2006). Aujourd’hui, un nombre considérable depublications économiques et de recherches touchant à d’autres domaines (an-thropologie, biologie évolutionniste et humaine, psychologie sociale, sociolo-gie, sciences politiques) élargissent le modèle économique traditionnel demaximisation des richesses afin d’y inclure des caractéristiques réalistes descomportements et de la réciprocité induits par des normes. Dans ces publica-tions, il est souvent constaté que, dans le cadre d’une action collective, les par-ticuliers ne font pas un calcul purement mathématique mais adoptent uneapproche plus complexe, plus émotionnelle, et plus empreinte de

réciprocité

11

.Souvent, ils décident de respecter les réglementations non seulement parceque c’est ce qui est le mieux pour eux mais aussi parce qu’ils sont satisfaits dugouvernement et qu’ils ont confiance en lui. Mais, comme on l’a vu, lorsqu’ilsjugent l’Etat incompétent, inéquitable et corrompu, ils ne sont pas disposés àrespecter les réglementations.

La dynamique allant dans le sens d’équilibres multiples est d’autant plusforte que les normes sociales sont importantes. Certes, dans sa définition dansle

Palgrave

des normes sociales,

Young (2006) indique que «normes» estun terme qui ne s’applique généralement qu’aux jeux à équilibres multiples.Dans le cas typique d’une action collective ponctuelle, la théorie conventionnelleconsidère la fraude ou la resquille comme la stratégie dominante de chaque in-dividu. En revanche, selon la théorie de forte réciprocité, il n’y a pas de stra-tégie individuelle dominante: lorsqu’ils décident de tricher ou non, lesparticuliers suivent l’exemple des autres (Kahan, 2005). Ces interdépendancestendent à créer des modes de comportement collectif caractérisés par des équi-libres multiples et par des

facteurs d’entraînement

. Si pour une raison ou une

11

Les essais réunis dans Gintis et coll. (2005) donnent une vue d’ensemble utile sur ce point.

Page 12: Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine: étude préliminaire

312

Revue internationale du Travail

autre des particuliers estiment que leurs pairs sont enclins à apporter leur con-tribution, ils le feront aussi, incitant ainsi d’autres à suivre leur exemple, et uncomportement solidaire entrera dans les mœurs. Mais, s’ils pensent qued’autres trichent, ils le feront aussi, et ainsi de suite (Kahan, 2005).

La multiplicité des équilibres apparaît facilement dans les jeux à informa-tion incomplète (les joueurs imaginent ce que d’autres joueurs vont décider),ainsi que dans les jeux répétés où la «réputation» découle d’une

faible récipro-cité

– c’est-à-dire le type de réciprocité induite par des stratégies de représaillesdans les jeux de coopération répétée. La

forte réciprocité

est le comportementde «personnes agissant par réciprocité sur une base émotionnelle et morale»qui ne contribuent à des biens collectifs que si d’autres personnes y contri-buent, même dans le cadre de transactions ponctuelles avec de multiples ac-teurs dont ils ne peuvent ni contrôler le comportement ni connaître l’identité(Kahan, 2005). Les publications sur la forte réciprocité vont même plus loindans le sens de la multiplicité et attribuent un rôle plus important à la complé-mentarité des stratégies des agents. Les publications sur ce sujet rendentcompte des divers types de comportement qui touchent au bien-être collectif(entre autres recyclage des déchets, interdiction de fumer dans des lieux pu-blics, comportement sexuel sans risque), qui sont sujets à des effets de réactionet à des équilibres multiples, et dont l’ampleur varie beaucoup selon le milieuet dans le temps – voir Cooter (1997), Kuran et Sunstein (1999) et Sunstein(1996).

Le véritable problème d’action collective que pose la politique des pou-voirs publics est peut-être en définitive le respect de la législation fiscale, ques-tion sur laquelle nous reviendrons. Les études sur ce sujet font apparaître desmécanismes d’«échange social» en vertu desquels le respect de cette législationdépend de la confiance dans l’Etat et d’un sentiment d’obligation morale quifait pendant à l’action du gouvernement. Au-delà de ce «contrat vertical» entrel’Etat et les citoyens, des études établissent que les décisions de respecter la lé-gislation fiscale sont également fonction d’

interactions sociales

,

plus locales et«horizontales» (Andreoni, Erard et Feinstein, 1998)

12

.Le respect de la législation fiscale varie considérablement d’un pays à

l’autre. Selon certaines recherches, une part très faible de ces écarts peut êtreexpliquée par la crainte d’une sanction; les différences d’attitude vis-à-vis de lalégislation pèsent davantage. Dans certains pays, les gens considèrent quepayer leurs impôts est une obligation civique importante, ce qui les incite for-tement à s’en acquitter. Dans d’autres, ils sont plus désinvoltes et ne ressententpas une gêne particulière à l’idée de frauder s’ils estiment pouvoir le faire sansrisques (Alm, Sánchez et De Juan, 1995; Cowell, 1990). Dans une étude trans-nationale sur le respect de la législation fiscale, Cowell indique ce qui suit: «Ces

12

La perception qu’a un particulier de l’ampleur de la fraude fiscale est un facteur prédictifimportant des comportements: il est d’autant plus probable qu’une personne triche si elle estimeque la fraude est répandue. La perspective de la honte, de la déconsidération ou d’un sentimentde culpabilité a un effet analogue. Une personne aura d’autant moins tendance à frauder si ellecraint d’être montrée du doigt (Grasmick et Scott, 1982; Kahan, 2005).

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

313

différences systématiques entre pays et entre groupes dans un pays ne sau-raient être rejetées au motif qu’il s’agit de différences innées de choix ou detempérament. Même si cela ne semble pas satisfaisant pour expliquer des mo-dèles nettement marqués et individualistes de comportement économique, ilsemble bien que des personnes prennent en compte le «climat» du ou des grou-pes auxquels elles appartiennent» (p. 102).

Une question importante se pose: si les problèmes que nous observonssont dus à une multiplicité d’équilibres, que faire? A dire vrai, nous ne savonspas précisément. Certaines réponses simples risquent de ne pas suffire; des re-cherches montrent que le renforcement de l’application de la législation fiscalerisque d’avoir des conséquences imprévues si des effets de réciprocité entrenten jeu. Elinor Ostrom (2005), dans son article au titre éloquent «Politiques en-travant la réciprocité et l’action collective», affirme que certaines mesures d’in-citations découragent des attitudes comme l’altruisme et, par un effetmultiplicateur de réciprocité, aboutissent à un équilibre

pire

encore

13

. A l’évi-dence, ce cas n’est pas une généralité mais peut se produire dans certaines cir-constances. Parfois, l’opinion des gens sur l’Etat et ses agents peut influerbeaucoup lorsqu’il s’agit de déterminer un nouvel équilibre en cas de modifi-cation des réglementations. A cette fin, il faut donc bien comprendre les cir-constances de l’équilibre social dans chaque cas. Aussi est-il impérieuxd’étudier la dynamique historique et les spécificités nationales qui conduisentà des trajectoires aussi différentes. Comme le dit Young (2006), «l’évolutiondes normes est un processus complexe dans lequel de nombreuses forces inter-viennent». On ne sait guère comment une opinion se forge et évolue. Dans laconclusion du présent article, nous donnons quelques pistes de réflexion à cesujet.

Avant de revenir à ces considérations générales, nous examinons de plusprès dans la section suivante la structure et les caractéristiques des systèmes fis-caux et des dépenses sociales en Amérique latine. Comme il est indiqué dansl’introduction, il s’agit là d’éléments importants de la notion de contrats so-ciaux. Liés à certains aspects de l’informalité, ils permettent d’examiner despoints relatifs au contrat social en s’intéressant en particulier aux acteurs socio-économiques pertinents.

Contrat fiscal, redistribution et Etat-providence en Amérique latine

Sont présentés ici certains grands traits des systèmes de protection socialelatino-américains. Tout d’abord, nous dressons une liste succincte de faits enmatière de fiscalité. Nous la rapprochons ensuite des questions évoquées dansle présent article: morale fiscale, normes sociales et vues des citoyens au sujetde l’Etat.

13

Bruno Frey (1994) et Frey et Oberholzer-Gee (1997) ont fourni des arguments économi-ques novateurs dans ce sens.

Page 14: Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine: étude préliminaire

314

Revue internationale du Travail

Un système fiscal sans fonction redistributive

On sait aujourd’hui que c’est en Amérique latine que la redistribution des re-venus est la plus inéquitable (CEPALC, 2006). Ce que l’on sait moins, et quicommence à ressortir de recherches menées principalement par la Banquemondiale

14

, c’est que ces fortes inégalités sont dues essentiellement aux effetsde l’action publique (ou à l’absence d’action publique) et pas purement et sim-plement au marché. En termes de revenu disponible, l’Amérique latine estbien plus inéquitable que l’Europe; le coefficient moyen de Gini y est à peuprès de 0,50 contre environ 0,31 pour l’Europe. La situation change considéra-blement si l’on considère les coefficients de Gini de la distribution des revenusdu marché (c’est-à-dire avant impôts et transferts). Tandis que le coefficientmoyen de Gini des revenus du marché pour l’Amérique latine est de 0,52, soitseulement deux points de pourcentage de plus que celui du revenu disponible,il est en moyenne de 0,46 pour l’Europe, soit un chiffre sensiblement plus élevéque celui du revenu disponible. Pour l’essentiel, ces écarts du degré d’inégalitédu revenu disponible tiennent à l’impact différent de la fiscalité et des trans-ferts: ces deux éléments réduisent considérablement les inégalités du revenudes marchés en Europe, et très peu en Amérique latine. Ce qui est intéressant,c’est que la même remarque vaut si l’on compare les pays d’Amérique latineet les Etats-Unis, pays qui n’a pas la réputation d’être très redistributif (Ale-sina et Glaeser, 2006).

L’incapacité ou la réticence des systèmes politiques latino-américains àaméliorer la répartition des revenus ne sont pas choses nouvelles et n’ont paséchappé à l’attention d’observateurs précédents. Par exemple, il y a plus d’undemi-siècle, Kuznets (1955, p. 24) avait déjà évoqué «l’incapacité des systèmespolitiques et sociaux des pays sous-développés d’adopter les pratiques gouver-nementales ou politiques nécessaires pour aider efficacement les classes ayantde faibles revenus»

15

.Dans les paragraphes suivants, nous expliquons brièvement les éléments

de la fiscalité qui font que les Etats latino-américains ne parviennent pas àaméliorer la redistribution.

Faible recouvrement des impôts: lacunes, fraude et application déficiente de la loi

Même si le recouvrement des impôts augmente en Amérique latine depuisquelques années, les recettes restent nettement en deçà de la norme interna-tionale. La figure 3 (tirée de Goñi, López et Servén, 2006) montre que presquetous les pays de la région se situent au-dessous de la courbe de régression quireprésente le recouvrement des impôts par rapport au PIB par habitant. Lepays médian en Amérique latine recouvre quatre points de pourcentage du

14

Voir par exemple Perry et coll. (2006) et Goñi, López et Servén (2006). Une grande par-tie des éléments présentés ici s’inspirent de ce dernier article.

15

Cité dans Beramendi et Díaz-Cayeros (2006).

Page 15: Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine: étude préliminaire

Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

315

PIB de moins que ce que son niveau de développement permettrait d’attendre(Goñi, López et Servén, 2006; et Perry et coll., 2006).

Le problème à l’origine des faibles rentrées fiscales (en particulier desimpôts sur le revenu) en Amérique latine tient plus à une base fiscale étroitequ’aux taux d’imposition. Il convient de noter que cela est dû à son tour à desasymétries du régime fiscal susceptibles d’alimenter le discrédit à l’égard del’équité et de l’efficacité du système. C’est l’un des points que nous soulignonsdans cet article.

La fraude fiscale est généralisée dans la région, et renforcée par les défi-ciences des administrations fiscales. Mais, selon certains experts, tous ces élé-ments sont aggravés (et réciproquement) par un problème commun àbeaucoup de pays d’Amérique latine, à savoir le manque de

morale fiscale.

Deplus en plus d’études portent sur la morale fiscale, en théorie et dans la prati-que, dans plusieurs pays, y compris en Amérique latine. Elles indiquent que lescitoyens fraudent s’ils estiment que la fiscalité est excessive par rapport à laqualité des services et que le recouvrement des impôts est arbitraire et injuste.Ces études indiquent aussi qu’ils sont influencés par l’opinion d’autres citoyensdont ils sont proches, géographiquement ou sociologiquement.

Dans la plupart des pays d’Amérique latine, nombre de ces élémentsmanquent de cohérence et constituent l’un des principaux maillons faibles descontrats sociaux. Par exemple, des sondages d’opinion montrent que la grandemajorité des gens considère que le recouvrement des impôts est dans une large

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6 7 8 9 10 11PIB par habitant (en logarithme)

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Figure 3. Recettes fiscales de l’administration publique centrale et PNB par habitant

Source: Goñi, López et Servén, 2006.

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316

Revue internationale du Travail

mesure arbitraire et injuste (23 pour cent seulement des personnes interrogéespar

Latinobarómetro

en 2003 estimaient qu’il était «impartial»

16

).Des données transnationales indiquent l’existence d’un lien entre la pro-

pension à respecter les réglementations fiscales et les résultats perçus de l’ac-tion des pouvoirs publics. La figure 4 montre une corrélation négative entre lamorale fiscale et le sentiment que le gouvernement agit dans l’intérêt de quel-ques-uns (indicateur de captation de l’Etat). De la même façon, la morale fis-cale s’accroît avec la conviction que le gouvernement dépense l’argent descontribuables à bon escient. Dans les deux cas, les corrélations sont significati-ves, même lorsqu’il est tenu compte du PIB.

Les corrélations transnationales présentées ci-dessus semblent indiquerque la disposition à payer ses impôts est reliée à l’idée que l’on se fait de la per-formance de l’Etat. Bergman (2002) va un peu plus loin avec une analyse pré-cise de la discipline fiscale qui s’appuie sur les données de microrechercheseffectuées au Chili et en Argentine. Il constate que, au Chili, les citoyens sontplus disposés à respecter la législation fiscale – c’est d’ailleurs le cas. La con-fiance dans les institutions publiques renforce à son tour la confiance dans leurcapacité d’utiliser les ressources publiques pour financer les politiques socialeset lutter contre la pauvreté. En Argentine, en revanche, les institutions publi-ques suscitent moins la satisfaction et la confiance, d’où le moindre degré desolidarité qui y est constaté.

Ces différences dans la norme sociale entre ces deux pays correspondentaux données de

Latinobarómetro

sur les comportements, lesquelles font appa-raître de profonds écarts de morale fiscale dans la région. Le fait qu’une mo-rale fiscale médiocre se traduit par la fraude est relié à l’option de sortie deHirschman (1970): si l’Etat ne fournit pas à la population les biens collectifsqu’elle attend, et s’il n’y a pas de pression sociétale dans le sens de la contribu-tion ou de la participation au circuit fiscal et des transferts mis en place parl’Etat, la population sera fortement incitée à entrer dans la clandestinité et à yrester. Ainsi, la figure 5 montre que, en Amérique latine, la morale fiscale, enconséquence, est d’autant plus faible que l’informalité est répandue. Celalaisse supposer que, en général, dans les pays où l’informalité est élevée, lanorme sociale n’encourage pas à observer les réglementations fiscales.

Des dépenses sociales inéquitables

L’un des éléments qui alimente le sentiment d’injustice est la structureréelle et perçue du taux d’imposition et de transferts dans l’échelle des reve-nus. Alors qu’en tout les dépenses sociales dans l’ensemble de la région sontpassées de 12,8 pour cent du PIB en 1990 à 15,1 pour cent en 2002, l’exclusionet surtout le sentiment d’exclusion restent importants. Des formes de régressi-

16

Spicer et Becker (1980) apportent des éléments qui démontrent l’existence d’un «effetd’inéquité» qui veut que ceux qui estiment ne pas être traités avec justice par le système fiscalauront plus tendance à frauder. Les taux de couverture ont stagné partout, sauf au Brésil et auChili.

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

317

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

319

vité demeurent et les inégalités dans les pays sont encore très fortes. CommeGoñi, López et Servén (2006) et Lindert, Skoufias et Shapiro (2006) le souli-gnent à juste titre, cela ne veut pas dire que ces initiatives accentuent les iné-galités; elles les réduisent si leur incidence est moins régressive que celle durevenu avant transferts. Pourtant, comme il ressort clairement de la comparai-son avec des pays européens, elles sont bien moins progressives qu’elles nepourraient l’être (voir par exemple la figure 10 de Goñi, López et Servén(2006)).

Dans le domaine de l’éducation, à l’exception de l’enseignement supé-rieur, les dépenses sont le plus souvent progressives et se sont accrues danstous les pays. Mais, malgré les progrès, les indicateurs de qualité restent mé-diocres et les écarts à l’intérieur des pays sont extrêmement amples. Pour cequi est des soins de santé, l’Amérique latine a nettement progressé dans lafourniture des soins de santé de base et des services de nutrition. Toutefois, làencore, la qualité de l’accès diffère beaucoup selon les catégories de revenus(de Ferranti et coll., 2004; Banque mondiale, 2005a).

Les dépenses de sécurité sociale, qui sont celles ayant le plus augmenté,sont assez régressives. Le système de retraites en représente la plus grandepart, et l’un des problèmes majeurs, comme on le montre plus bas, est sa faiblecouverture (cette caractéristique touche de très près le sujet de cet article: lestravailleurs informels sont l’une des principales catégories exclues). Certainesmesures d’aide sociale sont assez progressives mais, en général, elles consti-tuent une faible proportion des dépenses (Lindert, Skoufias et Shapiro, 2006).En outre, du point de vue du «contrat social», il se peut que ces mesures aientdes conséquences indirectes indésirables.

Couverture de la sécurité sociale

Dans la plupart des pays, la proportion de la population couverte par lasécurité sociale est réduite et diminue (figure 6). De plus, malgré les réformes,la plupart des prestations sociales régressent. Certains pays ne protègentpersonne, d’autres protègent principalement les segments riches de la popula-tion (figure 7). En outre, dans six pays au moins, le système devient plus régres-sif – la couverture des pauvres diminue par rapport à celle des riches (figure 8).L’Argentine est un cas extrême: la couverture sociale des riches s’accroît légè-rement et celle du quintile le plus pauvre diminue fortement (figure 9). Cen’est qu’au Mexique que l’écart de couverture sociale entre le quintile le pluspauvre et le plus riche s’amenuise, mais cela est principalement dû à la légèrebaisse de la couverture sociale des riches.

Evaluation de la protection sociale

Les pays latino-américains n’ont pas de système d’Etat-providence au sensstrict d’un modèle idéal dans lequel l’Etat assume la responsabilité principalede la protection sociale des citoyens, cette responsabilité étant globale (c’est-

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320

Revue internationale du Travail

à-dire qu’elle prend en compte tous les éléments de la protection) et univer-selle (chacun a droit à cette protection). Contrairement à l’usage, la notiond’Etat-providence renvoie ici, au sens large, à l’ensemble des programmes etorganismes mis en place pour redistribuer les revenus et lutter contre la pau-vreté et l’exclusion sociale, mais aussi aux programmes et organismes qui four-nissent une assurance et constituent un mécanisme de redistribution tout aulong de la vie (Barr, 2001, p. 1).

Comme il est souligné dans l’introduction, chaque pays est un cas parti-culier et chaque «système de protection sociale» a une histoire différente. Unrésumé montre que, à peu près au milieu du XX

e

siècle, plusieurs pays qui ap-pliquaient un modèle, reposant sur l’Etat, de substitution de produits natio-naux aux importations ont élaboré des politiques sociales favorisant le secteururbain et couvrant de préférence les participants aux marchés du travail for-mels, autrement dit un modèle

bismarckien.

Les travailleurs ruraux et infor-mels en étaient exclus. Cela dit, même au sein des groupes inclus, il y avait unestratification marquée en termes d’accès, de couverture et de qualité des pres-tations (Mesa-Lago, 1991; Filgueira, 2005). Les travailleurs du secteur publicet des principaux secteurs des services, puis les cols bleus, ont bénéficié despremières et des meilleures prestations. Malgré toutes ces lacunes, jusqu’auxannées quatre-vingt le système s’est élargi progressivement. C’est alors qu’il adonné des signes manifestes de fatigue et, dans les années quatre-vingt-dix, saportée a commencé à stagner puis à diminuer

17

. La figure 10 montre à titred’exemple l’évolution de la sécurité sociale au Mexique.

17

Les taux de couverture ont stagné partout, sauf au Brésil et au Chili.

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Figure 6. Taux de couverture de la sécurité sociale dans la population active

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Années 1990 Années 2000

Source: Rofman et Lucchetti (2006).

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine

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Informalité, Etat et contrat social en Amérique latine 323

Selon la définition de certains auteurs (Fiszbein, 2004; de Ferranti et coll.,2004), les systèmes latino-américains actuels de protection sociale sont «tron-qués». Comme on l’a vu dans la section précédente, si l’on trace la courbe dudegré de protection formelle contre les risques qu’encourent différents grou-pes de revenus, on constatera vraisemblablement une rupture quelque partdans la moitié inférieure de la répartition. La couverture des pensions devieillesse en est un bon exemple. Selon le pays et à quelques exceptions près(principalement le Brésil et l’Uruguay), il y a une rupture nette entre ledeuxième et le troisième ou quatrième quintile de la distribution des revenus.Cette rupture est liée au modèle bismarckien qu’ont adopté la plupart des sys-tèmes latino-américains. Une part considérable de la population n’a pas deprotection formelle. Cela ne veut pas dire que ces personnes sont totalementdépourvues de protection; dans le cas des risques de santé, la principale sourcede protection est le système de santé publique. Toutefois, en règle générale,ces systèmes sont insuffisamment financés et souvent mal gérés. Ainsi, en rai-son de diverses formes de rationnement des soins, les non-assurés sont malprotégés (Fiszbein, 2004; Baeza et Packard, 2006).

D’après Fiszbein (2004), ce système tronqué de protection sociale est de-venu progressivement un système à deux vitesses: la classe moyenne 18 bénéfi-cie d’une protection assez bien financée (parfois en partie par les autres); celledes pauvres l’est insuffisamment et elle est souvent clientéliste. La situation

18 Dans beaucoup de pays latino-américains, l’expression «classe moyenne» désigne sou-vent les quintiles supérieurs; les personnes véritablement riches ne sont généralement pas couver-tes par les mesures habituelles (fondées sur les revenus du travail) de la distribution des revenus.

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Figure 10. Couverture de la sécurité sociale au Mexique, 1950-2005

Source: Martínez (2006).

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324 Revue internationale du Travail

dominante, les nombreuses crises macroéconomiques que la région a connueset l’influence des idées en vogue ces dernières décennies ont abouti à la miseen place des «pis-aller des années quatre-vingt-dix»: les programmes ciblés.Depuis le milieu des années quatre-vingt, presque tous les pays consacrent da-vantage de ressources aux programmes sociaux qui incluent progressivementune aide alimentaire, des fonds sociaux et une aide sociale liée à l’acceptationd’un emploi. A la fin des années quatre-vingt-dix, un nouveau type d’assistancesociale assortie de prestations monétaires conditionnelles a été élaboré. Cesnouveaux instruments sont assez efficaces en ce que leur taux d’applicationprogresse, mais ils ne représentent qu’une petite fraction des dépenses et peu-vent avoir des inconvénients du point de vue du «contrat social», entre autresles suivants:● Ils risquent de renforcer l’informalité. Si les personnes dans cette situa-

tion bénéficient de nombreuses prestations – même si ces prestations sontmoins bonnes que celles que ces personnes obtiendraient si elles étaientdans le secteur formel –, elles risquent de n’être guère encouragées àchanger de situation.

● Cet écart même de qualité des prestations accroît le sentiment d’exclu-sion.

● Les mesures de ce type risquent à la longue de nuire à l’intégrationsociale, d’affaiblir la cohésion sociale, voire de susciter la stigmatisation.

● Dans divers pays, ce type de programmes va de pair avec le clientélismepolitique (pratiques renforcées par la décentralisation) 19.Pour toutes ces raisons, il se peut que les programmes ciblés, qui sont uti-

les parce qu’ils visent les groupes les plus désavantagés de la population, aientdes effets contraires à ceux attendus du point de vue du contrat social. Nousrevenons sur ce point dans la section qui suit.

Contrats sociaux en Amérique latine: où va-t-on?La description dans la section précédente du système fiscal de redistribution etdu système de protection sociale fait apparaître plusieurs liens entre leurs ré-sultats sociaux et économiques globaux, les caractéristiques des services four-nis par l’Etat, les choix individuels et les opinions individuelles et collectivesqui sont à l’origine des situations de l’informalité. Cette description porte surles questions plus larges qui font l’objet du présent article: beaucoup de socié-tés latino-américaines, pour ne pas dire la plupart, connaissent des difficultésen ce qui concerne leur contrat social.

Si l’on considère ces faits sous l’angle des opinions et des actes d’indivi-dus situés à des niveaux différents de l’échelle socio-économique, on pourrait

19 Voir par exemple Penfold-Becerra (2006) pour le cas du Venezuela, Díaz-Cayeros, Esté-vez et Magaloni (2006) pour le Mexique, Martz (1996) pour la Colombie, Gay (1997) pour le Bré-sil, Auyero (2000), Brusco, Nazareno, et Stokes (2004) pour l’Argentine.

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dire que dans beaucoup de pays latino-américains les riches, la classe moyenneet les pauvres s’estiment lésés par les dispositifs actuels, et pensent donc avoirraison de ne pas contribuer au système chaque fois que c’est possible.

Aux deux extrémités de l’échelle socio-économique, on constate généra-lement un grand nombre de sorties du système. Nous pouvons examiner les dé-cisions fondées sur une analyse coûts-avantages, analogue à celle qui estprésentée plus haut, du point de vue cette fois d’un citoyen appartenant auquintile le plus élevé et qui prend en compte son rapport à l’Etat et à l’ensem-ble de la société lorsqu’il décide de frauder ou non. Dans beaucoup de payslatino-américains, ce citoyen «riche» n’utilisera vraisemblablement pas lesservices fournis par l’Etat et préférera des services privés de meilleure qualité– assurance vieillesse 20, services de sécurité, éducation et soins de santé. Pro-bablement aussi, il pensera que les services fournis par l’Etat ne lui sont pastrès utiles. Quant à la question de savoir s’ils le sont pour l’ensemble de la po-pulation, il y a de fortes chances qu’il partage l’opinion selon laquelle ces ser-vices sont médiocres, inutiles, inefficaces et inéquitables pour les autrescouches sociales. Ce point de vue négatif sur la valeur des services de l’Etatsera vraisemblablement renforcé par le sentiment généralisé que le favoritismeet la corruption sont la règle au sein du gouvernement en général et dans l’aidesociale en particulier, et par la norme sociale qui justifie implicitement la pra-tique répandue de la fraude fiscale 21.

Les pauvres se sentent encore moins concernés. La notion hirschma-nienne de sortie s’applique aussi à l’autre bout de l’échelle socio-économique:les pauvres ne paient pas beaucoup d’impôts mais ils ne reçoivent pas grand-chose non plus de l’Etat. Ils s’estiment défavorisés dans l’accès aux biens col-lectifs, aux droits de propriété, à la protection prévue par la loi et aux servicesjudiciaires, ce qui les pousse à recourir à des mécanismes informels et les incited’autant moins à entrer dans le circuit formel.

Cette tendance à la sortie aux deux extrémités de l’échelle socio-éco-nomique a d’importants effets cumulatifs. La faible propension à apporter sacontribution explique en partie les ressources fiscales limitées, ce qui nuit à laqualité et à la couverture des services fournis par l’Etat et, par conséquent, à laconfiance dans l’Etat et à la morale fiscale. Ainsi, des gens choisissent de ne pascontribuer à la mise en place de mécanismes sociaux plus justes, d’un contratsocial plus efficace. Non seulement de façon individuelle, après avoir évalué lescoûts et avantages de ce choix, comme on l’a vu précédemment, mais aussi

20 Dans le cas spécifique des pensions, on peut penser que dans certains pays les systèmesde comptes individuels «privatisés» sont largement équivalents au système public en ce qui con-cerne l’incertitude des prestations futures et les risques politiques et économiques (Kay, 2003; Rof-man, 2002; Spiller et Tommasi, 2007). Les choix privés impliquent d’autres alternatives comme descomptes d’épargne vieillesse ouverts dans des institutions financières étrangères, d’autres actifs oule réseau familial afin de bénéficier d’une protection pour les vieux jours.

21 Dans beaucoup de pays, comme l’Argentine – et contrairement au Chili (Bergman, 2002et 2003) –, l’influence du groupe auquel le citoyen appartient est négative et la fraude fiscale estamplement acceptée du point de vue social, en particulier parmi les couches plus aisées.

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collectivement (groupes, segments entiers de la population) sous l’effet dedynamiques «locales». Par ailleurs, les citoyens plus aisés sont d’autant moinsenclins à payer leurs impôts si leurs amis, voisins et collègues ne les paient pas.Cette attitude est renforcée par le raisonnement partagé que, entre autres,l’Etat est corrompu, que le clientélisme est monnaie courante et que les pau-vres ne sont pas pleinement méritants puisqu’ils font partie de réseaux clienté-listes qui les paient pour se rendre à des réunions politiques, et non pourtravailler honnêtement 22 . Les pauvres ont plus tendance à se trouver dans lesecteur informel, à participer à des réseaux clientélistes et à juger défavorable-ment l’Etat et les dispositifs sociaux en place, comme le font leurs pairs et leurentourage. Cette spirale descendante se traduit par des équilibres de bas ni-veau caractérisés par l’inobservation des contrats sociaux.

Reprenons le bref historique des systèmes de protection sociale en Amé-rique latine en nous intéressant plus particulièrement cette fois à l’évolution ducontrat social. Dans une certaine mesure, plusieurs pays du continent ont es-sayé à un moment donné du XXe siècle de mettre sur pied un contrat social axésur le marché du travail avec des acteurs institutionnels puissants, par exempleles syndicats. Ce modèle, corrélé avec le modèle dominant de développementà cette époque, a permis une intégration progressive. Toutefois, sa couverturen’a jamais été totale. Fortement stratifié, il a cessé d’être viable. En raison deleur lourdeur, mais aussi à cause de la décision politique claire d’améliorer laviabilité fiscale et d’insérer certains «principes du marché», ce système et lesinstitutions politiques qui le fondaient ont été supprimés. L’ancien contrat so-cial s’est effondré et n’a pas été remplacé par un substitut viable.

Il est bon de rappeler un point général sur lequel nous avons attiré l’at-tention dans cet article: l’hétérogénéité des trajectoires nationales. Les diffé-rents pays de l’Amérique latine sont le résultat de parcours historiques propreset semblent aller dans des directions différentes; le consensus sociétal sur lesorientations à suivre à l’avenir n’est pas le même partout. Dans un souci deconcision, nous nous contenterons de décrire brièvement la situation de deuxpays qui, malgré des similitudes (aujourd’hui les plus riches pays d’Amériquelatine, ils ne sont pas marqués par de profondes divisions ethniques et les po-pulations indigènes n’y sont pas nombreuses), semblent prendre des directionsdifférentes: l’Argentine et le Chili 23.

En Argentine, selon les données disponibles, les inégalités dans l’accès àla protection sociale se creusent et l’efficacité des dispositifs en place est gra-vement compromise. Le système actuel de protection sociale est la juxtaposi-tion d’éléments du système précédent, d’ajouts récents et de programmesd’assistance sociale plus ou moins performants sous certains aspects mais quine constituent pas un tout cohérent, et encore moins un ensemble intégré de

22 Ainsi, depuis plusieurs années, les classes moyennes et supérieures en Argentine se fontune opinion de plus en plus négative des bénéficiaires de programmes ciblés – par exemple desprogrammes de protection sociale et d’emplois (Amadeo, 2005).

23 D’autres cas sont examinés dans Perry, Maloney et Arias (2007).

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politiques sociales issues d’un consensus social. Si tant est qu’elle existe, il y aune certaine dynamique mais elle ne va pas dans le sens de la création d’uncontrat social. S’inscrivant dans le fil de promesses non tenues dans le passé,sont venues ensuite, pendant l’ère de la réforme libérale, d’autres attentes queles résultats économiques et sociaux n’ont pas comblées 24. De plus, la ségréga-tion socio-économique s’étend, d’où le risque d’autres difficultés pour forgerensemble un contrat social. Que ce soit en ce qui concerne les écoles où ils pla-cent leurs enfants, les services de santé ou le lieu de résidence, les pauvres etles riches tendent à vivre dans des mondes de plus en plus séparés. Il y a plu-sieurs décennies, l’Argentine était une société au niveau d’intégration éduca-tive satisfaisant. Aujourd’hui, la tendance est à regrouper les enfants enfonction de leur statut socio-économique (Llach et Gigaglia, 2006; Narodowskiet Nores, 2002; Llach et Schumacher, 2003). De même, des villes comme Bue-nos Aires étaient assez intégrées et il y avait des interactions entre les classessociales dans les espaces publics (Torre et Pastoriza, 2002; Janoschka, 2002;Torres, 1993; Romero et Romero, 1983; Scobie, 1974), mais depuis une ving-taine d’années la ségrégation s’y est accentuée, les classes moyennes supérieu-res se retranchant dans des quartiers sécurisés et les pauvres se concentrantdans des villas miserias (bidonvilles) (Svampa, 2002 et 2005; Prévôt Schapira,1999; Thuillier, 2001).

Si l’on considère cette évolution à la lumière des publications sur la ques-tion de la réciprocité, qui soulignent que les gens sont d’autant plus disposés àcontribuer aux systèmes de protection sociale qu’ils sont plus proches des allo-cataires de ces systèmes, tout indique qu’il sera difficile de créer des contratssociaux plus ouverts et plus intégrés. Dans un même ordre d’idées, certainesinteractions entre l’informalité croissante et la transformation de la politiquesemblent alimenter des retournements néfastes. Des pays comme l’Argentinequi, il y a des décennies, paraissaient prendre les décisions cruciales dans le ca-dre d’une négociation centralisée qui aboutissait à des politiques nationales,passent maintenant à un modèle de construction politique de plus en plus ter-ritorialisé, dans lequel des programmes ciblés d’aide sociale, l’informalité, leclientélisme et de nouvelles formes de participation politique (comme les pi-quetes) semblent se renforcer mutuellement 25.

Le Chili est un cas différent. C’est la seule économie de la région à êtreparvenue à des taux très bas d’extrême pauvreté. Il ressort de l’enquête sur lasituation socio-économique nationale (Encuesta de Caracterización Socioe-conómica Nacional) que le nombre des bénéficiaires du programme Chile So-lidario est supérieur à celui des personnes en situation d’extrême pauvreté.L’un des éléments essentiels, et l’un des premiers, du rétablissement de ladémocratie qui a commencé en 1990 a été la négociation d’une réforme fiscale.Elle a permis de convaincre les élites (c’est-à-dire les entrepreneurs et les

24 Voir par exemple Lora et Panizza (2002 et 2003); Lora, Panizza et Quispe-Agnoli (2004);et Forteza et Tommasi (2006).

25 Voir Spiller et Tommasi (2007), Ardanaz, Leiras et Tommasi (2005), et Levitsky (2003).

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personnes à revenus élevés qui, en vertu de la réforme, devaient supporter lesdeux tiers de la nouvelle charge fiscale) que, dans cette situation incertaine, ceserait le prix modique du retour à la paix démocratique. La conjugaison de laréforme fiscale et d’objectifs politiques clairs a contribué à l’élaboration d’uncontrat social. Le Congrès a adopté la réforme six semaines après l’entrée enfonction du nouveau gouvernement de concertation. Le Chili a réformé sonsystème de retraites mais était toutefois conscient que l’accroissement de sacouverture demeurait insuffisant. Il propose donc maintenant un ensemble deréformes axées sur la couverture universelle qui maintiendront les cotisationsindividuelles en tant que ressource principale du système et garantiront saviabilité fiscale 26. La confiance dans les institutions est solide et la productivitéfiscale la plus élevée de la région. L’informalité représente moins de 15 pourcent de l’économie. Toutefois, les inégalités de revenus sont très fortes et, c’estsymptomatique, cette question est l’une des premières de l’ordre du jour poli-tique.

Conclusions: que faire au sujet des contrats sociaux en Amérique latine?Pour finir sur une note un peu plus normative, nous nous demandons ici quel-les sont les implications de l’analyse présentée dans le présent article en ce quiconcerne l’informalité et les autres questions à l’examen. En quelques mots:nous n’avons pas de recette. Mais il sera difficile de progresser sans un diagnos-tic systémique et, donc, sans une approche systémique de l’action. Ce diagnos-tic et les recommandations correspondantes doivent tenir compte du pays.Pour éviter les erreurs liées à des approches partielles de problèmes commel’informalité, il est nécessaire de connaître les équilibres du pays.

Les corrélations structurelles peuvent différer selon le pays et aboutir àdes compromis différents, par exemple en ce qui concerne le système de pro-tection sociale ou le pacte social que le pays recherche. Plusieurs modèles sontpossibles. Certains peuvent aller dans le sens d’une couverture universelle(modèle européen) et tenter d’unifier le système de protection sociale; celapasse par des ajustements réalistes des paramètres du système d’assurance so-ciale et par un pacte social crédible pour qu’il puisse être financé. D’autrespeuvent s’orienter vers une expansion de l’assistance sociale et conduire à ceque la plupart des gens s’assurent eux-mêmes (modèle américain). Il peut yavoir aussi des variantes nationales 27. Manifestement, quelle que soit la voiechoisie (de préférence en prenant en considération les marges et corrélationstechniques pertinentes), il est peu vraisemblable que le modèle fonctionne

26 Les réformes en cours de discussion portent non seulement sur la couverture mais aussisur le montant des retraites.

27 Voir Levy (2006a) et (2006b) pour des idées fondées sur les résultats du Mexique. VanGinneken (1999) suggère d’étendre la sécurité sociale au secteur informel.

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pleinement s’il ne découle pas d’un consensus réaliste et de mesures de grandeampleur 28.

Il est important de modifier les systèmes de protection sociale, les régi-mes fiscaux et les réglementations en s’inspirant des motivations mises en évi-dence dans les recherches sur la norme sociale et sur la réciprocité et non enles dédaignant. Il faut entre autres tenir compte de ce qui suit: les avis des genssur les causes des forts écarts de revenus comptent; c’est lorsque les gens con-tribuent à l’action collective et jugent malhonnête de profiter des contributionset des efforts d’autrui que d’autres suivent leur exemple. Et, lorsqu’ils croientdans le système, les gens sont résolus à sanctionner les profiteurs.

Il faut beaucoup de recherches pour pouvoir formuler des suggestionssur les moyens susceptibles d’améliorer les équilibres. Notre pressentimentaujourd’hui, c’est que les convictions et attitudes qui déterminent les équilibresque nous observons n’iront pas facilement dans la direction souhaitée sans unchangement radical de l’élaboration et des structures des contrats sociaux. Ilest impérieux d’approfondir les recherches sur la manière dont ces sentimentsse forment, évoluent et changent. Il est crucial aussi d’améliorer le fonctionne-ment des pouvoirs publics des pays latino-américains.

Par ailleurs, on gagnerait à mieux comprendre comment des sociétésmaintenant plus justes sont passées progressivement à un système de contratsocial incluant plus de personnes et dans lequel les dépenses sociales sontmieux utilisées, la base fiscale plus large et les mécanismes d’application plusefficaces 29. A cette fin, il faut connaître la situation passée des sociétés qui sontmaintenant plus avancées, et la comparer à la situation actuelle des pays latino-américains. Un autre élément important sera une analyse approfondie de l’his-torique de la protection sociale, des systèmes fiscaux, de la capacité et de la lé-gitimité de l’Etat et des opinions collectives, c’est-à-dire le contrat social danschaque pays latino-américain.

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28 Les systèmes politiques latino-américains sont-ils prêts à relever ce défi? Certains le sontplus que d’autres. Ces initiatives exigent non seulement des dirigeants très capables mais dépen-dent aussi du cadre institutionnel dans lequel les systèmes politiques fonctionnent en ce qui con-cerne la négociation sociale. La Banque interaméricaine de développement (2005) et Stein etTommasi (à paraître) analysent la situation actuelle de ces capacités institutionnelles dans diverspays latino-américains.

29 L’Espagne semble être un exemple récent utile de changements fondamentaux dans lerôle et l’efficacité du secteur public depuis sa transition à un système démocratique après 1975, etdepuis son adhésion à l’Union européenne. Le pays a adopté de profondes réformes de politiqueet d’administration fiscales, réorienté complètement ses dépenses publiques et élaboré un systèmede protection sociale. Du point de vue du contrat social et de la morale sociale qui est résumé dansle présent article, Martínez-Vázquez et Torgler (2005) montrent comment l’Espagne a réussi à éla-borer des réformes institutionnelles et à faire en sorte que les citoyens s’identifient avec l’Etat etles institutions publiques.

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