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@ Masson, Paris. CAS Ann Fr Anesth Reanim, 11 : 592-597, 1992 CLINIQUE Intdr6t des examens biologiques pour le diagnostic pr coce d'une st atose hdpatique aigu gravidique Value of biological screening for early diagnosis of acute fatty liver of pregnancy V. REISER *, S. DOUVIER **, O. FERRUT*, J.P. LAN(~ON *, E. GISSELMANN * • D6partement d'Urgence et de R6animation •* Service de Gynecologie et Obst6trique, CHU Le Bocage, 21034 Dijon Cedex R#SUM# : La st6atose h6patique aigu6 gravidlque est une maladie rare et grave. Elle survient au cours des trois derniers mois de la grossesse. Quatre observations sont rapport6es, qui confirment l'importance de la biologie et son int6r6t pour le diagnostic. Le tableau clinique est en effet asp6cifique. Comme le pronostic est incontestablement li6 a la pr6coeit6 du diagnostic conduisant ~ l'arr6t de la grossesse, devant toute symptomatologie digestive ou h6patique asp6cifique, il est recommand6 au eours du troisi6me trimestre de la grossesse de r6aliser, sans attendre l'ict6re, une 6tude biologique de la fonction h6patique et de la coagulation. L'analyse de ces donn6es orientera le diagnostic et permettra d'61iminer 1'~ HELLP syndrome ~ ou l'h6patite virale. Cependant, seule l'histologie de la biopsie h6patique permettra d'affirmer le diagnostic. Mots-cl6s : COMPLICATIONS: stdatose h~patique aigu# gravidique ; FO1E : st~atose h(patique aigue" gravidique ; MALADIE RARE : maladie de Sheehan ; OBSTI~TRIQUE : grossesse, complication. INTRODUCTION La stdatose h6patique aigu~ gravidique (SHAG) ou maladie de Sheehan est une affection h6patique grave de la grossesse. Signal6e en 1921 par Couve- laire puis par Stauder en 1934, c'est Sheehan, en 1940, qui en fera la description anatomoclinique. Elle survient au cours du troisi6me trimestre de la -,grossesse et se rdv61e le plus souvent sous la forme d'une insuffisance h6patocellulaire, dont le diagnostic est affirm6 par l'anatomopathologie. Le pronostic est li6 a la pr6cocit6 du diagnostic qui conduit ~t l ' i n t e r r u p t i o n de la grossesse. Quatre observations de maladie de Sheehan survenues au cours de la r6cente d6cennie au CHU de Dijon permettent d'illustrer l'6volution des id6es concer- nant le bilan biologique et son intdr6t dans la pr6cocit6 du diagnostic. OBSERVATIONS Observation n° 1 M m~ C, 2 c geste, 30 arts, sans ant6c6dent particulier, a 6t6 hospitalis6e en juillet 1986 h la 37 e semaine de sa grossesse pour asth6nie et amaigrissement, puis ict6re et vomissements. La patiente, apyr6tique, ne souffrait pas de douleur abdomi- nale. L'examen n'a pas trouv6 d'h6patalgie, d'h6patom6galie, ni de trouble neurologique. I1 n'y avait pas de signe de tox6mie gravidique. La pression art6rielle 6tait h 130/80 mmHg. L'exa- men du foetus a not6 une bonne vitalit6 et un trac6 cardiotoco- graphique normal. Les examens biologiques pratiqu6s ~ l'entr6e (tableau I) ont trouv6 une insuffisance h6patocellulaire grave, une cytolyse, une cholestase mod6r6e, une insuffisance r6nale et une coagulopathie de consommation. Le reste du bilan 6tait normal. La st6atose h6patique a 6t6 suspect6e d'embl6e, d'au- tant qu'il n'existait pas de notion de prise m6dicamenteuse h6patotoxique et que la recherche d'antig~ne HBs et antih6pa- tite A 6tait n6gative. Devant l'aggravation de l'insuffisance hfpatocellulaire et de l'insuffisance r6nale, une c6sarienne pro- phylactique pour sauvetage maternel et foetal a 6t6 r6alis6e apr6s transfusion de plasma frais congel6 (PFC) et de vitami- nes K. L'extraetion a permis la naissance d'un enfant vivant pesant 2 700 g. Pendant l'intervention, une biopsie h6patique a 6t6 r6alis6e qui confirmera la SHAG. L'insuffisance h6patocel- lulaire a r6gress6 en 15 jours. Les gamma GT et le bilan de coagulation ont 6t6 normalis6s en un mois. A six mois de l'6pisode, la patiente avait un bilan biologique normal. La biopsie de contr61e montrait une disparition compl6te des 16sions histologiques. L'enfant, apr6s un s6jour dans le service des pr6matur6s, enest sorti tr~s bien portant. Regu le 23 janvier 1992, accept6 apr~s r6vision le 15 juin 1992. Tir6s ~ part: B. Caillard.

Intérêt des examens biologiques pour le diagnostic précoce d'une stéatose hépatique aiguë gravidique

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@ Masson, Paris. C A S Ann Fr Anesth Reanim, 11 : 592-597, 1992 C L I N I Q U E

Intdr6t des examens biologiques pour le diagnostic pr coce d'une st atose hdpatique aigu gravidique

Value of biological screening for early diagnosis of acute fatty liver of pregnancy

V. REISER *, S. DOUVIER **, O. FERRUT*, J.P. LAN(~ON *, E. GISSELMANN *

• D6partement d'Urgence et de R6animation • * Service de Gynecologie et Obst6trique, CHU Le Bocage, 21034 Dijon Cedex

R#SUM# : La st6atose h6patique aigu6 gravidlque est une maladie rare et grave. Elle survient au cours des trois derniers mois de la grossesse. Quatre observations sont rapport6es, qui confirment l'importance de la biologie et son int6r6t pour le diagnostic. Le tableau clinique est en effet asp6cifique. Comme le pronostic est incontestablement li6 a la pr6coeit6 du diagnostic conduisant ~ l'arr6t de la grossesse, devant toute symptomatologie digestive ou h6patique asp6cifique, il est recommand6 au eours du troisi6me trimestre de la grossesse de r6aliser, sans attendre l'ict6re, une 6tude biologique de la fonction h6patique et de la coagulation. L'analyse de ces donn6es orientera le diagnostic et permettra d'61iminer 1'~ HELLP syndrome ~ ou l'h6patite virale. Cependant, seule l'histologie de la biopsie h6patique permettra d'affirmer le diagnostic.

Mots-cl6s : C O M P L I C A T I O N S : stdatose h~patique aigu# gravidique ; FO1E : st~atose h(patique aigue" gravidique ; M A L A D I E R A R E : maladie de Sheehan ; OBSTI~TRIQUE : grossesse, complication.

INTRODUCTION

L a s t d a t o s e h 6 p a t i q u e a igu~ g r a v i d i q u e ( S H A G ) o u m a l a d i e d e S h e e h a n es t u n e a f f e c t i o n h 6 p a t i q u e g r a v e de la g r o s s e s s e . S i g n a l 6 e e n 1921 p a r C o u v e - l a i r e pu i s p a r S t a u d e r e n 1934, c ' e s t S h e e h a n , e n 1940, qu i e n f e r a la d e s c r i p t i o n a n a t o m o c l i n i q u e . E l l e s u r v i e n t a u c o u r s d u t r o i s i 6 m e t r i m e s t r e d e la

- ,grossesse e t se rdv61e le p l u s s o u v e n t s o u s la f o r m e d ' u n e i n s u f f i s a n c e h 6 p a t o c e l l u l a i r e , d o n t le d i a g n o s t i c e s t a f f i r m 6 p a r l ' a n a t o m o p a t h o l o g i e . L e p r o n o s t i c e s t li6 a la p r 6 c o c i t 6 d u d i a g n o s t i c q u i c o n d u i t ~t l ' i n t e r r u p t i o n d e la g r o s s e s s e . Q u a t r e o b s e r v a t i o n s d e m a l a d i e d e S h e e h a n s u r v e n u e s a u c o u r s d e la r 6 c e n t e d 6 c e n n i e au C H U d e D i j o n p e r m e t t e n t d ' i l l u s t r e r l ' 6 v o l u t i o n d e s i d6es c o n c e r - n a n t le b i l a n b i o l o g i q u e e t s o n i n t d r 6 t d a n s la p r 6 c o c i t 6 d u d i a g n o s t i c .

OBSERVATIONS

Observation n ° 1 M m~ C , 2 c geste, 30 arts, sans ant6c6dent particulier, a 6t6

hospitalis6e en juillet 1986 h la 37 e semaine de sa grossesse

pour asth6nie et amaigrissement, puis ict6re et vomissements. La patiente, apyr6tique, ne souffrait pas de douleur abdomi- nale. L'examen n'a pas trouv6 d'h6patalgie, d'h6patom6galie, ni de trouble neurologique. I1 n'y avait pas de signe de tox6mie gravidique. La pression art6rielle 6tait h 130/80 mmHg. L'exa- men du foetus a not6 une bonne vitalit6 et un trac6 cardiotoco- graphique normal. Les examens biologiques pratiqu6s ~ l'entr6e (tableau I) ont trouv6 une insuffisance h6patocellulaire grave, une cytolyse, une cholestase mod6r6e, une insuffisance r6nale et une coagulopathie de consommation. Le reste du bilan 6tait normal. La st6atose h6patique a 6t6 suspect6e d'embl6e, d'au- tant qu'il n'existait pas de notion de prise m6dicamenteuse h6patotoxique et que la recherche d'antig~ne HBs et antih6pa- tite A 6tait n6gative. Devant l'aggravation de l'insuffisance hfpatocellulaire et de l'insuffisance r6nale, une c6sarienne pro- phylactique pour sauvetage maternel et foetal a 6t6 r6alis6e apr6s transfusion de plasma frais congel6 (PFC) et de vitami- nes K. L'extraetion a permis la naissance d'un enfant vivant pesant 2 700 g. Pendant l'intervention, une biopsie h6patique a 6t6 r6alis6e qui confirmera la SHAG. L'insuffisance h6patocel- lulaire a r6gress6 en 15 jours. Les gamma GT et le bilan de coagulation ont 6t6 normalis6s en un mois. A six mois de l'6pisode, la patiente avait un bilan biologique normal. La biopsie de contr61e montrait une disparition compl6te des 16sions histologiques. L'enfant, apr6s un s6jour dans le service des pr6matur6s, e n e s t sorti tr~s bien portant.

Regu le 23 janvier 1992, accept6 apr~s r6vision le 15 juin 1992. Tir6s ~ part: B. Caillard.

STleATOSE HI~PATIQUE AIGUI ~ GRAVlDIQUE ET BIOLOGIE 593

Obse rva t i on n ° 2

M m° B, 22 ans, primigeste (grossesse g6mellaire), a 6t6 hospitalis6e en aofit 1987 au te rme de 36 semaines d ' am6nor- rh6e. Elle souffrait de troubles de la coagulat ion dans un contexte tox6mique avec hyper tens ion art6rielle, oed6mes, pro- t6inurie et, dans les jours pr6c6dents, d 'asth6nie, vomisse- merits, ict6re et d ' une discr6te cytolyse. Une hyperur ic6mie 103 mg • 1 i et des produi ts de d6gradat ion de la fibrine (PDF) entre 10 et 40 fxmol - ml 1 ont pr6c6d6 de trois jours l 'appari- tion d 'une insuffisance h6patocellulaire avec" cholestase et aggravation de la cytolyse. En dehors d 'une coagulopathie de consommat ion ( tableau I) , les autres examens biologiques 6taient no rmaux , y compris la virologie_ U n e c6sarienne a permis l 'extract ion de deux foetus de 2 660 et 2 665 g avec un score d 'Apga r de 10, h 5 et 10 min, et a 6t6 suivie d 'une am61ioration clinique et biologique. U n e biopsie h6pat ique r6a- lis6e une semaine plus tard a confirm6 r6t rospect ivement le diagnostic de S H A G .

Observa t i on n ° 3

M me T, 34 ans, primigeste (grossesse g6mellaire), a 6t6 hospitalisde en mars 1989 au te rme de sept mois et demi pour insuffisance hfpatocellulaire et cytolyse. La grossesse de la pat iente s'dtait d6roul6e sans probl6me tant sur le plan mater- nel que foetal jusqu 'au 7 ~ mois, date oh est apparue une asthd- nie importante , associde h u n pruri t . Trois jours avant l 'hospi- talisation, elle a vomi et un ict6re est apparu . A l 'entrde dans le service de gyn6cologie, l 'ict6re 6tait intense, la tension artdrielle ~ 140/80 m m H g et la pat iente ne percevait plus les m o u v e m e n t s actifs des foetus. Le trac6 de cardiotocographie n 'a pas t rouv6 d'activit6 cardiaque. L '6chographie a confirm6 le ddc~s des deux foetus. Les rdsultats biologiques ont montr6 une insuffisance hdpatocellulaire, une cytolyse, une cholestase, une insuffisance rdnale mod6rde, et une coagulopathie de consom- mat ion (tableau I). Le reste du bilan biologique 6tait normal , de m6me que l '6chographie des voies biliaires et les bilans virologiques. Apr6s extraction des deux foetus par c6sarienne,

Tableau I. - - Bilan biologique des quatre patientes

1 2 3 4

Insuffisance h6patocellulaire

Glyc6mie (g • 1 1) N : 0,7 - 1 0,45 0,6 0,39 0,4

Temps de Quick ( % ) N : 100 35 38 36 16

Temps de c6phaline activ6(s) (pat iente/ t6moin) 45 / 27 47 / 30 53 / 27 95 / 30 Fibrinog6ne (g • 1 1) N : 1,8 - 3 0,7 0,9 0,5 0,4

Facteur V (%) N : 100 - - - - 47 19 Amoni6mie (mg • 1-1) N : 0,8 - 1,1 0,43 Albumin6mie (g • 1-7) N : 35 - 45 51 52

Cytolyse T G P (UI • 1-1) N < 40 470 654 210 542

T G O (UI . 1-1) N < 35 430 499 201 400

L D H (UI - 1 1) N < 200 434 746 637 - -

3 'GT ( U I . 1 ~) N < 45 130 66 127

Cholestase Bilirubine conjugu6e (mg • 1 ~) N < 5 36 24 74 40

Phosphatases alcalines (UI • 1 -l) N < 15r45 525 455 573 504

Coagulopathie Test ~ l '6thanol + + + + de consommat ion P D F (izg • ml t) N < 5 entre 10 et 40 entre 10 et 40 - - entre 10 et 40

Num6ra t ion formule Leucocytes ( G . 1 1) sanguine N : 4 - 10 18,2 22 19 18,5

Hb (g - dl 1) N : 12 - 16 13,8 12,8 12 - 10,7

Ht (%) N : 32 - 52 40,1 34 37 - 33,4 Plaquettes (G • l -t) N : 200 - 350 331 323 310 205

Uric6mie (mg • l -I) 70 103 88

Insuffisance r6nale Ur6e (g - 1 1) N : 0,15 - 0,40 0,52 0,28 0,36 0,40 Cr6atinine (rag - 1 1) N : 5 - 15 21 13 22 22

N : valeur normale ; TGP : Transaminase Glutamo - Pyruvique ; TGO : Transarninase Glutamo - Oxalo - ac6tique ; LDH : Lacticod6shydrog6nase ; 7GT : "/Glutamyl Transpeptidase ; PDF : produits de d6gradation du fibrinog6ne ; Hb : h6moglobinc ; Ht : h6matocrilc.

594 V. REISER ET COLL.

Tableau II. - - Bilans b io logiques et d iagnost ics de la SHAG et de ses deux pr inc ipaux d iagnost ics differentiels.

Grossesse normale H6patite virale grave S H A G HELLP syndrome

Bilan hdpatique Insuffisance Insuffisance h6patocellulaire h6patocellulaire

TQ 1" T Q ,~ $ TQ ~, ,1, TQ normal Facteur VIII 1' 1' Cofacteur + + Cofacteur + $ Fibrinog6ne 1' Fibrinog6ne $ $ Fibrinog6ne + ~, Fibrinog6ne normal ou

Facteur II, VII 1' T CA 1' I" T C A 1' T TCA normal Hypoglyc6mie Hypoglyc6mie

Cytolyse Cytolyse Cytolyse

T G O : N < 3 5 U I - I ~ T G O : 5 h 2 0 f o i s l a n o r m a l e T G O : 1' mod6r6e T G O : 1' r a r e m e n t > 3 0 0 U I . I T G P : N < 4 0 U I . I 1 T G P : 5 ' a 2 0 f o i s l a n o r m a l e T G P : 1' mod6rde T G P : I"

~ G T : N < 45 UI - 1 J Cholestase Cholestase Cholestase Bilirubinc totale : B GC : 1̀ 1' entre 80 BGC : 1̀ 1' Bilirubine totale : 17 h 26 mg . 1 -I et 180 mg • 1 i 1̀ jusqu"~ 3 lois la normale

Ph A l c : 2 lois la normale Ph Alc : 1,5 h 2 fois Ph Alc : I" mod6r6e Bilirubine non GC : 1̀ 1" la normale (h6molyse)

Bilan Plaquettes normales Parfois coagulopathie de coagulation A n t i t h r o m b i n e I I I + de consommat ion

Activit6 fibrinolytique $ au 3 e trimestre

Thrombop6nie importante < 1 0 0 G - I J

Coagulation de consommat ion souvent associ6e

Num6rat ion Leucocytose : 1' mod6r6e Leucocytose normale ou $ Hyperleucocytose formule sanguine > 15 G • 1

Leucocytes : 1' mod6r6e an6mie h6molytique, schizocytose

Diagnostic Sdrologies virales Histologie IgM Ha, Ag Hbs, Ag Hbe, Biopsie hdpatique Ig anti h6p C, plus rarement sdrologie CMV, MNI

Biopsie hdpatique 61iminant le S H A G contexte toxdmique

TQ : tcmps dc Quick ; TCA : temps de c6phaline activ6 ; TGO : Transaminase Glutamo - Oxalo - acdtique ; TGP : Transaminasc Glutamo - Pyruvique ; yGT : yGlutamyl Transpeptidase ; Ph Ale : phosphatases alcalines ; BGC : bilirubine conjugude.

I'ict6re et les anomalies biologiques ont rdgress6 sans aucun traitement. La S H A G a 6t6 affirmde par une biopsie h6patique rdalis6e au 15 ~ jour.

O b s e r v a t i o n n ° 4

,~,M ~ T, 27 ans, d'origine cambodgienne, a pr6sent6 au terme de huit mois d 'une grossesse gdmellaire, des sympt6mes d 'ano- rexie, asthdnie, malaise gdndral et arthralgies diffuses. Devant des signes de souffrance f(etale aigu6, une cdsarienne a permis l 'extraction de deux enfants en bonne sant6 pesant 2 080 et 2 530 g. Les suites postop6ratoires se sont compliqudes dans les 12 premieres heures de comas hypoglyc6miques itdratifs et rdsolutifs apr6s injection de glucos6 ~ 30 %. Le lendemain, est apparu' un volumineux h6matome cervicofacial entrainant une ddtresse :respiratoire et n6cessitant le transfert de la patiente en service de rdanimation, ofa elle a 6t6 intubde et ventilde. Le bilan biologique a montr6 une insuffisance h6patocellulaire majeure, une cytolyse et une cholestase moddrde, une coagulo- pathie de consommat ion, et une insuffisance rdnale (tableau I). L'dchographie des voies biliaires et les bilans virologiques 6taient normaux. Devant la persistance des troubles de la coagulation, malgrd un t rai tement symptomat ique, une hystd- rectomie d 'hdmostase a 6t6 rdalisde. Trois jours plus tard, la persistance de l 'hdmatome facial et les difficultds ~ assurer la ventilation ont conduit 'a une trachdotomie. Les jours suivants

est apparu un ict6re, avec troubles de la coagulation persistants malgrd un trai tement par PFC, culots globulaires et vitami- ne K. Des 6pisodes de comas hypoglycdmiques se sont repro- duits. Au 7 ~ jour, des hdmorragies t rachdobronchiques ont 6t~ la cause d 'une ddtresse respiratoire avec hypoxdmie. La patiente est d6cddde au 18 ~ jour postop6ratoire clans un tableau hdmorragique. Devant l 'association d 'une insuffisance h6pato- cellulaire grave et de troubles majeurs de la coagulation, surve- nus dans le contexte d 'une grossesse gdmellaire ~ 38 semaines d 'amdnorrhde , le diagnostic de S H A G est retenu sans preuve histologique formelle.

DISCUSSION

C e s q u a t r e o b s e r v a t i o n s i l l u s t r e n t la g r a v i t 6 d e la s t d a t o s e h d p a t i q u e a i g u 6 g r a v i d i q u e , a f f e c t i o n r a r e ,

a c t u e l l e m e n t m i e u x c o n n u e . E n a c c o r d a v e c l e s d o n n 6 e s d e l ' e n s e m b l e d e s a u t e u r s , l e s s y m p t 6 m e s

s o n t a p p a r u s a u c o u r s d u t r o i s i ~ m e t r i m e s t r e d e l a g r o s s e s s e . D a n s t r o i s c a s , i! s ' e s t a g i d e g r o s s e s s e s g 6 m e l l a i r e s . C e l l e s - c i s e m b l e n t e n e f f e t p l u s f r 6 - q u e m m e n t c o m p l i q u d e s d e S H A G .

A u c o u r s d e l a p h a s e p r 6 i c t 6 r i q u e , l e s s i g n e s f o n c t i o n n e l s s o n t n o n s p 6 c i f i q u e s . L e s s y m p t 6 m e s

STId:ATOSE HI~PATIQUE AIGUI~ GRAVIDiQUE ET BIOLOGIE 595

le plus fr6quemment rencontr6s sont les vomisse- ments, l 'asth6nie et les douleurs abdominales [4]. L'association h une polyuropolydipsie est 6voca- trice du diagnostic [6]. Le manque de spdcificit6 de ces signes ne permet pas d 'aboutir au diagnos- tic, qui tres souvent s'6gare. La phase ict6rique d6bute cinq ~ six jours apr6s la phase pr6ict6rique [4]. L'ict6re, constant, est de type r6tentionnel. L'h6pataigie h la palpation est inconstante.

Une des patientes (observation n ° 2) prdsentait des signes de toxdmie (hypertension, oed6me et prot6inurie) ; cette association a 6t6 d6crite [5]. Des manifestations h6morragiques sont trouv6es dans 70 % des cas [12]. Elles t6moignent du d6sordre de la fonction h6patique et sont le plus souvent localisdes ~ l'appareil g6nital (11 cas sur 16). Une patiente (observation n ° 4) a prdsent6 des h6matomes cervicofaciaux et g6nitaux en rap- port avec une insuffisance h6patocellulaire majeure. Les quatre patientes ont eu des troubles de la glycdmie (entre 0,60 et 0,39 g - 1-~). Seule la patiente n °4 a pr6sent~ des signes neurologiques, de type coma, au cours d'un 6pisode hypoglyc6mi- que. L'asthdnie importante et les vomissements, ainsi qu 'une amn6sie r6trograde signal6e par l 'une des patientes (observation n ° 3) pourraient ~tre li6s h l 'hypoglyc6mie. La clinique 6tant non sp6ci- fique, les donndes biologiques sont essentielles pour orienter le diagnostic vers cette affection rare. L'insuffisance hdpatocellulaire est constam- ment trouvde. Son importance repr6sente un des facteurs de gravit6 de la maladie [4, 9]. La cyto- lyse et la cholestase restent habituellement mod6- r6es. La coagulopathie de consommation est par- fois not6e [15]. L'insuffisance rdnale constante est modeste. Quelques cas de pancr6atites aiguEs h6morragiques ont 6t6 ddcrits avec 616vation des amylases [23]. L'dldvation de l'uric6mie est prd- coce. Ce signe peut apparaitre vingt jours avant l'ict~re [12]. Bien que non spdcifique, une hyperu- ricdmie sup6rieure 5 60 m g . 1 -~ doit conduire surveiller le bilan h6patique. Une hyperleucocytose supdrieure h 15 G • 1- est 6vocatrice du diagnostic [13] ; ce fut le cas pour chacune de nos patientes.

Le diagnostic n'est affirm6 que par l 'anatomopa- thologie. La biopsie h6patique pratiqu6e de pr6f6- rence apr6s correction des troubles de l'h~mostase ou par vole transjugulaire trouve une st6atose cen- trolobulaire microv6siculaire donnant un aspect pseudospongiocytaire. La structure lobulaire est conserv6e ; il n'existe pas de n6crose h6patocellu- laire, et les cellules de Kfipffer sont hyperplasiques [14]. MCKEE et coll. [18] ont propos6, afin d 'orienter le diagnostic, d'6valuer le contenu h6pa- tique en tissu graisseux par tomodensitom6trie. En effet, dans la SHAG, on trouve une baisse de densit6 du tissu h6patique en relation avec l'infil- tration graisseuse [16, 18].

Le pronostic maternel et foetal s'est am61ior6. Une prise en charge plus pr6coce a permis de faire r6gresser la mortalit6 maternelle de 75 % en 1979 [2, 9] ~ environ 25 % en 1988 [1, 12]. Une de nos patientes est d6c6d6e ~ l a troisi6me semaine dans un tableau h6morragique et de d6tresse respiratoire aigu~. Pour les trois autres patientes, la normalisation clinique et biologique a 6t6 obtenue progressivement sous traitement symp- tomatique apr6s l 'extraction foetale. La r6gression du taux de mortalit6 maternelle t6moigne d 'une meilleure connaissance du syndrome et d 'une meil- leure prise en charge. La plupart des auteurs s'ac- cordent ~ affirmer que l 'extraction foetale apr6s un diagnostic pr6coce est l'616ment essentiel du pro- nostic [7, 11]. D'apr~s BERARDI et coll., le mode d'accouchement ne semble pas influencer le pro- nostic maternel et foetal [4]. Pour deux patientes, l 'examen foetal 6tait normal ~ l'admission, et les nouveau-n6s 6taient en bonne sant6 apr6s l'extrac- tion. Pour une patiente, c'est la souffrance foetale qui a conduit ~ la c6sarienne en urgence : les deux enfants sont n6s en bonne sant6. Quant ~ I'obser- vation n ° 3, l '6volution a 6t6 dramatique, puisque malgr6 un examen foetal normal la veille de l'inter- vention, les deux foetus 6taient morts ~ l'extrac- tion. La mortalit6 fcetale 6tait ant6rieurement proche de 70 % [10]. Les 6tudes r6centes l'6va- luent h 37 % [17], mettant l 'accent sur la n6cessit6 d'un traitement pr6coce. La survie simultan6e de la m~re et de l 'enfant ne serait que de 10 %. Le risque de r6currence lors de grossesses ult6rieures ne semble pas prouv6 [19].

La pr6cocit6 du diagnostic repose sur l'61imina- tion rapide des principaux diagnostics diff6rentiels. Devant un ict6re grave survenant au cours de la grossesse, trois diagnostics principaux sont ~ discu- t e r : l 'h6patite virale plus fr6quemment rencon- tr6e, la maladie de Sheehan, et le ~, H E L L P syn- drome >> [3]_ D'autres diagnostics plus rares peu- vent 6garer : foie de choc, 6tat septic6mique, prise de m6dicaments h6patotoxiques, intoxication 6thy- lique, compression m6canique du foie [21, 22]. Les trois principaux diagnostics ont un tableau clinique assez semblable, rendant difficile leur identification en phase aigu6. L'analyse soigneuse des perturba- tions biologiques permet l 'orientation pr6cise vers la cause (tableau II). En effet, une 616vation tr6s importante des transaminases associ6e h une cho- lestase et ~ une insuffisance h6patocellulaire avec leucocytose normale ou diminu6e est en faveur de l'h6patite virale. En revanche, une insuffisance h6patocellulaire grave, associ6e ~ une hyperleuco- cytose, h une cytolyse mod6r6e, h une cholestase et h une hyperuric6mie, doit faire envisager le diagnostic de maladie de Sheehan. Quant au << H E L L P syndrome >>, son profil biologique est l'association d 'une h6molyse (H = hemolysis), d 'une 616vation des transaminases (EL = elevated

596 V. REISER ET COLL.

liver) et d'une thrombop6nie (LP = low platelets) [8]. La diff6rence entre S H A G et << HELLP syn- drome ~ n'est biologiquement pas toujours aussi 6vidente. Pour certains auteurs, il s'agirait d'une m6me maladie gravidique entrant dans le cadre plus g6ndral des pr66clampsies. En effet, MINA- KAMI et coll. [20], d6jh en 1985, notaient des d6p6ts graisseux au niveau des cellules h6patiques chez les patientes pr6sentant aussi bien une pr66- clampsie qu'un <<HELLP syndrome ~> ou une SHAG. Pour les auteurs, la S H A G ne serait que l'6volution la plus grave de ces d6p6ts h6patiques microv6siculaires.

La d6cision th6rapeutique varie selon la cause. En effet, en cas de S H A G ou de <~ HELLP syn- drome ~, la majorit6 des auteurs est en faveur de l'extraction feetale rapide [22] et le plus souvent par c6sarienne pour sauvetage feetal, alors qu'en cas d'h6patite virale, l'expectative est pr6conisge [9]. Certains auteurs vont jusqu'~t l'extraction sys- t6matique quand la maladie de Sheehan ne peut 6tre 61imin6e [111. I1 n'existe pas de traitement 6tiologique efficace, puisque la physiopathologie n'est pas connue. Le traitement apr6s extraction feetale est symptomatique et doit 6tre r6alis6 dans un service de r6animation. En raison des signes li6s ~ I'insuffisance h6patocellulaire, une collabora- tion entre r6animateurs et obst6triciens reste indis- pensable. Le traitement repose sur la correction des troubles de la coagulation par un apport de plasma frais, de vitamines K, de concentr6s pla- quettaires et sur la correction des troubles hydro6- lectrolytiques. La r6gression des signes cliniques et biologiques n6cessite en moyenne 10 ~ 15 jours de traitement.

L'int6r6t de ces quatre observations est d'insister sur la gravit6 de la maladie de Sheehan, tant sur le plan maternel que foetal. C'est une affection rare de la grossesse ~ laquelle il faut n6anmoins penser. Le pronostic est li6 incontestablement a la pr6cocit6 du diagnostic conduisant ~a l'interruption de la grossesse. Devant toute symptomatologie ~ligestive ou h6patique survenant au cours du 3 ~ trimestre de la grossesse ainsi que devant toute hypertension gravidique, il faut penser ~ r6aliser rapidement un bilan biologique, h6patique et de coagulation et ne pas attendre la survenue de l'ict6re pour entreprendre ces investigations. L'analyse soigneuse du bilan contribuera h orienter le diagnostic et ainsi ~a adopter la th6rapeutique qui s'impose. C'est h ce prix que r6gressera la mortalit6 maternelle et f~etale.

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STI~ATOSE HEPATIQUE AIGUI~ GRAVIDIQUE ET BIOLOGIE 597

ABSTRACT: Four cases of acute fatty liver of pregnancy occurring over a ten year period are reported. All four paticnts had a caesarean section and one died postoperatively. The seven children (three twin pregnancies) were all alive. The early clinical signs were unspecific. Jaundice was the only one occurring in all patients. Routine biological tests before the jaundice develops may be of help for a diagnosis early enough to start the treatment in patients with unspecific gastrointest inal or hepatic manifestations, especially the liver function and blood coagulation tests. These latter allow to discord the diagnosis of viral hepatitis and the ,~ Haemolysis-Elevated Liver enzyme concentrations-Low Platelcts ,, (HELLP syndrome) respectively. Indeed, only a liver biopsy can ascertain the diagnosis.