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Je souffre donc je suis: le double exil des réfugiés Syriens originaires de Palestine

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Certains Syriens d’origine palestinienne ont fait le choix de l’exil pour échapper aux violences d’une guerre civile qui ne leur appartenait qu’à moitié. Beaucoup d’entre eux ont depuis été rattrapés par une autre révolution, de nature identitaire.

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Jesouffredoncjesuis:ledoubleexildesréfugiésSyriensoriginairesdePalestine

SyrienspalestiniensouPalestinienssyriens?«Audébutde larévolutionen2011, laplupartdesPalestiniensrésidantenSyriefaisaient profil bas» se souvient Fadi. Envahis d’une angoisse soudaine, peud’entreeuxonteuladéterminationdeparticiperauxpremièresmanifestations.« On craignait de renverser le régime de Bachar Al-Assad, qui en fin de comptetolérait la présence des réfugiés palestiniens sur le sol syrien, et par làmêmedebriserlestatuquogarantissantnotresemblantdestabilité»m’explique le jeunehomme.PourbeaucoupderéfugiéspalestiniensenSyrie,l’idéedefuirleurpaysd’accueil serait synonyme d’une seconde Nakhba, autrement dit d’un nouveau«jourdelacatastrophe»,répliquedeceluiayantmarquéledébutdeleurexodeen 1948 suite à la première guerre israélo-arabe. «D’autre part, on avaitconsciencequelerégimeredoubleraitdeviolenceenverslesPalestinienssoutenantleprintempssyrien,qu’ilnesepriveraitpasdelestraitercommedesnon-citoyens,voirepire,commedestraitresayantleculotdeserebellercontreleursbienfaiteurs»,poursuitFadi.Luietmoiprofitonsd’unrepasoffertparunbistrointerculturelberlinoisetFadirassemblelesderniersgrainsdetaboulémaculantsonassietted’un mouvement adroit de son bout de pain en soupirant:« Je pourrais meresservirencoredixfois,chaquebouchéemerappellelamaison».Jemedemandecequ’ilentendparlà.Le statut des Palestiniens réfugiés en Syrie est indéniablement ambigu.Bénéficiantd’unequasi-égalitédesdroitsaveclesressortissantssyriens,ilsn’endemeurent pas moins privés de la nationalité syrienne et du droit de vote.Officiellement, le gouvernement justifie son refus de leur accorder la pleinecitoyenneté par sa volonté de protéger leur identité et leur droit au retourenPalestine. Dans les faits, être Palestinien en Syrie revient souvent à êtrecondamnéàlaprécarité.Beaucoupviventtoujoursdansdescampsderéfugiés,aujourd’huidevenusdesquartiersàpartentièresmaistoujoursadministrésparl’officede l’ONUenchargede l’aideauxréfugiéspalestiniensauProcheOrient,oùlesconditionsdeviedemeurentmédiocres.Jusqu’àrécemment,FadiseressentaitetseprésentaitsystématiquementcommePalestinien.C’estainsiqu’ilsedéfinissaitsursescopiesd’écolier.C’estcequeluirappelait sans cesse la vue de son «document de voyage» (substitut depasseport octroyé aux réfugiés palestiniens au Moyen Orient par leurs payshôtes afin de leur permettre de voyager). Par ailleurs, c’est aussi en tant quePalestinien que la majorité des Syriens «de souche» semblait le considérer:«J’ai entendu beaucoup d’histoires de parents syriens disant à leurs enfants

CertainsSyriensd’originepalestinienneontfaitlechoixdel’exilpour échapper aux violences d’une guerre civile qui ne leurappartenait qu’à moitié. Beaucoup d’entre eux ont depuis étérattrapésparuneautrerévolution,denatureidentitaire.

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devenusadolescents:‘’Écoutemoibien:net’avisesurtoutpasdet’enticherd’un(e)Palestinien(e)! ’’», raconte t-il amusé en singeant la voix de l’archétype de lamèrearabeautoritaire.FadiestpourtantnéenSyrie,etparlearabeavecunaccentdamascène.Iln’estjamais allé en Palestine, et ne connaît presque rien de Safed, la ville dont safamilleestoriginaire(aujourd’huisituéeauNorddel’Étathébreu).«Ilparaîtquec’estmagnifique…»medit-ilavecdesyeuxbrillantsd’interrogationaprèsquejeluiaiavouém’yêtremoimêmerenduelorsd’unvoyagedanslarégion.Sonidentitéetsonsentimentd’appartenancenationale,Fadilesafondéssurlesanecdotespeupléesd’oliviersquesafamilleressasseavecnostalgie,surlesversrévoltésdeMahmoudDarwichetsurl’étiquettedePalestinienquelesautoritéset la société syriennes lui ont apposée depuis toujours, et qu’il a fini parintérioriser.IdentitérévolutionnaireProgressivement, la communauté palestinienne en Syrie est sortie de sonmutisme attentiste des premiersmois et a rejoint la révolution. De nombreuxréfugiés ont accusé le régime de Bachar Al-Assad d’instrumentaliser la causepalestinienne pour servir ses intérêts, et notamment d’utiliser l’alibi de larésistance à Israël comme une raison suffisante au maintien de la dynastiedictatorialedesAssadaupouvoir.Trèsvite, les campsde réfugiéspalestiniensontpayélesconséquencesdeleurengagementpourladémocratie:arrestations,bombardements,parfoismêmesiègesmilitairesdequartiersentiers.Fadi s’est rapidement approprié les revendicationsde la révolution, convaincuque «la lutte pour la liberté est une passion universelle qui se fout des limitescommunautaires». Dans les rues, les protestataires se sont mis à scander desslogans réunificateurs, parmi lesquels «Palestiniens et Syriens sont un seulpeuple»et«laSyrieestbombardée,d’AlepàGaza».C’estàcemomentprécisqueFadiacommencéàressentiretàrevendiquersa«syrianité».C’est comme si soudainement, les réfugiés palestiniens avaient réalisé leurattachementàlaSyrieentantqueterrenatale,etleurresponsabilitécitoyennede s’insurger pour elle. C’est comme si soudainement, l’élan fédérateur de larévolution avait abrogé le statut spécial des Palestiniens syriens, et que cesderniersétaientenfinreconnuscommedesSyriensàpartentière.RéfugiéspuissancedeuxCela fait plus d’un an que Fadi vit en Allemagne. Il n’y a pas demandé asile(«Pour être reconnuen tantquequoi?Réfugiépuissancedeux?»),mais peut yséjourner légalementgrâceauvisadeséjour temporairequ’ilaobtenuen tantqu’étudiant.Lorsqu’ildoitrépondreàlaquestiondesesorigines,ilseditSyriensanshésitation.Cen’estquesixmoisaprèsnotrepremièrerencontrequ’ilm’apréciséêtreunPalestiniensyrien,etseulementparceque«lesujetestarrivésur

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latable».Unpeudéboussolé, il ne s’explique luimêmepas très clairement lesraisonsdecechangementderhétoriquequantàsanationalité.Il s’agit en partie d’exprimer sa fidélité à l’esprit originel de la révolution, quiprônait l’existence d’une Syrie inclusive appartenant aux communautéssyriennes majoritaires comme aux minorités (palestinienne, chrétienne,arménienne,kurde,druzeetc).Alorsquecetteidéed’unionnationales’essouffleau profit des revendications séparatistes de la région kurde du Rojava et desconquêtessauvagesdeDaesh,sedireSyrien,c’estaffichersonsoutienau«puréland’unité»quianimaitlarévolutionàsagenèse,etparlàmêmesonallégeanceàl’intégritéduterritoiresyrien.SeprésentercommeSyrien,c’estaussiunmoyenpourFadidesedistinguerdesfamilles de Palestiniens installées en Allemagne depuis longtemps, dont laplupartont fui lesconflits israélo-palestiniensou libanaisayantagité leMoyenOrient lors des dernières décennies. Dans les années 2000, entre 30.000 et80.000PalestiniensrésidaientdéjàenAllemagneeten2008,environ1%de lapopulation berlinoise était d’origine palestinienne. En tant que «nouvelarrivant»enEurope,Fadisesentplusprochede laconfusiondéconcertéedesmigrantssyriensrécemmentdéracinésquedelaroutinerésignéedeladiasporapalestinienneétablieenEuropedepuisplusieursannées.Pouréchapperauvertigedecettemiseenabymedel’exiletrésoudrel’imbroglioidentitaire qui le tourmente, le plus simple aurait été que Fadi se définissecomme Arabe. «En Europe, c’est compliqué de qualifier quelqu’un d’Arabe. Çavous paraît impertinent, raciste même. Au Moyen Orient au contraire, l’identitéarabeestassumée,etbeaucoups’enréclament».Danslarégion,lerêvepanaraben’estpasmort, et resteparticulièrementprégnant en Syrie. C’estd’ailleurs surcetteidéemêmedurétablissementd’unenationarabeuniquequelepartiBaas(«renaissance», «résurrection» en arabe) des Assad a fondé son idéologiepremière.PourtantdepuisledébutdelaguerrecivileenSyrie,impossiblepourFadi de se sentir arabe et de se revendiquer comme tel. L’absence assuméed’empathiedespaysduGolfe,quin’onttoujoursaccueilliaucunréfugiésyrien,aachevédeleconvaincredel’hypocrisiedesconceptsd’unitéetd’identitéarabes,qu’ilmépriseaujourd’huiouvertement.PasseportpourlasouffranceMais le Big Bang identitaire vécu par les Palestiniens syriens ne les prive pasd’un certain sentimentd’appartenance. Ilparticipeen fait à la refontede leursprocessus d’introspection et d’identification. Dans un article intitulé «Moi,Apatride» (Ich, Staatenloser), Ramy Al-Asheq, journaliste syrien-palestinienréfugiéàCologne,choisitdesedéfinircomme«uncorpsdotéd’unetête,dedeuxyeux, de deux bras et de deux jambes». Pour lui, ce qui différencie les êtreshumains les uns des autres, ce ne sont pas leurs papiers d’identité ou leursorigines,maislefaitquecertainsd’entreeuxdansentsurdujazzquandd’autresdansentpouréchapperauxgrenades.Commesi l’humaniténedisposaitquededeuxtypesdepasseport:celuipourlasouffranceetceluipourlanormalité.

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Encesens, l’expériencede laguerre,de la révolte,de lamisère,dudeuiletdel’exil aura permis aux Palestiniens et aux Syriens, et donc aux deux volets del’identitédeFadi,desereconnaîtreetdeseconfondre.